Poulet en tranche - Roland Hingant - E-Book

Poulet en tranche E-Book

Roland Hingant

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Beschreibung

« Il sentit une main d’acier se plaquer sur sa bouche. Dans la seconde suivante, quelque chose pénétra son abdomen et il ressentit une terrible souffrance. Le couteau à désosser du charcutier découpait la chair comme une vulgaire feuille de papier… »


À PROPOS DE L'AUTEUR


Roland Hingant utilise les mots pour décrire ses perceptions du monde et ouvrir les portes de son univers artistique. Il compte à son actif plusieurs ouvrages.

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Seitenzahl: 131

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Roland Hingant

Poulet en tranche

Roman

© Lys Bleu Éditions – Roland Hingant

ISBN : 979-10-377-6225-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Tranche de poulette

Pierrot

Laurène Trudeau longeait les quais de Seine d’un pas vif. Le soleil venait de pointer son nez, mais de l’autre côté de la Seine des nuages menaçaient de déverser leur cargaison sur la capitale. Elle traversa le boulevard Diderot et s’engagea dans la rue de Bercy. La circulation y était dense, la pollution à son paroxysme. Le bruit des klaxons actionnés par des automobilistes impatients agressa les tympans de la jeune femme. Taxis et bus déversaient leurs flots incessants de voyageurs, qui se hâtaient pour rejoindre la gare de Lyon. La jeune femme s’engouffra dans le hall d’accès au métro.

Avant de s’engager sur l’escalator, Laurène attendit que la foule se dissipe. Elle émietta les restes de son croissant, tendit une main, leva la tête et chercha le canari des yeux. Elle avait baptisé l’oiseau Pierrot, à la mémoire de son compagnon disparu dans un tragique accident de moto, l’année précédente. Pierrot, qui guettait Laurène sur la branche d’un arbre proche, se présenta et se posa sans hésiter sur sa main droite. Pour lui dire bonjour, il remua sa petite tête et se mit à chanter. Il picora rapidement les miettes, essuya son petit bec sur le pouce de Laurène et s’envola pour aller se poser sur le rebord d’une poutrelle du hall. Lorsque Laurène s’engagea sur l’escalator, il la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse.

***

Chaque jour, avant de se rendre au commissariat de Gambetta, Laurène faisait une halte au bar des Acacias. C’était le seul moment de détente qu’elle s’octroyait dans la journée. Elle salua le barman, Lucien, et s’installa à sa place habituelle, au fond de la minuscule et obscure salle. En face d’elle était assis un homme grassouillet, mal rasé et aux cheveux gras, qui préparait un cigare. L’homme trempa une extrémité de celui-ci dans son verre de cognac, puis le chauffa méticuleusement à l’aide de son briquet. Ensuite, dans des gestes solennels, comme si son cigare était un trésor inestimable, il planta la moitié d’une allumette dans le bout qu’il venait d’humecter, et l’alluma. Il ferma les yeux et aspira goulûment la première bouffée, qu’il recracha doucement en faisant des volutes de fumée.

Un nuage malodorant envahit la salle. Écœurée, Laurène se leva et s’installa trois tables plus loin. Le gros homme remarqua l’éloignement de Laurène et se vexa.

— Aujourd’hui, formula-t-il d’une voix hésitante, c’est mon anniversaire. Je suis vraiment désolé de vous avoir offensé, mademoiselle. Puis-je… vous offrir quelque chose ?

— Non ! Merci, monsieur.

Elle avait envie de lui écraser son cigare qui puait autant que lui, sur la figure. Elle ouvrit son sac à main, sortit sa revue hebdomadaire : Vive les Femmes, l’ouvrit et se plongea obstinément à l’intérieur. Le métier de Laurène, commissaire de police, l’accaparait pour ainsi dire à plein temps. Elle se prélassait rarement. Ses week-ends, elle les passait à rédiger des rapports, à faire ses courses et son ménage.

Affichant un sourire qui en disait long sur ses intentions, Lucien, 31 ans, un grand blond aux cheveux en bataille, qui lui aussi était mal rasé et affublé comme un as de pique, sortit de derrière son comptoir et se dirigea vers Laurène. Dès la seconde où il l’avait vu pénétrer dans son établissement, il y a de cela un an, il en était tombé amoureux. Il alluma le plafonnier et entama la conversation.

— Vous allez tuer vos yeux à lire dans la pénombre, Laurène. Ce serait dommage, ils sont si beaux !

Elle leva la tête, plongea son regard dans le sien et lui sourit. Lucien sentit son cœur battre la chamade. Chaque fois qu’il la voyait, il en était ainsi. Elle posa les yeux sur sa braguette et passa sa langue sur ses lèvres. Elle aimait l’exciter, mais les choses en étaient restées à ce stade avec lui. Mais Lucien se faisait des films. Que les hommes peuvent être stupides ! pensa-t-elle. Elle commanda un café simple, mais comme d’habitude, Lucien, obstiné de nature, lui en apporta un double ; et il répliqua, comme toujours.

— L’autre est pour moi, Laurène.

Deux minutes plus tard, Lucien se présenta avec son plateau. Il passa derrière Laurène, et, avant de poser la tasse sur le guéridon, se frotta le pubis contre le haut de son dos. Il était en érection, et Laurène lui mit un coup de coude au bon endroit. Elle inspecta son café. Il était recouvert d’une mousse onctueuse. Elle repoussa la tasse. Et si cet abruti avait éjaculé dedans, pensa-t-elle ? Heureux de son indélicatesse, Lucien lui offrit, comme à son habitude, un large sourire complètement débile.

— Désirez-vous des croissants, Laurène ?

— Non… merci, Lucien.

Laurène n’avait pas envie de manger quoi que ce soit. Elle avait le moral à zéro, et si cela ne tenait qu’à elle, elle retournerait se coucher, se réfugier dans son lit. Il faut dire aussi qu’il y avait de quoi avoir le bourdon. La veille, elle avait connu la terreur, comme celle que l’on voit dans les films d’horreur. Mais là, c’était vraiment la première fois qu’elle avait été aussi mal à l’aise à la vue d’un cadavre. Peut-être aussi parce que c’était celui de Marthe, sa collègue et meilleure amie. Une panique indescriptible s’était emparée d’elle à la morgue. Heureusement qu’elle était avec Paul Lavergne, son collaborateur, pour identifier le corps.

Marthe était l’adjointe de Laurène. Les deux jeunes femmes, pratiquement inséparables au travail comme dans la vie de tous les jours, avaient résolu ensemble un certain nombre d’affaires criminelles. Complices, elles partageaient un petit appartement dans le 12e arrondissement de Paris. Elles se connaissaient depuis l’école maternelle, et rien n’avait pu les séparer. Même dans les moments difficiles, surtout celui de l’adolescence où elles flirtaient souvent avec les mêmes garçons, elles surent rester unies.

Dans le commissariat de Gambetta, Marthe, toujours d’humeur joyeuse, était appréciée de tout le monde. Cette jolie brunette de trente-trois ans a été assassinée de façon ignoble. D’un naturel discret, rien ne laissait supposer qu’elle était sur la piste du meurtrier. Personne ne savait comment, mais les faits étaient là. Laurène avait pris la ferme résolution de trouver et de boucler ce psychopathe. De le trucider ne lui ferait ni chaud ni froid. Le bruit désagréable du camion de ramassage des déchets urbains la tira de ses pensées. Sentant une présence, elle leva la tête et rencontra le regard imbécile de Paul Lavergne. Paul, trente-trois ans, inspecteur de police, grand brun à l’allure sportive, secondait Laurène comme il pouvait. Elle posa un regard fade sur lui. Paul avait les cheveux hirsutes, l’allure de quelqu’un qui s’était levé de son lit à la dernière seconde et habillé sans s’être douché. Pour ceux qui le connaissaient, c’était son état naturel. Et d’après les effluves que Paul dégageait, c’est exactement ce qui s’était passé ce matin.

— Salut, ma p’tite lolo !

— Arrête de m’appeler comme ça !

— Ça n’te dérange pas, si j’m’installe ?

— Non, assieds-toi. Tu as une sale mine…

— Ouais, j’dors pas très bien en c’moment !

Avec son langage vulgaire, Paul énervait tous les gens qui le côtoyaient. Il alluma une cigarette qui puait autant que le cigare du gros homme, puis héla Lucien en sifflant et en claquant des doigts.

— Arrête de faire ça !

— Quoi, encore ?

— De claquer des doigts et de siffler le garçon !

Avant de prendre la commande de Paul, Lucien poussa une chaise, enleva la tasse vide de Laurène et essuya la table dans un geste professionnel. Laurène remarqua qu’il n’était pas entièrement abruti.

— Vous désirez un autre café, Laurène ?

— Oui.

— Et vous, monsieur Paul ?

— Un café, un croissant, un Calvados et un double rhum.

Lucien lui lança un « Pfut » méprisant et tourna les talons. Paul lui fit un geste obscène dans le dos.

— T’as lu l’journal de c’matin, lolo ?

— Non.

— L’tueur a encore frappé.

Elle fut prise d’une sorte de malaise.

— Ça n’va pas, lolo ?

— Ce n’est rien, ça va passer !

Elle déplia le journal. Il était froissé, comme tout ce que touchait Paul. En première page, le visage radieux d’une jeune fille. Paul prit un air dégoûté.

— La môme v’nait d’avoir seize ans ! Elle a été zigouillée dans les mêmes conditions qu’Marthe. J’suis certain qu’c’est lui !

— Oui, ça m’a tout l’air d’être son œuvre.

— L’jour où j’tombe dessus, j’le casse en deux !

Lucien se présenta. Il posa son plateau et les servit.

— J’vous dois combien, Lucien ?

— Neuf euros, monsieur Paul.

— C’n’est pas donné !

— Le pétrole a encore augmenté, monsieur Paul.

Lorsque Paul régla les consommations, Lucien lui lança un nouveau « Pfut » avant de s’éloigner.

— C’mec est vraiment désagréable, Laurène !

— Laisse tomber !

Le portable de Laurène se mit à sonner. Irritée, elle fit tomber son appareil sur le carrelage. Le verre de protection de l’écran se fissura, mais le portable n’eut aucun dommage. Elle appuya sur la touche verte d’un geste vif. C’était Henri Kaul, son chef de service.

— Allô !

« Bonjour, Laurène. Tu as vu Paul, ce matin ? »

— Bonjour, Henri. Paul est avec moi !

« Avant de venir au commissariat, allez tous les deux à la morgue du Quai de la Râpée pour jeter un coup d’œil sur le cadavre d’une nouvelle victime. Il s’agit d’une jeune femme d’origine asiatique, une certaine Line Van Guyen-Pô ! »

Laurène avala précipitamment son café, et se brûla le palais. Elle voulut se lever, mais Paul la pria de se rasseoir.

— Non, mais attends ? Tu permets que j’boive mon café peinard ? On n’est pas aux pièces ! La gamine est morte, rien n’presse !

Il s’envoya une rasade de café, puis, sous le regard agacé de Laurène, vida lentement le verre de rhum et celui du Calvados dans sa tasse de café. Il trempa son croissant dedans, le porta à ses lèvres et aspira le jus bruyamment.

— Bon, on peut y aller maintenant, Paul ?

— Quoi ? Rien n’presse, lolo !

Excédée, elle se leva comme une trombe et le tira par le col de sa veste, d’une propreté douteuse.

— Allez, en route.

Il désirait reprendre un autre rhum et alluma une cigarette.

— Arrête de boire ! Lève-toi, on a du pain sur la planche !

***

La pluie tombait à seaux. Laurène releva le col de son blouson et ouvrit son parapluie blanc à petits pois verts. Les passants la charrièrent avec son pébroque insolite. Paul, les mains dans les poches, se réfugia dessous. Ils attendirent que le feu passe au rouge pour traverser l’avenue Gambetta. Laurène allait s’engager sur le passage piéton, mais Paul la tira brusquement en arrière. Bruit de pneus qui n’accrochent pas sur le macadam devenu glissant, fracas de ferraille qui s’entrechoque, cris… Devant eux, un motocycliste, qui n’avait pas eu le temps de démarrer, gisait au sol, la tête sous les roues d’un camion frigorifique. Paul exhiba sa carte de police, car déjà des curieux s’agglutinaient.

Pendant que Paul alertait les secours avec son portable, Laurène aida le chauffeur du camion, un homme d’origine portugaise, choqué, à reprendre ses esprits. Elle l’entraîna dans le commissariat et le fit asseoir dans son bureau. Le chauffeur tremblait de tous ses membres. Elle lui servit un café et le réconforta, tout en regardant par la fenêtre l’agitation qui régnait dans la rue. Paul se tenait au milieu de la chaussée pour écarter les curieux. Comme d’habitude, il en faisait de trop. Il faisait son cinéma.

Autour de la place Gambetta régnait un embouteillage monstre. Les agents de police parvenaient difficilement à rétablir la circulation. Le brouhaha, qui montait de l’avenue, se répercutait sur les vitres du bureau. Ce n’était que cris, hurlements, coups de klaxon et insultes. Machin braillait parce qu’il allait être en retard à son boulot, et truc qui rentrait de son taf, criait que le mort pouvait bien attendre.

Une heure plus tard, après avoir réglé les formalités sur les causes de l’accident et envoyé le chauffeur du camion frigorifique à l’hôpital Tenon, Paul et Laurène s’engouffrèrent dans la station de métro Gambetta. L’escalator était encore en panne, ce qui mit Paul (qui était trempé de la tête aux pieds) en colère. Laurène lui tendit un mouchoir en papier.

— Tiens, essuie-toi et arrête de râler !

Paul passait la majeure partie de sa vie à vitupérer. Rien n’allait jamais comme il voulait.

— Ils pourraient l’réparer c’te putain d’escalator ! Ça fait deux mois qu’il est en rideau… Non, mais tu sens c’t’odeur ? Ça puera toujours la pisse dans c’te saleté d’métro. Au prix du ticket, ils abusent à la R'TAP !

— Qu’est-ce que tu peux être pénible !

Ils changèrent de rame à la porte des Lilas et s’engagèrent sur la ligne 13, direction Châtelet ; à République, ils empruntèrent la direction place d’Italie et quittèrent le métro à la station « Quai de la Râpée ». Lorsqu’ils pénétrèrent dans les locaux de la morgue, Paul héla Robert, un employé qu’il connaissait. Robert véhiculait un cercueil dont le couvercle était déposé.

— Ah, salut, Paulo ! Je livre ce lascar dans un box et je suis à toi.

Paul se pencha au-dessus du cercueil pour examiner le macchabée.

— Qu’est-ce qu’est arrivé à c’type, Robert ?

— Sa copine l’a surpris avec un autre mec !

Ils se mirent à rirent, mais pas Laurène.

— Ça suffit, les gars… Un peu de tenue !

— Vous êtes ici pour la petite Line ?

— Ouais, répondit Paul, toujours en rigolant.

— On n’a pas eu le temps de la raccommoder…

À cause des produits chimiques qui empestaient les lieux, Laurène eut un haut-le-cœur. Paul râla encore.

— Ça pue autant que dans l’métro, ici !

Le regard perçant de Laurène l’incendia. Robert ouvrit le caisson et tira la civière.

— C’est quoi, çà, Robert ? demanda Paul.

— La gamine.

— Par où on commence le puzzle ?

Laurène recula.

— Je ne me sens pas très bien, dit-elle. Partons !

Robert referma le sac, réinséra la civière dans son logement et claqua la porte du caisson.

— Vous voulez que je vous dise, dit-il avec amertume. Je crois qu’il faudrait remettre la peine de mort pour ces salauds. Ma grande vient d’avoir seize ans et j’ai peur pour elle !

— On finira bien par l’avoir, répliqua Paul.

Laurène était lasse. Elle habitait le quartier, et prit comme prétexte pour rentrer chez elle, qu’elle devait faire quelques courses alimentaires. Elle avait surtout envie de mettre une certaine distance entre eux. Paul lui tapait sur les nerfs.

— Je suis crevée, Paul. Je rentre chez moi !

Avant de rejoindre son bureau, Paul, qui avait toujours une petite soif, entra dans Le Bistrot des artistes situé en face du commissariat de Gambetta. Il salua Marcel, le barman, et commanda un Calvados et un rhum. Au-dessus du bar, un écran diffusait le journal télévisé. Le journaliste, qui commentait les informations, annonça qu’une nouvelle jeune femme venait d’être découverte par un promeneur dans un bois de la région parisienne.

— Ah, bon sang ! Cette histoire ne va donc jamais s’arrêter ? grogna Marcel. Laurène et toi, vous êtes sur le coup ?

— Ouais, mais pour l’instant on n’a aucune piste.