Pour trente-cinq mille carrés Hermès - Joëlle Roubine - E-Book

Pour trente-cinq mille carrés Hermès E-Book

Joëlle Roubine

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Beschreibung

Lisez et servez-vous ! Dans les nouvelles : l'histoire d'une fausse amie réclamant par tous les diables le retour d'un cadeau, un carré Hermès ; l'histoire de Marthe qui mène une existence heureuse jusqu'au moment où elle perd pied sans raison apparente ; une peinture burlesque de la vie de bureau au travers de personnages attachants ou hideux ; l'histoire de Lucas qui prend conscience de la fugacité de la vie après la mort de sa mère. Lisez et servez-vous ! Dans les chansons : des sentiments ondoyants ; l'équilibre délicat du réel et du fantasmé ; le doux balancier syllabique. Lisez et servez-vous ! Dans le théâtre : avec deux titres évocateurs Bureau ou Guillotine ? Mère ou fille ! et un drame familial avec Le loup dans la bergerie. Lisez et servez-vous ! Dans les contes où chaque texte raconte une histoire poétique portée par des individus imaginaires, des lieux incongrus, des situations inattendues. Lisez et servez-vous ! Dans les poèmes : ces filaments de notre anatomie qui apparaissent comme des petits miracles dont on s'étonne toujours.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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« Il semble que nous n'ayons guère d'autre choix que de chercher comment nous aventurer toujours plus profondément à l'"intérieur" de nous-mêmes – apparemment la niche la plus privée, la mieux abritée dans un monde d'expérience bondé, bruyant, aux allures de bazar. »

Zygmunt Bauman, La vie liquide

À bébé Kfir

Aux victimes de la barbarie terroriste survenue en Israël le 7 octobre 2023

TABLE

NOUVELLES

Pour trente-cinq mille carrés Hermès

Marthe

La Baignoire

Une concession aux Batignolles

CHANSONS

Merci !

J'ai décidé

Qu'est-ce qu'une chanson ?

CHANSONS JUIVES

Mon Palais

Ta chanson

Beth

Mon pays extraordinaire

THÉÂTRE

Bureau ou Guillotine ?

Mère ou Fille !

Le loup dans la bergerie

CONTES POUR TOUS

Duduche

Lim le citron

Bon dimanche !

Pierrette et Gus

Monsieur Videmouche et la brigade de ponctuation

Le mouchoir magique

La fourmi et l’immeuble

APRÈS LES CLAQUES, DES POÈMES POÈME ITALIEN

Préface

Joëlle Roubine a fait un choix audacieux : celui de nous offrir une mosaïque de ses multiples dons. Cet ensemble forme comme un voile derrière lequel elle se cache. Elle seule possède la clef des fragments qu’elle délivre.

On se prend vite au jeu : création ? Autobiographie ? Compositions ? Variations ou broderies ?

Le lecteur va de surprise en surprise dans une succession de pièces qui ne peuvent que donner envie de connaître l’auteure.

Elle est peut-être un peu tout cela, mais beaucoup plus encore : son rire vient de loin, ses enchantements aussi et son inspiration, qui touche à tant de sujets, sait garder une forme propre, parfois déconcertante.

Si elle peut parfois donner envie de jouer au jeu de la ressemblance, elle s’écarte tellement vite de ses modèles supposés que l’on s’accuserait presque de pensée coupable.

Quand elle nous fait chanter, car il faut suivre l’exercice proposé, Joëlle Roubine utilise une technique venue de la nuit des temps, mais pour poser et ordonner des mots qu’elle arrache à son intimité.

La richesse de ses propositions fait penser à Shérazade pour la variété et au roi David pour leur forme spirituelle.

Dans ce monde où tout est séparé, étiqueté, compartimenté, regroupé, ordonné, on ne peut que se réjouir qu’une femme sensible, poète et spirituelle ait choisi d’affirmer sa liberté et de nous l’offrir en partage avec un seul regret : que le voyage qu’elle nous propose finisse si vite !

Philippe Schmitt-Kümmerlé

Nouvelles

Pour trente-cinq mille carrés Hermès

Je mets le pied à Paris après six mois d'absence et déjà le bruit, la foule, le métro m'épuisent. J'ai rendez-vous près de l'Opéra avec une copine qui veut récupérer un cadeau qu'elle m'a offert plusieurs années auparavant. C'est un carré Hermès, oui le célébrissime foulard en soie, un modèle dessiné par Ledoux. Je l'avais reçu pour mon anniversaire, une pièce de sa collection. « J'en ai des tas ! » se plaisait-elle à me dire pour m'impressionner. Je l'ai très peu porté car je n'ai jamais eu la patience de le nouer à la façon Hermès malgré les tutoriels ni de suivre les confuses explications de Jenny. Du coup, j'ai renoncé à le porter. je l'ai remis dans sa boîte et il est resté au fond de mon dressing jusqu'à notre engueulade.

J'ai pris la ligne 14 depuis la gare de Lyon jusqu'au métro Pyramides. Je n'ai pas l'intention de m'éterniser avec Jenny. Je suis ainsi faite. Je ne me venge pas des mauvais comportements, c'est le lien de confiance qui se délite, sans aucune chance de retour en arrière. Après c'est mort, comme disent les jeunes. De toute façon, je m'étais lassée de cette relation superficielle. Jenny ne faisait que parler d'elle, de ses activités tout aussi superficielles, des gens qu'elle avait croisés et patati et patata. Le sentiment pesant de perdre mon temps en sa compagnie prenait le pas sur le vague plaisir éprouvé.

Mon éloignement de la capitale m'avait évité de chercher des excuses pour ne plus la voir. Et lorsqu'elle me téléphonait, j'avais trouvé l'astuce de couper le son de mon appareil pour qu'elle n'entende pas les bruits de fond, ce qui me permettait de poursuivre mes activités pendant son monologue. Ainsi pouvais-je vaquer à mes occupations, échanger avec ma frangine ou un livreur quand j'étais à la maison. Je connaissais son temps de parole, il me suffisait de réactiver mon micro de temps en temps pour dire « hin hin » afin de lui donner l'illusion que j'étais tout ouïe. Et quand elle était repue, elle me disait « bon, je te laisse » en raccrochant.

Mais un jour, j'ai été démasquée ! Elle s'est énervée en s'écriant d'une voix dont les aigus me transpercèrent l'oreille :

– T'écoutes bien hein ? T'écoutes bien là ? Alors, tu vas me rendre tout de suite mon carré Hermès ! Tu n'as qu'à t'en payer un si tu peux ! Tu pourras pas ha ha !

Cette fois-là, j'avais commis l'imprudence de ne pas couper le micro du téléphone et elle m'avait entendu dire à ma soeur « c'est encore Jenny, elle me saoule j'en peux plus d'elle ! ».

Je n'ai pas fait beaucoup d'efforts pour me justifier. J'ai bafouillé des excuses sans conviction en la renvoyant à son caractère difficile. Cette fois, elle avait raccroché sans prévenir et je n'ai pas su si mon maigre plaidoyer avait été à la hauteur de son réquisitoire.

Je stationne devant l'Opéra depuis plus de cinq minutes. Je sens quelques gouttes tomber sur mon visage, la pluie. Ah oui, je suis à Paris ! Par SMS, Jenny m'annonce qu'elle aura quinze minutes de retard. Bon, je vais en profiter pour marcher un peu. La pluie n'est finalement pas tombée et il ferait presque doux pour un mois de février. Je suis contente au fond de revoir la capitale. J'emprunte les Grands Boulevards en fredonnant. Qu'est-ce qu'ils ont, tous ces gens, à faire cette tête-là ? Ah oui, je suis à Paris ! Je passe devant un bar-tabac dans la rue du Faubourg-Montmartre. Au fur et à mesure que je marche, je me sens poussée par une énergie qui m'incite à aller plus loin encore. La magie de Paris prend le pas sur ma mésaventure amicale.

« Super cagnotte de la Saint-Valentin, jouez et gagnez 14 millions d'euros ! » Le bandeau de la grande affiche rose bonbon et rouge vif au double motif de ballons et de coeurs imbriqués m'interpelle. L'association des formes et des couleurs m'enchante et m'invite à la rêverie. J'essaie de diviser mentalement quatorze millions par quatre cents pour savoir combien je pourrais m'acheter de carrés Hermès avec cette somme. Parce que c'est vexant hein de devoir rendre un cadeau ! Les passants me bousculent et filent comme des flèches. À Paris, on ne stationne pas au milieu des trottoirs, voyons ! Je me demande combien de zéros contient un million. D'abord diviser quatorze, et autant de zéros que peut contenir un million, par quatre cents. Combien de zéros ? Zut, je ne sais pas. Lister les personnes à qui je les offrirais. Avant tout, jouer ! Cette parade mentale m'affole.

– Madame, vous ne voyez pas que vous gênez ? Alors, poussez-vous !

Ni une ni deux, me voilà propulsée dans le bar-tabac pour céder l'exigu trottoir à la jeune femme et à sa poussette. Je profite du répit que me permet l'espace réservé au présentoir des tickets de jeux pour me connecter à ma calculette. Il faut six zéros pour faire un million. Le résultat affiche 35 000. Trente-cinq mille carrés Hermès, grosse gestion !

– Madame ? me demande le buraliste.

– Un ticket pour le jeu de l'affiche s'il vous plaît, le Loto là, pour la Saint-Valentin !

– En flash ?

– Comment ?

– C'est trois euros la grille

– Oui d'accord.

Je n'ai aucune idée de ce qu'est un « flash », mais le buraliste a semblé le savoir pour moi. Je repars avec le ticket rangé au fond de mon sac et mon projet Hermès dans la tête.

Il faudra le mener comme un partenariat. Mon imaginaire me porte dans les ateliers de création de la maison de luxe où me sont montrés des dizaines de dessins avec des superpositions de couleurs enivrantes. Choisissons-en trente-cinq ! Il me faut des coloris vivants. Inventez-en ! Je vois des rouges hypnotiques, des jaunes profonds, des mauves attendrissants. Au printemps, on assistera à l'éclosion des bourgeons pour saisir la couleur naissante des fleurs et la reproduire à l'identique. On visitera les champs de tulipes de Provence caressés par la lumière d'avril. On étudiera les reflets et nuances des dahlias du Parc Floral de Paris. Quant aux imprimés, je veux des ballons dirigeables, des chasseurs repentis, des trampolinistes, des jongleurs, la reine Élisabeth II sur une balançoire amoureusement poussée par le prince Philip, un chariot à pop-corns, des...

L'alerte sonore du téléphone interrompt ma fantasmagorie. C'est Jenny. Je l'avais complètement oubliée. Je fais défiler ses SMS : « T'es où ? – Tu arrives bientôt ? – Dis-moi où tu es, je gêne ! – Je ne vais pas pouvoir stationner ici plus longtemps ! – Bon, je pars, mais je VEUX récupérer mon carré Hermès ! ».

Grâce à l'impatience de ma fausse amie, j'ai plus de deux heures devant moi rien que pour flâner. Je serais bien passée chez mon éditeur pour lui faire coucou, mais on n'a pas rendez-vous. Et puisque ce satané virus a fermé boutiques et bars, je marcherai ! Mon objectif est ambitieux : atteindre l'Arc de Triomphe.

Retour vers l'Opéra, je fais une pause à la Concorde après avoir traversé les Tuileries pour admirer la statue de Strasbourg modelée aux traits de Juliette Drouet1 et faire un clin d’oeil au Ritz. J'éprouve un immense bien-être et je mesure ma chance de fouler l'asphalte sacré de la plus belle ville du monde. En remontant les Champs-Élysées, je pense au petit Marcel2 cherchant sa Gilberte du regard le coeur battant la chamade. Lorsque j'arrive au niveau du drugstore Publicis, je me souviens du petit mineur de Médiavision avec son air mutin dévalant un ruban de celluloïd sous une musique tonitruante, signe du commencement imminent du film. Magique !

Je repense au comportement de Jenny même s'il y a bien longtemps que je ne me fais plus d'illusions sur la nature humaine. Les relations entre les personnes sont éphémères et toujours moins riches ou profondes qu'elles ne paraissent l'être. Il ne faut pas trop en attendre. J'ai encore assez d'énergie et de temps pour marcher encore. Je me dirige vers le Trocadéro. Chemin faisant, il me vient l'envie d'aller à Passy. J'emprunte la rue Raynouard et je m'engage dans le large escalier débouchant sur le parc de Passy qui descend jusqu'à la Seine. Même dans ses habits d'hiver la nature est apaisante. Le lieu est presque désert, les équipements sportifs sont rendus inaccessibles en raison du contexte sanitaire. Emmitouflés dans leurs doudounes, quelques enfants se courent après en riant pendant que leurs parents ou nounous les surveillent de loin en poussant la Maclaren à double freinage du petit dernier. Sur un banc, je vide mon sac sans pudeur pour le réordonner. La douceur de la soie du foulard me caresse les doigts. Je l'étale sur mes jambes pour le regarder dans le détail. Ses couleurs et imprimés me font instantanément voyager dans des pays coupés volontairement du reste du monde. Je lui invente une histoire. J'étudie la perfection de ses bords roulottés à la main. Je le plie en triangle et, d'un geste spontané, le noue à mon cou. Je regarde le résultat avec mon miroir de poche. Pas si mal !

J'aurais tellement aimé prendre un verre dans un café. Fichu virus ! Par exemple, un chocolat chaud même s'il n'aurait jamais été à la hauteur de celui que je prends chez Janine, un salon de thé de la plus haute tenue, toujours complet au point que le maire du village a créé des places de parking pour la clientèle qui vient des quatre coins de la région, hiver comme été, irrésistiblement attirée par son chocolat froid avec sa pointe de piment d’Espelette au goût et à la texture uniques. Je m'imagine rappelant le garçon de café pour remplacer ma commande par un indien :

– Vous savez, un Orangina avec

– De la grenadine, oui madame ! m'aurait-il répondu d'un ton expéditif.

Virus démoniaque qui me prive de chocolat chaud, non, d'indien, de boutiques, d'expositions, de liberté. Je me dis qu'il me reste Paris, heureusement, satané virus quand même !

Inconsciemment, j'ai choisi de réserver une chambre dans un hôtel situé à l'extrême opposé de chez Jenny.

« Bonsoir Jenny, Je suis rentrée à l'hôtel, je te laisserai le carré Hermès à la réception. Je repars demain matin à 8 heures 30. » Et paf !

Comme je sais qu'elle ne lit pas ses SMS le soir car ça lui donne des insomnies et qu'il sera trop tôt demain matin pour la voir débarquer à l'hôtel, me voilà bien tranquille. Je parcours le livret d'accueil posé près du combiné téléphonique puis je compose le 9 :

– La réception, bonsoir !

– Bonsoir, j'ai acheté un ticket de Loto, savez-vous comment je pourrais connaître les résultats, je ne suis pas sûre de m'y retrouver sur Internet ?

– Bien sûr, madame, quel type de Loto avez-vous joué ?

– Oh la la, trop compliqué, laissez tomber, on verra ça demain. Merci quand même !

– Comme vous voudrez, madame, bonne soirée !

Il est un peu tôt pour commander mon room-service. Pas drôle de devoir rentrer à dix-huit heures, tout juste l'heure à laquelle je me sens d'humeur vagabonde. J'ai envie de bouger. J'aimerais tellement monter dans un autobus, par exemple le 28 pour voir à quoi ressemble le nouveau quartier Martin Luther King ; me faire une nocturne dans un musée en reprenant le même autobus dans le sens inverse jusqu'à l'arrêt « Palais de la Découverte ». Je passe en revue et à voix haute tout ce que je ferais à Paris sans couvre-feu. Je finis par en ressentir un noeud dans l'estomac. Ciel, je vais pleurer. Je déroge à mon engagement pris de longue date de ne plus jamais allumer un téléviseur. Le programme annonce un épisode de Colombo. Mon dîner se composera d'une soupe de petits pois, de tagliatelles crème et champignons avec un verre de Saumur. Je garderai mon dessert pour plus tard. Le moral remonte. Je passerai ma soirée avec le légendaire lieutenant de police de Los Angeles et ma tarte au citron meringuée.

Le hall 2 de la gare de Lyon est peu fréquenté. Les voyages d'agrément sont remis à des jours meilleurs. Les personnes en déplacement ou en transit guettent l'annonce de leur train sur le grand tableau lumineux. L'atmosphère est à l'inquiétude et à l'urgence de s'acquitter de ses missions pour retrouver au plus vite la sécurité de l'espace privé. Le wagon est un peu vide, j'en profite pour prendre le siège 52, mon préféré, situé en fond de voiture et près du porte-bagages, que le hasard de la réservation m'attribue rarement, en espérant qu'il ne sera pas réclamé par un passager de dernière minute. En général, ça marche une fois sur deux. Je me risque à m'installer pour la route, ordinateur, livres, carnet de notes, nourriture et boisson. Mon ticket de Loto tombe de l’Éthique3. Sympa le voisin de me le faire remarquer ! En le remerciant, je lui explique que je n'ai pas encore consulté les résultats, que je ne sais pas où les trouver sur Internet parce que je me perds parmi tous ces jeux qui se ressemblent. Je n'ai pas terminé ma phrase qu'il m'annonce les numéros gagnants : 21 7 36 24 49 et le 10 :

– Par contre, il n'y a pas de gagnant du gros lot !

Sans le montrer, je suis un peu déçue même si je me sens ridicule d'y avoir cru. Après tout, qu'aurais-je fait avec trente-cinq mille carrés Hermès !

– Pensez tout de même à faire contrôler votre ticket des fois que vous auriez gagné un lot. Quatre gagnants à 446 000 euros sont annoncés, qui sait vous n'êtes pas un de ceux-là !

J'admire sa discrétion sachant que la vérification du ticket était à notre portée. Sans doute, n'y croyait-il pas non plus. Je calcule le nombre de carrés Hermès que je pourrais obtenir avec cette somme. Mille cent quinze, l'affaire serait plus gérable, mais si irréelle voire stupide que je ne prends pas la peine de noter les numéros gagnants. J'ai bien mieux à faire, à commencer par déguster mon paquet de Curly en même temps que le train démarre, tout à mon aise qu'aucun passager ne soit venu réclamer sa place.

Ma frangine m'attend sur le quai. Elle est débrouillarde comme c'est pas permis la Cécile. Je ne la questionne pas sur le comment elle a réussi à braver les agents de la gare pour venir jusqu'au quai au milieu de tous les interdits instaurés depuis la Covid-19. Elle me fait des grands signes tout en courant vers moi en s'excusant d'avoir failli arriver en retard. Cécile a toujours été la plus gentille des créatures. Si les anges existaient, c'est sûr, elle en serait un. Je l'enlace en m'excusant d'avoir oublié de lui rapporter un cadeau de Paris.

– Penses-tu, ce virus a fermé toutes les boutiques, t'aurais pas trouvé grand-chose, allez, t'inquiète !

Elle m'a préparé une tarte aux pommes. On passe la soirée à papoter et elle m'annonce un peu gênée que Fabrice l'a demandée en mariage. Bien sûr, j'ai un pincement au coeur parce qu'elle est en train de me dire qu'elle va quitter notre colocation et tout ce qui va avec. Mais je ne veux rien gâcher à son bonheur et je la félicite en l'embrassant de toute mon affection. Pour faire diversion à mon émotion, je lui tends mon ticket :

– Tiens, tu pourras faire vérifier ce ticket de Loto quand tu iras chercher tes clopes s'il te plaît ? S'il est gagnant, ça paiera au moins le mariage !

– Tu joues au Loto, maintenant ?

– Oh non, juste une fois pour faire un pari avec moi-même. Sûr qu'on n'aura pas le gros lot, mais un voyageur m'a dit qu'il y avait quatre gagnants à 446 000 euros. Alors, on ne sait jamais !

– Comme tu dis, avec zéro probabilité, on ne sait jamais ! Bon, je regarderai sur Internet tout à l'heure.

Je me propose pour débarrasser la table et m'occuper de la vaisselle. On s'est équipées récemment d'un lave-vaisselle à neuf couverts. Qu'est-ce qu'on a pu rigoler en le choisissant !