Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Par une nuit noire, Gabrielle rentre chez elle quand un bruit dans une ruelle isolée l’interpelle. En se rapprochant, elle découvre un homme qui vient d’être froidement assassiné. C’est la deuxième fois, en peu de temps, qu’elle vit ce genre de scène. Le tueur utilise le même mode opératoire, et la police, alertée, n’a aucune piste. La jeune dame décide de mener sa propre enquête et toutes les preuves accablent une personne au-delà de tout soupçon… Néanmoins, la grande question demeure : pourquoi est-elle témoin de tous ces meurtres ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Margrit Franic aime les histoires parsemées de fiction et de réalité. C’est dans cet ordre d’idées que sa passion pour les enquêtes l’a poussée à prendre sa plume et à signer
Pourquoi moi ?
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 194
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Margrit Franic
Pourquoi moi ?
Roman
© Lys Bleu Éditions – Margrit Franic
ISBN : 979-10-377-7540-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce matin-là, elle avait pris une grande décision, elle allait enfin parler, dire ce qu’elle savait, ce qu’elle avait vu. Elle allait tout raconter, persuadée qu’elle se sentirait enfin libérée, enfin soulagée de ce grand poids inutile qui pesait sur ses épaules depuis trop longtemps.
Peut-être même, protégée.
Elle, c’est Gabrielle, une jeune femme plutôt jolie, élancée et fine, aux longs cheveux blond vénitien légèrement bouclés. Parfois, ils ont de jolis reflets roux lorsqu’ils bougent sur ses épaules, bousculés par le vent soufflant en rafales. Le soleil peine à réchauffer l’atmosphère. Elle marche vite. Les feuilles colorées de l’automne se laissent glisser des arbres et pirouettent dans l’air, agitées de mouvements gracieux. Habituellement, Gabrielle adore les couleurs de l’automne mais là elle se presse, indifférente. Elle s’arrête, son regard cherche un panneau qui indique le nom d’une rue. Elle avait pourtant regardé le plan avant de partir et normalement elle sait qu’elle est presque arrivée.
Ses pensées ressemblent un peu aux feuilles d’automnes qui viennent gifler sa joue et repartent, poussées par une bourrasque plus forte que les autres. Ses pensées aussi tourbillonnent et l’empêchent de se concentrer sur la direction à suivre. Finalement, elle s’arrête et réfléchit puis, constatant qu’elle n’est pas si perdue qu’elle croyait, elle se donne du courage.
— Allez, ma fille, tu y vas fièrement et tu leur dis tout, ta vie en dépend.
Elle traverse la rue d’un pas décidé, elle est vêtue d’un manteau beige tirant sur l’orange et d’une robe verte, couleur d’eau, autour du cou un léger foulard aux tons d’automne donne l’impression de danser avec ses cheveux et le vent.
Elle retient avec sa main, dans le bras replié, serrée contre sa poitrine, une sorte de fourre plastifiée verte, retenue par un élastique. Brusquement, elle ralentit, hésite, ralentit encore puis recule en regardant autour d’elle. Elle semble à nouveau perdue, mais dans la réalité, elle est surtout inquiète, ce qui l’empêche de se concentrer. C’est vrai aussi qu’elle n’est pas dans un quartier qu’elle fréquente régulièrement et sa décision l’effraye un peu.
Elle tente de se convaincre de l’importance de sa démarche.
— Tu dois absolument le faire là, maintenant, tout de suite !
Un bistrot de quartier retient son regard, il a l’air de rien, disons qu’il est même franchement moche, pourtant elle s’arrête devant ses rideaux pas vraiment blancs et surtout pas vraiment modernes. Des plantes mal entretenues s’écrasent contre la vitrine à la recherche d’un rayon de soleil.
— Un petit café pour se donner du courage, hum ?
Elle s’engouffre dans le bistrot comme si c’était le seul lieu qui pouvait la sauver, la libérer de sa décision, la tranquilliser.
En s’installant à l’une de ces vieilles tables de bois envahies de graffitis depuis des années, elle commande un café au garçon qui s’approche. Le jeune homme a l’air étranger, émigré sans doute, qui espère gagner mieux sa vie dans ce bistrot de quartier plutôt que dans son pays. Il a un joli sourire, des yeux gris aux longs cils noirs.
Il semble s’ennuyer seul derrière son bar dans ce local démodé où un unique client, un vieux monsieur lit son journal dans le coin le plus éloigné du comptoir.
Le serveur dispose avec soin sur son plateau, la soucoupe, deux sachets de sucre et la crème comme si c’était très important de choyer cette jolie jeune dame qu’il n’avait encore jamais vue. La machine fait un bruit d’eau qui coule puis éjecte dans un souffle sa vapeur comme un soupir déprimé.
Quand le café est prêt, il l’apporte immédiatement et le dépose devant Gabrielle en prenant soin de le mettre dans le bon sens, c’est-à-dire avec l’anse et la cuillère sur la droite de la tasse. Elle remarque, amusée, qu’il a également déposé deux chocolats près du sucre.
Elle le remercie d’un sourire aimable, goûte le breuvage à la mousse trop sombre, grimace, le sucre avec les deux sachets et le boit lentement. Son esprit, sa conscience la tourmentent encore.
— Cesse de t’inquiéter. Quand tu leur auras tout expliqué, promis, tu te sentiras libérée.
Gabrielle tapote la fourre posée sur la table près d’elle comme pour avoir son soutien.
— Tu as toutes les preuves de ce que tu avances ! Ils vont t’écouter, peut-être même qu’ils t’en seront reconnaissants. Tes preuves sont irréfutables ! Irréfutables, ma vieille !
Sur la table d’à côté, un journal semble attendre son attention, elle le prend, lit rapidement les gros titres et tombe sur l’horoscope. Elle repère rapidement son signe et le lit :
— Journée agitée, débarrassez-vous de vos démons, un homme vous en remerciera.
Elle a un sourire en coin en lisant ce message qui semble s’adresser directement à elle seule.
— Impressionnant ! Me voilà avertie !
Quand elle a terminé ses réflexions, elle aspire les dernières gouttes de son breuvage puis l’air, comme pour s’encourager, encore et encore. Elle paye son café, laisse un pourboire au garçon qui lui sourit aimablement et sort du restaurant.
— Merci, mademoiselle. Bonne journée, à bientôt.
Elle traverse la rue en marmonnant :
— Bonne journée. Il en a de bonnes, lui ! Il ne sait pas ce qui m’attend.
Elle pose sa main sur sa poitrine pour calmer les battements de son cœur.
Dans la rue, les gens marchent indifférents. Tous ont l’air désespérément pressés et dégagent quelque chose d’hostile. Les voitures klaxonnent, un chauffeur de taxi mécontent gesticule dans son véhicule comme si tout le monde devait disparaître, car la ville lui appartient. Un homme plutôt corpulent la bouscule sans s’excuser. Au contraire, il a l’air furieux de la trouver plantée là sur sa route, son regard courroucé la dévisage désagréablement. Deux automobilistes s’engueulent.
— Ce n’est pas un bon jour pour… Je rentre chez moi.
Elle s’apprête à faire demi-tour, secoue négativement la tête et repart dans la bonne direction.
— L’horoscope est de mon côté donc, allons-y gaiement !
Sa conscience lui rappelle qu’elle a exprès pris congé pour se débarrasser de cette corvée.
Elle s’arrête devant une porte de verre renforcé avec un fin quadrillage de fils de fer. Une porte grise décourageante de haut en bas avec son numéro noir et les horaires officiels d’ouverture affichés.
Cette porte est moche, surtout en bas où des générations de chiens ont marqué leur territoire, ça se voit et ça se sent, d’ailleurs, ce manège canin effrite même le béton. Dégoûtée, elle retrousse son nez puis sourit, amusée. Peut-être qu’au contraire, ils ont laissé là des traces de leur désapprobation pour ce lieu. Elle laisse échapper un long soupir et finalement se décide à pousser la lourde porte.
Elle entre lentement. Hésitante.
À l’intérieur, au fond, un grand escalier gris, un ascenseur tout aussi gris et, sur la droite, au milieu de ce local, elle voit un guichet déprimant avec une vitre pas vraiment transparente.
Là, est assise sur une chaise à roulette une réceptionniste d’un certain âge et assez corpulente, enfoncée dans un gros pull gris à col roulé. Les cheveux gras, poivre et sel, le rouge à lèvres agressif, elle a l’air très occupée à lire l’écran de son ordinateur. Elle ne détourne même pas son regard en entendant la porte se refermer derrière Gabrielle. Elle aspire une longue bouffée de nicotine de sa cigarette et laisse la fumée envahir son espace confiné.
Puis enfin, elle ouvre son guichet, une odeur de cigarette bon marché s’échappe, elle demande d’une voix rauque et antipathique.
— Que puis-je pour vous ?
Gabrielle hésite, elle serre contre sa poitrine oppressée son dossier cartonné vert entouré d’un élastique comme pour se protéger, se rassurer ou se stimuler tant elle a envie de fuir. Elle prend son courage à deux mains en tapotant dessus. Elle aurait aimé un bonjour aimable, mais comme il ne semble pas venir, elle se lance.
— Bonjour, voilà, je désire parler à la personne la plus importante dans votre hiérarchie, la plus… comment dire, la plus compétente, la plus… tolérante si on peut utiliser ces mots ici.
Elle se rend compte qu’elle n’aurait pas dû dire la fin de sa phrase :
— Oh ! Excusez-moi, je ne voulais pas être vexante, j’aurais besoin de parler de quelque chose d’extrêmement important. Je dois pouvoir faire confiance à cette personne, entièrement confiance. C’est vital !
Elle gesticule en s’excusant à nouveau, nerveuse. Le regard de la femme est vide d’expression, elle attend la suite.
— Quelle bécasse, je suis, ça commence bien ! Heu, je ne voudrais pas un sous-fifre quelconque, mais un chef.
Elle appuie sur le mot « chef », espérant que ces quatre lettres donneront du poids à sa demande. Elle n’en est pas sûre en voyant les yeux de la réceptionniste se plisser méchamment.
— Excusez-moi encore, mais comme je ne sais pas qui demander, je compte sur vous pour le choix, c’est extrêmement important.
Le visage de la femme derrière le guichet a d’abord l’air fermé puis perplexe et enfin s’adoucit vaguement. Elle lève les yeux au ciel.
— Ça va, j’ai compris. C’est pour lui dire quoi au juste, au chef ?
— C’est confidentiel. D’ailleurs, il vaut mieux que cela reste confidentiel entre cette personne et moi, pour l’instant, si j’ai bien jugé son importance.
La réceptionniste grimace, pas vraiment convaincue.
— J’avais aussi compris. Je suppose que vous n’avez pas rendez-vous, évidemment ?
Sa façon de dire « évidemment » vexe Gabrielle qui tente de ne pas trop le montrer. Elle nuance le mot avec un certain charme doucereux et hypocrite :
— Non, évidemment non, mais disons que c’est si terriblement important et si terriblement ennuyeux que ça ne peut plus attendre. Alors, soyez gentille, choisissez soigneusement la bonne personne.
Gabrielle sourit, elle a un joli sourire plutôt calme compte tenu de ses palpitations intérieures et sa demande qui paraît si saugrenue, urgente et embarrassante. Elle s’enlise dans ses explications :
— Je ne tiens pas à passer pour une débile, mais j’aimerais vraiment que la personne soit… intègre, de toute confiance, je… c’est pour vous faire comprendre le côté très très sérieux de ma démarche.
La femme semble très contrariée.
— Oui, oui, bon, ça va, j’ai compris. Asseyez-vous !
Elle se retourne brusquement pour atteindre son téléphone calé dans le coin de son bureau, presque contre le mur.
— Vivement la retraite ! Encore cinq ans à supporter tous ces tarés qui croient que leurs histoires sont importantes. Ah misère, que j’en ai marre !
Elle tire une nouvelle fois sur sa cigarette puis écrase le reste d’un geste assez brusque dans son cendrier déjà presque plein de mégots répugnants. Elle prend sa liste de téléphone, observe Gabrielle par-dessus ses lunettes.
Elle ne peut s’empêcher de penser que pourtantcelle-ci al’air àpeu près normale. Elle serait même jolie si elle n’avait pas toutes ces crottes de mouches sur son nez et ses joues, elle déteste les taches de rousseur.
— Je vais…
Elle regarde encore sa liste puis dissimule un drôle de sourire coquin. Elle saisit le combiné du téléphone et compose un numéro. Quand son interlocuteur répond, elle prend une voix mielleuse et hypocrite.
— Oh ! Bonjour, monsieur ! Votre réunion a donc vraiment été annulée… j’ai là une jeune personne qui aimerait…
La femme ferme la fenêtre du guichet avant d’expliquer la raison de son appel.
Gabrielle regarde autour d’elle. Elle lit les affichettes épinglées sur un tableau tout aussi gris que le reste. Ces feuilles de papier parlent de sécurités, d’enfants qui jouent sur la rue sans notion du danger. Une main posée sur une bouteille dramatise l’alcoolisme. Certaines affiches motivent les victimes de viol, de violences conjugales et demandent à dénoncer ces agressions avec des numéros d’appel prétendant être confidentiels. Près de la photo d’un homme recherché, jugé très dangereux, le portrait d’une fillette disparue comme si c’était lui qui l’avait escamotée quelque part.
Toutes les souffrances humaines sont là, sur ce mur gris, tristes et épinglées sur quelques bouts de papier. Gabrielle soupire, son intervention lui semble soudain moins lourde, mais particulièrement justifiée. Elle observe la réceptionniste contrariée qui parle les yeux levés au ciel en raccrochant. Son regard se tourne vers la fenêtre où elle voit un vieil homme courir après son chapeau qui s’est enfui avec un coup de vent intempestif.
La petite fenêtre du guichet grince et s’ouvre, des volutes de fumée envahissent l’entrée et se dissipent rapidement, c’est son odeur de paille mouillée qui pousse Gabrielle à se retourner en reniflant. La femme se racle la gorge avant de parler :
— Hum ! Madame, vous avez de la chance… Vous pouvez monter au 5e étage, monsieur André Vernilz vous attend, c’est le bureau du fond, celui avec une porte bleue vitrée de côté.
— Merci. Vous êtes bien aimable. Est-il vraiment de toute confiance ?
Le regard courroucé de la réceptionniste lui fait regretter sa question.
— Oui, bien sûr. Évidemment !
— Merci infiniment pour votre aide.
Gabrielle sourit très aimablement pour se faire pardonner, elle s’approche de l’ascenseur et l’appelle en appuyant sur un bouton de fer naturellement aussi gris que le reste.
La réceptionniste, la main devant la bouche, ne peut s’empêcher de rigoler discrètement.
— Bien fait pour lui ! Ça va l’occuper un peu, ce brave homme !
Une fois à l’intérieur, Gabrielle presse sur le bouton « cinq » et se regarde dans le miroir du fond. Elle vérifie sa coiffure, passe son doigt sur ses lèvres légèrement maquillées.
Rien d’agressif, rien d’excentrique, rien de bizarre qui pourrait mettre sa parole en doute. Elle donne, plutôt renvoie l’image d’une personne sérieuse, équilibrée et de confiance.
Lorsque l’ascenseur s’immobilise, elle sort, dans le couloir. Un bureau semblable à une réception, mais plus agréable que la précédente et sans vitre, se trouve légèrement sur sa droite. Des plantes et des tableaux prouvent que la personne habituellement installée à ce bureau à un certain goût pour le confort et l’harmonie.
Cependant, il n’y a personne d’autre que la silhouette d’une femme qui fait des photocopies en chantonnant, indifférente, derrière un panneau vitré, mais opaque. Gabrielle hésite puis part dans la direction indiquée. Au sol, un tapis gris comme tout le reste et contre les murs, des tableaux de service sur lesquels sont punaisées des notes de service, les mêmes affichettes qu’à l’entrée et des photos qu’elle regarde à peine. Elle ralentit, son cœur s’emballe dans sa poitrine, elle tapote en rythme sur sa fourre verte qu’elle tient à cette hauteur, comme pour l’apaiser, le protéger. Elle regarde derrière elle, elle ferait bien demi-tour, mais elle sait que sa démarche est importante.
— Allez, courage ma fille, n’oublie aucun détail, sois claire, précise et convaincante.
En face d’elle, la porte bleu pâle indiquée, de chaque côté une longue vitre étroite éclaire vaguement le couloir. Au moment où elle s’apprête à tendre la main pour frapper, la porte s’ouvre toute seule.
Un homme, la quarantaine corpulente, bien sûr de sa personne, lui sourit aimablement. C’est le genre d’homme que toutes femmes aimeraient avoir pour se blottir dans ses bras en cas de coups durs. Elle en a un instant le souffle coupé, il sourit aimablement.
— Bonjour, mademoiselle ! Commissaire André Vernilz de la Brigade d’intervention spéciale, à votre service, vous désirez me parler ?
Il lui tend une main cordiale et chaude, elle se sent intimidée, mais elle l’imite avec le plus d’assurance possible.
— Bonjour, je suis Gabrielle Madrioni, je…
La lampe du couloir donne à la jeune femme l’air d’un ange, autour d’elle, ses cheveux semblent briller de douces lumières orangées. L’homme a un moment de flottement, il cligne des yeux comme s’il était ébloui puis il lui fait signe d’entrer et d’enlever son manteau, ce qu’elle fait. Il le prend et le suspend soigneusement sur un cintre qu’il accroche sur un crochet derrière la porte avant de lui montrer la chaise devant le bureau et l’inviter à s’asseoir. Elle obéit en se tenant droite, un peu mal à l’aise.
— Merci, monsieur.
Il s’assied en face de la jeune femme et l’observe un instant. Il aime bien ce genre de femme aux traits fins et réguliers, il remarque qu’elle a de beaux yeux clairs. Il sourit aimable puis regarde sa montre, il est dix heures vingt et il ne peut s’empêcher de penser, que wouah, ils ont bien fait d’annuler la réunion.
De toute façon, elle n’était pas très utile ni importante au bon fonctionnement de son service.
Son regard se pose sur une pile de dossiers, il a une vague grimace contrariée. Ils peuvent attendre.
— Quelle est la raison si importante de votre visite, mademoiselle Madrioni ? Que me vaut cet honneur ?
Elle regarde autour d’elle, des meubles de qualité. Visiblement, ils proviennent d’une maison spécialisée dans l’agencement de bureaux. Une bibliothèque, des classeurs bien étiquetés et rangés, quelques bibelots exotiques donnent un peu d’intimité au lieu. Au mur, de beaux tableaux. Comme elle tarde à répondre, il demande pour détendre l’atmosphère :
— Vous aimez la peinture, mademoiselle ?
— Oui, beaucoup, surtout celle-là. Elle est pleine de poésie chatoyante, belle harmonie de couleurs, excellent équilibre dans les tons et belle lumière. Excusez-moi, je ne suis pas venue pour critiquer vos tableaux. Par contre, je n’ai pas pu m’empêcher de l’admirer, celui qui l’a peint est un vrai artiste.
Il apprécie le jugement à sa juste valeur :
— Je lui dirai, je le connais personnellement. Si vous m’expliquiez le but de votre visite.
Ce n’est pas qu’il s’impatiente, au contraire, mais il est curieux de connaître la raison de ce moment imprévu, de ce rayon de soleil bienvenu dans sa morosité quotidienne.
— Je vais vous le dire, mais j’aimerais bien, si c’est possible bien entendu, que notre conversation soit enregistrée, car je n’ai pas l’intention de la répéter plusieurs fois.
— Heu, oui… bien sûr !
Le commissaire pris au dépourvu regarde autour de lui, il a bien un vieil enregistreur quelque part, mais où, il ne se souvient plus de ce qu’il en a fait. Pour ne pas avoir l’air ridicule, il prend son téléphone.
— Suzanne, pouvez-vous m’apporter un enregistreur… heu… oui celui avec une cassette, merci.
Il regarde Gabrielle, elle lève deux doigts.
— Non, amenez-en deux, c’est plus sûr.
Il raccroche, paraît inquiet, elle sourit légèrement, coquine.
— On ne sait jamais. Vous aurez peut-être des questions imprévues ?
— Juste, vaut mieux prévenir que guérir.
Suzanne frappe et entre avec un appareil démodé et deux boîtes. Il les prend.
C’est une vraie secrétaire avec son petit chignon, son chemisier impeccable, seul son jean savamment déchiré aux genoux détonne un peu. Bizarre pour une femme qui semble approcher la quarantaine.
— Merci, Suzanne, qu’on ne me dérange pas, prenez les messages, s’il vous plaît.
Il fait signe avec sa main, Suzanne s’en va en hochant la tête, elle a bien compris le geste lui demandant de noter. Il observe l’appareil comme s’il ne connaissait pas son fonctionnement. Visiblement, il ne l’utilise pas souvent. Finalement, il soulève le couvercle et glisse une cassette dans la fente et pose l’autre soigneusement à côté.
— Voilà, vous êtes satisfaite, il est vaguement moqueur.
Elle montre du doigt l’enregistreur et dit sur le même ton :
— Quand vous aurez appuyé sur le bouton REC, ce sera vraiment parfait.
Elle a un si joli sourire coquin, qu’il obéit et s’installe confortablement dans son fauteuil de cuir en croisant ses mains sur son ventre légèrement rebondit comme quelqu’un qui s’apprête à écouter un concert ou un discours.
— Allons-y. Veuillez décliner votre identité et dites-moi ce que vous avez de si important qui doit absolument être enregistré et confié à l’un des plus hauts fonctionnaires de police de notre belle cité.
Gabrielle toujours sur le même ton légèrement sarcastique confirme :
— Vous ne pouvez pas imaginer à quel point vous avez raison de relever que j’ai demandé à parler à l’un des plus compétents et intègre fonctionnaire de police de la ville.
Ils se regardent chacun à sa façon, jaugent et se moquent de l’autre. C’est une drôle de manière de faire connaissance. En même temps, il n’y a pas d’animosité, juste une sorte de curiosité amusée. Elle a un temps d’arrêt puis elle se lance.
— Voilà, j’ai… j’ai assisté à un meurtre !
Le policier fronce les sourcils, il s’attendait à pire.
— Ah oui ! Vraiment ! Surprenant !
Il y a souvent des homicides dans la ville malgré les efforts de la police alors, il pense que ce n’est rien de nouveau. Mais bon, il va la laisser finir son explication, qui sait !
— Comme je vous l’ai dit, je m’appelle Gabrielle Madrioni, j’habite actuellement à la rue Aristide-Desbois et j’ai assisté à un vrai meurtre avec un vrai tueur et une vraie victime bel et bien morte.
L’homme sourit vaguement sarcastique et lui parle lentement comme à une enfant, en croisant ses mains sur son bureau.
— Habituellement mademoiselle Madrioni lorsqu’on assiste à un simple meurtre avec une vraie victime, on appelle la police et elle vient rapidement sur place faire son travail d’enquête. On ne demande pas à voir un commissaire si vous voyez ce que je veux dire ?
Gabrielle serre les dents. Vexée, elle tente de se ressaisir, elle doit rester calme si elle veut aller au bout de son récit.
— Je le sais pertinemment, monsieur le commissaire, mais si je suis là, c’est parce que ce n’est pas un simple meurtre bête et méchant.
— Aucun meurtre n’est bête et méchant, mademoiselle.
Elle a l’impression d’avoir dit une bêtise, elle se ressaisit et articule soigneusement, afin que chaque mot soit bien saisi.
— C’est vrai, mais… pour votre information, je ne suis pas obligée de vous raconter mon histoire si cela vous ennuie. Par contre, je pense très sérieusement, sans aucune exagération, que si je ne le fais pas, vous n’allez pas tarder à avoir un énorme problème sur les bras.
Elle respire un grand coup en ouvrant les bras comme exagérer l’énormité du problème.
— C’est la raison pour laquelle, j’ai demandé à vous voir, plutôt que n’importe lequel de vos sous… fifres pour faire une simple… comment vous appeler cela déjà ? Une déposition. Heu… Je pense même que vous m’en serez, disons au pire, extrêmement reconnaissant…