Prières de sang - Olivier Casaliva - E-Book

Prières de sang E-Book

Olivier Casaliva

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Beschreibung

Quand les habitants d'un village paisible sont en proie à leurs propres démons…

Saint-Martin est un petit village du Sud de la France calme et agréable. Jusqu’au jour où le mal commence à envahir de manière inexplicable l’âme de certains villageois.
Louis, le curé de la Paroisse, et François, le médecin du village, vont unir leurs forces pour comprendre ce qui est en train de se passer et organiser la résistance. Mais qui est vraiment l’ennemi ? D’où tire-t-il sa force et comment résister aux tentations qu’il sait faire naître, en stratège aguerri, dans le coeur même des plus endurcis ?

Plongez dans une intrigue haletante au cœur de la lutte entre le bien et le mal !

EXTRAIT

Une jeune fille qui devait avoir douze ou treize ans venait de prendre place derrière l’isoloir, interrompant les réflexions du curé. Louis reconnut Julie, la fille du maire. Elle venait se confesser pour la première fois. Curieusement, plutôt que de chuchoter, comme le faisaient tous les autres, elle avait parlé à voix haute dans le confessionnal.
‒ Je vous écoute ma fille ! Mais parlez plus bas je vous prie, ce que vous avez à confesser ne regarde que Dieu.
Elle continua sans baisser le ton.
‒ Je… je n’arrive pas à croire que c’est mal d’embrasser un garçon !
Interloqué, Louis laissa s’écouler quelques secondes, le temps de retrouver ses esprits.
‒ Que… Que voulez-vous dire ?
‒ Il y a quelques jours, j’ai embrassé un garçon pour la première fois. Quand j’ai senti ses lèvres sur les miennes, ça m’a fait des picotements partout. C’était si bon ! Depuis, on s’embrasse tout le temps et cela n’a rien à voir avec les horreurs que vous décrivez dans vos sermons. Quand il m’embrasse, je me sens si bien, il y a comme une douce chaleur dans mon ventre…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionné depuis toujours par l'écriture Olivier Casaliva noircissait déjà ses cahiers d'écolier de récits fantastiques. Un jour il décide d'écrire son premier roman. Il s'isole pour aller au bout de son projet et écrit sans discontinuer pendant un an. Quand le roman est terminé, c'est le choc ! Bien loin d'écrire le livre plein de douceur et lumière qu'il projetait, il découvre une oeuvre noire et diabolique. Sans qu'il s'en rende compte, son roman lui a ouvert les portes de son âme et il y a découvert la nuit...

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Olivier Casaliva

PRIÈRES DE SANG

Prologue

Quelques années plus tôt

Louis était assis sur une chaise dans un coin de la chambre, sans bouger. Il regardait son père, allongé dans le lit en face de lui, son père qui était en train de mourir.

Léon avait été terrassé quelques semaines plus tôt au milieu d’un champ de blé pendant une belle journée ensoleillée. Une de ces journées radieuse pleine de parfums, de chaleur et de chants d’oiseaux. Une journée qui vous donne envie de remercier le ciel d’exister, de respirer, d’être en vie. Léon s’était écroulé dans un gémissement, comme un chêne qui s’abat brusquement, tandis que Louis jouait à quelques mètres de lui avec son chien Rex. Bien qu’hospitalisé d’urgence, la santé de Léon s’était dégradée très vite. Louis du haut de ses dix ans ne comprenait pas de manière très claire de quoi souffrait son père. Mais il avait acquis la certitude que c’était grave. Il voyait l’inquiétude gagner chaque jour davantage sa mère. Denise n’en mangeait plus. Des cernes d’épuisement et d’angoisse venaient marquer de plus en plus douloureusement son beau visage.

Assise près du lit, elle était en train de pleurer en silence avec un air désemparé. À côté d’elle, Léon respirait difficilement, terriblement amaigri. Une grimace de douleur barrait son visage livide. Soudain il fut pris d’une terrible quinte de toux qui le secoua tel un pantin désarticulé. Denise le prit dans ses bras et le serra très fort contre elle, comme si son étreinte désespérée avait pu repousser le mal qui semblait ronger son mari. Puis elle sortit son mouchoir et essuya délicatement un filet de sang qui venait d’apparaître à la commissure des lèvres de Léon. Soudain elle murmura, entre deux sanglots.

‒ Je t’en prie, laisse-moi appeler un prêtre !

Malgré son épuisement, Léon secoua doucement la tête en signe de refus.

À ce moment, Louis se leva de sa chaise et s’approcha lentement. Il ne pleurait pas. Son visage était au contraire étrangement calme. Il prit la main de son père et lui murmura.

‒ Papa, ne t’inquiète pas, Dieu va t’ouvrir toutes grandes les portes de son paradis !

Léon eut une expression de surprise muette.

‒ Parce que Dieu sait quel homme bon tu es. Dieu sait à quel point tu as dans ton cœur tout l’amour du monde. Il le sait parce qu’il voit tout mais aussi parce que je le lui dis tous les jours dans mes prières…

La grimace de douleur disparut un instant du visage cadavérique de Léon, soudain remplacée par une expression indéchiffrable. Il serra très fort la main de son fils en hochant doucement la tête. Puis il tourna son visage vers Denise. Ils se regardèrent longuement, leurs deux visages se touchaient presque. Puis Léon ferma les yeux et poussa son dernier soupir.

À ce moment précis, Louis eut l’étrange impression de voir l’âme de Léon s’élever doucement vers le ciel, légère et apaisée. Il eut un sourire radieux pendant quelques secondes…

Puis le petit garçon de dix ans qui venait de perdre son père éclata en sanglots !

Chapitre 1

Aujourd’hui

Le réveil se mit à bourdonner. Louis ouvrit les yeux et son visage prit immédiatement une expression joyeuse. Il se leva, à la fois avec entrain et agilité. Il se réveillait tous les jours très tôt. Il aimait la tranquillité de l’aube, le silence et la solitude des premières heures du jour.

En pyjama, il se mit à genoux au pied de son lit. Il fit le signe de croix, joignit les mains et leva les yeux vers le crucifix fixé sur le mur au-dessus de son lit.

*

Deux heures plus tard, Louis sortit de sa chambre. Malgré ses genoux ankylosés, il avait l’impression qu’il ne s’était pas écoulé plus d’un battement de cœur depuis son réveil. Le temps passait toujours de manière fulgurante quand il priait.

Il entra dans la petite cuisine qui servait aussi de salle à manger. À part sa chambre, c’était la seule autre pièce de la maison. Il y fut accueilli par une bonne odeur de café. Une femme était en train de dresser la table pour le petit-déjeuner, avec des gestes précis et énergiques. Elle devait approcher la soixantaine mais sa physionomie dégageait une impression de force et de vitalité étonnante. Ses longs cheveux gris étaient ramenés en chignon sur sa tête. Elle leva les yeux et lança gaiement.

‒ Bonjour Monsieur le curé, bien dormi ?

‒ Comme un ange ma bonne Sandrine, comme un ange !

Louis regarda la table en souriant. Deux tartines beurrées étaient posées à côté de son bol encore vide.

‒ Mon Dieu mais quel festin ! Il ne fallait pas vous donner toute cette peine !

Louis, toujours debout, croqua avec ostentation une des deux tartines, en adressant un clin d’œil complice à Sandrine.

‒ Il faut bien que je m’occupe de vous Monsieur le curé ! répondit Sandrine avec tendresse. Si je n’étais pas là, je me demande bien ce que vous mangeriez. Une poignée de raisins secs de temps en temps peut être, et encore, pas tous les jours.

‒ Et je ne m’en porterais pas plus mal, lui répondit-il en se tapotant le ventre. Regardez ce que vous avez fait de moi. Je suis gras comme un cochon de lait !

Sandrine leva désespérément les yeux au ciel. Le curé était tout au contraire d’une maigreur à faire peur. Malgré les trésors de patience qu’elle déployait pour lui faire la cuisine, il grignotait toujours du bout des dents, prenant à peine le temps de s’asseoir. Elle saisit la cafetière et s’approcha de la table.

Louis jeta un coup d’œil à la pendule accrochée à un mur sur le côté de la pièce.

‒ 8 heures 05, déjà ? Mais il fallait venir me chercher Sandrine. Je suis en retard !

‒ Vous déranger alors que vous êtes en train de prier. Jamais de la vie !

Louis reposa sa tartine à peine entamée et s’avança d’un pas vif vers la porte.

‒ Mais attendez, prenez au moins un café !

‒ Merci Sandrine mais il faut que j’y aille. Les premiers paroissiens doivent déjà m’attendre. Vous savez comme on est impatient quand on a des choses à confesser à Dieu, lui lança-t-il avec malice.

‒ Mais non, pas du tout ! répondit-elle en rougissant. Comment le saurais-je ? Vous êtes bien placé pour savoir qu’une vieille dame comme moi n’a jamais grand-chose à lui raconter pendant sa confession !

Mais le claquement de la porte l’interrompit net. Louis était déjà parti. Sandrine regarda les tartines toujours posées sur la table avec une expression agacée. Mais, très vite, un sourire vint éclairer son visage. Quand Louis était arrivé six mois plus tôt à Saint-Martin pour remplacer le vieux curé qui prenait sa retraite, Sandrine avait immédiatement été conquise par l’énergie débordante du gamin, l’amour immense qu’il portait à ses paroissiens et la passion exclusive qu’il vouait à Dieu. Très vite d’ailleurs, les sermons enflammés du jeune curé avaient suscité la surprise, la curiosité puis l’intérêt des villageois. Désormais, l’église ne désemplissait pas ! On venait même de toutes les communes avoisinantes pour écouter Louis prêcher le dimanche. Mais en même temps que la foi spectaculaire du curé avait fasciné d’emblée Sandrine, le peu d’importance que Louis accordait à sa vie matérielle l’avait stupéfiée. Toujours mal rasé, le curé avait en permanence les cheveux en bataille et s’habillait comme un épouvantail. On lui aurait presque donné une pièce en le croisant à la sortie de son église tant il ressemblait à un vagabond. Au presbytère, c’était la même chose. Il vivait dans le désordre le plus total, au mépris parfois de l’hygiène la plus élémentaire. Mais par-dessus tout, il ne mangeait jamais rien ! C’était à se demander parfois comment il arrivait à tenir debout. Alors, pour aider le curé à faire face à toutes ces tâches quotidiennes dont il ne semblait pas avoir le moins du monde conscience, Sandrine avait pris progressivement les choses en main, à l’église tout d’abord puis au presbytère. Désormais, elle s’occupait de tout, coupant même les cheveux de Louis quand elle arrivait à le faire tenir en place pendant plus de quelques minutes. À eux deux, ils s’en sortaient désormais plutôt bien. Pendant que toute l’attention du curé se tournait uniquement vers Dieu, le ciel et le salut des âmes, Sandrine s’assurait que Louis restait présentable, qu’il s’alimentait autant que possible et vivait dans des conditions matérielles décentes. S’occuper du curé à temps plein représentait beaucoup de travail mais Sandrine avait du temps à perdre. Finalement, prendre soin de Louis avait même rempli le vide de son existence…

Chapitre 2

Louis sortit et pressa le pas vers son église en longeant les murs du presbytère. Tout en marchant, il leva son visage vers le ciel entièrement bleu, sentant déjà la douce chaleur du soleil sur sa peau malgré l’heure matinale. Il sourit, rempli de joie et de paix ! Depuis son arrivée à Saint-Martin, six mois plus tôt, il labourait sans cesse de sa foi puissante les rues du village, y semant l’amour à pleines poignées pour récolter chaque jour une plus grande moisson d’âmes.

Louis entra dans l’église. Il n’en fermait jamais les portes malgré les récriminations constantes de Sandrine qui craignait que le bâtiment ne soit un jour saccagé par des vagabonds. Mais fermer l’église aurait semblé à Louis totalement incongru. Il la laissait ouverte en permanence pour permettre à ses paroissiens de s’approcher de Dieu à toute heure du jour ou de la nuit.

À l’intérieur, une dizaine de personnes attendaient assises près du confessionnal. C’était bien plus que d’habitude ! Le cœur de Louis bondit dans sa poitrine et il remercia le ciel en une prière radieuse pendant une brève seconde. Tout le monde se leva silencieusement à son arrivée.

‒ Bonjour frères et sœurs, que la paix du seigneur soit avec vous !

Il les regarda tous avec intensité en les bénissant intérieurement.

‒ Bien, alors au travail, dit-il joyeusement en entrant dans le confessionnal.

Il ouvrit le petit volet de bois et attendit la première confession, un sourire ravi sur les lèvres.

Pendant toute la matinée, comme tous les samedis, il écouta avec un amour infini ceux qui étaient venus se confesser. Il souffrait avec eux de leur détresse, partageait leur fardeau et leur procurait avec une immense tendresse toute l’aide dont il était capable.

*

Ce jour-là, d’une manière étonnante, plus les confessions s’enchaînaient et plus Louis se sentait gagné par une curieuse impression. Les péchés de ses paroissiens semblaient plus nombreux que d’habitude, plus graves aussi pour certains. Comme si une fièvre soudaine venait de s’emparer d’eux.

‒ Bénissez-moi mon père parce que j’ai péché !

Une jeune fille qui devait avoir douze ou treize ans venait de prendre place derrière l’isoloir, interrompant les réflexions du curé. Louis reconnut Julie, la fille du maire. Elle venait se confesser pour la première fois. Curieusement, plutôt que de chuchoter, comme le faisaient tous les autres, elle avait parlé à voix haute dans le confessionnal.

‒ Je vous écoute ma fille ! Mais parlez plus bas je vous prie, ce que vous avez à confesser ne regarde que Dieu.

Elle continua sans baisser le ton.

‒ Je… je n’arrive pas à croire que c’est mal d’embrasser un garçon !

Interloqué, Louis laissa s’écouler quelques secondes, le temps de retrouver ses esprits.

‒ Que… Que voulez-vous dire ?

‒ Il y a quelques jours, j’ai embrassé un garçon pour la première fois. Quand j’ai senti ses lèvres sur les miennes, ça m’a fait des picotements partout. C’était si bon ! Depuis, on s’embrasse tout le temps et cela n’a rien à voir avec les horreurs que vous décrivez dans vos sermons. Quand il m’embrasse, je me sens si bien, il y a comme une douce chaleur dans mon ventre et…

Louis s’étrangla de stupeur.

‒ Mais ma fille, c’est la chaleur des flammes de l’enfer ! Comment peux-tu être aussi aveugle ! Cette douce chaleur que tu décris si naïvement, c’est le diable qui te brûle les entrailles.

Un immense éclat de rire résonna alors à l’extérieur du confessionnal. La jeune fille assise en face de lui se mit alors à rire à son tour, à gorge déployée. Pendant quelques secondes, le cerveau de Louis tourna à vide. Il ne comprenait rien à ce qui se passait.

Soudain, la jeune fille fut tirée dehors sans ménagement et son rire s’interrompit tout net. Le curé sortit à son tour, décontenancé. Sandrine était là, à côté de la gamine qu’elle venait d’extirper du confessionnal. Un garçon à peu près du même âge se tenait debout à côté d’elle, la tête baissée. C’était Éric, le fils du boucher.

‒ Pendant que je balayais au fond de l’église, j’ai vu Éric qui écoutait ce qu’on vous disait en confession Monsieur le curé, dit-elle en désignant le jeune homme du menton. Je me suis approchée et involontairement, j’ai tout entendu.

Elle s’adressa aux deux adolescents qui regardaient leurs chaussures.

‒ Vous n’avez pas honte de faire ce genre de plaisanterie ? Allez ouste, dehors ! Monsieur le curé a bien autre chose à faire que d’écouter vos fadaises.

Sandrine les poussa vers la sortie. Ils se laissèrent faire sans protester et s’éloignèrent. Mais, alors qu’ils allaient sortir, ils se retournèrent et regardèrent Louis avec des yeux brillants. À ce moment, ils s’enlacèrent et échangèrent un baiser fougueux sur le pas de l’église avant de s’enfuir en riant. Sandrine étouffa un juron et s’élança à leur poursuite.

‒ Attendez que je vous attrape, je vais vous faire passer le goût des plaisanteries !

Louis était sans voix, paralysé par la surprise. La dernière personne encore présente dans l’église pour se confesser le regardait, tout aussi médusée que lui. Finalement, Louis lui adressa un signe d’apaisement et entra de nouveau dans le confessionnal. Il oublia rapidement l’incident, pour se consacrer entièrement à l’écoute de cette dernière âme égarée.

Chapitre 3

Vers 11 heures, Louis ressortit de l’église. Il remarqua alors les agents municipaux qui pavoisaient la place avec des drapeaux multicolores. Ils tendaient des câbles entre les platanes le long desquels s’égrenaient des fanions bleu, blanc, rouge et des lampions. Louis réalisa qu’ils préparaient la place pour accueillir la fête nationale. Demain c’était le 14 juillet ! Il rejoignit son vélo et quitta la place.

Le reste de la journée s’écoula dans un souffle. Il avait tellement de choses à faire ! Il recevait en confession, il célébrait les messes, les mariages, les baptêmes, les communions et les enterrements. Il visitait les malades, les personnes âgées, les pauvres et donnait des cours de catéchisme aux enfants de l’école. Au surplus, il passait beaucoup de temps à l’orphelinat, un vieux bâtiment un peu à l’écart du village.

Quand toutes ses activités lui laissaient un peu de répit, Louis allait alors frapper à la porte des habitants du village qui ne venaient jamais à la messe. Il ne pouvait accepter que certains de ses paroissiens restent ainsi dans l’obscurité, loin de la lumière de Dieu. Il fallait qu’il agrandisse son troupeau toujours davantage, jusqu’à ce que la dernière brebis égarée soit en sécurité auprès de son berger…

En fin de journée, Louis revint au presbytère. Il posa son vélo contre le mur, près de la porte et entra. Sandrine était penchée sur la cuisinière.

‒ Humm, comme ça sent bon !

‒ Oui, c’est de la soupe de légumes ! Je les ai épluchés cet après-midi.

Elle parla alors avec un léger ton de reproche.

‒ Vous n’êtes pas rentré manger pour le déjeuner ! Vous m’aviez pourtant promis d’être plus raisonnable. Vous vous rendez compte que vous n’avez qu’une tartine de beurre dans le ventre depuis ce matin ?

Louis ne prit même pas la peine de répondre. Il savait qu’il n’aurait jamais le dernier mot avec Sandrine. Il se contenta de la regarder avec un petit sourire d’excuse. Il se lava les mains sous le robinet de la cuisine et s’essuya avec une serviette accrochée au mur.

‒ Pas celle-là Monsieur le curé ! C’est le torchon pour la vaisselle !

‒ Oh pardon ! répondit Louis n’en continuant pas moins à s’essuyer, le regard absent.

Il semblait penser à quelque chose, soudain soucieux. Il eut alors une expression contrariée et s’approcha de la porte.

‒ J’ai oublié de passer voir Mme Triolet ! On m’a dit tout à l’heure qu’elle ne se sentait pas bien. Cela m’était sorti de l’esprit ! C’est tout près, ajouta-t-il avec un ton d’excuse. Je n’en ai pas pour longtemps.

‒ D’accord mais dépêchez-vous de revenir sinon ma soupe va être froide !

‒ Oui, oui ! répondit-il distraitement avant de sortir.

*

Il faisait sombre. Sandrine avait réchauffé la soupe deux fois. Puis elle l’avait laissé refroidir, résignée. Elle était assise en train de lire. Elle adorait les romans d’amour mais elle les lisait toujours en cachette du curé qui lui reprochait de ne pas assez lire la Bible.

‒ Mais lisez la Bible Sandrine ! C’est la seule lecture qui vaille la peine ! lui disait Louis invariablement.

‒ Mais je l’ai déjà lue Monsieur le curé.

‒ Mais la Bible, ce n’est pas une bande dessinée. C’est la parole de Dieu. Il ne suffit pas de l’avoir lue une fois. Il faut la lire tous les jours !

Et il sortait toujours de sa poche une petite Bible à la reliure en cuir noir tout usée qui ne le quittait jamais. C’était la Bible que lui avait offerte le père Bertrand, son précepteur. Sandrine poussa un soupir et tourna la page de son roman pour connaître la suite des aventures de Lili qui ne cessait de repousser les avances du beau Gustave.

‒ Quelle sotte cette Lili ! pensa Sandrine avec gourmandise.

*

La porte s’ouvrit d’un coup. Sandrine sursauta ! Louis entra dans un tourbillon. Elle cacha prestement le roman dans la poche de son tablier.

‒ Ah, tout de même s’exclama-t-elle sur un ton à demi courroucé.

Louis regarda son assiette sur la table, la casserole pleine de soupe froide et sembla soudain se souvenir.

‒ Oh, pardon Sandrine. J’avais oublié !

‒ Vous avez oublié que vous aviez faim ?

Il ne répondit pas et resta debout devant elle.

‒ Mme Triolet est en effet bien malade, dit-il soudain.

‒ Ah oui vraiment ? La pauvre ! répondit Sandrine distraitement.

Elle prit la casserole de soupe et la posa pour la troisième fois sur la cuisinière à gaz.

‒ Et il n’y a personne pour s’occuper d’elle, ajouta-t-il avec insistance.

‒ Ah…

Sandrine s’affairait avec des allumettes pour rallumer le feu sous la casserole. Soudain, elle comprit ce que le curé avait derrière la tête. Elle s’exclama.

‒ Oh mais non Monsieur le curé ! Je ne peux pas m’occuper de tout le monde !

‒ Pas de tout le monde ma bonne Sandrine. De Mme Triolet !

‒ Mais il y a deux jours, je suis allée voir Hortense et la semaine dernière Rose.

‒ J’ai dit à Mme Triolet que vous alliez passer la voir pour faire un peu de ménage chez elle et peut-être aussi lui faire la conversation ? lui dit-il avec un clin d’œil. Elle vous attend demain soir.

‒ Vous êtes impossible, Monsieur le curé !

Elle craqua une autre allumette et la gazinière s’alluma.

‒ Comme si je n’avais pas assez de travail à m’occuper de vous !

‒ Mais cessez de vous occuper de moi Sandrine ! Dieu pourvoit à tout en ce qui me concerne. Je n’ai besoin de rien !

Il attrapa un morceau de pain sur la table et s’approcha de la porte à nouveau.

‒ Ah non ! Vous n’allez pas encore ressortir tout de même ?

Il croqua dans le morceau de pain avec appétit et eut un sourire plein de tendresse pour la vieille dame.

‒ Je dois passer voir la famille Cruchot. Ils m’avaient promis de venir à la messe dimanche dernier mais je ne les ai pas vus. Il faut pourtant que j’arrive à les convaincre ! Je crois que c’est presque fait pour Mme Cruchot. C’est Jules, son mari, qui est une vraie tête de mule !

‒ Vous êtes impossible Monsieur le curé !

Louis qui était à moitié sorti revint dans la pièce et se tint un instant sur le seuil de la maison.

‒ Moi aussi je vous aime Sandrine, et Dieu tout pareil !

Il disparut dans un claquement de porte joyeux. Sandrine regarda avec désespoir la soupe qui se remettait doucement à bouillir.

Avec un soupir, elle s’assit et ressortit son roman de sa cachette.

*

Sandrine sentit soudain un contact tiède et humide sur sa peau et se réveilla en sursaut. Elle s’était endormie et Louis venait de déposer affectueusement un baiser sur son front.

‒ Eh bien Sandrine. Vous n’avez pas de lit ? Les chaises de ma cuisine sont donc si confortables ?

Il ramassa le roman tombé au sol et le lui tendit avec un clin d’œil complice. Elle mit quelques secondes à reprendre ses esprits et coula un regard de reproches au curé.

‒ Vous voyez ce que vous faites faire à une vieille femme comme moi avec vos horaires insensés.

Elle regarda l’heure à sa montre.

‒ 22 heures 30 !

‒ Oui, mais j’ai arraché une promesse à Jules. Il ira à la messe demain avec toute sa famille.

Il ajouta avec un sourire amusé.

‒ Il a compris que je ne quitterais pas sa maison sans avoir obtenu sa reddition.

Sandrine se leva péniblement et dit à Louis pour le taquiner :

‒ Vous n’avez pas honte de lui arracher la promesse d’aller à la messe sous la contrainte. Est-ce que c’est bien chrétien ces méthodes ?

Ils échangèrent un sourire de connivence. Ils savaient tous les deux que Jules, une force de la nature, n’aurait eu aucun mal à jeter dehors le frêle curé s’il l’avait voulu. Jules était juste un indécis qui avait besoin d’être convaincu. Et Louis s’y entendait comme personne pour être convaincant quand il parlait de Dieu.

‒ Au lit ma bonne Sandrine ! dit-il en la raccompagnant avec douceur vers la porte.

‒ Attendez ! Je vais d’abord mettre la soupe au réfrigérateur. Je suppose évidemment que vous n’en voulez toujours pas ?

‒ Je suis déjà en retard pour ma prière du soir. Je la mangerai demain… ou après-demain.

Louis l’abandonna et s’avança vers sa chambre.

‒ Bonsoir ma très chère Sandrine. Et inutile de vous lever demain matin pour venir me préparer le petit-déjeuner. C’est dimanche que diable, reposez-vous un peu ! On se verra à la messe.

Il quitta la pièce avec un signe amical de la main. Elle lui lança juste avant qu’il ne disparaisse :

‒ Je me reposerai quand vous prendrez vous-même un peu de repos !

Elle débarrassa la table, rangea la cuisine, mit la soupe dans le réfrigérateur et éteignit la lumière. Avant de quitter la pièce elle se tourna vers la chambre de Louis :

‒ Bonsoir Monsieur le curé !

Il n’y eut pas de réponse. Louis priait déjà sans doute. Elle sortit et donna un tour de clé en se demandant pour la millième fois pourquoi elle faisait cela. En effet l’église restait toujours ouverte et communiquait par un couloir intérieur avec la cuisine. Fermer la porte du presbytère ne servait à rien… Mais elle ne pouvait s'en empêcher ! L’habitude sans doute.

Chapitre 4

Dans la chambre, Louis priait pour les paroissiens qu’il avait entendus en confession le matin. Il priait pour que le mal qu’il avait senti se rapprocher d’eux ne les atteignît pas. Au fur et à mesure qu’il priait, l’amour de Dieu se déversait en lui et emporta finalement ses sombres pensées dans un tourbillon lumineux.

Au bout d’un moment, Louis se mit au lit. Comme souvent avant de s’endormir, le souvenir affectueux de son précepteur lui revint en mémoire. Louis devait tout au père Bertrand qui lui avait fait découvrir la foi chrétienne.

*

Depuis son plus jeune âge, Louis avait toujours senti confusément une présence majestueuse tout autour de lui. Il entendait sans cesse le ciel, les pierres, les arbres, le moindre insecte lui murmurer qu’un être divin était à l’origine de tout cela. Il en parlait parfois avec sa mère qui lui racontait ses vagues souvenirs de catéchisme. Elle avait été élevée dans une famille chrétienne mais n’était plus pratiquante. Par amour maternel elle aurait bien voulu aider davantage Louis qu’elle sentait très attiré par la foi bien que personne ne l’ait initié à la religion. Mais son père s’y était toujours opposé, d’une manière violente d’ailleurs. Léon était pourtant un brave homme, cela ne faisait aucun doute, un père aimant et attentif, mais il avait curieusement toujours interdit tout contact de son fils avec l’église et ses curés. En résumé, la foi vibrante mais essentiellement instinctive de Louis lui laissait un goût d’inachevé. Jusqu’au jour de la mort de son père ! Ce jour-là, il avait eu une vision. Celle de l’âme de Léon quittant son corps sans vie, une âme apaisée par l’amour d’un fils, par la prière sincère et pure d’un enfant.

Le jour de l’enterrement de Léon, Louis était entré pour la première fois dans une église. Le sermon du père Bertrand qu’il n’avait encore jamais vu l’avait consolé d’une manière miraculeuse et les paroles d’amour que le curé avait prononcées l’avaient bouleversé. Malgré la douleur et le chagrin, Louis s’était senti immédiatement chez lui dans la maison de Dieu. Il avait commencé à questionner sa mère sur les prêtres, chaque jour davantage. Il était allé en parler aussi à leur voisine qui allait de temps en temps à la messe le dimanche.

Quelques jours plus tard, Louis avait quitté en cachette la ferme familiale pour retourner à l’église du village. Quand il entra, il vit le père Bertrand assis sur un banc en train de prier. Louis marcha droit vers lui.

‒ Bonjour Monsieur le curé ! Je voudrais être prêtre. Comment s’y prend-on ?

Le curé l’avait regardé avec surprise. Il savait que Louis n’avait aucune éducation religieuse. Il ne l’avait jamais vu à l’église avant les funérailles de son père.

‒ Alors tu veux devenir prêtre ? Très bien ! Mais sais-tu seulement ce que c’est qu’un prêtre ?

‒ C’est un homme qui parle de Dieu aux autres hommes et qui les aide à aller au ciel, avait répondu le petit Louis d’un ton très naturel.

Le curé était resté silencieux, fixant longuement le gamin.

‒ Mais que leur diras-tu pour les aider à aller au ciel ?

‒ Je leur dirai de prier, de prier jusqu’à ce qu’ils entendent la voix de Dieu, jusqu’à ce que la lumière envahisse leur cœur, jusqu’à ce que leur vie prenne enfin un sens. Et je prierai avec eux jusqu’à ce que ce jour arrive.

Le curé se laissa tomber sur un banc, soudain troublé. Se pouvait-il que cet enfant ait trouvé la foi tout seul, sans que personne ne lui fasse connaître Dieu ? Ému, le prêtre se leva, posa sa main sur l’épaule de Louis et murmura :

‒ Viens avec moi !

Le père Bertrand comprit très vite qu’il avait affaire à un prodige. Tel un enfant capable de jouer au piano les mélodies les plus pures sans rien connaître au solfège, Louis avait développé une foi absolue et lumineuse sans rien connaître à la religion. Les années qui suivirent, le curé guida Louis pas à pas vers le Christ, complétant le caractère uniquement instinctif de la foi du jeune garçon par un enseignement religieux bienveillant. Le père Bertrand apprit avec dévotion tout ce qu’il savait au jeune garçon qui était devenu son enfant de chœur. La découverte de la religion chrétienne fut pour Louis une révélation éblouissante. La dimension spirituelle de la foi rendit encore plus merveilleux son amour spontané pour Dieu. Il en avait le vertige et en pleurait presque d’émotion certains jours.

Dès que cela fut possible, Louis partit faire son séminaire. Il s’y montra un élève exceptionnel, au point que l’évêque entendit parler de ce jeune homme extraordinaire. Il vint le voir un soir, pour le rencontrer. Ils prièrent ensemble une partie de la nuit. À son départ, l’évêque le prit dans ses bras : « Tu es béni mon fils ! J’ai rarement croisé une foi aussi bienheureuse et sincère, un tel bonheur de croire en Dieu. Va et fais le bien ! Tu vas sauver bien des âmes ! »

Une nuit, alors que Louis s’accordait une de ses rares heures de sommeil, un de ses professeurs vint le réveiller. Il lui annonça avec compassion que sa mère venait de mourir dans un accident de voiture. Louis eut un petit sourire triste avant de répondre.

‒ Je sais, son âme m’est apparue pendant mon sommeil. Je viens juste de lui dire au revoir.

Puis son visage s’éclaira et il ajouta :

‒ Elle est auprès de Dieu maintenant, avec Papa !

Louis fut ordonné prêtre un beau jour du mois de novembre. Le père Bertrand était là. Il n’y avait personne d’autre. Le lendemain, Louis fit ses maigres bagages. Il venait d’être désigné pour devenir le curé de Saint-Martin.

Cela faisait tout juste six mois…

Chapitre 5

Louis donnait la communion à des inconnus qui s’alignaient devant lui sur une longue colonne. Curieusement, il ne reconnaissait personne. Il était dans son église mais ce n’étaient pas ses paroissiens. Il n’y avait en face de lui que des silhouettes floues qui disparaissaient dans un étrange brouillard grisâtre aussitôt l’hostie avalée.

Mal à l’aise, Louis ne ressentait pas du tout l’atmosphère réconfortante qui flottait d’habitude dans son église. Au contraire, un air nauséabond lui donnait la nausée. De manière mécanique, sa main plongeait dans le calice pour distribuer les hosties aux silhouettes grises mais il se sentait de plus en plus mal à l’aise, comme pris de vertiges.

Soudain, jaillissant du brouillard, une jeune femme étrangement auréolée de lumière apparut dans la file d’attente. Louis retrouva instantanément une terrible lucidité. Il fixa, stupéfait, la jeune inconnue à la beauté si parfaite qu’elle en semblait surnaturelle ! Au fur et à mesure qu’elle s’approchait, Louis sentait la tempête se lever en lui, son cœur battre de plus en plus furieusement, ses veines se gonfler d’un sang bouillonnant. Soudain, elle fut là, debout, en face de lui, les mains jointes et les yeux mi-clos. Elle entrouvrit alors la bouche avec une moue impatiente. Pétrifié, Louis laissa les secondes s’écouler, incapable d’esquisser le moindre geste… Finalement, le regard de la jeune femme s’alluma et telle une lame de feu vint croiser le sien. Le souffle coupé, Louis sentit son âme se calciner au contact des deux immenses yeux verts. Il tendit le bras comme un automate. La tête renversée en arrière avec un sourire effrayant, la jeune femme prit l’hostie entre ses lèvres avec un soupir d’extase.

Soudain, son visage se transforma en un masque hideux et elle éclata d’un rire diabolique !

*

Louis se réveilla en sursaut, la bouche ouverte sur un hurlement muet. Dans l’obscurité, hagard, il regarda autour de lui, incapable de reprendre pied dans la réalité tant l’intensité de son cauchemar l’avait bouleversé. Sur sa table de chevet les chiffres du réveil perçaient l’obscurité d’une lueur verdâtre. Il était 4 heures 17 !

Il alluma la lumière de sa chambre, profondément perturbé. Il n’arrivait pas à reprendre ses esprits, sentant comme une menace diffuse planer dans la pièce. Il ne faisait jamais de cauchemars, jamais ! Son sommeil n’avait jamais été troublé que par le chant des anges ou la musique des trompettes célestes. Finalement, au bout d’un moment, il réussit à se lever et se laissa tomber à genoux sur le sol au pied du crucifix qui ornait le mur au-dessus de son lit. Il fit un signe de croix et sa prière s’éleva vers le ciel avec l’énergie d’une balle de fusil ! Instantanément, son cauchemar fut balayé. À genoux, dans la petite chambre, Louis se laissa envahir par la douce présence de Dieu.

Au bout de quelques heures, Louis cessa de prier. Il se leva et sourit intérieurement en se remémorant ce cauchemar ridicule qui lui semblait bien loin déjà. La prière avait entièrement chassé l’étrange malaise qu’il avait ressenti lors de son réveil brutal. Il alla dans sa salle de bain en boitillant, des crampes dans les jambes. Il prit une douche et fit sa toilette en sifflotant, gai comme un pinson puis il entra dans la cuisine. Il était environ 07 heures.

‒ Bonjour Monsieur le curé !

Sandrine finissait de remplir une tasse de café qu’elle posa sur la table devant lui d’un air autoritaire.

‒ J’ai entendu que vous avez pris une douche, c’est bien !