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Il ne lui restait qu’une journée. Une dernière mission avant de raccrocher. Mais ce qui devait être une simple formalité se mue en un engrenage implacable. L’affaire est plus vaste, plus dangereuse qu’il ne l’aurait cru. Aux côtés de son équipe, soudée par l’urgence, il traque les ombres, déjoue les mensonges, et tente de garder le contrôle. Pourtant, au cœur de cette ultime course contre la montre, quelque chose déraille – une rencontre inattendue, un trouble qu’il n’avait pas prévu. Et si cette enquête, la plus périlleuse de sa carrière, devenait aussi la plus décisive de sa vie ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Laurent Martinez est un auteur dont la plume, à la fois libre et rigoureuse, s’apparente à celle d’un praticien de l’incertitude. Porté par une écriture sensible et exigeante, il conçoit la fiction comme un espace d’aventure intérieure, où l’imaginaire s’élève sans jamais perdre de vue l’émotion du lecteur. "Prolongations" constitue son troisième ouvrage, à la suite de "Jimbo Show" et "Après tout", parus en 2016 et 2017 chez Edilivre.
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Seitenzahl: 157
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Laurent Martinez
Prolongations
Roman
© Lys Bleu Éditions – Laurent Martinez
ISBN : 979-10-422-6923-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Paris s’éveillait lentement.
Selon un rituel inébranlable, un pigeon, communément appelé aussi « rat volant » par les Parisiens, roucoulait devant ma fenêtre, et une exquise odeur de pain chaud remontait de la boulangerie du coin de la rue.
Un peu dans le brouillard, en cette matinée du jeudi 11 février, sorti de mon sommeil par la musique du radio-réveil, un étrange sentiment d’inédit naissait en moi. Je pressentais la particularité de cette journée.
En trente-cinq ans, jamais Withney Houston ne m’avait éveillé si délicieusement avec sa voix d’ange et cette musique à la fois douce et rythmée. Les yeux rivés sur le plafond, je profitais de l’intégralité de la mélodie avant de me lever ; « I Will Always Love You » était donc le dernier hymne d’une carrière qui touche à sa fin. Grand fan de cette chanteuse trop vite disparue, je n’avais jusqu’alors jamais eu la chance d’un réveil si agréable.
Le 11 février, date fatidique, anniversaire de la mort de ma chanteuse préférée, signifiait aussi ma propre mort, certes professionnelle, mais qui symbolisait bien la fin d’un long cycle.
Trente-cinq ans de bons et loyaux services, d’enquêtes, de filatures, d’interrogatoires et de déplacements dans toute l’Europe avaient rythmé ma vie d’investigateur. Tant d’années à démasquer les criminels, à localiser les disparus ou, plus humblement, à rassembler des preuves.
Une journée ! Oui, une journée, c’est le temps infime dont je disposais pour les adieux aux collègues et finaliser ma dernière affaire. Une dernière entrevue avec mon ultime cliente devait ponctuer la réussite finale de l’enquête.
Même si je possédais une carte professionnelle et étais assujetti à un code de déontologie, je n’étais pas flic, non. Cependant, j’ai souvent travaillé en parfaite collaboration avec les services de police, avec un intérêt commun : la réussite de certaines enquêtes. Je suis détective privé, le meilleur détective privé de France selon le dernier sondage recueilli auprès des clients et publié dans la presse l’année dernière. C’est vrai qu’en toute modestie, je peux me prévaloir d’un taux de réussite proche de 90 %.
90 % d’affaires élucidées, de personnes retrouvées et ainsi de clients satisfaits. C’est avec une grande fierté que je présentais cet excellent bilan à l’heure de rendre les clefs.
Un petit coup d’œil à l’horloge me fit réaliser qu’il était déjà 6 h 45, le moment de m’extraire des draps et me diriger péniblement vers la douche ; c’est au petit matin qu’on prend réellement conscience de son âge, la mise en route s’avérant de plus en plus longue et difficile. Cette sensation de jambes lourdes et de vue brouillée ne s’estompait en partie qu’une fois sorti de la douche.
Propre et parfumé, comme chaque matin, je descendais à la cuisine me faire griller deux tartines, que je beurrais légèrement avant de les tremper dans mon café au lait. Un petit kiwi, un jus d’orange, et j’étais prêt pour affronter cette dernière journée de boulot.
En tournant la clef dans la serrure, je ne pus m’empêcher de penser que ce départ matinal était le dernier. Une certaine émotion s’empara de moi, un mélange d’angoisse et d’excitation, probablement la peur de tomber dans l’oubli et l’excitation de connaître une situation inédite avec un emploi du temps vide. La veille, j’avais tâché de ne pas y penser ; j’avais fait en sorte de me concentrer uniquement sur le moment présent.
Ces derniers jours, les réalités du terrain étaient peu propices à la méditation, et je devais rendre les conclusions de ma dernière affaire à Jacqueline Monsot, ma cliente. Son fils de six ans avait disparu, enlevé par son père. Tout portait à croire que nous étions face à une banale histoire de déchirement familial, et mon rôle de détective consistait à retrouver l’enfant. La seule particularité dans cette histoire venait de la localisation géographique inhabituelle de la zone de recherche : l’Islande.
Après trois longues années sans l’ombre d’un indice, la justice avait fait son deuil d’hypothétiques retrouvailles. C’est en surfant sur internet, dans le domaine des disparitions, que madame Monsot avait trouvé mon site et mes coordonnées. Désespérée, elle s’était tournée vers moi en dernier recours, prête à payer une fortune pour retrouver son fils.
Cela tombait bien, je voulais finir ma carrière sur une belle affaire, bien payée et comportant un minimum de risques. Comme le précise notre blog, ma spécialité est de retrouver des gens disparus. Les chiffres présentés sont élogieux : sur vingt-huit dossiers de recherche de personnes, vingt-sept avaient été élucidés par nos soins. J’allais terminer par un « sans faute » en divulguant à madame Monsot la localisation exacte de son fils « Jan ». J’étais parvenu à retrouver l’enfant au terme d’une enquête qui m’avait notamment permis de visiter l’Islande, pays magnifique et envoûtant.
Monsieur et madame Monsot s’étaient mariés à Beaujeu, dans le Rhône, et comme souvent, le bonheur de façade laissa place aux conflits incessants et aux tensions grandissantes. La promesse de jours meilleurs avec l’arrivée d’un enfant dans leur vie n’eut pas l’effet espéré et, selon toute vraisemblance, leur bonheur fut bien éphémère. Selon la version de ma cliente, après une énième dispute, Kristjan, le père, avait enlevé leur garçon, l’emportant sur sa terre natale : l’Islande !
La journée devait se dérouler tel un scénario écrit à l’avance. Je prendrais le métro dans quarante-cinq minutes, descendrais à la station « Lecourbe », me rendrais à pied au 252 rue de Vaugirard, dans le 15e arrondissement de Paris, à huit heures précises. J’ouvrirais le volet roulant, puis la porte vitrée du bureau sur laquelle apparaît en grand le nom « Moreto and co », la société de détectives privés qui porte mon nom.
Comme chaque matin, je préparerais le café en attendant l’arrivée de mon collègue et ami Fangio, que j’appelle ainsi en raison de sa façon de conduire ; il roule toujours comme s’il était sur un circuit de Formule 1. De surcroît, comme l’ancien champion automobile, il a aussi des origines argentines. Il arrive souvent entre huit heures quinze et huit heures trente, et nous commençons toujours la journée avec le petit café traditionnel. En général, nous profitons de ce moment de quiétude pour faire le point sur les affaires en cours et définir les tâches à venir.
Fangio est un bon gars. Il voulait entrer dans la police mais s’est vu recalé trois fois à l’épreuve orale, devant le psychologue ; il n’est pas plus fou qu’un autre, mais a une fâcheuse tendance à dire tout haut ce qu’il devrait penser tout bas. En gros, il ne semble doté d’aucun filtre dans le cerveau, et ses pensées sont immédiatement transformées en paroles, que ce soit devant un psychologue, un juge ou encore un journaliste. Son apparence « brut de décoffrage » s’en trouve aggravée par un physique imposant : un mètre quatre-vingt-huit pour quatre-vingt-dix kilos à peu près, ça impressionne ! Voilà pourquoi j’ai toujours essayé de le préserver de tout exercice de diplomatie, faisant en sorte d’utiliser ses compétences dans le domaine où il excelle : la castagne ! Ses qualités physiques nous ont permis, à maintes reprises, de nous sortir de situations délicates, et certains s’en souviennent à leurs dépens. Fangio n’est pas un gars méchant, mais il faut éviter de le provoquer ; tout droit sorti du film « Borsalino », avec ses cheveux noirs gominés et son menton proéminent, cet athlétique Sud-Américain aurait fait un excellent joueur de rugby. Lors de notre première entrevue, j’ai tout de suite vu en lui le partenaire complémentaire qui pouvait faire de nous une équipe compétitive. À l’époque où je faisais passer des auditions pour trouver le collègue idéal, subissant le défilé de personnages caricaturaux devant moi – les cow-boys, les « Terminator » ou les petits intellectuels qui se prenaient pour Sherlock Holmes –, sa simplicité et son honnêteté m’ont touché. Je n’ai jamais eu à regretter ce choix. D’accord, j’ai parfois dû faire preuve de tact pour effacer ou minimiser les dégâts collatéraux dus à un engagement physique excessif, allant jusqu’à payer certaines victimes pour les dissuader de déposer plainte. Soucieux de préserver une ambiance sereine au bureau et d’éviter des contrariétés à Fangio, je ne lui ai jamais parlé de ces petits arrangements.
À 8 h 45, ce sera au tour d’Isabelle, la secrétaire, de pousser délicatement la porte du bureau, et comme chaque fois, elle plongera sa main en arrière dans sa chevelure blonde pour lui rendre sa forme originelle. Ensuite, elle viendra nous faire la bise, moment très agréable car elle dégage un parfum très fin et naturel, qui correspond parfaitement à sa personnalité fraîche et distinguée. Isabelle est une très belle femme, d’une trentaine d’années, et si les mauvaises langues prétendent que je l’avais engagée pour sa plastique avantageuse, il n’en est rien. C’est surtout son esprit de synthèse et sa faculté à vite comprendre les choses qui avaient été décisifs dans ce choix de recrutement.
Lorsqu’elle postulait ce poste de secrétaire, elle avait juste vingt ans, et au cours de l’entretien d’embauche, j’ai d’abord cru pouvoir aisément la déstabiliser. Je voulais la perturber pour atteindre ses limites. La fougue du jeune âge était pour moi un désavantage majeur, pourtant, elle m’avait bluffé. D’un calme et d’une sagesse inhabituels pour sa génération, déjà très philosophe, elle parlait cinq langues, en plus de ses compétences en informatique. Il est aussi vrai que son physique était un atout de charme qui ne laissait pas insensible un quadragénaire célibataire comme moi. Je me souviens que ses grands yeux verts se sont remplis de larmes alors que je l’informais de sa candidature acceptée. Pourtant, bon nombre de candidates n’avaient pas démérité lors de ces castings, et la perspective de devenir secrétaire au sein de la meilleure boîte de détectives de France attirait beaucoup de prétendantes.
Enfin, à neuf heures, c’est Paul, mon plus vieil associé, qui viendra prendre place derrière son bureau ; c’est lui le plus âgé, mais il partira en retraite plus tard que moi, ne comptabilisant pas le nombre de trimestres suffisants. Il est devenu le prototype du fonctionnaire qui arrive et repart juste à l’heure sans faire de zèle, se contentant de faire son boulot. Paul ne veut plus sortir depuis ce fameux jour d’été 2008 ; au beau milieu d’une enquête d’adultère, comme il nous arrive d’en traiter aussi, deux balles de « 38 spéciale » lui avaient troué la casquette, alors qu’une troisième s’était logée dans le haut de son mollet gauche. Il s’est vu mourir ce jour-là… Depuis, il estime que son salaire et son métier ne justifient plus qu’il risque sa vie.
Paul a rejoint ma boîte trois ans après sa création, et malgré sa sédentarisation subite, j’ai toujours eu de l’affection et du respect pour lui, c’était quelqu’un de discret et serviable. Il avait une formation littéraire et ses talents de rédacteur étaient mis à profit pour le bien de nos procédures. Cette fusillade l’avait traumatisé ; jadis si courageux, téméraire parfois, fonçant vers le danger potentiel sans réfléchir, il s’était, du jour au lendemain, métamorphosé en bureaucrate à plein temps… Je pense qu’il avait une sincère confiance en l’être humain et ne pensait pas qu’on pouvait attenter à la vie de quelqu’un juste pour empêcher la divulgation de certaines vérités ou certains secrets.
En empruntant le tapis roulant qui mène au métro, je ne pouvais m’empêcher de penser que tous ces gens dans les transports, à cette heure de pointe, seraient encore là demain, après-demain et tous les jours de la semaine. Mais la différence, c’est que je ne serai plus là pour les voir. Je me remémorai alors ma première descente dans le métro en janvier 1981, jeune provincial débarqué de ma campagne auvergnate ; j’en étais réduit à quémander aux passants une indication pour trouver mon chemin : « Bonjour, madame, excusez-moi… Monsieur, s’il vous plaît ! »
Jamais on ne me laissait terminer ma phrase. Pourquoi donc les gens se détournaient-ils de moi, comme si je n’existais pas ou comme s’ils ne m’entendaient pas ? Certains ne se donnaient même pas la peine de tourner la tête pour me regarder. J’avais l’impression que je leur faisais peur, qu’ils me fuyaient, ou peut-être ne m’entendaient-ils pas…
Sans prétendre être un mannequin, mais plutôt un homme au physique quelconque, je n’avais pas la réputation d’être moche au point de faire fuir les gens ou de les impressionner. « Quelle drôle de ville ! » me disais-je à l’époque.
Lorsqu’enfin une personne daignait me renseigner, je me perdais en une succession de « merci », « merci beaucoup », « c’est très gentil », ce qui surprenait plus encore mon bon samaritain. Il faut un certain temps pour s’adapter à la vie parisienne, et une personne bien élevée, rompue aux signes basiques de courtoisie, habituée à saluer en entrant dans une pièce ou un commerce, se trouve désappointée face aux signes d’indifférence et d’isolement ambiants. Au début, cette situation me faisait rire, et je persistais dans cette voie, amplifiant encore la puissance de mes salutations ; l’effet de surprise, ou même l’effroi suscité, m’amusait, gardant l’intime conviction que ma manière de faire était la bonne et que tous ces gens avaient oublié les bases de l’éducation et le minimum de politesse élémentaire.
J’ai essayé, durant toutes ces années dans la capitale, de ne pas ressembler à tous ces « robots », incapables de donner de l’intérêt aux autres, se souciant peu d’une éventuelle aide à apporter ou d’un service à rendre. Je me suis rendu compte qu’au beau milieu de la foule, ils étaient bien seuls. Ils ignorent la valeur d’une rencontre, le plaisir d’échanger quelques mots, la satisfaction d’apporter de l’aide et de se sentir utile.
À cette époque, je vivais seul dans mon appartement du seizième, et le désir de trouver l’âme sœur était bien présent. Jeune et naïf, j’ai d’abord cru qu’il était possible de faire des rencontres dans ce monde si particulier des transports en commun. Malheureusement, la Parisienne est victime du syndrome que j’appelle « overdose séductrice » ; il s’agit d’une pathologie comportementale causée par un excès de petits regards, de clins d’œil ou de petits saluts. C’est la forme bénigne de cette pathologie, dont les effets plus graves peuvent être causés par des gestes déplacés, des propositions indécentes ou des frottements corporels désagréables. Ces incessantes preuves d’intérêt, plus ou moins tolérables et souvent maladroites, ont provoqué au fil du temps, chez les Parisiennes, la constitution d’une carapace sentimentale infranchissable, même pour les plus tendres ou les romantiques. Dans le doute, elles ne s’abstiennent pas et rejettent en bloc toute tentative d’approche ou de contact. L’âme en peine, j’ai donc dû me rendre à l’évidence : il me fallait abandonner tout espoir de rencontre dans le métro. Dès lors, mes trajets s’effectuèrent en silence, dans le mutisme traditionnel durant lequel je faisais, dans ma tête, le programme de la journée de travail.
Justement, voilà que le métro arrivait à « Lecourbe ». Je laissais passer les plus pressés, prêts à vous marcher dessus pour gagner quelques secondes, et une fois la meute dispersée, je descendais et m’engageais sur l’escalator pour émerger sur le trottoir de la rue Vaugirard.
Le temps était hivernal, ce matin-là. Une petite pluie froide me glaça le front et me fit regretter d’avoir laissé ma casquette à la maison. Je redressai mon col et commençai à remonter la rue de Vaugirard. Mon rendez-vous avec la jolie Jacqueline Monsot était programmé à 9 h 30, il fallait donc me hâter. J’imaginais son visage s’illuminer en apprenant la bonne nouvelle concernant son garçon, et l’émotion d’une telle retrouvaille, trois ans après ! Mon dernier rendez-vous professionnel serait très probablement un des plus agréables, tant pour la maman que pour le détective que je suis. L’enquête s’était révélée très épineuse et n’avait pu aboutir qu’avec l’emploi de toutes mes ressources : Sébastien, mon contact dans la police, qui m’avait permis l’accès aux fichiers confidentiels de recherche de personnes ; Nelly, mon contact à la Préfecture pour l’accès aux informations de résidents étrangers, et notamment islandais et Thordan, mon contact en terre d’Islande pour les démarches sur place et les renseignements géographiques précis. Un détective efficace doit pouvoir disposer de tous ces leviers à actionner en cas de besoin. Le succès des enquêtes découle de ce travail d’équipe, au cours duquel chacun apporte sa petite collaboration. Cette affaire était probablement l’une des plus onéreuses aussi : deux billets d’avion aller-retour à destination de Reykjavik pour Fangio et moi, puis le transfert vers Dalvik, tout au nord de l’île, engendraient des frais conséquents. Thordan nous avait dirigés sans certitude vers ce village du bout du monde, car il avait appris qu’un habitant et son fils s’y étaient installés quelques années auparavant et qu’ils parlaient bien le français.
Durant tout le trajet, Fangio, visiblement peu convaincu du bienfait de notre voyage, me ressassa qu’on perdait notre temps et qu’il y avait fort peu de chances pour que ces gens soient la famille Monsot. On peut dire qu’il me gâcha bien le voyage, et les trois heures trente d’avion me parurent bien longues ! Il trouvait inadmissible de faire payer à ma cliente de tels frais de déplacement sans réelles certitudes. J’avais beau lui expliquer que bon nombre d’enquêtes se résolvent grâce à des suspicions, il n’en démordait pas… Aussi, au retour, devant le succès de notre mission, s’étant avéré qu’il s’agissait bien de Kristjan et de Jan, son fils, à Dalvik, je ne me privais pas pour expliquer à Fangio la différence entre un enquêteur de métier comme moi et un débutant comme lui. J’éprouvais un plaisir sadique à le narguer en lui rappelant ses propos du voyage aller ; quelle jubilation pour moi de voir ce grand dadais ronchonner dans son coin en chuchotant que c’était « un coup de bol » !
C’était « bon enfant », j’étais conciliant avec lui car je savais le grand respect qu’il éprouvait à mon encontre et que, même en râlant, il était toujours prêt à me suivre n’importe où.