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Marie, lors d’une fête dans son village, rencontre William, un garçon aux belles manières. L’adolescente tombe sous son charme. Seulement, lorsque quelques mois plus tard, contre toute attente, elle donne naissance à une fille, Clémence, dans le déni, elle n’en prend pas soin. Clémence est ainsi délaissée et négligée, jusqu’à ce que sa tante décide de la prendre sous son aile. Toutefois, cette intervention sera-t-elle suffisante pour sauver l’enfant d’un avenir incertain aux augures bien sombres ponctués par ce manque d’amour maternel ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Passionnée de lecture,
Joëlle Pelle-Lebas s’est inspirée d’une anecdote d’enfance racontée par une amie pour écrire ce premier roman.
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Seitenzahl: 475
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Joëlle Pelle-Lebas
Promesse d’enfance
Roman
© Lys Bleu Éditions – Joëlle Pelle-Lebas
ISBN : 979-10-377-6388-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Dans le bocage normand où se succèdent à perte de vue de douces collines émaillées d’une multitude de parcelles de pâturages verdoyants, de champs cultivés entourés de haies, futaies, taillis, arbres et arbustes sauvages ou fruitiers, mosaïque de couleurs attirant immanquablement le regard, apparaissait un petit village aux maisonnettes à colombages avec toits de chaume ou d’ardoises. Des ruisseaux serpentaient un peu partout dans ce dédale. Dans les prairies environnantes paissaient tranquillement bovins, ovins et de superbes chevaux appartenant aux différents haras de la région.
À l’extrémité de chemins caillouteux, bordés de talus herbeux et fleuris, de buissons souvent épineux aux multiples couleurs, se dressaient des fermes. C’était dans l’une d’elles que vivait Marie ainsi que toute sa famille. Le corps de ferme se composait de deux parties distinctes, l’une pour les hommes, l’autre pour les animaux. La partie habitation avec un étage comprenait plusieurs fenêtres, à petits carreaux, réparties de chaque côté de la porte d’entrée formée d’une partie basse en bois et d’une partie haute vitrée qui s’ouvrait pour laisser passer l’air dans la maison, tout en empêchant un quelconque animal, hormis le chat, de pénétrer à l’intérieur du logis. Des iris poussaient au printemps sur la faîtière surplombant le toit de chaume.
Dans l’annexe servant de grange cohabitaient les vaches, les brebis, les porcs, les clapiers à lapins et une bruyante basse-cour. L’occupation quotidienne de la famille, mis à part les travaux ménagers, consistait à s’occuper de tous ces animaux, à entretenir les champs et l’été à moissonner pour engranger le foin et les céréales avant l’arrivée de l’hiver.
Marie baignait dans cet univers depuis sa plus tendre enfance. En l’absence de son père, miraculeusement revenu depuis indemne de la guerre, sa mère avait dû assumer l’entretien des terres et du cheptel avec l’aide de Marie pour la soulager. Durant cette dure période, la fillette, malgré son jeune âge, participait chaque jour aux pénibles tâches journalières qui ne lui laissaient que de rares périodes de repos. Sa sœur aînée ayant quitté le logis quelques années auparavant, c’était elle, devenue la plus âgée des enfants, qui durant le dur conflitqui venait de s’écouler avait dû sacrifier sa scolarité pour seconder sa mère jusqu’au retour de son père. Il est vrai que, durant cette période tourmentée, aller simplement à l’école relevait certains jours du miracle en raison du danger encouru. Mais depuis le retour de la paix, tant de choses restaient à faire. Récupérer ces heures d’instruction perdues n’avait dès lors pas pesé lourd dans la balance face aux travaux de la ferme qui primaient largement sur le reste. Seuls les deux plus jeunes, Margot et Marc, continuaient une scolarité normale.
Ses seules heures de répit, elle les partageait avec sa voisine et amie, Denise, qui vivait elle aussi dans une ferme située un peu plus à gauche. Toutes deux, nées la même année, se connaissaient depuis leur enfance. Durant ces longues années de guerre, elles avaient durement souffert de privations, de rationnements et de terreur bien que, comme beaucoup de familles de fermiers cantonnés sur leurs terres, la vie au jour le jour avait été tout de même un peu moins dure que celle des habitants des villes.
En ce soir de fin juin devait se tenir, sur la grande place du village, la fête de la Saint-Jean dans le but de réunir pour l’occasion, tous les villageois et familles environnantes autour du feu de camp traditionnel qui y serait allumé à la nuit tombée. N’ayant eu jusqu’alors que peu de moments de distraction, les deux amies avaient reçu, pour leur seizième anniversaire, l’autorisation de s’y rendre et surtout de pouvoir, exceptionnellement, y demeurer un peu plus longtemps seules une fois leurs parents respectifs rentrés se coucher.
En cette fin de matinée, le temps était particulièrement clément bien qu’un peu lourd. Marie se rendit, comme à l’accoutumée, à pied au domicile de Denise. Comme pour toutes les adolescentes de leur âge, réussir une telle soirée nécessitait de choisir la tenue la plus appropriée afin de plaire et surtout de se démarquer des autres jeunes filles présentes à la fête.
Denise, debout devant son pas-de-porte, guettait l’arrivée de Marie. Sa maison, aussi rustique que celle de son amie, se composait d’un rez-de-chaussée et d’un étage dans lequel elle partageait une chambre avec son jeune frère Louis.
Denise s’adressa à Marie parvenue à sa hauteur.
— Salut. Alors prête pour ce soir ?
Puis, la scrutant de la tête aux pieds elle s’insurgea ironiquement :
— Tu ne comptes tout de même pas t’y rendre dans cet accoutrement ? Tu ne trouveras jamais un coquin pour t’inviter à danser ce soir ainsi fagotée. Il faut absolument faire ressortir le bleu de tes yeux. Aucun garçon ne pourra résister à leur éclat et ne pourra s’empêcher de les admirer. Si les miens pouvaient être aussi beaux et clairs que les tiens, je ferais tout ce qu’il faut afin qu’on les remarque, crois-moi. En premier lieu, commence par dénouer tes magnifiques cheveux aussi blonds que les épis qui se dorent au soleil de l’été. Ensuite, nous chercherons nos plus beaux vêtements, ceux qui vont irrésistiblement attirer l’œil.
Elles éclatèrent de rire toutes les deux.
— Allons viens, rentrons à l’intérieur. Montons vite dans ma chambre. Profitons-en pendant que Louis est parti avec maman. Nous déterminerons quoi mettre afin d’être les plus belles ce soir.
Sur ces paroles, elles grimpèrent rapidement à l’étage et pénétrèrent dans la chambre de Denise. À l’intérieur se trouvaient deux lits, l’un recouvert d’un couvre-lit de laine formé de multiples carreaux multicolores tricotés et assemblés, l’autre enfoui sous un gros édredon beige qui ne laissait apparaître ni couverture ni drap. Un chevet surmonté d’une lampe munie d’un grand abat-jour écru bordait chaque côté droit des lits. À gauche de celui de Louis se trouvait une commode à quatre tiroirs sur laquelle était posée une grande coupelle avec un broc servant à effectuer une rapide toilette et plusieurs jouets de garçon. Au mur trônait une armoire à deux portes séparées au milieu par un grand miroir. Denise lui montra du doigt son lit multicolore.
— Viens par ici afin de voir un peu où nous en sommes.
Sur ces dires, elle attrapa Marie par les épaules et la fit pivoter sur elle-même afin d’effectuer une inspection précise. Comme d’habitude, celle-ci portait un foulard pâlichon sur ses cheveux attachés et roulés en chignon. Un corsage gris pâle, à manches courtes bouffantes, fermé sur le devant par des petits boutons blancs en nacre cachait sa jolie poitrine. Un large tablier gris foncé maintenait sa jupe bleue à plis, tombant à mi-mollet. Des chaussettes basses, gris clair, dépassaient de ses bottines à petits talons et bouts arrondis.
— Pas question de sortir ce soir ainsi habillées lui répéta Denise. Nous devons être les plus belles du bal et nous le serons, crois-moi ! Commençons par supprimer ces chignons de vieilles filles. Ensuite, nous brosserons longuement nos tignasses pour les rendre lisses et soyeuses. Nous observerons le résultat afin de savoir quelle coiffure nous mettra le plus en beauté. Ainsi nous n’aurons plus besoin de chercher comment nous peigner avant de nous apprêter après nos corvées ce soir.
Marie s’exécuta immédiatement. Elle dénoua son chignon et sa longue chevelure glissa et ondula sur ses épaules puis vint lui couvrir le bas du dos jusqu’à hauteur des reins. Denise l’imita aussitôt. Les siens, plutôt bruns, mais beaucoup plus frisés terminèrent leur descente seulement jusqu’aux épaules et se répartirent de chaque côté de son visage. Une raie naturelle reprit sa place dès que le foulard, qu’elle avait jeté vigoureusement, atterrit sur le lit.
— Maintenant, annonça de nouveau Denise, au tour des chemisiers et jupes. Pas de tablier. Il nous faut de la gaieté pour cette grande occasion. Les jours à venir, avec les moissons qui vont bientôt démarrer, si le temps le permet, et les mises bas qui vont nécessiter le maximum de surveillance, nous n’aurons pas d’autres amusements comme ce soir avant bien longtemps. À nous de mettre toutes nos chances de notre côté pour attirer le maximum d’intérêt chez les garçons qui vont inévitablement être présents ce soir afin qu’ils nous choisissent en priorité comme cavalières. J’ai déjà les guibolles qui me démangent prêtes à danser jusqu’à la nuit.
Marie hocha la tête en signe d’approbation.
— Tu as parfaitement raison, Denise. Moi aussi je suis impatiente. Mais il faut faire vite, car j’ai encore beaucoup de travail à faire avant de pouvoir me rendre à la fête. Mes parents, ma sœur, mon frère et moi ne partirons que si la traite est bien terminée et que tous les animaux ont bien reçu leurs rations du soir. Je suis certaine qu’il en sera de même pour toi d’ailleurs !
— Bien sûr, rétorqua Denise. Et tu peux me croire que pour avoir le temps de me préparer, je ne traînerai pas non plus pour finir le tout en temps et en heure.
Les deux amies se jetèrent dans les bras l’une de l’autre et se donnèrent une chaleureuse accolade d’amitié partagée. Denise se dégagea la première de cette étreinte.
— Bon ! Maintenant, fini la rigolade, ma belle !
Sans plus attendre, elle ouvrit la porte droite de son armoire qui leur permit de découvrir plusieurs étagères sur lesquelles étaient rangés des vêtements soigneusement repassés et pliés.
— Regarde un peu ce chemisier blanc à manches courtes avec sa dentelle tout autour du décolleté. Qu’en penses-tu ? Il est quasiment neuf, car les occasions de le porter ont été rares les mois derniers. Et comme il s’agit d’un cadeau de mes parents à Noël dernier, il n’était pas question de l’abîmer tu penses bien ! Je crois que tu en possèdes un presque identique chez toi, n’est-ce pas ?
Cela dit, Denise saisit d’une main le corsage en le présentant devant sa poitrine puis de l’autre attrapa le visage de Marie et le rapprocha du sien. Elle fit pivoter leurs deux têtes en direction du miroir pour y admirer leurs reflets.
— Alors ! Verdict ! C’est bon pour toi ou pas ?
— Oui, parfait répliqua Marie. Le mien effectivement ressemble énormément à celui-ci. C’est ma mère qui me l’a taillé et cousu à partir d’un vieux jupon usager. Elle y a passé de longues soirées au coin du feu l’hiver dernier. C’est d’ailleurs le seul chemisier blanc que je possède donc le choix est vite fait. Il ne risque pas d’être abîmé, car les occasions de le porter sont si rares dans une ferme.
Grand éclat de rire des deux amies qui, se prenant maintenant par un bras, sautèrent sur place faisant grincer le plancher. Ce fut Denise qui reprit ses esprits en premier.
— Bon ! Ce n’est pas le tout ma jolie ! Il faut aussi s’occuper du bas. De la couleur, encore de la couleur, rien que de la couleur. Fini les jupes ternes et unies. Elles conviennent parfaitement pour faire la traite des vaches, pour s’occuper des cochons et donner à manger aux poules, mais pas pour trouver un amoureux.
Sur ces mots, elle ouvrit l’autre pan de son armoire, côté penderie cette fois. Elle fouilla parmi les vêtements pendus. Elle décrocha un cintre sur lequel une longue jupe à fleurs multicolores était suspendue.
— Que penses-tu de celle-ci ? C’est ma mère qui me l’a confectionnée pour le baptême de Louis. Elle sent un peu la naphtaline, mais en la sortant maintenant, elle va s’aérer et ce soir il n’y paraîtra plus.
Marie saisit la jupe et la retourna de tous côtés.
— Parfaite ! Enfile-la et pivote un peu pour voir le résultat.
Denise ôta celle qu’elle portait et la remplaça par celle tendue par son amie. Elle entama aussitôt des pas de danse tout autour du lit en faisant tourbillonner les plis de tous côtés. Marie l’imita aussitôt avant de se jeter sur le lit, essoufflée.
— Te voilà prête pour les conquêtes, s’écria-t-elle joyeusement avant de se redresser et de pointer son index vers son amie en le remuant successivement de droite à gauche. Les filles du village et des alentours n’ont qu’à bien se préparer sinon, face à toi, elles ne pourront pas lutter et feront inévitablement tapisserie. Tous les beaux jeunes hommes ne vont avoir d’yeux que pour toi. Tu vas rendre ces demoiselles folles de rage, car il ne leur restera que les moches, les idiots, les boutonneux pour les inviter à danser, en bref elles ne pourront pas rivaliser. Tant pis pour elles.
Denise s’arrêta net de virevolter sur elle-même et s’approcha de son amie, la mine réjouie.
— Vu ta joyeuse réaction, je crois que cette tenue est validée. Merci ma belle. Mais maintenant, pensons aussi à toi. Pas question de garder tous ces cavaliers pour moi seule. Toi aussi tu as tous les atouts pour les rendre fous de toi. D’ailleurs, je crois me souvenir que lors de la communion de ta sœur tu portais une jupe aussi colorée que la mienne. Je me trompe ?
Marie inclina doucement la tête et fronça les sourcils.
— Oui, c’est exact. Tu penses vraiment qu’elle fera l’affaire ?
— Et comment ! Ainsi vêtues toutes deux, nous serons comme deux sœurs prêtes pour faire tourner les têtes de tous les jeunes blancs-becs de la région et aussi faire mourir de jalousie toutes les filles du coin, car elles ne pourront jamais rivaliser avec nous comme tu viens si bien de le dire.
Cette fois, ce fut à Denise de pointer et de secouer son index vers Marie tout en lui annonçant d’un ton très sérieux :
— Mais attention ! Attention ! Chacune le sien. Pas de concurrence entre nous. C’est entendu ? Nous sommes trop amies pour qu’une histoire de garçon vienne s’interposer entre nous ou même pire détruire notre amitié de toujours !
Toutes deux se jetèrent alors sur le lit en riant et roulant l’une sur l’autre avant de se relever d’un bond et de se faire face. Denise, le sourire aux lèvres fixa son amie et s’exclama.
— Eh bien Marie ! Nous voilà prêtes pour faire les yeux doux aux premiers garçons qui vont se présenter. Bien sûr, tant qu’à faire, nous allons tout de même choisir les plus beaux. Nous laisserons les moches aux autres. Vivement ce soir. Et prions dieu que tout aille bien jusque-là, car pas question de rater ce moment.
— Tu fais bien de le dire, Denise. D’ailleurs, je ne vais pas tarder à rentrer afin de ne pas perdre un seul instant. Il me faut terminer à temps mon travail à la maison et aux champs avant l’heure fatidique. Dans le cas contraire, mon père n’hésitera pas à m’interdire de te rejoindre ce soir.
— Au fait, avant de partir, rétorqua Denise, nous n’avons pas complètement fini. Pas question non plus de conserver aux pieds nos vieux bottillons. N’oublions pas de mettre des chaussures basses plus pratiques pour danser. Celles avec des lanières dessus me semblent bien mieux adaptées. Elles sont plus légères et, avec elles, nous danserons plus gracieusement. À nous les javas, polka, valses et slow langoureux, pourquoi pas aussi d’autres danses amenées par les Américains lors de la libération. Je ne les connais pas encore, mais j’entends souvent leurs airs entraînants à la radio. Nous aurons vite fait d’apprendre à les danser.
— C’est vrai. À la maison aussi nous entendons ces nouveaux airs qu’ils surnomment, je crois, swing ou jazz. Ma mère adore d’ailleurs écouter la musique d’un certain Glenn Miller qui donne tout de suite l’envie de se bouger. Tu penses à tout. Avec des souliers plus légers que nos brodequins habituels, nous serons beaucoup plus légères pour suivre nos cavaliers. J’ai hâte d’y être.
Avant de partir, Marie rattacha ses cheveux comme à son arrivée puis toutes deux quittèrent la chambre et redescendirent au rez-de-chaussée. Une fois sur le seuil du logis, elles se serrèrent mutuellement dans les bras avant de se séparer. Marie se dirigea vers le chemin menant à sa ferme et se retourna pour faire un signe amical de la main à Denise en s’écriant :
— Bisous à toi et à tout à l’heure. Nous nous retrouverons sur la place centrale. Je pense y être avec la famille aux environs de neuf heures. Le feu ne sera pas allumé au moins avant dix heures, car il est coutume d’attendre la tombée de la nuit. Nous aurons donc, avant, tout le temps de danser, virevolter, nous amuser. Maman m’a dit de profiter au maximum de cette soirée. Il devrait y avoir aussi de bons gâteaux à déguster. Chaque famille doit normalement en confectionner au moins un afin que chaque personne présente puisse, le soir venu, les goûter et les savourer gratuitement et j’en ai déjà l’eau à la bouche.
En prononçant ces mots, Marie se passa la langue sur les lèvres laissant comprendre à son amie qu’elle se régalait d’avance. Aprèsces longues années de privations où même le pain était rationné, pouvoir goûter sans compter à différents gâteaux décuplait le plaisir.
Denise resta sur le seuil pour voir s’éloigner son amie et ne rentra que lorsqu’elle eut complètement disparu derrière les bosquets menant à sa ferme.
Le déjeuner terminé, l’après-midi s’écoula rapidement et le soir arriva à grands pas. Puis vint le dîner et enfin les travaux habituels à effectuer par la famille : ranger l’intérieur de la maison, donner le grain aux poules, nettoyer les cages à lapins, mettre de la paille fraîche aux cochons, réunir les vaches, moutons et brebis afin de les mettre à l’abri des prédateurs la nuit, puis effectuer la traite et stocker le lait récolté. Toute la famille mit du cœur à l’ouvrage encore plus que d’habitude afin de laisser à chacun le temps de se préparer. Aussitôt les travaux achevés, Marie grimpa dans la chambre qu’elle partageait avec sa sœur cadette Margot. Comme prévu le matin même avec son amie Denise, elle commença par dénouer ses longs cheveux et les brosser pour leur rendre tout leur éclat. Sa jeune sœur la regarda avec envie, car elle savait que les siens devraient se contenter des tresses réalisées par sa maman.
— Que tu es belle Marie lui murmura Margot ! Moi aussi, lorsque je serai plus grande j’irai au bal et me ferai aussi jolie que toi.
Marie se retourna vers sa sœur les yeux brillants.
— Merci beaucoup, petite sœur, mais tu n’as pas encore tout vu.
Sur ces mots, elle retira ses vêtements et alla à la vasque servant de lavabo pour se laver le visage et les mains.
— Pas question de salir mes habits pour ce soir. D’ailleurs toi aussi tu devrais te rafraîchir avant de partir. Malgré l’heure avancée, la température dehors est encore assez élevée et la soirée restera assez chaude.
Elle sortit de son armoire le corsage et la jupe choisis ce matin même avec son amie. Elle enfila le tout puis se hissa sur la pointe des pieds et se mit à tournoyer en pratiquant quelques petits pas de danse. Sa jupe tourbillonna faisant s’entremêler les teintes comme dans un kaléidoscope.
— Qu’en dis-tu maintenant ! À ton avis, suis-je toujours aussi belle que tout à l’heure ?
Margot porta son index devant sa bouche en écarquillant ses grands yeux.
— Non Marie ! Plus belle ! Bien plus belle ! Mais attends un peu ! Il te manque encore quelque chose d’important. Un peu grâce à moi, tous les yeux seront braqués sur toi j’en suis sûre. Ne bouge pas ! Je reviens de suite.
Sur ces mots, elle sortit en courant de la chambre et dévala les escaliers pour se précipiter dehors et en revenir quelques secondes plus tard tout essoufflée.
— Voilà ce qui te manquait ! s’exclama-t-elle en tendant à Marie un joli bouton de roserouge. Accroche-le dans tes cheveux avec ta jolie barrette nacrée. Sa couleur tranche avec le blanc de ton chemisier et le blond de tes cheveux. Elle est aussi en harmonie avec les couleurs de ta jolie jupe. Ainsi, un peu grâce à moi, l’ensemble est parfait.
Marie très touchée par le geste de sa sœur essuya la petite larme qui commençait à ruisseler sur sa joue.
— Ah non ! Pas ça, lui rétorqua Margot. Ce n’est pas le moment de verser des pleurs. La soirée s’annonce au contraire joyeuse et pleine de joie et de bonheur. Descendons maintenant rejoindre papa et maman.
Marie lui renvoya alors un large sourire. Eh oui ! Denise l’avait bien dit. Ce soir, ce sera la fête et il faudra en profiter un maximum.
— Tu as raison, Margot ! Bien ! Me voilà presque prête à présent. Il ne reste que mes chaussures à mettre et à prendre un châle pour parer à la fraîcheur de la nuit.
Quelques secondes plus tard, elles descendirent toutes deux rejoindre le reste de la famille. En les voyant arriver, sa mère et son père poussèrent ensemble un petit sifflement d’admiration envers Marie.
— Eh bien ! Ma fille, lui dit son père. Je savais déjà que tu étais belle, mais pas autant que cela. On dirait une vraie femme maintenant. Ainsi tu ressembles tellement à ta mère que j’ai l’impression de revenir plusieurs années en arrière. Elle aussi était ravissante quand elle avait ton âge, et elle m’a immédiatement tapé dans l’œil.
Mais aussitôt, doucement en se tournant vers sa femme, il ajouta :
— Tu sais bien que pour moi tu resteras toujours aussi jolie qu’avant et la plus belle de toutes bien sûr.
Tout en riant, se retournant vers sa fille, il précisa :
— Pas étonnant que j’ai craqué pour ta mère. Aujourd’hui te voilà comme elle quelques années plus tôt. Dommage que je sois ton père et trop vieux pour cela sinon c’est moi qui aurais été ton prétendant au bal. N’est-ce pas maman ? demanda-t-il à sa femme en clignant de l’œil !
— Pour sûr ! lui répondit-elle, puis en se tournant vers Marie elle ajouta :
— Attention toutefois à toi ce soir. Il faudra rester sur tes gardes, car je ne veux pas qu’il t’arrive des ennuis avec les garçons du village. Il faut s’amuser. Certes ! Mais toujours garder tes distances avec eux, car tu sais que depuis le départ de Marceline après son mariage, c’est toi qui deviens l’aînée de la famille. Tu dois montrer l’exemple.
Marie fixa sa mère dans les yeux puis tourna son regard doucement vers son père.
— Ne craigniez rien ! Je ne serai jamais bien loin de vous. Et en plus, Denise m’accompagnera. Elle va nous rejoindre directement sur la place. En restant ensemble toutes les deux rien ni personne ne pourra nous séparer et donc rien ne pourra nous arriver. Si un garçon vient ennuyer l’une de nous, l’autre sera là pour lui venir en aide.
Sur ces mots, toute la famille termina de se préparer. Maman vérifia chaque détail de la tenue de chacun, tirant çà et là sur un pli, vérifiant la propreté des mains, des ongles et du visage des deux plus jeunes. Même Marie n’échappa pas à l’inspection. Et alors qu’elle ne s’y attendait pas, sa mère lui attrapa et lui pinça plusieurs fois les joues, lui déclenchant alors une moue de surprise sur le visage.
— N’aie crainte, ma fille ! Une petite pincette, rien de plus ! Juste pour mettre du rose à tes jolies joues et leur donner un peu plus d’éclat. Pas la peine de te farder. Ainsi tu restes naturelle et il n’y a rien de tel crois-moi.
Elle lui sourit, tout en lui faisant un petit clin d’œil malin.
— Ça marche ! Regarde ton père. Il n’a pas pu y résister lorsqu’il m’a rencontrée ! N’est-ce pas papa que le charme a agi tout de suite ? Vous les hommes, dès qu’un joli jupon se pointe dans les parages, il devient difficile de vous faire garder la tête froide. Et aujourd’hui Marie, c’est peut-être à ton tour de rencontrer celui qui partagera ta vie future, qui sait ? Bon ! Assez discuté. La fête nous attend. Il est grand temps de partir. En route tout le monde.
Cela dit, elle prit son panier en osier dans lequel, cachée sous un torchon de lin à carreaux rouges et blancs, elle avait déposé la succulente tarte aux pommes cuite spécialement dans l’après-midi. Celle-ci sera jointe à toutes les autres pâtisseries mises en commun sur un buffet préparé spécialement, à l’occasion de la fête, par les agents communaux. Elle glissa son sac à main sur le bras opposé, tout en poussant gentiment de la main Margot puis le petit Marc afin qu’ils se dirigent vers la sortie. Marie et son père leur emboîtèrent le pas. Sa mère ferma alors le logis et toute la famille, au grand complet, se dirigea gaiement vers la place du village suivie pendant quelques mètres par le chien familial.
Au premier carrefour, une autre famille les rejoignit. Les plus jeunes des deux passèrent devant en sautant, courant, se poussant les uns contre les autres, mais toujours en jouant.L’impatience se lisait sur leurs visages. Les parents, eux, en profitèrent pour discuter de leurs soucis journaliers : l’été qu’ils espéraient être pas trop orageux pour obtenir de bonnes récoltes, un mauvais vêlage qui avait failli mal se terminer, le prix du lait qui avait encore baissé, les terrains qui étaient encore à vendre au-dessus du village après décès du plus vieux fermier de la commune voisine, ou encore tous les dégâts causés par la guerre et qui restaient encore à réparer.
Marie suivait la troupe ainsi formée. À ses côtés marchait la jeune Annette qu’elle connaissait bien puisqu’elles avaient partagé les mêmes jeux dans la cour d’école quelques années auparavant. Cette dernière était un tout petit peu plus âgée que Marie. Sa chevelure brune couleur ébène, plaquée sur ses oreilles, était maintenue au dos par un joli ruban en satin. Son front était pratiquement recouvert d’une frange qui lui cachait une partie des sourcils. Ses yeux, presque aussi foncés que ses cheveux, lui donnaient un air austère. Une légère cicatrice se dessinait au bord des lèvres, reste d’une mauvaise chute de vélo. Le bout de son nez était légèrement retroussé. Elle était revêtue d’une petite robe bleu clair à double patte de boutonnage sur le devant et serrée à la taille par une ceinture à grosse boucle arrondie. Tout comme Marie, elle portait des socquettes blanches et des chaussures découvertes à lanières.
Entre elles régnait un profond silence. Leur attitude pouvait facilement se comparer à deux concurrentes prêtes à disputer un match décisif. Discrètement, chacune jetait un regard furtif sur l’autre afin de comparer leurs atouts mutuels. Autant la tenue de Marie était jeune, colorée, gaie, autant celle d’Annette semblait terne, fade, vieillotte. Marie la trouva quelconque et sans attrait. Elle repensa aux propos de Denise et de sa sœur cadette et son visage se dérida un peu, car une certitude venait de traverser son esprit, elle, Marie, était sans aucun doute bien plus jolie qu’Annette et elle n’avait donc plus aucune crainte à avoir. Elle se savait beaucoup plus attirante pour les jeunes hommes présents à la fête. Ils sauraient la choisir. Elle pouvait donc aisément lui sourire et lui adresser enfin la parole.
— Quelle belle soirée nous allons passer ce soir. Je te souhaite de bien t’amuser et de te trouver, comme nous toutes, un gentil garçon pour te faire danser jusqu’à l’aube.
— Merci. Toi aussi.
Cependant, dans sa voix hésitante Marie comprit que cette dernière ne ressentait pas l’envie de poursuivre la conversation. Le reste du chemin se fit silencieusement pour elles deux. Elles se contentèrent d’écouter et de suivre les conversations engagées par leurs parents.
Heureusement, les enfants, en tête du cortège, aperçurent enfin l’énorme bûcher installé au centre de la place du village et prêt à être enflammé dès la tombée de la nuit. De leurs cris de joie à cette vue, ils avertirent tous leurs suiveurs, Marie y compris qui en profita pour délaisser Annette. Elle chercha du regard son amie. Elle fut émerveillée par la beauté de la place entièrement décorée pour la fête. De multiples fanions multicolores avec à intervalles réguliers des petits drapeaux français pendaient à des fils tirés tout autour de la place. Aux quatre coins, des flambeaux, garnis au centre de petites bougies allumées, venaient se refléter sur les murs des maisons alentours.
Devant la devanture des commerces, une très longue planche posée sur des tréteaux, couverte d’une nappe à carreaux rouges et blancs qui en dissimulait les pieds, servait de table. Déjà, déposées au fur et à mesure de l’arrivéedes participants à la fête, de nombreuses douceurs la recouvraient : gâteaux, tartes, gaufres, crêpes, biscuits secs, mais aussi des friandises destinées plus particulièrement aux plus petits.
À quelques pas, sur une autre table, des piles de verres s’entassaient en attendant que chacun vienne les chercher pour épancher leur soif. Dessus se trouvaient de grands baquets remplis de glace afin d’y rafraîchir les boissons préférées de ce coin normand : – pour les adultes, du cidre et un peu de vin de pays, pour les plus jeunes, de l’eau ou du jus de pommes récoltées dans la région. Chacun pourrait venir s’y désaltérer entre les danses. Un peu à l’écart, dans un petit coin, posées sur le dessus d’un tonneau, quelques bouteilles, faisant la fierté des bouilleurs de cru qui le distillent pour la plupart de génération en génération, attendaient d’être dégustées pour dit-on ici, accélérer la digestion : Le Calvados. Cette production très typique de la région était le fruit d’années de travail. Présenter leurs réalisations lors d’une grande fête comme celle de ce soir permettait aux distillateurs de les faire goûter et surtout de comparer les différentes origines pour décerner, au meilleur, le prix de l’année qui lui assurerait de belles ventes.
Devant la mairie, la fontaine du village se trouvait cachée par une grande estrade qui surplombait toute la place. Au-dessus, quelques instruments n’attendaient que leurs propriétaires pour que la musique fuse, invitant tous les villageois présents à rejoindre la « piste de danse ». Il y avait là accordéon, piano, flûtes, violoncelle, batterie, trompette, triangle et quelques autres accessoires de musique. Sur le côté se dressaient d’autres tables et des bancs pour permettre à chacun de faire une pause bien méritée et plus particulièrement aux plus âgés comme aux plus jeunes de se reposer tout en profitant de la bonne humeur ambiante.
Peu à peu, la place se noircit de monde. Les plus petits couraient au milieu des adultes, sautaient, criaient, jouaient à cache-cache. Les parents se rassemblaient par petits groupes et, après les politesses d’usage, continuaient d’évoquer leurs projets, leurs soucis et leurs espérances en ce début d’été surtout en ce qui concernait les moissons qui devaient bientôt débuter. Le regard de Marie continua de scruter le moindre recoin afin d’apercevoir Denise. Sans se soucier du reste de la troupe, dès qu’elle l’aperçut, elle se précipita à sa rencontre. Elles avaient toujours tant de choses à se raconter. Les conversations des adultes ne présentaient pour elles aucun intérêt. Les leurs consistaient plutôt à trouver, comme pour toutes les adolescentes présentes à la fête, le garçon qui n’aurait d’yeux que pour elles durant toute la soirée et qui les ferait rire et danser jusqu’à la nuit.
Pour cela, elles se lancèrent tout d’abord en repérage. Elles en profitèrent au passage pour dévisager, inspecter ou dénigrer chaque jeune fille qui passait près d’elles, leur trouvant toujours des points négatifs comparativement à elles-mêmes : trop laide, trop blafarde, trop fade, mal coiffée, mal habillée, trop grosse, trop maigre, trop vieille, pas assez attirante, Cela les regonfla de courage pour affronter le sexe opposé. Leurs investigations se trouvèrent subitement stoppées, car, au même instant, les musiciens se mirent en place, chacun devant son instrument et le maire, monté au milieu de l’estrade, en profita pour prendre la parole. Toute l’assemblée, par politesse, suspendit les conversations en cours et se tourna vers lui. Les deux amies, elles aussi, durent faire silence et écouter son discours.
— Messieurs, Mesdames, Mesdemoiselles. Tout d’abord bonsoir à tous et à toutes. En ce premier jour d’été, je suis fier de retrouver ici les concitoyens de ma commune et des environs. J’espère que tout le monde se porte bien. Comme vous le voyez, le temps lui-même est de la partie. Souhaitons qu’il en soit ainsi durant toute la soirée. Derrière vous, la table principale regorge de plein de bonnes choses gracieusement apportées par chacun d’entre vous. Vous pourrez manger et boire, mais sans excès bien sûr. Alors trêve de long discours. Je souhaite à tous et toutes une excellente soirée de la Saint Jean. Que la fête commence !
Et sur ces mots, il se retourna vers les musiciens et d’un revers de main leur donna le signal de départ pour débuter l’animation tant attendue. Un brouhaha se fit alors entendre d’un bout à l’autre de la place. Les couples se formèrent et envahirent la place. Les plus jeunes, eux, continuèrent leurs jeux en zigzaguant entre les danseurs ou vinrent s’asseoir, aux côtés des plus âgés, sur les rangées de bancs devant les tables. Denise se retourna vers Marie et lui saisit le bras.
— Nous sommes venues ce soir pour nous amuser. Pas question de faire tapisserie comme certaines en attendant bêtement que des garçons viennent nous inviter à danser. Nous allons commencer ensemble et je suis persuadée que nous n’allons pas avoir à le faire longtemps. Ne sommes-nous pas les plus jolies de la soirée ?
Marie la regarda et acquiesça.
— Tu as bien raison. Allons-y.
Ce disant, elle attrapa le châle qu’elle portait sur les épaules et le noua au niveau de sa taille. Avec son chemisier blanc, sa jupe multicolore et ses longs cheveux lui tombant jusqu’au bas du dos, elle ressemblait énormément à une gitane. Les voici parties toutes deux sur la piste parmi les autres couples déjà formés. Comme elles l’avaient prévu, quelques secondes suffirent pour que deux jeunes garçons viennent gentiment les inviter séparément à danser.
Après plusieurs danses, elles délaissèrent leurs cavaliers et en profitèrent pour aller se désaltérer en consommant un bon jus de pommes bien frais. Il leur fallait mettre au point une tactique de sélection pour choisir elles-mêmes avec qui passer le reste de la soirée : pas de laid, pas de trop gros, car difficile à faire bouger, pas de boutonneux, pas de trop vieux, car souvent ces derniers se montraient un peu trop entreprenants.
Beaucoup de personnes étaient déjà attablées et, parmi elles, Marie aperçut ses parents avec sa sœur et son frère dégustant une boisson rafraîchissante accompagnée de bons gâteaux. Elle leur adressa un petit signe de la main imitée aussitôt par Denise qui balaya les lieux du regard dans l’espoir d’entrevoir également sa famille, mais sans résultat.
C’est là que, quelques mètres plus loin, deux jeunes garçons discutaient sans que les deux amies les aient remarqués. L’un brun, aux yeux noisette et cheveux presque rasés, portait une chemisette gris très clair avec un col largement ouvert découvrant le haut de sa poitrine et un pantalon en coton écru presque blanc. L’autre blond paraissait plus âgé avec une barbe naissante. Ses yeux étaient cachés sous des lunettes de soleil. Une mèche lui couvrait une partie du front. Lui aussi était vêtu d’une chemisette de coton blanche, presque totalement déboutonnée, laissant apparaître son torse et d’un pantalon de flanelle gris perle, le tout lui donnant un aspect plus désinvolte, mais aussi plus mystérieux.
Ce dernier en hochant la tête en direction des deux amies, demanda à son camarade.
— Tu connais les deux filles, là, à la buvette, celles avec les jupes multicolores ?
Son camarade se tourna discrètement vers l’endroit indiqué.
— Bien sûr. Ce sont deux filles de fermiers du coin. Tout le monde se connaît ici. Même moi qui ne viens pas souvent au village je sais qui elles sont. La brune, c’est Denise. Elle habite dans la ferme située à la sortie du village vers la gauche. L’autre, qui ressemble à une gitane avec sa jupe et son châle, s’appelle Marie. Elle fait partie de la famille surnommée dans le pays « les Six Mar ». En regardant un peu plus loin derrière toi, tu pourras d’ailleurs apercevoir les autres membres du clan en train de se restaurer. Leur ferme se situe un peu plus à droite de celle de Denise sur un chemin bordé de bosquets. Je les connais davantage, car, pour le haras de mes parents, en coopération avec d’autres fermiers, ils nous fournissent en avoine pour nos chevaux.
William, le jeune homme à l’aspect plus sérieux regarda son camarade en fronçant les sourcils d’étonnement.
— Pourquoi dis-tu qu’on les appelle ainsi ? Ce n’est pas leur vrai nom ?
— Mais non répondit l’autre. C’est simplement le pseudo par lequel les gens du coin les nomment. « Six Mar ». C’est uniquement parce toute la famille se compose de six âmes qui possèdent toutes, en plus de leur nom de famille « Marchalier » des prénoms dont les premières lettres sont : M.A.R. Ce n’est pas banal et pas si évident de trouver et de choisir des prénoms pour toute la famille ayant tous les trois premières lettres identiques. C’est pourquoi ici tout le monde connaît leurs différents prénoms même moi. Il y a Marcel, le père, Marlène, la mère, Marceline l’aînée de la famille mariée, partie vivre à la ville, Marie que tu vois ici ce soir, Margot sa sœur cadette et Marc le dernier. En fait, personne ne parle d’eux avec leur vrai nom de famille pas même ceux, comme mes parents, qui leur achètent leur production.
— À ce que je vois, répondit William, dans ce coin, un rien vous amuse. Heureusement qu’il n’en est pas ainsi pour nous autres à la ville. J’ai vraiment envie de mieux connaître cette Marie. Qu’en penses-tu ? Elle est vraiment ravissante. Rien à voir avec les autres filles présentes à cette fête. J’ai bien l’intention de passer la soirée en sa compagnie. Tu n’as qu’à en faire autant avec l’autre et ainsi nous resterons ensemble, car elles ont l’air très proches. Nous allons attendre patiemment que la famille, « Six Mar » comme tu dis, s’éloigne pour nous rapprocher de ces deux demoiselles et tenter d’entamer une discussion. Ensuite, on va passer une bonne soirée crois-moi !
La famille de Marie se leva pour retrouver des connaissances. Avant de s’éloigner, en passant à côté d’elle, sa maman lui tapota doucettement la tête et lui rappela d’être sage. Les deux amies demeurèrent encore quelques instants sur le banc avecleurs verres. Au moment où elles allaient se lever pour partir en quête de nouveaux cavaliers, les deux jeunes hommes parvinrent à leur hauteur. Toutes deux ne les avaient pas remarqués jusqu’alors parmi l’assistance. Elles écarquillèrent les yeux laissant transparaître sur leurs visages l’effet de surprise. William les dévisagea l’une après l’autre enleur adressant un petit signe de tête tout en les complimentant.
— Mesdemoiselles, bonsoir. Vous êtes vraiment toutes deux ravissantes et très élégantes, rien à voir avec les autres jeunes filles que nous avons pu voir jusqu’alors ce soir. Sans aucun doute, vous en êtes les plus jolies. Acceptez-vous que nous nous joignions à vous pour partager une pâtisserie et une boisson rafraîchissante mon camarade et moi-même ? Ah, toutes nos excuses, nous ne nous sommes pas présentés. Voici Nicolas et votre serviteur, William.
Cela dit, il hocha la tête, souleva ses lunettes de soleil et plongea ses yeux azur dans ceux de Marie pratiquement de la même nuance de bleu.
— Alors Mesdemoiselles. Pouvons-nous prendre place à vos côtés ?
Les deux amies rougirent de plaisir en entendant ce jeune homme ainsi s’adresser à elles. Aucun des garçons de leur connaissance, avec lesquels elles avaient précédemment dansé ce soir ne parlait aussi poliment et avec autant de prestance. Elles furent immédiatement conquises. Elles n’avaient plus besoin de rechercher de nouveaux cavaliers et Denise trouva vite une explication plausible pour cacher qu’elles s’apprêtaient à retourner sur la piste de danse en quête de nouvelles rencontres.
— Avec plaisir. Répondit-elle. Prenez place. Nous nous apprêtions justement à aller rechercher quelques douceurs, surtout des crêpes. En souhaitez-vous également ?
— Non, non, Mesdemoiselles, rétorqua vivement William. C’est moi qui m’occupe de faire le service. Ne bougez pas. Je reviens de suite.
Cela dit, il laissa les jeunes filles en présence de Nicolas et partit vers le buffet pour chercher des boissons ainsi que des crêpes. Il revint plusieurs minutes plus tard sans rien rapporter. Il se tourna alors vers Nicolas et d’un léger coup de coude, suivi d’un signe de tête, lui indiqua qu’il devait le suivre.
— Désolé, Mesdemoiselles. Encore quelques instants de patience voulez-vous ! Nicolas, viens avec moi ! Je ne pourrais jamais tout ramener seul. Surtout mesdemoiselles, ne bougez pas. Nous allons revenir le plus vite possible.
Les deux amies se fixèrent du regard et se retinrent mutuellement d’éclater de rire. Elles n’en revenaient pas d’avoir rencontré d’aussi beaux et aussi courtois jeunes hommes. Rien à voir avec ceux qu’elles connaissaient dans le village ou dans les fermes environnantes. Toutes leurs espérances en la matière étaient dépassées. Plus question de chercher d’autres cavaliers pour les faire tournoyer sur la piste de danse. Elles pouvaient les laisser aux autres jeunes filles présentes qui devaient, sans aucun doute, être vertes de jalousie, car elles avaient été choisies, elles, parmi toutes les autres et de plus, par les plus galants jeunes hommes présents ce soir. Elles avaient eu bien raison de passer du temps à se préparer pour cette soirée et à choisir des vêtements colorés qui, en se démarquant des autres tenues unies et ternes pour la plupart, se démarquaient des autres. Elles en étaient certaines, cette soirée serait à jamais ancrée dans leur mémoire.
La soirée battait son plein. Petit à petit, la clarté du jour diminua. La pénombre enveloppa doucement l’endroit jusqu’à laisser place à la nuit. William et Nicolas s’éloignaient en direction de la buvette quand tout à coup un grand coup de trompette résonna faisant stopper net chaque personne à l’endroit même où elle se trouvait. Monsieur le maire, remonté sur l’estrade au milieu des musiciens, annonça à la volée :
— En cet instant, je m’adresse tout particulièrement à vous les enfants. Merci de ne plus courir dans tous les sens et de bien vouloir rester sagement aux côtés de vos parents. À vous les parents, merci de les maintenir dans un périmètre raisonnable pour éviter toute brûlure qui viendrait gâcher cette joyeuse soirée. Des personnes vont maintenant s’approcher afin d’allumer ce feu tant attendu de la Saint Jean, pour accueillir l’été qui commence. Puis, en se tournant vers ces dernières, il ajouta :
— OK messieurs vous pouvez y aller !
À ces mots, une dizaine d’entre eux, munis de grandes perches, au bout desquelles des torches étaient allumées, se rapprochèrent du bûcher et l’enflammèrent de tous côtés. Le feu embrasa tout d’abord la paille entassée au pied du bûcher puis se propagea progressivement aux poutres les plus élevées. On entendit le craquement du bois qui crépitait. Tout l’espace alentour s’illumina de jaune et de rouge. Les parents, par prudence, maintenaient fermement les plus jeunes à leurs côtés. Et devant ce spectacle flamboyant, toute l’assemblée poussa alors des cris de joie tout en applaudissant et en tapant des pieds.
Puis, petit à petit, au son d’une musique rythmée, quelques personnes se prirent par les mains, saisissant au passage leurs voisins ou voisines, jusqu’à former une grande ronde tout autour du bûcher, à une distance raisonnable pour ne pas risquer de recevoir une flammèche. Marie et Denise n’y n’échappèrent pas. Elles se trouvèrent entraînées malgré elles. Pendant plusieurs minutes, au son de cette musique, toute l’assemblée, parents, enfants, adolescents et même vieillards virèrent à droite, à gauche en formant une grande farandole. Pour les deux amies, impossible de se dégager ni de parvenir à retrouver du regard William et Nicolas avant que ne cesse cette ronde improvisée.
Une fois libérées de l’étreinte de leurs voisins, elles tentèrent de regagner la table autour de laquelle elles étaient assises quelques minutes auparavant. Mais, alors que leur but était quasiment atteint, là encore impossible d’aller plus loin, car les parents de Marie arrivèrent à leur hauteur. Sa mère tenait par la main son jeune frère Marc, tandis que son père, en retrait, crochait le bras de Margot.
— Marie ! lui déclara alors sa maman, nous avons attendu jusqu’à maintenant pour participer à l’embrasement du bûcher et faire plaisir à ces deux-là (elle désigna du doigt Marc et Margot), mais la nuit est bien tombée maintenant. Il sera bientôt onze heures et demain matin les vaches, elles, ne vont pas attendre pour qu’on vienne les traire. Elles se moquent bien de la fête. Nous devrons, comme chaque jour, fête ou pas, nous lever tôt. Nous allons donc rentrer. Pars-tu maintenant avec nous ou, comme promis, préfères-tu exceptionnellement rester encore un peu pour t’amuser avec Denise et les jeunes de ton âge ?
— Bien sûr maman. Je reste encore un peu. Je rentrerai en même temps que Denise. Ne ferme pas la porte à clef. Je ne ferai pas de bruit à mon retour.
— C’est entendu lui répondit sa mère. Mais attention, pas de bêtises, car les gens du village sauront bien nous en informer si c’est le cas. Et tu sais qu’alors, il ne serait plus question de sortie sans nous. Ton père et moi te faisons confiance, mais attention à ne pas nous décevoir. C’est bien clair ?
Puis elle se tourna vers Denise.
— Denise, je te la confie. Fais bien attention à elle. Rentrez bien toutes les deux ensemble, du moins jusqu’aux embranchements des deux fermes. Mais attention, pas trop tard tout de même, car pour toi comme pour Marie, faire la fête c’est bien, mais après pas question de bâcler le travail. Demain, vous aussi aurez à vous lever tôt, fatiguées ou non. Le travail n’attend pas. D’accord ?
— Oui madame. Ne vous faites pas de soucis. Tout ira bien et le travail n’en pâtira pas demain, c’est promis.
— Alors, bonne fin de soirée à vous deux. Nous rentrons. À tout à l’heure. Soyez prudentes.
Toute la famille quitta les lieux dans la pénombre pour rejoindre la ferme. Les deux amies poussèrent un grand ouf de soulagement. Elles allaient enfin pouvoir regagner leur banc laissé de force quelques minutes plus tôt, en espérant y retrouver leurs deux chevaliers servants. Leur désir fut rapidement exaucé puisque quelques minutes suffirent aux deux garçons pour les rejoindre, les mains bien chargées de crêpes et de boissons. Ils les posèrent immédiatement sur la table, mais avant que Marie ne saisisse elle-même un des verres, William s’empressa de lui en tendre un directement.
— Prend celui-ci. Un bon jus de pommes bien frais, rien de tel après la ronde endiablée à laquelle vous avez participé autour du feu. Tu dois avoir la gorge bien sèche.
Nicolas répartit les autres verres avant de présenter à chacune des amies une crêpe délicatement posée sur une serviette papier. William profita de ce moment pour se tourner vers les deux amies.
— Au fait ! Nous nous sommes présentés. Mais pas vous. Avec qui avons-nous l’honneur de passer ces agréables moments Mesdemoiselles, leur demanda-t-il d’un ton flatteur ? Nous ne connaissons pas vos prénoms sauf si vous souhaitez rester incognito bien sûr.
Marie que ce beau jeune homme avait littéralement envoûtée à la fois par sa prestance et par son langage choisi, s’empressa de répondre.
— Oh ! Non ! Pas du tout. Voilà Denise et moi c’est Marie. Nous sommes très amies toutes deux. Vous pouvez bien sûr nous appeler par nos prénoms.
— Bien ! rétorqua William. Maintenant que les présentations sont faites, nous pouvons trinquer et boire à cette merveilleuse soirée en votre compagnie Mesdemoiselles.
Marie commença la première à boire.
— Ce jus de pommes est réellement toujours aussi frais, mais je le trouve plus piquant au goût que celui que nous avons consommé jusqu’ici. Pas toi Denise ?
Cette dernière la regarda avec étonnement.
— Attend. Je goûte le mien.
Elle but une gorgée de son verre et regarda son amie profondément étonnée.
— Non ! Je ne trouve pas. Il manque peut-être un peu de sucre, mais je ne le trouve pas vraiment différent de celui d’avant. Le fait d’être assoiffée a dû t’irriter la gorge et c’est pour cela que tu le trouves légèrement piquant.
À ces mots, William, lui aussi, porta son verre à ses lèvres.
— Oui Marie, Denise a raison. Il est très bon et surtout très frais. Et le tien Nicolas ?
Ce dernier en avala une bonne moitié de verre.
— Effectivement, il l’est. Tu peux le boire sans arrière-pensée Marie. Tu dois évidemment avoir besoin de bien te désaltérer après avoir participé à cette ronde improvisée.
— Bon ! rajouta alors William. Maintenant, goûtons à ces bonnes crêpes. Le sucre de dessus remplacera celui qui manquait peut-être au jus de pommes !
Marie ne posa plus de question. Elle finit de boire son verre tout en dégustant les crêpes. Une fois son verre vidé, elle se leva.
— Bien. Il est temps à présent de retourner sur la piste de danse. Acceptez-vous de nous servir de cavaliers messieurs ?
William échangea discrètement un clin d’œil avec Nicolas avant de tendre son bras à Marie pour l’inviter à le suivre.
— Bien entendu Mademoiselle. Allons-y. Mais attention à mes pieds, ils sont fragiles. Nicolas, je te laisse le soin d’inviter Denise.
Ce disant, il éclata de rire déclenchant, par la même occasion, celui des deux amies totalement conquises par le charme de ce jeune homme qui leur parlait comme s’il s’adressait à des personnalités. Les voilà tous lancés sur la piste, obligés parfois de jouer des coudes pour se faufiler parmi les autres couples de danseurs. Les deux amies se sentaient particulièrement fières de danser aux bras de ces deux beaux et séduisants jeunes gens surtout devant les regards envieux que leur lançaient les autres jeunes filles présentes à la fête.
Mais régulièrement et discrètement, sans en aviser Denise et Nicolas, William entraîna Marie vers les tables et les bancs. Et à chaque arrêt, faisant courtoisement patienter cette dernière, il se chargea lui-même d’aller chercher les boissons. Marie se sentait honorée d’une telle galanterie. Au fur et à mesure que le temps s’écoulait, elle se sentait de plus en plus légère, heureuse, gaie. Elle riait à chaque parole prononcée par William oubliant jusqu’à la présence de son amie. Elle était totalement subjuguée par son beau cavalier. Elle ne parvenait plus à penser à personne d’autre que lui. Chaque parole qu’il prononçait lui procurait une joie immense. Les minutes défilèrent. L’horloge de l’église sonna douze coups indiquant que minuit était arrivé. Alors que William et Marie s’apprêtaient une nouvelle fois à se lancer sur la piste, Denise, suivie de Nicolas parvint à leur hauteur.
— Marie, dit-elle, la soirée est bien avancée. Je crois qu’il est temps maintenant de rentrer. Tu sais qu’il nous faut un minimum de repos avant de nous lever demain matin pour nos travaux journaliers. Nous allons donc dire un grand merci à ces deux jeunes gens pour cette charmante soirée passée en leur compagnie et nous allons retourner nous coucher. Suis-moi. Comme promis à tes parents, nous devons rentrer sagement toutes les deux.
Mais Marie ne sembla pas décidée du tout à lui obéir. Elle se sentait si bien, légère, aérienne. Elle avait la sensation d’être une plume soulevée par le vent, prête à danser, virevolter toute la nuit et comptait donc profiter encore un peu de ces instants magiques, merveilleux qu’elle n’avait jamais ressentis jusque-là. Peu lui importait les dires de son amie. Elle en avait d’ailleurs quasiment oublié la présence. Elle s’appuya fermement sur les coudes en enfonçant ses poings serrés sur ses joues pour lui montrer sa détermination, et lui répondit, d’un ton sec, pour lui confirmer son refus catégorique de la suivre.
— AH ! Non alors. Je reste ici.
William, contrarié dans ses projets, fixa Denise pour donner plus de poids dans ses propos.
— Non comme vient de te le dire Marie, pas question de partir tout de suite. Si tu veux t’en aller, n’hésite pas. Pars ! Nicolas pourra même te raccompagner si tu le désires, mais nous, nous restons encore ici, n’est-ce pas Marie ?
Denise fronça les sourcils et serra les dents pour montrer son désaccord à William, puis s’adressa de nouveau à son amie.
— Marie, ce n’est pas ce qui était prévu. Viens avec moi ! Nous devons obéir à tes parents et rentrer ensemble toi et moi. Il est déjà tard. Nous avons bien profité de cette soirée. Maintenant, il faut être raisonnables. Suis-moi.
Mais rien à faire. Marie ne céda pas. Son visage s’assombrit. Ses lèvres se crispèrent. Elle lança son bras, poing serré méchamment vers son amie.
— Toi rentre, si tu veux, mais moi je reste. Que tu sois contente ou pas, c’est pareil ! Je suis assez grande pour savoir ce que j’ai à faire. Tu peux dégager. Je n’ai pas besoin d’un chaperon. William me raccompagnera bien lui-même. N’est-ce pas William ?
Ce dernier n’en attendait pas tant. Il avait gagné la partie. Marie allait rester avec lui et c’est ce qu’il souhaitait. Denise écarquilla de grands yeux, furieuse de la réaction assez vive de son amie de toujours. Puis elle tourna les talons sans lui dire au revoir et s’éloigna à grandes enjambées. Nicolas lui emboîta le pas. Il comprenait sa colère après l’attitude de Marie à son égard, et il ne voulait pas la laisser rentrer seule. Doucement, pour ne pas sembler lui forcer la main, il lui demanda.
— Acceptes-tu que je te raccompagne Denise et que nous fassions ce bout de chemin ensemble ?
Cette dernière acquiesça d’un simple signe de tête sans pouvoir s’exprimer tant elle était encore irritée des propos et de la manière de se comporter de son amie. Il lui fallut encore plusieurs minutes avant de réagir.
— Oui ! Bien sûr. Parler un peu me fera du bien. Je suis encore stupéfaite de la réaction de Marie. Nous avions passé tant de temps toutes les deux aujourd’hui à préparer joyeusement cette soirée. Nos parents avaient accepté exceptionnellement que nous demeurions un peu plus longtemps ce soir, mais il ne fallait tout de même pas abuser. Elle était tout à fait d’accord. La soirée avait bien débuté puis nous vous avons rencontrés. Nous étions ravies toutes les deux que vous nous ayez choisies comme cavalières. Et puis tout a basculé. Petit à petit, elle a changé. Que s’est-il passé ? Nous avons tant dansé toi et moi que je n’ai pas pensé à m’occuper d’elle. Ton copain William a certainement quelque chose à voir avec cela. Au fond, nous ne savons même pas qui vous êtes vraiment. Toi je t’ai déjà aperçu plusieurs fois au village, mais sans te connaître. Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Comment êtes-vous venus ici ce soir ? Qui est ce William ? Que fait-il ?
Devant une telle avalanche de questions, Nicolas resta perplexe tout en continuant de marcher tranquillement à ses côtés.
— Tu as raison. Eh bien voilà. Je suis le fils du propriétaire du grand haras sur la route de Caen. Tu l’as peut-être déjà vu si tu es passée devant. Nous avons nos propres chevaux de course, mais nous en gardons également d’autres appartenant à des particuliers qui nous payent pour les entretenir et les entraîner pour eux. J’ai connu William au lycée où nous sommes pensionnaires la semaine. La fin de l’année scolaire arrive bientôt, nous n’avons plus beaucoup de travail à faire. Comme il semble passionné par les chevaux je l’ai invité chez moi, au haras, pour quelques jours. Nous avons en pension de superbes étalons et de belles pouliches à lui montrer. Nous possédons un superbe domaine dans lequel il pourra pratiquer l’équitation durant son séjour. Nous avons appris qu’une fête avait lieu ici, dans votre village, ce soir. Nous avions envie de nous amuser un peu, après une année difficile et nous sommes venus à bicyclette jusqu’ici. Voilà ai-je répondu à toutes tes questions ?
— Oui excuse mon attitude à ton égard, mais je suis encore très en colère après la réaction de Marie. Jamais elle ne m’avait parlé ainsi. Je ne la reconnais pas. Nous avions tout prévu ensemble et subitement elle me rejette et m’insulte presque. Elle ne semble plus dans son état normal. Elle semble