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Transférée en Eowhull depuis plusieurs années, Nathanaëlle n’y trouve toujours pas sa place malgré ses pouvoirs de pyromage. Lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte et que son bébé ne survivra pas à la magie de ce monde, elle décide de tout abandonner afin de rejoindre l’arche de passage vers la terre qui appartiendrait aux nains. Accompagnée d’un jeune elfe maudit, elle devra traverser le Désert des Cendres où une guerre millénaire bat son plein.
Pyromages vous entraîne au cœur des périples d’une femme qui veut devenir mère et d’un enfant en quête d’identité, dans un univers dévasté où chaque peuple cherche sa place.
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Seitenzahl: 304
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Thaïs Sire
Pyromages
Roman
© Lys Bleu Éditions – Thaïs Sire
ISBN : 979-10-377-7310-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pour Anaë, la première personne pour qui j’ai écrit des histoires.
Puissent mes futurs lecteurs avoir ton enthousiasme.
Ce roman est destiné aux adultes ainsi qu’aux enfants à partir de 13 ans.
Prologue
Les plumes grattaient le papier. Les pages tournaient sous les index empressés des scribes et des historiens. Les marches du grand escalier craquaient sous les pieds de ceux qui erraient entre les rayonnages. Tous ces bruits résonnaient contre les murs de marbre et les immenses bibliothèques qui les ornaient. Les doigts d’Ilion tapaient sur la table avec un rythme régulier, ajoutant au brouhaha feutré de la Tour des Archives qui rendait son attente plus insupportable encore.
Un son sec le fit sursauter. Il se leva d’un bond, faisant grincer sa chaise sur les tomettes d’argiles, et se précipita auprès de l’étroite fenêtre. Derrière le carreau poussiéreux l’attendait sagement un estafay. L’oiseau gris tacheté portait dans son bec plat la lanière d’une liasse de parchemins roulés. Le scribe prit à peine le temps d’effleurer le plumage soyeux du messager et lui arracha presque sa missive. Sans un regard pour le volatile vexé, il se mit à parcourir les pages frénétiquement. Dans la liste interminable de noms, le sylvain n’en cherchait qu’un, celui de sa fille. Il ressentit un soulagement coupable lorsqu’il eut passé la lettre « C ». Pourtant, son travail n’était pas terminé. À vrai dire, il n’avait même pas encore commencé.
Avec lassitude, il s’assit à son pupitre comme tous les premiers jours de cycle de Sélénée, sortit un parchemin de moindre qualité, trempa sa plume d’estafay dans l’encre et commença à rédiger la première des centaines de lettres qu’il enverrait ce jour-là. Des lettres de condoléances pour les familles des victimes de la Seconde Guerre des Mages.
I
Dans la pénombre multicolore de la chapelle, Nathanaëlle somnolait. Les rayons d’Eos qui traversaient les vitraux bigarrés de la salle circulaire caressaient les paupières mi-closes de la jeune femme et faisaient rougeoyer ses cheveux auburn. On aurait pu croire qu’elle priait, mais son esprit était ailleurs, chez elle. Son véritable chez elle.
La voix cristalline de la prêtresse la berçait sans qu’elle comprenne un mot des louanges en elfique ancien destinées aux Follets. L’instant aurait pu être parfait pour s’évader dans ses souvenirs s’il n’y avait pas eu l’odeur âcre de l’alcool fermenté et de la viande trop salée qui émanait des urnes au centre de la pièce.
Dans le triangle que formaient les trois vases de terre cuite, sur une estrade de bois, la prêtresse élevait la voix, les mains tendues vers le ciel, son regard d’un bleu presque trop clair tourné vers le plafond de pierres. Ses cheveux dorés et son visage fin aux pommettes hautes – typiques de la noblesse – lui donnaient des airs de divinité tombée du ciel. Une robe fluide coulait sur sa silhouette et laissait deviner ses courbes, accentuant son image angélique.
Enfin, elle entama le premier couplet du chant liturgique qui devait clore la cérémonie, bientôt rejointe par toute la communauté. C’était le seul moment que Nathanaëlle attendait lors de l’Illumination. Les enfants, les adolescents et les maîtres chantaient à l’unisson. La langue elfique était mélodieuse et suave. Les notes n’étaient pas toutes justes, mais elles s’unissaient en une harmonie que d’aucuns eurent décrite comme sacrée.
Nathanaëlle ne louait pas les Follets ni ne craignait les Infernaux, mais elle devait avouer que le sentiment d’appartenance qu’elle ressentait en cet instant faisait battre son cœur plus fort. Sans ouvrir les yeux, elle prit la main rugueuse d’Er’gaven à sa droite et la serra doucement. Pendant quelques minutes, elle aurait presque pu oublier que sa place n’était pas ici, dans cette chapelle, avec ce jeune homme. Presque.
Bientôt, les voix s’éteignirent. Tous se levèrent et dessinèrent de leur index un cercle sur le dos de leur main gauche.
« Que les Follets vous guident… commença la prêtresse.
— … Et qu’ils éloignent les Infernaux, clama la foule en chœur. »
Les enfants n’attendaient que ce moment pour se faufiler entre les bancs concentriques et se précipiter vers l’escalier en colimaçon de la tour. Ils dévalèrent les marches, ignorant avec superbe les protestations des adultes.
Nathanaëlle s’apprêtait à les suivre quand une main rugueuse la retint. Ses yeux se plongèrent dans le regard vert d’Er’gaven. Ses cheveux bruns – plus longs qu’à l’accoutumée – commençaient à frisotter et une barbe encore éparse couvrait son menton volontaire.
« Un petit entraînement ? lui proposa-t-il avec malice.
— Tu sais bien que j’ai promis à Idriël de l’aider à s’occuper des cadets.
— Encore avec ce gamin… Après manger alors ? »
La jeune femme acquiesça et déposa un chaste baiser sur les lèvres fines de son compagnon. Avec un regard à demi coupable, elle s’esquiva pour rattraper les enfants qui l’attendaient en bas.
La communauté ressemblait à un vieux monastère avec ses lourdes pierres, ses voûtes et son cloître qui entourait une cour carrée. Très certainement, les premiers humains transférés en Eowhull avaient été des Européens du Moyen-Âge et en avaient rapporté le style romain. C’était en tout cas ce que l’on pouvait lire dans les archives.
Les fenêtres trop étroites ne laissaient entrer que de minces rayons de lumière et les sols nus donnaient aux dortoirs et aux salles de classe un air des plus austères. Pourtant, au fil des siècles, les bâtiments n’avaient pas vraiment changé : les humains étaient trop occupés à se battre aux côtés des elfes pour se lancer dans l’architecture. Il faut dire qu’un seul Homme était plus puissant que des dizaines de sylvains. Si les elfes étaient des guérisseurs hors pair et savaient manier l’air et le vent grâce à leur aura, les pyromages, comme Nathanaëlle, maîtrisaient le feu et – à un certain âge – pouvaient même prendre la forme de redoutables dragons.
Idriël était au pied des marches, les mains dans les poches de son pantalon de toile. Son cou était enfoui dans son écharpe bleu nuit constellée d’étoiles brodées et mille fois raccommodée. Le blondinet rayonnait de bonheur en regardant les cadets s’éparpiller dans la cour.
Il avait beau avoir fêté ses quinze ans, il gardait une âme d’enfant. Il avait toujours l’esprit ailleurs et semblait tout ignorer de la guerre. Né au Canada, il parlait français et c’était lui qui avait enseigné l’elfique à la petite Parisienne qu’était Nathanaëlle à son arrivée, trois ans auparavant.
L’adolescente avait alors tout juste dix-sept ans. La joie de vivre de l’enfant et son attitude de monsieur je-sais-tout l’avaient d’abord agacée, mais ils étaient vite devenus complices. Au début, meneurs des cadets pour les enrôler dans des bêtises toujours plus abracadabrantes, ils étaient maintenant volontaires pour aider les nourrices dès qu’ils en avaient le temps. Les elfes dépêchés au sommet des Rocheuses pour s’occuper des petits humains appréciaient toujours leur aide.
Nathanaëlle partageait avec Idriël cet apaisement à voir les bambins jouer et crier, libres des soucis des adultes. La plupart avaient oublié leur ancienne vie et si cela serrait parfois le cœur de la jeune femme, c’était en réalité une bénédiction.
Elle-même, arrivée juste après son entrée au lycée, n’arrivait pas à oublier ses parents et ils la hantaient chaque nuit. Sans exception. Parfois, elle se demandait s’ils l’auraient protégée s’ils avaient découvert sa magie. Tous les adultes de la communauté – humains comme elfes – assuraient le contraire. Nathanaëlle espérait qu’ils se trompaient.
La jeune mage secoua la tête pour chasser la mélancolie qui menaçait de l’envahir et tapa plusieurs fois dans ses mains pour attirer l’attention des petits monstres.
« Qui est prêt pour un cache-cache ? »
Les acclamations des enfants étaient une réponse bien suffisante.
Seul l’un d’eux, Arthaer, resta silencieux. C’était le seul enfant elfe de la communauté. Il était aveugle et sa cécité était considérée comme une malédiction des Infernaux. Des textes anciens rapportaient les désastres causés par les enfants qui avaient le malheur de naître sans la vue. Nathanaëlle pensait que ces légendes étaient aussi réelles que les mythologies de son monde, mais les elfes n’étaient pas de son avis. Envoyé dans les montagnes dès sa plus tendre enfance par les Sages de sa cité, Arthaer était un solitaire.
Comme d’habitude, une nourrice lui lisait un énorme pavé. Certains jours, c’était une encyclopédie, d’autres fois un livre de grammaire naine ou de vocabulaire saurial. Nathanaëlle ne tenta pas de forcer l’elfe à se joindre à la partie.
« Je compte ! » annonça-t-elle.
La jeune femme avait déjà trouvé vingt-deux des vingt-six enfants de la communauté. Elle soupçonnait Idriël d’avoir aidé les quatre derniers. Suivie par tous les perdants, elle entra dans la cantine et s’accroupit pour regarder sous les longues tables et leurs bancs. Bredouille, elle alla jusqu’à jeter un œil à l’immense âtre de la cheminée de briques.
Alors qu’elle s’apprêtait à tourner les talons pour aller écumer les dortoirs, un chuchotement lui parvint, immédiatement étouffé. Elle se retourna et posa un doigt sur ses lèvres puis avança à pas de loup vers la porte de la cuisine. Les cadets retenaient leur rire quand elle ferma sa main sur la poignée et la fit pivoter d’un coup.
« Trouvés ! » cria-t-elle en découvrant Idriël et les quatre fugitifs.
Ils sursautèrent tous et l’adolescent se rattrapa de justesse sur un lourd sac de farine de vehnä. Ce dernier ploya sous son poids et répandit une poudre orangée. Une fillette aux cheveux crépus éternua alors que son camarade venait de lui en envoyer dans la figure. Avant même que Nathanaëlle ait pu intervenir, les vingt-six tornades étaient dans la cuisine et une bataille avait éclaté.
Les rayons d’Eos qui traversaient la fenêtre de la pièce donnaient des reflets dorés aux grains de farine qui volaient. Le rire des enfants éclatait et ricochait contre les murs et les deux jeunes gens ne purent s’empêcher de se joindre à l’hilarité générale.
Pourtant, une voix grinçante interrompit l’instant.
« Que se passe-t-il ici ? »
Tous se figèrent et même la farine parut retomber plus vite après que la question eut claqué dans la cuisine. Une robe grise à froufrous fendit la foule des petits fantômes roux jusqu’à arriver aux deux responsables. Un rictus de rage laissait voir les canines qui valaient le surnom de vampire à la révérende.
« Encore vous ? » s’étrangla-t-elle.
Idriël feignit un air contrit tandis que Nathanaëlle soupira avec un demi-sourire. Les enfants s’étaient tassés derrière eux, les yeux braqués sur leurs souliers en cuir.
« Des voyous, voilà ce que vous êtes tous ! Puisque vous gaspillez de la nourriture, vous serez privés de dessert ce soir. »
Les cadets grimacèrent. La vieille femme se félicita de leur déception et releva la tête, son long menton en avant, sans se douter qu’ils avaient en fait esquissé un rictus de dégoût en pensant à l’affreux gruau de vehnä qui leur était servi chaque jour.
« Quant à vous deux, vous vous chargerez du ménage de cette pièce, de la douche des enfants et de la vaisselle ce midi. »
Les épaules de Nathanaëlle s’affaissèrent.
Le son du métal frottant sur les tomettes et rebondissant à chaque joint mettait les nerfs de Nathanaëlle à rude épreuve. Er’gaven ne s’était pas énervé quand elle lui avait avoué qu’ils devraient reporter leur entraînement à la fin de l’après-midi, mais il avait mis un point d’honneur à avoir l’air le plus renfrogné possible. Tout ce qu’il avait fait depuis qu’elle l’avait rejointe après ses corvées était grommeler et traîner son arme derrière lui.
« Encore un enfantillage, râlait-il. Et avec cet abruti en plus…
— Parce que bouder n’est pas puéril peut-être ? se moqua la mage. Plus que trois cycles de Sélénée avant tes vingt ans, tu devrais mûrir un peu. »
Le jeune homme prit une longue inspiration et s’arrêta, poussant sa compagne à se retourner. Il ne put ignorer son sourire malicieux et charmeur, mais tenta de garder son sérieux :
« Je voulais juste passer un peu de temps avec toi, protesta-t-il, et t’aider à enfin rattraper ton retard. »
Il était vrai que malgré les quatre années passées à la communauté, Nathanaëlle ne semblait tout simplement pas faite pour manier une arme. Ses coups étaient puissants, mais elle manquait cruellement de précision et de rapidité. Malgré tous ses efforts, elle n’arrivait pas au niveau de ceux qui s’entraînaient depuis leur adolescence. Elle avait finalement opté pour une hache à double tranchant pour que chaque coup asséné fende le crâne de ses ennemis, mais ce n’était pas suffisant.
« Je maîtrise la magie comme peu d’entre nous, se défendit-elle. Dès que je saurai me transformer en dragon, je n’aurai plus besoin d’apprendre la moindre technique de corps à corps.
— Personne ne sait ce qui peut se passer dans un combat. Quand la forme draconique de maître Val’acar a été mutilée, c’est son épée qui l’a sauvé. »
Nathanaëlle leva les yeux au ciel, mais ne répondit pas.
Elle vit soudain maître Sylène courir vers la porte. La chemise en lin brodée de cerises de la jeune femme voletait derrière elle et des mèches entières échappaient à son chignon qui se balançait au rythme de ses pas. Les deux jeunes gens se regardèrent, inquiets que quelqu’un se soit aventuré au-delà de la zone de confinement. Respecter ces limites pendant la période de mise bas des wendigo’wak était conseillé à qui voulait survivre : ces loups aux bois de cerfs étaient sans pitié lorsqu’il s’agissait de nourrir leur portée.
Ils furent cependant rassurés quand ils sortirent à la suite de la jeune professeure : elle voulait seulement accueillir le nouveau membre de la communauté. En léger contrebas, deux elfes descendaient de leurs istriefs. Les montures aux allures de cervidés étaient plus adaptées aux sentiers de forêts et traînaient de la patte sur les flancs escarpés des pics des Rocheuses.
L’un des deux voyageurs portait une fillette à la peau mate. Maître Sylène vint caresser ses cheveux trempés de sueur. Ses yeux s’agitaient vivement sous ses paupières closes et des frissons parcouraient tout son corps. Au moins avait-elle survécu au transfert, pensa Nathanaëlle.
Il n’était pas rare qu’un enfant – trop jeune ou trop fragile – meure à son arrivée en Eowhull. Ce n’était pas si étonnant. Aussi miraculeuse cette cérémonie soit-elle, le voyage entre les mondes était l’épreuve la plus douloureuse que Nathanaëlle ait jamais connue. Même des années après, l’aura qui coulait dans ses veines la brûlait comme au premier jour.
« On devrait y aller, dit la jeune femme.
— On pourrait donner un coup de main », proposa Er’gaven.
Mais le jeune homme se ravisa quand il vit le visage de la mage se tordre comme en miroir de celui de l’enfant. La douleur du transfert était encore trop vive dans sa mémoire et elle la revivait chaque fois qu’un nouvel enfant arrivait. Er’gaven lui prit la main et la tira à l’écart de la scène, Messire Sayr’ha saurait mieux qu’eux comment s’occuper de la fillette. Le médecin avait l’habitude.
Cela faisait déjà des siècles que, de temps à autre, une étrange transe s’emparait d’un elfe. Personne ne savait comment était choisi l’heureux élu, mais les prêtres étaient formels : c’était l’œuvre des Follets. Un lien se formait alors entre la Terre et Eowhull, une porte s’ouvrait entre les deux mondes, permettant le passage de l’humain dont l’aura s’était éveillée, et se refermait aussitôt. Les mages n’avaient pas le choix, mais comment auraient-ils pu refuser une offre des Follets ? Aussi, jamais au grand jamais, un elfe n’avait lutté contre sa transe.
Après quelques échanges de hache et d’épée, la mauvaise humeur d’Er’gaven s’était envolée. Nathanaëlle l’aurait parié. Elle savait bien que le jeune homme n’était pas réellement en rogne contre elle. Chaque année, c’était la même chose. Pendant la période de mise bas, il devenait susceptible et grognon. L’enfermement ne lui réussissait pas.
À vrai dire, la mage le comprenait. Elle-même se languissait des longues randonnées qu’ils faisaient tous les deux dans les montagnes. Dormir à la belle étoile – loin des murs de pierre de la communauté – lui manquait.
Elle aimait être seule avec Er’gaven. Il lui semblait que quand ils n’étaient que tous les deux, le jeune homme se transformait. Il devenait plus doux, plus rieur aussi. Il n’était plus question de guerre ou de Follets, juste de profiter de la chaleur des nuits d’été.
Enfin… La zone de confinement était très restreinte, mais au moins s’étendait-elle plus loin que la petite cour carrée au milieu du cloître.
Plongée dans ses pensées, Nathanaëlle n’eut pas le temps d’esquiver le coup d’Er’gaven et il dut retenir son geste pour ne pas lui déboîter l’épaule. Un sourire victorieux se dessina sur les lèvres fines du jeune homme, mais il s’effaça bien vite quand un coup du plat de la hache de son adversaire le déséquilibra. Les fesses dans l’herbe humide, il râla abondamment sur la déloyauté de l’attaque, mais Nathanaëlle, riant aux éclats, ne l’écoutait pas.
Devant la mine faussement renfrognée de son compagnon, la jeune femme lui tendit sa main pour l’aider à se relever. Il la saisit dans sa poigne rugueuse et son visage s’éclaira. Quand il fut de nouveau sur ses deux pieds, il déposa un baiser sur la joue de Nathanaëlle avant de la renverser à son tour avec un sourire malicieux.
Le couple était allongé dans l’herbe rase de la vallée, leurs armes posées telles quel à quelques mètres d’eux. Er’gaven aurait bien continué encore un peu, mais Nathanaëlle avait été prise d’un léger vertige. Un silence apaisé s’était installé. La jeune femme avait posé sa tête sur le torse de son amant, et il avait passé son bras autour d’elle, protecteur.
Sur les flancs abrupts, des dahus broutaient, tentant d’arracher les chardons qui poussaient entre les pierres. Les pattes asymétriques de ces drôles de chèvres les condamnaient à rester sur la même montagne toute leur vie. En faire l’élevage avait été un jeu d’enfant pour les premiers membres de la communauté.
Un vent frais s’engouffrait entre les sommets, charriant avec lui les hurlements sinistres des wendigo’wak. Nathanaëlle ferma les yeux pour sentir la chaleur printanière sur ses paupières, mais son esprit dériva aussitôt, fuyant Eowhull.
Le visage de ses parents s’imposa à elle, plus flou chaque fois qu’il revenait. Leurs voix résonnaient dans sa tête, mais elles n’étaient maintenant plus que des murmures. Cet oubli progressif la terrifiait et de plus en plus, elle pensait aux nains.
Ces barbares qui leur faisaient la guerre depuis des centaines d’années voulaient bannir les mages de leur monde. Ils avaient un portail – disaient-ils – qui reliait Eowhull à la Terre. Nathanaëlle avait souvent pensé à traverser le désert des Cendres pour rejoindre le royaume d’Ankor et trouver ce portail, mais la peur la retenait dans les montagnes. Après tout, elle avait quitté une famille certes, mais c’était pour en retrouver une autre. Une qui ne la transformerait pas en cobaye et qui ne l’enfermerait pas par peur de sa différence. Peut-être que tout cela ne serait pas arrivé, mais ici elle était certaine d’être en sécurité. De quoi d’autre avait-elle donc besoin ?
D’avoir le choix peut-être. L’elfe qui avait senti son appel ne lui avait pas demandé son avis. Nathanaëlle aurait bien aimé croire les prêtres et les Sages sur parole quand ils assuraient que la transe divine émanait des Follets, vraiment. Mais elle se demandait toujours comment ils avaient déterminé que les symboles tracés au sol et les incantations chantées par ces élus ne venaient pas des Infernaux ou de n’importe quelle autre force spirituelle pouvant exister dans ce monde.
Er’gaven lui disait souvent qu’elle n’entendait pas les voix des Follets parce qu’elle ne les écoutait pas. Il se trompait. Pendant les mois qui avaient suivi son transfert, elle les avait priés tous les jours de la renvoyer sur Terre et avait attendu leur réponse avec une ferveur désespérée. Elle n’en avait jamais eu.
« À quoi tu penses, Ysis ? » lui demanda Er’gaven.
La jeune femme se tendit à l’entente de ce nom elfique qui ne serait jamais le sien. Elle n’avait pourtant pas réussi à convaincre son compagnon de l’abandonner. Selon lui, cela ne ferait que lui rappeler une vie qui n’était plus la sienne.
« À rien, répondit-elle en se forçant à avoir l’air rêveuse. »
Elle savait que ses doutes inquiétaient le jeune homme.
« Je me disais juste que j’avais de la chance de t’avoir, mentit-elle. Je me sens à ma place quand je suis avec toi.
— Je vais bientôt devoir partir, souffla alors son compagnon.
— Je sais. »
Nathanaëlle n’en était que trop consciente. Il aurait vingt ans dans trois cycles de Sélénée, à peine trois mois et demi. Le couple aurait à peine le temps de profiter de l’arrivée des beaux jours et de la fin du confinement avant que la guerre ne les sépare. La jeune femme redoutait ce moment. Elle avait menti en disant qu’elle pensait à lui à l’instant, mais pas tout à fait quand elle disait se sentir à sa place avec lui. Quand ils étaient ensemble, seuls, elle n’avait plus l’impression d’être bloquée en Eowhull.
« Je… Je crois que j’ai un peu peur… »
La voix d’Er’gaven n’était qu’un murmure. Nathanaëlle se redressa sur son coude. Elle se sentait toujours privilégiée quand le jeune homme lui confiait ses craintes. Elle savait qu’il ne s’était ouvert à personne d’autre à ce sujet depuis des années.
« Moi aussi, lui avoua-t-elle. Je ne veux pas t’imaginer là-bas, au milieu des combats. Je sais déjà que l’attente de tes lettres me rendra malade, que je tremblerai chaque jour en pensant à toi. Mais tu t’en sortiras. Maître Val’acar dit que tu es probablement l’élève le plus déterminé qu’il ait jamais vu manier une épée et personne ne lui donnerait tort !
— Mais si… Si le fait que je n’arrive pas à me transformer, même pas les premières étapes… Si ça voulait dire que les Follets ne me pensaient pas digne ?
— Tu ne seras pas le premier à quitter la communauté sans savoir te métamorphoser. Ça viendra. Et puis, je te rejoindrai. Il n’y aura que quelques cycles à attendre. »
La jeune femme dessinait le contour du visage anguleux de son compagnon du bout de son pouce. Er’gaven sourit.
« Tu as raison. Ce ne sera pas si long. »
Après un court silence, le jeune homme leva le bras vers le ciel, le doigt pointé vers un nuage isolé.
« Eh ! Regarde ! On dirait un tinger, il y a ses grandes oreilles, là, à droite. »
Nathanaëlle suivit son conseil et ne put qu’acquiescer en riant. Elle se laissa retomber dans l’herbe, sa tête posée sur l’épaule d’Er’gaven, cherchant à son tour un dessin dans la masse cotonneuse qui glissait au-dessus d’eux. À défaut des habituelles constellations à nommer, ce serait au tour des nuages de se faire baptiser !
La révérende sonna la cloche dans la cour de la communauté et les couloirs se remplirent d’enfants et d’adolescents bruyants et pressés. Ils se bousculaient pour rejoindre leur cours d’arithmétique, d’elfique ou d’histoire.
Nathanaëlle se faufilait derrière la silhouette ronde de Nerwen et les tresses collées d’Uëliss pour rejoindre le cours de maniement de la magie. Ses deux compagnes de dortoirs étaient plus jeunes qu’elle et étaient encore toutes excitées à l’idée d’aller réveiller leur aura. Nathanaëlle haïssait cette essence parasite qui était partout, de ses veines jusqu’au cœur du monde. C’était la Pulsation d’Eowhull qui tuait les nourrissons, ce battement sourd de l’atmosphère qui hantait la jeune femme comme un acouphène permanent.
Nathanaëlle se sentit soudain projetée vers le mur de pierre, alors que la foule se pressait sur la gauche du couloir. La mage leva les yeux au ciel, elle connaissait sans la voir la cause de ce mouvement général : le passage d’Arthaer. Elle profita de ce que tous se signaient avec effroi d’un cercle sur la main pour rattraper ses deux camarades et les entraîner vers l’escalier, dépassant le druide sans plus de cérémonie.
Les cours de maître Sylène se déroulaient un peu à l’écart de la communauté, à la limite de la zone de confinement. L’air était froid. Des nuages de brumes s’accrochaient au sommet des montagnes environnantes. Les trois jeunes filles ignorèrent les chemins rocheux et coupèrent à travers la végétation chétive des Rocheuses. Elles passèrent alors devant un troupeau de dahus resserrés les uns contre les autres.
Nathanaëlle les regarda avec malice.
« J’ai hâte d’être à dimanche, se réjouit-elle.
— La dernière idée d’Idriël te plaît ? lui demanda Nerwen avec curiosité.
— Beaucoup… éluda la jeune femme.
— Allez ! la pressa son amie. Crache le morceau !
— On va ramener un dahu dans la chambre de la révérende. Les enfants vont adorer ! »
Uëliss resta silencieuse, toujours peu enthousiaste de découvrir la prochaine amusoire que réservait Nathanaëlle aux cadets. Nerwen par contre pouffa de rire, elle imaginait déjà la fureur de la vieille dame.
Le trio arriva en retard. Une dizaine d’élèves de tout âge était déjà dispersée dans la vallée. D’aucuns se concentraient pour enflammer des mannequins de bois tandis que d’autres tentaient de se métamorphoser. Chacun savait ce qu’il avait à faire et maître Sylène passait de l’un à l’autre pour les encourager et les conseiller.
Nathanaëlle salua ses amies, s’écarta du groupe et ralentit sa respiration avec appréhension. Elle sentait l’aura couler dans ses veines et vibrer avec la Pulsation émanant du sol. Concentrée pour accorder son souffle aux battements du monde, la jeune femme ne remarqua pas la bulle inerte qui naissait dans son ventre. Elle continua d’inspirer et d’expirer lentement et connecta sa pensée au flux de magie qui la traversait. Elle se mit à l’agiter et son sang pétilla puis bouillonna jusqu’à la brûler.
Elle dirigea ensuite la substance éveillée vers sa peau qui fut alors traversée par des écailles d’un bleu opalescent. Les plaques épaisses sortaient sans faire tomber la moindre goutte de sang, mais la mage avait l’impression que des centaines de petits poignards la transperçaient de toute part. Pourtant, elle laissa son corps se recouvrir de cette armure de kératine et guida son aura vers ses os. Des craquements annoncèrent leur métamorphose. Ils s’allongèrent et s’épaissirent.
Les coutures de la tunique de Nathanaëlle craquèrent à leur tour alors que des bosses se formaient sur ses omoplates. La douleur était au bout de chacun de ses nerfs. Avant d’arriver ici, elle n’aurait pas supporté une telle souffrance, il faut croire que l’on s’habitue à tout.
Le visage de la jeune femme se déformait, sa mâchoire s’avança et son nez se transforma en un museau semblable à celui d’un caïman. Nathanaëlle n’avait jamais été aussi loin et elle devait lutter pour se forcer à maintenir l’ébullition de l’aura dans tous ses vaisseaux sanguins. Alors que ses côtes s’élargissaient et que son dos se courbait, elle sentit la magie lui échapper comme de l’eau lui filant entre les doigts. Elle grogna alors de frustration et ferma les poings pour retenir le flux volatile, en vain. À bout de force, elle lâcha prise et se laissa tomber au sol.
La torture n’était pas terminée. Les écailles se rétractèrent, les os se tordirent à nouveau, sa cage thoracique se resserra et lui coupa le souffle. Après de longues minutes, la magie se calma enfin. Tapie dans ses veines, elle se remit à battre avec le monde avec une régularité obsédante.
La jeune pyromage s’assit. Des étoiles scintillaient devant ses yeux et une migraine lui barrait le front. Elle observa les autres élèves en reprenant sa respiration. Nerwen et Uëliss se défiaient pour savoir qui ferait la plus grande flamme. Elles aussi pourraient bientôt s’entraîner à la métamorphose. À quelques pas d’elles, la petite Fihin avait les paupières closes et ses mains d’enfant tournées vers le ciel.
Une étincelle naquit juste au-dessus, encore vacillante. Elle ouvrit les yeux et poussa un petit cri d’émerveillement. Pourtant sa joie ne fut que de courte durée. L’étincelle se mua en flamme dévorante qui engloutit sa main et passa à quelques millimètres de son visage.
Avant même que maître Sylène n’ait pu intervenir, le feu était mort et les doigts de la fillette se couvraient de cloques. Un premier hoquet la secoua, suivi de lourds sanglots. La professeure se précipita vers elle, mais le mal était fait. Elle l’entoura de ses bras potelés et la serra contre sa poitrine généreuse.
« Ça va aller, chuchota-t-elle. Messire Sayr’ha va réparer tout ça.
— Je veux mon papa et ma maman… » gémit l’enfant.
La professeure eut un brusque mouvement de recul, comme brûlée par les mots de l’enfant, surprise par sa détresse. Cette réaction sidéra Nathanaëlle. Venait-elle donc de découvrir ce que ressentaient tous les transférés ? N’avait-elle donc aucun souvenir de sa propre enfance en Eowhull ? Des larmes qu’elle avait sûrement versées lorsque, roulée en boule de douleur, elle avait appris qu’elle ne reverrait jamais sa famille ?
La jeune femme aurait voulu prendre la Maître à partie, lui rappeler ce que le transfert était pour un enfant. Mais elle ne pouvait pas se permettre d’être punie ce dimanche : Fihin attendait avec impatience de voir un dahu sur le lit de la révérende.
***
Idriël frissonnait dans son manteau en cuir de menta’nuru – des fauves du désert – et il peinait à suivre le pas rapide de Nathanaëlle. Pourtant il ne regrettait rien. Les bêlements et les chevrotements du dahu mêlé aux rires des enfants résonnaient toujours dans son esprit. La vision des petites crottes cubiques sur les draps impeccablement bordés était comme un rêve éveillé.
Bien sûr, le jeu aurait pu durer plus longtemps si ce fayot d’Arthaer ne les avait pas dénoncés. En plus de terroriser toute la communauté avec son regard vide, le gamin était un misérable mouchard. Enfin, c’était ce dont se plaignait Idriël, à la traîne derrière son amie.
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« Il est mis à l’écart par les siens et par nous et tu t’étonnes qu’il soit un peu revanchard ? ironisa la jeune femme. C’est facile de critiquer.
— Ce n’est pas comme sur Terre ici, les aveugles sont maudits ! Et un druide maudit peut être sacrément dangereux. D’ailleurs, celui qu’on nous a collé dans les pattes n’a jamais réussi à rien soigner ! Leur magie n’est pas celle des Follets », insista le blondinet.
La jeune femme se tut, comme souvent. Débattre des Follets avec l’adolescent revenait à discuter avec Er’gaven du portail des nains ou avec la révérende du bien-fondé ou non des transferts. Ils baignaient dans leurs opinions depuis tellement longtemps qu’ils ne se posaient plus la moindre question. Elle repensa à maître Sylène plus tôt dans la semaine. La professeure se mentait à elle-même en pensant que tous les mages étaient heureux de leur transfert, mais elle vivait dans ce mensonge depuis plus de dix ans : comment lui en vouloir ? Pouvait-on lui demander de mettre en doute les nourrices qui l’avaient élevée et la prêtresse qui avait célébré son baptême elfique et sa consécration de Maître ?
Leur petite plaisanterie avait quand même valu à Idriël et Nathanaëlle une punition sévère. Ils avaient été chargés de graver dans l’écorce de l’Arbre-Tout-Seul les noms des pyromages tombés au combat pendant le cycle de Sélénée qui venait de s’écouler. La lettre était arrivée la veille, envoyée par estafay de la tour des Archives.
Nathanaëlle ne connaissait aucun des deux prénoms griffonnés sur le parchemin, mais Idriël se souvenait avoir connu la fille quand il était enfant et, elle, déjà presque adulte. Il n’en avait que peu de souvenirs, mais connaître son visage et sa voix la rendait déjà trop réelle pour que sa mort ne soit qu’un chiffre.
Les deux amis avaient bien sûr amené des ciseaux à bois ainsi que leurs armes. L’Arbre-Tout-Seul était au-delà de la limite de la zone de confinement. Il avait été planté sur un sommet voisin de la communauté, là où aucun autre arbre n’avait daigné pousser. L’aura d’un elfe Druide et de ses suivants lui avait donné vie et il étendait maintenant ses branches majestueuses et ses feuilles pourpres au-dessus de la végétation craintive des Rocheuses.
Son écorce rude accueillait le nom de tous les dragons décimés par les nains depuis le début des combats de la Première Guerre des Mages. Le tronc était large, mais les noms étaient innombrables et ils montaient tellement haut que Nathanaëlle et Idriël devraient escalader avec une corde pour se suspendre à la bonne hauteur.
Des hurlements lupins prenaient écho sur les flancs de la montagne. Les grands charognards des Rocheuses étaient de sortie et tournoyaient dans le ciel printanier, attendant la prochaine victime des wendigo’wak. Sans hésiter, Nathanaëlle commença l’ascension, laissant sa hache à terre. Les deux trublions travaillèrent en silence, s’écorchant les mains sur l’écorce rêche de l’arbre, n’osant pas insulter la révérende dans ce lieu sacré. Nathanaëlle n’avait pas beaucoup de scrupules pour les Follets et les Infernaux, mais le souvenir des mages l’intimidait.
La jeune femme essuyait la sueur qui coulait sur son front lorsqu’elle sentit une odeur fauve. En alerte, un mouvement en contrebas attira son regard. Un buisson presque nu peinait à cacher trois silhouettes recroquevillées. Cela aurait pu être des tingers mal nourris, mais ces chimères à l’allure de lapins mutants ne quittaient leur terrier que la nuit et Eos était encore haut dans le ciel. Ses doutes furent confirmés lorsque les trois louveteaux efflanqués sortirent de leur couvert et se dirigèrent… Vers l’arbre.
Seuls, ils étaient inoffensifs, mais leur mère n’était jamais loin. Nathanaëlle suivait leur démarche pataude, leurs reniflements curieux et les dandinements de leurs têtes allongées ornées de bois. Encore quadrupèdes, perchés sur des pattes trop élancées pour eux, ils auraient presque pu être drôles.
« Idriël… murmura-t-elle.
— Pourquoi tu chuchotes ?
— Ne regarde surtout pas en bas. »
C’était un conseil qu’il n’aurait pas fallu donner. Intrigué, le jeune homme laissa son regard tomber au pied de l’arbre et y rencontra celui d’un blanc jaunâtre des nouveau-nés. Ses muscles se tendirent d’un coup et il laissa échapper un couinement strident. Il n’en fallait pas plus pour alerter la mère aux aguets.
Alors que Nathanaëlle pestait contre son complice, une ombre blanche aux côtes ciselées s’approcha en grognant. La créature faisait plus de deux mètres et étant penchée vers l’avant. Les bras ballants, les babines retroussées, elle serait auprès de ses rejetons en quelques secondes.
Sans attendre, Nathanaëlle descendit de l’arbre, se griffant la joue et les coudes sur l’écorce. En sautant le dernier mètre, elle bouscula l’un des petits qui courut se mettre à l’abri avec le reste de sa fratrie. La jeune fille ramassa sa hache et se retourna pour faire face à l’ennemi. Elle aurait aimé être plus rapide pour avoir le temps d’invoquer son aura, mais… C’était trop tard.
En cet instant, l’haleine fétide du wendigo la prenait à la gorge et le filet de bave qui dégoulinait de sa gueule entrouverte menaçait de couler sur sa joue. La mage vit la patte du monstre se lever pour lui arracher la carotide, mais elle la repoussa d’un coup du manche de son arme. Puis elle recula d’un pas et leva sa lame. La bête était puissante, mais un tant soit peu alanguie, peut-être affaiblie par sa mise bas. La hache s’abattit sur son bras qui se couvrit d’un sang pourpre.
Plutôt que de répliquer, la louve aux bois de cerfs leva la tête vers le ciel et poussa un long hurlement distordu. La jeune femme lui trancha la gorge d’un revers de hache, mais le mal était fait : la meute était en route. Sans hésiter, l’arme faucha les trois orphelins qui s’avançaient vers le cadavre de leur mère.
« Il faut qu’on file… souffla Idriël en glissant doucement le long du tronc.
— Toi oui, pas moi, le contredit son amie. Ils vont rappliquer d’une minute à l’autre, on ne courra pas assez vite.
— Hors de question de te laisser seule, je reste. »
Le jeune homme était déjà en position de combat, son épée courte serrée dans ses mains moites. Nathanaëlle n’eut pas le temps de protester, le bruissement des cailloux ballottés par la course de la meute annonçait son arrivée. En hurlant, la jeune femme se lança à l’assaut.
Face à elle, cinq masses décharnées cavalaient, moitié bipèdes, moitié à quatre pattes. Leur peau tendue sur leurs os semblait prête à se déchirer. Arrivées à la hauteur de la mage, elles l’encerclèrent et se redressèrent. Nathanaëlle fit virevolter sa hache et dessina de longues estafilades sur le pelage épars des créatures. Elle sentit de longues griffes déchirer sa chemise et la peau de son dos puis entendit la lame d’une épée contre des os. Le wendigo se retourna, prêt à déchiqueter l’importun, mais une hache de jet lui arracha la mâchoire. Idriël fut si surpris qu’il en resta figé un instant.
« Achève-le ! lui ordonna la voix familière d’Er’gaven alors qu’une deuxième hache volait. »