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« Les perles ne font pas le collier ; c’est le fil. » Cette citation de Gustave Flaubert résonne tout au long de ce récit en quarante tableaux, où le pardon tisse la trame des destinées. Offert, refusé, espéré ou accordé, il façonne les choix et bouleverse les existences, tantôt libérateur, tantôt porteur de drames. Comme un fil rouge, il relie les personnages et leurs histoires, explorant avec finesse la complexité des émotions humaines et la force des secondes chances.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Françoise Sievers-Gauffrès a toujours été guidée par sa curiosité et son amour des mots. Elle découvre l’écriture comme un passe-temps et, peu à peu, ses récits prennent forme sous la plume, imposant la littérature, dans sa vie, comme une évidence.
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Seitenzahl: 509
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Françoise Sievers-Gauffrès
Quand fleurissent les ronces
Roman
© Lys Bleu Éditions – Françoise Sievers-Gauffrès
ISBN : 979-10-422-6393-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Nos fautes sont comme des moustiques – de même des rancunes ou blessures reçues, souvent sans pardon ni réconciliation – elles nous empêchent de dormir en paix et se rappellent toujours à notre souvenir.
Même si nous prétendons qu’avec le temps il ne nous reste que les bons souvenirs, notre vie s’est construite au fur et à mesure par nos expériences et surtout par la manière dont nous avons abordé les événements qui font ce que nous sommes aujourd’hui.
Autour de la vie de quelques habitants du village de Saint Marcel dans les années 1970, « Quand fleurissent les ronces » nous emmène dans les souvenirs de personnes rencontrées durant de nombreuses années par Françoise.
Une promenade à côté de gens qui doutent, se révoltent, croient ou essaient tout simplement de faire leur chemin dans une vie où beaucoup de choses leur échappent. De gens qui ne se rendent pas toujours compte de la portée de leurs actes ou de leurs paroles.
Et « Quand fleurissent les ronces » nous rappelle surtout qu’une réconciliation est possible, si seulement nous le souhaitons ; que le fatalisme n’est pas la solution et que la vie continue, que nous le voulions ou non…
Sven Sievers
Si cela est possible, dans la mesure où cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes.
Romains 12:18
Par une belle après-midi d’avril, assises sur le banc sans âge adossé à la maison, face aux lilas bleus et pourpres dont les effluves entêtants chantaient le printemps, deux femmes, arrivées gentiment à l’automne de leur vie, respiraient en silence le parfum frais des arbustes, laissant échapper par moments, dans un soupir :
« Eh oui… »
Se tournant à demi vers l’autre, la plus âgée rompit le silence odorant :
Et plus tard, elle a encore gardé les fils de ma tante Gilberte, celui de ma tante Lucienne et nous en plus, quand on venait pendant les vacances ! Une vraie pâte de grand-mère ! Alors tu comprends, c’était important pour moi que ma fille porte aussi son nom… Anne Louise Berthier, mais seulement pour les papiers…
Marinette se leva et disparut dans la maison pour en ressortir quelques minutes plus tard, un calepin à la main.
Ma faute est insupportable.
Une vraie chipie.
Si je la comparais à un animal, ce serait un insecte, plus précisément un moustique dont le vol aigu, narguant mes oreilles, me tient en haleine, allongée dans la pénombre, écoutant, désespérée, ce ballet frénétique virevoltant autour de ma tête.
Mes mains claquent au hasard.
L’espoir n’est pas mort.
Soudain, plus un bruit.
Le silence m’apporte un triomphe annonciateur de sommeil.
J’exulte modestement, pensant avoir vaincu le minuscule ennemi.
Mais la trêve s’achève avec la reprise de la danse folle de l’insecte attiré par l’humidité de ma peau.
Oui, ma faute est un moustique.
Elle ne me laisse pas en paix, se rappelant à ma mémoire encore et encore.
Elle tourbillonne dans mon esprit, se moquant de mes vains efforts pour l’en éjecter, idéalement l’anéantir, la plonger dans l’oubli à jamais.
Et ce verset qui tourne dans ma tête !
Un passage du psaume quatre-vingt-six, reçu à la fin du catéchisme :
« Oui, tu es bon, Seigneur, tu pardonnes, tu es plein d’amour pour tous ceux qui font appel à toi. »
Seigneur, est-ce un encouragement de ta part ?
Oui, je le crois !
Alors, épuisée par le rappel de cet acte regrettable qui m’assaille et mes essais infructueux pour m’en débarrasser, je fais appel à toi, qui est la Lumière et fidèlement, tu viens éclairer mon esprit :
Si je veux définitivement écraser la méchanceté commise sur le mur de ma vie, je dois demander pardon à celle qui en a été victime et recevoir celui que tu veux m’accorder.
Pas d’autre méthode efficace, pas d’autre moyen pour détruire cette perfide chipie.
Oh, donne-moi la force et l’humilité pour aller vers celle que j’ai blessée volontairement !
Seigneur, viens à mon aide !
Voilà ! Alors, Élise, qu’est-ce que tu en penses ?
Marinette décela la tristesse qui pointait dans la voix de son amie :
Ne trouvant rien à répondre, Marinette se tut et elles restèrent côte à côte sur le banc, laissant le parfum des lilas pénétrer leurs narines. Puis, caressant distraitement une des chattes qui venait de sauter sur ses genoux, Élise reprit :
Élise sourit et répéta en hochant la tête :
Marinette habitait la dernière vieille maison du bourg en direction de La Borne, la ferme familiale où des générations de Munot avaient usé leurs bras et leur dos à travailler la terre et prendre soin du bétail.
Et maintenant, cette longue lignée de paysans s’éteignait avec la dernière représentante à en porter encore le nom.
Ses trois frères étaient nés d’un premier mariage maternel et du deuxième lit, sa sœur Raymonde, et elle, la benjamine.
Pas un de sa fratrie n’avait souhaité vouer sa vie au travail de la terre.
Son frère aîné s’était engagé dans l’Armée du Salut, les autres avaient tenté leur chance en ville, pensant qu’ils y auraient une vie plus facile.
Ainsi vont les choses, pensait-elle souvent, peut-être auraient-ils mieux fait de rester là.
Il fait bon vivre ici, après tout…
Etienne l’a bien compris puisqu’il est revenu, à l’heure de la retraite…
Heureuse d’avoir fait le choix de ne pas quitter le pays de son enfance, son existence la satisfaisait pleinement.
En 1949, à vingt-cinq ans, elle avait eu la fierté de faire partie de la première volée de jeunes femmes à obtenir le certificat de travailleuse familiale, validé par le ministère de la Santé.
L’association d’aide à domicile en milieu rural lui avait alors proposé une place, qu’elle n’avait plus quittée.
Âgée maintenant de cinquante-quatre ans, elle continuait à travailler tout en s’occupant de la maison et du jardin, le reste de l’exploitation ayant été vendu.
Quatre ans auparavant, peu avant le décès de leur mère, la commune avait modifié la répartition des zones sur le territoire, les terres attenantes à la ferme devenant ainsi zone résidentielle.
Les deux sœurs s’étaient alors partagé la propriété, Raymonde prenant les terres, qu’elle n’avait pas mis longtemps à mettre en vente, les partageant en une dizaine de lots de grandeur plus ou moins égale.
Etienne, le frère aîné, avait été le premier à acheter une parcelle pour y construire un pavillon dont la modernité jurait un tant soit peu dans le paysage.
Trois autres avaient été acquises par des petits-cousins souhaitant se réinstaller dans le coin.
Le reste attendait encore acquéreur…
Marinette, quant à elle, avait gardé la maison de son enfance et le jardin, où légumes et fleurs poussaient en une joyeuse symbiose.
Outre une dizaine de lapins et quelques poules, deux chattes, Tricotine et Crochette, moins concernées par la régulation de la population de souris qui squattaient le cabanon que par leur rôle d’animaux de compagnie et Fanfaron, un basset qui portait bien son nom, complétaient la ménagerie.
Dans ses temps libres, par beau temps, Marinette s’asseyait sous le tilleul centenaire et tricotait ou crochetait selon ses humeurs, ses envies ou les besoins du moment.
De ses doigts habiles jaillissaient : barboteuses, gilets, chaussons, bonnets, écharpes, couvertures et autres paires de gants.
Un anniversaire, un mariage, une naissance, un départ à la retraite, un retrait de telle ou telle association après des années de bons et loyaux services ?
Un joli cadeau « fait main » était déposé, bien emballé, dans la boîte aux lettres.
Les fêtes, ce n’était pas son fort.
Ne se sentant pas à l’aise en bruyante compagnie, elle préférait décliner les invitations et rendre visite une fois comme ça, en passant.
Depuis quelques années, chaque été, pendant un mois, elle accueillait deux ou trois enfants de la ville, placés par l’Accueil familial vacances.
Elle, qui n’avait jamais connu les joies de la maternité, était devenue la grand-mère de cœur de tous ces mouflets, dont certains avaient pu revenir deux ou trois années de suite.
Et les gamins du village qui, par curiosité, venaient jouer avec ces petits estivants venus de loin savaient bien que chez la Marinette, ils recevaient toujours une friandise.
Ses vacances, c’était de permettre à d’autres d’en passer d’agréables à la campagne.
Puis, les congés terminés et les petits rentrés chez eux, la vie reprenait son cours et elle, ses habitudes.
Quand le culte avait lieu à Saint-Marcel, elle sortait de chez elle à neuf heures et demie précises pour se rendre au temple, s’arrêtant sur le chemin chez son amie Élise Berthier, qui l’accompagnait depuis quelques années au service dominical.
Celle-ci avait connu bien des moments difficiles dans sa vie, ce qui lui avait fait longtemps prendre une certaine distance avec ses concitoyens, dont certains s’étaient montrés particulièrement sans cœur avec sa famille.
Connaissant les convictions de Marinette concernant la foi, elle l’assaillait de questions diverses auxquelles elle-même avait déjà profondément réfléchi.
À la recherche de réponses satisfaisantes, elle participait volontiers au groupe de dames de la paroisse protestante, qui avait lieu tous les mercredis après-midi à la sacristie, depuis peu sous l’égide de Lydia Dubois, la belle-sœur de Marinette, officier de l’Armée du Salut, venue s’installer au village avec son mari pour la retraite, celui-ci ayant souhaité revenir au pays de son enfance.
Élise, remplie d’appréhension, avait tout d’abord refusé d’y accompagner son amie, s’attendant à subir là aussi des critiques à peine voilées sur sa situation familiale.
Marinette avait eu beau lui répéter qu’elle trouverait au contraire appui et solidarité dans ce petit noyau de femmes dont la plupart avaient connu également bien des vicissitudes, elle avait longuement hésité avant de faire le pas.
Être mère célibataire d’une fille l’étant également, ça n’était pas courant dans le village et elle redoutait les insinuations venimeuses dont elles avaient tant de fois été l’objet.
Or, à sa grande surprise, elle avait été accueillie chaleureusement, sans jugement aucun, par ces quelques concitoyennes venues partager un moment fraternel autour d’un texte biblique.
Myope depuis son enfance, un décollement de rétine l’avait rendue définitivement aveugle depuis plus de trente ans.
Même si elle connaissait par cœur toutes les rues de son village natal et s’y déplaçait aisément, elle aimait tenir le bras de son amie pour cette promenade dominicale qui les menait jusqu’au temple.
Elles y arrivaient toujours avec une bonne quinzaine de minutes d’avance.
C’était une habitude que Marinette avait acquise enfant avec sa grand-mère Léa qui, s’asseyant invariablement à la même place, tenait fermement à être là avant les autres pour observer leur arrivée et noter le moindre changement dans l’une ou l’autre famille.
Curiosité malsaine ou souci de son prochain, probablement un subtil mélange des deux sentiments animait son aïeule.
Elle avait donc conservé ce pli, non pour observer ses coreligionnaires, mais simplement pour profiter de la sérénité du lieu.
Assise bien droite sur son banc, à côté d’Élise, qui se taisait aussi par respect pour son amie, elle savourait ces instants de silence avant que ne débute le service.
Il n’y avait de toute façon plus beaucoup de fidèles, le dimanche matin.
Il était loin, le temps où les paroissiens venaient en famille écouter le pasteur, les enfants attendant patiemment la fin du service pour aller jouer dans le jardin du presbytère.
Pendant que les adultes prenaient debout un apéritif servi dans des petits verres aux couleurs disparates, ils se précipitaient en piaillant vers la vieille balançoire grinçant allégrement à chaque poussée et le toboggan usagé où des générations de bambins avaient râpé leur fond de culotte.
La nostalgie du passé la saisissait quand ces souvenirs remontaient à sa mémoire et, les yeux fermés, elle humait l’odeur immuable du bois ciré et des bougies fraîchement éteintes, jusqu’à ce que son amie la saisisse par le bras en murmurant :
« On dirait qu’il n’y a plus personne, il faudrait pas qu’on nous enferme dedans ! »
À la sortie de l’église, elle ramenait Élise à la maison et restait un moment à discuter avec elle en sirotant un café, un jus de fruits ou, sporadiquement, un petit verre de vermouth.
C’était leur apéro et elles appréciaient ce moment.
Souvent, Anne, la fille d’Élise, se joignait un moment à la conversation tandis que ses deux fillettes, Flore et Sarah, tourbillonnaient autour de la pourvoyeuse de bonbons, attendant de recevoir un berlingot ou un caramel.
« Cette maison, c’est un poulailler sans coq, pourquoi Paco est-il mort si jeune ? » soupirait souvent Élise.
Ce à quoi son amie répondait :
« Patience, patience, il faut du temps pour faire son deuil. Le temps du rire et de la joie reviendra comme le soleil après l’orage. »
Élise hochait la tête en signe d’approbation en souhaitant intérieurement que le beau temps revienne au plus vite et que d’autres enfants tournent autour de la table en riant, guettant le moment où Marinette mettrait sa main dans sa poche pour la distribution de sucreries.
Se tournant à demi vers sa nièce, passant nerveusement une main dans ses cheveux, elle continua :
Serveuse, ce n’est pas de tout repos, certes, tu es tout le temps sur tes jambes, mais enfin, c’est intéressant et la plupart des clients sont gentils et compréhensifs quand ils doivent attendre un peu. Vois-tu, Alfred est fatigué. Il aspire à la retraite et souhaite remettre entièrement l’auberge à la génération suivante, sans que nous y soyons encore engagés d’une manière ou d’une autre. Il me l’a fait clairement comprendre :
« Quand on tourne la page, ce n’est pas pour y revenir ! On les laissera se débrouiller, Jean-Louis et Marie feront les choses autrement que nous, mais tout aussi bien ! »
Alors c’est ce que nous allons faire ! Du coup, si tu acceptais de venir bosser à la Treille, tu te retrouverais en famille, avec tes cousins, qui seraient heureux de te compter dans l’équipe ! Voilà, maintenant, à toi de décider ! Prends ton temps, réfléchis et tu nous fais signe le moment venu !
Ayant exposé le but de sa visite, Sarah finit de racler son assiette, attendant la réaction de sa nièce. Anne, à la fois surprise et ravie de cette proposition inespérée, garda le silence quelques instants, puis prenant une profonde inspiration, se lança :
J’étais moi-même occupée à couper les cheveux d’un petit garçon que sa mère avait envoyé seul pour la première fois et qui, raide comme un manche à balai, ne desserrait pas les dents pour répondre aux questions que je lui posais, histoire de le détendre un peu.
L’autre client, le percepteur, un homme replet au regard fuyant, a lancé à Lise, comme ça de but en blanc qu’il n’était vraiment pas souvent là, son homme, pour raser les clients, que c’était quand même un monde qu’elle doive travailler pour deux ! Avant qu’elle ouvre la bouche, le vieux Clerc a répondu calmement que lui, il s’en foutait, qu’il avait le temps et qu’en plus, tout le monde savait qu’il avait un poil dans la main, Albert, ce qui, pour un barbier, était de circonstance.
L’autre a rétorqué aussi sec qu’il avait peut-être un poil dans la main, mais que son métier, c’était quand même de mettre la main dans le poil… Lise lui a répliqué en le regardant dans le miroir que malheureusement pour elle, c’était pas marqué « fainéant » sur son front quand elle l’avait épousé !
Le vieux Clerc a soupiré que c’était dommage tout de même qu’il soit pas là, parce que pour ce qui est de la barbe, il préférait laisser sa figure entre des mains masculines, sans vouloir la vexer. Lise ne s’est pas formalisée pour si peu et lui a répondu que ça ne la vexait pas du tout, le barbier, c’était lui, pas elle, mais que la jeunette, en l’occurrence moi, se débrouillait plutôt bien, presque aussi bien que lui ; qu’il pouvait sans autres lui confier son visage, quand elle aurait fini avec le petit… Je me souviens bien de ce qu’il lui a lancé, en rigolant :
« Confier ma bobine à une Berthier, ça sera une première !
Va pour la petite ; avec sa gueule d’ange, on lui donnerait le bon Dieu sans confession ! La même gueule d’ange que sa grand-mère Coralie, qui, j’espère pour elle, est au paradis, parce que c’est là que vivent les anges, s’ils sont pas déchus… »
Lise a laissé un instant ses ciseaux en suspens, a jeté un regard vers le vieux et, sans dire un mot, lui a fait signe de venir s’installer dans un des fauteuils réservés pour les soins de barbe. Quand j’ai eu libéré le garçonnet, qui a filé sans demander son reste, fier quand même d’avoir eu le courage de venir tout seul chez la coiffeuse, j’ai commencé à le raser. Pendant tout le temps où je lui faisais la barbe, je voyais bien qu’il me surveillait du coin de l’œil. Je n’étais pas très à l’aise, vu que, comme voisin, il n’était pas vraiment aimable avec nous, même si au moins, lui, il nous disait bonjour, pas comme son fils…
L’autre client est parti, lançant d’un ton goguenard, avant de sortir, une histoire de poils qui n’a fait rire que lui. Le pépé Clerc s’est donc retrouvé seul avec nous et a marmonné en se tournant vers Lise qu’il avait raison, Albert, de se promener dans les bois avec la chienne, que ça lui faisait prendre l’air ; mais qu’il valait mieux pour elle qu’elle tienne sa maison en ordre, que tout soit propre… Lise lui a répondu en soupirant que promis, demain matin, pour l’ouverture, tout serait en ordre. La dernière parole du vieux Basile a été du genre : « Ouais… mais faut y arriver, à demain… »
Puis, il s’est levé de son fauteuil, a sorti son porte-monnaie pour payer et m’a jeté un regard plein d’empathie, un regard comme il n’avait jamais eu avant. Sitôt après son départ, Lise s’est précipitée vers la porte, a accroché l’écriteau « Fermé » et tourné la clef dans la serrure. Elle s’est précipitée dans le local de rangement où je l’ai suivie instinctivement. Elle tremblait comme une feuille en répétant : « Ça va mal, ça va mal ! Il est venu nous avertir ! Rentre chez toi, en vitesse… »
Prise de court, j’ai bafouillé : « Nous avertir ? Mais il n’a rien dit ! Et en plus, c’est une famille de collabos, ils vendent des vivres aux Allemands qui passent, ils en donnent même, à ce qu’on dit, pour se faire bien voir ! »
Tremblant toujours, elle m’a répondu qu’il n’avait pas voulu parler ouvertement devant moi et que je me trompais sur leur compte ! Que leur métier, c’était de vendre, qu’il fallait bien vivre… Que c’était dur pour tout le monde… Et que Basile, c’était peut-être un râleur de première, mais pas un mauvais bougre. Qu’il entendait beaucoup de choses à l’épicerie, en jouant au petit vieux, assis sur sa chaise, à regarder les clients. Mais que ce qui se disait ne tombait jamais dans l’oreille d’un sourd. Moi, je voulais savoir de quoi il retournait exactement : « Et alors, c’est quelque chose qu’il a entendu qui vous fait si peur ? »
Elle a fait un geste sans répondre à ma question puis s’est approchée tout près de moi et m’a chuchoté dans l’oreille que, la nuit passée, Albert avait ramené deux enfants juifs et le Matelot, cachés dans le cellier. Ne sachant pas où les mettre, il les avait ramenés après les avoir sortis de justesse de chez l’Alouette. Tellement enragés de n’avoir rien trouvé, ces chiens de la milice les avaient fait payer en nature, elle et la Mésange, avant de les tabasser et les laisser ensanglantées sur le sol de la cuisine.
Les deux dernières années de la guerre, Pétain et ses sbires avaient eu l’idée perverse de créer cette espèce de police parallèle, soi-disant pour assurer l’ordre. Et les miliciens, se sachant couverts par le régime, ne se privaient pas de commettre toutes sortes d’exactions, parfois des exécutions sommaires. En tout cas, s’ils avaient débarqué au salon à ce moment-là, notre compte était bon ! En me poussant vers la porte de derrière, elle m’a ordonné de déguerpir vite fait, parce que je ne pouvais pas l’aider et qu’une dans la mélasse, ça suffisait ! Et c’est là que j’ai eu l’idée qui a sauvé la vie des trois locataires clandestins et par la même occasion, celle d’Albert et de Lise :
« La bétaillère ! On va les transporter dans la bétaillère jusqu’à la Forge. La milice n’ira pas les chercher là-bas, il n’y a que mes grands-parents et ma tante Lucienne. Ils n’ont aucune raison de se méfier de deux petits vieux et d’une femme d’âge mûr ! »
Elle s’est assise par terre et a fondu en larmes :
« Tu rêves, Sarah ! Ils fouinent partout, et puis, il faut déjà y arriver, jusqu’à La Forge ! Je suis dans la mélasse, je te dis ! »
Moi, je ne voulais pas l’abandonner, je voulais à tout prix faire quelque chose :
« Arrêtez de répéter ça ! On va essayer ! Vous avez une brouette ? »
Surprise, elle m’a répondu que oui, dans la remise. Alors j’ai poursuivi mon idée, disant qu’il n’y avait qu’à mettre les enfants dans la brouette, les recouvrir d’un drap et d’un peu de linge mouillé dessus, comme si je revenais du lavoir, lui demandant si celui qu’elle appelait le Matelot pourrait passer pour mon frère, question corpulence. Nouvelle réponse positive. Effectivement, il avait à peu près l’allure d’Antonin, en un peu plus vieux.
« Bien ! Alors avec une casquette enfoncée sur la tête, s’il garde le front baissé, ça pourra aller. Vous, vous restez là, comme si de rien n’était. Et vous mettez tout en ordre, comme le vieux Clerc vous l’a dit ! » Et c’est ce qu’on a fait.
On est arrivés sans encombre à la maison où nous sommes rentrés par le jardin, le Matelot tenant la brouette. Nous sommes entrés dans la remise, où papa rangeait sa bétaillère. Je les ai installés dedans et j’ai couru à l’atelier où papa réparait quelques outils.
Je me suis jetée dans ses bras et j’ai chuchoté à son oreille :
Papa a sursauté et a murmuré :
Papa m’a regardé d’un drôle d’air, comme s’il était à la fois fâché et fier de moi :
J’ai couru chercher maman et quand on est arrivées dans la remise, papa lui a simplement dit :
Sur le coup, elle n’a rien dit, mais elle nous a serrés très fort dans ses bras, puis elle a caressé les cheveux de papa et lui a souri en murmurant :
Ça m’a surprise, parce que ce n’était pas dans les habitudes de maman, de faire appel à Dieu. C’est à ce moment que j’ai compris combien l’heure était grave et que j’avais mis nos vies à tous en danger. Le trajet jusqu’à la Forge m’a paru incroyablement long. Je m’attendais à voir surgir une voiture de la milice à n’importe quel moment. Mes mains crispées sur le siège me faisaient mal, mais le fait de serrer quelque chose me rassurait un peu. Quand nous sommes entrés dans la cour de la ferme et que j’ai vu le grand-père sortir de la maison, j’ai fondu en larmes. Nous étions sauvés.
Papa a reculé la bétaillère dans une remise et nous avons fait sortir nos passagers clandestins, à l’abri des regards éventuels. Pépé Pierre, quand il a vu le Matelot tenant les enfants par la main, a murmuré, en se caressant le menton :
« Mazette, ça en fait trois de plus ; on a déjà deux juifs dans la porcherie, un homme et sa jeune femme. On s’est dit que si la milice avait l’idée de venir fouiner par ici, ce serait le dernier endroit où ils les chercheraient ; ils ont été d’accord, la jeune femme a dit que la vie est au-dessus de la Loi, que le rabbin leur avait dit ça. »
Quand le Matelot est entré dans la porcherie avec les deux bambins, il ne s’attendait pas à vivre une scène aussi poignante. En voyant Joël et Simone, c’étaient les prénoms des enfants, la jeune femme a laissé échapper un cri et ouvert ses bras pour recevoir les petits qui couraient vers elle en s’écriant :
« Tante Nora ! Tante Nora ! »
À genoux devant ses neveux, elle les serrait à les étouffer, couvrant leur visage et leurs cheveux de baisers. Elle pleurait et souriait à la fois en répétant :
« Merci, merci, merci… »
Le petit Joël, alors, s’est tourné triomphalement vers le Matelot et lui a lancé d’un ton assuré qu’il avait bien la preuve, là, que Dieu faisait toujours des miracles ! Le Matelot, qui n’essayait même pas d’essuyer les larmes qui ruisselaient sur ses joues, lui a répondu en tentant de sourire :
« T’avais raison, petit bonhomme, t’avais raison ! »
Sur ce, tante Lucienne est arrivée avec une casserole de soupe puis ils sont sortis, elle et le Matelot, pour les laisser en famille. Nous avons pris place à la table de la grande cuisine, et mémé nous a servi une bonne assiette de potée, la meilleure que j’ai jamais mangée ! À la fin du repas, papa a déclaré, en mastiquant son dernier bout de pain :
« Beau-père, je vous laisse Sarah, l’air de la Forge lui fera du bien ! »
Pépé, sans poser d’autres questions, a répliqué qu’il ne demandait pas mieux, que c’était pas si souvent qu’il avait une de ses petites filles en visite ! Je ne comprenais pas pourquoi Papa voulait me laisser là. Vu que les hôtes clandestins de Lise n’étaient plus chez elle, tout danger me semblait écarté ; mais en une phrase, il m’a fait comprendre le bien-fondé de sa pensée :
« Si tu n’es pas à Saint-Marcel, ils ne pourront pas t’interroger… »
Le lendemain matin, papa est reparti avec la bétaillère dans laquelle ils avaient mis le bouc un moment, pour l’odeur, au cas où…
Quand je suis retournée à la maison, quelques semaines plus tard, papa m’a dit qu’il n’avait fait aucune rencontre inquiétante sur le chemin du retour. Dieu nous avait gardés… Par contre, Lise et Albert l’ont échappé belle. La milice est venue perquisitionner chez eux le soir même de notre départ à la Forge et n’a évidemment rien trouvé, pas même Albert, encore en vadrouille. Lise est restée stoïque tout le long, montrer un quelconque trouble leur aurait fait trop plaisir.
Mécontents de repartir bredouille, ils l’ont avertie que, dorénavant, ils l’auraient à l’œil et qu’ils reviendraient au salon quand bon leur semblerait. Héroïque, elle leur a rétorqué que bien qu’elle ne comprenne pas pourquoi ils l’auraient dorénavant à l’œil, ils pouvaient venir quand ils voulaient pour une coupe ou un soin de barbe, mais qu’elle, elle ne travaillait pas à l’œil, même pour la police. Cette remarque bien envoyée les a surpris et l’un deux, saisissant le menton de Lise s’est écrié :
« Eh ben dis donc, pour une gonzesse, t’as pas froid aux yeux ! »
Horrifiée par ce geste, elle s’attendait à subir le même sort que l’Alouette et la Mésange, mais le gars s’est contenté de lui balancer une paire de claques en pleine figure en aboyant : « Tiens, ça, c’est pour t’apprendre la politesse ! » et s’est dirigé vers la porte d’entrée, suivi de ses acolytes.
Raide comme la justice, essuyant avec son mouchoir le sang qui coulait de son nez, elle les a regardés sortir de chez elle et s’engouffrer dans la voiture qui a démarré aussitôt.
Quand Albert est arrivé, plus tard, avec la chienne, il a trouvé Lise assise à la table de la cuisine, devant un litre de rouge aux trois-quarts plein. Il a tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. Elle le regardait fixement de ses yeux rougis et gonflés. Et ce n’était pas dû à l’alcool, elle n’avait même pas fini son verre. Il s’est assis à côté d’elle et, en lui posant calmement des questions, il a réussi à lui extirper ce qui était arrivé. Albert a conclu en soupirant que Basile et moi, nous leur avions sauvé la peau, oui, littéralement sauvé la peau… Pas très rassurés, ils sont montés se coucher, mais n’ont pas fermé l’œil de la nuit.
La milice n’est plus revenue chez eux, même pour une coupe de cheveux. Albert est resté vissé au salon jusqu’à la libération, comme moi à la Forge, avec le Matelot et la famille juive. Nous passions nos journées ensemble, le Matelot et moi. Nous avons sympathisé très vite et nous nous sommes découvert plein de points communs. Alors, forcément, c’est allé un peu plus loin… Et… Bon… Enfin, on a mis Jean-Louis en route dans la grange, une nuit où il pleuvait des cordes…
La pauvre Berthe Clerc, ils l’ont accusée d’avoir servi les Allemands, non seulement à l’épicerie, mais aussi dans l’arrière-boutique, pour un autre genre de prestations. Une veuve de cinquante-deux ans, qui pleurait son mari et allait chaque jour sur sa tombe – c’était immonde ! J’étais dans le magasin avec maman, pour faire les provisions, quand ils sont arrivés en braillant. Quatre ou cinq hommes, que je ne connaissais pas. Deux d’entre eux ont empoigné Berthe et voulaient l’emmener dehors. Heureusement que Blanche n’était pas derrière le comptoir à ce moment-là, ils l’auraient traitée comme sa tante ! Ils lui criaient des choses affreuses, que je n’ose pas répéter, encore aujourd’hui ! Elle, elle les regardait, effarée, sans essayer de se défendre. La colère m’a prise et je leur ai crié de la lâcher, qu’elle était une honnête femme et qu’elle n’avait fait que son métier d’épicière.
L’un d’entre eux s’est approché de moi et, en me pointant d’un doigt menaçant, m’a balancé :
« Te mêle pas de ça si tu veux pas partager le même sort ! Et d’abord, t’es qui, toi ? »
Sans réfléchir, je lui ai répondu :
« Celle de celui qui navigue sur les flots, si tu veux savoir, justicier à la gomme ! »
Stupéfait, il s’est calmé sur le champ et m’a regardée avec des yeux écarquillés. Les autres, surpris de sa réaction, ne savaient pas trop quoi faire. Finalement, il a soufflé :
« On s’tire les gars, j’veux pas d’embrouilles avec le Matelot. »
Sans un mot, ils ont lâché leur victime et sont sortis précipitamment, comme s’ils avaient le feu aux trousses.
Nous sommes restées là, toutes les trois, complètement sonnées par la violence verbale et physique dont la pauvre Berthe venait d’être l’objet. Maman, au bord des larmes, s’est approchée d’elle et l’a prise dans les bras, pour la rassurer.
C’est à ce moment qu’Albin Clerc est arrivé, alerté par un voisin. Quand il a vu sa belle-sœur pleurant dans les bras de maman, il a explosé, criant que les Clerc étaient assez grands pour se défendre, sans que les Berthier se croient obligés de le faire, qu’on ferait mieux de sortir illico de la boutique, et que de toute façon, maman aurait mieux fait de surveiller ses filles et de finir leur éducation, au lieu de se mêler des affaires des autres, faisant clairement allusion à mon ventre rond.
Il a continué en crachant sur papa, qui n’avait pas fait cas de sa sœur à l’époque, pensant sûrement qu’elle était pas assez bien pour lui, mais qu’il n’avait pas forcément gagné au change en allant en chercher une autre dans une famille d’originaux, et que lui non plus n’avait pas su tenir ses enfants, contrairement à lui, qui avait de quoi être fier des siens, qui marchaient dans le droit chemin !
Et il nous a ordonné à nouveau de dégager le plancher, au lieu de se poser en gardiennes de l’ordre dans le magasin de sa belle-sœur !
Maman n’a rien répliqué. Elle a doucement lâché Berthe, qui pleurait de plus belle, a pris son filet à commissions et nous sommes sorties, sous les yeux furibonds d’Albin. Celui-ci venait, en quelques phrases, de vomir toute la hargne accumulée depuis des décennies. Au moins, maintenant, nous savions à quoi nous en tenir : Notre voisin nous détestait.
Le repas a été particulièrement calme, ce soir-là. Je voyais bien que papa jetait de temps en temps un coup d’œil vers maman, mais elle n’a pas soufflé mot sur ce qui s’était passé au magasin. Il était sans doute au courant, mais il a respecté son silence. Peut-être en ont-ils parlé entre eux, après…
Maman a continué à faire ses emplettes à l’épicerie, mais, vu qu’Albin ne mettait jamais les pieds dans le commerce de sa belle-sœur, il n’y avait pas beaucoup de risque qu’elle se trouve sur son chemin. Pour lui, Berthe n’était que la deuxième femme de son frère et elle n’avait pas eu d’enfants. C’était une Clerc sans en être une, en quelque sorte. Il lui avait même signifié qu’il n’était pas question qu’elle soit enterrée dans le tombeau familial, car il y avait déjà sa première belle-sœur, qui elle, au moins, avait fait deux héritiers. Berthe souffrait de ce rejet et s’en était ouverte à maman. Elles étaient amies, toutes les deux. Quand j’y pense, leur amitié, c’était comme un pont entre les deux familles…
« Tu n’es qu’une sombre idiote ! »
Assertion lapidaire, jugement sans appel de la bouche d’une voisine ulcérée par la énième frasque de la petite effrontée de la maison d’en face.
Ce à quoi ladite effrontée, se retournant d’un bloc vers l’injurieuse furibonde, répondit aussi sec en une cinglante claque verbale :
« Et toi, tu en es une claire ! »
Son ennemie resta sans voix, une dame de son âge ne s’attendant pas à recevoir une telle répartie de la part d’une gosse de sept ans.
Répartie très bien placée d’ailleurs, car vraie en partie.
Blanche Clerc, tel était bien son nom depuis près de cinquante-deux ans.
Elle chercha vainement quelque chose à répliquer, mais son cerveau n’ayant pas la vivacité de la petite, elle ne trouva pas autre chose qu’un dédaigneux :
« Bâtarde de bohémien ! »
Ayant pu constater que la petite avait la riposte facile, elle préféra toutefois ne pas risquer une surenchère d’insultes et battre en retraite avant de devoir s’avouer vaincue par l’aplomb verbal de sa jeune voisine.
Haussant les épaules en signe de mépris, elle tourna les talons et rentra dans la maison en claquant la porte.
La gamine n’ébaucha même pas un sourire. La victoire ne l’intéressait pas le moins du monde. Elle savourait toujours beaucoup plus la préparation d’une bêtise que le triomphe d’une quelconque réussite. La colère de Blanche ne la satisfaisait donc aucunement, le tour qu’elle venait de lui jouer au cimetière lui semblant à lui seul suffisamment drôle…
Au lieu de rentrer chez elle, n’ayant rien de spécial à y faire, elle caressa le chien qui montait la garde, ou du moins était censé le faire, ramassa un pissenlit et partit en courant, la fleur dans la main.
Blanche l’observa, derrière le rideau de la cuisine, jusqu’à ce qu’elle ait disparu dans une rue adjacente.
Secouant la tête, elle marmonna pour elle-même :
« Faudrait la placer cette gosse, ça leur ferait les pieds à toutes ! »
Ralentissant le pas, la fillette longea la rangée de maisons en partie inoccupées de la rue des Arceaux et se retrouva à la sortie du village.
À cet endroit, la commune avait approuvé un projet de nouveau quartier de villas. Celui-ci n’avait pas eu le succès escompté, jusqu’à présent, seuls quatre terrains avaient trouvé preneur. Les deux premières villas étaient déjà occupées, même si les travaux d’aménagement extérieur n’étaient de loin pas terminés. Pas de clôture, un simple muret délimitait les terrains encore vierges de toute végétation.
Le portail étant, comme d’habitude, entrouvert, la petite se faufila dans le terrain de la ferme Munot, dont elle connaissait très bien la propriétaire, celle-ci étant la meilleure amie de sa grand-mère.
Non loin de l’entrée, elle aperçut une balle colorée, juste devant le petit mur qui séparait les propriétés. Elle la ramassa et tout en remontant l’allée qui conduisait à la ferme, regarda du coin de l’œil le spectacle gratuit de la petite fête donnée par les heureux propriétaires de la nouvelle maison, jouxtant celle de Marinette.
« C’était mieux quand y avait rien, et Blanche est trop méchante », bougonna-t-elle en balayant du regard les abords de la villa.
À deux mètres de la haie, un grand bac à sable où traînaient quelques seaux en plastique de différentes tailles accueillait une construction qui ressemblait à un château fort, flanqué de quatre grosses tours, surmontées chacune d’une tourelle.
Observant la balle multicolore qu’elle avait dans la main, elle comprit qu’elle devait appartenir aux enfants de la villa, n’ayant jamais vu Fanfaron jouer avec ce genre d’objet.
« Retour à l’envoyeur », murmura-t-elle et d’un geste vif, lança le projectile qui atterrit malencontreusement sur une des tourelles qui s’effondra aussi sec sur la tour qui la soutenait.
« Tant pis pour eux et zut pour Blanche ! » pensa-t-elle en s’apprêtant à déguerpir le plus vite possible.
Mais dans la vie, les choses ne se passent pas toujours comme on les planifie. Tressaillant de surprise, elle sentit deux mains la saisir aux épaules, lui faisant faire demi-tour. Elle se retrouva ainsi face à face avec un homme d’une trentaine d’années, vêtu d’une chemise rouge foncé et d’un pantalon noir. Il portait un appareil photo autour du cou.
Persuadée que l’attaque était la meilleure défense, elle lança :
— Qu’est-ce que tu fais là ? C’est pas ta maison !
La regardant attentivement, sans animosité, il lui demanda :
La réponse fusa :
Haussant les épaules, elle se contenta de fixer crânement son interlocuteur.
Celui-ci reprit :
La fillette sentit une colère sourde l’envahir ; une fois de plus, on ne la croyait pas !
D’un ton hargneux, elle lança :
Quelque peu mise en confiance par cette parole pleine d’empathie, la petite continua :
— Pourquoi les gens d’ici ne l’aimaient-ils pas ?
Elle le regarda, surprise :
Ils se turent un moment puis l’homme, rompant le silence, demanda :
Elle le regarda, incrédule :
Elle esquissa un sourire :
Elle eut un instant d’hésitation :