Quand les truands se lèvent à l’aube - Dan Northon - E-Book

Quand les truands se lèvent à l’aube E-Book

Dan Northon

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Beschreibung

Au printemps 1998, des policiers de la PJ parisienne enchaînent planques et filatures derrière plusieurs équipes de malfaiteurs, pour la plupart fichés au grand banditisme. Les flics de terrain du commandant Barantec, alias La Teigne, préfèrent agir en « flag ». Les arrestations sont alors particulièrement périlleuses, mais ce cadre juridique est idéal pour une condamnation exemplaire des auteurs. Quels stratagèmes le groupe utilisera-t-il pour mener de front ces enquêtes et mettre tous ces truands hors d’état de nuire ?


À PROPOS DE L’AUTEUR

Dan Northon, ancien officier de police judiciaire à Paris puis cadre de la sécurité dans une entreprise de transport d’envergure internationale, a également été conseiller technique pour la réalisation d’un livre traitant de la nuit parisienne. Féru de thrillers, il écrit la présente fiction afin d’évoquer certaines situations vues ou vécues au cours de sa carrière, souhaitant que le lecteur, du début à la fin de l’ouvrage, ait le sentiment de faire partie d’un groupe de terrain de la PJ.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Dan Northon

Quand les truands se lèvent à l’aube

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dan Northon

ISBN : 979-10-422-0400-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes deux fils, dont je suis si fier.

À vous, compagnons de route, Xavier, Pascal, Audrey, Nicolas, Bruno, Dudu, Laurent, Julien et Léonce, pour votre professionnalisme, votre gentillesse et votre humour.

Investiguer à vos côtés fut chaque jour un plaisir.

À tous mes camarades, anciens et actuels, de la BRB et de la BRP.

À Jeff, Patrick, Hervé et Alain.

Amis proches, vous avez chacun l’art d’être méticuleux au travail et décontracté aux ripailles.

À l’ancienne équipe de la rue Ballu, en souvenir de nos enquêtes en plein quartier Pigalle.

Ce fut pour moi le début de la grande aventure…

Les certitudes de l’enquêteur reposent sur la finesse de ses observations, la qualité de ses recherches et la logique de ses déductions.

Dan Northon

Avant-propos

Chère lectrice, cher lecteur,

Cette fiction se déroule au printemps de l’année 1998.

Les euros n’ont pas encore remplacé les francs.

Depuis quelques années, les grades des policiers ont changé d’appellation. Les inspecteurs divisionnaires, les inspecteurs principaux et les inspecteurs de police sont désormais des commandants, des capitaines et des lieutenants.

Chaque policier ne possède pas encore son propre gilet pare-balle, cette protection apparaîtra en dotation individuelle très peu de temps après.

À cette époque, la Brigade de Répression du Banditisme n’est plus installée au 36 quai des Orfèvres, siège de la direction de la Police judiciaire dont elle dépend, mais à deux pas, dans une aile de la Préfecture de Police, au 3 rue de Lutèce. J’ai cependant conservé l’adresse initiale pour le plaisir d’évoquer ce lieu tant chargé d’histoire.

Les mots d’argot de flics et voyous qui émaillent par endroits le texte sont expliqués en bas de page. Leur utilisation permet un meilleur ressenti de la vie d’un groupe en police judiciaire, en se plaçant au plus près de la réalité.

Tous les noms et surnoms apparaissant dans ce roman sont inventés. La présence d’un homonyme existant ou ayant existé serait totalement fortuite.

Je vous souhaite une agréable immersion dans les dangereux méandres de la lutte contre le grand banditisme.

Prologue

Fausse qualité

Il est bon de faire confiance au temps qui passe : l’avenir nous révèle toujours ses secrets.

Eve Belisle

— Doll, où es-tu positionnée ?

— Rue Mansart, à la perpendiculaire du carrefour où ils doivent déboucher, environ trente mètres avant.

— Et toi, Reg ?

— Trottoir de gauche dans la rue Fontaine, juste après le carrefour, en direction de la Place Blanche.

— Biker ?

— Je suis planqué cent mètres derrière eux dans la rue Duperré, la moto est posée entre deux fourgons de chantier.

— OK, on est bien comme ça. De Patrick pour tout le dispo1, Tony nous annoncera leur sortie de l’immeuble. S’il est évident qu’ils sont en flag2, on ne les serrera3 pas une fois qu’ils seront montés en voiture, car il y a une école à proximité de leur bagnole et ça va bientôt être la sortie des classes.

Il y a déjà des mamans devant la grille. On les filochera4 un peu et au premier feu rouge on se les fera5, à condition qu’ils soient bien bloqués devant. J’aurais trop les nerfs s’ils parvenaient à s’arracher6 sous notre nez.

— OK, La Teigne, c’est bien reçu, lui dit son adjointe Patricia, qui piétonne et vient d’entrer dans un petit magasin de vêtements d’où elle aura une vue parfaite sur les deux filochés dès qu’ils se présenteront sur le trottoir.

Depuis une petite demi-heure, deux gitans français spécialistes des vols à la fausse qualité se trouvent dans un immeuble de la rue Duperré. Ils se sont faufilés derrière un papy à chapeau qui avançait de manière dangereusement instable en s’appuyant sur sa canne, le dos cassé en deux. Il doit bien avoir quatre-vingts ans si ce n’est davantage. Lorsqu’ils ont repéré cette victime idéale entrant dans la Poste, les deux voyous ont abandonné leur Volvo 960 vert foncé dans la rue Duperré à sens unique, juste après l’angle du Boulevard de Clichy. Le conducteur, vêtu avec plus d’élégance que son comparse, est entré dans le bureau presque à la suite du vieillard. Une fois le papy ressorti, ils ont été obligés de marcher avec une extrême lenteur, de souvent s’arrêter, avant de le voir enfin atteindre son domicile, pourtant implanté à seulement deux cents mètres du bureau de poste. Scrutant leur entourage à l’affût du moindre véhicule inquiétant, du moindre piéton pouvant ressembler à un flic en civil, ils ne se sont pas départis de leur légendaire prudence citée en exergue par les membres de leurs familles autour des feux de camp.

Plus personne ne parle à la radio. Un silence pesant s’installe. Antoine Lagret, surnommé Tony depuis toujours, le dos bien calé à l’arrière du sous-marin comme ils surnomment la camionnette de planque du groupe, ne perd pas de vue la lourde porte de bois marron à travers les vitres sans tain. Il ne cesse d’en fixer les deux battants, jusqu’à s’en brûler les yeux. Son appareil photo est prêt, il immortalisera ces deux margoulins dès qu’ils apparaîtront. Patricia, banalement surnommée Paty par tous ses collègues, regarde sa montre. Ils ont franchi le seuil de ce foutu bâtiment depuis maintenant trente minutes, c’est rarement aussi long.

Soudain, le petit grésillement annonciateur d’un message sur les ondes résonne dans les véhicules. La voix de Tony fait enfin battre plus fort tous les cœurs.

— Attention, à tous, ils sortent…

Puis trois secondes plus tard, il poursuit :

— C’est curieux, ils sont extrêmement tranquilles. Rien n’a changé dans leur attitude. Ils n’ont rien dans les mains non plus.

— Reçu de Patrick. Alors, bien évidemment, on n’interpelle pas. Dès qu’ils n’auront plus l’immeuble à vue, Doll ira faire des vérifications poussées. Il faut que l’on comprenne ce qu’ils ont bien pu faire pour rester aussi longtemps.

— Bien reçu, Patrick.

Doll accuse réception à son chef de groupe avant de sortir de l’Opel Astra bleu métallisé. Dès la première semelle posée sur l’asphalte du trottoir, elle commence à ressentir sur la peau de son visage les rayons d’un soleil bienvenu en cette toute fin d’avril. Elle est vêtue d’un pantacourt bleu marine couvrant ses cuisses finement musclées, de baskets légèrement montantes imitant la toile denim, et d’un petit top blanc comme neige qui moule sa taille. Un tatouage particulièrement réussi représentant une pieuvre en plein combat contre un requin orne son mollet gauche. Son blouson de fin velours noir masque le pistolet automatique inséré dans l’étui qu’elle porte à la ceinture et qui semble presque trop gros pour ses doigts si fins. Elle verrouille la voiture et s’adosse à une porte cochère pour repérer discrètement la physionomie et l’attitude des deux gitans. Elle gagnera en outre un temps précieux lorsque le moment de la vérif7 sera venu. De son vrai nom Hélène Chantel, elle s’est vue affublée du sympathique sobriquet de Doll grâce à son visage de poupée.

Mignonne comme un cœur, cette blonde naturelle aux cheveux coupés en carré et aux yeux d’un bleu tirant sur l’améthyste est la dernière arrivée dans le groupe de La Teigne. Cela fait cependant près d’un an qu’elle œuvre avec ces dingues du flagrant délit, au point qu’ils ont fini par déteindre sur elle. Elle aussi adore sentir l’adrénaline envahir ses neurones lorsque l’arrestation devient toute proche.

Au lieu de rejoindre leur voiture, les manouches se dirigent d’une démarche nonchalante vers le bar situé à l’angle des rues Fontaine et Mansart. On est en plein quartier Pigalle et l’un d’eux regarde avec insistance l’avenante prostituée appuyée contre l’encoignure d’une porte, ses longs cheveux noirs comme l’ébène descendant en cascade sur un chemisier blanc largement échancré, un peu aidé en cela par la poitrine opulente qu’il contient tant bien que mal. Les jarretelles de la fille de rue sont bien visibles sous le minuscule morceau de tissu écossais qui lui sert de jupe. Le faux commissaire de police peine à détourner ses yeux de l’image qui semble le hanter délicieusement. Il pénètre finalement dans le débit de boissons avec son comparse. Ils commandent deux bières et se mettent à converser paisiblement, sans prêter attention à ce qui se passe à l’extérieur.

Patrick Barantec, comme ses collègues, le sait bien, ils ne peuvent pas avoir réussi un vol. C’est impossible, car si tel était le cas, ils quitteraient le secteur discrètement pour éviter tout contrôle en cas d’arrivée d’effectifs de police. Peut-être ne sont-ils même pas entrés dans l’appartement du vieillard ? En revanche, rien ne dit qu’ils ne vont pas revenir dans l’immeuble. Le chef de groupe transmet un message radio pour inviter Doll à la prudence. Il l’avisera si le duo se dirige vers elle.

Hélène sort son trousseau de clés, récupère le pass spécial utilisé par les facteurs pour pénétrer dans les halls, et l’approche du boîtier mural. Alors qu’elle s’apprête à donner un quart de tour de clé pour déverrouiller électriquement la lourde porte de chêne, celle-ci est soudain tirée par un homme vêtu d’un costume clair et portant une large sacoche de cuir noir à soufflets. Il salue discrètement Doll en passant devant elle. La policière lui répond d’un hochement de tête puis pénètre dans l’immeuble. Elle frappe tout d’abord à la loge de la concierge. Cette dernière, un peu étonnée de voir une jolie jeune femme exhiber une carte barrée de tricolore flanquée de l’inscription « Police », annonce à la description donnée par la lieutenante que le vieux monsieur habite au deuxième étage porte droite.

— C’est difficile pour monsieur Carmeaux, car avec ses problèmes de motricité, il met un temps infini à monter ou descendre les escaliers.

Elle n’a remarqué aucune personne étrangère à l’immeuble ce matin, mais était occupée dans la cuisine du tout-petit deux pièces servant de loge. Elle n’a donc pas prêté particulièrement attention aux diverses allées et venues. Hélène se garde bien d’annoncer que deux détrousseurs de personnes âgées ont pénétré dans l’immeuble à la suite de l’occupant du deuxième étage. En revanche, elle précise à son interlocutrice que si elle remarquait quelqu’un de suspect, elle ne parle pas de la visite de la police mais la prévienne discrètement en téléphonant au numéro inscrit sur la carte de visite qu’elle lui tend.

Après sa petite discussion avec la gardienne, Hélène grimpe les escaliers jusqu’au sixième et dernier étage, sans oublier d’examiner attentivement chaque palier. Elle vérifie même à tout hasard les montants des portes, les chambranles, les serrures, bien que le duo ait pour habitude de pénétrer dans les appartements après s’être fait ouvrir par les victimes, et non par effraction comme de vulgaires cambrioleurs. Mais elle ne découvre rien, aucun indice, aucun balbutiement d’explication. Pourquoi ont-ils passé une demi-heure ici ? Elle revient enfin au deuxième étage et se retient de sonner à la porte du vieux monsieur, susceptible de connaître le motif de ce long intermède. Alors qu’elle s’apprête à redescendre pour quitter provisoirement l’immeuble, elle entend son poste radio résonner. La voix grave de La Teigne lui annonce que les deux manouches se dirigent vers leur voiture et qu’elle peut entamer de profondes vérifications. Elle pose alors son ongle manucuré de mauve sur le bouton de la sonnette, sous laquelle est simplement inscrit « M. Carmeaux » à l’encre bleue sur un papier jauni. Elle appuie longuement à deux reprises et entend le grésillement métallique désagréable de la sonnerie. Au bout d’une longue minute, le supposé monsieur Carmeaux ouvre, appuyé sur son indispensable canne. Il ne présente aucune trace suspecte. Il avoue sans gêne ses quatre-vingt-neuf printemps et semble avoir toute sa tête. Pour ne pas l’inquiéter, Hélène lui demande simplement s’il a reçu de la visite ce matin. Il répond par la négative, puis accepte que cette belle policière jette un rapide coup d’œil dans les pièces, par simple sécurité comme elle le lui explique. Doll constate que l’appartement, immense et cossu, est beaucoup mieux rangé que son propre studio, elle qui se dit pourtant maniaque. Aucun désordre, aucune trace de fouille, même la plus minime soit-elle n’est visible. Les manouches ne sont probablement pas venus jusqu’ici. Elle capte par le truchement de la radio que ses collègues sont partis au cul de la Volvo et se hâte de prendre poliment congé du vieil homme pour revenir à sa voiture et démarrer en trombe. Elle tient à rejoindre rapidement le groupe pour poursuivre la filature.

Barantec et ses collaborateurs quittent à l’instant le quartier Pigalle, les pupilles vissées sur l’arrière de la voiture verte. Le faux policier roule doucement, il respecte le Code de la route. Peut-être pense-t-il encore à la belle prostituée brune qui attirait tant son regard ?

Son comparse, qui se présente chez les vieux comme employé des eaux, a bien calé son occiput contre l’appuie-tête et fume une cigarette. Plus il s’éloigne de Paris, moins le chauffeur scrute ses rétroviseurs. Les enquêteurs ne peuvent que constater un retour évident du tandem infernal vers son camp, la petite aire réservée aux gens du voyage implantée à Bornais, un village des Yvelines niché dans la forêt de Rambouillet. C’est là, à huit heures ce matin, que le groupe de Barantec a pris en objectif ces deux manouches.

— À tous, de Patrick : visiblement, nous ne leur passerons pas les pinces8 aujourd’hui. Inutile de poursuivre derrière eux, ils font retour vers leurs caravanes. Ce serait idiot de se faire repérer. On rentre tous au bureau et on fait le point.

— Bien reçu, La Teigne, répondent les autres en déferlante.

Biker fait demi-tour avec la moto, qu’il manie comme un champion des circuits.

Il repart en essorant la poignée d’accélération et lève la roue avant d’une trentaine de centimètres, pour libérer l’excès d’adrénaline accumulée plus tôt sur le quartier Pigalle. Sachant déjà comment, par pur plaisir, il va se faufiler entre les voitures, il imagine quelle confortable avance il aura sur les autres. Il les attendra à la brigade en sirotant un café et en grignotant une barre chocolatée.

Selon Strada, un gitan français peu avare de tuyaux pour La Teigne, il arrive parfois au faux commissaire de police Johnny et au faux ouvrier Archange de partir avec des statuettes ou tableaux de grande valeur provenant du logement visité, alors que la plupart de leurs « confrères » ne prennent que bijoux et argent liquide afin de ressortir plus discrètement, les mains libres. Mais en dehors de cette particularité liée à un écoulement facilité par un receleur d’objets d’art en cheville avec Johnny, le duo est d’une prudence extrême.

L’objectif logique est désormais de reprendre en filature les deux gitans demain matin.

Chapitre un

La magic team

Le temps, qui seul fait la réputation des hommes, rend à la fin leurs défauts respectables.

Voltaire

Cela fait huit jours que le groupe n’a pas pu travailler derrière les deux manouches. Comme toujours lorsqu’il revient au bureau, « La Teigne », comme l’appellent tous les flics du 36 quai des Orfèvres, déchausse son pistolet Beretta modèle 92 de l’étui, ôte le chargeur et éjecte la bastos9 sempiternellement chambrée quand il est en opération, pour que la réponse du feu soit immédiate si nécessaire. Puis il range le tout dans son petit coffre, sous la table utilisée pour étaler les chemises en fin papier de diverses couleurs composant les sous-dossiers des affaires de longue haleine. En police judiciaire, c’est ainsi qu’on travaille. Chaque personnage, chaque élément important dans une enquête criminelle fait l’objet d’un dossier, lui-même formé de sous-dossiers, pour constituer la procédure globale. Cette organisation permet de s’y retrouver beaucoup plus aisément dans une affaire pouvant parfois compter plusieurs milliers de procès-verbaux et rapports…

Le surnom de ce chef de groupe vient du fait qu’il colle aux basques des voyous, ne les lâche jamais. Lorsqu’il faisait ses armes dans un petit commissariat parisien du quartier Barbès, juste après sa sortie de l’école d’inspecteur de police, sa réputation commençait déjà à se façonner, doucement mais sûrement au fur et à mesure de ses actions sur la voie publique. Ses collègues l’appelaient à l’époque « chewing-gum », pour les mêmes raisons au départ mais aussi parce qu’il venait d’arrêter de fumer et mâchonnait de la gomme à longueur de journée dans le but d’éradiquer l’envie infernale de reprendre une cigarette. Il est arrivé au prestigieux « 36 » le 1er octobre 1985 pour intégrer la mythique BRB, la Brigade de Répression du Banditisme. Assez rapidement, les policiers des groupes d’enquête comme ceux des groupes de flag ont compris à qui ils avaient affaire. Son deuxième surnom est donc né tout naturellement et sans cogitation inutile. Il lui va même comme un gant, car lorsqu’on l’énerve exagérément, il devient mauvais comme une teigne.

De son vrai nom Patrick Barantec, âgé de 42 ans, il est originaire de Bretagne et plus précisément du Morbihan. Il est grand, svelte, possède de larges épaules et une belle musculature. Ses cheveux châtains sont plutôt courts et ses yeux d’un vert intense. Il est né dans la pittoresque bourgade de Josselin, étalée autour de son magnifique château surplombant la rivière l’Oust, et dont les maisons à colombages du centre-ville, regroupées autour de l’imposante église gothique, datent du moyen âge. Commandant depuis presque cinq ans, il est chef d’un des quatre groupes de flagrant délit du service. Il est marié à Liliane, une élégante brune aux cheveux longs qui exerce le métier de comptable. Ils ont deux charmants enfants que La Teigne voit beaucoup trop peu à son goût, métier oblige, une fille de seize ans prénommée Léa et Sébastien, un garçon de 11 ans.

Ses six collaborateurs, installés dans les deux bureaux qui jouxtent le sien, plaisantent et rient bruyamment en rangeant eux aussi leur artillerie. Ils viennent tous de décrocher d’une planque10 débutée à cinq heures trente sur un box d’Aubervilliers. Assez rapidement, tout le monde a bien compris que l’attaque du fourgon blindé ne serait pas pour ce matin. Les braqueurs auraient dû se retrouver très tôt dans l’immense box en question pour récupérer le nécessaire à une action particulièrement violente. Il leur aurait fallu partir avec les voitures volées et faussement immatriculées au plus tard à sept heures, munis de leurs armes de guerre, des Kalachnikovs et des Uzi dont les chargeurs sont scotchés par deux, tête-bêche, pour gagner du temps quand il faut recharger, en ayant juste à extraire le vide et retourner l’ensemble pour insérer celui qui est garni. Ils auraient aussi dû emporter le cadre empli d’explosif à coller sur les portes arrière du fourgon pour que la déflagration provoque une large brèche dans l’épaisse ferraille. Ils auraient été amenés à prendre le temps d’enfiler leurs combinaisons commando noires avec de surcroît leurs gilets pare-balles par-dessus. Ensuite, une fois sur place, juste avant l’action, ils n’auraient pas oublié de bien rentrer leur cagoule dans le col roulé de leur chandail pour qu’aucun cheveu n’en sorte, et de passer les gants de chirurgien sur le bas des manches. Ainsi, le risque de laisser de l’ADN aurait été moindre.

Tout doit se passer dans un petit bois de Seine-et-Marne, sur une route départementale traçant la frontière avec la Seine-Saint-Denis. Un camion de 19 tonnes volé et lui aussi faussement plaqué servira à bloquer violemment la progression du fourgon blindé. Ce gros véhicule sera récupéré au dernier moment. Il est stationné à trois cents mètres de l’endroit où ils vont lancer leur raid qui risquerait bien d’être meurtrier. Sauf que pour éviter tout carnage sur les pauvres convoyeurs ainsi que des balles perdues susceptibles de tuer n’importe quel automobiliste ou jogger passant à ce moment-là, la BRB veut serrer cette équipe de malfrats en tentative, juste avant qu’ils ne passent à l’action. Ainsi, le nombre d’années de placard11 que chacun de ses membres se verra logiquement infliger en Cour d’Assises rassurera les convoyeurs de fonds. Il donnera en outre du répit aux policiers de la Brigade de Répression du Banditisme qui, dès qu’ils parviennent à recueillir une adresse ou un numéro de téléphone concernant ces gros voyous, se trouvent ensuite en surveillance quasi perpétuelle derrière eux.

Les zonzons12, comme on appelle les écoutes téléphoniques placées sur les lignes de trois des braqueurs, permettent au cours de la matinée d’apprendre que Dingo, leur leader, prendra l’avion demain matin pour aller en Italie, où il rendra visite à ses parents et séjournera au moins une semaine. Ces écoutes sont moins simples qu’il n’y paraît. Le casque vissé sur les oreilles, il faut suivre attentivement les conversations pour comprendre les projets évoqués de manière masquée par ces hommes, qui en outre sont loin de s’épancher au téléphone. Le braquage ne pourra se faire sans le fameux Dingo comme les flics et le milieu le surnomment, puisqu’il est l’artificier du groupe. Ancien mercenaire, il sait manipuler les explosifs comme personne. Son sobriquet colle à son comportement, car il passe d’un état calme à survolté en un millième de seconde et est alors capable de tuer n’importe qui. Il devient blanc comme un mort et son regard est celui d’un fou furieux. L’abus de cocaïne n’arrange rien. Comme le dit Patricia, il ne fait pas bon être face à lui lorsque dans sa boîte crânienne l’araignée se met sur le dos et commence à remuer les pattes. C’est ce qui s’est produit face à l’un de ses anciens complices, qui avait tenté de détourner deux briques13 sur les parts de la bande. Il a totalement disparu et son corps n’a jamais été retrouvé, probablement coulé dans le ciment d’une pile de ponts en construction, selon les rumeurs entendues dans un bar de voyous.

Pendant près de deux mois, plusieurs membres de cette équipe surnommée « la Magic Team » dans le milieu criminel ont été suivis discrètement pour tenter de découvrir adresses, points de chute et relations proches. Chaque jour a vu son lot de réussites, mais parfois aussi d’abandons ressentis comme de mini défaites, alors qu’ils sont souvent synonymes de victoires ultérieures. En effet, mieux vaut perdre une filature par excès de précautions que se fairelever14par un des braqueurs. Ainsi, ces derniers restent confiants dans leur bonne étoile et filent plus rapidement vers leur objectif criminel.

Malgré les heures de planque sans résultat de ce matin, Patrick Barantec est content, car l’emploi du temps, à partir de demain, est déjà tracé. Ils vont pouvoir reprendre le travail derrière le faux policier et le faux employé des eaux qu’ils avaient dû abandonner provisoirement afin de monter avec deux autres groupes sur l’affaire du fourgon blindé. Il faudra constater un beau flagrant délit pour envoyer en prison ces deux manouches considérés comme les faux poulets15 les plus méfiants, d’autant qu’ils ne s’attaquent qu’à des personnes très âgées incapables de se défendre, de reconnaître leurs voleurs ou d’être en mesure de déposer plainte. Patrick Barantec annonce aux autres qu’il est inutile de traîner au bureau ce soir. Mieux vaut rentrer tôt et se reposer, car demain pourrait bien être une journée longue et éreintante.

Chapitre deux

Un motard attentif

Le succès vient de la curiosité, de la concentration, de la persévérance et de l’autocritique.

Albert Einstein

Peu après huit heures du matin, Philippe Saurel alias Biker coupe le contact de la moto Yamaha 850 TDM du groupe. Il la béquille sur le parking intérieur d’une société d’informatique située à deux cents mètres de la rue en impasse desservant l’aire des gens du voyage, à la sortie du village de Bornais. Il est ainsi impossible à toute personne entrant ou sortant du terrain empli de caravanes de le remarquer.

La secrétaire d’environ 25 ans aux cheveux blond vénitien et aux joues piquetées de taches de rousseur à qui il s’est présenté en arrivant lui a tapé dans l’œil. Il faudra qu’il trouve un moyen de la rencontrer plus longuement un jour, pour discuter tranquillement avec elle quand le groupe bénéficiera d’un emploi du temps moins dense. Elle semble un peu impressionnée de se trouver face à un flic en civil vêtu d’un ensemble pantalon et blouson de cuir, casque intégral en main. Son regard laisse transparaître une certaine curiosité.

Le soum16 est placé en retrait du carrefour où la voiture des deux faux policiers est obligée de passer. Tony s’est installé à l’arrière et grignote des petits beurres pour passer le temps. Les manouches iront-ils au chagrin17aujourd’hui ? La question ne se pose pas très longtemps. Trois quarts d’heure après la mise en place du dispositif, une Peugeot approche. Tony s’empresse de prendre la parole sur les ondes.

— Attention, ils passent à ma hauteur ! Ils n’ont pas la Volvo 960 verte, mais une 406 gris métal immatriculée en Suisse. Je suis certain que ce sont eux, je les ai reconnus. Le faux employé des eaux est en passager et le faux commissaire au volant. Ce dernier est vêtu d’une chemise blanche avec cravate noire sous une veste sombre.

— Reçu, Antoine. Je prends en premier.

Au volant de la Rover 200 gris foncé, Reg démarre doucement.

— Biker, attends un peu avant de démarrer. Ils roulent tout doucement, on est à proximité de leur camp et ils sont très méfiants. Ça mate18 de tous les côtés.

— OK Patrick, répond aussitôt le motard à son chef. Quelques centaines de mètres plus loin, Régis reprend la parole sur les ondes.

— Paty, peux-tu prendre le relais ? Je lâche un peu. Ils ont la calandre de la Rover dans les rétros depuis un petit moment.

— OK, Reg, j’enquille19, c’est bon pour moi.

La jeune femme, promue au grade de capitaine trois ans plus tôt, est au volant de l’Opel Astra bleu métal. Elle se place naturellement derrière la voiture aux plaques helvétiques tandis que Régis tourne à droite avant de faire demi-tour plus loin, hors de la vue des voleurs. Paty veille à laisser une grande distance entre elle et les filochés, puisque la circulation est fluide. Née à Paris, elle est d’origine corse. Ses grands-parents maternels habitent un petit hameau d’où l’on peut contempler le merveilleux site des îles Sanguinaires. Célibataire sans enfant, elle respire, bouge, vit PJ. Son leitmotiv est d’envoyer au ballon20 de gros voyous, de « beaux mecs » du milieu.

La filature se déroule plutôt bien et Biker ne ressent aucun stress particulier au guidon de sa Yamaha. Depuis une demi-heure maintenant, les enquêteurs roulent dans Paris. Une dizaine de minutes plus tôt, alors qu’ils se trouvaient dans le centre de la capitale, le motard a quand même dû remonter les files à deux reprises en poussant d’énormes accélérations pour passer en urgence des carrefours où les voitures du groupe avaient été bloquées. Philippe Saurel a alors été obligé de brûler les feux en évitant de se trouver dans les rétroviseurs des gitans, en veillant à ne pas se faire percuter par un véhicule, en écoutant les annonces radio qui résonnaient dans son casque intégral et en fournissant les indications nécessaires à ses collègues pour qu’ils parviennent à ramarrer la filoche21. Maintenant, ils circulent sur l’avenue Georges Mandel, secteur parisien très bourgeois du seizième arrondissement.

Caché par le sous-marin derrière lequel il roule, Biker pose son regard sur les personnes qui déambulent sur les trottoirs, réflexe devenu incontournable chez les policiers de terrain, même lorsqu’ils sont en vacances. Soudain, il appuie sur le petit bouton noir placé sur le guidon, près de la poignée gauche, pour annoncer son indicatif sur les ondes avant de délivrer un message inattendu.

— De Blason 104 au dispo, j’ai levé un tandem bizarre au niveau du carrefour avec l’avenue Victor Hugo. L’un semble être français et l’autre est de type maghrébin. Ils ont de bonnes gueules22 et suivent apparemment une bourgeoise en tailleur Chanel !

Les autres membres du groupe comprennent qu’il s’agit de « lascars » ayant visiblement l’attitude de malfaiteurs pouvant sans vergogne passer à l’acte. Connaissant bien le meilleur motard de son groupe et même l’un des tout meilleurs de la BRB, et sachant ses compétences à lever23 des équipes en tournant au flan24, Patrick Barantec décide en un quart de seconde de scinder le dispositif en deux. Cinq fonctionnaires derrière les faux poulets, et deux pour vérifier ce que peut bien envisager le duo repéré par Biker. Ce dernier est vite rejoint par Paty et ils entament la filature. Pour ne rien manquer de ce que leurs deux nouvelles cibles vont faire, Patricia se gare rapidement sur la première place trouvée et poursuit à pied. Si un véhicule récupère les deux individus au pied levé ou s’ils prennent un taxi, la moto de Biker pourra assurer la filoche et elle récupérera son Opel au plus vite pour le rejoindre. S’ils prennent le métro, elle sera sans aucune difficulté apte à poursuivre ses investigations derrière les deux hommes. Elle est reconnue pour ses compétences à tenir les filatures à pied, et notamment dans les rames du RER ou du métro, chose pas facile lorsqu’on est au cul de mecs très méfiants, susceptibles de s’arrêter juste après l’angle d’un couloir pour dévisager tout ce qui se pointe derrière. Elle passe très bien dans la foule, n’est pas trop grande, mignonne sans exagération, ne se maquille presque pas et s’habille de manière relativement classique. Elle veille juste à ne jamais mettre de hauts talons quand elle travaille, pour avoir plus de stabilité s’il s’agit de serrer des voleurs en flag et de courir à leurs trousses s’ils s’enfuient. Elle a souvent aux pieds une paire de baskets de moto noires, fines et discrètes.

Les deux Ostrogoths poursuivent quelque temps leur marche sur l’avenue Victor Hugo, puis tournent à gauche dans la rue des Belles Feuilles à peine dix secondes après la femme au tailleur de marque. Paty, qui dans un souci de discrétion s’était placée sur le trottoir opposé, presse maintenant le pas pour récupérer les deux mecs dans son champ de vision. Depuis le carrefour où elle se trouve maintenant, elle voit l’élégante dame composer le code d’un boîtier mural, au niveau du premier immeuble à gauche. Ses suiveurs dépassent l’objet de leur convoitise et continuent doucement sur le trottoir. Biker et elle se seraient-ils trompés dans l’analyse du comportement des deux gars ? Non, car l’un d’eux, surnommé au départ « Anorak Noir » sur les ondes par Philippe Saurel, se retourne nerveusement, et aussitôt après l’entrée dans l’immeuble de la potentielle victime, court prestement jusqu’à la lourde porte de chêne pour la bloquer avant qu’elle ne se referme. « Cuir Marron » le rejoint d’un pas rapide. Après avoir scruté les alentours, il pénètre avec son complice dans l’immeuble. Paty regarde sa montre. Combien de temps vont-ils rester ? Vont-ils être tendus quand ils sortiront, « chauds comme la braise » selon l’expression rituelle de Tony dans ces circonstances ? Elle sera certainement obligée d’aller vérifier dans les étages pour savoir si un délit a été commis.

— Blason 101 de Blason 100, qu’est-ce que ça donne de votre côté ?

Au son de cette voix familière diffusée dans l’écouteur discret qu’elle a logé dans le pavillon de son oreille gauche, Patricia répond aussitôt.

— Ils viennent d’entrer après la femme dans un immeuble rue des Belles Feuilles. On attend leur sortie.

— OK. Pour nous, ça grenouillait nez au vent dans le marché de la rue La Fontaine, peu après la maison de la Radio. Maintenant, ils viennent de repérer une victime d’âge canonique, on poursuit derrière eux.

— Bien reçu, répond Paty de manière brève et laconique à la fois. Elle concentre de nouveau toute son attention sur la porte de l’immeuble qui l’intéresse, le cœur battant soudain plus vite quand elle la voit s’ouvrir, pour laisser finalement passer une jeune femme vêtue d’une robe bleu marine.

Patricia Baroni souffle un peu pour relâcher la pression qui monte de temps à autre lors de ce type de surveillance. Au moment où elle lève son poignet gauche pour vérifier sa montre, la porte s’entrouvre de nouveau et cette fois, c’est bien le tandem infernal qui sort. Elle prévient Biker qui s’est placé un peu à l’écart. Le duo n’est resté que deux minutes et demie dans le bâtiment, c’est bien court pour pénétrer chez la femme suivie, l’attaquer et la dévaliser, à moins qu’une agression ait été commise dans l’ascenseur ou l’escalier, juste pour voler les bijoux que cette élégante dame porte. Le tandem revient, l’allure détendue, sur l’avenue Georges Mandel et marche tranquillement en plaisantant. Cuir Marron rit même franchement, au point que les deux flics décident de faire l’impasse sur une vérification dans l’immeuble. Patricia fulmine. Elle a l’impression de revivre la sortie décontractée de Johnny et Archange de l’immeuble de la rue Duperré. Lorsque les deux individus arrivent à proximité de la bouche de métro Victor Hugo, elle se hâte pour ne pas avoir de retard au cas où ses cibles montent à la volée dans une rame, mais ils s’approchent tout simplement d’une voiture de marque Fiat Uno garée juste en face de la station. Patricia Baroni utilise sa radio pour prévenir Philippe Saurel. Ce dernier, bien camouflé derrière un camion, a déjà vu le manège. Anorak Noir ouvre à l’aide d’une clé et se met au volant. Puis de l’intérieur, il ouvre la portière de droite pour que Cuir Marron le rejoigne dans le véhicule.