Quantic Message Send - Éric Brissac - E-Book

Quantic Message Send E-Book

Éric Brissac

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Beschreibung

Marcus Saulin, chercheur dans le domaine de la téléphonie, monte un projet en collaboration avec le Centre Européen pour la Recherche Nucléaire. Il est immédiatement approuvé par un chef du gouvernement, fraîchement nommé, qui y voit l’opportunité de réaliser ses rêves les plus fous. Leur but : créer un téléphone quantique capable d’envoyer des messages dans un passé proche. Pour l’expérimenter, deux cobayes, un homme et une femme, sont sélectionnés. Une fois le téléphone entre leurs mains, leurs communications sont scrutées à la loupe pour étudier tout changement inopportun. Seulement, tout ne se passe pas comme prévu...


À PROPOS DE L'AUTEUR


Informaticien, Éric Brissac est influencé par des auteurs tels que René Barjavel et George Orwell. Avec Quantic Message Send - Le projet QMS, plus qu’un livre gravitant autour de ses passions, il signe plusieurs années d’écriture.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Ähnliche


Éric Brissac

Quantic Message Send

Le projet QMS

Roman

© Lys Bleu Éditions – Éric Brissac

ISBN : 979-10-377-5914-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Un roman ne reflète que la folie de son inventeur. Ne cherchez aucune vérité même si parfois elle se cache au détour d’une page.

Prologue

Je m’appelle Marcus Saulin. Toute ma vie professionnelle, je l’ai passée à travailler comme chercheur dans le domaine de la téléphonie. J’ai même dirigé certains des instituts pour lesquels j’ai donné de longues années de ma vie.

Lors d’un repas, un de mes amis me disait :

— Marcus, tu devrais écrire tes mémoires, tu dois avoir beaucoup de choses à raconter.

Ma vie s’est résumée à mon travail. Des recherches qui m’ont permis de faire de belles découvertes dans la téléphonie mobile. Il y en a une qui me tient à cœur, c’est le projet QMS. Il a transformé ma vie, m’apportant beaucoup de bonheur mais aussi son lot de malheur. Étant classifié secret défense, je n’ai pu en parler ni écrire la moindre ligne dessus. Mais aujourd’hui, à l’aube de ma vie, j’ai presque 90 ans, je ne risque plus rien. C’est pour cela que j’ai décidé de prendre ma plume et de vous dévoiler la vérité sur ce projet.

Une grande partie de ce livre est strictement vraie puisque je l’ai vécue. D’autres m’ont été relatées par des rapports des services secrets ou oralement par des interlocuteurs qui se trouvaient sur place. J’ai essayé de tout retranscrire au plus proche de la réalité.

Marcus Saulin

Partie I

Nicolas Aubert

Quand j’ai été kidnappé, mes parents ont tout de suite agi : ils ont loué ma chambre.

Woody Allen

1

Maintenant – Montpellier

Nicolas Aubert

Je viens d’être Kidnappé.

Ce soir, au détour d’une rue, j’ai rencontré l’enfer. Pourtant, tu as essayé de me prévenir mais comme un idiot, je ne t’ai pas crue.

Dans l’après-midi, j’ai reçu un message de ma compagne, il disait : « Nicolas, cela va te paraître complètement hallucinant mais ce soir tu seras kidnappé. Fais-moi confiance. Évite de passer par le centre-ville ». Ni une, ni deux, je l’appelle, mon amie a beaucoup d’humour, c’est une de ses qualités, mais je ne la vois pas faire une telle plaisanterie.

Étonnant, elle aussi a reçu le même avertissement me concernant. Encore plus déroutant, les deux messages proviennent de son numéro, mais elle me promet qu’elle n’en est pas l’auteure. Je lui fais totalement confiance, quoi qu’il en soit je ne mets jamais en doute la parole des gens que j’aime. Nous en avons logiquement déduit que c’était un canular, possible grâce aux technologies actuelles, et j’ai vite oublié cette mauvaise blague.

La ruelle est vide, écouteurs sur les oreilles, je la dévale, pressé, la voix du chanteur Sting rythme mes pas dans la nuit. « Roooxaane, you don’t have to put on the red light. Roooxaane – put on the red light … »

La lumière rouge, qui illumine la façade du café « L’Arôme » au bas de la rue, n’a pas été allumée par Roxane, elle provient des feux arrière d’une voiture qui se gare pile devant. Je me trouve au cœur de la ville de Montpellier dans le vieux quartier de l’Écusson, son centre historique.

La majorité des rues y sont étroites et mal éclairées, leur donnant un air peu rassurant lors d’une balade nocturne. Je descends la rue de l’Aiguillerie, c’est une artère commerçante qui est toujours très animée à toute heure de la journée. Mais ce soir, le froid l’a complètement vidée de ses habituels chalands, la nuit est glaciale en cette fin d’hiver.

« Walk the streets for money. »

Contrairement à Roxane, je ne marche pas dans la rue pour de l’argent. Je rentre chez moi après une bonne journée de travail, les mains au fond des poches de mon blouson, bien trop léger pour la saison.

« I loved you since, I knew you. »

Je t’ai aimée dès que je t’ai connue. Pas sûr que ce soit ainsi avec la personne que je vais bientôt croiser.

Dans un passage transversal apparaît un homme à la démarche traînante, vêtu d’un grand manteau sombre qui lui arrive jusqu’aux chevilles. C’est ce que j’ai remarqué en premier, le manteau, je me suis dit qu’il devait le tenir chaud et je me suis promis d’en chiner un, dès le lendemain. Son visage est masqué par la nuit, il passe tout près de moi, me fait signe de m’arrêter. Je pose l’un de mes écouteurs, il s’excuse et me demande du feu en me présentant sa cigarette.

Pendant que je pars à la recherche de mon briquet perdu au fin fond de la poche avant de mon jean, le mouvement d’ombres cachées derrière une porte cochère ne me semble pas suspect.

À partir de cet instant, tout se passe très vite. L’une me met un sac sur la tête, une autre me bouscule, me pousse. Je reçois un coup dans l’estomac, je m’affaisse, puis m’écroule complètement groggy. J’en perds mon dernier écouteur et n’entends pas la voix plaintive du chanteur dans un dernier « Roooxaane ».

Mes mains sont attachées. Je me retrouve immobilisé sur le pavé froid. On me soulève, je suis déplacé puis déposé brutalement (pour ne pas dire jeté) dans un espace étroit, peut-être le coffre du véhicule garé. J’entends le choc des portières qui se ferment, puis le bruit du moteur qui démarre, les vibrations de la voiture qui roule. Elle s’arrête, repart. Combien de temps s’est-il écoulé depuis cette mauvaise rencontre ? Cinq minutes, dix au maximum.

Je reprends un peu mes esprits. Affolé, mon cœur s’emballe, ma respiration est saccadée, je suffoque sous ce sac. Je me débats, je frappe le plus fort possible la cloison avec mes pieds. Je dois faire du bruit, il faut que quelqu’un m’entende, qu’on vienne me libérer. Je crie, je hurle :

— Au secours ! Aidez-moi ! Au secours !

Malheureusement, ma voix est étouffée par l’étoffe qui couvre ma tête, personne ne viendra à mon secours.

La voiture s’arrête, une portière s’ouvre. J’entends le grincement du coffre, une, deux, trois secondes, il s’en suit une fulgurante douleur qui me traverse le corps et qui m’emporte dans un immense trou noir. Je sombre dans l’oubli, tout est fini, je meurs. Adieu, Roxane.

***

Je me réveille en sursaut. Où suis-je ? Toujours dans le noir. Sur ma tête se trouve encore ce maudit sac. La surface du sol a changé, elle est maintenant souple, confortable et tiède, un véritable nid d’amour, dans tout autre situation. Il n’y a plus de bruit de moteur, plus de vibration, uniquement le silence. J’essaye de me redresser mais c’est impossible, mes mains sont sanglées. Tel un maître bushi japonais, je concentre toute l’énergie en moi, puis la libère dans une explosion de violence, accompagnée d’un cri venu du plus profond de mon âme. Je me débats dans tous les sens pour faire sauter les attaches. Au bout de quelques secondes, j’arrête épuisé, rien n’y fait.

Pourquoi m’avoir enfermé ? Qu’ai-je fait ? Sortez-moi de là. Je hurle, mais personne ne vient.

De longues minutes, qui se transforment sans doute en heures, passent. Enfin, un bruit sourd résonne, puis un coulissement de porte. Des pas. Sous le sac, je perçois un changement de luminosité, la lumière vient d’être allumée.

Mon cœur s’accélère. L’espoir renaît, mon libérateur est-il là, ou est-ce plutôt mon tortionnaire ?

— Qui êtes-vous ? Je suis où ?

Aucune réponse.

Il fait passer l’embout d’une paille sous le sac, j’aspire. De l’eau, c’est bon, j’avais la gorge sèche. La personne qui est entrée dans la pièce n’a pas dit un mot mais je peux sentir sa transpiration. Son odeur aigre me dégoûte et me donne envie de vomir.

Une nouvelle paille, une boisson épaisse au goût de vanille se répand dans ma bouche. Mon repas, je l’avale goulûment, je n’ai rien mangé depuis hier soir. J’ai terminé, la paille s’écarte. Des pas, puis la porte qui coulisse. De nouveau dans le noir total, je me mets à pleurer.

Les idées défilent dans ma tête. Que va-t-il se passer ? Qui sont ces gens ? Que me veulent-ils ? Je n’y comprends absolument rien, mais comment le pourrai-je ? Alors, dans le plus grand désespoir, les larmes plein les yeux, je me résigne dans l’attente désespérée qu’ils se manifestent.

Je m’appelle Nicolas Aubert, je suis ingénieur en informatique. J’ai des enfants d’un premier mariage et une compagne, Anna Genet. Je suis propriétaire de l’appartement où je vis. Je possède un peu d’argent, mais rien d’extraordinaire. Non, rien dans ma simple vie n’aurait pu prédire mon enlèvement. Alors pourquoi ?

Soudain, je me souviens du message reçu dans l’après-midi. « Cela va te paraître complètement hallucinant mais ce soir tu seras kidnappé ». Qui a bien pu me l’envoyer en usurpant le numéro d’Anna ? Qui a essayé de me prévenir ? Toutes ces questions se télescopent dans ma tête.

Des réponses j’en aurai, mais plus tard. Pour l’instant, je dois organiser ma survie et garder espoir, je ne dois pas sombrer dans la folie. Que s’est-il passé ces derniers jours, pourquoi je me retrouve ici ? Je vais tout analyser et je trouverais, ou du moins je vais essayer.

2

Le mois dernier – Premier contact

Nicolas Aubert

Vendredi dix-sept heures. Je sors du boulot.

Je travaille depuis une vingtaine d’années dans une société qui informatise les notaires. Elle se trouve au centre-ville de Montpellier, près de la place de la Comédie. De mon bureau, je peux voir la fontaine des Trois Grâces, les trois filles de Zeus. Sur une plaquette de l’office du tourisme, j’ai lu que ces déesses traduisent la séduction, la beauté, la nature, la créativité et la fécondité, rien que ça, tout ce que j’aime dans une femme. Quand je fais une pause-café, de ma fenêtre j’aime contempler le corps topless de ces beautés antiques. De vraies femmes avec un corps de femme, bien loin de ceux des mannequins trop minces, qui nous dictent encore aujourd’hui, notre façon de nous habiller.

Mon travail consiste à installer nos applications sur les ordinateurs de nos clients puis à les former. Mais, il ne s’arrête pas là, quand les utilisateurs ont des problèmes, je dois les résoudre. Cela fait plus de vingt ans que je leur trouve quotidiennement des solutions, je vous promets cela forge une personnalité, à tel point que mes collègues de travail me surnomment MacGyver. Vous vous souvenez, c’est le héros d’une série américaine des années 80. Son personnage principal trouve une multitude de solutions étonnantes pour résoudre les embûches que le scénariste s’est amusé à lui semer lors des 139 épisodes. Pas de doute, je suis son clone.

Je me déplace régulièrement chez mes clients sur un secteur qui va de la frontière espagnole à la frontière italienne et qui remonte sur le centre de la France. En quelque sorte, mon triangle des Bermudes, bien que, rien n’y ait jamais disparu, enfin si, 20 ans de ma vie.

Je décolle le matin tôt et rentre le soir tard. Ces belles et longues journées de travail font que je n’ai pas vu passer toutes ces années et ai eu l’impression de ne pas voir grandir mes filles. Aujourd’hui, elles ont 27 et 25 ans et volent de leurs propres ailes. Que le temps passe vite.

Dès ce matin, 8 heures, les appels téléphoniques se sont enchaînés. Les problèmes de mes clients vont du plus simple, un écran qui ne s’allume pas, au plus compliqué, sa comptabilité est déséquilibrée. J’ai un gros avantage sur mes collègues de travail, cela fait pas mal de temps que je vois défiler les questions les plus délirantes, les demandes abracadabrantesques, les soucis qui viennent d’un manque de formation, et ceux d’un stressé de la gâchette qui clique sur tout ce qui bouge et je pense en avoir fait le tour. Donc, mes réponses sont précises et rapides, et j’enchaîne les appels. Mais parfois, surprise, un client me pose une colle qui devient rapidement une énigme à résoudre. C’est là que mes talents d’inspecteur Gadget entrent en jeu, cela change de la routine. Comprendre quelle manipulation a pu faire le client, même s’il m’assure qu’il n’a rien fait, me passionne. Mais trouver la solution n’est pas suffisant, faut-il encore l’expliquer et convaincre l’auteur qui l’a commise de ne plus la reproduire. Je vous promets, quand je suis de maintenance, la journée passe à la vitesse de la lumière, à tel point, que le plus souvent je n’ai pas eu le temps de regarder ma montre qu’il est déjà l’heure de partir.

Pour certains de mes amis, leur travail est toute leur vie. Moi j’ai une vie à côté et j’essaye d’en profiter. Tous les mardis soir, en soirée, je vais grimper. Je suis inscrit dans un club d’escalade depuis une quinzaine d’années. Régulièrement, le week-end, nous faisons des sorties dans les différents secteurs de grimpe de la région. Je n’ai pas un niveau exceptionnel mais il me permet de me dépasser et de me défouler sur nos belles falaises calcaires. Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas le vertige et une centaine de mètres sous les pieds ne me fait pas peur.

Quand nous ne grimpons pas, avec Anna, nous faisons de grandes randonnées. Généralement plus de dix kilomètres, en bord de mer et dans notre arrière-pays. J’ai inventé un concept, qui se nomme Rando-Resto-Rando. C’est très simple, nous nous garons à plus de cinq kilomètres du restaurant. Une belle balade avant de manger ouvre l’appétit, et une belle balade après permet de digérer. Ce concept a aussi une variante que j’appelle Canot-Resto-Canot. Dans la même idée, nous nous garons à cinq kilomètres du restaurant mais c’est en canoé que nous y allons. Il est évident qu’il nous faut un plan d’eau ou une rivière, mais dans notre région il y a de quoi faire. Entre les étangs de Camargue, ceux du pays Catalan, le grand lac du Salagou au nord de Montpellier et tout le littoral du golfe du Lyon, nous avons de quoi ramer pendant des années.

« Rame, rame. Rameurs, ramez. On avance à rien dans c’canoë. » La chanson d’Alain Souchon est devenue l’hymne de Anna. Elle n’hésite pas à la chanter à tue-tête juste pour me taquiner lors de nos sorties nautiques.

Depuis peu, nous nous essayons à la Salsa. Bien que débutant nous n’hésitons pas à esquisser quelque pas de dance sur le « Dancefloor », dès que nous le pouvons. Bien sûr, vous vous doutez bien que j’ai inventé un nouveau concept, vous imaginez lequel ?

Ensemble depuis trois ans, nous nous sommes rencontrés le 21 juin, le jour le plus long. Paradoxalement, ce fut pour nous la nuit la plus longue alors qu’en réalité elle était la plus courte. Trop compliqué ? Je résume, nous nous sommes embrassés sur une chanson Gipsy le soir de la fête de la musique et depuis tout va bien entre nous.

Anna habite dans le quartier des arceaux dans le centre de Montpellier avec ses deux enfants. Ils ont 26 et 22 ans et toujours à la maison. En semaine, elle cohabite avec eux et le week-end elle me rejoint chez moi à Castries. Nous essayons de profiter de la vie ensemble pendant trois jours, loin des problèmes quotidiens de la semaine.

Entre boulot et sortie, ma vie est bien remplie, mais je n’imaginais pas que dans les jours à venir elle le serait encore plus.

Ce soir, je quitte le bureau, direction la petite commune où j’habite, au nord-est de Montpellier. Ma radio préférée diffuse le dernier titre endiablé, Big Brothers, du chanteur Jamaïquain Winston McAnuff et de l’accordéoniste français Fixi. C’est un mélange de son cubain, soul et funk qui dégage une énergie musicale qui n’a de cesse de me faire chanter tout au long du trajet au volant de ma voiture.

La chanson est brutalement interrompue, par la sonnerie de mon téléphone portable. Il est connecté sur le kit mains libres de la voiture, j’accepte l’appel, c’est Marion ma fille aînée.

— Coucou Papou, ça va ?

— Coucou Marion, oui impec et toi ?

— Nickel, je voulais te faire de gros bisous, je pars pour Barcelone avec Kev, on va passer le week-end là-bas.

— Vous avez trouvé un hôtel ?

— On dort chez des amis, ils habitent près du centre.

— Super, amusez-vous bien, attention sur la route, vous allez rouler de nuit, soyez prudents.

— T’inquiète pas, Kev est très prudent en voiture.

— Très bien, passez un bon week-end, éclatez-vous bien.

— Plein de gros bisous, Papou.

— Plein de gros bisous à vous deux et bonne route.

Marion raccroche. Kev est son petit ami, ils sont ensemble depuis deux ans. Ils forment un très joli couple. J’espère qu’ils vont pouvoir se détendre, ils travaillent ensemble dans une boîte de communication à Montpellier. Avec les élections municipales qui approchent, ils ont énormément de boulot en ce moment.

Comme disait le philosophe et grand penseur argentin Pedro Ahouelas : « Mieux vaut être surchargé de travail que ne pas en avoir du tout. ». C’est évident, mais un vrai partage des tâches pourrait permettre à chacun de vivre correctement sans s’épuiser. Je me pose souvent cette question, pourquoi certains ont trop de travail à en tomber malade jusqu’à faire un « Burn Out » alors que d’autres n’en ont pas et ne demandent qu’à aider. Notre société est ainsi faîte, tout ou rien, riche ou pauvre sans juste milieu. Au vingt et unième siècle, il serait peut-être temps de la changer, de la faire évoluer. En tout cas, un bon week-end de fiesta en Espagne leur fera énormément du bien.

J’arrive enfin chez moi. Comme chacun de mes vendredis, depuis trois ans, c’est avec grand plaisir que je retrouve Anna.

Quand je passe la porte de mon appartement, elle est là, belle, souriante. Nous nous enlaçons et échangeons un long baiser. Quatre jours sans la serrer dans mes bras c’est long.

Elle a préparé un petit apéro. Sur la table, mon regard se pose sur de fines rondelles de Fouet Catalan qui cohabitent avec radis, cacahouètes grillées, carrés de fromage et deux verres de vin blanc, Picpoul de Pinet, bien frais.

La grand-mère d’Anna était une productrice de Picpoul. Le terroir de ce vin prend naissance autour du bassin de l’étang de Thau et s’étend jusqu’à Pézenas la ville de Molière.

Ce soir, nous préparons le repas ensemble. Au menu, côtelettes d’agneau grillées et ratatouille maison, une de nos spécialités. Bien sûr, arrosé par ce vin blanc qui lui rappelle tant de souvenirs d’enfance et qui nous déliera la langue après quelques verres.

Avant de passer à table j’appelle Cécile, ma fille, c’est la plus jeune. Elle finit ses six longues années d’études en pharmacie. Elle prépare sa thèse qu’elle présentera en septembre. Elle travaillera dans l’industrie pharmaceutique, c’est le chemin qu’elle a choisi. Je me souviens, il y a 25 ans, un jour sa mère me dit : « Allons, jubile ce sera un garçon. Et te voilà Cécile, ma fille ».

— Coucou, Cécile, comment vas-tu ?

— Ça va, et toi ?

— Impec pour moi, tu fais quoi ce week-end ?

Je lui demande chaque fois et chaque fois c’est la même réponse.

— Tu sais bien, je bosse.

— Oui, je le sais, ce n’est pas trop dur en ce moment.

— Pas plus que d’habitude, c’est la dernière ligne droite dans cinq mois j’ai fini et une nouvelle vie commence pour moi.

Cette nouvelle vie, elle l’a goûté l’année dernière pendant ses 5 mois de stage chez Pierre Fabre, un industriel pharmaceutique toulousain. Plus de cours, plus de soirées à réviser, des week-ends à soi, où l’on peut sortir, s’amuser, et farnienter le matin. La vraie vie. Après quelques échanges, nous nous embrassons et je raccroche.

Je passe à table avec Anna et nous trinquons à nos retrouvailles, notre belle soirée d’hiver peut commencer.

Après le repas, elle se prolonge par un de mes films préférés, Interstellar, du réalisateur Christopher Nolan. Ce doit être la cinquième fois que je le vois, je ne m’en lasse pas. Chaque nouveau visionnage m’a permis de mieux en appréhender tous les détails, mais pour Anna ce sera une première. Une équipe d’astronautes franchit un trou de ver (un passage), les conduisant dans une autre galaxie à la recherche d’une planète habitable pour sauver l’humanité, alors que la terre se meurt. C’est assez conventionnel comme histoire, l’homme qui a détruit sa maison part à la conquête d’une nouvelle, je ne veux pas vous effrayer mais c’est certainement ce qui nous attend si nous continuons à polluer et à dilapider toutes les matières premières de notre belle planète bleue. Mais, il y a une telle intensité et tant d’émotion dans ce film que je ne m’en lasse pas. Les images du trou noir géant Gargantua, comme son homonyme Rabelaisien, avalant tout ce qui s’approche trop près de lui, sont d’une beauté hypnotique. Et surtout, on vit une expérience en dehors de l’espace-temps. J’ai adoré.

À ce moment-là, j’étais bien loin de me douter que dans les heures à venir j’allais vivre moi aussi une telle expérience.

Trois heures plus tard, le film est un peu long mais on ne les voit pas passer, nous nous retrouvons dans mon nid d’aigle qui surplombe le salon. Le nid d’aigle c’est ma chambre. Quatre jours d’abstinence sexuelle nous ont ouvert l’appétit. Après de longues caresses et de tendres baisers gourmands, nous nous lançons dans un ébat amoureux passionné. J’ai entendu dire par le Docteur Saldmann lors d’une émission télévisée de grande écoute que le coït idéal durait maximum 13 minutes, au-delà tout le monde s’ennuie, je vous rassure ce n’est pas notre cas, nous finissons épuisés par nous endormir enlacés l’un à l’autre.

Bzz, Bzz, Bzz. Ça, c’est la sonnerie de mon smartphone lors d’une arrivée de SMS. C’est le son spécial numéro inconnu. Donc, samedi Sept heures du matin, Bzz, Bzz, Bzz, je ne lis pas le message et je me rendors. Neuf heures, nous nous réveillons et après un long baiser, c’est un bon café qui nous attend.

Le petit déjeuner, nous le prenons dès que nous pouvons sur ma terrasse. C’est-à-dire quand le ciel est clément et que la température s’y prête, une grande partie de l’année, n’oubliez pas que nous sommes dans le sud de la France. Ma terrasse n’est pas très grande, mais une table ronde et deux chaises y tiennent largement. Elle donne sur le jardin arboré de la résidence et sur une ruelle du village d’où émergent les vieilles toitures des maisons. Ce samedi matin, tout est calme, aucun bruit ne vient perturber le chant des deux tourterelles qui se trouvent à la cime du grand pin qui trône au centre du jardin. Nous déjeunons tranquillement.

Bzz, Bzz, Bzz, de nouveau cette sonnerie. Toujours ce numéro inconnu, sans doute de la publicité. Je le lirai le message plus tard.

Le petit déjeuner terminé, nous nous préparons, en cette fin de matinée, il est presque onze heures, nous avons décidé d’aller faire quelques achats au marché pour faire le plein de fruits et légumes bio. C’est notre façon à nous d’aider l’agriculture locale et de manger sain.

En partant je prends mon téléphone et je jette un œil aux messages que j’ai reçus dans la matinée, surpris je lis : « Qui êtes-vous ? » suivi de « Que me voulez-vous ? »

Je reste songeur. Ça sent l’arnaque. Combien de gens se font avoir en rappelant des numéros surtaxés ? Trop, mais certainement pas moi.

Nous partons pour la ville de Sommières et son remarquable marché de producteurs locaux. Bien que dans le Gard, Sommières ne se trouve qu’à quelques kilomètres de chez moi, à peine vingt minutes en voiture. C’est une cité médiévale, lovée au bord du Vidourle, la rivière qui la longe.

Je me gare sur le grand parking à l’entrée de la ville, comme à son habitude les jours de marché, il est presque plein. Nous traversons le pont romain construit au premier siècle pour pénétrer dans le cœur du vieux village. L’été, pendant les périodes de canicule, c’est dans ses ruelles étroites qu’il faut se balader, où la fraîcheur règne. L’hiver, à la recherche d’un rayon de soleil, c’est au bord du Vidourle que nous le trouvons ou alors, au pied de son château dont la tour culmine au-dessus de la ville. De là, la vue sur les toitures des maisons est surprenante, c’est un mélange de pigments, qui vont du rose au rouge, dignes du peintre impressionniste Claude Monet. Il n’est pas rare en fin d’automne d’y voir une immense nuée d’étourneaux virevolter dans un sens, puis dans l’autre, réalisant d’étonnants ballets qui portent le nom de murmuration. Ils le font pour leur survie, le premier qui stoppe sa danse court le risque de mourir dans les serres d’un prédateur. En groupe, l’ennemi n’ose pas les attaquer. Ces oiseaux nous donnent une belle leçon de vie, ensemble ils deviennent invincibles.

Le samedi matin, nous aimons flâner le long des stands du marché, où se mêlent nourritures, légumes, fruits, vêtements, antiquaires, c’est une explosion de couleurs et de parfums qui nous enivrent.

Ce midi, c’est par des fragrances de savon que nous démarrons. Sans transition, ce qui fait le charme d’un marché, elles sont remplacées, par celles, légèrement aigres, du fromage de chèvre, puis vient le tour de l’olive confite et de la tapenade. Comment ne pas se lécher les babines, tout donne envie. Maintenant, ce sont les effluves des nems chinois. Puis vient le tour du poisson, je préfère ne pas m’attarder. Il me manque un fumet, celui qui embaumera mon repas, je pars à sa recherche.

La place du marché est très pittoresque, elle se trouve au centre du village, les maisons qui l’entourent sont surélevées par des arcades aux formes différentes, protection obligatoire en cas de crue. Vous pouvez me croire il y en a eu souvent, pour ne pas les oublier, des marques ont été posées sur les murs, elles murmurent aux oreilles des habitants de ne jamais vivre en rez-de-chaussée.

À Sommières, il est possible de déguster en terrasse de ses cafés les produits achetés au marché. Bien sûr, il faudra, les accompagner d’une bonne bière locale ou d’un bon vin de pays. Il n’est pas rare d’y rencontrer des sommités locales ou plus éloignées. L’Eurodéputé Daniel Cohn-Bendit y a ses quartiers, quand il est en vacances dans la région.

En cette fin de matinée, c’est une odeur très agréable qui m’attire. De magnifiques poulets fermiers dorent dans la rôtissoire du volailler. J’attends mon tour, tout en salivant d’avance, je vais me régaler.

« Bzz, Bzz, Bzz », nouveau message.

Je règle ma commande et me dirige vers le restaurant italien au centre du village où m’attend Anna. Elle a trouvé un endroit où boire un coup. C’est toujours chargé le samedi et les places dans les bars sont rares. Une fois installés sous les platanes nus, fraîchement taillés qui formeront cet été une protection naturelle contre le soleil et la chaleur, je consulte mon téléphone et lis le message : « Svp, répondez-moi ».

Trop fort ces arnaqueurs, mais moi on ne me la fait pas.

Le poulet fermier est succulent et le vin rouge léger, fruité. Il me régale le palais, comme aurait pu dire mon grand-père s’il était toujours parmi nous. C’est un vin du Pic Saint Loup, la montagne qui surplombe Montpellier. On peut en voir ses rondeurs depuis les étangs qui bordent le littoral Héraultais. Son vin y est maintenant reconnu par les amateurs de bon vin et son prix a tendance à grimper en flèche mais quand on aime, on ne compte pas, où presque pas. Autour de grandes tables communes se mêlent sommiérois, touristes, bobos, c’est un mélange hétéroclite où chacun partage des discussions variées et animées.

En bout de table, un couple jette un œil de temps en temps vers nous. J’ai la sensation de connaître l’homme, mais impossible de me rappeler d’où. Peut-être une personne que j’ai rencontrée chez un client, j’en ai quelques-uns, dans le coin. Si je ne le connais pas, j’ai tout de même l’impression de l’avoir déjà croisé. J’ai un échange de regard avec lui, mais derrière ses lunettes de soleil, il reste stoïque et ne m’adresse aucun sourire, je finis par tourner la tête. Je l’ai certainement confondu avec une connaissance. Quelques minutes plus tard, le couple se lève et disparaît rapidement dans la foule, laissant deux places libres rapidement occupées par de nouveaux clients.

Je me tourne vers Anna et lui prends les mains, c’est le signe du départ, après ce bon repas, un peu d’exercice physique, pour digérer, nous attend.

Il y a d’innombrables ballades autour de Sommières, mais il y en a particulièrement une que nous aimons faire après déjeuner. Je l’appelle, la ballade des trois châteaux et des deux moulins. Elle est chargée d’histoire et traverse de magnifiques paysages gardois. Nous la démarrons du château médiéval, le point culminant de la cité. C’est une véritable citadelle qui domine la ville, il a été forteresse royale, place de sûreté protestante pour finir en prison. Aujourd’hui, il est en cours de restauration. La ballade passe ensuite devant le château de Lantillac, il est juché sur la colline et surplombe le village et les ruines du château médiéval. Après avoir gravi un chemin rocailleux et escarpé au travers d’un étroit couloir entre un grand massif de chênes verts et de broussailles, certainement l’ancien chemin de ronde, nous arrivons à Villevieille.

Nous longeons son château qui domine la vallée du Vidourle, puis nous accédons au centre-ville par les remparts qui entourent le village. Son emplacement lui donnera un rôle stratégique et défensif à la fin du Moyen Âge qu’il perdra par la suite au profit de Sommières, aujourd’hui ce n’est plus qu’un village-dortoir aux rues vides, nous sortons des fortifications par la porte de l’horloge sans avoir croisé aucune âme qui vive.

La ballade se poursuit sur un petit chemin caillouteux qui traverse vignobles et oliveraies. En bordure, nous avons croisé plusieurs capitelles en très bon état, ce sont des cabanes en pierre sèche servant autrefois d’abris aux agriculteurs. Sur le chemin, nous longeons de vieux murets eux aussi en pierre, ils sont le témoin des techniques de construction du début du 19e siècle. Puis, nous traversons le ruisseau des Corbières grâce à une passerelle en fer, juste avant d’arriver aux carrières du Bon Temps, à côté du village de Junas. C’est un site féérique forgé par deux mille ans d’extraction de roche, nous y faisons une pause bien méritée. Ses pierres ont servi à la construction de Sommières et des remparts d’Aigues-Mortes aux portes de la Camargue. Aujourd’hui, le site est devenu un lieu de promenade et accueille un festival de Jazz et des rencontres de sculpteurs.

Allongé sur une chaise longue façonnée dans un bloc de pierre je m’assoupis. À mon réveil, le site est envahi par une myriade de visiteurs bruyants. Parmi eux, je reconnais le couple du marché.

Je me lève et me dirige vers eux, décidé à leur parler. Arrivé à leur hauteur, je n’en suis plus si sûr, l’homme me semble plus enveloppé, il ne porte plus de lunettes et la femme est plus petite. Ils n’ont même pas jeté un regard vers moi, ils contemplent tranquillement les falaises sculptées de la carrière. En passant près d’eux, je leur dis « Bonjour », ils me répondent avec un accent étranger, proche de la prononciation anglo-saxonne. C’est clair, je ne les connais pas.

Après cette petite sieste, nous quittons la carrière et rejoignons Junas. Nous prendrons la route du retour dès que nous aurons effectué le tour du village et un bref arrêt à sa fontaine pour nous désaltérer.

Bzz, Bzz, Bzz, revoilà notre ami. Je récupère mon téléphone dans le sac à dos. Je suis médusé par ce que Je lis : « Svp, répondez-moi, je m’appelle Nicolas, qui êtes-vous ? ».

C’en est trop, il faut que ça s’arrête, je rappelle…

Au bout du fil, personne. Il n’y a même pas de sonnerie ni de messagerie, mon téléphone coupe directement.

J’écris un message et je l’envoie, « Stop SMS, cela suffit, la plaisanterie à assez durée ».

J’attends quelques minutes, aucune réponse. Je souris et range mon téléphone dans la poche de ma veste, je le savais, c’est une arnaque ou une publicité. Ils ont dû récupérer mon numéro et mon prénom sur un des sites internet que je fréquente.

Nous reprenons notre balade quant au bout de quelques pas, Bzz, Bzz, Bzz.

Je sors mon téléphone et lis la réponse.

— Je ne comprends pas votre réponse, que voulez-vous me dire par Stop SMS, ce n’est pas une plaisanterie, pourquoi suis-je là ? Qu’ai-je fait ? Comme je vous l’ai déjà écrit, je m’appelle Nicolas. SVP, donnez-moi des réponses, sinon je vais craquer ?

Ce message me perturbe complètement, il est vraiment étrange, en fait, il me fait presque peur.

Je me pose sur un rocher qui borde le chemin quelques instants pour réfléchir. Anna me regarde les yeux remplis d’inquiétude.

— Ces messages, qui te les envoie ?

— Je ne sais pas, c’est un numéro que je n’ai pas dans mon répertoire. J’ai essayé de l’appeler mais cela coupe directement.

Puis une idée traverse mon esprit, j’ai un collègue de travail qui s’appelle Nicolas comme moi. Mais ce numéro n’est pas le sien, peut-être, a-t-il changé d’abonnement sans me prévenir ?

Je vais sur internet et frappe le numéro pour voir s’il ressort comme arnaque ou si son propriétaire est référencé dans les pages blanches mais aucune information intéressante n’apparaît dans le résultat de recherche.

Une autre idée, j’appelle le service clientèle de mon abonnement téléphonique pour savoir si le numéro est surtaxé. L’opérateur me dit que non. J’essaye l’annuaire inversé et là on me dit que l’abonné est sur liste rouge, bizarre.

Je verrai plus tard, il faut d’abord finir notre randonnée le soleil se couche tôt en hiver et le froid s’installe rapidement. Je n’ai pas du tout envie de marcher dans les bois de nuit.

Dans la forêt, nous passons devant un ancien moulin en ruine, seul son corps central est encore debout, toiture et ailes ont disparu. De là, nous descendons sur autre moulin, celui des Corbières qui longe le ruisseau que nous avons traversé un peu plus tôt. Encore quelques pas et notre randonnée finit là où nous l’avons commencée, au pied du château de Sommières, le soleil vient tout juste de se coucher. Nous venons de parcourir une boucle de douze kilomètres en deux heures et demie de marche soutenue, nous sommes en forme.

Avant de regagner l’appartement, nous nous arrêtons dans un café au bord de la rivière pour boire un chocolat chaud, il est bienvenu.

Je relis le dernier message reçu et décide d’y répondre.

— Qui es-tu vraiment et que veux-tu ? Es-tu Nicolas Sonna, mon collègue de travail ? Si non, la plaisanterie a assez duré. Si tu continues, j’appelle les flics et je porte plainte pour harcèlement.

Je ne peux pas être plus clair, s’il n’a pas compris je n’hésiterai pas à déposer une main courante auprès de la gendarmerie, il y en a une à deux pas de chez moi.

3

Maintenant – Apprentissage

Nicolas Aubert

La nuit a été longue, j’ai beaucoup réfléchi, puis j’ai fini par m’endormir.

Je n’y croyais plus, mais ce matin on m’a retiré le sac et on m’a détaché. Qui ? Je n’en sais rien, il faisait noir, je n’ai pu voir aucun visage. Puis, ils ont quitté la pièce, et dans le plafond une ampoule s’est allumée. L’espoir est revenu.

Je me suis levé et rapidement arpenté la pièce où je suis retenu. J’en ai vite fait le tour, elle est exiguë, s’il n’y avait pas ce petit air frais, je pense que j’aurais fait une crise de claustrophobie. Dans un coin, une cuvette pour faire mes besoins et un petit évier pour me laver les mains. Je me suis ensuite allongé sur le seul élément qui dépasse du mur, la couchette où j’ai passé la nuit. Aucune fenêtre, aucune ouverture, un cube parfait d’une blancheur immaculée, comme si j’étais le premier.

Le temps s’écoule inexorablement, j’en perds sa notion. Ce doit être le but de mes ravisseurs. Mon esprit est tourmenté par d’innombrables questions. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Pourquoi tout ce cinéma ? J’ai envie de crier, mais je me retiens, je ne leur ferai pas ce cadeau. S’ils veulent quelque chose de moi ce sera à eux de se manifester, je ne bougerai plus de ma banquette, bras le long du corps et les yeux fixés au plafond, une momie dans son sarcophage blanc. J’engage avec eux un bras de fer psychologique.

Trente centimètres sur trente, c’est approximativement la taille de l’ouverture qui se forme dans le mur face à moi. Surpris par cette apparition soudaine, je me lève pour mieux l’appréhender, posé à l’intérieur, un bol.

De la nourriture, une sorte de pâte crémeuse protéinée, le goût n’est pas différent de mon premier repas, encore de la crème à la vanille. Ce n’est pas mauvais, pas vraiment bon non plus, il faut juste aimer la vanille.

Une fois rassasié je pose le bol sur le sol.

J’appelle, mais personne ne me répond. Je ne comprends toujours pas leur but. La seule chose que je peux faire dans cette pièce trop petite est de m’allonger et d’attendre, ils finiront bien par se manifester et m’expliquer tout ce merdier.

J’ai soif, je le crie. S’ils m’écoutent peut-être qu’ils me donneront à boire. Je me souviens qu’il y a un évier, je me lève pour aller me désaltérer directement au robinet quand j’entends le bruit typique de la fenêtre qui s’ouvre. Elle est vide. Je parle à haute voix pour qu’ils m’entendent, « C’est malin, bande de Schtroumpfs imbéciles, vous auriez pu me donner un verre d’eau ». J’essaye la provocation, puis mon regard s’arrête sur le bol posé sur le sol. Une idée, le ramasser et le déposer dans l’ouverture, que va-t-il se passer ?

Elle se ferme, puis quelques secondes plus tard s’ouvre, le bol est plein d’eau.

Je pense avoir compris, je n’ai qu’à demander puis poser le bol et ils le remplissent. Je retiens la leçon pour la suite.

D’ailleurs, cela me donne une nouvelle idée, on verra bien si j’ai raison.

— Je veux parler à quelqu’un.

La fenêtre dans le mur s’ouvre, ça fonctionne, j’y pose le bol. Elle se ferme, puis s’ouvre de nouveau.

J’écarquille les yeux, je ne le crois pas, c’est bien un téléphone.

Je me précipite pour le saisir, il ne faudrait pas que la trappe se referme. Je suis soulagé, il y a du réseau. J’appelle tous les numéros qui me passent par la tête, le Samu 15, pas de tonalité, la police 17, pas plus, les pompiers 18, toujours rien. J’en étais sûr c’était trop facile.

Je consulte le répertoire du téléphone, vide.

J’essaye de me souvenir d’un numéro, mais rien ne me vient à l’esprit. Avec ces téléphones modernes, il n’est plus utile de les mémoriser. Donc, ce téléphone ne me sert à rien, totalement inutile. Je hurle qu’ils aillent se faire foutre, et je le jette dans la fenêtre. Bizarre, la trappe ne se referme pas.

Assis sur la banquette, je reste un long moment immobile à l’observer, songeur. S’ils me l’ont fait passer, c’est qu’il y a une bonne raison, mais laquelle ? J’en suis maintenant sûr, ils veulent communiquer avec moi, je me lève et le récupère. Si j’essaye des numéros au hasard, je finirai bien par tomber sur quelqu’un. Au bout de plusieurs essais, j’abandonne, cela ne sert à rien. Ils jouent avec mes nerfs, s’ils me regardent derrière leur caméra ils doivent bien se marrer.

Un Idiot. Un imbécile, c’est tout ce que je suis, bien sûr que je connais un numéro, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

Le seul et unique numéro que je connaisse, celui que j’ai appris par cœur et que je ne pourrai jamais oublier, sauf si un jour je deviens amnésique est bien sûr, le mien.

4

Le mois dernier – Deuxième contact

Nicolas Aubert

Mon dernier message n’a reçu aucune réponse. C’est bien ce que je pensais, ces SMS proviennent d’un gros débile qui doit s’ennuyer et qui passe ses journées à terroriser les honnêtes gens.

En cette fin d’après-midi, je propose à Anna d’aller au cinéma, il y a un film que j’aimerais voir, « Bohemian Rhapsody ». Il retrace le destin extraordinaire du groupe Queen et de son chanteur mythique Freddie Mercury. C’est d’accord, elle enfile sa veste et nous voilà partis pour le Gaumont Multiplexe de Montpellier. Sur la route, nous entrons immédiatement dans l’ambiance du film, sur le lecteur multimédia de ma voiture je mets l’album « A night at the Opéra », Queen est un de mes groupes préférés.

— Is this the real life, is this just fantasy.

Est-ce la vraie vie ou un rêve ? C’est bien ce que je me suis demandé cet après-midi.

— Caught in a landslide, no escape from reality.

Pris dans un glissement de terrain, pas d’échappatoire à la réalité. Ça ressemble trop à ce que je viens de vivre, je crois que je vais changer de chanson.

— Scaramouche, Scaramouche, will you do the Fandango.

— Galileo Galileo

Nous voilà tous les deux en train de danser dans la voiture, nous dandinant de droite à gauche. Et reprenant en cœur :

— Mama mia, mama mia, mama mia let me go

Nous arrivons au cinéma, pas d’attente aux caisses, j’ai réservé nos places directement sur internet. Nous nous installons confortablement dans nos fauteuils prêts pour deux heures de grand spectacle.

Nous n’avons pas été déçus, Le film est un véritable bonheur, même s’il présente un portrait romancé de Freddy Mercury. J’ai adoré les passages où l’on voit le groupe en pleine création. Le final, au concert Live Aid est magique, une communion avec les fans, Freddy au sommet de son art.

À la sortie du cinéma, une bonne bière nous attend à la brasserie des 3 Brasseurs. J’ai coupé mon téléphone avant le début du film, je ne le rallume pas, il ne faudrait pas que l’autre zinzin m’ait renvoyé un SMS, je n’ai pas du tout envie de le lire. Je suis encore dans mon nuage, la tête remplie des images de Queen, de la musique et des paroles de leurs chansons.

Il est temps de rentrer, nous prenons la route du retour, dans la voiture les enceintes clament :

I'm a rocket ship on my way to Mars

Je suis une fusée se dirigeant vers mars.

Don't stop me don't stop me

Ne m’arrête pas, ne m’arrête pas.

I'm traveling at the speed of light

Je voyage à la vitesse de la lumière.

Don't stop me don't stop me

Ne m’arrête pas, ne m’arrête pas

Nous voilà en train de rouler, à la vitesse de la lumière dans les rues de Montpellier, direction Castries. Enivré par la musique, je ne m’aperçois pas que je dépasse allégrement les 70 km/h autorisés. Anna se met à hurler plus fort que Freddy.

— RALENTIS !

Elle a raison, je stoppe ma course folle, et gagne la vitesse autorisée. Nous arrivons déjà, que d’émotions en une seule journée ! Passé le seuil de la porte, je monte dans la chambre, épuisé, je me jette dans les bras de Morphée.

Le lendemain matin, après notre sex-time dominical, nous partageons un bon petit déjeuner sur ma terrasse ensoleillée, grand café noir, tartine confiture d’abricot pour Anna, miel pour moi. Pendant ce deuxième moment de plaisir de la journée, nous prenons la décision d’aller marcher en bord de mer, il faut profiter de cette belle journée ensoleillée annoncée, d’après Météo France, le mauvais temps ne devrait faire son retour qu’en fin d’après-midi.

Je gare la voiture au bout de la Grande-Motte juste après le petit pont qui enjambe le canal du Ponant. Cette frontière naturelle signalée par un panneau « bienvenue dans le Gard » d’un côté et « bienvenue dans l’Hérault » de l’autre est bien connue des pêcheurs qui attendent sagement les poissons à la sortie de L’étang. 280 hectares de lagune où cohabitent « gentiment », plaisanciers, planche à voile, pêcheurs, poissons et oiseaux marins, je n’en doute pas, il y a de la place pour tous dans cet écosystème.

Juste après le pont nous nous dirigeons vers la plage du Boucanet, elle s’étend sur 4 kilomètres et se termine à l’entrée du Grau-du-Roi. Une bonne heure de marche, c’est le temps qu’il nous faudra pour les parcourir les pieds dans l’eau pour moi (je ne suis pas frileux), les pieds sur le sable pour ma douce.

La brise marine fait virevolter les cheveux d’Anna et propulse au large une armada de voiliers. Aujourd’hui, peu de monde sur la plage, il fait beau mais la température est fraîche. Dans quelques mois, elle sera recouverte par des milliers de touristes à la peau laiteuse, agglutinés les uns aux autres, tartinés d’une énorme couche de crème solaire, inconscients qu’ils polluent la mer avec les produits chimiques qu’elle contient. Sans oublier les tonnes de déchets qu’ils abandonnent sur la plage et qui finiront dans le meilleur des cas dans les bras métalliques des tracteurs qui la sillonnent tous les matins, dès l’aube, pour la leur rendre propre ou, dans l’estomac d’un goéland si c’est de la nourriture, et dans le pire, au fond de nos océans.

Au loin, devant nous se dessine le phare du Grau-du-Roi. Pas après pas, les premières habitations s’étoffent, derrière nous les pyramides de La Grande Motte s’estompent dans la brume maritime.

Anna profite de notre balade pour ramasser quelques galets, ils finiront en décoration au pied des plantes que ma terrasse abrite. Nous voilà au Grau, nous longeons son canal et rejoignions la passerelle pont-levis pour passer sur l’autre rive. Dans sa rue commerçante, Anna, aime flâner devant les boutiques. Aujourd’hui, elle a jeté son dévolu sur une paire de chaussures ouvertes, madame prépare l’été, elle n’est pas en retard.

Passé la dernière échoppe, nos pas nous mènent sur la balade du front de mer. Toute la baie du Grau-du-Roi s’étend à présent devant nous, elle se termine par les premières résidences de Port Camargue.

Un gargouillis, mon estomac m’envoie un message clair, j’ai faim. Nous gagnons le petit restaurant en bout du canal, nous nous installons à l’intérieur juste derrière la baie vitrée, face à la mer. Le temps tourne, de gros cumulonimbus font leur apparition sur l’horizon, cela ne nous empêchera pas de déguster un bon repas, mais il ne faudra pas rentrer trop tard, au risque de finir notre balade sous l’orage.

Au menu du jour, moules farcies en entrée et seiches à la plancha pour le plat de résistance, accompagnés d’un vin gris des sables de Camargue. Un grand catamaran sort du port, toutes voiles dehors, son foc est aux couleurs arc-en-ciel du fabricant de vêtements local « Little Marcel », il part en promenade avec quelques touristes courageux prêts à affronter la brise et les embruns. Notre repas touche à sa fin, pour dessert une crêpe maison, abricot pour Anna et crème de marron pour moi, c’est mon péché mignon.

Après le café, c’est l’heure du retour, les nuages ont profité de notre pause déjeuner pour se rapprocher. Nous prenons le petit bois qui longe l’étang, le chemin qui le borde nous permet d’admirer une colonie de flamants roses particulièrement expressive. Un vif échange s’engage entre eux, je ne sais pas ce qu’ils se racontent mais ça à l’air sérieux. L’un grogne « Ka-ha-ka-ha-Ka-ha », un autre lui répond « Kuk-kuk-kuk » en battant des ailes puis c’est reparti pour un tour. Je plains leurs voisins, ces volatiles sont beaucoup trop bruyants.

Après une dernière courbe, revoilà le pont, notre balade se termine par un « bienvenue dans l’Hérault » et nous retrouvons notre véhicule garé à l’endroit où nous l’avons laissé.

Confortablement Installé dans mon canapé, je zappe les différentes chaînes de la TNT, nous sommes rentrés de notre balade vers dix-huit heures. De temps en temps, je m’arrête devant un reportage, puis la valse des images reprend. Anna prend une douche.

Je fais une petite pause devant le dernier clip d’Angèle et de sa chanson « Flou ». « Tout est devenu flou… Un peu trop fou pour moi… Parfois, j’me perds… Et j’en ai peur… Tout est devenu flou… »

J’y pense, je n’ai pas rallumé mon téléphone depuis hier soir. C’est fait. Sur l’écran je vois inscris 5 SMS non lus. Je souffle, encore ce gars.

Je jette un œil, au premier message.

— Pourquoi, porter plainte je ne comprends rien.

Suivant.

— Vous ne répondez pas ?

Suivant.

— S’il vous plaît, répondez-moi, je vais mal.

Suivant.

— Je n’en peux plus, vous êtes mon seul espoir.

Suivant.

— Aide-moi, svp, je suis au bord du gouffre. Pourquoi me faire tant de mal ?

C’est tout à fait ça, tout est devenu flou même un peu fou, tous ces messages me laissent perplexe. Je me décide, je veux en savoir plus.

— Que veux-tu ?

Une réponse quasi immédiate apparaît.

— Enfin vous revoilà, je n’y croyais plus, j’ai besoin d’aide, je veux sortir de là.

Je lui réponds

— Que puis-je faire pour toi ?

Je ne prends aucun risque. On verra bien où me mènera cette histoire. C’est même plutôt drôle.

— Vous m’avez kidnappé, pourquoi ?

Ça, c’est moins drôle. Mais ça ressemble quand même à une bonne blague et j’ai des tas d’amis capables d’en faire d’aussi bonnes, surtout un, il se nomme Jeff.

— Comment ça, je t’ai kidnappé, tu rigoles, je n’ai rien fait. Si tu as des problèmes, appelle directement les flics, ce sera plus efficace.

Admettez que je n’ai pas tort, si on vous enlève, et que vous avez un téléphone, qui appelez-vous en premier ? Moi, la police. Pas vous ?

— Déjà fait, mais, Il n’y a que ce numéro qui passe. Le plus étrange, c’est que ce numéro est le mien. Donc j’aimerais savoir qui est la personne qui me répond et qui a récupéré mon téléphone.

Alors là, chapeau, le gars est trop fort. De la haute voltige, la blague est trop bonne.

Une ampoule s’éclaire dans ma tête. Une idée qui devrait faire comprendre à mon interlocuteur que j’ai compris la plaisanterie et qu’il est temps d’en finir.

— En effet, c’est drôle ou plutôt surprenant. On porte le même prénom, on a le même numéro de téléphone, on est donc la même personne.

J’avais presque envie de rajouter « lol » à la fin du message, j’aurais dû le faire.

— Nous deux, la même personne. Pourquoi pas ? Je n’y avais pas pensé. Tu as peut-être raison. Alors toi aussi tu es Nicolas Aubert.

J’en étais sûr, il est complètement défoncé. Il a trop fumé. Il est temps que cela s’arrête. Et en plus, il connaît mon nom. C’est peut-être un psychopathe. J’en tremble.

La voix d’Angèle n’est pas là pour me rassurer. « Tout est devenu flou… Un peu trop fou pour moi… Parfois, j’me perds… La suite, on verra… » Ça suffit, Angèle à raison, c’est trop fou pour moi.

— Je trouve cette blague très drôle mais les meilleures plaisanteries sont les plus courtes alors bonsoir !

C’est décidé, j’arrête mon téléphone, je ne veux plus recevoir de messages si perturbants. Mais avant que je n’aie eu le temps d’appuyer sur la touche d’arrêt, il bipe.

— Attendez. Svp. Je déconnais, je m’appelle Nicolas Aubert, J’habite Castries à côté de Montpellier, mon amie s’appelle Anna. J’ai 2 filles. Et toi, qui es-tu ?

Ça ne peut-être qu’un ami proche.

— Tu sais très bien qui je suis, bravo, t’es trop fort Jeff. Arrête ce n’est plus drôle.

L’inconnu enchaîne un autre message. Il détaille une quantité impressionnante d’informations qui me sont très personnelles. Elles sont toutes justes, s’est perturbant. Il connaît trop de données sur moi, ce ne peut pas être mon ami Jeff. Mais alors, qui est-ce ? J’ai une idée, je vais lui poser des questions beaucoup plus confidentielles.

— J’ai une tache de naissance où ?

— Au-dessus de l’aine, côté gauche, tache marron de cinq centimètres de long et un centimètre de hauteur.

C’est juste, je continue.

— Mes opérations chirurgicales ?

— Dents de sagesse et appendicite.

Correct. Je vais trouver une faille.

— Prénom de mes grands-parents ?

Toutes ses réponses sont bonnes, du tac au tac, elles apparaissent instantanément sur mon téléphone, c’est sûr, il les connaît vraiment. Je ne pense pas qu’il ait le temps de les chercher, de les lire et de les écrire aussi rapidement, c’est totalement impossible. J’insiste, Il va finir par se tromper.

— Mes parents ont combien de frère et sœur ?

C’est bon. C’est du délire. C’est vraiment moi ou quelqu’un qui me connaît parfaitement.

— Donne-moi une information que nous sommes seuls à connaître.

— Pendant longtemps, j’ai eu un complexe, mon nez légèrement tordu suite à un accident de vélo. Je n’ai pas souhaité me faire opérer, j’avais peur de la douleur suite à l’opération.

C’est vrai, cela m’a passé maintenant, je n’ai plus de complexe, mais j’ai bien failli le faire redresser dans mon adolescence.

Tout est juste, alors qui est cet usurpateur ? Une personne qui me connaît parfaitement, mais qui n’est forcément pas moi. Suis-je victime d’un vol d’identité, c’est assez effrayant. J’en ai vu les conséquences dans un reportage, des escrocs se font passer pour vous, grâce à une pièce d’identité volée. S’ils souscrivent un crédit à la consommation, c’est vous qui devrez le rembourser. Les amandes de stationnements ou pour dépassement de vitesse seront pour votre pomme. Il est même possible d’aller en prison à leur place, heureusement que l’on n’est pas aux États-Unis, cela pourrait aller encore plus loin. Vous entrez sans le vouloir et en toute innocence dans une spirale infernale où il est difficile d’en sortir. J’en transpire d’effroi, mais si c’est le cas pourquoi cette personne a pris contact avec moi ?

Après avoir fait le tour du sujet que me reste-t-il comme réponse, et si ce personnage était bien moi. Mais un moi d’un autre temps, d’une autre époque, un moi futur ou un moi passé, comme dans Interstellar. Vous pensez que je regarde trop de films de science-fiction, vous avez certainement raison mais quand on a passé en revue toutes les solutions logiques que reste-t-il ? Les solutions illogiques, paranormales, ésotériques.

Il y a une façon très simple de le vérifier, lui demander.

— Quel jour est-il, pour toi ?

La réponse n’est pas évidente à admettre ni à croire, mais c’est une réponse dans un contexte extraordinaire, dans le sens « qui sort de l’ordinaire ». Celui qui m’envoie des messages depuis hier, vient du futur, un futur proche, à peine trente jours plus tard, mais le futur quand même.

Quand j’ai lu la réponse, j’ai réalisé que c’était la meilleure blague de tous les temps. Sans rire, comme dirait Anna. Celle qui ne sera jamais publiée dans les blagues Malabar parce qu’elle est trop bonne. Mais quand un nouveau message apparaît sur l’écran de mon téléphone et que je lis :

— Nicolas, je viens d’avoir l’idée qui permettra à chacun de croire l’autre définitivement. En haut dans le bureau, tu prends le cutter et tu t’entailles un de tes doigts. Si tu es mon passé, je devrais avoir une cicatrice. Si elle apparaît, je te donne le nom du doigt et sa forme. Si c’est exact, il n’y aura plus aucun doute.

L’idée est géniale, bien qu’un peu effrayante, je déteste la vue du sang. Je m’exécute. Cela fait très mal, je mets un pansement sur la blessure. Un nouveau message arrive.

— Sur le pouce, lettre N comme Nicolas, J’imagine.

Paniqué, je scrute mon appartement à la recherche de caméra, il y a peut-être quelqu’un qui me regarde en ce moment. Mais bien sûr, je ne trouve rien, juste mon plafond blanc. Sur les murs, mes tableaux où seuls les portraits ont parfois l’air de me surveiller. Derrière ma baie vitrée, il y a ma terrasse actuellement vide, puis le jardin, mais personne pour me voir.

Ma tête se met à tourner, je suis au bord du malaise, je ne peux le croire. Il me faudra encore un peu de temps pour digérer tout ça. La personne, avec qui je communique actuellement par je ne sais quelle magie ne peut être que moi.

Quel délire, je viens de rentrer dans une dimension qui m’est totalement inconnue, et qui dans une série américaine des années soixante portait le nom de « Quatrième Dimension ». En ce moment précis, elle me précipite brutalement dans un voyage extraordinaire au travers de l’espace-temps.

Angèle finit sa chanson dans un dernier refrain qui me laisse coi.

« Beaucoup trop fou pour moi. La suite, on verra. »

Partie II

Jasmine Zinelli

Hergé

1

Le mois dernier – Nice

Jasmine Zinelli

Mon nom, Jasmine Zinelli, j’ai trente-cinq ans. Je suis célibataire depuis 2 ans et très bien comme ça.

Mon père est d’origine italienne, vous l’aviez certainement déjà deviné avec le nom que je porte, mais ce que vous ne pouviez savoir c’est que je suis métisse, brune aux cheveux longs et bouclés avec les yeux verts, je le dois à ma mère qui vient de Yaoundé la capitale du Cameroun.

Depuis ma séparation, j’habite dans la vieille ville de Nice, à l’intersection des rues Jules Gilly et de l’ancien Sénat, à deux pas du cours Saleya où se trouve son célèbre marché aux fleurs. Il a vu le jour en 1897 et fut un temps le premier marché aux fleurs au monde (nous en sommes très fiers).

Si vous pensez que je vis seule, vous vous trompez, je partage mon appartement avec mon chat angora Arthur, une grosse boule de poils soyeuse toute blanche. C’est le parfait compagnon, il ne râle jamais, toujours heureux de me voir, adore mes caresses et surtout ne se lasse jamais de m’écouter (l’opposé de tous mes ex) quand je lui raconte mes joies ou mes peines de la journée.