Que le meilleur perde - J. W. Brasseur - E-Book

Que le meilleur perde E-Book

J. W. Brasseur

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Beschreibung

Deux familles criminelles, puissantes et redoutées s’affrontent dans une guerre sans merci pour le contrôle absolu d’une ville gangrenée par leurs luttes de pouvoir. Mais cette rivalité sanglante minée par des pertes humaines insoutenables atteint ses limites. Contraints de changer d’approche, les deux clans concluent un pacte inattendu : un défi aux règles aussi déroutantes que machiavéliques. Chaque famille devra désigner, à son insu, un candidat étranger au milieu criminel, quelqu’un qui, par son aversion pour la violence, deviendra une proie idéale pour ce mouvement de manipulation pernicieux. Le principe est simple, mais perverti : « que le meilleur perde ». Ce défi, en apparence absurde, cache des intentions troubles et des desseins profondément ténébreux. Bien plus qu’une confrontation, ce jeu cruel expose les abysses de la nature humaine et déterre des secrets enfouis qui pourraient tout bouleverser.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

J. W. Brasseur, doté d’une imagination fertile et d’un goût prononcé pour la langue française, s’épanouit dans l’art des mots et la création d’histoires palpitantes. Il considère l’aventure littéraire comme une expérience à la fois enrichissante et stimulante. Avec "Que le meilleur perde", une œuvre teintée d’originalité et de dynamisme, il mêle action, rebondissements et amusement, offrant une intrigue séduisante destinée à tous.

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Seitenzahl: 256

Veröffentlichungsjahr: 2025

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J. W. Brasseur

Que le meilleur perde

Roman

© Lys Bleu Éditions – J. W. Brasseur

ISBN : 979-10-422-5347-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre I

Cérémonie mortelle

Dans une campagne isolée de la France, lors d’une journée ensoleillée et joyeuse, c’est jour de mariage. Tout le monde au grand complet s’est réuni dans l’une des propriétés familiales pour unir les deux jeunes mariés : Cécilia et Vittorio, les enfants chéris de deux grandes familles italiennes émigrées il y a bien longtemps. De l’arrière-grand-mère au petit neveu, en passant par les cousins ou frères, ils se sont tous regroupés pour célébrer ce jour de fête et consolider les liens familiaux. Il y a plus de cent convives, et l’ambiance est très festive et animée. Plusieurs jeunes couples dansent, les enfants s’amusent en courant dans l’herbe, les aînés s’enivrent avec déraison, et les jeunes mariés sont gâtés. Il y eut une belle célébration auparavant dans la petite église du village d’à-côté, puis les invités ont fait un cortège de voitures fleuries avec abondance jusqu’au lieu de fête, une immense ferme rustique perdue au milieu des champs. Un banquet a été installé en pleine nature au centre du jardin, cela est plus convivial et permet de profiter du beau temps. La pièce montée a déjà été partagée, et c’est pourquoi les nombreux enfants en profitent maintenant pour jouer ensemble. Le décor est idyllique : une table immense encadrée d’hommes et de femmes parés de leurs plus beaux atours, des fleurs odorantes et multicolores parfumant l’air de leurs senteurs délicates, de la joie, des rires, de la musique et des chants qui égayent le tout.

Seulement, nul ne semble apercevoir les berlines noires qui s’approchent à toute vitesse. Tels une déchirure sombre et un éclair malfaisant dans ces prairies parsemées de couleurs multicolores, un convoi s’approche inexorablement. Cinq véhicules aux vitres teintées qui avancent avec détermination en direction de la ferme où se déroule la fête.

Pendant ce temps, le petit frère de Cécilia, la mariée, qui n’a même pas une dizaine d’années, contemple déjà avec fierté et orgueil sa sœur et se sent heureux pour elle. Il apprécie aussi énormément son époux, et sa sœur lui a promis qu’une fois installés dans leur nouveau foyer, il serait invité à passer des vacances chez eux, ce qui le réjouit fortement. En attendant, il en profite pour jouer intensément avec ses petits cousins qu’il a trop peu l’occasion de voir, à part lors de tels regroupements familiaux. Les enfants ont entamé une partie de chat qui a tendance à dégénérer, ils ne prêtent plus attention à leurs beaux vêtements et certains les ont déjà tachés ou déchirés, mais ils ne se soucient pas pour l’instant d’être grondés, les adultes sont trop occupés à festoyer et à plaisanter. Ils courent en tous sens, et sont complètement plongés dans leur jeu.

Aucun ne remarque immédiatement le mouvement de panique qui vient de se déclencher dans la famille, car des adultes ont commencé aussi à s’égayer un peu partout, mais eux, ils ne jouent pas. La musique est trop forte, presque assourdissante, et couvre les premiers bruits des tirs. Puis ceux-ci deviennent plus proches, plus percutants et se mêlent aux cris qui montent dans l’air. Les berlines noires se sont arrêtées aux abords de la propriété. Des hommes en sont sortis précipitamment, au moins six, vêtus de costumes noirs, l’arme au poing, et fonçant vers la foule. Les hommes tirent sur les mariés, les convives ; des patriarches et quelques jeunes débrouillards répliquent en sortant eux aussi des armes, et il s’ensuit une fusillade soutenue. Les plus jeunes enfants n’ont pas tout de suite compris la raison de ce chaos soudain, et certains se sont mis à hurler, affolés et terrorisés. Le petit frère de Cécilia n’a pas immédiatement réalisé ce qui se passait, jusqu’au moment où ses cousins et lui-même ont été bousculés par des adultes horrifiés, courant et tentant de les pousser dans un recoin plus sûr, mais en vain. Ils tombèrent l’un après l’autre au sol, la poitrine éclatée par des balles, la tête foudroyée par un éclair de plomb, les jambes arrachées par la poudre ou décimées par d’autres blessures tout autant fatales et d’une horreur absolue.

Les enfants sont tétanisés sur place, perdus dans cette débâcle de poussière, de hurlements et de détonations. Ils sont cinq restants près de la fontaine, se serrant les coudes et ne sachant que faire. Subitement, le petit frère de Cécilia ressent une douleur fulgurante dans la jambe gauche ; elle est d’une telle intensité qu’il est immédiatement projeté au sol, paralysé par le mal. Il ne peut plus bouger et se sent comateux, sa vision se fait trouble, et entre ses larmes, il perçoit ses cousins, eux aussi tombés au sol, près de lui. Leurs petits corps sont ensanglantés, et deux d’entre eux ont déjà le regard vide et dénué de vie. Il tourne alors la tête et distingue un homme, assez imposant, d’une vingtaine d’années environ, qui s’approche de lui. Il pointe son pistolet sur sa cousine à sa gauche, et l’achève d’un coup de feu mortel. Il tourne ensuite son arme sur son petit cousin à sa droite, d’à peine cinq ans, et l’abat froidement. L’homme est un monstre. Son regard est froid, fixe et déterminé. Il achève enfin son œuvre d’assassin et tire une dernière fois sur lui. L’enfant ressent une grande brûlure dans la partie droite de son corps, puis sombre dans un coma brumeux et les abysses insondables du silence.

Plusieurs sirènes retentirent dans la campagne embrasée maintenant par le soleil couchant. Des véhicules de police, des ambulances, des pompiers, tous les services de secours possibles ont été mobilisés pour intervenir à la ferme devenue un lieu sanglant et dépourvu de toute vie humaine. De nombreux cadavres jonchent le sol maculé de sang et de douilles. La scène semble sortie tout droit de l’horreur : tout un rassemblement familial a été décimé avec violence. Les jeunes mariés gisent inanimés, leurs mains entremêlées dans une ultime preuve d’amour. Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, et même des enfants : tous ont été tués par une folie sanguinaire et aucun ne semble en avoir réchappé. Les secours sont arrivés trop tard et n’ont plus qu’à ramasser les corps éparpillés. Un policier, pourtant aguerri face au sang et aux meurtres, a cependant un haut-le-cœur quand il s’approche d’un petit groupe de jeunes enfants décimés par des impacts de balles, dégoûté par tant de violence. Il saisit un premier corps et le pose sur une civière, et à cet instant perçoit un faible râle émanant du petit garçon d’à-côté. Il se précipite vers lui, vérifie son pouls, et se rend compte qu’il reste un soupçon de vie dans ce petit être. Avec grande agitation, il prévient les ambulanciers, et la petite silhouette, faiblarde, mais vivante, est évacuée en vitesse vers l’hôpital le plus proche.

Après une longue intervention chirurgicale, l’enfant a finalement pu être sauvé. Il est le seul rescapé de ce jour funeste de mariage. Il repose maintenant sauf, mais inerte à cause de l’anesthésie, dans un lit d’hôpital, aussi pâle que les draps l’enveloppant. Une infirmière vient s’assurer que la perfusion est bien en place, puis borde bien l’enfant. Le policier qui a trouvé son corps parmi les décombres du massacre a tenu à venir rendre visite au jeune garçon pour s’assurer de son état. Il vient d’entrer dans la pièce, et l’infirmière lui fait un sourire entendu. Le policier s’approche, demande des nouvelles, et la femme le rassure :

— Il a eu beaucoup de chance, ce gamin. Vous l’auriez trouvé quelques minutes plus tard, l’hémorragie l’aurait assurément emporté. Il faut croire qu’il est plus vigoureux qu’il n’y paraît. Il a pourtant deux blessures majeures, l’une à la cuisse, l’autre dans l’épaule droite, et fort heureusement il a résisté au choc de l’opération. Il est désormais sauf.

Le policier lâcha alors une remarque très pertinente, accompagné d’un sourire sans joie :

— Oui, il a survécu, mais il n’a plus aucune famille, tous les autres ont été tués. Après sa convalescence, il sera condamné à être pupille de l’État, et ce sera donc une vie d’orphelin qui l’attend. Je ne sais pas si c’est une vraie perspective qui lui est offerte…

L’avenir cependant fut empreint de rédemption pour l’enfant. Après une guérison longue et compliquée, il put enfin quitter l’hôpital en ayant recouvré toutes ses capacités physiques. L’enfant ne semblait pas avoir de souvenirs clairs de la tuerie ou, en tout cas, ne l’évoquait jamais, et la situation lui fut expliquée le plus délicatement possible. Ses parents, ses frères et sœurs, ainsi que toute sa famille avaient été tués et il n’y avait plus personne pour l’accueillir. Malgré des recherches intenses effectuées pour savoir s’il avait encore de la famille survivante ailleurs, aucun résultat probant ne permit de lui trouver un nouveau foyer et il dut être placé dans un orphelinat.

Les orphelinats à cette époque étaient encore bien souvent gérés par des congrégations religieuses. Il en fut ainsi pour l’enfant : un couvent de bonnes sœurs se chargerait de sa tutelle et de son éducation. Une des sœurs, en particulier, avait été très émue par le caractère tragique et douloureux du passé du gamin et l’avait tout de suite pris sous son aile, malgré son caractère d’emblée effarouché et son comportement difficile. Elle l’avait surnommé affectueusement « Topino », petite souris en fait, car il lui évoquait un petit animal tout craintif et vulnérable, discret par son mutisme et son regard fuyant. L’enfant montrait pourtant parfois des signes de bête enragée : il alternait les longues séances d’isolement avec des scènes de provocations suivies inéluctablement de bagarres avec ses camarades. Il pouvait être tout à la fois, très docile avec ses professeurs, effacé en salle de classe, puis déchaîné et ivre de violence dès la récréation. Sa méchanceté lui avait valu déjà plusieurs punitions, mais il ne parvenait pas à se contrôler. Les sœurs gardaient cependant foi en sa capacité à surmonter sa colère liée à la perte de sa famille, avec du temps et beaucoup de prières pour sauver son âme. Leurs espoirs furent tout de même ébranlés lorsqu’un jour la fureur de Topino atteignit son paroxysme.

Cela se passa en début de soirée. Les enfants étaient installés au réfectoire et prenaient leur dîner frugal. Topino était, comme à l’accoutumée, assis à l’écart des autres, boudant son assiette et reluquant d’un air mauvais un autre garçon, un gros rouquin avec lequel il avait régulièrement des démêlés, l’autre gamin étant aussi bagarreur et indiscipliné. Le rouquin semblait détenir au creux de sa main un petit objet, et jouait avec, en fixant avec défi Topino, et le sourire mauvais. Topino avait tout de suite identifié cet objet : il s’agissait d’une petite croix d’argent en pendentif, lui appartenant en fait, et qui était l’un des rares objets sauvegardés de son ancienne vie. Apparemment, l’autre gosse le lui avait volé un peu plus tôt dans son placard, et le narguait ouvertement. Il marmonnait des insultes en catimini, mais Topino en devinait clairement la signification sur ses lèvres. Il l’injuriait comme d’habitude, le traitant de minable, de paumé, de raté, de débile, et tant d’autres épithètes rabaissantes.

Topino, plutôt que de sauter à travers les tables et de l’attraper par le col comme il aurait eu tendance à le faire par son comportement caractériel, cogita quelques minutes. Son regard s’intensifia quand une idée vengeresse lui vint subitement. D’une façon très calme et posée, il se leva, débarrassa son plateau en bout de salle, ignorant royalement le rouquin qui continuait pourtant à le provoquer en exposant bien la croix à hauteur de ses yeux devant lui, comme un trophée. Cela fait, il remonta la rangée entre les tables, la tête bien droite et figée droit devant lui. Arrivé au niveau de son camarade, il tourna la tête vers lui et lui fit un sourire très large. Puis, rapide comme l’éclair, il lui arracha des mains le pendentif, et se servit de la partie la plus longue de la croix pour la planter en un geste vif dans la gorge de l’autre gosse. Celui-ci, pris d’effroi et de douleur, ne parvint même pas à crier, seul un râle pouvait s’échapper de son larynx perforé. Les autres enfants autour se mirent à hurler, et les sœurs rappliquèrent en pleine panique. Topino fut extrait avec force de la salle, et enfermé dans un placard le temps d’aviser de son cas et de soigner sa victime.

Il s’ensuivit pour Topino de longues séances de punitions : à la fois physiques et morales. Les corvées qu’il devait réaliser occupaient désormais tout son temps libre, sans compter les actes de contrition auxquels il devait se soumettre, qui consistaient à réciter plusieurs prières et à recopier plusieurs textes pieux. Il avait été placé à l’écart des autres enfants et dormait sous la surveillance d’une des sœurs. On lui avait aussi imposé un jeûne afin de purifier son âme et, bien sûr, toute possession d’objet personnel lui avait été désormais interdite.

Après des semaines à devoir expier ses péchés de cette façon, Topino changea malgré lui de comportement. Il était devenu très obéissant et se portait même volontaire pour effectuer des tâches supplémentaires, il surveillait son langage et faisait preuve de politesse et d’humilité. Les religieuses étaient soulagées et pensaient avoir enfin sauvé son âme torturée.

Au cours des multiples mois passés à l’orphelinat, Topino avait été à la fois deux enfants : un petit ange, mais aussi un petit démon et, fort heureusement, sa meilleure partie semblait avoir pris le dessus. Ses efforts payèrent et sa vie enfin sembla mériter un peu de bonne fortune.

Son accueil en ce lieu fut en fin de compte transitoire et non définitif : un soi-disant oncle éloigné, vivant à l’étranger, était revenu exprès pour l’enfant. Il avait eu écho du massacre de sa famille, certes assez tardivement en raison de son éloignement, et se faisait maintenant un devoir de prendre soin du seul survivant. Il allait lui offrir un foyer, une protection, un futur et tout ce qui serait nécessaire à son épanouissement et à la préparation de sa vengeance. Le nom de leur famille ne s’éteindra pas à tout jamais, il s’en fit la promesse solennelle, et tous ses espoirs reposaient sur cet enfant miraculé.

Les années se succédant, Topino ne méritait plus son surnom de « petite souris » et s’était largement affranchi de tout adjectif se rapportant à un animal nuisible, faible ou minuscule. Bien au contraire, en grandissant et devenant un jeune homme athlétique et sûr de lui, il était maintenant plus un prédateur qu’une proie. Il avait pratiqué de nombreux sports de combat, était habile au tir et à l’escrime, se montrait méticuleux et réfléchi, et brillait dans ses études. Il avait suivi un cursus scolaire poussé dans la gestion, le juridique et tout ce qui pouvait être utile à développer des entreprises commerciales, et avait révélé un sens avéré pour les affaires et la réussite commerciale. Certes, sa scolarité fut toujours empreinte de conflits ou de petites « complications » avec d’autres étudiants, comme il l’avait été jadis avec ses petits camarades de l’orphelinat, car de nombreux actes de violence avaient jalonné son parcours, mais sans pour autant porter préjudice à son ascension. Bien entouré et épaulé par d’habiles avocats ou maîtres chanteurs, ces bagarres puériles n’étaient restées que de petites contrariétés passagères, et son tempérament impétueux était reconnu pour être plus un avantage qu’un défaut ; et il était encouragé à alimenter cette pugnacité. Il faisait donc la fierté de son « pseudo-oncle ».

Pseudo-oncle, car au fil du temps, il était clair que cet homme n’avait pas véritablement de liens de sang avec lui, mais il vouait un attachement affectif très fort à sa défunte famille qui, bien des années avant, l’avait recueilli, choyé, aimé et éduqué comme s’il était lui-même leur propre fils. Adolescent, il avait lui aussi perdu ses parents, s’était retrouvé seul à errer dans les rues de la ville, multipliant les expériences à risque et les mauvaises fréquentations jusqu’à ce que sa vie soit reprise en main, avec autorité, enseignement et méthode. L’oncle Ignacio, car tel était son nom, était maintenant très vieillissant (il se déplaçait déjà à l’aide d’une canne depuis bien longtemps), et se sentait plus proche de la fin de sa vie qu’à son apogée, mais était terriblement fier d’avoir guidé et créé un tel jeune homme, maintenant prêt et suffisamment préparé pour prendre sa relève.

Chapitre II

Rencontres

Bien des années plus tard…

La lueur glabre d’un matin glacial se lève sur une atmosphère de désolation. Plus rien ne semble vivre dans les environs, tout paraît figé et plongé dans un brouillard cotonneux. On peut distinguer des silhouettes inanimées, éparpillées de-ci, de-là, le long des quais. Une demi-douzaine d’hommes se sont attaqués ici durant toute la nuit et le combat s’est soldé par des pertes en vies humaines considérables. Des gyrophares apparaissent soudain au loin, annonçant l’arrivée de plusieurs véhicules de police. Les voitures se garent au plus près des docks, les hommes en descendent lourdement armés et avec méfiance, mais il n’y a plus aucune menace. Leurs constatations faites, ils peuvent se rendre compte qu’il n’y a plus aucun survivant.

Ce sont les résonances de coups de feu à travers les quais qui ont alerté un pêcheur, qui lui-même a prévenu la police par un appel téléphonique. Ce n’était hélas pas la première fois que la zone portuaire était le lieu privilégié de règlements de comptes entre bandits, et une nouvelle fois, la police ne pouvait que constater les dégâts. Ils firent les formalités pour dégager les cadavres ; le tout sans grande émotion, car après tout, il ne s’agissait que de gangsters qui s’étaient entretués, cela leur ferait des arrestations en moins à envisager.

La presse et la télévision se faisaient des choux gras avec ces histoires. En ce moment, il n’y avait pas une semaine sans tueries. Le problème était que cette ville, prétendument charmante, car située en bord de mer, était en fait le siège de deux grandes familles mafieuses qui s’affrontaient dernièrement de façon incessante. La police ne lésinait pas sur leurs efforts et réalisait de nombreuses arrestations, mais, le plus souvent, ces concurrents réglaient leurs différends par eux-mêmes. Et évidemment, il était pour l’instant impossible d’éradiquer cette violence sans anéantir leurs puissants chefs de gangs, qui étaient largement assez malins, intelligents et stratèges pour rester légalement intouchables. Toutefois, ces affaires douteuses et règlements de comptes se déroulaient surtout en milieu fermé, et le citoyen quelconque vivant-là ne pouvait imaginer l’ampleur de cette organisation mafieuse.

Cette ville offrait cependant une qualité de vie appréciable et c’était le cas pour Aniline Schotti.

À l’époque, elle était venue habiter dans cette bourgade avec sa mère et sa grand-mère, et cela faisait maintenant plusieurs années qu’elle avait établi sa vie ici. Elle vivait désormais seule à cause de certaines circonstances malencontreuses, mais se sentait épanouie et décidée à prendre en main son destin. Il faut dire qu’elle avait encore tous les rêves fous et les espoirs de la jeunesse : elle avait à peine vingt-deux ans. C’était une très belle jeune femme, indépendante, fonceuse, mais certes encore bien naïve et maladroite ; cela dit, pour l’instant, tout lui réussissait plutôt bien.

La vie n’était pas aussi glorieuse ni pleine d’espoirs ou de rêves inaccomplis pour Freddie Barzik. Il était né dans cette ville, y avait grandi, étudié, puis beaucoup travaillé, enfin non, plutôt y avait eu beaucoup d’emplois différents, ce qui n’a pas vraiment la même signification. Il y avait quarante et un ans maintenant que cette ville lui collait à la peau. Il se sentait englué dans son quotidien, dans cette cité à laquelle il ne trouvait plus aucun charme depuis longtemps. Il aurait pu cependant connaître son bonheur et le plaisir d’y vivre il y a un paquet d’années, mais tout s’était envolé. Les aléas de la vie avaient emporté toutes ses espérances, et maintenant il se contentait d’y vivoter, de façon désabusée et sans aucun projet d’avenir défini. C’était donc sa vie, il la laissait passivement s’écouler ainsi, sans s’extraire de sa fainéantise ou de sa lâcheté. Aucun projet, aucune ambition, rien désormais ne parvenait à le motiver suffisamment pour reprendre les rênes de son existence.

Cette ville portuaire était pourtant caractéristique de mouvements de populations fréquents et cette richesse éclectique se nourrissait de personnes diverses, de voyageurs multiples, de gens de passage, de touristes ou de nouveaux occupants. La majorité des habitants n’était donc pas de pure source locale comme Freddie. Tel était le cas de l’inspecteur Satalis : fraîchement affecté dans cette commune suite à un choix personnel, il comptait donner une dimension plus intéressante à son quotidien et surtout à sa carrière. Les opportunités de réaliser de grandes enquêtes, des arrestations symboliques ou le fait d’être sans cesse mobilisé par l’action, motivaient en fait l’inspecteur, qui jusque-là s’ennuyait dans sa précédente ville. Il n’était pourtant pas du tout l’archétype du policier qu’on imagine en héros dans les films : il avait un physique imposant, mais la silhouette non sportive avec une bedaine assez proéminente, son apparence laissait à désirer, et il avait de fortes mauvaises manières, qui expliquaient son manque de popularité auprès de ses collègues. Cela étant, il était persévérant et fin observateur, ce qui lui permettait de briller dans son métier. C’était donc là son seul talent, et Satalis, arrivé dans cette cité depuis un mois, prenait encore ses marques, mais il ne doutait pas que celle-ci lui offrirait d’importantes occasions de se distinguer. D’autant plus quand il s’était rendu compte que cette bourgade était sous le joug de deux groupuscules mafieux perpétuant des actes criminels et s’affrontant en pleine rivalité, il se réjouissait déjà de pouvoir faire des coups d’éclat.

Depuis toujours, la métropole avait été sous la coupe des Garggione, une lignée de truands d’origine italienne qui avait immigré ici il y a des décennies. Mais depuis quelque temps, une dizaine de mois précisément, un autre gang de taille était apparu et tentait de supplanter cette famille ; son dirigeant avait quant à lui des origines d’Europe de l’Est, et intrinsèquement ces deux groupes ne pouvaient coexister au même endroit.

Et donc, une aubaine pour les journalistes, les faits divers étaient couramment jalonnés de leurs affrontements réciproques et étoffés d’histoires les plus intrigantes au possible.

Chapitre III

Le défi des diables

Une journée ensoleillée et déjà trop chaude pour un printemps timide, la ville déjà animée du foisonnement d’un flux de touristes et d’actifs très pressés.

Le rendez-vous avait été fixé dans l’un des restaurants des plus chics de la commune, le genre d’endroit où les réservations se font quatre mois à l’avance à moins d’avoir des passe-droits. Federico s’était chargé la veille au soir de prendre une table pour son patron, et en donnant le nom d’Emilio Garggione, inutile de préciser que la meilleure place de la terrasse allait être préparée.

L’extérieur, chic et raffiné, habillé d’une large terrasse, s’étalait autour d’une fontaine style rococo ; les tables étaient dressées avec des tissus chics et épurés, et se répartissaient à travers le jardin, lui-même agrémenté de plantes décoratives et de buissons taillés. Des grilles ceignaient l’espace, au travers desquelles on avait vue sur la rue passante et les immeubles de bureaux d’en face, qui abritaient de grands groupes d’actionnaires.

Une berline noire aux vitres teintées s’arrêta devant la devanture. Deux hommes en sortirent, costumes sombres et lunettes de soleil, dont Federico. L’homme était grand et élancé, le visage effilé telle une lame de couteau, et la mine fermée. Son acolyte était de carrure bien plus massive, avec des traits épais et une cicatrice qui lui barrait la joue. Celui-ci se dirigea rapidement vers le restaurant pour en maintenir la porte ouverte à l’attention de son patron, tandis que Federico ouvrait la portière arrière.

Le personnage notoire d’Emilio Garggione en sortit. Un personnage, car c’était une personnalité influente dans les hautes sphères des affaires et des finances, mais bien plus connu pour ses méfaits et malversations que pour ses actions philanthropiques, bien que de temps en temps, il organisait un gala de charité ou versait quelques sommes d’argent à de bonnes œuvres pour donner le change. Pourtant connu des services de police, aucune action policière ni juridique jusqu’à présent n’avait réussi à ébranler l’empire géré par Garggione. L’homme, très corpulent, de plus d’une soixantaine d’années, s’appuya sur une canne au pommeau rutilant d’une pierre proéminente, pour pénétrer dans le restaurant. Ses deux hommes de main lui emboîtèrent le pas, comme des ombres dociles et formées à faire oublier leur présence. Garggione et Federico, son plus proche dévoué, prirent place à la table tandis que le second homme resta debout en retrait pour garder une surveillance générale sur les lieux. Une serveuse apporta des rafraîchissements sans qu’il soit utile de les commander ; le personnel sur place connaissait parfaitement les habitudes de M. Garggione qui venait très régulièrement. Celui-ci sembla reprendre une conversation déjà entamée précédemment avec Federico.

— Je suis vraiment excédé par cette situation. Sur les trois derniers mois, cela m’a coûté presque une douzaine d’hommes. Il devient de plus en plus difficile d’en retrouver rapidement qui soient suffisamment loyaux ou malléables. Tout recrutement imprudent risquerait de donner l’avantage à la police qui surveille de plus en plus nos faits et gestes. Et hors de question de laisser mon fief pour un seul manque d’effectifs. Il faut, hélas, trouver un terrain d’accord ou du moins faire une trêve.

— Bien sûr Boss, répondit Federico, mais nous pouvons nous réjouir que notre ennemi soit confronté à la même problématique. Nous avons pu éliminer dernièrement une bonne dizaine de ses hommes. C’est bien l’objet de notre rencontre d’aujourd’hui d’ailleurs.

— Oui, encore heureux, mais je suis bien curieux de savoir ce que Sertan a à nous proposer.

Emilio parlait de son principal rival, Sertan Yougurek. L’homme avait cinquante et un ans, et s’affichait comme l’archétype même du requin de la finance à la peau tannée par le soleil et à l’ambition démesurée, qui lui avait d’ailleurs permis de se faire une place rapidement ascendante au sein de la pègre. Pendant des années, Emilio avait géré son business sur cette ville en toute impunité. Depuis l’année dernière et l’arrivée de Yougurek dans les environs, leurs affaires se concurrençaient tellement qu’Emilio avait perdu le contrôle de plusieurs quartiers, et la course à la réussite entre les deux hommes était depuis acharnée, et systématiquement source d’ennuis et de pertes humaines. Or, et dès à présent, leurs opérations financières tour à tour audacieuses ou opportunistes ne pouvaient suffire à démarquer quid du plus puissant, mais ce sont leurs revanches meurtrières qui commençaient à véritablement décimer leurs clans. Sertan, un homme vicieux et rusé, avait arrangé cette entrevue exceptionnelle pour proposer une solution provisoire, sans pour autant remettre en cause sa soif de pouvoir et son arrivisme.

À cet instant justement, Yougurek arriva, s’installa à la table, un sourire narquois pendu aux lèvres. Un seul de ses gardes du corps l’escortait et resta plus discrètement en arrière près des grilles.

On percevait maintenant l’activité frémissante, caractéristique de l’heure du déjeuner imminente, avec tous les hommes et femmes d’affaires ou employés de bureau, en costumes/tailleurs, s’agitant pour chercher leurs repas ou se rendre à leurs prochains rendez-vous. Quelques camionnettes de livraison passaient à toute vitesse, des taxis patientaient et la rue était devenue beaucoup plus bruyante, mais cela n’altérait ni le luxe ni le calme de la terrasse du restaurant, préservée par la végétation luxuriante.

Yougurek entama la conversation, d’une voie perçante et sur un ton arrogant :

— Emilio, je ne peux pas me dire ravi de te voir. Et si jamais tu veux me faire l’honneur de t’étrangler pendant le repas, ne te gêne pas pour moi, j’excuserai cette impolitesse.

— Sertan, répondit sèchement Emilio qui commençait déjà à être agacé, ne commence pas ta provocation puérile sinon nous allons régler ça par les armes et il en sera vite fini de ta hargne. Je suis venu ici plutôt contraint, et c’est pour discuter. Je n’ai pas de temps à perdre.

La tension était perceptible entre les deux hommes, qui se détestaient au plus haut point, et il était effectivement assez improbable de les voir déjeuner ensemble. Federico, par précaution et avec un peu de nervosité, s’assura de la présence de son arme sur sa hanche et resta à l’affût de tout dérapage de la situation.

— Bon, okay, okay, calme-toi, tu es vraiment très susceptible… Enfin, parlons affaires. Ces derniers mois et surtout ces dernières semaines, je sais très bien que nos deux clans ont subi pas mal de pertes. Il faut se rendre à l’évidence : notre rivalité concernant le contrôle des quartiers de la ville est coriace et nous porte indirectement trop préjudice pour la pugnacité dont nous faisons part. Il va de soi qu’aucun de nous deux ne veut se plier à l’autorité de l’autre, mais notre lutte commence à nous peser et surtout nous coûter trop de moyens. Donc, et comme nous sommes en fait trop forts et trop puissants l’un envers l’autre, il faut trouver un autre moyen de se départager. C’est pourquoi je propose désormais d’utiliser nos faiblesses pour nous affronter.

— Mais que signifie ce baratin ? répliqua Emilio. Tu as perdu la tête ? Okay, dans le fond je suis d’accord avec toi, nous sommes tous les deux inébranlables, mais deux dans cette ville, c’est un de trop… Eh oui, il devient trop risqué et compliqué de s’agrandir en ce moment ; on a les flics sur le dos. Mais exploiter nos faiblesses ? Cela n’a pas de sens !

— Emilio, je sais que tu es joueur et que tu as le goût de la compétition. Prenons ça de façon plus détachée, et… ludique, si on peut dire. On ne peut pas continuer à nous autodétruire en décimant mutuellement nos hommes. Il faut employer des gens de l’extérieur.