Que répondez-vous, Professeur ? - Wanda Koméza - E-Book

Que répondez-vous, Professeur ? E-Book

Wanda Koméza

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Beschreibung

Une ancienne étudiante bien décidée à régler ses comptes à coups de caricatures mordantes et un professeur de philosophie qui n’a pas dit son dernier mot se livrent à un duel épistolaire aussi drôle qu’acerbe. Les portraits absurdes s’enchaînent entre personnages cocasses, situations décalées et traits d’esprit acérés. Mais ce jeu de caricature prend une tournure inattendue lorsque les réponses du professeur, loin de se plier au regard moqueur qui lui fait face, viennent troubler la donne. Une comédie piquante, philosophique, sans être ennuyeuse, qui amuse, bouscule, et surprend jusqu’au bout.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

D’origine polonaise, Wanda Koméza a toujours enseigné, portée par l’élégance et la rigueur de la langue française. Amoureuse de la nature et du silence qu’elle offre, elle trouve dans l’écriture un espace d’introspection. Son travail mêle douleur intime, légèreté subtile et éclats d’humour, dans un témoignage à la fois pudique et profondément humain.

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Seitenzahl: 230

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Wanda Koméza

Que répondez-vous, Professeur ?

© Lys Bleu Éditions – Wanda Koméza

ISBN :979-10-422-7035-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes filles,

Estelle et Flora

Préface

Notre amie Wanda cultive avec bonheur le genre épistolaire. Heureux destinataire que ce professeur qui mérite toute son attention. Il est le professeur Nicolarousse, elle est Naïvine, son ancienne étudiante. Chacune des lettres délivre une scénette de la vie ordinaire, avec humour, distance, et un brin d'ironie. Elles font revivre des personnes de rencontre et des situations cocasses. Les réponses du professeur sont brèves et décalées. Wanda Koméza sait si bien nous servir des tranches de vie, comme on dit trivialement, qu'on en redemanderait au dessert.

Laurent Batsch,

professeur émérite des Universités,

ancien Président de l’université Paris Dauphine-PSL

De la même auteure

J’ai pas ma place, Mon Petit Éditeur, 2016 ;

La mémoire écrasée, Éditions L’Harmattan, 2018 ;

Que répondez-vous, Professeur ? Le Lys Bleu Éditions, 2020 ;

Dans l’océan brûle un volcan, Les impliqués, Éditions L’Harmattan, 2022.

Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes : On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.

Extrait de la fable, La besace

(…) faisant de cet ouvrage une ample comédie à cent actes divers et dont la scène est l’univers.

Prologue de la fable, Le bûcheron et Mercure,

Jean de La Fontaine

1re lettre

Hot Blonde

Cher Professeur Nicolarousse

C’est en cours de philosophie que je vous ai connu. J’étais une de vos étudiantes, une petite silhouette pâlotte et fade, dans la foule des autres étudiantes, vos admiratrices. Vous souvenez-vous de moi ? Je crains que non. Je n’ai jamais osé vous aborder ni tenter de vous interroger sur des questions de morale, de psychologie, sur des situations que j’ai vécues, laissant des traces ineffaçables dans mon mental.

Je sais que je vais vous lasser, vous faire bâiller d’indifférence, si j’essaie avec maladresse d’expliquer ce comportement timide et réservé qui m’empêche de parler, de m’exprimer face à toutes les personnes qui me côtoient. Celles qui longeaient les bancs de l’amphithéâtre, tout près de moi, sans me remarquer ni montrer ne fut-ce qu’un léger intérêt pour cette éternelle étudiante un peu transparente qui disparaissait, la dernière de la file des attardés, par la grande porte de l’amphithéâtre, tout là-haut, au sommet des gradins.

Cher Professeur, vous auriez simplement levé la tête, en rajustant vos binocles, vers le haut de cet alignement de banquettes et vous m’auriez aperçue, moi, la fade et pâlotte silhouette quittant l’amphithéâtre à reculons pour mieux encore profiter de votre présence et de votre immense sagesse que je vous envie. Qui ne m’a pas été accordée par le Grand Esprit à ma naissance.

C’est en cours de philosophie que je vous ai connu, estimé, jamais oublié. Voilà pourquoi aujourd’hui, je tente de me rappeler à votre souvenir afin que vous me veniez en aide. Vos cours de philosophie, vos paroles de sagesse sont demeurés imprimés fortement dans mes pages de copies, écrites à la hâte, en abrégé, pour n’en rien oublier. Leçons de sagesse que j’ai lues et relues, étant bien décidée à les appliquer dans tous les instants de ma vie quotidienne. Hélas ! C’est loin de ma mémoire qu’elles se sont échappées, vos leçons ! Sans pouvoir les ramener à moi, juste au moment où la situation l’aurait exigé. Situation ? Ce mot, cher Professeur, va vous intriguer, je l’espère et m’apporter un peu d’intérêt enfin, car, à la lecture de ce récit, vous allez éprouver de la curiosité, sentiment qui vous encouragera à lire ma lettre jusqu’au dernier mot.

Voici la situation que j’ai vécue, qui m’a surprise et choquée. Bien faibles mots pour exprimer mes sentiments éprouvés à ces moments-là.

Un matin de décembre, proche des fêtes de fin d’année, je suis allée rendre visite à mon amie, secrétaire de mairie de ma commune : Vaudeville. Ma grande amie ! Très blonde, mince, taille mannequin, toujours en mouvement, virevoltant sur ses sandales bariolées à très hauts talons. Et c’est pourquoi je la surnommais avec admiration : Hot Blonde. Hot ? Et non pas haute ? C’est que… elle était très douée en informatique et ne cessait de me clouer le bec, avec ses bavardages, ponctués de mots extraits de son ordi : des mails, des Gmail, des Hotmail, dont je ne saisissais pas immédiatement la signification. Mais j’oublie le mot Blonde dans ce surnom : c’est, bien sûr, vous le devinez, parce qu’elle était très blonde, magnifiquement blonde. Je clignais parfois des yeux en la contemplant, bouche bée.

Donc, je venais, ce jour-là, lui offrir mes vœux de longue amitié, de multiples joies et réussites : réussites surtout, car elle se perfectionnait en anglais grâce à une méthode dont elle avait relevé l’adresse sur Internet. J’ai frappé à la porte de son bureau et je suis entrée aussitôt, mon cadeau dans les bras : le poinsettia de Noël ! Rouge et vert, aux couleurs de la fête, tout ligoté par une multitude de guirlandes argentées, car je savais qu’elle appréciait particulièrement « tout ce qui brille », comme moi, cher Professeur, parce que vous avez certainement ignoré mon habillement piqueté de paillettes et de bijoux. Que je recouvre de mes longs gilets !

J’ai offert cette plante à mon amie Hot Blonde, le poinsettia de Noël, déposant dans ses bras ce large enroulement de papier transparent qui me cachait le visage. Elle m’a reconnue tout de même et s’est exclamée bruyamment, bouche rose et bien ouverte :

« Quelle surprise ! Je ne t’attendais pas ! Tu ne devais pas venir aujourd’hui ! »

D’une petite voix, je lui ai répondu :

« C’est alors une surprise ! Tiens, c’est pour toi ! Bonnes fêtes ! »

Et c’est ainsi que la plante verte s’est calée lourdement entre son ordinateur et toute une pile de chemises en couleurs, aussi colorées que ses hautes sandales. J’ai craint un débordement d’enthousiasme, mais non, elle a simplement saisi la boîte de mouchoirs en papier afin d’éponger l’écoulement d’eau d’arrosage qui débordait directement vers son ordinateur.

J’ai présenté de légères excuses tout en essuyant, avec délicatesse, la bordure de la pile de dossiers. Ensuite, nous avons bavardé en échangeant nos emplois du temps de la semaine passée, ainsi que ceux de la semaine à venir, celle des fêtes de fin d’année. J’ai surtout écouté toutes les paroles excitées, interminables de mon amie Hot Blonde qui s’était levée et s’agitait autour de son bureau.

J’étais venue pour lui apporter ce cadeau, mais aussi pour lui proposer… une lecture, la lecture de mes pages d’écriture. Il faut que je vous avoue, cher Professeur, que j’écris depuis toujours mon journal intime. Cela ne vous étonnera pas, vous deviez vous attendre à cette confidence de ma part, tout à fait banale et… prévisible ! Je vous entends vous exclamer : « Elle aussi ! » Mais je continue mon propos, car vous allez bientôt manquer de patience et je n’aurai pas le temps de tout vous expliquer. Une lecture que je voulais proposer à mon amie : dans un petit cahier bleu brillant, pas très épais, d’une trentaine de pages écrites à la main qui contenaient des cartes postales, de beaux paysages, collées au hasard sur des feuilles blanches.

C’est ce petit cahier bleu que j’allais lui offrir ; j’y tenais beaucoup, car nous en avions parlé lorsqu’elle me questionnait sur mon passé. Mon comportement réservé, discret, mon attitude modeste l’intriguaient, en contraste avec la profusion de paillettes piquées fièrement sur mes tricots. Ce cahier bleu, je l’ai sorti de mon grand sac à main, protégé dans son enveloppe marron en kraft, où j’avais inscrit juste mon prénom au crayon gris.

Mon prénom ? Mais je m’aperçois, en vous écrivant, que je ne me suis pas nommée ! Bien sûr, je vais signer cette lettre, mais j’imagine que vous, cher Professeur, vous n’avez pas encore éprouvé la curiosité de tourner ces pages et de découvrir cette étudiante, pâlotte et discrète qui a signé ce long monologue. Mon prénom ne vous évoquera aucun souvenir, car mes copines étudiantes, il y en avait bien quelques-unes, ne m’appelaient que par un surnom, très court, qui me représentait telle que j’étais véritablement pour elles, surnom dont je n’étais pas très fière.

Ce cahier bleu, je l’ai présenté à mon amie Hot Blonde qui s’était approchée d’une fenêtre de son bureau et ne cessait de parler, son tout petit nez sur la vitre. Je ne l’écoutais plus, les oreilles bourdonnantes et les mains serrées sur l’enveloppe marron. Je me tenais debout, droite et raide derrière elle. J’attendais qu’elle se retourne ou que quelqu’un, du dehors, vienne refermer brutalement les deux volets de bois de cette fenêtre, afin qu’elle se rappelle enfin ma présence dans son dos. C’est ce qu’elle a fait, bien que personne ne lui ait bouché le paysage de la fenêtre !

« Ah ! T’es là ? Il faut que je termine ce rapport sur les travaux de voirie. »

Elle allait retourner s’asseoir à son bureau, mais j’ai eu l’audace de lui barrer le chemin :

« Tiens, voilà le cahier que je t’avais promis. Si tu peux le lire et m’en parler ? Je sais bien que tu n’auras pas le temps pendant ces fêtes, mais la semaine d’après, comme tu m’as dit prolonger ton congé, peut-être tu prendras le temps à ce moment-là. Tu sais, ce n’est pas très long à lire, mais pour moi, c’est important… de savoir ce que tu en penses, de connaître tes commentaires, tes critiques aussi. Tu es la première personne à qui je le présente. Je suis un peu honteuse de déballer ainsi mes sentiments, mes pensées intimes sur… une période de ma vie, mais je tiens beaucoup à te confier ce cahier. »

C’est alors que Hot Blonde a baissé la tête, saisissant nerveusement l’enveloppe ; elle l’a ouverte, en a dégagé le cahier bleu brillant :

« Oh ! Quelle jolie couleur ! C’est le bleu que je préfère, mais pas si brillant ! Tu as collé des paillettes ? Bien sûr, c’est bientôt Noël, c’est tout indiqué ! Ça sera pratique à lire ! Je le déposerai au pied du sapin, non, tu ne crois pas ? »

Une pointe d’étoile s’est soudain plantée dans ma tête !

« Mais non, je plaisante ! Je vais le conserver sur ma table de nuit, personne n’y touchera ! Même pas mon chat ! »

Je n’ai pu que rire avec elle et m’extasier d’admiration devant le splendide sac de courses qu’elle venait de se payer pour les fêtes. C’est dans ce sac qu’elle a fourré avec vigueur mon cahier dans son enveloppe. Rien que de très normal, n’est-ce pas, cher Professeur ? Pas de quoi en écrire autant de pages ! Mais attendez la suite. Les jours de fête se sont succédé joyeusement, chantés et bénis dans l’église du Sacré-Cœur de Vaudeville, par une nuit de neige inattendue et bienvenue. Mon amie et moi nous ne nous sommes pas revues de toute la semaine, mais j’ai reçu son coup de fil le deuxième jour de l’année nouvelle.

Quelle année ? Je n’ose pas vous révéler laquelle, car, déjà, vous vous moquez de moi et me traitez de rancunière tenace ! Ce qui est sûrement le cas. Mais ce jour-là, le deuxième de l’année nouvelle donc, mon amie Hot Blonde m’a appelée pour me souhaiter toutes les bonnes choses que je désirais… sans les nommer avec précision. Ce fut un long bavardage énumérant chaque heure de son bien-être vécu auprès de sa nombreuse famille, venue de très loin profiter du grand confort de sa maison et de son excellente cuisine. J’attendais patiemment qu’elle me questionne sur les innombrables flûtes débordant de champagne que j’avais savourées tout au long des soirées de fêtes. Ainsi que sur les alignements de petites bûches parfumées à la vanille que mon compagnon Grand Futé achetait bien fraîches chaque jour. Je n’eus pas l’occasion de les énumérer toutes, pour ne pas dire… aucune !

« Et toi, comment vas-tu ? »

Question soudaine, lancée joyeusement vers ma personne. Elle s’intéressa à ma santé, juste après avoir décrit longuement, avec précision, tous les maux de tête et d’estomac qu’elle avait subis au lendemain de la fête de Noël. Je n’avais aucune envie de la plaindre, car je n’espérais qu’un petit silence au bout du fil qui me permettrait de poser ma question, cette question essentielle au sujet de mes pages bleues.

« Et toi, comment vas-tu ? » a-t-elle répété, polie, légèrement impatiente. J’ai saisi l’occasion :

« Comment je vais ? Très bien, merci. Cette année, j’ai pris la résolution de continuer à écrire, peut-être des romans. Au fait, tu as pu… trouver du temps pour lire le petit cahier, tu sais, ces pages que je t’ai confiées, il y a… ? »

Elle m’a coupé la parole en s’exclamant de surprise :

« Mais oui, je m’en souviens de ce cahier bleu ! Il est resté dans ma table de nuit, je crois bien qu’il y est toujours parce que… oui, je l’ai feuilleté, j’ai lu quelques pages, c’est bien écrit. Mais je n’ai pas pu tout lire à cause de l’agitation de ma famille autour de moi. Ne t’inquiète pas, je vais le reprendre, pas de souci, j’ai un peu de temps pour moi cette semaine. Et puis, j’ai bien vu toutes ces cartes que tu as collées un peu partout, ça fera moins de pages à lire, ça ira plus vite ! Je n’en aurai pas pour longtemps, je te promets ! »

Choc dans ma tête ! Là, ce n’était plus une piqûre d’étoile, c’était la masse de toutes ces cartes postales qui s’enfonçaient, moqueuses, dans mes cheveux à bouclettes. Il ne me restait plus qu’à les récupérer toutes et à les recoller vite fait dans mon petit cahier tout dénudé.

Vous riez, cher Professeur ? J’imagine votre sourire ironique, mais je n’entends pas encore vos réflexions, dans l’ignorance de votre réponse à ma lettre. Cela viendra, je l’espère, car je suis obligée de continuer à écrire… la suite de mon propos, dans l’attente du retour espéré de mon cahier bleu.

Il m’est revenu, pas tout de suite dans la semaine, mais bien plus tard, à la fin du mois. Entre-temps, je suis retournée à la mairie de Vaudeville avec toute une poignée de pages à photocopier et une boîte de chocolats en geste de remerciement pour mon amie Hot Blonde que j’avais hâte de revoir. Dans l’espoir de l’entendre commenter mes écritures et d’en obtenir modestement des compliments, j’allais accepter, avec appréhension et beaucoup d’anxiété… des réflexions piquantes ? Critiques qui me rendraient service pour mes prochains écrits.

Cette fois-ci, en entrant dans la salle du Conseil, mon amie se tenait debout auprès de la photocopieuse. Nos embrassades furent joyeuses autant que la machine vaillante et rapide qui a recopié avec soin et application toutes mes pages d’écriture. Hot Blonde s’est dirigée vers son bureau, a ouvert un tiroir pour en extraire une chemise cartonnée afin de rassembler les feuilles. Refermant le tiroir, elle en a ouvert un autre, d’un geste décidé :

« Ah ! Au fait ! Il faut que je te montre… ce que j’ai acheté. »

Acheté ? Pourquoi acheté ? Je pensais, bien sûr, à mon petit cahier bleu. Je ne lui avais tout de même pas vendu ce cahier ? Je ne comprenais pas, mais la réponse m’est parvenue prompte et rapide :

« Mais oui, il faut que je te le montre… et zut ! Je ne le trouve pas, je l’avais pourtant placé dans ce tiroir pour t’en parler ! C’est un super livre que je viens d’acheter chez Christelle au “Pays des Mots”. Les critiques de ses lecteurs sont élogieuses ! Christelle m’a dit avoir lu aussi ce livre et le trouver très intéressant. Surprenant même ! Moi, je viens de le finir, il faut que je te dise le titre : “Le journal de…” Et zut ! J’ai oublié de qui, mais je retrouverai le nom, j’ai bien envie de le relire. Ah ! Je sais : “Le journal intime de mon ordinateur”. Je vais te le prêter, il doit être dans mon sac sur le porte-manteau. »

Oui, ce grand sac de courses tout neuf et magnifique d’où elle a retiré un livre d’une taille moyenne, habituelle, simplement coloré sur la couverture en rose bonbon, rose comme sa bouche ronde.

« Ah ! Tu ne le veux pas ? Pas maintenant ? D’accord, je vais le relire et ensuite je te le passerai. Tu verras, ça t’amusera. »

Et de mon petit cahier, elle n’en a pas parlé ! Pourtant, il était gratuit, lui ! Je suis sortie de la mairie avec mes photocopies dans les bras. Joyeuse ? Satisfaite ? Stimulée ? Je ne suis pas retournée à la mairie de plusieurs jours, conservant la chemise cartonnée qui m’avait été « prêtée » gracieusement. Hot Blonde avait donc pris le temps d’acheter un livre, de le lire et d’en parler autour d’elle ! Sans aucun regard pour mes écrits, pages manuscrites de son amie, si courtes et entrecoupées de cartes colorées. Peu intéressantes à lire ?

Retourner à la mairie ? J’y fus obligée, ayant obtenu un entretien avec un adjoint pour un problème de voirie. À mon entrée, Hot Blonde s’est levée de son bureau, m’a présenté une pochette en carton, extraite de son grand sac magnifique :

« Tiens, je te rends ton cahier, il faudra qu’on en parle toutes les deux… de tout ce que tu as écrit. Pas maintenant, j’ai du travail, je t’appellerai. Fais attention, ne laisse pas le paquet au soleil, je t’ai ajouté les tranches de jambon de porc noir que je devais offrir à ton mari, tu t’en souviens ? Avant les fêtes, il en avait goûté chez nous, à l’apéro. »

Surprise et… méfiante, j’ai contrôlé minutieusement l’intérieur du sac en carton parce que je ne comprenais pas ce qu’il contenait : du jambon frais ? Avec mon cahier bleu ? C’est alors que mon amie a pouffé de rire devant ma mine contrariée :

« T’inquiète pas, le jambon est bien emballé dans du plastique ! »

C’était vrai, mon cahier sans protection, était accolé à la tranche de charcuterie sous vide dans son sachet graisseux ! Je suis restée muette sans un mot de remerciement. On s’est embrassées et jusqu’à ce jour, je n’ai reçu aucune nouvelle de Hot Blonde.

Comment je réagis ? Je me tais ou je la tue ?

Que répondez-vous, Professeur ?

Signé : Naïvine

Chère Naïvine,

Détrompez-vous, Naïvine, je ne vous ai pas oubliée. Parce qu’il y avait quelqu’un à vos côtés, une personne assise, non loin de vous, sur ce dernier gradin de l’amphithéâtre, là où vous vous cachiez. Cette personne ? Ma femme, qui, parfois, assistait à mes cours et m’attendait à la sortie. Nous rentrions ensemble et souvent, elle me parlait de vous, vous qu’elle nommait « ma groupie » en décrivant votre attitude de muette dévotion, votre entière indifférence aux mouvements, à l’agitation des autres étudiants et à la curiosité presque indiscrète de ma femme, assise non loin de vous.

Je peux donc répondre, Naïvine, à votre lettre confiante et sincère : moi, professeur de philosophie, j’aurais été extrêmement curieux de lire ce livre au titre si déconcertant et d’en découvrir toutes ces cocasseries sur lesquelles s’extasiait votre blonde amie.

2e lettre

Maigrelet

Cher Professeur Nicolarousse

Cette seconde lettre va vous surprendre. Tout autant que la première ! Je l’espère bien, car je ne compte pas cesser toute correspondance avec vous. Cette fois-ci, il faut que je vous décrive un personnage qui n’est pas un inconnu pour vous : il fut cet étudiant de dernière année qui a semé la confusion dans les rangs de votre amphithéâtre. Vous souvenir de lui sera facile, votre mémoire ne peut pas avoir oublié son comportement sans gêne, exubérant, ses interventions soudaines, imprévisibles et… intempestives qui vous coupaient la parole et vous obligeaient à lui répondre avec sagesse, pertinence et un soupçon d’irritation, d’agacement. Vous vous souvenez de lui, Professeur ? Ce jeune homme tout mince, tout maigre qui ne tenait aucun compte de vos réponses rapides et légèrement excédées. S’agitant en tous sens, entraînant ses voisins à l’excitation la plus tapageuse possible.

Cet étudiant, vous ne l’avez pas revu, car il a disparu de nos gradins soudainement, avant la fin de l’année d’étude. Mais moi, je l’ai retrouvé, avec surprise et… mécontentement, aux côtés de mon compagnon, l’année suivante. Cet étudiant tout maigre était devenu son copain, car tous deux s’exerçaient passionnément à la musculation dans la salle de gym, près de chez nous, là où nous habitions, à Vaudeville.

Mon compagnon, Grand Futé, est, lui, de belle taille et très malin pour dénicher les « bons plans », les idées les meilleures ou… les pires ! (Je peux vous donner des détails… mais bon, je ne m’attarde pas sur nos disputes conjugales !) C’est donc mon Grand Futé qui fut tout fier de me le présenter, cet ancien étudiant, pour refaire sa connaissance, afin de lui proposer une invitation. Ce qui m’a ensuite beaucoup contrariée.

Grand Futé et moi, nous habitions un appartement en duplex, en plein centre de Vaudeville, dans l’impasse Partou. Nous ne manquions pas de place, nous pouvions aisément recevoir des amis. Alors, j’ai bien voulu accepter ce nouveau copain à ma table.

Vous ne connaissez pas, cher Professeur, mes qualités d’accueil, d’hôtesse exemplaire, car vous n’avez pas eu l’occasion de les découvrir et d’en profiter. Je peux vous les énumérer, mais je crains de vous lasser définitivement.

J’étais prête à recevoir dignement et même avec intérêt et curiosité le nouveau copain de mon Grand Futé. Prête à lui offrir un accueil chaleureux, du genre : « Que je suis contente de te revoir… ailleurs que sur les gradins de notre Fac ! Tu te rappelles ce prof qui nous expliquait… ? »

Là, j’arrête la question, cher Professeur, car je devine votre envie soudaine de replier ma lettre !

Donc, j’étais prête à recevoir le copain à ma table d’hôtesse, bien garnie et savoureuse. Le voilà enfin, sonnant à notre porte, sonnerie appuyée fortement, longuement. Grand Futé, en tablier de cuisine, ceinture dénouée traînant derrière lui, se précipite en clamant : « Le voilà ! »

Et… Maigrelet apparut dans l’encadrement, la lumière du palier dans son dos lui dessinant sournoisement une silhouette longiligne, en harmonie totale avec la fragilité de sa physionomie, celle-là même que j’avais retenue dans mes souvenirs et que les longues heures de musculation n’en avaient pas encore développé les contours !

« Te voilà, entre ! » lui crie de nouveau mon Grand Futé et je vois s’avancer Maigrelet, visage rond, large sourire très étiré et un brin niais. Grand Futé, éclatant de rire, me montre du doigt la chemise rose layette de Maigrelet, bariolée de petits singes aux derrières bien rouges, aux longues queues enroulées les unes aux autres et se terminant très fines sur ses manches. Alors, Maigrelet, sautillant sur ses petits pieds chaussés de mocassins tout blancs et ajourés, s’approche de moi, soutenant de ses mains tendues un minuscule paquet : le cadeau de l’invité ! Encore un saut de plus et la porte claque derrière lui.

Le cadeau de l’invité ? Mais oui, il y a pensé ! Il le présente, tout en gardant le même sourire très étiré et un brin niais. Que me présente-t-il ? Un pot entouré de papier froissé, d’où dépasse, pas très haut, une plante verte, bien verte, toute petite. Je reconnais (c’était donc possible, vu la minuscule taille de cette tige grasse ?) un kalanchoé, si jeune encore que je ne peux en nommer la couleur, car un coup d’œil m’a suffi pour constater l’absence de fleurs ou de bourgeons. Des feuilles, rien que des feuilles, si petites, si courtes, toutes serrées autour d’une tige servant de tuteur. Une tige, piquée de minuscules feuilles rondes au sommet d’un toupet de pustules pas écloses, écrasées, hérissées de poils ! Je n’ai pas osé approcher mon nez de trop près, devinant d’avance que cette… verdure ne diffusait aucun parfum. Il ne me restait plus qu’à remercier Maigrelet, chaleureusement, avec hypocrisie :

« Qu’est-ce que c’est, cette jolie plante ? me suis-je exclamée.

— Ah ! Je ne me rappelle plus son nom ! Je suis passé au supermarché et j’ai vu les promotions, alors, j’en ai profité pour t’acheter ce pot. Mais si, il va fleurir, j’ai pris le même pour la voisine, celle qui me garde mon chat et la cage à oiseaux ! Je te recommande de bien l’arroser (la plante ou le chat ? ai-je pensé, très agacée par ses paroles criardes). J’ai dû la conserver dans la malle depuis hier soir, sinon j’allais l’oublier et j’aurais été très gêné d’arriver les mains vides ! »

Penses-tu ? Gêné, lui ? Certainement pas ! Et c’est là, à cet instant que j’ai réalisé quelle était cette plante ! C’était une… bouture, oui, une bouture, piquée dans une poignée de terreau bien tassé et dont les racines n’étaient pas encore visibles et n’allaient pousser que… plus tard, bien plus tard ! C’était seulement une bouture ! L’avait-il achetée dans une jardinerie ? Peut-être au rayon des articles de jouets pour animaux ! Chiens, chats, oiseaux ?

J’ai déposé ce petit pot à bouture sur le rebord de la fenêtre de notre cuisine, tout près du grand vide qui s’ouvrait au-dessous, vu que notre appartement se situait au 3e étage. Il ne me restait plus qu’à souhaiter un petit geste maladroit, un peu habituel de mon Grand Futé, comme cela lui arrivait très souvent en déposant quelque petite casserole en alu qui dégringolait avec fracas sur le balcon en émaux de Briare, chez nos voisins du deuxième!

L’objet méprisé éclaterait enfin en morceaux, tous petits morceaux sur les pavés nouvellement restaurés de la cour intérieure.

Un temps d’hésitation et je vis, depuis la cuisine, Grand Futé taper sur l’épaule de Maigrelet et l’apostropher avec moquerie, s’intéressant à son accoutrement de vacancier des plages.

« Et ta valise ? T’as pas de valise ?

— Mais non, j’ai tout dans mon sac à dos ! C’est un superbe sac marocain que je viens de m’offrir.

— Et dans ce sac, ce sont tes affaires pour la nuit ? Tu ne les as pas oubliées ? »

C’est alors que Grand Futé s’est tourné vers moi qui revenais de la cuisine avec les serviettes de table bien pliées sur un plateau :

« Viens voir la superbe sacoche marocaine. C’est ce volume qui te suffirait, à toi, pour tes vêtements de vacances ? »

Cette question moqueuse, ironique, s’adressait… à moi, la voyageuse aux multiples sacs et valises ! Le temps d’une réplique mordante, déjà Maigrelet fouillait maladroitement au fond de son sac pour bien redresser l’ouverture, puis, d’un geste brusque et rapide, il s’est approché de la table du repas ; il a plaqué son sac tout contre mon plus joli vase en opaline garni du lilas mauve que mon amie Corine venait de m’offrir. Il a repoussé le précieux vase qui le gênait afin de dénouer la longue lanière épaisse bloquant l’ouverture de son sac, un peu aplati bizarrement.