Qui a volé la caisse du comité des fêtes ? - Serge Diemunsch - E-Book

Qui a volé la caisse du comité des fêtes ? E-Book

Serge Diemunsch

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Beschreibung

« Antoine ! C’est toi qui as pris la caisse ? — Non, pourquoi, où est-elle ? riposta-t-il déjà affolé. — Elle était là, il y a un instant, ce n’est pas possible ! Elle regarda autour, sous la table, c’était l’affolement, tous se mirent à chercher fébrilement. Ils élargirent leur recherche aux environs du bal, sous les tables, sous et sur l’estrade. La buvette fut passée au peigne fin, mais après un quart d’heure de recherches anxieuses, il fallut se rendre à l’évidence, la caisse de la buvette avait disparu et la recette avec. » 

Les fêtes, sommet de la vie sociale du Coq Hardi, sont un véritable succès. Seulement, la recette de la buvette est dérobée. Qui a volé la caisse du comité des fêtes ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

De la lecture à l’écriture, Serge Diemunsch inscrit, avec Qui a volé la caisse du comité des fêtes ?, le fruit d’un désir de noircir le blanc des pages après avoir tant lu. Dans un style plein d’humour, il y retrace sur fond fictif une intrigue d’enfance telle que gravée dans ses souvenirs encore très vifs de cette époque déjà lointaine.

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Seitenzahl: 203

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Serge Diemunsch

Qui a volé la caisse du comité des fêtes ?

© Lys Bleu Éditions – Serge Diemunsch

ISBN : 979-10-377-8389-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Personnages principaux :

- Jean-Robert Tournelle, célibataire, dit Jantou, président du Comité des Fêtes ;
- Émile Duchemin, vice-président ;
- Yvette, sa femme ;
- Pierrot Bersacq, secrétaire, dit Pim-Pam ;
- Antoine Ribland, trésorier ;
- Solange, sa femme ;
- Jeanne Bossin, trésorière adjointe ;
- Lucas Bossin, son mari ;
- Auguste Martin, membre du comité des fêtes ;
- Robert Lacourt, membre du comité des fêtes ;
- Jeannot Blanchon, membre du comité des fêtes ;
- Renée Borderie épicière ;
- Justine, tenancière du bistrot « Chez Justine »
- Albert Bottereau, inspecteur de police ;
- Joseph Durandier ;
- Lucienne, sa femme ;
- Georges Lejeune, dit Jojo ;
- Colette, sa femme
- Léon Parderrière ;
- Georgette, sa femme.

Autres habitants du quartier :

- Fernand Dupraut, instituteur ;
- Raoul Larreyts, dit Pépé, un vieux pittoresque ;
- Victor Blanchon, retraité ;
- Charles Turpin ;
- Odette, sa femme ;
- M. Zaramburru ;
- Mme Zaramburru, sa femme ;
- La vieille Zaramburru ;
- Jean Lahontan, cantonnier ;
- Salvatore Bandolli ;
- Maïté Chathez ;
- Monique Souvielle ;
- Claude Chathez, frère de Maïté ;
- Lisette Fèvre, ancienne demoiselle du quartier ;
- Marcel Lascuns, retraité, veuf.

I

Samedi 12 février 1955

La salle des fêtes du quartier du Coq Hardi, faubourg de Mont-de-Marsan, petite ville de dix-huit mille âmes néanmoins préfecture des Landes, bourdonne de rires, de cris d’enfant et du brouhaha des conversations d’adultes. Il est dix-neuf heures et toute cette agitation est motivée par la tenue de la première réunion de l’année du comité des fêtes.

La salle des fêtes, modeste construction en bois érigée par les Allemands pendant la guerre et réaffectée en salle des fêtes par les habitants peu après la libération de la ville, longue d’une quinzaine de mètres pour dix de large, donne de plain-pied sur la nationale 649,1 laquelle conduit vers la commune de Sabres, d’où sa dénomination de « Route de Sabres », communément employée par la population montoise.

Elle est sise sur l’emplacement d’une scierie2 en activité, dont les propriétaires n’ont pas pour le moment manifesté la volonté de la faire démolir. Il est probable que les Allemands avaient oublié de leur demander l’autorisation de construire.

Cette éventualité serait d’ailleurs hautement préjudiciable aux habitants car, bien qu’elle ne soit qu’une modeste construction, elle est en parfait état, et se montre essentielle à la vie sociale du quartier. Des bénévoles l’ont aménagée en l’équipant d’un bar, l’ont repeinte en jaune paille pour les murs, en rouge bordeaux pour les ouvertures et les encadrements, et elle devint ainsi une pimpante construction.3 La population y organise des vins d’honneur lors des mariages, des communions ou baptêmes, elle sert à diverses réunions, à des banquets et parfois même on y danse au son d’un tourne-disque. Et même au printemps dernier, elle avait fait le plein lorsqu’une équipe de projectionnistes ambulants y avait projeté des films de Laurel et Hardy !

Le quartier du Coq Hardi s’étale sur un peu moins d’un kilomètre de part et d’autre de la nationale, sans aucune rue transversale, sauf une impasse étroite4 de quelque quatre-vingts mètres qui dessert quatre maisons appartenant à des couples modestes, mais dotés d’une descendance prolifique, qui ont pu construire et devenir propriétaires en bénéficiant de l’avantageuse « loi Loucheur ».

La seule bâtisse sortant de l’ordinaire est une villa située à mi-chemin entre l’épicerie et le magasin de cycles des Tournelle, à la façade ocre rosâtre passablement défraîchie, avec ses encadrements en briquettes rouges, sur laquelle on peut encore lire en grandes et majestueuses lettres, bien pâles car passablement délavées par les intempéries, « Villa du Coq Hardi »5. Elle se distingue de toutes les autres maisons par l’importance de sa taille et son appellation. Elle est habitée par des gens discrets.

L’origine du quartier côté ville est mal définie. Selon certains, elle se situerait au droit du magasin de cycles des Tournelle, quelque trois cents mètres avant le passage à niveau de la gare de Saint-Jean-d’Août,6 qui n’accueille plus de voyageurs, mais beaucoup d’anciens se souviennent y avoir pris le train pour aller à la foire de Labrit,7 village distant d’une trentaine de kilomètres. Aujourd’hui, elle ne voit passer que les wagons-citernes de kérosène destinés à la base militaire aérienne 118, tractés par l’une des michelines qui n’ont plus l’agrément pour le transport de voyageurs.

D’autres prétendent situer l’origine un peu plus loin, au niveau de la caserne des pompiers forestiers qui occupe l’ancienne usine Motobloc8, entre le passage à niveau et le commerce de cycles, juste en face du chemin qui conduit à la toute neuve école du Péglé.

Mais au fond, peu importe l’affectation de ces trois cents mètres, on y dénombre seulement deux maisons jumelées,9 le reste étant des deux côtés de la route, des cultures de maïs cultivé par la ferme10 située en bordure de la route de Sabres tout contre la voie de chemin de fer.11

Il prend fin à la sortie de la ville côté Sabres au lieudit « Le Rond », appellation tirée de la configuration des limites de propriétés qui forment un cercle, lequel entoure la patte d’oie formée par la route de Sabres12 et la départementale qui conduit vers Morcenx et les plages les plus proches de la côte landaise, quasiment au niveau de la ferme des Larreyts. Peut-être une très ancienne place ronde, une intersection étant par nature un lieu de rencontre.

Sur toute la traverse du Coq hardi par la nationale, les bermes sont plantées de marronniers, en surplomb des fossés, sauf entre l’épicerie et le café « Chez Justine », où ils ont été soit comblés, soit jamais creusés, ce qui permet de disposer d’accotements stabilisés de cinq bons mètres de large au cœur du quartier, sur ce côté de la route nationale.

Le bistrot de Justine13 est aligné avec l’enfilade des maisons, mais à la différence de celles-ci, l’absence de clôture et de jardinet en façade génère un espace d’une dizaine de mètres jusqu’au bord de la chaussée. Elle y installe plusieurs tables pendant la belle saison.

Le Coq Hardi compte une cinquantaine de familles et, outre le bistrot-tabac de Justine, il est sommairement équipé de l’épicerie de madame Renée Borderie, et du commerce de vente et réparation de cycles et cyclomoteurs tenu par Jean-Robert Tournelle, dit « Jantou », légèrement excentré. C’est plutôt une annexe du cossu magasin possédé par les Tournelle en centre-ville, géré par le frère aîné de Jantou. Juste en face se trouve un petit garage de réparation automobile,14 sale et noir, plein de flaques d’eau lorsqu’il pleut. Une pompe à essence désaffectée depuis peu, avec ses deux ballons en verre de cinq litres que l’on voyait se remplir il n’y a pas si longtemps lorsqu’on manœuvrait le levier de pompage, est encore installée au bord de la chaussée. Ce sont les quatre seules activités commerciales. Pas de boulangerie qui serait pourtant appréciée ni de pharmacie, il faut aller en ville. Les enfants fréquentent la nouvelle école du Péglé, quartier limitrophe. Pour clore le chapitre des activités, une scierie, située en plein centre entre l’épicerie et le café, fait entendre le grincement de sa scie toute la journée, ce qui exaspère l’instituteur qui demeure juste en face, car lui, le jeudi, jour des repos des écoliers, il est présent toute la journée. Une usine de traitement de la résine de pin15, quelques cent mètres plus loin appartenant au même propriétaire, elle, silencieuse, diffuse une agréable odeur lorsque le vent souffle du bon côté.

L’église la plus proche est celle de Saint-Jean-d’Août, à un quart d’heure à pied. Les habitants la considèrent comme « leur église ». C’est là que tous ont fait leur catéchisme, leur communion et, le cas échéant, leur mariage et le baptême de leurs enfants.

Ce soir, l’événement est d’importance dans la mesure où la réunion du comité a pour objet la préparation des fêtes, sommet de la vie sociale du quartier, qui se dérouleront du samedi 11 au lundi 13 juin prochains. Outre les membres du comité des fêtes, une grande partie de la population du Coq Hardi est là. En effet, les distractions sont rares en ces soirées hivernales où, contrairement à la belle saison, les Coq Hardiens, si l’on peut dire, puisque même chez les anciens aucun n’a souvenir d’une appellation concernant les habitants du quartier, prennent le frais lors des chaudes soirées d’été, se promènent et palabrent avec les voisins. Dans le récit qui suit, nous les appellerons ainsi.

En hiver, les divertissements se résument à quelques séances mensuelles de cinéma, à l’écoute de la radio, à la pratique de jeux de sociétés et de cartes en famille ou entre amis, à la lecture pour quelques-uns et, pour les hommes, deux ou trois visites hebdomadaires au café. Le dimanche, unique jour de repos de la semaine, seules de courtes et rares escapades sont permises par la froidure aux familles qui ne possèdent pas de voiture, c’est-à-dire à dire l’immense majorité. Les chasseurs et pêcheurs partent, eux, par tout temps, pratiquer en solitaire leur passion.

Seul Roger Pastoulède, petit entrepreneur de maçonnerie, dispose d’un poste de télévision. Son acquisition demande quatre à six mois de salaire d’un ouvrier. Ce privilège suscite l’envie des habitants quand ce n’est pas la jalousie, fascinés par l’antenne en forme de râteau accrochée à la cheminée de la maison. D’ailleurs, c’est par les antennes qu’on reconnaît les heureux possesseurs de cette merveille, immanquablement associée à leur aisance financière. Si l’on en croit la rumeur, certains prétentieux voulant péter plus haut que leur cul, comme le dit le Pépé Larreyts, achètent uniquement l’antenne !

Même le bistrot de chez Justine ne l’a pas. Il faut dire qu’elle ne manque pas aux retraités qui tous les après-midis viennent taper la manille à grands coups de blanc limé. Justine y a pensé, et s’est renseignée, un cafetier de la ville l’a alertée du manque de fiabilité de son poste de télévision tombé déjà deux fois en panne en un an. Autre souci occasionné par le simple passage des cyclomoteurs devant son café, surtout des vélosolex qui signalaient leur approche par quelques zébrures sur l’écran jusqu’à un paroxysme où il devenait illisible, cette turbulence étant accompagnée d’un craquement sonore assourdissant qui s’estompait à mesure de l’éloignement de l’engin.16 La perturbation pénible à supporter durait dans les vingt secondes, et en ville le passage de ces mécaniques était monnaie courante.

Dans la salle des fêtes enfumée, presque tous les hommes fument, on ne s’entend plus parler.

Le président du comité, Jantou, un gros et imposant célibataire de quarante ans, rouquin, sanguin, infatigable travailleur, on le voit le soir jusqu’à point d’heures besogner dans son atelier de cycles, fait valoir sa voix de stentor tout en tapant dans ses énormes mains pour réclamer le silence, la réunion va commencer.

Les mauvaises langues, qui le suspectent d’être d’une famille fortunée, s’étonnent d’ailleurs qu’il n’ait encore pas la télévision. Elles le disent radin.

Le commerce de cycles marche plutôt bien. En effet, la bicyclette est le moyen de transport courte distance le plus courant, bien que l’on voie apparaître de plus en plus de mobylettes, de vélosolex et de motos. Les jeunes gens dont les parents disposent de quelques moyens préfèrent les endetter pour l’achat d’une Vespa considérée comme véhicule de loisirs à la différence des précédents.

Le quartier compte en effet seulement six voitures : celle de l’épicière, madame veuve Renée Borderie, solide quinquagénaire, propriétaire d’une infâme guimbarde de marque indécise, qui, dépourvue de sa banquette arrière, est aménagée en une sorte de fourgon, dont elle se sert surtout pour aller deux fois par semaine faire le marché de très bonne heure pour ravitailler son épicerie. C’est elle aussi qui possède avec les Pastoulède et Jantou l’un des trois téléphones du quartier.

On dénombre en outre la rutilante traction noire de Pierrot Bersacq, la Peugeot 202 d’Antoine Ribland, amusante avec ses deux phares rapprochés de quelques centimètres cachés derrière la calandre qui semblent vous regarder, la 2CV neuve de l’instituteur Fernand Dupraut, la Peugeot 203 camionnette bâchée de Jantou, et enfin la Ford Vedette grise des Zaramburru, avec son pare-brise curieux en deux parties, séparées par montant vertical chromé, étincelante, magnifique. Une fois par semaine, on le voit la laver à grande eau, sur l’accotement, il a la chance d’habiter du bon côté.

Les Zaramburru, couple d’infirmiers de l’asile d’aliénés Sainte-Anne, sans enfants, vivent avec la vieille mère du maître des lieux. Leur domicile se situe juste en face de celui des Martin, et voisin de la maison de Pierrot Bersacq. Cette situation aura son importance dans les évènements qui suivent. Le couple se mêle très peu à la vie du quartier, courtois, chacun converse volontiers avec les Coq Hardiens et madame fait ses achats courants à l’épicerie, mais cela ne va pas plus loin.

Monsieur Pastoulède possède un petit camion Citroën utilisé exclusivement dans l’exercice de son métier de maçon, lui préfère se déplacer sur une 125 Motobécane.

Le silence enfin péniblement revenu, le président du comité des fêtes déclare la réunion ouverte. Les membres du comité des fêtes sont placés autour de la table centrale et les Coq Hardiens, déjà attentifs, sont assis sur des bancs rangés en périphérie de la salle.

Pierrot Bersacq, proche de la quarantaine, secrétaire du comité, agent de police de son état, est plus connu dans le quartier, au commissariat et même au-delà, sous le doux sobriquet de « Pim-Pam ». Pour les arrestations que ses collègues devinent devoir être mouvementées, on n’oublie jamais de l’emmener. C’est un homme généreux, d’une gentillesse extrême, très aimé dans le quartier malgré son métier, et dont la stature imposante et la grosse voix grave font réfléchir les belliqueux. Personne bien entendu ne l’appelle directement par son surnom bien qu’il ne l’ignore point, ses amis l’appellent Pierrot, les autres monsieur Bersacq, sauf lorsqu’on parle de lui : « T’as pas vu Pim-Pam ? » ou encore « demande à Pim-Pam ». Seuls quelques collègues proches se permettent cette familiarité. Avec Jantou, à eux deux, ils se chargent de remettre de l’ordre quand il arrive comme parfois pendant les fêtes, alcool et chaleur aidant, qu’une échauffourée éclate au sein du bal, où sont immanquablement impliqués les parachutistes cantonnés dans la ville, mais aussi les gitans qui occupent, eux, plusieurs baraquements abandonnés par les Allemands à la sortie de l’agglomération, à quelques centaines de mètres, peu après la patte d’oie en bordure de la RN 649.

Leur efficacité est certaine, et les spectateurs les soupçonnent, malgré leur indignation de façade, de ne pas détester ces joutes, d’autant qu’elles seront un sujet de conversation inépuisable pour les temps futurs, qui fera oublier quelques éventuelles ecchymoses ou yeux pochés.

Pour les soldats impliqués, ces rixes finissent invariablement de la même manière, en effet la « Military Police », impressionnante avec ses casques blancs marqués « MP », mystérieusement avertie, intervient très vite et embarque tous ces beaux militaires qui vont finir les fêtes dans les geôles de la caserne Bosquet de l’autre côté de la ville.

Antoine Ribland, trente-huit ans, de taille et de corpulence moyennes, châtain clair avec un visage ouvert et agréable, occupe la fonction de trésorier. Il se dit « météorologue » car il travaille en effet au service météo de la base aérienne 118. Ce métier dont le nom rime avec radiologue, et quelques autres professions savantes, impressionne quelque peu certaines personnes candides du quartier. Il le sait, et c’est le seul avec l’instituteur à être toujours en costume cravate. Il avait exigé du comité l’achat d’une petite cassette métallique fermant à clef qu’il fait suivre à chaque réunion. Elle recèle en numéraires toute la fortune du comité des fêtes.

Émile Duchemin est le vice-président du comité. Trente-six ans, brun, svelte et grand avec son mètre quatre-vingt, il est manifestement le plus bel homme du faubourg avec son visage de jeune premier. Certaines disent qu’il aurait dû faire du cinéma, et il n’est pas rare de surprendre le regard de ces dames fixé sur lui. Lors des dernières élections, sa femme, une belle brune avenante, qui elle fait tourner la tête des hommes, lui avait bien recommandé de ne revendiquer aucun poste, ayant bien assez de travail dans la vie courante. Vice-président lui avait paru acceptable dans la mesure où la fonction demandait peu d’investissement pendant l’année, il n’en était pas de même pendant la semaine précédant les fêtes où comme les autres il était débordé.

Il est socialement le plus modeste des membres du comité. De profession de menuisier-ébéniste, il travaille à l’usine de fabrication de parquet de Tamboury, de quatre heures du matin à midi, et il complète les revenus de la famille en travaillant trois longues après-midi par semaine chez un petit patron cette fois pour exercer son vrai métier. Ces journées de douze à quatorze heures de travail quotidien lui laissent en effet peu de temps libre. Il a cependant réussi à s’offrir une mobylette d’occasion, ce qui n’est pas si mal, beaucoup se déplacent encore à vélo. Son seul jour de repos est, comme la plupart, le dimanche, ces vingt-quatre heures de détente ne sont pas de reste pour effacer la fatigue de ses soixante-cinq heures de travail hebdomadaires.

Sa femme Yvette, elle, ne travaille pas, comme l’on dit. Pourtant, avec ses trois enfants, elle ne doit pas souvent se tourner les pouces, entre le ménage, la cuisine, le repassage, et surtout le lavage qui outre le temps important qui doit y être consacré, constitue une tâche très pénible surtout en hiver pour les femmes, où un après-midi passé à la planche à laver laisse les mains tellement gelées qu’elles mettent longtemps à se réchauffer.

Sans oublier le travail du jardin et celui du poulailler qui permet à lui seul d’avoir un beau poulet rôti sur la table au moins une fois par semaine et assurément le dimanche.

L’épouse de Pierrot Bersacq, Simone, grande bringue quelconque, un peu hautaine mais toujours polie avec les Coq Hardiens, « travaille dans un bureau », synonyme d’emploi d’un prestige certain, plus précisément dans un bureau de la sécurité sociale. Elle ne fréquente pas l’épicerie de Renée Borderie, trois à quatre fois par semaine elle laisse le matin en partant au bureau une liste de courses à l’épicière, et le soir c’est son mari qui vient les quérir toutes prêtes dans un cageot. Évidemment, deux salaires quand la plupart des foyers vivent avec un, cela change tout, et explique la possession d’une voiture par le couple et ses deux enfants.

La femme du météorologue, Solange, une sympathique petite boulotte au visage jovial, elle non plus « ne travaille pas », mais elle aussi avec trois enfants a de quoi s’occuper. Son mari doit toutefois avoir un salaire conséquent, qui lui a permis d’acheter une 202 Peugeot d’occasion. La possession et l’entretien d’une automobile restent un luxe.

Pour compléter l’aéropage, outre les membres du bureau, plusieurs autres adhérents du comité sont assis autour de la table, notamment Jeanne Bossin, trésorière adjointe, jeune et jolie femme blonde de vingt-sept ans, énergique, épouse d’un manœuvre maçon, un grand dadais, beau garçon séduisant, mais hélas un peu niais. Dès qu’une conversation sort des banalités comme la pluie et le beau temps, il perd vite pied.

Les médisantes la disent au mieux avec le météorologue. Elle est opératrice au central téléphonique de la poste. Les gens la craignent un peu, quoique dans le quartier l’usage du téléphone, rare, est réservé aux éventuelles urgences, lorsqu’il faut appeler le docteur.

Elle doit en connaître des secrets ! disent-ils, mais il faut lui reconnaître une discrétion absolue sur l’exercice de sa profession. Elle est la seule femme du comité, et se distingue de ses semblables par les cigarettes blondes qu’elle fume, ce qui paraît inconvenant aux yeux de beaucoup de dames et même de certains messieurs.

Cette Jeanne Bossin mérite une attention particulière. Originaire d’un village du Tursan situé à un peu plus de quarante de kilomètres du Chef-lieu, elle est la fille unique d’un couple d’agriculteurs. Intelligente, elle aurait, si elle était née dans une famille suffisamment avertie, sans doute fait des études supérieures. Elle avait seulement son certificat d’études primaires, brillamment obtenu en étant la première du canton, ce qui n’avait pas rendu peu fier son instituteur. Dès qu’elle fut en âge, son père la harcela pour qu’elle épouse un fils d’agriculteur, souvent un cadet, des environs pour reprendre l’exploitation familiale. Mettre les mains dans le fumier n’était pas l’idéal de la jeune fille. À sa majorité, elle réussit le concours des postes. Sa voix, claire, agréable, à l’excellente diction, la fit rapidement obtenir un poste de standardiste. Elle avait bien un arrière petit accent gascon, mais par ici cela ne prêtait guère à conséquence. Avec un salaire, elle avait eu le courage de quitter sa famille, démarche indispensable lorsqu’on demeure à quarante kilomètres du lieu de travail, et de s’installer célibataire dans un petit appartement de Mont-de-Marsan. Elle avait rencontré le Bossin qui l’avait séduite avec son joli minois, précisément aux fêtes du Coq Hardi, et l’avait épousé l’année suivante au grand désespoir de son père qui avait toutefois fait ce qu’il fallait pour le mariage. Au bout de cinq années de vie commune, elle regrettait amèrement son choix, elle savait déjà depuis longtemps qu’elle ne terminerait pas sa vie avec le Bossin. Elle se demandait souvent ce qu’elle attendait. La Jeanne est une fille de caractère.

Viennent ensuite deux jeunes hommes de la même « classe 52 », Robert Lacourt et Jeannot Blanchon, tous deux ouvriers forestiers. Ils sont inquiets, car ils craignent d’être rappelés pour faire la guerre en Algérie. La guerre d’Indochine à peine achevée, une autre commençait.

Enfin, Auguste Martin, mécanicien automobile retraité, porteur de magnifiques moustaches, toujours vêtu d’un bleu de travail, affublé en permanence d’une casquette à l’inverse de tous les anciens de son âge tous porteurs du béret traditionnel, complète cette assemblée. Il dispose chez lui d’un petit atelier de mécanique très bien équipé, et il n’est pas rare d’aller lui emprunter un outil, qu’il prête volontiers, étant d’un naturel très serviable.

Autour de la table, un dernier participant, inattendu celui-là, s’est invité lui-même, dans la mesure où il est dépêché par la préfecture.

Les membres du bureau connaissent la raison de sa présence, mais les Coq Hardiens regardent perplexes cet inconnu. Jantou présenta le nouveau venu :

— Voici monsieur Durdaureil qui nous est envoyé par la préfecture suite à une bricole qui s’est passée pendant le bal du dimanche soir l’année dernière.

Le président appelait une bricole un petit évènement qui n’avait pas été du goût d’un certain monsieur De Saint-Amand, conseiller général des Basses Pyrénées, qui rentrant chez lui depuis Bordeaux dans sa 2CV Citroën, avait dû traverser le bal. En effet, depuis l’origine des fêtes, les bals des samedi et dimanche soir se tenaient sur la nationale. Il est vrai qu’à partir de vingt et une heures la circulation y était presque nulle, il passait deux ou trois voitures par heure, mais elles devaient traverser la foule des danseurs au pas, pour la plus grande joie des fêtards, surtout lorsqu’il s’agissait d’une 2CV. Systématiquement, trois ou quatre énergumènes prenaient le pare-chocs arrière de la voiture, et le secouaient pendant toute la traversée du bal. Connaissant la suspension de cette voiture, le mouvement prenant de l’amplitude, les passagers avaient la tête qui touchait la capote en toile, parfois même les roues arrière quittaient le sol sous les vivats du bon peuple.

Imaginez l’inconfort et la colère des occupants !

Le conseiller général n’avait pas du tout apprécié la séance et avait déposé une plainte au commissariat dès le lendemain.

— Une bricole, c’est vous qui le dîtes, reprit l’envoyé, si Pim… je veux dire monsieur Bersacq ne s’était pas trouvé là pour arranger la sauce, cela aurait pu vous coûter cher.

Le trésorier, Antoine Ribland, s’insurgea :

— Et pourquoi donc, la voiture n’a pas été du tout abîmée, le secouage d’une 2CV par les danseurs s’est déjà produit plusieurs fois, mais un dépôt de plainte contre le comité pour cette plaisanterie est une première !