Mystérieux - Tome 3 - Amandine Ré - E-Book

Mystérieux - Tome 3 E-Book

Amandine Ré

0,0

Beschreibung

Oeil pour oeil, dent pour dent : les guerriers ne pardonnent pas.

Un seul dicton pour résumer notre état d’esprit : Oeil pour oeil, dent pour dent. Chaque coup donné sera rendu. Quel qu’il soit, qu’importe le temps écoulé.
Une seule loi à respecter : Aucune pitié. Les armes ne sont pas égales... Mais d’ailleurs, l’ont-elles déjà été ?
Un seul mot d’ordre à écouter : Ne réfléchis point et fonce dans le tas. Les guerriers que nous sommes ne pardonnent pas.

Nous n'avons pas le droit à l’erreur, nous avons des règles à intégrer, des personnes à protéger, des êtres chers à venger.
Règle n°1 : agis comme le Cobra que tu es. Sois sourd et observe. Ressens le danger dans chacune des vibrations du sol et de l’air.

Ils ont gagné une bataille. Un seul putain de combat et pas des moindres. Mais nous gagnerons la guerre avant d'emprunter le chemin de la rédemption.

Le troisième tome de la saga de dark romance Mystérieux ne va pas vous décevoir : découvrez-le sans attendre et régalez-vous de cette suite pleine d'émotions et de rebondissements.


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Rédemption est la pépite sur la pyramide, la cerise sur le gâteau. Il m’a retournée, dévorée et laissée les bras ballants. Je suis admirative de l’écriture d’Amandine, bluffée par sa manière de donner vie à ses personnages et son univers." - Aurélia, Le Temps d'une Chronique

"Rédemption est la pépite sur la pyramide, la cerise sur le gâteau. Il m’a retournée, dévorée et laissée les bras ballants. Je suis admirative de l’écriture d’Amandine, bluffée par sa manière de donner vie à ses personnages et son univers." - Blog Virtuellement vôtre

"Ce tome clôt en apothéose l'histoire de notre gang « adoré » [...] L'auteure a réussi à me transporter dès les premières lignes et mon petit cœur a cru se trouver par moment sur des montagnes russes tant j'ai été submergée par l'émotion mais aussi une grande palette de sentiments." - Blog Lectures à Flo(ts)

"Amandine Ré nous emporte dans un univers de guérilla, de vengeance, de rédemption. Elle arrive à nous faire vivre toutes les situations avec beaucoup d'émotions. J'ai souvent eu le cœur aux bords des lèvres et les larmes ont noyées celui-ci. C'est bien plus qu'un coup de cœur, en tournant la dernière page j'ai l'impression de dire adieu à des amis." - likebooks, Booknode

À PROPOS DE L'AUTEURE

Amandine Ré est une jeune auteure belge de 28 ans passionnée par l’écriture depuis la découverte de Wattpad il y a deux ans. La nuit, elle range son tablier de maman au foyer et revêt son costume d’auteur pour faire prendre vie à des héros sombres et torturés, mais pas seulement. Grande fana de jolies romances, elle collectionne les livres.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 361

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Mystérieux

Tome 3

 

Rédemption

 

 

 

 

 

Amandine Ré

 

Avertissement :

 

Attention livre réservé à un public averti, contient des scènes pouvant heurter la sensibilité de certains. Drogues, armes, tortures et meurtres ne sont qu’une infime partie de ce contenu. Les gangs mentionnés dans cette histoire ainsi que les personnages et les lieux ne sont que le fruit de mon imagination. ATTENTION !!! J’attire votre attention sur une demande bien spéciale : ne faites pas de spoils qui révéleraient le contenu de ce dernier tome. Pensez aux autres, merci ! 

Je vous souhaite un dernier bon voyage à Logen, en compagnie des Cobra.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédemption :

action de ramener quelqu’un au bien,

de se racheter,

de racheter ses pêchés.

Synonymes :

salut, libération, délivrance.

(Larousse)

 

Chapitre 1 : Aaron

 

Règle n°1 : Ne jamais s’arrêter ; même si ça fait mal, quitte à en saigner, à s’en écorcher l’âme. S’arrêter seulement lorsque nous avons tout donner de nous-mêmes.

Jamais je n’aurais cru un seul instant que la liberté qui allait m’être rendue m’étoufferait, me ferait agoniser.

Pourtant, c’est exactement ce que je ressens en posant mes yeux sur cette lettre dactylographiée par Crew. Je la chiffonne, la garde dans mon poing avant d’aller m’asseoir sur un des bancs du parking de la prison. Faut que je réfléchisse, que j’apprenne à respirer tandis que je suis seul comme un crétin qui ne sait pas par où commencer pour mettre de l’ordre dans ses idées...

      Être dehors et libre après autant d’années, c’est aussi se retrouver paumé. C’est un rêve inespéré mêlé à la sensation étrange et désagréable d’abandon, c’est être dans la peau du gosse égaré dans un hypermarché : perdu, englouti par le monde qui l’entoure.

Comme si je n’étais rien, ni personne.

Je devine que c’était la raison pour laquelle Crew voulait venir me récupérer à ma sortie, mais j’ai refusé puisque je n’avais qu’une seule envie : aller chercher ma femme et la ramener chez nous.

J’avais juré de purger ma peine jusqu’au bout, je n’ai pas tenu parole, incapable de rester vingt piges derrière les barreaux à ne pas savoir ce qu’elle devenait. Les corrompus ont accepté les liasses que je proposais, réduisant considérablement mon incarcération et me relâchant dans la jungle de Logen.

Comme promis, une voiture m’attend sur le parking et la clé m’a été remise avec l’adresse d’Amyliana. Il faut que je la rejoigne. Je veux lui demander pourquoi. Pourquoi n’est-elle jamais venue en six années ? Pourquoi a-t-elle fui avec notre enfant, surtout ?

Parce que j’ai tué sa mère. Ça, je le sais.

Mais au fond de moi, je n’arrive pas à concevoir qu’elle oublie ses sentiments, que je n’ai plus de place dans sa vie quand elle est mon tout.

Dans ma cellule, j’ai eu le temps de penser, beaucoup trop de temps pour imaginer divers scénarios. Ça allait à celui dans lequel elle était rentrée chez nous, avec le gosse, et qu’elle m’aimait de sa bouche, comme auparavant. À celui dans lequel elle me haïssait, et que jamais plus elle ne m’accorderait un regard.

En grimaçant à l’idée que cette dernière image soit la plus probable, je m’allume une cigarette, et soupire, crachant la fumée par le nez.

Je ne peux imaginer une vie où elle n’est pas. Mais six années à croupir en taule, c’est long, beaucoup trop long, et j’ai conscience qu’elle ait pu changer. Moi-même je suis bien différent : la prison et son absence ont fait de moi un être dénué d’émotion et de vie. Ou plus fragile peut-être.

Ce dont je suis certain, c’est que je me sens vide, mort.

Et il n’y a pas plus redoutable qu’un homme qui n’a plus rien à perdre.

Je m’arrête dans la rue indiquée par le morceau de papier, regarde les alentours pour être certain de ne pas m’être gouré. Elle a déménagé à Weber, à plus de trois heures de route de Logen. Si elle pensait que ces trois pauvres petites heures allaient mettre assez de distance entre elle et moi, elle se trompait.

Je suis son traqueur, son amant, son ami, son homme, je l’ai toujours été et ça ne changera jamais.

Je voudrais promettre que si elle me demandait de partir, je le ferais, mais c’est faux. J’ai besoin de son corps contre le mien, de son odeur, de sa peau, de son rire, de sa voix. Besoin viscéral de la femme que j’aurais dû tuer, de celle qui m’a appris que chérir une personne plus que soi-même était possible.

J’ai besoin d’elle pour avancer.

La rue est calme, ensoleillée malgré les températures négatives. La neige est amassée dans les rigoles, et je retiens mon souffle en observant sa maison. Petite mais familiale, rien ne me crève plus le cœur que de l’imaginer vivre là-dedans avec notre enfant.

Elle est partie, comme ça, sans même me dire au revoir, sans m’offrir une dernière étreinte, un dernier baiser, une dernière chance.

Juste une putain de lettre dans laquelle Amyliana me dit que c’en est trop pour elle, qu’elle est enceinte et qu’elle me fuit, incapable de me pardonner, même par amour.

« Ne me suis pas ».

Elle a écrit ces mots, et pourtant, elle savait que je le ferais.

Je m’enfonce dans mon siège, le coeur au bord des lèvres, et m’allume une énième clope. Sur le trajet, j’ai vidé le paquet de vingt acheté en taule, tellement je ne sens pas cette rencontre et j’ai été obligé de m’arrêter pour en racheter deux paquets. Mon instinct me trompe rarement, et j’imagine que cette fois encore, il aura raison. Elle va me hurler dessus, me fuir, me mettre à bout, et je serais obligé de lui sortir le grand jeu en lui racontant à quel point elle m’a manqué.

En six années, j’aurais dû l’oublier, oublier pourquoi j’en étais dingue, oublier à quel point entre nous c’était passionnel, et bien plus que ça encore.

Enfin, je pense que j’aurais dû.

Ça aurait été beaucoup mieux pour elle si j’y étais parvenu.

 

Cette fille est tout ce que j’exécrais, elle n’était qu’un nom à effacer, un dossier de plus à déchiqueter, une personne à tourmenter, qu’une tête à buter, une pute.

Mais quand son sourire m’a été octroyé, quand sa voix s’est adressée à moi et que ses baisers sont devenus ma came, j’ai omis toutes les promesses de contrats, pour me centrer sur ce qu’elle me faisait ressentir.

Sa présence me ramenait à la vie.

Un souffle nouveau, une profonde goulée d’air, une bouffée d’oxygène.

Elle était devenue la raison de mes réveils, de mes nuits blanches, de mes craintes.

Dans la voiture, j’attends. De longues minutes, peut-être même des heures, je ne sais pas. Le temps n’a plus d’importance et se perd dans le flot de pensées qui traverse mon crâne avec frénésie.

Il n’existe plus que cette façade aux briques rouges foncées, que mon regard rivé sur les tentures d’un blanc immaculé, et mes souvenirs se mêlant à la dure réalité qui se dessine devant moi.

 

Une voiture s’arrête devant la maison, mon souffle s’accélère.

Amyliana est là.

Je la reconnais malgré ses cheveux coupés, malgré son teint plus pâle que dans mes songes, malgré la distance qui nous sépare. Mon muscle cardiaque s’emballe, me ramène à l’instant présent.

Assise sur le siège passager, elle parle au conducteur juste avant qu’il ne sorte du véhicule. Mes yeux se détachent d’elle pour suivre les mouvements du mec.

Gringalet dans sa veste trop large pour lui, il monte les trois marches en béton avant d’ouvrir la porte et de s’enfermer.

Elle reste dans la voiture, elle l’attend. Et alors que mon palpitant galope et m’ordonne de sortir de ma caisse et d’en profiter pour aller la voir, ma raison, elle, me conseille d’observer avant d’agir. Comme toujours.

Elle et lui.

Elle et lui.

Elle et lui.

Gifle dans la gueule, uppercut dans la tempe, coup de poignard dans le cœur.

Putain.

Amyliana a un mec, et ce mec n’est pas moi.

L’envie de tout défoncer, de l’attraper par la nuque pour lui en coller une et lui hurler sa promesse de fidélité se déverse dans mes cellules. La fureur qui me domine est telle que je les imagine déjà allongés sur le macadam, la gueule explosée de mes poings et de ma haine. Et pourtant, quand il ressort de la baraque en secouant une paire de gants pour enfants et qu’il lui octroie un clin d’œil avant de remonter dans la voiture, je ne bouge pas de mon siège, incapable de savoir comment réagir face à ce dégueuli de vie qu’ils me mettent sous le nez.

 

Chapitre 2 : Amyliana

 

Mes lèvres gercées par le froid s’étirent quand Adrian éclate de rire.

À deux mètres de lui, derrière le grand chêne recouvert de neige, Will se protège, étouffant un rire.

Adrian amasse les boules de neige à ses pieds en redressant son bonnet plusieurs fois, et ordonne à sa sœur de ne pas y toucher, ce qu’elle fait. April croise ses bras sur son épaisse doudoune, tape du pied dans la poudreuse.

— C’est toujours toi le chef ! Je ne suis plus de ton équipe ! Na !

Son frère se retourne vers elle, hausse les épaules et lui dit avec autant de hargne que son géniteur le ferait :

— Si tu n’es plus de mon équipe, tu deviens une ennemie, April.

Elle boude, il est fier, et je grimace en voyant cet air de meneur que je ne connais que trop bien.

 

Élever des enfants n’est pas une chose aisée, encore moins des jumeaux.

April et Adrian sont nés il y a cinq ans, un neuf février exactement. J’aurais voulu une grossesse facile, un accouchement rapide, mais non. Tout a été compliqué pour moi, comme si le destin voulait se venger de mon comportement, de mon départ précipité, de ma lâcheté à affronter Aaron.

 

Je suis partie comme une voleuse. Sans laisser de trace, sans rien embarquer dans mes valises, sans laisser d’indice si ce n’est une lettre jetée dans le hangar en espérant que Aaron la trouve.

Parce que je voulais qu’il me rejoigne, qu’il débarque chez moi en me suppliant de revenir.

Puis, la réalité m’a rattrapée et depuis, je prie chaque soir pour qu’il ne vienne jamais.

Il a tué ma mère. Quelle fille serais-je en l’aimant ? Quelle nana ferais-je en lui offrant une seconde chance alors qu’il a commis l’irréparable, l’impardonnable ?

Tourner la page de cette histoire a été une nouvelle épreuve à endurer, mais… La trahison infligée était plus dévastatrice que sa perte.

De fille au bord de la dépression, je suis devenue maman pleine d’espoirs, je suis devenue femme bien plus forte qu’auparavant.

 

Heureusement, pour m’épauler, je peux compter sur Will.

Collègue de travail devenu bien plus que ça en l’espace de quelques années, Will est devenu l’unique branche à laquelle je peux me raccrocher pour ne pas sombrer.

 

Si, au départ, j’étais réticente à ses avances, j’ai fini par lui accorder un rendez-vous. J’étais enceinte jusqu’au bout des ongles, mais ça ne l’effrayait pas.

Il me voulait, disait-il, et je crois bien que maintenant il peut se vanter de m’avoir.

De moi, Will ne connaît que ce que j’ai eu envie de lui raconter.

Le “suicide” de ma mère, mon envie d’un monde meilleur que Logen, et c’est tout.

Des questions, il m’en a posé beaucoup, énormément ; mais résignée à ne pas lui donner une raison pour se barrer loin de moi, il a fini par accepter mes silences, mes secrets, mes nuits inondées de larmes. Petit à petit, Will a pris de la place dans ma vie, mais pas que…

Dans mon cœur aussi.

Il a su être l’épaule réconfortante, une figure paternelle pour mes enfants, la lumière dans l’obscurité, la perspective d’un avenir meilleur et prometteur.

Très différent de A, il a su être lui, me séduire malgré mes craintes, et c’est ce qui m’a plu.

 

— Je t’ai eu !

Will court derrière Adrian, l’attrape avant de le faire tomber dans la neige. Ils sont hilares, tandis qu’April leur lance ses munitions de boules de neige sous leurs rires.

Je me surprends à rigoler, même si je ne participe pas à leur jeu, que je ne fais qu’observer la scène.

 

Assise sur un des vieux bancs du parc, je contemple le spectacle qu’est devenu ma vie.

J’étais étudiante en comptabilité. J’étais une pute. J’étais la femme d’un gangster bien trop féroce pour mes rêves.

Je me voyais comptable, loin de Logen et de sa misère violente, avec un chien, ma mère… Et pourquoi pas un Aaron assagi par la vie.

Aujourd’hui, je suis serveuse dans un Diner et j’ai deux enfants. J’ai un homme qui, malgré ses défauts, m’aime sans me mentir, et surtout, je suis heureuse.

 

Un soupir d’aise m’échappe en reconnaissant que je touche enfin le bonheur du bout des doigts. Rien n’est parfait, mais rien ne pourrait venir entacher ma félicité. Je rêvais d’un monde meilleur, d’une ville où le bon-vivre serait roi, dans laquelle la violence n’aurait pas sa place.

J’ai tout ça, et même plus encore.

 

Mon téléphone vibre dans ma poche. Je quitte des yeux ma famille, me dépêche de le prendre avant que l’appel cesse et souris en voyant le nom de mon amie sur l’écran. Ça doit faire un bail que je ne lui ai pas parlé. D’un ton enjoué, je réponds :

— Carla, comment vas-tu ?

Sa voix est essoufflée, sa respiration courte et difficile, me glaçant le sang.

— Les Cobra vont venir te chercher, sanglote-t-elle. Fuis, Amy, fuis tant qu’il en est encore temps.

Le monde autour de moi arrête de tourner. Je n’entends plus les enfants jouer, je n’écoute plus leurs rires, je ne vois plus rien. Le silence m’enveloppe, la peur m’assaille, tout résonne étrangement dans mon être. Amertume mêlée à la nostalgie de ces dernières minutes écoulées, j’expire, inspire, formant un nuage de buée devant mon visage.

— Quoi ?

Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, mes oreilles bourdonnent, le sang dans mes tempes tambourine méchamment.

— J’ai essayé de te joindre le plus rapidement, s’étrangle-t-elle à travers ses larmes, mais je n’avais plus de portable et… Et… Et mon fils est mort ! Ils l’ont tué, Amy ! Ils ont tué mon gamin !

Elle hurle ces derniers mots dans le combiné, tandis que la douleur l’anéantit. Mes cils se bordent de larmes, l’effroi que je ressens me statufie, me rend muette.

Mais je sais qu’il est déjà trop tard pour moi, parce qu’à l’instant où le danger me dicte de fuir avec mes enfants, mes yeux croisent un regard d’acier empli de fureur à l’autre bout du terrain.

Debout à une dizaine de mètres du grand chêne, A est là, de retour, l’air plus vorace que jamais.

 

Chapitre 3 – Kendra

 

Debout devant mon lit où trône ma valise ouverte, linges en boule entre les mains, je fixe la porte par laquelle Crew vient de disparaître. Pas un mot de plus que son “dégage”, pas un geste qui m’aurait convaincue de rester, même pas un pardon.

Juste lui, sa fureur quant à ma réaction, et son pote au téléphone qui lui ordonnait de se ramener.

Juste lui et ses silences, juste lui et sa fuite habituelle dès que je le confronte à la dure réalité qu’est la vie.

Parce que Crew n’a pas l’air d’avoir conscience de l’atrocité de ce qu’il vient de faire, encore moins de tout ce qui en résultera.

Qui dit meurtre, dit enquête, dit questions et accusations.

Qui dit règlement de compte, dit gang ; gang est égal aux BlackD et aux Cobra et que rien ne pourra lui sauver la peau dans cette histoire.

Sous surveillance judiciaire, il sait parfaitement qu’aucun cadeau ne lui sera fait, que rien ne pourra l’aider.

Parce qu’il est évident que moi, en étant au milieu des deux organisations, je deviens le prétexte, l’excuse, la justification. Je suis la clé.

Et ce rôle m’effraie, me donne envie de fuir aussi loin que possible de Logen, là où rien ni personne ne pourra m’atteindre.

Je finis par m’asseoir sur le bord du matelas, fixe mes pieds, perdue.

Le Crew que j’ai connu, celui que j’aime éperdument n’est pas cet homme sanguinaire et meurtrier. Il n’est pas celui qui ne se soucie de rien et qui ne pense pas aux conséquences de ses actes. Parce que les Cobra vont le payer... et cher, c’est inévitable.

Il est certain que je serai la cible numéro 1, la proie facile, et que toute cette merde va se retourner contre moi.

L’envie de hurler ma rage me tord le ventre. Le besoin de tout envoyer valser coule dans mes veines. Je l’aime de m’avoir vengée, protégée, mais je le déteste d’avoir été aussi abject, aussi inhumain.

J’imagine non sans mal la peine de Carla, qui doit être dévastée par la perte atroce de son fils. Je me mets à la place de cette femme, qui aura appris la nouvelle comme moi, dans les éditions spéciales des journaux télévisés qui tournent en boucle depuis ce matin. J’ai envie de vomir.

Crew est un gangster, un tueur, et c’est déjà difficile à comprendre qu’il n’ait pas envie de calme dans la tempête qu’est sa vie. Mais là… Il dépasse l’entendement, le compréhensif, parce que brûler un humain qui devait hurler de peur, de douleur, et… c’est affreux.

J’essuie mes larmes, vaincue.

Vaincue par la férocité des gangs, par leurs lois, par leurs manières de procéder. Vaincue par l’amour, la souffrance, la déception.

Parce que je suis déçue. Déçue qu’il n’ait pas compris que de refaire ma vie ici même était ma propre vengeance. Déçue qu’il n’ait pas réfléchi et fait les choses proprement, sagement, intelligemment.

Je finis par me lever, fourre de vêtements ma valise, et sors de la chambre après un dernier regard lancé à cette pièce qui aura été le lieu de nos plus beaux moments.

Le portail ne m’a jamais paru aussi haut qu’aujourd’hui, ni aussi imposant. De couleur bleue, il abrite derrière ses parois opaques la maison de Mary et de Jay. Je n’avais pas prévu de venir ici… Parce que le Cobra à l’intérieur de ces murs est un des plus venimeux. Mais Mary est la seule qui peut me rassurer, me réconforter, me donner des conseils quant à la marche à suivre, et je devine que mes pas n’ont pas emprunté ce chemin par pur hasard. Être la femme de Jay n’a jamais été une évidence pour elle, d’ailleurs, lors de notre première rencontre, elle m’avait avoué que c’est l’homme qu’il était qu’elle aimait, et pas ce qu’il faisait. Mais comment discerner les deux côtés d’une seule et même personne quand ceux-ci sont indéniablement entremêlés ? J’ai besoin de son savoir, de sa sagesse, de sa clairvoyance alors que je n’en ai plus.

Une brève inspiration plus tard, je presse la sonnette et attends, les doigts noués et le cœur au bord des lèvres.

Nerveuse, je m’annonce à Jay qui aboie dans l’interphone. Si l’espace de quelques secondes il paraît étonné de ma présence, il finit par m’ouvrir.

 

La neige craque sous mes pas tandis que je remonte l’allée gravillonnée. Jay m’attend sous le porche, les bras croisés sur son torse.

Le tatouage qui orne son visage est tout aussi impressionnant que son regard bleu azur qui me jauge sévèrement.

— Kendra sans Crew ?

Alors que les mots veulent quitter ma bouche, un sanglot contenu m’empêche de parler.

Sourire triste, iris embués, et hochement de tête, c’est tout ce dont je suis capable.

Je grimpe les quelques marches avant de fondre dans les bras ouverts de la brute tatouée qui a compris que ça n’allait pas.

Étreinte étrange et douce à la fois, mais surtout, rassurante.

Mes larmes s’écrasent dans son pull, mes poings se referment dedans, le priant de ne pas me lâcher quand je n’ai plus rien ni personne d’autre que lui et sa femme.

— Entre, t’as besoin de parler, Gamine…

 

Dès que je mets un pied dans la villa, Mary me saute dessus.

Mon visage ravagé par les pleurs ne lui échappe pas non plus, puisqu’elle me prend dans ses bras en me chuchotant des “vas-y, pleure, ma belle” avant de m’attirer vers la cuisine.

 

Assis autour de la table, le couple attend patiemment que je puisse enfin aligner quelques mots sans m’effondrer.

— C’est à cause de la mise à mort que t’es dans cet état ?

Mary fait les gros yeux à Jay pour son manque de tact, mais je confirme d’un faible mouvement de la tête.

— Ouais…

— Pourquoi ?

— Jay ! siffle Mary. Tu peux comprendre qu’elle soit mal, non ?

— Non.

Le gangster me regarde droit dans les yeux, me défiant de lui raconter le fond de mes pensées, de mon mal-être, de mon malaise.

— Il a brûlé vif un homme.

Mary déglutit, Jay opine du chef en retroussant les lèvres.

— Non, Kendra. Crew a tué tes violeurs, tes agresseurs, tes bourreaux. Tu sais les couilles qu’il faut à un homme pour oser se venger de la sorte ?

J’ai envie de répondre aucune, parce que cette vengeance est immonde, mais je garde le silence face à la voix dure de Jay.

— Crew est un sage, le sage des Cobra. C’est le mec qui a le plus de loyauté parmi les nôtres, celui qui en a le plus morflé pour devenir le mec qui se tient debout devant toi. Crew est un survivant, Kendra. Et même si sa façon de te venger ne te plaît pas, parce qu’elle est immorale, tu ne peux pas lui ôter le courage et la force de caractère qu’il a eus pour oser le faire.

— C’est bien pire qu’immoral. C’est de la barbarie, de la cruauté, de…

— De l’amour ! me coupe-t-il en tapant du poing sur la table. De l’amour, pur et simple ! Tu es sa came, sa dose, son shoot d’héroïne ! Il voulait ta sécurité en les éliminant, et il a réussi.

C’est à mon tour de rire jaune, parce que même si Steven et Jo ne sont plus de ce monde, leur mission sauvetage a échoué.

— Ils vont me trouver, sifflé-je, me buter, et se venger des Cobra ! Au final, je ne suis plus la seule à être en danger, nous le sommes tous !

Mary s’adosse à sa chaise, jetant un regard soucieux à son époux qui ne me quitte pas des yeux.

— Nous savons nous battre, nous défendre. On ne craint rien.

— Et la police ? Vous allez faire quoi ?

— Kendra, tu fais chier ! Tu es trop cérébrale, tu ne nous connais pas, alors ne nous insulte pas en nous comparant à ces merdeux. Des cendres. C’est tout ce qui reste de ces enflures. Pas d’empreintes, rien. Chaque mouvement que nous faisons est calculé, chaque pas que nous amortissons est précis. Rien n’est laissé au hasard. Des règlements de comptes entre gangs, il y en a des tas chaque jour, dans chaque ville de cette pauvre Amérique. Penses-tu une seule seconde que des enquêtes soient ouvertes ? La mairie est corrompue par le fric, la justice pareil, les flics deviennent ripoux du moment que tu leur tends une belle liasse de biftons. Nous ne craignons absolument rien, fais-nous confiance, merde.

Crew a eu la vengeance terrible, je te l’accorde si ça te fait plaisir de l’entendre, mais dans tous les cas, les Black auraient payé de leur acte. Une balle ou une flamme, qu’est-ce que ça change, hein ?

Je reste muette tandis qu’il débite sa vérité à toute allure.

J’ai mal, je crève de douleur, et pourtant en ce moment je me sens déphasée avec la réalité qu’est ma vie, mon couple. Suis-je anormale d’avoir de la peine pour Steven ? Suis-je étrange de ressentir ce pincement au cœur quand je l’imagine hurler, en torche humaine ?

Mary pose sa main sur la mienne, et dit, plus doucement :

— Ma belle, tout ce que tu ressens à cet instant est normal. Ta raison, ta morale et le tournant qu’est en train de prendre ta vie se heurtent de plein fouet. Tu connais Crew, le vrai Crew. Toi seule sais si tu es apte à lui pardonner ou non. Sois amoureuse de l’homme qu’il est, du gamin qu’il était et du mari qu’il deviendra sûrement un jour, rien ne t’oblige à aimer son obscurité, même si elle fait partie de lui.

Mary me réconforte sur ma réaction, sur ma peine, sur mon incompréhension. Je ne suis pas anormale de ne pas assimiler tout ça, je ne suis pas bizarre de ne pas pouvoir accepter l’inacceptable de la part de l’homme que j’aime. Parce que oui, j’aime Crew, j’en suis certaine, et c’est bien là où ça fait mal.

— Alors comme ça, reprend Jay, il t’a dit de dégager de sa vie ?

Mes doigts se resserrent autour du mouchoir en papier, et je hoche la tête, reniflant de manière peu élégante.

Mary claque sa langue sur son palais, désapprouvant le comportement de Crew.

— Jay, faut qu’on parle, toi et moi.

Sa voix est froide et sans appel, faisant pâlir le Cobra. En une seule seconde, je passe du soulagement de m’être confiée à la frousse d’avoir provoqué de la peur chez Mary qui arrive au terme de sa grossesse.

La blonde se lève sans attendre et, dans un geste qui se veut réconfortant, presse mon épaule avant de sortir de la cuisine.

Jay soupire longuement en se pinçant l’arête du nez.

— Je suis désolée…

— Ne sois pas désolée. Je sais dompter ma femme.

Bouche entrouverte, j’inspire, je respire. Je n’ai donc pas fait d’erreur monumentale en venant chercher de l’aide auprès de Mary. Mon air ébahi fait ricaner Jay puis, avant de sortir à son tour de la pièce, il se retourne vers moi :

— Ça sent juste l’engueulade pour que je botte le cul de ton mec.

 

Chapitre 4 – Crew

 

Règle n°2 : n’oublie jamais que rien n’est éternellement acquis.

 

La route devant moi trace une courbe parfaite qui sépare en deux déserts de neige les pourtours de la ville de Weber. Perdu dans mes pensées, j’appuie sur la pédale d’accélération, savourant le sifflement du turbo et la propulsion de ma bagnole. Le moteur ronronne sous le capot, mes pensées m’engloutissent, la colère m’anime encore.

Je peux revoir les larmes de Kendra, entendre chacun de ses cris, et si j’étais bon peintre, je pourrais esquisser les traits de fureur qui déformaient sa beauté inégalable.

Si je ne m’attendais pas à une standing ovation de sa part, je dois bien avouer que je ne pensais pas à ce qu’elle pète un câble, encore moins à voir l’étincelle de dégoût briller dans ses yeux.

La savoir mal pour un clochard en moins sur cette terre me rend malade, mais pour ce fils de pute en particulier, ça me dépasse.

Il l’a violée putain ! Comment peut-elle le chialer, me juger pour l’avoir vengée, pour lui avoir rendu le bonheur d’une liberté retrouvée ? Je me demande comment elle peut être incapable de s’imaginer la fierté qui a déferlé en moi quand je l’ai vu s’enflammer.

Ivresse des sens, lueur d’espoir, soulagement grandiose, arrogance satisfaite, vengeance accomplie.

Je l’avais fait, rien d’autre ne m’importait alors que je matais la torche humaine courir à travers la plaine. Je l’ai fait. Je l’ai cramé, je l’ai réduit en cendre, j’ai enfumé les Blackmerde. Ils méritent tous de brûler dans les méandres des enfers, et je compte bien achever mon œuvre. Ils y passeront tous, un par un, jusqu’à ce que l’air de Logen ne soit plus respirable, jusqu’à ce que la fumée étouffe les mères de ces sales rejetons de l’humanité.

 

Elle a peur des représailles, elle a peur des flics et des réponses que l’enquête leur apportera. Elle a peur que je croupisse derrière les barreaux, sauf que ça n’arrivera pas. J’ai assez confiance en moi pour éviter la taule, j’ai assez analysé le fonctionnement des autorités et de la ville pour comprendre qu’à Logen, rien ne sera fait pour une pourriture de seconde zone.

Pied au plancher, je jure quant à sa réaction disproportionnée. Je lui avais déjà signifié que mon monde n’avait rien de doux, que les compromis dans cet univers n’existaient pas. Le papotage et les réconciliations n’ont pas de place dans les gangs, encore moins quand un marché aussi juteux que celui de la vente de stup’ est en jeu.

 

Sur le siège passager, mon portable sonne, m’annonçant l’arrivée d’un texto. Je ralentis en arrivant à l’entrée de la ville, et d’une main, attrape le cellulaire. Ce n’est pas Kendra, comme j’avais osé l’espérer, mais une adresse envoyée par A.

Un motel, au nord-est de Weber, indique mon GPS.

 

En m’arrêtant sur le parking, j’observe les lieux, inquiet par les mots qu’il m’a hurlé au téléphone.

Motel miteux au châssis de portes défraîchis, murs de briques dégueulassées de terre et de poussières, endroit coupé de la ville et de ses beaux quartiers, lieu glauque isolé de toute civilité qu’Aaron a dû trouver en urgence. L’endroit idéal pour tuer sans avoir peur de faire hurler sa victime, lieu parfait pour dissimuler un corps.

“J’ai fait une énorme connerie, rapplique-toi”.

Il était inévitable qu’il débarque ici pour venir la chercher. Je me doutais qu’elle n’allait pas l’accueillir à genoux la bouche ouverte, prête à le sucer, mais j’avais espéré que les choses se passent au mieux pour mon frère.

S’il a commis l’irréparable en butant la génitrice d’Amy, elle a été abjecte en embarquant leur môme loin de lui.

1 - 1.

Balle au centre.

Depuis qu’Amy est entrée dans la vie d’A, tout a changé. Parce que A n’est plus vraiment ce mec froid et sans pitié, il est devenu cet homme au cœur tendre de Lover, prêt à tout pour défendre et récupérer celle qu’il aime. Parce que les Cobra sont passés au second plan de sa vie, et que moi, je suis devenu leur entremetteur alors que je ne suis pas capable de trouver les mots justes face aux prises de tête de ma nana.

Un soupir m’échappe, et je fouille le vide-poche pour attraper mon paquet de clopes. J’inhale la fumée, la recrache dans l’habitacle et tente de me détendre avant de découvrir la raison de ma venue ici.

A est impulsif, sanguin, et ne chipote pas quand un détail le brusque dans ses idéaux.

Tout doit aller comme il l’entend, et quand bien même un obstacle l’empêche d’avancer, il ne réfléchit pas, il ne l’enjambe pas non plus.

Il se bat, il lutte, il tue et il récupère son dû. Et c’est là que l’inquiétude commence à poindre en moi, parce que je ne tolérerai pas la violence sur une femme, qu’elle vienne de A ou non.

 

 

Après avoir grimpé une série de marches métalliques, j’accède à la série de portes qui s’étend à ma droite. J’avance, cherchant le numéro 12, m’arrête devant et tape. Coup donné sur le bois usé, je me retourne vers la balustrade et attends qu’il vienne m’ouvrir, les pensées aussi noires que les nuages sombres qui couvrent le soleil.

Je ne sais pas comment je vais gérer de front leur couple, les Cobra, et Kendra. Je ne peux pas la laisser me filer entre les doigts, je ne peux pas imaginer un seul instant un avenir dans lequel elle n’est pas.

J’ai fait une sacrée connerie en lui disant de déguerpir de ma vie, mais je suis trop têtu pour lui écrire et lui présenter des excuses. Alors, j’attendrais de rentrer à Logen, et je l’embrasserais avant de lui prouver à quel point je l’aime. Parce que les mots n’ont jamais autant d’impact que les actes, et que l’amour est ce sentiment que l’on doit prouver, travailler pour qu’il puisse exister.

Un grincement dans mon dos me sort de ma léthargie et, quand je me retourne, c’est pour faire face à A.

Traits tirés par la fatigue, joues creusées et regard de tueur, il ne m’adresse pas un sourire, non, mais l’accolade qu’il me donne quand il ouvre la porte vaut tous les mots qu’on ne s’est pas échangés sur le mois passé.

Aaron et moi, c’est bien plus qu’une amitié.

Lorsque j’ai intégré le gang, il n’avait pas l’air ravi de ma présence. Mais Bugsy l’a obligé à me prendre sous son aile et me traîner partout où il allait. Si au départ il me charriait en me nommant “Coton-tige”, qu’il riait quant à mon inexpérience, entre lui et moi est né un lien fort et indestructible. Un pacte signé de notre sang : jamais l’un sans l’autre.

Si j’ai froid, lui tremble.

S’il est malade, c’est moi qui gerbe.

Si je me blesse, lui saigne.

S’il est nerveux, c’est moi qui ai le cœur qui bat.

Frère de cœur, frère de gun, frère de crime, mais pas seulement. Nous sommes notre famille, notre meilleur ennemi, et notre pire allié. Lui seul peut m’arrêter d’un flingue sur le front, comme moi seul pourrais le buter sans sourciller.

— Entre.

J’emprunte ses pas et entre dans la chambre. Petite, merdique et sale, l’odeur nauséabonde de clope me prend au nez.

— C’est pas interdit de fumer à l’intérieur, normalement ?

A hausse les épaules et referme derrière moi tandis que je cherche Amy du regard. Il est seul, sans elle, et je crains le pire quand je remarque qu’il n’y a rien ici lui appartenant.

— Tu m’expliques, reprends-je en me retournant pour lui faire face.

Aaron se passe une main dans les cheveux, me fixe longuement avant de s’asseoir sur le fauteuil dans le coin de la pièce. Il s’allume une cigarette, avale et recrache la fumée avant de retirer une taffe.

— Je suis allé à l’adresse que tu m’as fournie. Je les ai vus. Elle, les mioches et ce bâtard.

Sourcils froncés, je cogite déjà et m’assieds sur le bord du lit sans l’interrompre dans son récit.

— Je les ai suivis jusqu’au parc. Elle a un mec, putain !

— A…

Son regard acier me fait fermer ma gueule moralisatrice, alors je le laisse continuer.

— Et deux morveux. Pas un, non. Deux, Crew.

Il inspire une nouvelle fois sur sa clope, puis dans un nuage de fumée, reprend :

— Sa petite famille parfaite s’amusait au parc, bataille de boules de neige. Waouh. Alors, je me suis approché. Je les ai écoutés parler… Rire aussi. Je l’ai observée. Elle. Parce que c’est elle que je voulais voir.

Il se tait, et je retiens mon souffle, appréhendant la suite de son histoire. J’imagine la peine qu’il a ressentie en voyant la famille qui aurait dû être la sienne. La peine de voir son gosse galoper dans la neige et jouer avec un mec qui n’a rien à voir dans le tableau. Je peux ressentir la même fureur que lui, le même pincement au cœur en se sentant spectateur d’une réalité qu’on lui a volée.

— Elle m’a vu. Et elle a essayé de me fuir… Encore une fois.

— Tu lui as fait quoi ? le coupé-je froidement.

Aaron redresse la tête et fixe ses iris aux miens. La tempête qui s’y joue est sombre et violente. Déferlement de haine viscérale, de regrets planqués, et d’incompréhension totale.

— Le flingue caché dans la boîte à gants m’a servi. Déjà. Je me suis avancé vers cette pathétique famille, j’ai pointé mon arme vers ce bouffon et je l’ai menacée sous les cris des gosses.

— Tu déconnes ?

— Soit elle me suivait, soit je le flinguais. Elle a eu le choix.

Je ne sais plus si je dois rire parce que je reconnais bien A, ou si je dois pleurer de ce plan de merde. La seule chose que je parvienne à prononcer est un “oh putain le con” qui ne lui échappe pas.

— Elle a hurlé autant que les mioches, ricane-t-il en écrasant son mégot sur la petite table devant lui, mais elle me connaît assez pour savoir que je ne plaisantais pas. Je lui aurais explosé la cervelle si elle ne m’avait pas suivi.

— Elle est où ?

D’un mouvement de la tête, A m’indique la porte derrière moi.

— Je ne l’ai pas touchée, même pas effleurée… Enfin, un peu, tout compte fait. Je l’ai éraflée, je crois bien…

Il souffle profondément, et sans attendre je me dirige vers la porte de la salle de bains.

 

Chapitre 5 – Aaron

 

Règle 3 : ne jamais flancher, ni baisser sa garde. Continue de te battre et prends des risques pour ce qui t’est viscéral, quoiqu’il advienne.

 

Alors que Crew s’enferme dans la salle de bains, je joins mes mains sous mon menton, incapable de faire redescendre la pression qui me tord les tripes.

Les images de cette après-midi tournent encore et encore dans ma tête, me rendant malade, me donnant envie de gerber mes boyaux sur la moquette bleu pâle de la chambre.

Je peux la revoir assise sur ce banc à moitié recouvert de poudreuse, à rire. Amyliana contemplait ce mec avec amour et dévotion, et pour la première fois j’ai été frappé par un détail : le bonheur la faisait rayonner.

Jamais je ne l’avais vue heureuse.

Si physiquement rien n’a changé chez la femme qui fait battre mon cœur, je dois bien reconnaître avoir été saisi du contraste entre la Amyliana de Logen, et celle de Weber.

La même femme et pourtant, un monde différenciait l’ancienne de celle qui riait au loin.

Traits détendus et sourires accrochés aux lèvres, ma femme n’avait jamais été aussi radieuse. Même quand elle était sous ma protection, qu’elle partageait mes draps.

Comme si le poids de ce qu’elle avait vécu s’était envolé, comme si elle était libérée de ne plus m’avoir dans sa vie, comme si Logen ne l’avait pas forgée.

Caché, le cœur serré et obligé de les observer, j’ai contemplé un long moment ces instants qui étaient censés être les miens. Les enfants se chamaillaient, les rires fusaient, puis le téléphone a sonné.

Et j’ai compris.

Son sourire n’était plus, sa joie de vivre s’était éteinte, ses yeux se sont embués.

Elle s’est levée, emportant son sac et hurlant d’une voix paniquée quelque chose d’incompréhensible aux siens.

Nos regards se sont croisés.

Je peux revoir sa bouche entrouverte, la stupeur dessiner chacun de ses traits, la peur martyriser son regard émeraude.

C’est là que tout a foiré.

Cris et pas pressés dans la neige, ils s’en allaient. Je ne pouvais pas la laisser m’échapper une seconde fois, je ne pouvais pas la laisser repartir sans moi. Une discussion, c’est le minimum que je voulais.

Mais les démons qui tapissent mon âme sont sortis de leurs ténèbres, et c’est armé que je me suis approché.

“ Bouge pas où je tire !”.

Ils se sont tous les quatre figés, les gosses ont chialé avec la morve au nez et le mec se pissait dessus, les mains levées vers le ciel.

Amyliana n’a pas sourcillé. Elle m’a toisé de ses iris meurtriers avant de prendre sa gamine dans les bras.

“Tu leur fais peur, range ça”.

Je me souviens avoir respiré, reniflé, et avoir hésité en jetant un regard aux rejetons qui pleuraient. Ils avaient peur. Le gamin s’est accroché aux jambes du fils de pute qui baise ma femme en soutenant mon regard alors que la fillette enfouissait son visage dans le cou de sa mère. J’ai failli ranger mon arme, et demander pardon. Et j’aurais peut-être dû. À la place, j’ai ricané et j’ai collé mon flingue contre la tempe du fumier qui a crié comme une pute, et ai ajouté : “ Tu me suis où je le bute. Devant toi, devant les gosses, je n’en ai rien à branler, Amyliana”.

L’autre l’a suppliée de ne pas le faire, de ne pas m’écouter, mais la brune connaît l’homme qui les menaçait. Elle me connaît mieux que quiconque sur cette terre, et a répondu au Trouduc’ : “Prends les enfants et rentre. Il ne me fera rien à moi. N’appelle surtout pas les flics, Will”.

 

Sur le chemin qui séparait le parc de la voiture, elle m’a insulté alors qu’elle avançait devant moi, le canon du gun entre les reins.

Si Amyliana connaît ma façon de faire, elle ne devait pas oublier que je savais à quel point sa témérité pouvait la rendre cupide.

Obligée de grimper sur le siège passager, son regard vert devenu noir me prouvait que je n’allais pas m’en tirer comme ça, que j’allais le regretter.

Et je regrette.

Je regrette de ne pas avoir buté son mec, je regrette de ne pas l’avoir embarquée de force avec les gosses, je regrette ces années à ne pas s’être parlé.

 

Je finis par me lever du fauteuil et avance vers la salle de bains. Les doigts en suspens au-dessus de la poignée, j’hésite à entrer.

“ Je te hais !”.

Elle a récité ces trois mots comme une litanie durant tout le trajet. Elle a pleuré, elle a refusé de me regarder.

“Je te hais, je te hais, je te hais.”

Je la déteste aussi de m’avoir abandonné tel un clébard. Je l'exècre de m’avoir écrit une bête lettre pour m’achever. Elle me répugne de m’avoir volé une partie de ma vie sans que je puisse la supplier, lui expliquer, lui causer. Parce que j’aurais dû vivre chaque instant de la grossesse avec elle, parce que j’aurais dû la rassurer et voir naître mon enfant. Parce que le premier “papa” ne m’était pas destiné, que les premiers pas je les ai loupés. Parce que le temps a filé et que je ne pourrai jamais le rattraper.

“Je te hais, je te hais, A, je te hais putain!”.

Je l’aime. Je l’aime comme un crevard d’alcoolique serait fou de son Whisky. Je l’adore comme un camé qui aurait besoin de sa dose, je la chéris pour les souvenirs que nous avons ensemble.

Des souvenirs… Voilà la seule chose qu’il me reste d’elle, de nous. De ce nous qui me torture l’esprit, de ce nous qui me charcute l’âme, de ce nous qui me broie le cœur. En peu de temps, Amyliana était devenue ma force, ma résurrection. Elle avait fait de A le Cobra au regard d’acier, un homme capable d’aimer. Parce que j’ai vécu durant presque six années à me les remémorer, à sourire en la revoyant avec ma casquette, à sentir mon cœur palpiter en me représentant ses lèvres douces et sucrées contre les miennes.

Les souvenirs ont été ma survie. Ils ont été la raison pour laquelle je me suis accroché, sans jamais avoir la conviction de devoir tout lâcher. Parce que même quand mon cerveau me hurlait d’arrêter d’espérer, mon cœur envoyait un majeur à ma raison et continuait de s’affoler devant les mots qu’elle m’avait écrits, face aux souvenirs qu’elle m’avait abandonnés.