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Une pandémie dévastatrice a anéanti les deux tiers de la population d’Alphée, provoquant l’effondrement des États et l’émergence du Consortium, un conglomérat tout-puissant. Au cœur de ce chaos, deux frères se retrouvent au centre d’un complot : Shiman, membre de la minorité Xen, immortel, et Yuz, mortel et guide spirituel de la secte des Intemporels. Manipulé avec sa compagne et son frère, Shiman est embarqué de force sur un vaisseau-laboratoire pour participer à une opération de mutagenèse orchestrée par un magnat du Consortium. Et si les expériences réalisées à bord révélaient un secret capable de changer le destin d’Alphée et de l’humanité tout entière ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Audureau, auteur depuis plus de quinze ans, explore le choc des cultures et les grandes questions sur la destinée humaine. Inspiré par l’histoire des civilisations et des religions, il imagine les conséquences d’une pandémie décuplée : bouleversements économiques, sociaux, métaphysiques, et les dangers liés aux mutations génétiques ou à l’intelligence artificielle.
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Seitenzahl: 278
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Philippe Audureau
Rédemption
Roman
© Lys Bleu Éditions – Philippe Audureau
ISBN : 979-10-422-5851-1
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– Les enfants de la différence, recueil de nouvelles primées à différents concours, paru en 2016. Éditeur : Chloé des Lys.
– Même les étoiles ont pâli, roman historique, paru en 2018. Éditeur : Le Petit Pavé.
– Anatole le guérisseur, roman d’aventures et fresque sociale, paru en 2019. Éditeur : Le Petit Pavé.
– Algérie, tu te souviens… paru en 2022. Éditeur : Le Petit Pavé.
Ceci est advenu sur Alphée, l’un des vingt et un mondes humanoïdes recensés.
Bonheur et malheur sont les deux visages du même grand tout qui étreint tour à tour chaque atome du vivant. La face hédoniste pousse à jouir de tous les possibles, la face doloriste rappelle que tout se paie en infligeant une douloureuse expiation. On mesure sa béatitude à l’aune des épreuves.
Yechoghi, mentarech Intemporel
Shiman saisit son communicateur et coupa la diffusion holo. Il s’estimait suffisamment abreuvé des nouvelles lénifiantes diffusées en boucle par C-sphère, canal officiel. Assise face à lui, Azenath se leva et escamota la console rétractable. Elle défit lentement l’étoffe enserrant ses cheveux dont elle laissa pendre les mèches folles qui ondulèrent sur ses reins. Elle s’avança, se colla contre lui en lui prenant la main avec un regard éloquent. Shiman sut à cet instant que cette disposition de corps et d’esprit était la promesse d’une soirée tout entière assujettie à l’ivresse de la chair.
Le jour même de la ratification de leur serment bilatéral, Azenath et Shiman s’étaient installés dans ce duplex luxueux au six cent quatre-vingt-dixième étage d’un building de standing au centre de Perseïs. Depuis, le rituel vespéral était souvent le même. Non pas un rituel que la force de l’habitude rend soporifique, mais une symbolique simple et singulièrement significative. Une œillade entendue, une posture lascive, un petit mouvement de tête faisant onduler son opulente chevelure aux reflets roux et Azenath entraînait son compagnon vers l’alcôve.
Ils s’étaient rencontrés dans la station orbitale Divertimento dédiée aux plaisirs multiformes. Bien que l’une fût une mortelle et l’autre un Xen, l’attraction fut réciproque. Shiman fut envoûté par la sensualité qui se dégageait de son corps lorsqu’elle le frôla, flottant en apesanteur dans le bain de vapeurs suaves aux parfums enivrants de leur salon préféré fleurs de Polério. Sa peau orangée, ses seins petits et fermes, la courbe parfaite de ses hanches et le galbe harmonieux de ses jambes étaient tout ce qu’il aimait chez une femme. L’éclat gris de ses yeux fardés de noir souligné par un sourire chargé de promesses avait fait le reste. Fascination corroborée plus tard par leurs bilans phéromonaux qui attestèrent de leur correspondance moléculaire optimum. Pour Azenath et Shiman, le taux de compatibilité frisait le maximum.
C’était l’époque où, affamé d’elle et s’étant laissé convaincre, il s’étourdissait dans une hystérie sexuelle inouïe dans les salons à gravité zéro de la station Divertimento, en orbite basse, à quatre cents unités vectorielles d’Alphée. Jusqu’alors, Shiman avait refusé toute stimulation neurosensorielle. À son corps défendant, il dut reconnaître que cette congruence réciproque fut sublimée par le Stimsex qui lui fit connaître des sommets d’extase charnelle jamais connus. Le Stimsex ! La petite oreillette diabolique ! Elle pulsait des ultrasons qui modifiaient le câblage neuronal, excitaient les synapses et libéraient un flot de dopamine. Tout en distillant une musique planante sublimée par des vocalises de diva. Une tuerie ! Une explosion des sens. Dès lors, Shiman devint complètement addict à la jouissance érotique sous stimsex !
Sûre d’elle-même, Azenath le précéda, traversa le salon, accentuant les mouvements langoureux de ses hanches. Lorsqu’ils entrèrent dans la chambre, elle déclencha la diffusion du parfum d’ambiance aux relents de musc et d’épices exotiques. Elle l’entraîna jusqu’au lit, mais au lieu de s’y allonger dans un abandon lascif, elle s’assit sur le bord en le conviant à faire de même.
Cette disposition inhabituelle à la conversation en pareille circonstance intrigua Shiman. Il avisa que le mini-drone fureteur les avait suivis et regretta aussitôt d’avoir laissé la porte ouverte. Mis en place à demeure, ce petit maton volant enregistrait tout, chaque conversation, le moindre geste y compris leurs ébats charnels. Un petit geste furtif, un simple regard en coin, rien ne lui échappait. Et le tout, en se faisant oublier, planant en silence au ras du plafond. C’était une des dispositions exigées par Azenath pour accepter la vie en commun. Ce à quoi Shiman s’était résigné avec beaucoup de réticence. Il avait finalement accepté toutes les obligations du serment bilatéral, donnant foi sans réserve à l’infaillibilité de leurs bilans phéromonaux. Il avait ratifié le serbil, l’ultime sésame rendant intangibles les faveurs envoûtantes d’Azenath.
Consterné, Shiman est resté la bouche semi-ouverte dans une expression oscillant entre la plus totale incompréhension et l’irritation.
Pour ratifier leur serment bilatéral, ils avaient mis de côté tout ce qui faisait habituellement obstacle à l’union entre un Xen et une mortelle. Shiman avait déclaré assumer la différence d’âge (il avait trois ans de moins qu’elle, soit trente-deux ans, mais en réalité il n’en paraissait qu’une vingtaine), différence qui, de plus, irait inéluctablement en s’accentuant avec le temps.
Sur la planète Alphée, être Xen signifiait avoir la jeunesse éternelle. Être Xen, c’était habiter perpétuellement un corps d’une vingtaine d’années. Sur la vingtaine de mondes humanoïdes connus, seule l’espèce alphéenne avait vaincu la mortalité et ceci, au profit d’une minorité de privilégiés. Cependant, il subsistait une contrepartie définitive : la stérilité. Les Xen sans exception étaient inféconds, le prix fort à payer pour bénéficier d’une jeunesse illimitée.
Azenath, quant à elle, avait assuré « Ton infertilité ne me pose aucun problème, je ne veux pas d’enfant » en apposant sa signature génétique sur le serment.
Le visage poupin de Shiman s’empourpra. Il sentit monter le grindt en lui en même temps qu’une énorme appréhension. Le grindt ! La force animale irrépressible, pleine d’aigreur, qui déclenchait des ruades dans le ventre, des brûlures pulmonaires avec la gorge en feu. À cet instant, il sut qu’il ne se possédait plus. La nuque raidie par la fureur qui le submergeait, il sut qu’il allait franchir la ligne, l’extrémité dont tout alphéen possédé comme lui par cette hydre avait appris depuis sa plus tendre enfance à ne pas dépasser. La modération et le tact dont il faisait habituellement preuve volèrent en éclat. Il explosa :
Aussitôt dit, aussitôt regretté. Amèrement regretté. Le petit drone fureteur n’avait évidemment rien perdu du coup de sang de Shiman et de l’insulte proférée avec le grindt.
Considéré comme l’émissaire de la mort, le grindt est la force funeste qui se terre au tréfonds de certains êtres. Tout individu qui a le malheur d’en être affecté doit le réprimer, précepte d’une éducation officielle qui professe de garder la dignité en toute circonstance et qui, en réalité, vise à museler toute velléité séditieuse. Le grindt constitue le ferment des rébellions. La violence naît du grindt, les guerres avec leurs cohortes de victimes ont été l’œuvre du grindt. Il fut à l’origine de la grande pandémie. Jusqu’à présent, aucune thérapie génique n’a réussi à tuer dans l’œuf la bête immonde de l’humanité alphéenne. Quiconque le possède en lui et le laisse s’exprimer en libérant ce fiel, cette terrible énergie capable de décupler la force d’un individu, se voit assigné, que ce soit avec ou sans violence physique, du statut de outro. L’étiquette infamante. Elle entraîne inéluctablement un déclassement social. Tout outro se voit condamné à l’affichage de la mention qui flotte en lettres rouges au-dessus de son hologramme personnel à chaque appel de son communicateur Übicom. C’est comme un tatouage sur le visage. Une humiliation à vie.
Shiman dégagea la main de sa compagne et se leva brusquement. Il faillit empoigner son communicateur pour lui coller le texte du serment sous les yeux. La mention « Union sans descendance »y figurait en exergue devant toutes les autres dispositions telles que la périodicité des rapports sexuels et le quota maximum de fautes déclenchant la rupture. Il s’en abstint. Il préféra sortir de la chambre sans un regard à celle avec qui il pensait partager des ébats brûlants de sensualité quelques instants plus tôt. Laissant aller le flot de son aigreur, il pestait à voix haute. Le mini drone le suivit comme son ombre, ne perdant pas une miette de son épanchement.
Shiman traversa le salon, ouvrit la baie vitrée qui donnait sur la ville et sortit sur la terrasse. La nuit fraîche et venteuse le fit frissonner. Sous ses pieds, six cent quatre-vingt-dix étages et encore cinquante au-dessus. Devant lui, s’étalait à perte de vue la mosaïque multicolore des gratte-ciel de Perseïs, la plus importante mégapole d’Alphée. Incessant, le ballet silencieux des aérojets et des taxi-drones évoluait entre les tours. Montant de l’horizon, des nuages occultaient progressivement les étoiles. Une violente bourrasque lui gifla le visage. Des éclairs zébrèrent les ténèbres. Shiman pensa avec dépit que les éléments avaient décidé de se mettre à son diapason. La tempête qui se préparait lui apparut être le prélude des tourments à venir. Les lourds grondements et les sifflements du vent le lui susurraient. Des intonations flûtées venaient se glisser aux portes de sa conscience. L’image de son frère Yuz lui vint à l’esprit. Un instant, il crut percevoir la voix de Yuz lui-même entre les bourrasques. Dans un souffle : « Shiman… le grindt n’est que le bras armé de la tristesse. Ne le retiens pas. Laisse ton chagrin s’écouler ».
Il lui vint une soudaine vision de son enfance. Ils étaient tous les deux dans une rue glauque d’omberzone, le district souterrain de Perseïs. Son frère aîné lui parlait. Il le consolait.
La vie en ces temps et en ce lieu n’a plus aucune raison d’être pour moi, je demande à sa Suprême Infinitude la transmigration dans un autre segment spatio-temporel, dans un autre monde digne de l’humanité.
Paroles de Yechoghi, mentarech Intemporel,
prononcées avant de s’immoler par le feu
Yuz Protheüs attendit qu’ils fussent tous entrés dans la salle pour s’incliner, une main portée à la bouche, l’autre à l’oreille, gestuelle symbolisant le salut chez les Intemporels. Il y avait là une quinzaine de garçons et filles post-pubères ainsi que quelques jeunes adultes. Ils avaient enlevé leurs chaussures et s’étaient assis en désordre sur le tapis central. Yuz leva la main dans une attitude pleine d’aménité.
Les rires et les bavardages se muèrent graduellement en chuchotements.
À l’invite de leur mentarech, les derniers murmures s’étaient éteints. La plupart fermaient déjà les yeux.
Yuz suspendit sa phrase en couvrant l’assistance d’un regard circulaire.
Le plissement de paupières sur les yeux verts de Yuz ne refléta aucune tristesse à l’évocation du défunt. À l’inverse, une quiétude bienheureuse se dégageait de sa physionomie. Quelques raclements de gorge accueillirent ses propos. Le regard perdu dans le vide ou les paupières closes, chacun méditait à sa façon. Une jeune fille à la peau très brune et aux cheveux noirs bouclés ouvrit soudain les yeux et regarda le mentarech en guettant un signe éventuel de désapprobation. Elle se leva, se fraya un chemin entre ses camarades pour aller devant le pan de mur à mémoire de forme dédié à l’expression créative. Elle saisit un traceur et commença à empreindre le mur. Au fur et à mesure que l’esquisse prenait forme, les chuchotements s’intensifiaient. La gravure laissait progressivement apparaître un calderion dardant ses rayons à travers les nuages sur deux arbres d’aspects différents ainsi qu’un oiseau qui prenait son envol entre les deux.
Un jeune garçon leva la main de façon hésitante.
Yuz porta son attention sur le reste de l’assemblée et enchaîna :
Yuz ferma les yeux pour signifier un temps de méditation. Une jeune fille qui avait esquissé un mouvement du bras se ravisa et imita le mentarech.
Le silence introspectif fut de courte durée. Aux premiers chuchotements, Yuz reprit la parole :
Seuls Kento et deux jeunes filles levèrent le bras. Yuz hocha la tête, les lèvres serrées. Il reprit d’un ton enflammé qui surprit les enfants.
Il prenait soin de détacher ses propos. Son regard à la cantonade était le signe qu’il voulait marquer les esprits.
À cet instant, Yuz aperçut Soriana lui faire signe derrière l’une des fenêtres. Il en comprit aussitôt le caractère d’urgence. Après avoir signifié à son auditoire l’interruption momentanée de la séance, il sortit de la salle pour aller rejoindre sa compagne sous l’auvent.
Douze ans plus tôt, Soriana Dunrow et ses parents avaient quitté Perseïs pour s’installer sur l’île d’Hetmos en abandonnant une situation sociale enviable, celle de son père Ardenis Dunrow, ingénieur techno troisième degré en Système Expert. Ce faisant, sa première action forte fut de détruire son communicateur Übicom connecté à 3M. Le Maillage Mondial Multimodal, contrôlé par les unités de sécurité de la Kosmo-Force, permettait de suivre à la trace en temps réel et en tout lieu n’importe quelle personne sur Alphée. Dès lors, coupés de tout contact avec le reste du monde, les Dunrow purent échapper au monitoring planétaire institué sous couvert de sécurité publique par le Consortium, l’entité gouvernante de la planète. Trois ans plus tard, Yuz Protheüs venait à son tour sur l’île pour embrasser la religion des Intemporels. Il s’installa dans le même village que les Dunrow et devint la compagne de Soriana. Enfin, l’année suivante, Hadia Protheüs vint également sur Hetmos pour rejoindre son fils Yuz après la mort du père de celui-ci.
Accompagné de Soriana, Yuz se dirigeait à grands pas vers la sortie du village. Lorsqu’ils franchirent le seuil de la maison, le ménara cendré resta muet contrairement à sa manie. Le volatile des Dunrow se contenta de toiser les arrivants du haut de son perchoir sans proférer les sarcasmes dont il était coutumier à l’encontre des magnats du Consortium.
Hadia Protheüs était allongée, le buste relevé par des coussins. En sueur, elle avait la respiration courte, entrecoupée de brefs accès de frissonnements. Sa peau mate avait pris un teint cadavérique. La main sur la poitrine, elle réussit à esquisser un timide sourire en murmurant.
Yuz mit sa main sous sa nuque pour la soutenir et retira les coussins. Il l’allongea avec précaution, déboutonna sa chemise et en écarta les pans. En apposant sa main sur la poitrine dénudée, il commença à exercer des palpations en appuyant par petites touches. Après plusieurs manipulations, il concentra sa force et la vitesse de ses pressions par à-coups sur le côté droit, celui du cœur. Soudain, elle poussa un cri, le visage crispé par la douleur. L’instant d’après, elle perdit connaissance.
Lorsqu’elle retrouva ses esprits, Hadia s’avisa que son guérisseur de fils n’était plus à ses côtés. Elle tendit l’oreille pour saisir la conversation feutrée qui lui parvenait de l’autre pièce de la maison. Yuz s’enquérait auprès de Soriana :
Après avoir écouté les incertitudes exprimées par Soriana, il dit :
À peine Yuz eut-il prononcé ces paroles sécurisantes que les traits de son visage se tendirent. Il porta la main à son front et alla s’asseoir comme s’il était pris de vertiges. Il redressa la tête, regarda intensément Soriana et murmura :
— Shiman…
Elle comprit qu’une connexion mentale s’établissait avec son frère. Elle savait qu’il était l’un de ses relians.
L’inaction est l’ennemi de l’homme. Elle fausse le temps, elle le gratifie d’une rallonge qui a horreur du vide. Elle encombre l’esprit de souvenirs et de ruminations improductives.
Allenis had Thorens No1 du Consortium
En dépit de l’importante flotte de location dont disposait l’astroport de Perseïs, Shiman s’est vu attribuer un vieil aéronef datant de l’époque de la grande pandémie. Après avoir contrôlé les indicateurs de bord, il le dirigea jusqu’à l’aire de décollage. L’aérojet sortit du hangar en roulage lent. D’épaisses écharpes de brume enveloppaient le tarmac. Aucune visibilité au-delà de dix pas. Il contourna lentement la masse sombre du bâtiment de la Kosmo-force. Témoignant de sa vétusté, le vaisseau imprimait des à-coups dans la carlingue tout en suivant une trajectoire sinueuse pour éviter les autres aéronefs. Quand il se fut stabilisé sur l’aire de décollage, Shiman dicta instinctivement les coordonnées de la station orbitale Divertimento à l’ordinateur de bord. Tout en souriant de sa méprise, il rectifia aussitôt : « Ordre annulé ARB 644. Les nouvelles coordonnées sont X : 47° 13' 0.02" Y : -1° 33' 0". Cap sur l’île d’Hetmos ». Son esprit préoccupé avait laissé la main à la force de l’habitude.
La voix métallique du Système Expert régulateur du trafic retentit dans son casque « ARB 644, autorisation de décollage accordée, altitude de poussée en pleine puissance fixée au niveau 5.2 ». Shiman enclencha la procédure de décollage vertical. Dans un chuintement aigu, la concentration de l’énergie électromagnétique dans les tuyères de translation ascensionnelle fit vibrer la carlingue. L’aérojet s’éleva avec un léger roulis. Parvenu à l’altitude requise, Shiman poussa aussitôt la manette d’enclenchement des moteurs au maximum en évacuant son exaspération :
En une fraction de quarquot, l’aérojet atteignit sa vitesse de croisière en laissant derrière lui un flux lumineux d’un blanc intense.
Oui, Azenath l’avait fait ! Elle avait envoyé l’enregistrement du coup de sang de Shiman aux grands Yakas de l’inquisition sermentoriale. Et ce, en dépit de son acceptation, à son corps défendant, pour cette entreprise insensée impliquant son frère. Encore heureux que les magistrats du comité d’arbitrage chargés de juger les litiges entre assermentés n’aient pas jugé utile de lui coller le statut d’Outro ! Ils n’avaient probablement jamais eu à statuer sur un cas aussi dément. Comment le qualifier ? Détournement de paternité ? Procréation par procuration ? Et tout cela en contradiction avec la renonciation à la maternité d’Azenath actée sur le serbil. Heureusement, le comité d’arbitrage a dû juger que les fautes s’équilibraient : libération du grindt d’un côté, entorse au serment bilatéral de l’autre ; l’honneur était sauf ! Il avait évité l’attribution de la mention infamante en exergue de son image holo s’affichant à chaque communication. Être taxé d’Outro à vie eut été la calamité ultime. Cependant, le comité arbitral avait signifié la mise en œuvre de la rupture du serment à la prochaine transgression. Le couperet était en place.
Shiman n’en revenait toujours pas. Azenath, cette femme aux charmes indéniables qui s’avérait dénoter une inaptitude aux sentiments, cette femme principalement motivée par deux choses, la satisfaction de son appétit sexuel et son ambition professionnelle, cette femme voulait un enfant ! Ce désir de maternité éveillerait-il en elle un début de sentimentalité ? Quelque chose qui ressemblerait à l’affect ? Et lui qu’éprouvait-il dorénavant pour elle ? N’était-ce pas la reconnaissance de son bas-ventre qui, insidieusement, l’entretenait dans une sorte de confusion sentimentale ?
Shiman se fit violence pour évacuer ces pensées crispantes et tourna son esprit vers son frère. Comme souvent lorsqu’il pensait à Yuz, ce furent les souvenirs d’enfance qui s’imposèrent, ceux d’un petit Shiman impressionné par son aîné, par l’ascendant qui émanait de lui, par son indolence pleine de sérénité et par ses silences réflexifs. Yuz représentait un idéal hors de portée. Plus grand, plus beau, il ressemblait à leur mère avec son visage fin et ses yeux verts. Il ne s’est jamais moqué de la figure un peu trop joufflue de son petit frère. Et lorsque Shiman a atteint l’âge où le regard des filles prend le pas sur tout, combien de fois n’a-t-il pas envié ses succès ! Pansement dérisoire sur ses propres insuffisances, la jalousie le disputa un temps à l’admiration. Mais, dans l’année de ses douze ans, une seule journée suffit à tout bouleverser. Celle du renoncement. Celle du sacrifice de Yuz, de sa décision stupéfiante. Le jour où Yuz a dit non. Le jour où il s’est effacé pour que Shiman, son petit frère, devienne Xen à sa place, alors que les parents l’avaient choisi en tant qu’aîné. Yuz avait refusé le Xenthium₉ ! Shiman s’est longtemps demandé la raison de cette décision incompréhensible. Comment peut-on refuser l’immortalité ? Il avait eu beau le questionner, Yuz s’était refusé à donner une explication. À cette époque, ils habitaient encore omberzone, le district souterrain de Perseïs. Lorsque Shiman atteignit l’âge de douze ans, il devint urgent de prendre une décision. LA décision. Celle de la vie éternelle ou de la mort. Être Xen ou être mortel.
Ce soir-là, à la fin du repas, le petit Shiman a senti confusément que son avenir était en train de se décider. Il a fait semblant de rejoindre sa chambre. Puis il s’est glissé discrètement derrière la porte du salon et a tendu l’oreille.
Dilemme vital pour les Protheüs. Donner la vie éternelle à leur petit Shiman qui deviendra infertile ? Ou bien le vouer à une mort inéluctable en contrepartie de sa capacité à leur donner une descendance ? Le Xenthium₉ devait être obligatoirement inoculé pendant la période prépubère. À ce stade, le métabolisme de l’enfant bloquait le processus de vieillissement des cellules dès qu’il survenait pour enclencher la régénération perpétuelle. Passé cette période, le traitement se révélait inopérant.
En entendant les paroles de ses parents, le petit Shiman s’est précipité vers eux en pleurs. Il les a suppliés de ne pas se priver de tout pour lui. Alors que, secrètement, il en rêvait, de cette jeunesse éternelle ! Surtout quand il croisait un voisin, un jeune homme à l’allure athlétique qu’il savait aussi vieux que ses parents. Comment ne pas rêver d’être comme lui plus tard ! Et pareillement, de rester fort et plein de vitalité pour toujours ! Il se souviendra à vie de cette soirée où il se sentait comme dans un étau, coincé entre désir et sentiment de culpabilité, obsédé par l’idée que, deux ans plus tôt, ils avaient décidé de faire inoculer Yuz et que celui-ci avait refusé. S’il devenait Xen, il le devrait à son frère. Une dette éternelle.
Finalement, sa chère mamhadia avait emporté la décision. Shiman serait Xen. Le rendez-vous avec le labo de S.I-Santé-Innov avait été pris dès le lendemain. Huit jours plus tard, on lui injectait les nanorobots dans le circuit sanguin. Au dernier moment, Hadia a eu peur. Avait-elle pris la bonne décision ? N’y aurait-il pas d’autres effets secondaires ? Elle avait abreuvé le praticien de questions.
On s’était contenté de lui expliquer que les nanorobots véhiculaient des milliards de substances biochimiques dans tout l’organisme et les activait par stimulations électromagnétiques. Entre autres actions bénéfiques, elles stimulaient l’autophagie et la production de mitochondries. Ces précisions totalement hermétiques pour elle n’avaient probablement pas rassuré sa mère, mais elle n’avait pas osé faire machine arrière. Shiman a été inoculé.
Le principe actif du Xenthium₉ restait un secret bien gardé. Il s’agissait de ne pas tarir la manne considérable que S.I. Santé-Innov en retirait ! Même dans la filiale du trust hospitalo-pharmaceutique, au sein de l’équipe scientifique dont Shiman faisait partie, les discussions entre collègues se réduisaient à des hypothèses quant à sa composition. Certains parlaient de reprogrammation cellulaire à partir des gènes d’un animal marin dont les bras repoussaient après ablation. Hypothèse invérifiable. La formule était bien gardée par Ox dair Ventrige, le commandeur de S.I. Santé-Innov, ainsi que par la petite équipe de généticiens qui l’entourait. On savait seulement que le Xenthium₉ régénérait l’ADN en permanence ; au cours des renouvellements cellulaires successifs, les chromosomes ne perdaient plus cette petite part de substance contenue sur les télomères, un des phénomènes produisant le vieillissement. Après l’injection prépubère, le développement physiologique se faisait normalement et se figeait définitivement entre la dix-huitième et la vingtième année. À partir de cet âge-là, la sénescence cellulaire ne s’amorçait pas, le corps ne vieillissait plus.
Au moment crucial, le médecin avait gratifié le petit Shiman d’un :
Dans la carlingue de son aérojet, le pilotage automatique laissait Shiman désœuvré jusqu’à l’atterrissage, accordant à son esprit toute liberté pour continuer de vagabonder. Grâce au renoncement de son frère, Shiman avait atteint le stade ultime de l’évolution humaine : il était devenu Xen, autrement dit « quasi immortel ».En réalité, il n’ignorait pas que parler de jeunesse perpétuelle et d’immunité était plus exact. Être Xen conférait l’immortalité avec sursis dont la levée était toujours possible : « Sauf accident », avait dit sa mère. Sur Alphée, une minorité de privilégiés, hommes et femmes de tous âges avait comme lui l’apparence de jeunes adultes d’une vingtaine d’années bénéficiant d’une immunité éternelle contre toute forme de maladie qu’elle fût virale ou microbienne. Malheureusement, une vingtaine d’années après la mise au point du Xenthium₉ et des premières inoculations, les mutagénéticiens de S.I. Santé-Innov avaient dû se rendre à l’évidence : tous les Xen hommes et femmes, sans exception, s’étaient révélés infertiles. Chez S.I. on lui avait expliqué que l’activation de gènes récessifs létaux détruisait l’embryon in utéro.
Trente-deux années s’étaient écoulées depuis la naissance de Shiman. Il en paraissait quinze de moins. Pourtant, il n’aimait pas l’image du jeune homme que lui renvoyait le miroir. Il reflétait un visage potelé à la peau brune et mate, des cheveux bruns bouclés et une bouche trop charnue à son goût qui lui donnait l’impression de voir un jeune type blasé qui faisait la moue. Une consolation toutefois, pour preuve, les rares compliments féminins qu’il avait reçus : ses yeux vert lagune. Comme ceux de son frère ; Yuz et lui les tenaient de mamhadia.
Seul à bord de ce vaisseau qui, à chaque quarquot, le rapprochait davantage de son frère, Shiman se sentait gagné par un malaise. Il essayait d’imaginer la façon de transmettre la requête inouïe d’Azenath à son frère. Certes, il se représentait déjà l’attitude empathique de Yuz, l’écoute bienveillante qu’il aurait. Mais il craignait qu’elle sous-tendît une réprobation mise sous le boisseau par amitié fraternelle.
Il n’avait pas vu Yuz depuis ce fameux soir, celui où son frère et Soriana étaient venus le visiter dans son duplex de Perseïs. Et dire que maintenant, il allait falloir lui demander d’assurer la procréation de son enfant ! Shiman tournait et retournait dans sa tête les façons de formuler la question.
Et ce, devant Soriana, avec qui il avait eu beaucoup à se faire pardonner par le passé.