Réminiscences d’une ère disparue - Gabriela-Bianca Moraru - E-Book

Réminiscences d’une ère disparue E-Book

Gabriela-Bianca Moraru

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Beschreibung

Thanatos, une enfant abandonnée, grandit dans les sombres ruelles d’Athènes avant d’être recueillie par des parents adoptifs austères. Lorsque ces derniers tentent de la marier à un inconnu pour échapper à la misère, elle opère un choix radical : fuir, dissimuler son identité en se faisant passer pour un garçon et rejoindre l’armée. Au cœur des rangs militaires, elle découvre son talent inné pour le combat, endure les épreuves impitoyables de la guerre et doit porter le fardeau des secrets qui l’habitent. Entre chapardage et entraînements, elle tisse des liens avec des compagnons fascinants, dont certains voilent des blessures profondes et des intentions obscures. Alors que la bataille contre Sparte s’intensifie, Thanatos se retrouve confrontée à ses propres peurs, à une mystérieuse malédiction qui plane sur elle et à un destin bien plus grand qu’elle ne l’aurait imaginé. Jusqu’où sera-t-elle prête à aller pour préserver sa liberté dans un monde où le sang et la violence tracent les chemins de l’avenir ?

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Depuis son plus jeune âge, Gabriela-Bianca Moraru nourrit un univers intérieur foisonnant où s’entrelacent histoires captivantes et créatures fantastiques. Entre dessins évocateurs et récits oniriques, elle a toujours trouvé refuge dans les méandres de son imagination. C’est de cette créativité débordante qu’est né son premier roman, "Réminiscences d’une ère disparue" – Une lointaine épopée, une œuvre façonnée par son esprit libre et audacieux.

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Seitenzahl: 232

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Gabriela-Bianca Moraru

Réminiscences d’une ère disparue

Une lointaine épopée

Roman

© Lys Bleu Éditions – Gabriela-Bianca Moraru

ISBN : 979-10-422-5931-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

La nuit s’était couchée depuis longtemps sur la ville, drapant les bâtiments dans le voile impénétrable de l’obscurité. Une obscurité qu’aucune étoile, aucun rayon de lune ne perturbait, donnant l’impression d’un ciel plus noir que les abysses. À travers les ruelles désertées et des battants fermés, le vent hurlait, donnant l’impression qu’une tempête se préparait. Pour l’heure, pas de pluie, mais personne n’osait s’aventurer dehors. Le froid et le manque de luminosité avaient suffi en à dissuader l’écrasante majorité. Même les plus téméraires ne tentaient pas l’expérience, préférant – et de loin – le confort et la sécurité de leur bercail.

À Athènes, bien des légendes circulaient quant à ces nuits sans astres. Leur sujet ? Des dieux, des bêtes mythiques effroyables, des héros courageux ; il en existait autant que de conteurs. De pures balivernes, diront certains, toujours était-il que les hommes du pays y croyaient. Cette soirée leur donnera raison.

Une unique silhouette sillonnait les avenues brumeuses. Enveloppée dans une large cape grisée masquant la totalité de sa silhouette, elle ne semblait nullement incommodée par l’absence de visibilité et se déplaçait sans difficulté. Le froid l’atteignait à peine. Ses pas, vaporeux et soigneusement cachés par la longueur de sa toge, donnaient l’impression que ses pieds ne touchaient pas le sol. Quant à son visage, il affichait un teint de porcelaine éclatant, encadré par quelques mèches noires, lisses, mal coiffées, lui tombant devant les yeux. D’un rouge ardent, ses prunelles scrutaient les ténèbres avec attention. Quelque chose dans son allure semblait préoccupé, inquiet.

En arrivant au détour d’un bâtiment haut, elle s’arrêta et prit le temps d’inspirer. Contre sa poitrine, un trésor qu’elle tenait emmailloté dans d’épais langes de soie blanche. La voyageuse prit le temps d’y jeter un œil, connaissant la dangerosité des voyages nocturnes dans cette région. Avec soulagement, elle constata que tout allait bien. Son joyau, sa petite fille chérie, allait bien. Cette nuit sera la dernière qu’elles passeront ensemble, car bientôt, le destin séparera leurs chemins, mais les choses ne pressaient pas ; le lever du jour étant encore lointain.

À travers la nuit profonde, la femme hésitait encore. Abandonner son enfant ? Un chagrin qu’elle ne se sentait pas capable de supporter, mais n’ayant pas le choix, elle devait bien s’y résoudre. Levant la tête, elle porta son regard vers les cieux, dont la furie se manifestait sous la forme d’épais nuages striés d’éclairs. Pas de tonnerre. Elle devait reprendre la route au plus vite, avant qu’une pluie torrentielle ne se décide à frapper. De par sa quiétude, la cité plaisait à la voyageuse. Le silence se comptait parmi ses préférences. Athènes, un endroit admirable qu’elle observait avec intérêt. Qu’il s’agisse de l’architecture, dont la modernité surpassait de loin toutes les autres villes grecques, ou même de son âme, qui vivait, respirait, semblant habitée de sa propre volonté. Oui, elle s’y plaisait. Peut-être y reviendra-t-elle un jour.

Une goutte de pluie mit fin à ses contemplations rêveuses. Une seconde suivit rapidement. La tempête s’en venait. Rapidement, elle quêta des yeux, un signe, un indice. Il se manifesta à elle sous la forme d’une lueur lointaine, tremblotante, en provenance d’une des maisons avoisinantes. L’une des dernières encore éveillées à cette heure-ci. Notre mystérieuse inconnue s’y empressa. La pluie crépitait sur les toitures, et sa puissance croissait de minute en minute. Il lui fallait se dépêcher.

Arrivée à l’entrée de la maison, la voyageuse toqua à la porte, déposa son enfant et s’évapora dans le néant. Plus personne ne la reverra jamais.

Douze ans plus tard

Chapitre 1

— Hé, reviens ici, sale vermine ! Rends-moi ça ou t’auras affaire à moi !

Un large rictus aux lèvres, je traversais les ruelles bondées à toute allure, l’esprit vide mais les poches bien pleines. Ma journée de travail, fructueuse : une dizaine de bourses dérobées en moins d’une heure. De quoi ranimer ma fierté. Pourquoi avait-il fallu que ce jeune homme bedonnant m’aperçoive ? Peu importait désormais, il me suffit de cinq minutes pour le semer, et pour cause, Athènes, en pleine fin d’après-midi, se gorgeait de monde. Beaucoup faisaient leurs emplettes maintenant. Et moi, je leur faisais les poches.

Au détour d’un ultime coin de ruelle, je me sus en sécurité. Haletant, je me laissai le temps de reprendre mon souffle, tout en mettant mon butin en sécurité, dans une sacoche en cuir qui jamais ne me quittait. Puis, je m’attachai les cheveux. Ma longue crinière argentée passait difficilement inaperçue lorsque détachée. Et puis, je passais difficilement inaperçue tout court.

Avec ma peau albâtre, plus claire que de la porcelaine, mes yeux rouge vif, ma crinière grisonnante et mon corps maigrichon, je happais l’œil des passants.

Ainsi constituée, voler n’était pas chose aisée.

Pour aujourd’hui, j’en restai là. Mes prises me convenaient, mais l’idée de rentrer à la maison me dépitait. La cause ? Les personnes s’y trouvant, plus précisément mes parents. À toujours tenter de dicter ma conduite, ils m’agaçaient au possible, surtout que je ne convenais absolument pas à la norme de la fille sage, obéissante, et dont les principaux buts se trouvaient être le mariage, la richesse ou les enfants. Non, ils ne m’aimaient guère, moi et mes envies de liberté, de grand air et de délinquance. Changer ? Jamais. Aucun amour ne remplacera l’adrénaline de la criminalité, la brise du matin ou les nuits à la belle étoile.

Me requinquant l’esprit, j’inspirai profondément puis me mis en route vers chez moi. Il se situait assez loin. Argent et angoisse en poche, je m’y rendis. Lorsque j’arrivai, les lueurs du crépuscule tombaient. Je pris le temps de les contempler, de m’enivrer de leur beauté, avant de retomber dans la triste réalité. Face à moi, une baraque simple en pierre grise, au toit de chaume et aux couleurs mornes – ma famille ne se comptait pas parmi les aisés –. Hésitant, je toquai à la porte par trois fois. On me répondit au quart de tour :

— Thanatos, mais qu’est-ce que tu es encore allée foutre ? Rentrer à une heure pareille, mais ça va pas ? Il fait nuit !

Ma mère. Enfin, ma mère adoptive. À défaut de m’avoir conçue, elle m’avait élevée. À la dure.

— Je suis juste partie me balader en ville, répondis-je, la fatigue dans la voix. Je peux entrer ? Je suis crevée.

La porte s’ouvrit brutalement. Une femme d’âge mûr se tenait devant moi, l’air sévère. Ses prunelles noisette me détaillèrent de haut en bas, puis elle s’écarta pour me laisser entrer.

— La prochaine fois, tu dormiras dans la grange avec les cochons.

Je hochai vaguement la tête, puis me précipitai vers la cuisine. Une bonne odeur en émanait. Des pâtisseries au miel, bien plus intéressantes que les sermons d’une vieille. Sur la table, quelques gâteaux, de la confiture et un peu de pain. Ce dernier restera de côté : mon repas ne se compose pas de sucreries, je les engloutis sans même souffler. Dévaliser les passants creusait l’estomac.

— Laisses-en pour ton père ! me lança-t-on de l’autre côté de la maison.

Au final, je mangeai peu, et partis me terrer dans ma chambre. La pièce ne possédant aucune fenêtre, le soleil n’y pénétrait jamais. Il y faisait sombre, poussiéreux. Je m’y plaisais. Ma couchette, un lit composé d’un empilement de couvertures, le rendant moelleux à souhait. M’y couchant, je jetai un œil autour de moi. Une chaise en bois, des coussins éparpillés çà et là, des vêtements sales traînant sur le sol, et une petite table. Une branche d’arbre s’y trouvait, mon attention se porta dessus. Tendant paresseusement le bras, je m’en emparai et l’agitai. De là à ce qu’il se change en épée, il ne me fallait ajouter qu’un peu d’imagination. Les épées, elles me fascinaient. Ah, que j’aurais aimé en posséder une, une vraie, faite de métal. Pour sûr, je n’hésiterais pas à trancher le cou de n’importe qui s’amusant à m’embêter.

— Thanatos, tu dors ? m’interpella une voix masculine.

On toqua à la porte. Mon père. Lui, je le détestais un peu moins. Avant de répondre, je pris le soin de dissimuler mon argent sous le lit. Évidemment, ils n’étaient pas au courant de mes petits loisirs, et il devait en rester ainsi. Dans quels beaux draps je serai sinon.

— Non non, je suis réveillée. Fatiguée, mais encore réveillée.

À vrai dire, l’épuisement rendait mon corps raide. Lorsque la porte de ma chambre grinça, laissant pénétrer un vieil homme souriant à l’intérieur, je ne me détendis pas d’un millimètre, prête à encaisser quelle remarque incisive sur dieu savait quoi. Mais mon père me regarda, hocha la tête, puis dit :

— Je ne t’ai pas vue de la journée, Thanatos. Tu t’es amusée ? Où est-ce que tu es allée, aujourd’hui ?

— Juste en ville. Y avait le marché aujourd’hui, alors… Je suis allée jeter un œil quoi. Ah et, y a des olives et de l’huile d’olive pas chères. Toi qui aimes bien ça.

Personnellement, j’appréciais moyen.

— Ah ! Peut-être que je vais passer demain. Les temps froids arrivent bientôt, ce serait bien d’avoir un peu de réserve, tu crois pas ?

J’acquiesçai. De la réserve, j’en possédais également ; elle se trouvait précisément sous mon matelas. Nous ne disposions que de peu de moyens, mes chapardages me nourrissaient correctement, mais je ne dépensais guère, préférant voir s’accroître ma fortune. De l’or, de l’argent, je prenais tout. Pourquoi tant d’appât du gain ? Par pur amour de la collection. Un collectionneur, voilà ce que j’étais.

— Tu n’as pas l’air en très bon état, déplora mon paternel, dont la joie avait disparu. Tu as encore maigri. Est-ce que tu as mangé quelque chose aujourd’hui ?

— Des gâteaux au miel et quelques olives. Pas très faim aujourd’hui.

Le cœur à discuter me manquait. Mon seul désir ? Dormir. Longtemps si possible. Dehors, le soleil brillait-il encore ? Les lueurs du couloir le démentaient. Voilà là une bonne excuse pour couper court à cette conversation :

— Par contre, je suis fatiguée. Il fait nuit en plus, alors…

— D’accord, d’accord, je te laisse dormir. Sache juste que…

Il s’arrêta un instant. Ses grands yeux verts, entourés par les cernes, s’emplirent d’amertume, de regrets.

— Sache juste que si tu veux me parler, tu peux venir me voir. Et reprends un gâteau à ton réveil.

Affirmatif. Lorsqu’il fut parti, je fermai les yeux pour aussitôt sombrer dans un sommeil profond, et agité. En m’éveillant, je me trouvai trempée de sueur, avec une migraine abominable et sans une goutte d’énergie. Me lever se révéla difficile ; je n’y parvins qu’au bout d’une longue, ennuyeuse demi-heure. Ceci fait, je partis en quête d’un petit casse-croûte, la tête bourdonnante et la faim absente. Sur le moment, mon état m’inquiéta. Étais-je malade ? Convoquer un médecin coûterait cher. Trop cher. J’y survivrai.

Constatant avec soulagement qu’ici, tout le monde dormait, je me faufilai en dehors de la maison. Dehors, une nuit noire, à peine troublée par l’éclat de quelques lointaines étoiles. Ah, que j’aimais la nuit. J’y voyais bien, mieux qu’en plein jour. Mes yeux toléraient mal l’agression des rayons solaires, alors j’en profitai. Inspirant l’air frais, je valsais maladroitement à travers notre petit jardin. Des tomates y poussaient, j’en cueillis une et la croquai. Son jus coula le long de mon menton comme coulaient les ennuis hors de mon esprit.

La nuit me ravivait. Tout en moi fonctionnait au centuple. Mes sens, mon imagination, mes idées, tout se décuplait. S’il y avait eu une boutique ouverte et à proximité, je l’aurais dévalisée en entier sans même risquer de finir prise la main dans le sac. Énergique dans l’âme, j’entrepris de m’occuper un peu du jardin familial, cueillant les fruits mûrs, arrosant les plantes et arrachant quelques mauvaises herbes. Tâche aisée, notre jardin n’étant pas grand. Une clôture en bois l’entourait. Une clôture que j’enjambais régulièrement et aisément. À proximité se trouvait une forêt. Un bois épais dans lequel je me rendais souvent. Peut-être pas assez souvent.

Après tout, pourquoi pas ?

Sourire aux lèvres, je détalai, partant me mêler aux bois, aux arbres et à la nature. Évidemment, je prévoyais de revenir avant le lendemain, mais une petite promenade ne me tuerait pas. Si je tombais sur un loup, il me suffirait de fuir et me cacher, pas vrai ? Une fois parvenue en lisière de la forêt, je ralentis la cadence, passant d’une course folle à une paisible balade. Aucune ronce ou aucun buisson ne me barrait le passage, et quelques arbres çà et là portaient encore des fruits ; chose rare avant le début de l’hiver. Hélas pour moi, ma taille ne me permettait pas de les atteindre. Les sens en éveil, je m’avançai, traquant un quelconque signe pouvant m’indiquer la présence d’une bête sauvage, mais rien.

Mon excursion se passa tranquillement. Je parvins même à me dégoter une poignée de noisettes, deux, trois noix et une demi-pomme. De nombreux champs et pâturages bordaient la forêt. Comme j’avais évité de m’aventurer trop loin, je passai près de certains. Le plus intéressant ? Celui où poussaient des choux. Heureusement, ma sacoche se trouvait avec moi, accrochée à mon épaule. L’occasion, trop belle pour ne pas en profiter.

À pas feutrés, je m’introduisis sur la propriété de ce pauvre paysan pour commencer à y glisser un, puis deux, puis trois, et enfin un quatrième chou. En porter davantage me deviendrait ardu, donc j’en restai là. Déjà lestée par ma cargaison, j’abandonnai l’idée de m’enfuir et partis en marchant. Hors de danger, je partis m’adonner à un arbre et me laissai tomber au sol. Ouf. L’épuisement s’emparait déjà de moi. Comment diable les marchands ambulants parvenaient-ils à porter de telles charges, pendant une journée entière ? Jamais je n’y parviendrai, même avec tout l’entraînement du monde. À cet instant, rentrer à la maison avec ma cargaison me semblait impossible.

Quelque chose bruissa devant moi. Près de moi, un buisson s’anima, bougea. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Immédiatement, la fatigue me quitta, le fardeau dans mon dos s’allégeant instantanément pour ne plus peser qu’une plume. Rien ne m’empêchera de me sauver, rien. D’entre les broussailles sortit quelqu’un. Un homme, ou plutôt une apparition. D’abord, je le confondis avec un feu follet. À y regarder de plus près, sa silhouette se définissait bien plus nettement qu’un feu follet. Lui possédait une forme humaine, celle d’un jeune homme tout à fait banal. À un détail près.

Son corps paraissait constitué de lueurs. Des lueurs rouge pâle ; on voyait à travers. L’être translucide m’adressa un regard consterné.

— Le vol, c’est mal, jeune fille, déclara-t-il.

Sa voix résonnait en écho, comme s’il parlait dans un caveau. Mon cœur s’emballa. Qu’était-il ? Que me voulait-il ? À deux doigts de prendre mes jambes à mon cou, ma curiosité me retint encore quelques instants. À vrai dire, je répondis à sa remarque avec un certain sarcasme :

— Seulement si on se fait prendre !

À ma plus grande surprise, la créature d’éther se targua d’un rictus. Visiblement, nous nous accordions sur ce point. Lorsqu’il sortit du buisson pour s’approcher de moi, un détail me fit tilter. Au lieu de marcher, il flottait. Ses pieds ne touchaient pas le sol, à la manière de ceux d’un spectre. Pourquoi diable un spectre venait-il converser avec moi ? Cela n’avait aucun sens. Avec un amusement indéniable, le fantôme déclara :

— Tu as plutôt raison, surtout que là où tu étais, ils dorment tous à poings fermés. Ah, à ton âge, je faisais ce genre de choses aussi, et j’étais plutôt bon.

Un esprit voleur ? Pourquoi pas. Ses mots firent sur moi l’effet d’un calmant. Il avait l’air pacifique, alors, je reposai mon sac et me rassis.

— J’ai pas vraiment l’habitude de rencontrer d’autres voleurs, admis-je finalement. La plupart, ils se cachent un peu, je crois… Tu viens d’où, en fait ?

— Athènes, comme toi. J’ai juste eu un petit… problème, disons ça comme ça.

— Quoi, tu es mort ?

Cette question s’envola de ma bouche sans que je ne puisse la retenir. Un silence pesant s’installa entre nous. Mes joues s’empourprèrent. L’avais-je vexé ? S’apprêtait-il à m’attaquer ? Ma curiosité un jour me perdra, m’engloutira jusqu’à ce que je sois plus qu’un souvenir. D’un coup, ses traits se détendirent. Arborant une allure pensive, il finit par répliquer :

— Eh bien oui. Je suis d’ailleurs surpris que tu arrives à me voir.

Ce n’est pas courant, tu sais. Depuis que j’erre dans les environs, j’ai dû croiser deux, peut-être trois personnes capables de ça, et encore, la troisième m’entendait plus qu’elle ne me voyait. Tu es spéciale, gamine.

Spéciale ? Je n’en croyais pas un mot. Une bonne voleuse, oui, mais rien de plus.

— Moi ? Bof. J’ai rien de particulier. J’imagine juste que t’es pas tombé sur les bonnes personnes. Tu t’appelles comment ?

— Aklésias, et toi ?

— Thanatos.

À l’entente de mon nom, il fronça les sourcils. Thanatos signifiant « mort » en grec, beaucoup de gens s’en étonnaient en l’entendant. Le nom me viendrait de ma mère, m’avait-on dit. Quant au pourquoi de ce prénom, je l’ignorais. Mon interlocuteur, après quelques secondes d’arrêt, reprit ses esprits et commenta :

— C’est assez… spécial, comme prénom. Thanatos, ma foi, pourquoi pas.

Ne sachant quoi répondre, je haussai les épaules. Aklésias, ce nom-là sonnait commun. Portant mon attention vers les cieux, je remarquai qu’il n’y demeurait plus une seule trace de constellations ou d’étoiles. À la place, j’y vis les premières lueurs du jour. Le soleil se levait. Je devais rentrer, et vite.

— Je dois y aller, Aklésias. Je… J’étais pas censée être dehors, en fait. Si mes parents me chopent dehors, je vais être dans la merde.

L’homme n’insista pas, et m’indiqua de partir, ordre auquel j’obéis. Fuyant aussi vite que si j’avais eu aux trousses une meute de loups, je filai jusqu’à mon domicile, sautai par-dessus la clôture, et me précipitai à l’intérieur. Là, je me rendis dans ma chambre sur la pointe des pieds. À en juger par le silence englobant la maison et l’absence de cris, je conclus rapidement que personne ne s’était encore réveillé. Mes parents dormaient. Peut-être devrais-je les imiter. Partant m’allonger, je ne pus m’empêcher de ressasser les paroles du fantôme, encore et encore mais sans jamais trouver de réponse à la question qui revenait.

Pourquoi moi ?

Après de longues heures, je sombrai enfin dans un sommeil profond, si profond, que lorsque je m’éveillai, le soleil brillait haut dans le ciel. Nous devions nous situer en début d’après-midi. Les évènements de la veille étaient encore clairs comme du cristal dans mon esprit. Avais-je été la cible d’un rêve ? Imaginer tout ça avec la fatigue pour cause ? Possiblement. Chassant ces souvenirs hors de ma pensée, je me levai et partis rejoindre la pièce à vivre. Là, je croisai ma mère. Elle m’observa quelques instants, puis me lança :

— J’en connais une qui a dormi longtemps, aujourd’hui. J’ai du travail pour toi. Tu vas nettoyer la pièce pendant que je prépare le repas du soir.

Une occupation ? Finalement. La paresse me manquant, je me mis immédiatement à l’ouvrage, avec pour tout instrument un balai, que je maniais assez maladroitement. La femme demeura là quelques instants à me dévisager, la mine rêche, comme si elle cherchait quelque mot dur à me lancer, puis s’en alla vers la cuisine. Mon père l’y accueillit, et ils partirent dans le jardin ensemble. Moi, je rangeais, et finis assez rapidement, le lieu n’étant pas très encombré. Non, il s’agissait principalement d’organiser les nombreux bibelots, jarres et décorations qui s’y trouvaient.

Depuis le jardin, je les entendais discuter. Des bribes me parvenaient, mais je n’y prêtai de prime abord pas attention. Leurs conversations ne m’intéressaient que rarement, et pourtant. Cette fois-ci, mal m’en prit d’écouter à peine, car une phrase que mon père prononça me figea sur place. Je manquai de renverser le vase d’entre mes mains.

— … Je commencerai à lui chercher un mari bientôt, avec un peu de chance, elle pourra épouser un homme riche et tous nos problèmes d’argent seront résolus.

De qui parlait-il ? De moi ? Non, je ne pouvais y croire. Jamais on ne m’avait fait part de tels desseins. Je me sentis défaillir, pâlir, mourir, et il me fallut m’asseoir pour éviter de m’écrouler. Que faire ? Comment les dissuader ? Le pire étant que ma mère ne refusait pas l’idée, bien au contraire. L’idée de se débarrasser de moi lui plaisait trop. Mes yeux s’emplirent de larmes ; j’étais confuse, désorganisée, perdue, mais une chose demeurait certaine.

Jamais je ne me marierai. Jamais je ne me laisserai vendre.

Une idée me vint. Une idée dure aux débouchés incertains, mais facile à exécuter. Laquelle ? Fuir. Fuir le plus loin possible, le plus discrètement possible. Essuyant les gouttelettes de tristesse ayant roulé le long de mes joues, j’entrepris de me ressaisir. Pleurer n’arrangera rien. Je démarrerai mon plan à la tombée de la nuit. Le restant de la journée, je le passai à diverses activités de ménage. Mon esprit étant ailleurs, je vis mon père quitter le domicile sans même penser à le saluer. Désormais, je le haïssais. Maintenant seule avec ma mère, je m’interrogeais. Fuir oui, mais où ? Là encore, l’étincelle d’une réponse m’apparaissait.

Le soleil endormi, je fis mine de partir me coucher, allant me réfugier dans ma chambre après avoir avalé un peu de soupe de pois chiches. Maintenant, passer aux choses sérieuses. Mon sac fétiche, je le remplis de tout l’argent dont je me trouvais en possession, puis de quelques vêtements ; je ne détenais rien d’autre. Ma destination ? L’armée. Ils recrutaient en ce moment. Une guerre contre Sparte, disait-on. M’y enrôler m’intéressait depuis un moment, mais problème, ils ne prenaient dans leurs rangs que les hommes ou de jeunes garçons. Une chance pour moi ; je disposais d’une allure peu féminine, seuls mes cheveux longs me trahissant.

Chapitre 2

La marche à suivre ? Elle semblait évidente. Me faufilant dans le couloir, je partis m’emparer d’une lame dans la cuisine ; la meilleure lame de la maison ; et je quittai les lieux. De là, je fuis à travers bois jusque dans la forêt. Un lac s’y trouvait. Dans son eau miroitaient mes doutes, mes incertitudes alors que j’empoignais ma tignasse blanche.

Couteau en main, j’entrepris de la taillader, de couper tout ce qui arrivait sous mes épaules. Le procédé se révéla plus ardu que prévu ; il me fallut m’y reprendre à plusieurs reprises avant de parvenir à un résultat correct, et encore, plus qu’inégal. Mais il me convenait. La chose faite, ma décision prise, je dispersai dans la rivière les débris de ma chevelure brisée. Désormais, j’étais un homme. Thanatos, l’adolescente rebelle dont la vie se composait de vols, de délinquance et d’amusement, venait de rendre son dernier souffle. Mon nouveau nom ? Je n’en choisis aucun. Thanatos me convenait très bien, et allait tout aussi bien à un jeune garçon. Poussant un profond soupir, je fus envahi par le soulagement, me sachant libre comme l’air et allégé du fardeau du mariage, autant que de ma famille de traîtres.

Je souriais. Un sourire amer, teinté par la crainte, mais sincère. Puis, tiraillé par les questionnements, je me mis en route vers la ville. Où passer la nuit ? Dehors ? Rentrer chez mes parents pour ce soir ? Alors que je marchais, j’aperçus une maisonnette. Elle disposait d’une basse-cour. Cela ferait l’affaire. Discrètement, je m’introduisis dans la propriété, à l’intérieur de la grange. Les animaux tout comme leurs propriétaires dormaient à poings fermés. À l’intérieur se trouvait un tas de paille à l’allure moelleuse. Je m’y allongeai, mais ce lit de fortune s’avéra moins confortable que dans mon imagination. Il piquait, grattait, chatouillait, mais j’y étais au chaud. Dehors, le vent soufflait fort. Je l’écoutais se déchaîner. Les yeux fermés, ses yeux emportèrent mes soucis, me berçant jusqu’au lendemain.

— Hé, qu’est-ce que tu fous là ? T’es qui ? Arkosas, viens vite, on a un voyou endormi dans la grange !

Des cris de femme. Ils m’extirpèrent de mon paisible sommeil, m’obligeant à me redresser pour aller m’expliquer.

— Je suis désolé madame, je n’avais nulle part où aller… marmonnais-je, les paroles encore engluées par le sommeil.

La paysanne me jeta un regard étrange. Elle fronça les sourcils, puis répliqua :

— Ah mais, tu es une fille ? Tu as l’air d’un garçon. Où sont tes parents ?

Malgré mon apparence androgyne, la voix me trahissait. À l’avenir, j’allais devoir y travailler. Ma réponse ? Un mensonge éhonté :

— Bah, je n’ai pas vraiment de parents, ils m’ont… Ils m’ont abandonnée il y a longtemps.

De quoi éveiller sa compassion. Stratagème qui sembla fonctionner ; la dame perdant ses allures rêches pour se teinter de pitié. Avant qu’elle n’ait eu le temps de répondre, son mari accourut dans la grange, fourche en main et prêt à m’embrocher.

— Non, attends ! gueula la femme en lui barrant la route. C’est juste une gamine abandonnée, y a pas besoin de ça !

Par ça, elle parlait de l’arme que l’homme portait. Ce dernier hésita, puis la baissa. Je comprenais leurs craintes ; il s’agissait d’un jeune couple. La femme devait à peine dépasser les vingt ans, détail qui me fit tressaillir. Sans ma fugue, j’aurais fini comme elle. Son mari, lui, demanda :

— T’es sûre ? Elle a l’air louche quand même, regarde juste sa gueule.

Quelle délicatesse. Je me savais étrange, mais pas à ce point. La gêne me prit par les tripes.

— Oui, je suis sûre ! s’exclama-t-elle, arrachant la fourche des mains du type. Et puis, ça veut rien dire, les apparences.

— Je suis né comme ça, expliquais-je timidement. Mes cheveux blancs, ça… Ça a toujours été comme ça.

Le paysan me fusilla du regard un instant, puis baissa sa garde, levant les mains en l’air comme si, face à sa femme, il se rendait. Je me retins de sourire, mais l’envie ne m’en manquait pas.

— C’est quand même bien bizarre, tout ça, se plaignit l’homme, attendant visiblement une quelconque approbation pour venir me mettre dehors. Tu vas quand même pas la laisser rester ici, si ?

— On verra ça plus tard ! gueula la jeune femme, plus hargneuse qu’une harpie. Pour l’instant, je reste avec elle, et on avisera !

Leur discussion se muait en véritable dispute, à laquelle je mis rapidement fin :

— Pas la peine. Je pars maintenant.

Les deux me lancèrent un regard déconcerté.

— Ah bon, marmonna-t-il, fronçant un sourcil. Eh bien… Tu sais où est la porte ?

J’acquiesçai, n’en attendant pas davantage pour prendre mes jambes à mon cou.

— Hé, attends !

Une voix féminine me retint. En me retournant, je constatai que la paysanne me dévisageait, l’air déçu. Ses mains portaient quelque chose fait de laine.

— Avant que tu ne partes, tiens, me lança-t-elle, me tendant l’objet. Il va bientôt faire froid et… Tu risquerais de geler, à dormir dehors comme ça.