Rencontres et réflexions - Martial Schwartz - E-Book

Rencontres et réflexions E-Book

Martial Schwartz

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Rencontres et réflexions vous invite à la découverte d’un univers foisonnant d’expériences, où des individus issus d’horizons variés, tant familiers qu’exotiques, partagent à la fois des similitudes intrigantes et des différences captivantes. Au fil de ces rencontres, explorez une palette de réflexions englobant aussi bien les moments ordinaires du quotidien que les faits marquants de la vie, vous offrant ainsi une plongée envoûtante dans la diversité du monde et de la nature humaine.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Le pas de la soixantaine franchi, Martial Schwartz se met à l’écriture afin de préserver le souvenir d’une amitié pour ses petits-enfants. Peu à peu, les réminiscences ont suivi et sont devenues des récits. Rencontres et réflexions est son deuxième ouvrage publié.

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Seitenzahl: 233

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Martial Schwartz

Rencontres et réflexions

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Martial Schwartz

ISBN : 979-10-422-0820-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Emma

Le jour de ta naissance, quelque temps avant la Saint-Nicolas, nous les grands-parents, mamie et moi, papy Évelyne et mamie Bernard, nous attendions avec impatience le moment où nous pourrions aller te voir à la maternité. Ah ! Je crois que je me suis un peu trompé quelque part ! Bah ! Ça n’a guère d’importance, cela te fera sourire.

C’est vers le soir que tes parents nous ont prévenus de ta venue. Nous sommes arrivés, tout excités de te voir enfin. Tu étais là, toute menue, couchée dans un couffin en plastique transparent. Le visage un peu rondelet, en train de dormir avec un sourire au coin des lèvres, repue de ta première tétée. Je te regardais de loin, sans trop oser m’approcher de toi, pour ne pas te contaminer avec mes microbes. Car j’avais alors, comme pratiquement tous les hivers, une méchante bronchite qui me faisait tousser régulièrement.

Après t’avoir quitté avec regret, nous avons décidé de fêter l’événement à la maison, avec des pizzas et du champagne. Mais comme je ne bois pas de champagne, et que je ne voulais pas d’une simple bière pour arroser ta venue, j’ai pris dans ma cave une bouteille de vin blanc d’Alsace, un Gewurztraminer de 35 ans d’âge. La dernière bouteille du jour de mon mariage avec mamie. Il avait un petit goût particulier, plus rien à voir avec ses arômes d’origine, mais il était toujours bon. La preuve : je l’ai bu tout seul et entièrement, tandis que les autres ont vidé allégrement trois bouteilles de champagne. Ton premier jour parmi nous fut copieusement arrosé.

Pour le repas de Noël suivant ta naissance, tu étais le centre de toutes les attentions. Moi assis en bout de table, dans un grand fauteuil, une photo en garde le souvenir. Mamie te présentant à moi, à bout de bras, comme on montre le dernier-né au patriarche ! Mais non, c’était encore ma bronchite qui m’empêchait de te prendre dans mes bras. Depuis, je me suis bien rattrapé !

Pour le Noël suivant, je t’ai construit un coffre-banc en bois, décoré sur chaque face d’animaux divers. Le dossier représentant des ballons multicolores poussés par un vent, sortant de la bouche d’un nuage. S’ensuivit une multitude de jouets, tous en bois. Des puzzles, en forme d’animaux tenant debout tout seuls. Du mobilier pour jouer à la dînette, une table et une chaise à ta taille, etc. Le dernier étant une maison démontable pour tes petits personnages d’une marque de jouets connue de tous les petits enfants.

Très vite, tu as grandi, fait tes premiers pas et commencé à parler. Comme tes parents travaillaient tous les deux, ainsi que mamie encore en ce temps, souvent c’est moi qu’on appelait pour te garder ou aller te chercher à la crèche. Je garde toujours un souvenir inoubliable de ces moments privilégiés où l’on était que nous deux. Ou assis à ta petite table, devant une grande feuille blanche, avec ton tablier trop grand pour toi, qui servait à te protéger des éclaboussures de peinture. Moi à côté, te passant le pinceau enduit de la couleur de ton choix. Tu peignais la feuille dans tous les sens en repassant sur les couches précédentes, au gré de tes envies. Jamais je ne t’ai imposé ou suggéré une couleur, c’est toujours toi qui la choisissais. Pour finalement obtenir, une peinture abstraite aux très jolies couleurs pastel. Je crois que ton père et ta mère ont gardé chacun quelques œuvres de ta prime enfance, moi aussi d’ailleurs.

Un jour, ta mère m’a appelé pour que j’aille te chercher à la crèche. C’était en hiver, tu avais attrapé une gastro. Je t’ai ramené chez toi, nous avons joué ensemble, en attendant la rentrée d’un de tes parents. À un moment, tu t’es arrêté de jouer, en restant figé au milieu de la pièce sans parler. À l’odeur, j’ai su que la gastro avait encore frappé. Je t’ai pris dans mes bras et amené à la salle de bain. Couchée sur le coussin à langer, c’est toi qui m’as indiqué où se trouvaient les différents produits de soin et le linge pour te changer. Ça n’a pas été une mince affaire, car tu en avais partout, jusque dans les chaussettes. Tant bien que mal, en me bouchant parfois le nez, j’ai réussi à te laver et t’habiller de vêtements propres, avant le retour de ta mère. Moi, petite tête, j’ai oublié de me laver correctement les mains après ta toilette. Et devine ? Deux jours après, c’est moi qui ai eu la gastro ! Dans ta générosité, tu m’avais refilé tes microbes.

Un lundi de Pâques ensoleillé, tes parents ont proposé un pique-nique dans la colline pour midi. Avec les grands-parents, les arrière-grands-parents, oncles, tantes, cousins et cousines, nous nous sommes tous retrouvés assis au milieu de la campagne, les plus âgés ont eu le droit à des fauteuils pliants. Après un repas champêtre, les parents se sont éclipsés pour cacher dans les alentours les œufs de Pâques. Quand on vous a dit que le Lapin de Pâques venait de passer et de déposer ses œufs en chocolat, tu avais l’air toute surprise que ce Lapin-là soit aussi rusé qu’un Lièvre pour avoir su où tu étais ce jour-là.

Vers tes trois ans, au mois de janvier, nous avons fait une sortie à la montagne pour profiter de la neige et de ses loisirs. Un soir, ton oncle Guillaume a réservé une table dans un restaurant d’altitude. Pour y arriver, il fallait marcher pendant près d’une heure, le long d’une piste de ski alpin. Il faisait un froid de canard, mais sans vent, donc supportable.

Emmitouflés comme des esquimaux, nous sommes partis la fleur au fusil ! Tu as marché pratiquement toute la montée sans rechigner, comme une vraie montagnarde. Nous les adultes, portions en plus les luges sur nos dos. Arrivés au chalet, nous avons enlevé nos doudounes, bonnets et gants pour les faire sécher près du poêle, qui ronronnait au milieu de la salle. Nous avons mangé avec appétit une croziflette. À la fin du repas, nous avons repris les luges, tu as choisi de faire la descente avec ta maman. Munis de lampes frontales, nous sommes repartis par la piste de fond, moins raide que l’alpine, car c’était un chemin forestier. De temps à autre, nous nous arrêtions pour nous regrouper et ne pas nous perdre. Mais surtout pour vérifier qu’il n’y avait pas de dameuse sur la piste, on pouvait les voir de loin la nuit avec leurs puissants phares. Après maints périples et rigolades, nous sommes revenus à notre point de départ et toi, tout ce que tu as dit c’est « Encore ! »

Quand tu as appris à skier avec les moniteurs, cela ne te plaisait guère, mais tu l’as fait, car tout ce que tu voulais c’était pouvoir skier avec tes parents. La première fois que tu as descendu une piste avec eux, tu l’as fait en chasse-neige. Bonjour les douleurs musculaires à la fin de la descente ! Depuis tu t’es drôlement enhardie, et tu vas aussi vite qu’eux maintenant.

Puis les années ont passé trop vite, avec leur lot de belles choses et de chagrin aussi. Tu es devenue une belle jeune fille, une préadolescente, avec tout le paquet de soucis et d’espoir que cela engendre. Ta rentrée au collège ne s’est pas passée comme tu l’espérais. Ce fut une année difficile. Mais tu as su prendre les difficultés les unes après les autres et les vaincre toutes. Dans la vie, d’autres obstacles se dresseront devant toi. Je ne suis pas inquiet, tu les surmonteras, tu nous as prouvé que tu pouvais le faire.

Tu t’es prise de passion pour la pâtisserie et tu réalises des gâteaux avec succès. Tu utilises parfois des ingrédients inattendus, comme des courgettes à la place du beurre pour ton gâteau au chocolat, un délice ! Ta bûche de Noël de cette année, avec ce mélange de diverses mousses aux fruits, fut un régal ! Ta persévérance au sein d’une équipe de Handball a fortifié la confiance que tu as en toi.

Aujourd’hui, tu as déjà 13 ans !

Bon anniversaire ma grande

Je suis fier de toi

Papy

Le bonhomme de neige

Tout là-haut, dans la montagne en lisière de forêt, est un petit chalet en bois à l’âge avancé ! Sa façade est ridée comme le visage d’une vieille montagnarde. Il est tout de guingois et tortueux comme un vénérable cep de vigne. Il ressemble tant à une maison de contes de fées !

Il est adossé à flanc de montagne, à l’arrière-plan, au loin des sommets aux crêtes à nu qui font songer à un nain allongé sur le dos, les bras croisés sur le ventre, dormant comme un loir. Le nom de Dormeur, comme un des sept nains compagnons de Blanche-Neige, lui va à ravir. La façade principale du chalet regarde jour et nuit sans se lasser, depuis de longues années, le sommet du Mont-Blanc et ses neiges éternelles. Entre l’arrière du chalet et les bois passe un chemin forestier, emprunté en été par des randonneurs et en hiver par des skieurs de fond.

Il est habité depuis belle lurette par Léon. Un vieil homme sans âge, dont le corps reflète les marques de la vie, comme son humble logis, affiche les stigmatiques du temps. Un vieux garçon, au visage rude, à la barbe hirsute, mais au grand cœur. Toujours prompt à rendre service, ou à entamer une conversation avec un randonneur qui lui dit bonjour en passant. Léon et son chalet, sont devenus indissociables, quand on parle de l’un, immédiatement on songe à l’autre !

Pour embellir son extérieur, il sculpte à la tronçonneuse dans des billots de sapin, toutes sortes d’animaux de la montagne. Il a même taillé, un petit bonhomme de neige, maigre comme son lointain cousin Olaf, qu’il a peint en blanc pour plus de ressemblance.

Un jour d’été, tandis qu’il s’activait dans son minuscule potager, un jeune couple, accompagné d’une petite fille haute comme trois pommes, s’arrête devant son portillon en bois, toujours fermé, menant à son chalet. Cela fait longtemps qu’il n’est plus d’aucune utilité, car il est planté là, tout seul au milieu du chemin menant à son logis, sans aucune continuité de chaque côté. Le seul reliquat d’une époque où son chalet était entièrement clôturé d’une barrière en bois. Il semble si fragile, le moindre coup de vent pourrait l’éparpiller au loin, et pourtant il résiste par miracle aux violentes bourrasques de l’hiver !

L’homme l’interpelle poliment, il ne comprend pas ses paroles, car il est un peu sourd, comme le sont toutes les personnes de son âge. Il s’approche lentement des visiteurs. Arrivée près d’eux, la petite fille à la chevelure blonde lui demande d’un air étonné.

« Pourquoi le bonhomme de neige ne fond pas ? »

Surpris par la pertinence de la question de cette petite fille, si attentif à son environnement, ne sachant pas trop quelle réponse lui faire, il hésite un peu, puis soudain il se lance.

Tu sais ma grande, depuis toujours j’ai laissé croire aux adultes que c’était un objet en bois sculpté et peint en blanc, mais à toi si curieuse, je vais te raconter la véritable histoire de ce bonhomme de neige. Écoute bien et ouvre grand tes oreilles !

Il y a très longtemps de ça, si longtemps que ma mémoire vacillante en oublie parfois des pans entiers de son histoire. Mais aujourd’hui, ta curiosité a réveillé en moi tous mes souvenirs !

En ces temps reculés, j’étais un petit garçon espiègle, guère plus âgé que toi. J’habitais ce petit chalet, qui était alors une ferme, mes parents étant agriculteurs. Je n’avais ni frère ni sœur, avec qui j’aurais pu jouer. Mon imagination débordante a compensé leur absence !

C’était l’hiver, et beaucoup de neige était tombée. Une nuit, j’ai rêvé que je façonnais un bonhomme de neige. Après l’avoir habillé d’une veste pour le protéger du froid, il est devenu mon compagnon de jeu, avec lequel je partageais désormais toutes mes journées.

Le lendemain au réveil, j’ai demandé à mon père de m’aider à réaliser mon bonhomme de neige. C’est lui qui m’a montré comment rouler une boule de neige, pour qu’elle devienne de plus en plus grosse. Mais j’avais beau m’acharner, mes boules n’avaient pas de forme et ne dépassaient pas la taille d’un ballon de foot.

Grâce aux énormes boules de mon père, le soir, un haut bonhomme de neige trônait au milieu des sapins. Il était presque aussi grand que lui. Il avait un gros nez allongé fait d’une carotte, et de grands yeux noirs en charbon.

Désormais, je n’étais plus seul ! Tous les jours j’allais le voir, parfois je lui racontais des histoires, où je lui posais des questions auxquelles je faisais moi-même les réponses. J’avais enfin un ami à qui je pouvais confier mes petits secrets, sachant qu’il n’allait pas les dévoiler.

L’hiver passa plus vite et avec moins de solitude que les autres années ! Aux premières journées de dégel, mon confident commença à maigrir.

Cela me faisait tant de peine, à le voir ainsi diminué, que j’en pleurais la nuit dans mon lit. Un jour, que le soleil du printemps l’avait tant fait jeûner, qu’il ressemblait à ce qu’il est aujourd’hui, un petit bonhomme de neige à la taille de guêpe ! Le soir avant de me coucher, assis à même le sol dans le coin le plus sombre de ma chambre, j’ai imploré toutes les fées de la montagne pour qu’elles sauvent mon ami !

Pendant mon sommeil, dans mes rêves, soudain est apparue la reine de toutes les fées, Blanche Cime. Autant son aura rayonnait d’une blancheur immaculée, autant son cœur était d’une générosité sans limites !

Avec des yeux brillants de bonté et de malice, une voix aussi douce et sucrée que le meilleur miel de montagne, elle me dit que mes prières l’avaient tant émue, qu’elle allait exaucer mon vœu. Pour cela, je devais suivre ses instructions.

Le lendemain matin, je trouverai à côté de mon ami, un petit tas de neige au pouvoir extraordinaire. Elle l’avait prélevé dans sa grotte aux trésors, nichée au creux du Mont-Blanc et dont elle seule connaissait l’entrée. Au lever du soleil, je devais enduire tout le corps de mon compagnon avec cette neige magique, ainsi il sera sauvé.

L’enchantement cesserait tout de suite, si un jour je me séparais de lui. Sinon il prendrait fin seulement le jour de mon décès, qui aura forcément lieu en plein hiver, elle seule on fixera la date ! Et au printemps suivant, mon bonhomme de neige fondra comme de la neige ordinaire.

Le lendemain, juste avant le lever du soleil, quand le froid de la nuit est encore le plus intense, j’avais déjà suivi à la lettre et en cachette de mes parents, ses recommandations !

Depuis ce moment, mon ami n’a plus jamais maigri, même d’un seul flocon de neige. Pourtant je l’ai trimballé avec moi dans mes déplacements dans le monde entier, dans des pays où parfois régnait jour et nuit une chaleur torride. Toute ma vie, je lui ai confié toutes mes peines et mes joies. Pendant tout ce temps, il est resté un ami fidèle.

Aujourd’hui que je suis revenu ici dans ma montagne pour y finir mes jours, tu vois qu’il est toujours là, content d’être revenu au pays qui l’a vu naître !

Parfois le soir, quand je sommeille devant la télévision restée allumée, réchauffé par le doux ronronnement du poêle à bois. Il frappe à ma porte et me rejoint dans mes rêves ! Prétextant que le froid du dehors lui devient pénible à supporter, vu son grand âge. Nous échangeons nos souvenirs d’enfance, ainsi que ceux de toute notre vie commune !

C’est lors d’une de ces soirées, où je m’étais endormi en regardant la télévision, qu’il a vu son homologue Olaf dans la Reine des Neiges. Prénom qu’il a tout de suite choisi pour lui, et que je dois depuis utiliser à chaque fois que je lui adresse la parole.

Depuis sa naissance, il assiste en spectateur impuissant à la destruction inexorable des neiges éternelles qui coiffent le Mont-Blanc. À la diminution continuelle du Royaume de sa mère Blanche Cime, due à la bêtise des êtres humains, qui ne pensent qu’à eux-mêmes et à l’instant présent, sans se soucier de l’avenir.

Après maintes discussions et réflexions, sur tous ces événements qui ont jalonné toute notre vie, vu notre longue amitié, il m’a supplié d’accéder à sa dernière volonté.

Il veut qu’avant mon décès, je le ramène tout là-haut au plus haut sommet du Royaume de ses ancêtres. Il veut s’éteindre au milieu de ses frères et sœurs, et des rares fées encore vivantes qui ont peuplé son enfance. Et non ici-bas, tout seul comme une âme en peine !

Je lui ai promis que je réaliserai son vœu cet hiver, quoi qu’il m’en coûte !

Toi la petite fille curieuse de tout, quand dans quelques semaines tu verras tomber les premiers flocons de neige, pense à mon ami le bonhomme de neige et à la promesse que je lui ai faite.

Tu lui souhaiteras un bon voyage. Ne t’inquiète pas, il le saura, n’oublie pas qu’il est le fils d’une noble dame aux immenses pouvoirs magiques !

Cela lui fera énormément plaisir de savoir que toi la gentille petite fille tu penses à lui.

Quand plus tard, tu seras devenue grande, tant que tu lui garderas une petite place au fond de ton cœur, il continuera à exister encore, et à veiller sur sa montagne !

Adieu, Jacques

Grand, tu ne l’étais pas par la taille, mais par le cœur ! Tu as beaucoup donné, mais peu reçu en retour.

Aujourd’hui, j’ai appris que la veille au soir tu avais cassé ta pipe !

La maladie dont tu souffrais fut une longue épreuve, qui a humilié ton corps et bafoué ton esprit.

Toi qui étais toujours la tête pleine de projets. À peine un de réalisé que déjà tu échafaudais des plans pour le suivant. L’esprit toujours en ébullition.

Tu n’as pas à avoir de regret, car tes rêves tu les as bâtis jusqu’au bout. Comme ton artiste de père a pu réaliser les siens en fuyant la dictature portugaise. Il peut être fier de toi.

Je me souviens du premier jour de notre rencontre. Il me semble que c’était hier ! Pourtant que d’années ont passé depuis !

Ce jour-là, la chaleur de ton accueil m’a réchauffé le cœur.

Pendant cette période difficile à traverser où j’étais sans emploi, le fait de venir régulièrement t’aider dans tes travaux de rénovation m’a permis de ne pas sombrer dans la facilité et l’oisiveté.

Je t’en suis redevable et t’en remercie encore aujourd’hui.

Demain, on te mettra dans le trou, façon de parler, car tu seras incinéré !

Je ne serai pas là pour t’accompagner dans ton dernier voyage, soignant au loin mes propres infirmités dues à l’âge.

Je penserai à toi, quant au feu purificateur, ton enveloppe charnelle sera donnée en offrande.

Tes cendres dispersées au vent fertiliseront la terre nourricière.

Ton esprit, par les racines de l’arbre, se répandra dans toute sa charpente, jusqu’à ses bourgeons. Là il attendra patiemment le printemps.

Au renouveau de la nature, tu y participeras de l’intérieur. Et à l’arbre tu donneras ta force pour qu’il s’épanouisse pleinement.

Au regard admiratif des promeneurs pour le beau chêne aux branches majestueuses, tu prendras ta part de fierté !

Où que tu sois maintenant. Au revoir et bon vent Jacques !

La montagne qui grandit

Mon prénom est Nagarajan, j’ai 16 ans. Je suis né au pied de la montagne qui grandit tous les jours ! Je vis dans une cahute faite de bric et de broc, une seule pièce avec un toit fait de tôles rouillées, de plastique et de bois. Bien sûr, sans eau, ni électricité, ni sanitaire. Dans cet immense bidonville au sud de DELHI, grouillant de gens, plus pauvres les uns que les autres. Un échantillon de tous les miséreux de l’Inde regroupés en ce lieu.

Avant que la montagne fasse son apparition, c’était une belle région. Elle était verdoyante, avec au centre un grand lac poissonneux qui apportait un complément alimentaire aux paysans occupant les terres arables qui leur avaient été attribuées par Gandhi. Ils y élevaient des buffles femelles pour approvisionner la ville en lait. Ils n’étaient pas riches, mais ils mangeaient à leur faim.

Mes parents, avant ma venue, faisaient partie de la caste des Intouchables, ils étaient jugés trop impurs pour se mêler aux autres. Ils vivaient dans cette autre région de l’Inde, une des plus pauvres d’entre toutes. Ma mère, munie d’un simple panier d’osier, vidait à mains nues, les fosses septiques des notables des autres castes. Mon père était, lui, chasseur de rats. Il les rapportait à la maison et les faisait griller pour le repas du soir.

Avant ma naissance, ils ont fui cette vie dégradante et humiliante. Ils sont venus s’installer aux portes de la grande ville, DELHI, espérant une vie meilleure.

Au début ce fut difficile, mais ils avaient foi en l’avenir ! Quand la montagne a surgi de terre et commencé à croître, elle leur apportait un petit revenu, pas grand-chose, mais suffisant pour que la crainte du lendemain disparaisse un peu.

Mais aujourd’hui, c’est devenu un monstre qui engloutit tout autour de lui, la terre et les hommes !

Tous les jours de la semaine et toute l’année, tôt le matin, bien avant le lever du soleil, mon père et moi, quittons nos couches à même le sol et déplions péniblement nos membres encore meurtris de fatigue. Après avoir mangé une boulette de riz, si ma mère a pu en acheter la veille avec nos maigres revenus, sinon nous partons le ventre vide. À travers la nuit noire et les ruelles sordides de notre quartier, jonchées de détritus et de déchets de toutes sortes, nous atteignons le pied de la montagne.

Aux premières lueurs du jour naissant, la montagne nous apparaît dans toute sa nudité. Sans aucun arbre, ni végétation, pas la moindre portion de terre ou quelques végétaux auraient pu s’accrocher et s’épanouir. Pourtant, elle continue de croître quand même. Une multitude de camions l’alimentent jour et nuit. Leur incessant va-et-vient a formé un chemin en lacet qui monte jusqu’au sommet.

Nous sommes maintenant des centaines de pauvres bougres, hommes, femmes et enfants, vêtus de haillons informes, à l’escalader en suivant le bord de la piste. Risquant à tout moment l’accident. Se faire écraser par un camion ou être précipité dans le vide par l’un d’entre eux. Parfois, les chauffeurs ne s’arrêtent même pas. Nous ne sommes rien pour eux, à peine des fantômes ! Je suis certain, qu’ils ont plus de compassion pour un animal qu’ils écrasent, que pour nous ! Et si c’est une vache sacrée qui apparaît dans le faisceau des phares, ils feront tout pour l’éviter, quitte à se jeter avec leur camion dans le vide, plutôt que de la blesser.

Être vivant en arrivant au sommet est un soulagement pour chacun ! Voir le soleil inondé de sa lumière, la plaine à nos pieds, est le seul instant de plaisir au milieu de cet enfer !

Devant nous, s’étend un grand plateau ou des dizaines de camions poubelles déversent en même temps, toutes les ordures de la ville. Entre ceux qui arrivent et ceux qui repartent, c’est un carrousel diabolique sans aucune règle. Les moteurs rugissent et vocifèrent comme des démons, en répandant leurs gaz nocifs, qui forment parfois un brouillard en pleine journée. Un danger supplémentaire pour nous. Mourir en voyant surgir du néant, deux globes lumineux au regard indifférent, quelle fin horrible !

Nous les pauvres hères, de toutes les castes inférieures, nous traînons toute la journée dans cet air pestilentiel, qui imprègne nos hardes et nos corps, sans jamais nous quitter. À mains nues, nous fouillons inlassablement les entrailles de cette bête immonde, à la recherche du moindre élément revendable, notre seule source de revenus !

Nous portons au pied, de simples semelles faites avec le caoutchouc de vieux pneus, attachées avec des bouts de ficelle. À chaque instant, des éclats de verre ou des morceaux de métal terrés au milieu de ces détritus, comme des bêtes sournoises et malsaines, peuvent blesser nos pieds et entailler nos mains. Content quand ce n’est qu’une écorchure, bien qu’elle puisse s’infecter gravement, à cause de toute cette pourriture dans laquelle nous pataugeons.

Parfois quand les trouvailles se font rares, nous nous bousculons à l’arrière des camions, pour avoir la meilleure place quand ils déversent leur contenu, au risque de se faire ensevelir par le chargement ! La mort rôde partout. Elle est notre compagnon de tous les jours, presque une amie. Au point d’être une délivrance espérée par certains.

Hier encore, nous trouvions des métaux à récupérer, comme des canettes en aluminium, des boîtes de conserve en tôle étamée, des capsules, etc. De quoi gagner parfois quelques euros. Une misère pour vous autres les nantis, mais pour nos familles, la possibilité de pouvoir manger plusieurs jours de suite à sa faim, et la certitude de se coucher le soir l’estomac rassasié.

Aujourd’hui, que les dirigeants de la ville ont instauré un début de tri sélectif, le ventre des camions ne rejette plus que les immondices ménagères de la population.

Nous ne récupérons plus que quelques bouts de plastique. Douze à quatorze heures, à retourner et triturer des rejets de plus en plus infects, pour remplir un sac de plastique, payer quelques centimes !

Nos fronts sont marqués au fer rouge du mépris. Ce n’est même plus de la charité, mais un génocide inavouable !

Une loi, votée par les institutions, a ordonné la fermeture de la montagne. Mais en réalité, elle continue à grandir tous les jours, alimentée par la corruption de certains privilégiés, assis sur leur bas de laine et n’ayant que du dédain pour nous autres.

Au pied de la montagne s’écoulent des liquides noirs et visqueux comme les ténèbres des enfers. Ils se répandent dans certaines ruelles, apportant la mort avec elles. Ils sont chargés de toutes sortes de poisons et métaux lourds, et ont pollué la nappe phréatique sur des centaines de mètres de profondeur.

À la saison de la mousson, la pluie s’infiltrant à travers la montagne se déverse ensuite à travers tout le bidonville. Ce sont autant de petits ruisseaux qui polluent et infectent tout sur leur passage. Quand enfin elle cesse et que le soleil réapparaît, tous les trous des ruelles forment de petites mares remplies d’un liquide purulent. Le bidonville ressemble à un corps parsemé de pustules noires.

Il n’y aura que le pauvre Kamal, né avec des malformations physiques et mentales, pour s’ébattre dans ces mares boueuses, avec un plaisir certain, inconscient des risques qu’il encoure. Et on dit « Bienheureux les pauvres d’esprit ». J’ai honte !

Nous sommes tous atteints, à des degrés divers, par toutes sortes de maladies des voies respiratoires et digestives, de problèmes de peau, jusqu’au jour où le cancer vous terrasse.