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"Rencontres inattendues sur le chemin de Compostelle" relate les témoignages et réflexions de pèlerins rencontrés par Dominique lors de son voyage vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ce récit captivant et parfois troublant incite à remettre en question vos habitudes et votre manière de vivre, tout en proposant des pistes pour construire ensemble un monde plus juste, en harmonie avec la nature et moins dominé par l’argent.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dominique Mison, doté d’une curiosité et d’une ouverture d’esprit remarquables, ressent le désir profond de rendre service et d’inspirer les générations plus jeunes. Son inspiration provient notamment des nombreux pèlerins rencontrés lors de son chemin vers Compostelle, et il a écrit ce livre pour encourager les autres à suivre leurs traces, à la recherche d’un monde meilleur et plus équitable.
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Seitenzahl: 393
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Dominique Mison
Rencontres inattendues
sur le chemin de Compostelle
© Lys Bleu Éditions – Dominique Mison
ISBN : 979-10-422-2818-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Commencez par changer en vous, ce que vous voulez changer autour de vous.
Gandhi
Soixante-cinq ans, marié, deux enfants et deux petits-enfants, je suis à la retraite depuis quelques mois. Je me suis installé avec ma femme, Patricia, à La Rochelle, ville où elle est née et a passé toute sa jeunesse. Elle me dit que je suis du genre hyperactif. Ce qui doit être vrai, car j’ai tendance maintenant à tourner en rond. J’aimerais faire quelque chose d’utile, à la fin de cette période de pandémie qui nous a tous pris au dépourvu et déstabilisés. Je me décide donc à recontacter mes anciens camarades qui ont fait leurs études d’ingénieur avec moi à Toulouse. Tous ou presque sont déjà d’anciens retraités. Ils ont retrouvé des occupations, ne serait-ce qu’avec leurs petits-enfants et ont des projets de voyages dans des pays lointains.
Cette idée de partir en voyage ou de faire une croisière ne nous passionne guère Patricia et moi. D’abord, la France est belle et mérite d’être connue, alors pourquoi partir si loin ? Peut-être aussi sommes-nous comme ces Suédois qui n’utilisent plus les transports aériens pour lutter contre le réchauffement climatique ? C’est vrai que pour celui qui lit le journal, ou écoute les journaux télévisés, les mauvaises nouvelles sur le devenir de la planète affluent tous les jours. Le rythme des catastrophes semble même s’accélérer. Et pour beaucoup, la pandémie que nous venons de vivre, n’est que la conséquence de notre comportement sur la Terre. Mais je ne veux pas tomber dans le catastrophisme, ou la peur, parce que ce n’est pas mon genre et que cette dernière est souvent mauvaise conseillère.
C’est donc en pleine réflexion autour de ces questions liées à l’écologie, que je téléphone à l’un de mes anciens amis d’école, José. Il est à la retraite depuis quatre ans et habite la région toulousaine.
Je lui explique mes projets et mes questionnements…
J’ai entendu parler de ce Chemin qui suit la côte cantabrique et sans trop réfléchir, je réponds avec enthousiasme « Ah, oui, ça me plairait ! » C’est le bol d’oxygène que j’attendais inconsciemment. J’en parle à ma femme. Elle m’encourage à accompagner José :
Je rappelle donc José le lendemain et lui confirme mon « oui » de la veille. Me voilà donc lancé dans l’aventure. Nous convenons de partir d’Hendaye. Pour la date de départ, on parle de la dernière semaine de septembre. C’est bien. Cela me laisse pratiquement trois mois pour me préparer physiquement. Ce devrait être suffisant, car j’ai toujours aimé bouger et je n’ai jamais rechigné devant l’effort physique, que ce soit pour jardiner, couper du bois, bricoler ou faire du sport, en particulier de la montagne et du vélo. J’ai donc conservé une allure plutôt svelte, n’ai à souffrir d’aucune maladie, et n’ai nul besoin de perdre du poids. Remuscler mes jambes (mes quilles, devrais-je dire, car elles sont grandes et guère épaisses) et entraîner mes pieds à la marche me paraît toutefois absolument nécessaire. Je tiens en effet à m’éviter les courbatures le soir et les ampoules qui peuvent faire affreusement mal, pour profiter au mieux du pèlerinage et ne pas ralentir mon ami.
Ce délai est aussi l’occasion de me documenter. Mes lectures, notamment celles sur Internet, et les conseils de mon ami, m’indiquent dans le détail tout ce qu’il faut faire : poids maximum du sac à dos, affaires essentielles à emporter, comment choisir ses chaussures de marche, entraînement préalable… À la limite il y a trop d’informations et celui qui n’a aucune expérience, risque d’avoir du mal à choisir son matériel. Pour ne prendre qu’un exemple, celui de la protection contre la pluie : il y a les partisans du grand poncho qui recouvre le sac à dos et les bras, mais bat dans les jambes, et les partisans inconditionnels de la veste imperméable associée à un couvre sac étanche qui laisse libre les bras, mais protège mal le bas du corps. Heureusement mon idée est déjà faite là-dessus et je choisis le poncho léger, en matériau semi-respirant, facile à enfiler et à enlever.
Je prends contact aussi avec l’Association des Amis de saint Jacques. Elle tient ses permanences à La Rochelle, dans l’église Saint-Sauveur. J’y rencontre d’anciens pèlerins, dont certains sont allés plusieurs fois à Saint-Jacques ! Je les sens tous passionnés et prêts à repartir. Je suis impressionné par l’énergie et la volonté qu’ils dégagent. Ils me donnent de nouveaux conseils et me remettent la fameuse crédentiale2, l’indispensable passeport qui doit être tamponné tous les jours dans les auberges où nous dormirons. Ce document permet d’authentifier de manière chronologique le passage en divers points du Chemin, justifie le statut de pèlerin et prouve à l’arrivée à Saint-Jacques-de-Compostelle que plus de cent kilomètres ont été parcourus à pied. Sur présentation de la crédentiale, le pèlerin peut alors demander la « Compostella ». C’est un document écrit en latin et avec de belles enluminures qui atteste que son porteur a bien accompli le pèlerinage.
C’est aussi à ce moment-là que naît en moi l’idée de profiter de ce voyage à pied pour rencontrer des gens et recueillir leur témoignage sur ce qu’ils ont à cœur. J’en parle au téléphone à mon ami. Il est dubitatif, car l’idée lui paraît difficile à réaliser :
Je suis un peu déçu… Mais il me rappelle le lendemain matin avec un brin d’excitation dans la voix :
Me voilà gonflé à bloc. Cela m’incite à m’entraîner à utiliser la fonction enregistrement sonore de mon téléphone portable. Il sera également parfait pour prendre des notes écrites et bien sûr des photos.
Je fais aussi la liste de ce que je dois emporter, avec pour objectif de ne pas dépasser un total de dix kilogrammes sur mon dos, poids du sac compris. Je suis aussi sélectif que possible : pas de rasoir électrique bien sûr, une moitié de pain de savon de Marseille dans une boîte étanche pour la toilette et la lessive, un tube de dentifrice à moitié utilisé…
Dans le même temps, je commence à m’entraîner à la marche en faisant toutes les courses en ville à pied et je rayonne de plus en plus loin dans la campagne autour de chez moi. Je découvre ainsi que la marche n’est pas si facile que ça et qu’elle requiert beaucoup de temps : quinze kilomètres nécessitent près de trois heures !
Mes chaussures étant de simples « baskets » vieillissantes, je me décide un mois avant de partir, à m’équiper avec un modèle taillé pour la marche et la randonnée. Je choisis une paire solide et confortable en cuir, avec tige basse, dotée d’une membrane intérieure imperméabilisante et respirante et bien sûr, d’une semelle absorbante bien crantée. J’essaye les chaussures l’après-midi même le long du canal de Marans. Mais cette sortie est un échec cuisant, c’est le cas de le dire : non content de devoir écourter la balade que j’espérais plus longue que les autres, j’ai de grosses ampoules en revenant à la maison ! J’alerte aussitôt José, car mon entraînement immédiat semble compromis. Il a oublié de m’en parler, mais il connaît bien le problème :
Me voilà donc contraint quelques jours au repos forcé, mais grâce à la crème je peux vite reprendre la marche d’entraînement avec comme objectif prioritaire de faire mes nouvelles chaussures à mon pied, à moins que ce soit l’inverse ! Toujours est-il qu’à la fin, je me sens suffisamment prêt pour faire coup sur coup deux étapes du chemin de Saint-Jacques entre La Rochelle et Saintes, avec l’assistance de ma femme qui me retrouve pour le pique-nique de midi, et me récupère le soir. Je suis content : le test est une réussite !
Quelques jours avant le départ, j’achète enfin des vêtements ultralégers, qui sèchent rapidement et que j’utiliserai chaque jour alternativement : deux tee-shirts, deux shorts et deux slips. Et pour le cas où ma lessive ne parviendrait pas à sécher dans la nuit, je prévois un portemanteau léger en fil métallique quel je pourrai accrocher sur le dessus du sac à dos.
Voilà, je crois que j’ai pensé à tout et je suis maintenant prêt à partir.
Être homme, c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère qui semblerait ne pas dépendre de soi.
Antoine de Saint-Exupéry,Terre des hommes
Ma nuit a été assez agitée, passée à vérifier sans arrêt le contenu du sac à dos dans mes méninges, comme si j’avais oublié quelque chose d’important. J’ai tenu à partir de la maison à pied pour rejoindre la gare. Ma femme m’accompagne pour ces trois premiers kilomètres. Le soleil n’est pas encore levé et l’on voit encore Vénus dans le ciel, gage d’une belle journée. Nos adieux à la gare, devant quelques témoins curieux, me font prendre conscience du caractère insolite de ma démarche. Nous nous souhaitons tout le meilleur et je promets de rester tous les jours en contact par téléphone et d’envoyer des photos.
Aussitôt le train parti, je suis bercé par le clac clac régulier des roues d’acier sur les rails. J’arriverai à Hendaye un peu avant treize heures et j’y retrouverai José et son fils Clément, qui eux arriveront en voiture depuis Toulouse. Clément a eu envie de faire les deux premières étapes avec nous et il ramènera la voiture. Je relis les derniers messages d’encouragement des enfants et des amis sur mon téléphone. Je réponds que je viens de partir et que je penserai bien à eux durant tout le voyage. Je sens confusément que ce départ représente une remise en question, peut-être une quête de vérité, en tout cas une page blanche où tout est à écrire…
Le soleil se lève à peine. Je guette le bord de mer du côté de Chatelaillon-Plage, puis la traversée des marais avant Rochefort. Des hérons et une cigogne s’envolent lentement à notre passage et vont se poser plus loin au bord d’un canal à demi enfoui sous la végétation. Nous ne devons être que quatre ou cinq dans tout le wagon, alors qu’il y a de très nombreuses voitures sur la route à quatre voies que j’aperçois par la fenêtre.
Nous n’avons pas encore bien compris le message du Covid, me dis-je. Les vieux réflexes reprennent vite le dessus !
En fonction des rayons du soleil qui entrent dans le wagon et de l’ombre dans l’arrière-plan, la vitre du train renvoie le temps d’un éclair mon image. Je l’avoue, je trouve celle-ci plutôt sympathique. Mes yeux marron clair avec des paillettes de vert et encadrés par des sourcils bien noirs semblent regarder dans le lointain. Certains amis disent que j’ai le regard bienveillant. C’est vrai qu’en général les gens aiment bien se confier à moi. Bien sûr, impossible de cacher que je suis allé hier chez le coiffeur ! Cette coupe courte me donne un air plus jeune, surtout avec mes lunettes de soleil que je viens de poser sur mon nez. Pour un peu je croirais que mes cheveux sont restés noirs et n’ont pas blanchi ces dernières années. J’ai l’impression aussi d’avoir le teint cuivré et parfaitement hâlé d’un véritable explorateur. Mais je constate un tantinet déçu que cet effet seyant provient de la lumière réfléchie par mon tee-shirt rouge sur mon visage ! Bon, mais n’exagérons rien, j’ai la peau naturellement mate et relativement bronzée grâce aux entraînements de marche tout récents.
Le bras appuyé sur mon sac à dos posé à côté de moi, mon esprit finit par vagabonder et mes yeux se ferment par moment puis se réouvrent, afin de contempler la campagne qui défile.
Bordeaux, la gare est pleine de vie : du monde en tous sens, des bruits de pas, des valises que l’on traîne, des trains qui arrivent ou repartent. L’animation de la gare succède à la douce torpeur qui avait envahi le wagon depuis La Rochelle. Je recherche dans le passage souterrain le quai d’où partira mon train pour Hendaye. J’approche de l’escalier, mais un autre train vient d’arriver et délivre ses flots de passagers qui déboulent sur moi alors que je m’apprête à monter pour rejoindre le quai. Je me sens aussitôt entraîné à contre-courant par la meute des plus pressés. Heureusement, j’ai plus d’un quart d’heure de battement. Donc pas de panique. J’en profite pour observer cette foule qui avance comme par automatisme, mue par je ne sais quels objectifs. L’espace d’un instant, je me revois à Paris lorsque j’allais au travail le matin. Je ne faisais sans doute pas mieux.
Sur le quai, le train vient d’être positionné. Les cheminots s’affairent encore. Oui, c’est bien le train pour Hendaye et Irun. Je m’y installe et j’observe à travers la vitre, le manège et les mimiques des personnes qui passent sous mes yeux. Une jeune femme à cheveux longs et jean moulant attire mon attention. Elle téléphone en parlant très fort comme si elle était seule sur le quai. Je n’entends pas tout ce qu’elle dit, mais je comprends à ses allées et venues saccadées, aux mouvements de sa tête et aux gestes de ses mains, qu’elle n’est pas contente. Visiblement, elle en veut à quelqu’un et manque de peu de louper notre train qui s’ébranle maintenant. Heureusement, elle ne vient pas dans ma direction et sa conversation s’estompe dans le frottement des roues d’acier sur les rails. Alors que je pense que je vais voyager seul dans mon carré, débarque en face de moi un sportif « Quechua » que je n’avais pas aperçu sur le quai. C’est comme ça que je m’amuserai à appeler ces personnes jusqu’à Saint-Jacques. J’en fais aussi partie, je le reconnais volontiers. Mais lui, c’est le top ! Il s’est visiblement équipé de pied en cap chez Décathlon : ses vêtements, sa casquette, ses chaussures, ses chaussettes, son sac à dos, ses bâtons de marche, tout y est !
Pas besoin de lui poser des questions, la discussion s’enchaîne aussitôt. Il est intarissable et j’apprends tout ou presque de sa vie. Il s’appelle Cédric et part comme moi pour Saint-Jacques-de-Compostelle. Le monde est petit ! Il a vingt-cinq ans et vient de la région d’Angoulême. Il me raconte qu’il est cuisinier et qu’il se trouve entre deux contrats de travail, l’un l’été sur la Côte d’Azur et l’autre l’hiver, dans une station de ski. Entre les deux, il prend des vacances. Il aime cette vie tout en alternance et ce travail varié dans des régions complémentaires, avec des gens différents. Un peu plus grand que moi, il doit mesurer un mètre quatre-vingt-cinq, mais paraît beaucoup plus costaud. Visage bronzé, yeux foncés et portant le bouc rebelle, il est taillé comme un sportif. Il m’explique qu’il compte avaler de longues étapes. Il n’a jamais fait de grandes randonnées, mais a l’expérience de l’endurance, car il a déjà couru deux marathons. Il est chaussé d’ailleurs de trainings de course à pied, qui tranchent par leur couleur vive et leur légèreté apparente avec mes chaussures de marche bleu marine, qui tout d’un coup me paraissent bien lourdes ! Je repense un instant aux nombreux conseils débités sur Internet sur le choix des chaussures et je me dis que j’aurais peut-être dû suivre son exemple.
Quand je lui dis que suis à la retraite depuis quelques mois, ses yeux me balayent de haut en bas et expriment clairement qu’à mon âge ça va être très dur d’aller jusqu’à Saint-Jacques. Je reste souriant et garde un air amusé, mais j’ai dû sans le vouloir tiquer de surprise, car il s’enferre et tente maladroitement de se rattraper en m’expliquant que je parais tout de même bien conservé et qu’en y allant progressivement, je devrais avoir plus de chance d’y arriver. Il ajoute, au cas où je n’aurais pas bien compris, que jamais ses parents, n’iraient à Compostelle !
Cédric acquiesce d’un air apparemment connaisseur.
Sans doute à voir mon air intrigué, il rajoute :
Comme si je n’avais pas compris, je répète :
Là, j’ai bien l’impression qu’il me voit comme un bourge en quête d’aventures sportives. Quelque peu piqué au vif, je lui réponds :
Il me lâche alors de manière inattendue :
À voir sa tête, on dirait que j’ai dit une énormité.
Il s’agite de plus en plus. J’essaye une diversion :
Silence. Je sais bien qu’il a raison. J’ai lu aussi la même chose sur la durée des ressources d’uranium. Pourtant je lui demande :
Nouveau silence. Cédric me fait penser à un professeur que j’avais eu au collège. La pression qui l’animait il y a quelques secondes encore semble s’être volatilisée, mais j’ai compris ce qu’il voulait exprimer : il n’y a pas de solution évidente et toute faite à la crise de l’énergie qui se profile. Malgré moi, je lui demande encore :
Satisfait de son bon mot, il attrape un sandwich et une bouteille d’eau dans son sac à dos posé devant lui. Il mastique consciencieusement et avale régulièrement une gorgée d’eau. Je ne peux résister au plaisir de le taquiner en lui demandant, pourquoi son eau est dans une bouteille en plastique.
Nous nous quittons un peu plus tard sur le quai de la gare à Hendaye en nous souhaitant « buen camino ». Quel personnage ! Il est pressé de partir. Il n’est pas évident que nous nous retrouvions, car ce soir il prévoit de dormir déjà à San Sebastian, soit nettement plus loin que là où José et moi pensions faire halte.
Justement, José vient de m’appeler au téléphone. Clément et lui ont pris un peu de retard sur la route et arrivent d’ici un petit quart d’heure.
La gare s’est vidée et j’attends sur le quai de la gare, assis sur un banc en bois. Soudain les voilà, sac sur le dos, casquette sur la tête et bâton à la main. José et son fils Clément avancent dans ma direction et me font signe. Embrassades, tapes dans le dos. Salut frère Jacquet ! Ces retrouvailles me font chaud au cœur et promettent un pèlerinage extraordinaire. On se photographie pour immortaliser le moment. Sourires éclatants. José est un grand gaillard qui, avec son mètre quatre-vingt-cinq, me dépasse assez largement. À quelques mois près, nous avons le même âge. Il a la chevelure grisonnante, courte, bien fournie. Il est comme moi, la calvitie ne le guette pas ! Prévoyant, il est allé lui aussi chez le coiffeur juste avant de partir. Signe distinctif, il porte une grande moustache et une barbichette à la d’Artagnan, assorties toutes deux à la couleur de sa tignasse. Clément, 32 ans, est bâti sur le même modèle. Mais lui se rase tous les jours. En le regardant, je revois son père lorsque nous faisions nos études d’ingénieur à Toulouse, lui dans le génie civil et moi dans le génie biologique. Comme le temps passe ! À cette époque nous étions à mille lieues de penser faire ensemble le pèlerinage de Saint-Jacques.
Comme convenu, nous profitons du moment de nos retrouvailles pour manger ensemble notre casse-croûte. Entre deux bouchées, José nous conseille une habitude qu’il avait prise lors de son précédent pèlerinage :
Nous acquiesçons Clément et moi. Nous discutons aussi des dernières nouvelles de nos familles, du temps, de tout et de rien. Mais nos jambes semblent agacées d’attendre. Nous bouclons nos sacs à dos et partons enfin en direction du refuge pour pèlerins de Pasaia Donibane où nous avons prévu de passer la nuit.
C’est un plaisir de pouvoir enfin marcher sur ce Chemin mythique où sont passés avant nous tant et tant de pèlerins. Nos bâtons de marche chantent en frappant le sol. Malgré le poids du sac à dos, nous nous sentons tout légers et notre pas est alerte. Nous marchons tantôt à trois de front, tantôt en file indienne, tantôt en formation triangulaire : deux devant et un derrière ou l’inverse. Le Chemin est bien balisé à l’aide de marques de peinture de couleur jaune ayant souvent la forme d’une flèche. Heureusement, sinon nous aurions dépassé plus d’une fois une bifurcation sans nous en rendre compte, tellement la discussion nous absorbe.
Bientôt une heure que nous marchons. Nous sommes sortis de la ville d’Irun et nous montons vers la montagne de Jaizkibel. Petit à petit, nous prenons de la hauteur. La baie d’Irun et d’Hendaye apparaît dans son ensemble, soulignée par la fin de la chaîne des Pyrénées. Nous traversons maintenant des châtaigneraies et pouvons profiter de l’ombre des arbres. Nous foulons du pied de nombreuses bogues encore pleines qui jonchent le sol. Si nous avions de quoi faire cuire toutes ces châtaignes ce soir, nous pourrions en ramasser et nourrir du monde !
Je parle à Clément de mon projet de recueillir les témoignages des personnes rencontrées tout au long du chemin de Saint-Jacques.
Je lui explique que j’avais choisi à l’époque l’option biotechnologie et que je n’ai jamais regretté ce choix. J’ai ensuite travaillé pendant plus de quarante ans dans l’industrie. Je suis d’abord parti presque deux ans à Cuba pour produire de la levure, un aliment particulièrement riche en protéines, à partir de résidus de canne à sucre. Cela se faisait dans d’immenses bioréacteurs. Puis je suis revenu en France où j’ai continué à faire de la fermentation industrielle avec des bactéries et des champignons microscopiques qui produisaient des vitamines, des antibiotiques ou des enzymes industrielles et alimentaires. J’ai aussi participé au développement de la biotechnologie végétale pour produire une protéine destinée à soigner une maladie génétique. Et enfin je suis reparti dix ans à l’étranger pour produire, grâce à des cellules animales transformées génétiquement, des facteurs sanguins destinés à traiter l’hémophilie.
Clément, lui, travaille dans l’aéronautique. Il m’explique que ce secteur en plein développement est en questionnement depuis la Covid :
Notre discussion prend un tour pessimiste que je ne voulais pas, d’autant plus que le paysage autour de nous est magnifique. Notre rythme de marche a sensiblement diminué. Est-ce le début de la fatigue ? Je change de sujet en lançant une question :
Je parle bien sûr des ours réintroduits depuis plusieurs années dans les Pyrénées, car je sais que Clément a fait un stage il y a trois ou quatre étés dans une association de protection de la nature qui a pour but d’assurer le maintien de l’exploitation pastorale et de l’écosystème pyrénéen.
Nous finissons par arriver au village de Pasaia Donibane au terme d’une longue descente éprouvante pour les cuisses. Mais le refuge pour les pèlerins se trouve sur un piton tout en haut du village. Il faut donc encore faire l’effort de remonter des escaliers raides pour y parvenir. Les derniers rayons de soleil nous accueillent sur la terrasse du gîte. De là-haut la vue sur le petit port et les toits du village nous inciterait à rêver, mais il n’en est pas question. Le refuge est presque complet. La responsable veut voir nos crédentiales. Gros problème : Clément a omis de se procurer le sésame avant de partir !
La dame semble inflexible malgré nos mines déconfites…
Heureusement, en fouillant dans la paperasse recouvrant son bureau, elle finit par trouver une crédentiale vierge de l’association locale des pèlerins de Saint-Jacques et Clément s’acquitte du paiement du précieux document.
Le sourire revient ! La gardienne des lieux nous attribue les lits et nous fait visiter les coins douches, toilettes et buanderie en insistant sur les différentes consignes à respecter.
Donc le moment n’est pas à la rêverie : douche, lessive, changement de tenue, préparation du lit. La lessive n’est pas la moindre des tâches. La plupart du temps, il faudra la faire à l’eau froide. L’essentiel est ensuite de bien essorer le linge pour qu’il ait quelque chance de sécher pendant la nuit. Ce soir, une petite centrifugeuse qui retire rapidement le maximum d’eau de notre linge nous facilite la vie. Il faut ensuite bien l’étendre. Et là, il faut rivaliser d’imagination pour trouver les endroits adéquats, car les quelques fils à linge présents dans la buanderie sont déjà saturés…
Une heure plus tard, nous redescendons les marches vers le bas du village. Nous réalisons quelques emplettes dans une épicerie, en prévision de la marche de demain. Puis nous pouvons enfin aller manger et reprendre des forces.
Le premier restaurant que nous trouvons paraît plutôt sympathique et nous y apercevons plusieurs pèlerins croisés tout à l’heure au refuge. Il propose effectivement le menu du pèlerin, un peu moins cher que le menu classique, et qui garantit d’être rassasié en sortant. Au cours de notre pèlerinage, nous retrouverons pratiquement tous les soirs le même type de menu comprenant une soupe de légumes, des pâtes ou des frites avec des œufs ou de la viande et un dessert, souvent une crème ou du riz au lait.
Aussitôt attablés, José et Clément commandent une bière et la savourent comme un don du ciel. Je choisis quant à moi un jus d’orange naturel délicieux et revigorant. Le repas comble notre faim à défaut d’être parfaitement équilibré. Une douce torpeur nous gagne. Nous rejoignons notre gîte avant l’heure fatidique. Il fait nuit. Les marches nous semblent encore plus hautes que tout à l’heure. Nous ne parlons plus.
À l’intérieur de l’auberge, la lumière est éteinte et tout le monde semble dormir. Nous nous couchons donc en silence et à tâtons pour notre première nuit sur le chemin de Saint-Jaques. Les yeux fermés, je passe en revue cette riche journée. Je repense à la question provocante de Cédric ce matin « Et l’électricité viendra d’où ? » Oui c’est vrai, il n’y a pas de magicien. Pourtant j’ai l’impression que l’on agit comme si l’énergie à profusion était un dû de la nature. Comme si chacun de nous était propriétaire d’un grand lac de montagne et d’une haute cascade pour produire toute l’énergie dont il a besoin… Je finis par m’endormir saoulé par cette première journée de marche avec l’image d’un ourson paisible qui gambade et joue au milieu d’un troupeau de moutons au bord d’un étang sauvage d’Ariège.
L’amour pour la nature est le seul qui ne trompe pas les espérances humaines.
Honoré de Balzac
Ce matin en me réveillant, je me dis tout heureux, mais avec une pointe d’inquiétude, « ça y est, j’y suis. Le Chemin va vraiment commencer… ». Cependant, la douce quiétude dans le duvet ne dure guère et déjà les premiers pèlerins se lèvent, rassemblent leurs affaires, partent aux toilettes. Il y a toujours un truc qui fait du bruit : une gourde d’eau que l’on ouvre, un couteau qui tombe par terre, ou une poche plastique que l’on plie ou déplie. Inutile d’espérer gagner encore quelques minutes de sommeil : c’est fini. Il n’y a plus qu’à se lever ! D’autant plus qu’il ne faut pas traîner, car le refuge doit être libéré d’ici une heure au plus tard.
Il est bientôt huit heures et la plupart des marcheurs sont déjà partis. Nous sommes les derniers avec un jeune couple d’Espagnols et une Allemande, la cinquantaine à peine. Elle est élégante dans une tenue sport très chic, couleur fluo. Elle a les cheveux noirs, peignés de façon impeccable en queue-de-cheval, le contour des yeux maquillés et les ongles vernis. Elle me surprend. Quand a-t-elle eu le temps de se préparer ainsi ?
La descente des marches jusqu’au village s’effectue sans peine, preuve que la nuit a été réparatrice. Nous dénichons près du port un bar déjà ouvert et avalons notre petit-déjeuner. Puis nous embarquons sur le bateau navette qui nous emmène pour une courte traversée, de l’autre côté du petit estuaire. Nous y retrouvons nos deux tourtereaux. Ils ne nous remarquent pas davantage que la jolie vue sur le vieux village de Pasaia Donibane blotti au-dessus de son petit port de pêche.
Le Chemin, toujours parfaitement balisé, nous amène à San Sebastian en longeant la côte rocheuse abrupte et sauvage, parsemée de pins maritimes et de landes sauvages. L’arrivée en ville constitue un gros contraste. La circulation y est dense. Il y a encore beaucoup de touristes, surtout sur le boulevard front de mer qui longe les deux magnifiques plages de sable fin qui sont la fierté de la ville. Nous détonnons au milieu de cette foule insouciante et colorée avec nos sacs à dos, nos grosses chaussures déjà boueuses et nos bâtons de marche. Nous profitons d’un banc et de la belle vue sur la baie pour nous arrêter et manger un peu. Des touristes plus curieux que d’autres nous demandent où nous allons. Pour un peu ils nous prendraient en photo tellement nous sommes insolites sur ce beau boulevard. L’un d’entre eux nous avoue dans un français assez bon, qu’il aimerait bien faire comme nous. José lui répond du tac au tac :
Rire gêné du touriste :
Sa femme, justement, la voilà. Elle a compris et s’esclaffe en le poussant vers nous en disant :
José insiste lourdement, lui passe son bâton de marche et fait mine de lui donner son sac à dos. La femme rit de plus belle. Elle nous photographie et nous en faisons de même de notre côté. Je demande plus sérieusement au mari ce qui l’attire dans ce pèlerinage. Il cherche ses mots et me dit :
J’acquiesce en laissant tomber mes bras :
Il adore ce genre de situation. Je ne sais jamais s’il est vraiment sérieux. Il me fait penser un peu au Capitaine Haddock dans les aventures de Tintin. Il continue :
Nos deux touristes sont quelque peu interloqués et ne savent pas s’ils doivent rire ou rester sérieux. Alors ils rient jaune et prétextent un rendez-vous important pour nous dire au revoir.