Rêve étrange sous l’équateur - André Claude Mallet - E-Book

Rêve étrange sous l’équateur E-Book

André Claude Mallet

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Beschreibung

Soldat aguerri de l’armée française, Alban pensait avoir définitivement tourné la page après des années de service exemplaire. Pourtant, le destin en décide autrement lorsqu’un ancien colonel fait de nouveau appel à lui pour une mission singulière au Gabon : traquer un voleur de bijoux et l’extrader en France. Entre filatures méticuleuses, négociations sous haute tension et traversée des contrées les plus inaccessibles d’Afrique, Alban devra mobiliser toute son expertise militaire pour mener à bien cette opération. Parviendra-t-il à déjouer les embûches et réussir cette mission, sans doute la plus risquée de sa carrière ?

 À PROPOS DE L'AUTEUR 

L’écriture a toujours été un pilier central dans la vie d’ André Claude Mallet. Après avoir consigné de nombreuses notes, notamment lors de ses séjours en Afrique, il choisit de les partager à travers "Rêve étrange sous l’équateur".

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Seitenzahl: 550

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Couverture

Page de titre

André Claude Mallet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rêve étrange sous l’équateur

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – André Claude Mallet

ISBN : 979-10-422-4814-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

Rêve étrange sous l’équateur

 

 

 

 

 

C’était tout de même une belle journée. Avec mon amie Simone, je venais de terminer une partie de golf au club des Étangs. L’après-midi de ce samedi nous donnait l’impression que nous venions de vivre une véritable partie de campagne.

Pour des joueurs moyens, nous étions satisfaits de notre parcours, car nous avions réalisé des drives et de belles approches, qui paraissaient pour nous de vrais « coups de maître ».

La nature était magnifique, l’herbe encore verte, un léger vent d’ouest venu des montagnes du soir faisait virevolter parfois devant nous les premières feuilles de ce début d’automne.

 

Avec ce ciel bleu sans nuages, nous avons décidé de repousser au maximum notre départ, car nous n’avions pas, tous les deux, de rendez-vous particulier. Dès notre retour au club-house, Simone me proposa de prendre une collation ; il était environ quinze heures.

La terrasse, en partie ombragée, était bien occupée. Un monde d’anciens et de nouveaux joueurs partageait cet agréable moment, dans une franche convivialité.

Après plusieurs arrêts pour saluer quelques amis et partenaires, nous nous sommes installés à proximité de l’ancien puits. Je venais juste de montrer une connaissance à Simone, lorsque Jérôme, le serveur habituel, est venu prendre notre commande.

À l’ombre d’un parasol, nous avons échangé sur la vie et le temps qui passe, interrompus seulement quelques instants, lors de la livraison de nos deux boissons. Puis, nous avons repris notre entretien au sujet de plusieurs amis communs, notamment pour un ancien, disparu le mois précédent d’une grave maladie.

Nous avons ensuite refait notre parcours de mémoire, reprenant les bons et mauvais coups, ainsi que certaines anecdotes originales. Sur le fairway du trou numéro douze, un lapin était passé devant nous en zigzaguant, probablement dérangé dans son domaine par la chasse qui venait de reprendre depuis quelques jours. Ce rongeur venait certainement pour trouver un nouveau terrier dans cet espace protégé et si tranquille.

 

Un peu plus tôt, au cours du trou numéro sept, quelques canards, au bord de l’étang, nous avaient regardés circuler, nullement dérangés par le passage de ces gens, avec leurs chariots et leurs cannes bizarres.

 

Nous nous sommes quittés sur le parking vers dix-sept heures, et promis une prochaine partie que nous espérions aussi agréable que celle du jour.

Sur la route du retour, j’étais heureux, après cette belle journée.

L’astre du jour, posé à l’ouest, brillait de mille feux, pour éclairer, quelques minutes encore, la valse des derniers papillons.

J’aimais m’arrêter en cette saison pour regarder la nature en pleine mutation, avec ses couleurs changeantes…

Elle me rappelait souvent le bout d’un poème appris à l’école…

L’automne d’Anna de Noailles (1876-1933).

« Les feuilles dans le vent courent comme des folles,

Elles voudraient aller où les oiseaux s’envolent,

Mais le vent les reprend et barre leur chemin,

Elles iront mourir sur les étangs demain. »

Prendre le temps de les suivre des yeux, ces feuilles qui semblent danser, poussées parfois par un léger souffle du vent, au cours d’une dernière descente, hésitante et fragile depuis leurs origines.

 

Nostalgique derrière mon volant, je revoyais ma mère qui m’avait quitté six années auparavant d’une grave maladie, et dont je n’avais pas encore complètement fait le deuil. Elle aurait certainement aimé partager ces instants avec moi.

J’aimais tellement ma mère ! pour m’avoir donné beaucoup d’elle-même, après le décès de mon père ; pour avoir su m’apprendre, seule, les difficultés de la vie, et fixer certains repères, afin que je puisse plus tard prendre mon envol.

Très motivée, elle s’était mise à travailler pour assurer notre avenir. Après sa formation dans une société, elle avait démarré dans le commerce, pour assumer la direction d’une nouvelle succursale de teinturerie.

 

Quelques minutes plus tard, lorsque j’ai poussé le portail métallique de la propriété, celui-ci a laissé échapper son grincement habituel. Mon chien, enfermé à l’étage, s’était mis à aboyer, certainement content de mon retour, mais aussi pour me reprocher de l’avoir abandonné, durant cinq ou six heures.

 

Après avoir rangé mon véhicule sous le porche, j’ai posé mon équipement de golf, puis fermé le portail, avant de récupérer le courrier dans la boîte. Je suis monté à l’étage, par le large escalier extérieur, avant de traverser la terrasse qui conduit aux appartements.

 

Lorsque j’ai ouvert la porte, mon chien, Pilou, s’est jeté sur moi pour me faire une grande fête quelques instants, avant de s’échapper, pour aller faire son tour et vérifier son domaine. Il laissa certainement quelques traces, pour prévenir tout visiteur qu’il était bien présent et prêt à défendre son territoire.

Pilou, un labrador noir de pure race, m’avait été confié une dizaine d’années auparavant dans le bureau de l’entreprise, par un client, au cours d’une réunion d’affaires.

Un client que j’avais rencontré pour divers projets m’avait un jour demandé de le suivre dans sa maison familiale de Vaujany à côté de l’Alpe d’Huez.

Il envisageait d’y faire réaliser quelques travaux de rénovation, et je devais en évaluer sur place le montant approximatif à engager.

Au cours de notre voyage et du fait que je n’en avais pas, il m’avait proposé de prendre un chien pour sécuriser la propriété.

N’étant absolument pas intéressé, je lui avais tout de même indiqué, par mégarde, que j’envisagerais peut-être un jour de prendre mon premier chien…

Quelques mois plus tard, il est arrivé, dernier d’une portée, tout stressé dans un carton, sa petite tête noire dépassait par un orifice aménagé sur le dessus.

Comment pouvais-je, à ce moment-là, refuser un tel cadeau, qui me faisait plaisir, et qui commençait déjà à me lécher la main dès ma première caresse ?

 

Un peu fatigué après cette journée de golf avec Simone ; je n’ai pas attendu pour prendre une bonne douche très chaude, « comme je les aime », avant d’appeler Pilou qui m’attendait déjà sur la terrasse.

C’était une fin de semaine calme, précédant un long week-end de trois jours jusqu’au mardi. Je n’avais pas prévu de sortir, c’était donc une soirée au coin du feu, seul avec mon chien, devant un livre ou un film à la télévision.

Je n’avais pas encore eu la chance de trouver celle qui correspondait à mon idéal, qui aurait pu faire un bout de chemin à mes côtés, pour partager, avec bonheur, les années qu’il me restait à vivre dans ce monde si compliqué.

Au fait… Avais-je un idéal féminin ?

Ou plutôt, n’étais-je pas un éternel insatisfait, qui refusait de voir les évidences, qui trouvait souvent la sortie sur un prétexte pas vraiment fondé, mais à qui cela convenait parfaitement ?

Il faisait déjà nuit lorsque je suis descendu par l’escalier intérieur pour accéder au garage et vérifier que la porte donnant sur l’extérieur était bien entrouverte. Elle permettait à Pilou de regagner librement le jardin, à condition que celle de l’étage le soit également. Après avoir vérifié son eau et rempli généreusement sa gamelle, je suis remonté à l’appartement.

 

Dans la salle à manger de ma mère, je me suis posé devant la grande table, pour prendre connaissance du courrier, composé de publicités et de quelques enveloppes, dont une facture. J’ai ensuite disposé la couverture de mon chien sur le plancher, et me suis allongé sur la banquette avec mon journal, pour me détendre un peu, et consulter les dernières nouvelles.

Très souvent, par le passé, je venais retrouver ma mère pour discuter de certains sujets ou demander conseil, et nous partagions cette banquette durant de longues minutes. D’un style très anglais, son cuir souple, usagé par endroits, avait sans doute reçu et entendu les confidences de beaucoup de monde.

Ma mère, ou plutôt ma « Maman » comme j’aimais l’appeler, je l’avais entourée d’affection, de tendresse et d’amour chez nous durant les deux dernières années de sa vie.

Pilou, couché à proximité, fermait déjà les yeux, confiant et détendu… nous étions tout de même heureux tous les deux. Je n’ai pas résisté longtemps à l’appel du sommeil, tranquille et apaisé, dans les bras de Morphée, le célèbre fils d’Hypnos et de Nyx, la déesse de la nuit.

Je ne savais pas encore, à cet instant, que j’allais parcourir et vivre « Un rêve étrange » : « Un rêve presque réel, par la précision des choses, et des différents évènements. »

 

 

 

 

 

Au pied du grand escalier, je venais juste de tourner à droite, pour récupérer un dossier dans le coffre de ma voiture, lorsque j’ai entendu le bruit métallique du couvercle de la boîte.

Machinalement, j’ai regardé ma montre : neuf heures vingt, le facteur était donc à l’heure, comme tous les samedis matin d’ailleurs.

Profitant d’une semaine de vacances, j’avais décidé de réaliser quelques travaux de rénovation dans une chambre, qui ouvre sur le terrain mitoyen. Au cours de plusieurs matins, perché sur mon escabeau, je me suis aperçu que le facteur s’arrêtait pour discuter avec la propriétaire.

J’en ai déduit que c’était devenu entre eux comme un jeu ou une habitude, car elle se trouvait chaque fois auprès de ses fleurs, ou sur sa tondeuse tractée pour ratisser la pelouse, à l’heure de passage du préposé.

Leur conversation durait un long moment, elle l’avait même invité un matin, je suppose, à prendre le café dans sa cuisine d’été, située au rez-de-chaussée de la maison. Il laissait son vélo sur la rue à côté du portail. Et comme le facteur était bavard, presque tous les jours de la semaine, la suite de sa tournée s’en trouvait retardée.

 

J’évitais d’ailleurs tout entretien avec lui, car ensuite, je n’arrivais plus à m’en défaire. Le samedi, il ne s’arrêtait pas chez elle, comme presque tous les autres jours, puisque le mari qui travaillait toute la semaine à Paris rentrait seulement le vendredi soir pour passer le week-end.

Au retour du garage, j’ai aperçu le préposé de l’autre côté de la rue, sortant de l’immeuble d’en face. Il me fit un signe en me disant bonjour, puis leva la main et l’index en direction de ma boîte, comme pour me signaler le dépôt du courrier. Je l’ai salué à mon tour, le remerciant par un autre signe. Ensuite, je l’ai vu enfourcher son vélo pour descendre jusqu’au petit pont métallique, puis traverser, et tourner sur la gauche, afin de continuer la distribution.

La maison, sur deux niveaux, était dans un quartier très tranquille. Mes parents en avaient fait l’acquisition, lorsque j’étais encore petit, « encore en culotte courte ». J’ai passé avec eux une merveilleuse enfance, enfant gâté, si l’on peut dire, car j’étais fils unique.

Un grand terrain, sur le côté de la maison, descendait jusqu’à la rivière, qui s’écoulait librement à travers les arbres. J’adorais venir au bord de l’eau, dans ce coin tranquille, où je pouvais venir m’évader le soir, après une dure journée de travail.

Mon père était dans le textile, mais je ne saurais dire dans quelle branche, ma « Maman », qui ne travaillait pas encore, avait tout le temps de s’occuper de moi à mon retour de l’école.

Mes parents avaient des amis proches, un couple à peu près du même âge, Ginette et Maxime, géniteurs d’une fille nommée Juliette : une blondinette, très grande pour son âge, aux longs cheveux frisés, un peu capricieuse et sauvage au départ, difficile à approcher, mais avec le temps tout s’était arrangé.

Nous étions très souvent ensemble, tous les six, surtout les week-ends, car les deux pères travaillaient. Parfois, nous allions chez eux le dimanche, d’autres fois cette journée se passait chez nous.

Après une longue période, Juliette m’avait enfin accepté. J’étais devenu son grand copain, nous ne nous quittions plus. Nous descendions jusqu’à la rivière, nous promener, ou rêver au bord de l’eau, parfois pour pêcher l’écrevisse.

Un jour, comme par hasard, une pince avait serré son bâton, Juliette avait tiré d’un seul coup, et la petite bête s’était retrouvée sur l’herbe, à peu de distance du bord. Nous étions restés un long moment assis, à la regarder gesticuler, avant de la repousser avec regret jusqu’à l’eau.

Au cours d’un après-midi de printemps, nous étions tous les deux au bord de la rivière, lorsque nous nous sommes promis de faire comme les parents… Le mariage, mais seulement lorsque nous serions grands. Pour sceller cette union, nous avions échangé une petite médaille, qu’elle possédait depuis sa communion, contre une broche offerte par ma grand-mère, un jour qu’elle rangeait sa boîte à bijoux.

Nous nous amusions également à nous faire peur. Au fond du couloir, à l’étage, il y avait une porte qui restait continuellement fermée. Maman m’avait mis en garde à plusieurs reprises de ne pas la franchir, car elle conduisait au grenier, par un escalier sombre, rempli de poussières et de choses méchantes.

Un jour, j’avais surpris mon père en train de poser une clef, dans le premier tiroir du meuble de l’alcôve. C’était certainement par ce seul moyen que je pourrais peut-être atteindre ce fameux escalier et connaître son mystère.

Le dimanche suivant, j’avais parlé en cachette à Juliette, qui m’avait dit : « Non ! Je ne veux pas te suivre », mais après insistance, elle avait enfin accepté de le faire la fois suivante.

J’avais donc attendu, et préparé mon coup pour le moment propice : les parents étaient sur la terrasse pour l’apéritif…

Après avoir récupéré la clef, j’ai entraîné Juliette dans cette aventure. Un gros grincement s’est fait entendre au moment de l’ouverture, ce qui nous a fait peur. Nous sommes restés plusieurs secondes à attendre, mais personne… J’ai ensuite refermé la porte derrière nous, et nous étions montés dans la pénombre par l’escalier, nous tenant par la main, jusqu’à un palier entouré de trois portes.

Ne sachant que faire, nous nous sommes assis dans le noir. Juliette s’était serrée contre moi, par peur de voir une de ces portes s’ouvrir. Un léger courant d’air nous traversait, et l’on pouvait seulement distinguer un filet de clarté sous une porte. Parfois, nous percevions des craquements derrière une cloison, y avait-il quelqu’un ? Je sentais les ongles de Juliette se serrer dans ma main, jusqu’à me faire souffrir.

Nous n’avions même pas eu le courage de toucher ou d’ouvrir une seconde porte, avant de descendre tous les deux, pour nous échapper de cet escalier, un peu effrayés.

Les parents étaient toujours sur la terrasse. Tout s’était donc bien passé, sauf les réprimandes et la punition de sa mère, lorsqu’elle avait constaté l’état et les traces de poussière sur la robe de Juliette. Nous avons été obligés, immédiatement, de leur révéler notre mauvaise action.

Mon adolescence s’était pratiquement déroulée de la même manière ; mais ce fut un changement radical après le décès de mon père. Maman et moi avons dû traverser une période très difficile, remplie de peine et de chagrin, car nous étions très souvent seuls.

J’avais moins de contacts avec les amis de mes parents, et surtout, je n’avais plus de nouvelles de Juliette, car elle faisait des études à Lyon.

Soutenu par les revenus de ma mère, j’avais continué mes études secondaires, pour les interrompre en cours de première. Pratiquement obligé de travailler par la suite, afin d’apporter un complément d’argent pour garder notre maison et subvenir à son entretien.

Je n’ai appris, que bien plus tard par ma mère, que Ginette était gravement malade, et qu’ils avaient déménagé pour le climat, dans le sud de la France.

 

Mon courrier était bien dans la boîte, comprenant le journal, un peu de publicité, ainsi que plusieurs enveloppes, dont une qui attira tout de suite mon attention.

Elle venait de Paris, du siège de la société, plus précisément de la Défense « Arche sud », portant un logo que je connaissais parfaitement.

Après mes études un peu tronquées, ma mère avait réussi à me faire embaucher comme dessinateur. Par mon travail, j’avais gravi les échelons, pour devenir cadre chargé de travaux dans le bâtiment, après une dizaine d’années au sein d’un groupe.

Affecté à l’agence située en Rhône-Alpes, je rayonnais pour les travaux, sur une zone de deux à trois cents kilomètres.

Que pouvait signifier cette lettre ? Que me voulaient-ils ?

Presque inquiet, je n’ai pas résisté très longtemps avant de l’ouvrir, et d’en prendre connaissance.

Installé dans un fauteuil, je l’ai parcourue à plusieurs reprises. J’étais convoqué au siège jeudi prochain vers dix heures par la Direction Générale. Mon cœur s’était mis à battre plus fort, qu’allaient-ils m’annoncer ou me proposer ? Il était prévu que je reste à Paris jusqu’au vendredi inclus. Repas et hôtel étaient déjà réservés par la société.

Faudrait-il que je rejoigne le siège, un jour prochain, ou définitivement ? Des questions m’arrivaient en vrac, dont je n’avais pas encore de réponses à mettre en face. Après un séjour de presque six années à Paris, j’avais eu beaucoup de chance de pouvoir revenir près de chez moi à la création de l’agence, préférant la province à tous les tourments et soucis de la vie parisienne.

Ce fut un long week-end qui arrivait, la météo prévoyait du mauvais temps, donc pas de golf ou de rendez-vous particulier. Sans arrêt en train de repenser à cette lettre et cette convocation, j’émettais toutes les hypothèses et tous les scénarios possibles.

Vivre à Paris ou à l’étranger, quitter cette maison, mes parents, rompre avec mes amis, avec mes collègues de bureau, avec mes équipes de chantier, avec le sport, etc.

 

Le lundi matin, en arrivant à l’agence, je suis allé directement vers Michel qui occupait un poste similaire, pour l’informer de la réception et du contenu de cette lettre.

Michel avait toute ma confiance, depuis le partage de toutes les années de galère, au moment de la crise, durant laquelle nous avions eu peur de perdre notre emploi. Il me donna quelques conseils… Mais le mieux était d’attendre, ce que voulait me proposer la direction.

De retour vers mon bureau, après cet entretien, je me suis arrêté pour demander à Solange, ma secrétaire, de bien vouloir consulter les horaires des trains et me réserver une place TGV pour jeudi matin. Départ de La Part-Dieu vers Paris, en fonction de mon rendez-vous de 10 h.

Puis un retour au soir du vendredi après vingt heures.

Mon emploi du temps des deux jours suivants était assez chargé, ce qui occupa complètement mon esprit, entre des rendez-vous à Lyon et Vienne, et une réunion au bureau avec le personnel un matin.

 

Le voyage était assez rapide, environ deux heures depuis La Part-Dieu. À l’arrivée, le temps était brumeux et humide à Paris. Il y avait pratiquement plu, sans discontinuer depuis la veille sur toute la région.

Neuf heures dix en gare de Lyon ; quelques instants après ma descente du train avec mon bagage, j’ai croisé sur le quai un ancien collègue du bureau d’études, qui s’est approché de moi pour me dire :

— Tu es convoqué toi aussi ?

— Oui ! Vers dix heures… On va peut-être se revoir au siège…

— OK, donc à plus tard…

— D’accord à plus…

Puis au milieu de la foule, nous nous sommes séparés en direction de la sortie, pour rejoindre la zone des taxis. À l’extérieur, dans la file des voyageurs, j’ai attendu un véhicule pour me conduire vers La Défense, rue Félix Pyat à Puteaux, plus précisément, où était installé le siège du groupe.

Le taxi m’a déposé à proximité de cet immeuble, avec plus d’une dizaine de minutes de retard. Le temps de payer la course, de récupérer mon bagage, de traverser un long trottoir, et je me suis trouvé devant l’entrée.

Comme un réflexe, j’ai levé la tête pour évaluer ce monstre de béton et de verre qui était devant moi, avant de pousser le tambour tournant qui permettait de pénétrer dans le hall.

Immense ! Il était toujours immense ce hall… Un vrai hall de gare, avec sur la droite, deux hôtesses en tenue derrière un pupitre. Sur le mur, se trouvait un écran géant lumineux, souhaitant la bienvenue aux visiteurs. On pouvait y lire le programme complet des réunions de la journée, les étages des différentes sociétés, et les lieux et salles de réception.

En face, un espace d’accueil avec salons, aménagé au milieu d’arbres et de plantes de grande taille.

À gauche, un mur d’eau éclairé qui ruisselait depuis le plafond, avant de s’écouler par une petite rivière qui traversait le hall, en direction d’un bassin comportant diverses plantes aquatiques.

Environ dix années auparavant, j’étais venu une seule fois, lorsque la direction m’avait nommé responsable de secteur à l’agence.

Arrivé devant les hôtesses, je me suis présenté…

— Bonjour Mesdames, je suis attendu… En présentant à celle de droite, ma carte de visite portant le nom de la société.

— Bonjour Monsieur… Je signale votre arrivée…

Après quelques instants au phone…

— Vous pouvez monter… me dit-elle.

Puis me montrant du doigt.

— Face à moi ! Vous prenez le petit pont sur la rivière, au bout et à droite face à vous, vous trouverez les ascenseurs, c’est au onzième, ascenseur impair, le secrétariat de votre société est à l’arrivée.

— Merci, je connais, je vous souhaite une bonne journée… m’écriais-je, en lançant un regard admiratif à cette magnifique femme blonde.

J’ai emprunté le petit pont, puis l’ascenseur correspondant au onzième.

À l’arrivée, le nom de la société était indiqué sur une porte entrouverte, je me suis avancé, avant de pénétrer, et me trouver devant le bureau d’une employée. Elle s’appelait « Suzanne », prénom facile, car il était noté sur son badge.

Après quelques échanges et de bons mots au téléphone, elle a posé son combiné lorsque je me suis présenté pour me lancer :

— Je sais que vous êtes attendu vers dix heures, mais Monsieur Pierre est en retard, une réunion qui se prolonge. Il vient de téléphoner et ne pourra vous recevoir que vers quinze heures.

— Très bien, je ferai selon…

— Il m’a dit de vous conduire en salle de réunion sud, et vous demander de commencer à analyser un dossier qui s’y trouve déjà.

— Bien ! Je vous suis…

Elle m’a précédé dans un long couloir, jusqu’à cette salle qui était déjà ouverte, avant de m’abandonner devant une petite montagne de dossiers posée sur la table centrale, en me disant :

— On viendra vous chercher pour le déjeuner vers treize heures, ça se passe au restaurant du sous-sol, je vous laisse à vos dossiers et bon courage.

— Merci ! Pour lui répondre…

Puis, elle a disparu, me laissant seul dans un environnement inconnu, une grande salle un peu froide, complètement vitrée, à travers laquelle, je pouvais admirer la Grande Arche à quelques centaines de mètres, ainsi que la circulation très dense à cette heure-ci, sur le nœud des voies rapides, situé au bas de l’immeuble.

Il m’a fallu plusieurs minutes avant de reprendre mes esprits, commencer à réagir et penser à ce qui pouvait m’arriver.

 

Comme le dossier était devant moi, j’ai écarté toute possibilité que mon ancien collègue, trouvé sur le quai, soit convoqué pour la même affaire.

Décidé, je me suis concentré sur ma tâche, sur les dossiers et les plans, que j’ai commencé à dérouler pour comprendre. Il y avait de nombreux croquis, beaucoup de papier et plusieurs classeurs noirs moyennement remplis.

Après une heure de déballage, d’analyse et de consultation du dossier d’appel d’offres, j’ai commencé à comprendre l’importance et l’étendue de « la chose ».

Il s’agissait d’un ensemble immobilier « le ministère des Mines et du Pétrole » situé au Gabon en Afrique, à Libreville plus précisément, sur l’Équateur, à environ six mille kilomètres de la France.

Cet ensemble comprenait : une tour avec ascenseur extérieur, un bâtiment en arc de cercle autour, plus loin, un autre en forme d’ailes d’oiseau, ainsi qu’une superbe cafétéria en forme de soucoupe volante, perchée sur un des bâtiments. Une très belle architecture.

Devant la tour, un ensemble de bassins en déversoirs étaient prévus, avec jets d’eau et éclairage pour chaque espace.

Le marché portait la réalisation des installations de climatisation et de plomberie. C’était énorme ! Certainement le plus important chantier, que je pourrais diriger dans toute ma carrière, si on me confiait le poste. J’étais tout de même impressionné par l’importance de cette réalisation.

Était-elle à portée de mes capacités, de mes connaissances ? Moi, qui n’étais arrivé à ma situation que par le travail, autodidacte ou presque… Après des études secondaires terminées en première, puis abandonnées pour aider ma mère.

Il est vrai que bien plus tard, j’avais suivi des études au CNAM à Paris, durant plusieurs années, en maîtrise d’œuvre, mathématiques, comptabilité et direction de travaux. Tout ceci en parallèle de mon premier emploi dans une société importante, avant de rejoindre l’agence, où je suis actuellement.

 

Plongé dans mes dossiers, lorsqu’un bruit m’a fait relever la tête, sur un homme que je ne connaissais pas, et qui venait de pénétrer dans la salle pour m’annoncer :

— Bonjour ! Je suis Jean-Paul, « Suzette » ou plutôt Suzanne, m’a demandé de vous piloter et vous accompagner dans l’immeuble pour le déjeuner.

— Bonjour, il est déjà treize heures ? Pour lui demander…

— Oui ! Presque…

— Eh bien, je vous suis… Je peux laisser mon bagage ici ?

— Oui ! répondit-il… Vous pouvez… aucun risque, je ferme la porte à clef, à cause de ce dossier encore un peu confidentiel.

— Très bien !

Nous sommes descendus par l’ascenseur central, jusqu’au sous-sol, où se trouvait le restaurant des entreprises. Un self-service très accueillant, très grand, avec vue sur un jardin intérieur, comportant des coins repas, certainement pour la belle saison.

Mon guide Jean-Paul m’avait précédé pour les formalités, pour régler ma note, avant de retrouver ses collègues, qu’il m’a présentés rapidement. Ce fut un moment très agréable, avec des gens inconnus, mais très sympathiques. La nourriture était de bonne qualité, ainsi que l’accueil et le service.

À la fin du repas, nous avons commandé un café, puis nous sommes remontés jusqu’au onzième, Jean-Paul est venu m’ouvrir la porte de la salle, avant que je ne reprenne mes investigations.

J’ai continué à découvrir les documents, à prendre certaines notes, préparant les questions indispensables, que je devrais poser pour la bonne compréhension de l’affaire, et pour la préparation des prochains évènements.

Soudain Suzanne est entrée dans la salle pour m’indiquer que Monsieur Pierre venait d’arriver, et qu’il se déplacerait pour me rejoindre.

Après un bon quart d’heure, j’ai entendu plusieurs pas dans le couloir, et lorsqu’il a frappé d’un coup sec avant d’entrer, je me suis retourné pour l’accueillir. Les présentations furent rapidement faites et il m’a posé certaines questions sur mon voyage, sur mes activités actuelles à l’agence, ainsi que sur mes premières remarques après le début d’analyse du dossier. Il m’a demandé ensuite, si je me doutais un peu de ce qu’il voulait me proposer. J’étais bien incapable de lui répondre.

C’était un homme grand, mince, Directeur Général de l’entreprise au département travaux, facile d’accès, selon ce qu’on m’avait dit, avec beaucoup de respect pour les gens de son entourage et l’ensemble du personnel. Après un regard commun sur le dossier, il m’a demandé de le suivre dans son bureau, pour parler de choses concrètes.

Notre entretien dura deux heures environ ; il m’a exposé tout d’abord ce qu’il envisageait de faire pour la société : développer l’export, avec de grands groupes de construction, s’implanter à l’étranger, créer une cellule travaux en province et créer une structure indépendante dans la région centre.

 

Il me proposait un poste de direction avec des conditions très avantageuses. Je resterais dans mon lieu de travail, à l’agence, dans une cellule à créer rapidement.

Le chantier du Gabon avait déjà démarré, la plateforme était en cours, nous devions commencer les études de suite, pour les réservations dans la structure.

L’entretien s’est terminé chaleureusement. Il m’a vivement conseillé d’accepter, en me promettant de me revoir rapidement pour décider des moyens à mettre en œuvre.

Je ne devais pas donner mon accord immédiatement, il m’accordait jusqu’au mercredi suivant pour décider, car il était absent jusqu’au mardi.

Si j’acceptais, mon avenir proche serait partagé entre le Gabon et l’agence, avec des voyages fréquents en avion, appartement à Libreville pour mes séjours. Il fallait vraiment que je réfléchisse… Tout tournait dans ma tête, j’ai seulement repris conscience, lorsque je me suis retrouvé devant la petite montagne de dossiers, seul dans cette grande salle.

J’étais obligé de rester le vendredi, car Monsieur Pierre voulait me présenter le matin vers dix heures, mon futur directeur de chantier, un certain Longémour.

Cet homme devrait rester sur le site continuellement pour superviser les travaux, avec plusieurs chefs d’équipe expatriés, renforcés par des ouvriers africains. Il serait aussi chargé de réceptionner et de gérer le stock des matériels dès leur arrivée, de prévoir les salaires du personnel et d’organiser les rendez-vous de chantier en mon absence.

Vers dix-huit heures, Suzanne est venue me voir pour m’indiquer le nom de l’hôtel, car une chambre m’était réservée, ainsi que le circuit pour m’y rendre en métro.

Elle m’a fixé rendez-vous pour le lendemain, neuf heures, m’a précisé que Jean-Paul viendrait refermer la salle, avant de me souhaiter une bonne soirée.

Après avoir un peu rangé ce que j’avais déballé sur la table, j’ai donc décidé de quitter la salle avec mon bagage. Dehors, il commençait à faire nuit et il y avait beaucoup de monde sur l’esplanade, autour de l’Arche. Je me suis dirigé vers le CNIT et la station, afin de récupérer le métro pour me rendre à l’hôtel.

Avec le parcours, l’entretien, les émotions fortes et l’analyse des dossiers, cela faisait beaucoup de choses pour une seule journée, car je commençais à ressentir une certaine fatigue. Après un rapide repas au snack du coin, j’ai regagné ma chambre pour une nuit bien méritée.

 

Vendredi, neuf heures ; salutations d’usage avec Suzanne, la secrétaire, qui m’a lancé un grand bonjour avec un sourire, comme si l’on se connaissait depuis très longtemps, puis au fond du couloir, j’ai regagné la salle et mes dossiers. Quelqu’un avait déjà ouvert la porte, allumé, et avait déposé sur la table, à ma grande surprise, devant ma chaise trois petits chocolats.

C’était vraiment sympathique, cela ne pouvait être que Suzanne, pour avoir eu cette agréable idée, ne connaissant qu’elle depuis la veille. Jean-Paul ! Pas possible… à moins qu’il n’ait quelques penchants un peu particuliers, mais je n’avais rien remarqué au cours de notre déjeuner de la veille. Il faudra que je questionne Suzanne, et la remercie pour ce petit cadeau gourmand.

Je me suis remis à étudier mes dossiers, et vers dix heures, Suzanne est venue me dire que Monsieur Pierre m’attendait dans son bureau. J’en ai profité pour lui glisser gentiment :

— Merci, pour les chocolats, c’est vous ?

— Oui ! Monsieur… tous les vendredis matin, on effectue la distribution à une dizaine de collègues proches, car le mari d’une amie de bureau possède un magasin de chocolats dans le huitième, et j’avais pensé que cela vous…

— Merci, Suzanne, pour cette attention, vous permettez que je vous appelle par votre prénom ?

— Oui ! Monsieur… Mais Monsieur Pierre vous attend…

— On y va tout de suite, montrez-moi le chemin, car je ne suis pas certain de retrouver son bureau.

Et me voilà dans le couloir derrière Suzanne… Depuis hier, je n’avais pas eu le temps de remarquer qu’elle était bien faite, qu’elle devait avoir entre trente et trente-cinq ans, blondinette, bien coiffée et bien manucurée avec des ongles d’un superbe rouge vif.

Monsieur Pierre m’a reçu dans son bureau, avec un homme qui devait être la personne dont il m’avait parlé.

Il l’a présenté en se tournant vers moi :

— Monsieur Longémour… Qui sera peut-être votre prochain directeur de chantier, si vous acceptez ma proposition. Il sera votre chef de site et sera sous votre contrôle pour toute l’organisation de cette affaire sur place, et la réalisation des travaux selon vos directives.

Je me suis présenté à mon tour, en spécifiant bien que je n’avais pas encore pris ma décision.

— Monsieur Longémour… reprit Monsieur Pierre, doit repartir au Gabon, pour organiser le chantier et l’intendance sur place. C’est son troisième voyage. Il faut qu’il vous trouve un appartement et des meubles ou vous logerez à l’hôtel en attendant, vous devrez le rejoindre très rapidement pour vous habituer au chantier et au climat. (Sourire.)

La fin de l’entretien fut plutôt conviviale, orientée sur le futur et notre prochaine collaboration, Longémour et moi.

 

À la sortie du bureau de Monsieur Pierre, Monsieur Longémour m’a accompagné dans la salle de réunion, pour me donner quelques explications sur le déroulement des travaux, et des indications sur les plans selon l’avancement actuel.

C’était un homme avec une certaine expérience de l’export, il avait dirigé des travaux dans différents pays à l’étranger depuis plus d’une dizaine d’années.

Il m’a quitté vers treize heures, lorsque Jean-Paul s’est présenté pour le déjeuner. Monsieur Longémour ne pouvait rester, il devait rentrer chez lui afin de préparer son départ du dimanche.

Nous avons déjeuné avec les mêmes collègues que la veille, ils me chahutèrent un peu sur le football et les résultats de notre équipe. Puis en passant devant Suzanne, je lui ai demandé de bien vouloir m’appeler un taxi vers seize heures, avant de retourner à mes dossiers pour une heure ou deux encore.

Au moment de mon départ, Monsieur Pierre n’était pas dans son bureau, je n’ai donc pas eu l’occasion de le saluer.

Dans le taxi qui me conduisait à la gare de Lyon pour prendre mon train, et tout au long du voyage, j’ai repassé dans ma tête ces deux journées ; de mes entretiens avec Monsieur Pierre et Longémour, pour y chercher ce que j’aurais oublié, ou n’aurais pas eu le temps de saisir sur l’instant.

Très heureux tout de même de ce voyage, je suis rentré le soir tard à la maison, fatigué, mais avec quelques perspectives importantes et intéressantes pour mon avenir.

C’était, certes, prendre de très lourdes responsabilités, ma vie allait basculer, et devenir beaucoup plus active, sûrement épuisante, pleine de soucis, mais dans une autre dimension, si j’acceptais ce poste. Mon week-end fut rempli de réflexions, parfois avec des Oui… Parfois des Non… Je n’arrivais pas à prendre la décision, qui m’entraînerait vers une vie différente.

C’était abandonner un peu mes parents, mes amis, mon confort, pour risquer peut-être ma santé dans ce pays au climat tropical, avec les moustiques, les serpents, et bien d’autres turpitudes…

Ma décision fut prise le dimanche soir, suite à un entretien d’une heure au téléphone avec un ami, après lui avoir expliqué le pour et le contre, et ce que cela pouvait modifier, ou apporter à mon existence.

C’était donc oui ! Oui !

J’allais peut-être me jeter dans la gueule du loup, ne pas arriver au sommet, mais j’avais envie de me battre, de construire, de prouver que sans de très hautes études, on pouvait tout de même réaliser de grandes choses.

Lorsque Monsieur Pierre m’a téléphoné le mercredi suivant, pour avoir ma réponse, j’ai finalement donné mon accord, et accepté le poste.

 

 

 

 

 

Mon premier voyage du 11 août 1985

 

L’avion avait commencé sa descente sur Libreville depuis plusieurs minutes, une des deux hôtesses nous avait demandé de rejoindre notre siège et de serrer notre ceinture, et tout était redevenu calme dans la cabine.

Celle qui avait donné l’ordre se trouvait assise, presque en face de moi, car j’avais eu la chance de me trouver au premier rang côté extérieur. Elle avait été très agréable durant le vol, d’un bon contact, et maintenant présentait ses beaux genoux bien ronds, qu’elle ne cherchait même pas à dissimuler.

J’avais entendu lors de la distribution des boissons que sa collègue l’appelait « Val », certainement le diminutif de son prénom qui devait être Valérie.

À travers l’un des deux hublots qui se trouvaient sur ma droite, je ne pouvais pas encore apercevoir le sol, que je ne connaissais pas. C’était la première fois que je venais en Afrique Centrale, au Gabon plus précisément. J’avais beaucoup de chance d’arriver à l’équateur, durant les mois d’été, de mai à septembre, pendant la grande saison sèche, nous étions le dimanche 11 août 1985.

Au cours de notre brève rencontre à Paris, Longémour m’avait fourni quelques conseils concernant mon arrivée à Libreville. Tout d’abord, de ne pas quitter des yeux mes bagages à l’aéroport, car il y avait beaucoup de chauffeurs de taxi, des vrais, des faux, nos valises pouvaient être enlevées et chargées dans un véhicule sans notre accord.

Il m’avait également donné un billet de cinq cents Francs CFA, en me demandant de le glisser dans mon passeport avant le contrôle des douanes. Lorsque l’on débarque pour la première fois, ce petit cadeau pouvait éviter les questions comme :

— Que venez-vous faire ? Chez qui ? Une adresse ? Etc., etc.

J’étais un peu contre cette méthode, car c’était donner l’habitude aux gens d’être dans une astuce permanente, et confirmer que l’on pouvait tout acheter avec l’argent.

Mais, bon… Si cela pouvait simplifier un peu les choses.

 

Le plafond devait être très bas, car je ne distinguais toujours pas le sol, c’était très nuageux, nous étions comme dans du coton, mais l’avion descendait imperturbable vers l’aéroport Léon Mba, du nom du premier maire de Libreville, et ancien Président du Gabon, décédé en novembre 1967.

Enfin, je vis de l’eau, puis la terre, qui devait être le bord de la côte du golfe de Guinée, ensuite l’estuaire du Gabon. En dessous, je distinguais bien le sol, avec beaucoup de zones vertes, et une végétation luxuriante très particulière.

Ce n’est que lorsque l’avion a touché le sol, avec son crissement habituel, que j’ai pris conscience que j’étais en Afrique, et qu’une tâche essentielle m’attendait.

Le circuit sur la piste me parut assez long, le Boeing 747 de la Compagnie UTA, s’est immobilisé enfin devant le bâtiment central de l’aéroport. Au signal, l’ensemble des passagers a dégrafé sa ceinture, et s’est mis en mouvement. Il s’ensuivit une petite bousculade, chacun voulant récupérer rapidement ses affaires et son bagage de cabine.

Remerciant pour cet agréable voyage notre hôtesse « Valérie », qui se tenait près de la porte, j’ai réussi à obtenir un large sourire avant de sortir.

Ce n’est que sur la passerelle, qu’il s’est produit sur tout mon corps, une énorme sudation que je ne connaissais pas, certainement à cause de la chaleur étouffante, chargée d’humidité, qui se trouvait à l’extérieur.

Mon corps fut complètement recouvert de sueur, comme si je venais de prendre une petite douche quelques instants auparavant. J’apprendrai par la suite que le corps s’habitue à cette chaleur tropicale, qui devient parfois très humide et insupportable au moment des deux saisons des pluies.

Au pied de la passerelle, je n’ai pas aperçu tout de suite qu’un petit groupe s’était formé un peu à l’écart, entouré par deux hôtesses au sol. Je découvrirai un peu plus tard que ces passagers sortaient par le salon d’accueil, avec un contrôle rapide et succinct, qui évitait de suivre le gros de la troupe.

 

Mon passeport et mon carnet de santé à la main, je suis arrivé après une longue attente jusqu’à la douane, très inquiet tout de même, avec ce billet. Et si le douanier, ne voulant pas accepter ce petit cadeau, signalait ma démarche, et me faisait contrôler par la police de l’aéroport… Mais tout s’est bien passé, devant un Africain en uniforme, un peu rondelet, qui m’a regardé, tout d’abord droit dans les yeux. Il a feuilleté rapidement mon passeport, mon carnet de santé, puis il a posé délicatement sa main sur le billet, qu’il a fait disparaître discrètement, avant de mettre les différents tampons sur mes documents.

— C’est bon… Vous pouvez y aller… me dit-il.

— Merci ! Je vais avancer…

Après avoir récupéré mes bagages et mes rouleaux de plans sur le tapis, j’ai décidé de m’avancer vers la salle d’accueil, qui était si l’on peut dire « noire de monde », mais très colorée par la décoration et les vêtements des autochtones. Puis, je me suis retrouvé avec mes affaires, au milieu du bruit ambiant, entrecoupé parfois par de cris difficilement supportables.

Longémour devait venir m’attendre. Je l’ai vu, quelques minutes plus tard, arriver par l’entrée principale, puis venir vers moi, en levant les bras avec un grand sourire.

— Bonjour, vous avez fait bon voyage ?

— Oui, très bien, mais quelle chaleur ! En montrant ma chemise qui était trempée.

— Cela ira mieux demain, quand nous serons au chantier… En se baissant pour récupérer une partie de mes bagages.

Puis, il a continué pour me dire :

— Suivez-moi, on va charger les bagages dans la voiture.

Lui devant, et moi derrière, évitant surtout de ne pas le perdre dans cette foule colorée, et très bruyante, accrochés plusieurs fois par d’éventuels chauffeurs de taxi.

Sur le parking, c’était une vraie pagaille, des véhicules garés dans tous les sens, des cris, des coups de klaxon, et des gens qui couraient avec bagages. D’autres, assis à même le sol ou sur un capot, semblaient attendre un arrivant, ou une hypothétique affaire.

Avec beaucoup de patience, Longémour a réussi à s’engager sur la route qui menait vers le centre de Libreville, et lorsque nous sommes arrivés à l’entrée, il fut surpris, et jura deux fois avant de s’adresser à moi :

— Je ne sais pas pourquoi, mais la route du bord de mer est fermée par l’armée.

— Il doit peut-être y avoir un accident.

— J’y suis passé tout à l’heure, je vais prendre la nationale 1, et contourner le centre pour rentrer à l’appartement.

— C’est vous qui décidez… de lui répondre.

Longémour avait loué depuis son arrivée, un grand appartement de cinq pièces, au premier étage d’un petit immeuble sur la colline de Mont-Bouët. Un quartier à l’écart, très tranquille et d’un certain standing. Il avait prévu de me loger provisoirement en attendant l’arrivée de sa femme le mois suivant, puis de m’en chercher un autre pour mes prochains voyages. L’appartement était très succinctement meublé, mais suffisamment, pour y vivre correctement à plusieurs personnes.

Longémour décida dès notre arrivée de mettre la télévision, espérant avoir des informations sur la fermeture du bord de mer par l’armée.

Et devant nous, une énorme surprise ! En direct, l’exécution et la mort de trois personnes, par un peloton de soldats, qui se déroulaient sur un bord de plage à Hollando. Il s’agissait en fait d’un Capitaine d’armée du nom d’Alexandre Mandza Ngokouta, avec deux comparses, que l’on passait par les armes. Cette exécution passait en boucle à la télévision.

Nous apprendrons, bien plus tard, que c’était « pour donner l’exemple », et pour un faux motif de tentative de coup d’État au Gabon.

Remis de notre émotion, Longémour me conseilla de défaire mes bagages, et de m’organiser dans la chambre qui m’était allouée, pendant qu’il ressortait pour faire une visite de surveillance sur le chantier.

J’avais prévu de rester jusqu’au dimanche, afin de m’imprégner de la vie africaine, de visiter l’ensemble du chantier avec Longémour, puis faire connaissance avec les décideurs sur place et notre personnel. Il nous fallait également mettre en place notre organisation, planifier nos différentes interventions, et établir l’avancement des travaux.

Ces quelques jours passèrent très vite : avec des réunions quotidiennes, des rendez-vous avec les autorités, l’organisation et mise en place du planning général, etc.

Les travaux étaient au stade des fondations pour le principal bâtiment-tour, avec une énorme activité à majorité africaine, dans toute l’étendue du chantier. Un bâtiment léger, avec étage, avait été construit en bordure du terrain, chaque entreprise disposait d’un ou plusieurs bureaux, pour le personnel d’encadrement et d’études.

Au premier étage, une très grande salle pour les réunions, trois bureaux pour le directeur, l’architecte et le responsable de l’opération.

Afin de gagner un maximum de temps sur l’avancement, il avait été décidé par l’architecte que les études devaient être réalisées en grande partie sur place.

Je devais donc recruter et faire venir, une ou deux personnes de France à mon prochain voyage, pour réaliser certains plans et croquis, en fonction des travaux.

 

Longémour n’avait pas le même rythme de vie que moi.

Plutôt du soir, je ne me couchais jamais avant minuit ou une heure du matin. Lui, très souvent vers vingt et une heures. Il se levait vers quatre heures du matin, pour partir au chantier presque aussitôt, après sa toilette et son petit-déjeuner.

 

Nous nous sommes croisés plusieurs fois le matin, lorsqu’il venait de se lever, et que j’étais encore en train de préparer des renseignements depuis la veille, ou de modifier des plans et détails urgents pour un rendez-vous. Une table à dessin provisoire, arrivée de France, au cours d’un transport de matériel, était installée dans la salle à manger.

Longémour ne fumait pas, et ne supportait pas la fumée. Sur le balcon, il m’arrivait de griller une cigarette le soir, lorsque la rue était calme, presque déserte, qu’il y régnait une température plus douce, et bien plus supportable que durant la journée.

Un soir, alors que j’étais en train de fumer cette fameuse cigarette côté rue, je vis descendre sur le trottoir, une Africaine dans son habit local. Elle devait avoir une trentaine d’années environ, assez grande, supposée très belle sous la lumière du réverbère, avec des tresses relevées en chignon. Elle s’est arrêtée à ma hauteur en levant la tête, puis avec un large sourire, s’est adressée à moi par ces quelques mots :

— Bonsoir Pa.a.atron, suis Lila, tu n’as besoin de rien ?

— Bonsoir, non merci… pour lui répondre.

— Tu es sûr, Pa.a.atron, de ne pas avoir besoin de quelque chose ?

— Non ! Vraiment, je te remercie…

— C’est dommage… pour conclure.

Elle resta quelques instants immobile en me regardant, puis se remit en route, pour descendre lentement vers le bas de la rue.

Quelques minutes plus tard, je venais juste de terminer ma cigarette, lorsque je l’ai vue remonter toujours du même côté, pour s’arrêter une nouvelle fois à ma hauteur.

— Tu as toujours besoin de rien Pa.a.atron ?

— Non ! Besoin de rien, je t’assure…

— Bon ! Tant pis… Tu ne sais pas ce que tu perds… « c’est l’amour qui passe ».

Après quelques instants, elle a continué sa marche lente vers le haut de la rue, avant de disparaître au carrefour.

Je n’avais pas encore l’habitude de ces contacts directs, tout à fait normaux en Afrique, parce que j’étais « un petit Blanc », ne sachant pas encore que l’amour est une pratique courante, à condition de se préserver de certaines maladies graves.

 

Nous étions organisés pour les repas avec Longémour : à treize heures, nous déjeunions dans un petit restaurant africain, cuisinant des spécialités du pays. C’était souvent du « coupé coupé », appelé ainsi pour de la viande grillée, débitée dans un morceau de buffle, de gibier, ou autre animal.

Parfois du boa ou un morceau de panthère, accompagné de patates douces ou de banane planta, mais nous ne prenions jamais de salade, qui pouvait être lavée dans une eau non potable ou dans un marigot.

Comme boissons : vin, bière, eau ou jus de fruits, mais toujours dans des bouteilles bouchées, ouvertes devant nous.

Dans la grande surface M’Bolo, nous faisions les courses alimentaires pour la semaine, et prenions nos repas du soir à l’appartement.

C’était Longémour qui cuisinait dès le retour du chantier. Après le repas du soir, il nous arrivait parfois de sortir, pour prendre un verre au bar de l’hôtel Dowé ou du Continental en bord de mer. Ce moment, devant un cocktail fruité, ou une boisson locale, nous détendait un peu, et permettait de nous évader de la pression du chantier.

 

En début de soirée du jeudi quinze, après le dîner, Longémour m’a dit qu’il allait sortir, et qu’il me réservait une surprise.

J’ai su un peu plus tard, dès son retour, qu’il avait une amie d’une trentaine d’années à Libreville ; qu’elle s’appelait Hélène, et que de temps en temps, il la faisait venir pour la nuit. Mais ce soir-là, elles étaient deux, Hélène et Cachou, une jeune Gabonaise d’une vingtaine d’années.

Cachou, un peu sauvage et timide, avait tendance, lors de son arrivée, à se cacher derrière le corps imposant de sa compagne. De temps en temps, son visage apparaissait tout de même, attirée qu’elle était par la curiosité.

Je ne savais pas vraiment comment me comporter vis-à-vis de Cachou, n’étant pas habitué encore aux us et coutumes de l’Afrique. J’étais tout de même touché par la beauté et le charme de cette jeune fille, ses cheveux laissaient à découvert un visage magnifique. Une vingtaine de tresses partaient du haut du crâne pour se terminer aux épaules par des perles de couleurs différentes. Habillée d’une simple robe en coton, gainant son corps de femme, elle avait une peau brune, luisante, certainement très douce, avec des reflets de miel, lisse et parfumée par, je ne sais quel onguent.

Longémour s’est ensuite approché de moi, suivi de ces deux femmes. Après de rapides présentations, c’est avec un large sourire qui voulait en dire long, qu’il s’est penché vers moi en disant :

— C’est un cadeau et tu te débrouilles…

En tenant Hélène par la main, ils se sont dirigés vers le couloir des chambres, et nous ont laissés là, Cachou et moi, au milieu de la salle à manger.

 

La première fois qu’il me tutoyait depuis mon arrivée, peut-être que sa culpabilité dans le plaisir nous avait rapprochés, et rendus, pensait-il, complices.

C’est à cet instant, que j’ai commencé à manifester un certain intérêt pour la gamine, seul devant une friandise qui m’était offerte, pourquoi ne pas profiter de cette offrande ?

Toujours est-il, que je lui ai proposé une boisson fraîche sortie du réfrigérateur, et qu’elle a bien voulu accepter avec un air un peu moins sauvage. J’ai ensuite demandé si elle voulait se rendre à la salle de bains après sa boisson. Elle me fit oui de la tête, avec un petit sourire. Nous sommes restés une ou deux minutes à nous observer, avant de commencer à boire.

Étant le seul à parler, elle hochait seulement la tête pour dire oui, ou non, certainement impressionnée de se trouver pour la première fois, en face, et dans la maison d’un « blanc ».

Après les boissons, je lui ai pris la main, pour la diriger vers le couloir. En passant devant la porte de la chambre, où se trouvaient les deux autres, Cachou se mit à rire, en entendant Longémour et son amie, qui devaient commencer leurs ébats…

Durant la douche à deux, elle semblait se détendre, me passant même délicatement le gel au Monoï dans le dos. Son corps, près du mien, me frôlait, et je sentais monter en moi, une envie soudaine de la serrer. Elle était vraiment féminine, un peu plus petite, mais d’une grande beauté, sa peau était bien comme je l’avais imaginée très douce.

Avec tendresse et application, j’ai pris ses lèvres, sous la douche, nus, nos deux corps épousés, dans un baiser chaleureux, que j’ai prolongé de bonheur, tant il était bon et parfumé.

Nous avons passé une nuit extraordinaire, nous avons très peu dormi, j’ai parcouru et visité son corps, goûté à sa source, à son dos, à sa nuque, et mordu très souvent à ses lèvres parfumées. C’était une si belle jeune femme… Nous avons fait l’amour deux fois. Elle était un peu novice, en manque d’expérience et de tendresse, ne connaissant pas l’amour « à l’européenne » un peu pervers, si l’on peut dire.

Au fond de moi, j’avais un peu honte, si jeune, mais après tout, si ce n’était pas moi, ce pouvait être son frère, son père, ou bien un mauvais autre… Comme la fable Le Loup et l’Agneau de Jean de La Fontaine.

Nous avons parlé d’elle, de sa famille, ses frères et sœurs, sa vie à Libreville, et sommes seulement endormis sur le matin.

 

Elle était très « chatte », abandonnée, avec son petit corps blotti contre le mien, semblant ronronner de bonheur, ses tresses étalées sur mes bras. J’étais ravi d’avoir connu, et partagé avec respect tout de même, cette succulente friandise.

C’était donc bien la première fois qu’elle couchait avec « un blanc » dans un grand lit avec draps blancs, et en plus dans une pièce climatisée. J’ai rencontré quelques difficultés pour la faire lever un peu plus tard, car elle se trouvait bien, c’est cool… me répétait-elle plusieurs fois, en employant certainement ces mots entendus dans la bouche de sa grande amie.

Longémour était déjà parti avec la voiture d’Hélène depuis longtemps, lorsque j’ai raccompagné Cachou jusque dans son quartier, avec le 4x4 qu’il m’avait laissé. Après un petit baiser, je lui ai posé quelques centaines de francs CFA dans le creux de la main, comme un cadeau, pour la remercier du moment de bonheur qu’elle m’avait donné.

 

Pour une nouvelle journée de travail, je suis retourné au chantier rejoindre le chef.

À mon arrivée, Longémour était au bureau, il m’a salué avec un grand sourire.

— Alors ! Tu as rencontré des difficultés pour te lever ? me dit-il…

— Oui ! Et quelle aventure, un petit trésor ! C’était fabuleux…

— Je t’avais averti, c’était une surprise, tu ne connais pas encore suffisamment l’Afrique, faire l’amour ici avec une femme est une chose tout à fait normale, pas comme chez nous, dans notre monde « dit » civilisé, et de faux-semblants.

— Non ! C’est vrai, mais entre « l’amour qui passe » et celui que j’ai partagé cette nuit…

Il continua pour me dire :

— Viens, on a un problème sur place. Suis-moi… Et prends ton casque…

Nous sommes partis à l’autre bout du chantier, pour retrouver un groupe, afin de résoudre un problème de passage de tuyauteries, pour l’entrée des fluides à travers l’énorme ferraillage de la tour.

De retour en France le dimanche suivant, je devais rapidement organiser la cellule de travail à l’agence, pour les études et les plans. Embaucher un dessinateur, qui pourrait accepter de partir et de rester sur place au Gabon, plusieurs mois pour suivre les travaux, et faire les plans directement sur le site.

Suite à ma demande, on m’avait affecté un nouveau bureau, une salle de réunion, ainsi qu’un espace dans les dépôts, pour stocker les matériels et organiser les mises en containers des expéditions. Les livraisons se faisant par route, puis par bateaux au départ du Havre ou de Rouen.

Une bonne quinzaine de jours plus tard, on m’a proposé un dessinateur dont le profil semblait correspondre à ma recherche, qui pouvait accepter de partir rapidement plusieurs mois, en lui proposant de bonnes conditions d’embauche. Un célibataire, la trentaine, libre, sans aucun contrat, ce nouveau travail à l’étranger paraissait fortement l’intéresser.

Maurice accepta donc de m’accompagner à mon prochain voyage, prévu vers le quinze septembre, soit une dizaine de jours après son embauche, ce qui lui permettait de s’organiser dans ses affaires et vaccinations obligatoires.

 

 

 

 

 

Voyage du 15 septembre 85

 

Longémour nous attendait dès notre arrivée à l’aéroport, tout souriant, comme toujours durant les présentations, et surtout content de trouver en Maurice un assistant pour le seconder, car le chantier avançait très vide, et de nombreux problèmes étaient à résoudre rapidement.

Afin de mettre Maurice en route, j’avais décidé de rester une dizaine de jours, nous avions beaucoup de choses à définir, en plus de son installation. Nous devions planifier notre organisation, et accorder les différents départs des matériels depuis la France, en fonction du planning, tout en suivant les diverses réunions de chantier.

 

Longémour nous avait trouvé un appartement quartier Glass, un rez-de-chaussée sur jardin, d’un immeuble de deux étages d’un bon standing, situé au bord du golfe de Guinée, en plein centre-ville. Ce logement comprenait trois chambres, séparées avec salle d’eau indépendante, une grande salle de séjour donnant sur la cuisine, l’ensemble était meublé succinctement, mais d’un très bon confort.

Du séjour, on pouvait directement accéder à l’extérieur, sur une petite pelouse, où se trouvait la piscine commune à l’immeuble, entretenue et certainement éclairée le soir. Tout était sécurisé par un mur en périphérie de la propriété, avec un accès réservé aux occupants.

Après notre rapide installation, nous avons regagné le chantier avec Longémour, pour faire une visite, nous permettant de constater l’avancement des bâtiments. Du fait de la présence de Maurice, nous avons modifié l’organisation et la répartition de nos deux bureaux situés sur le site. Un pour Longémour, et l’autre pour Maurice et moi-même, lors de mes séjours à Libreville. Le chef devait aussi prévoir l’achat d’un autre véhicule, pour que Maurice puisse se déplacer facilement.

 

En début de soirée, pour marquer l’arrivée de Maurice, Longémour nous a invités dans un restaurant africain pour un dîner convivial, puis nous avons terminé à l’hôtel Dowé devant un cocktail fruité, avant que Longémour nous raccompagne jusqu’à notre appartement. Il avait prévu de venir nous récupérer le lendemain, vers huit heures trente, après le démarrage et le lancement de son personnel.

Longémour dirigeait une équipe de quatre expatriés français, soudeurs, tuyauteurs, ainsi qu’une trentaine de monteurs africains, embauchés sur place.

Ce qui représentait pour lui une attention et un suivi de tous les instants, y compris le côté administratif, les embauches, les salaires et paies, la banque, etc.

Les jours suivants passèrent très vite, absorbés que nous étions par les réunions, la mise au courant des installations pour Maurice, ainsi que l’élaboration des livraisons. Les travaux avançaient bien selon le planning général, peu dérangés par la petite saison des pluies, l’élévation de la tour était commencée, ainsi que le démarrage du deuxième bâtiment.

 

De retour en France, il m’arrivait souvent de travailler tard le soir, pour établir les situations de travaux et factures correspondantes, et mettre certaines directives en place. En utilisant les données recueillies au cours de mon précédent séjour de septembre, je devais faire avancer les études, et commencer les notices pour les mises en service des installations.

Mon troisième voyage à Libreville, était prévu vers le treize ou quinze octobre.

 

 

 

 

 

La maison était grande, et l’on pouvait facilement y vivre séparés, sans se gêner dans deux appartements aménagés. Au calme, dans mon salon, je pouvais me concentrer sur ce prochain départ, loin des appels téléphoniques du bureau et des entretiens avec mes collègues.

Certains soirs, à la tombée de la nuit, un peu fatigué, je descendais au bord de la rivière pour faire une pause, m’étendre sur l’herbe, écouter le ruissellement de l’eau et les différents bruits de la nature. C’était pour moi d’un grand réconfort, qui me permettait de me ressourcer, de retrouver l’énergie nécessaire pour faire face à ma tâche et mes soucis du lendemain.

Très souvent, je pensais à Juliette, ma complice, mon amie, celle avec qui j’avais partagé une grande partie de mon enfance. Elle avait toujours une petite place dans mon cœur, elle faisait toujours partie de ma vie, malgré la séparation définitive des adultes suite à la maladie.

En pleine saison, vers le mois de juin, je pouvais, et j’en étais gourmand, ramasser directement des cerises sur les basses branches, car j’avais trois superbes arbres au milieu du grand pré avant la rivière.

 

Vers vingt-trois heures, un soir, j’étais tranquille, plongé dans quelques pensées, en parcourant des documents, lorsque le téléphone s’est mis à sonner.

Qui pouvait bien appeler à cette heure tardive ?