Rock'n Roll machine - Michael Gay-Duchosal - E-Book

Rock'n Roll machine E-Book

Michael Gay-Duchosal

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Beschreibung

Aubrey sort de prison.

Le King pousse la chansonnette, accompagné de Jim et Mick qui frétille comme une anguille.

Soeur Escapulaire récite son credo.

La terre Gaya.

Ulysse, Calypso.

Un singe glouton.

Darwin !

Nietzsche, rimailleur abscons de la généalogie des coliques.

Moscou en flammes !

Gotham city.

Petra et le cadavre de Paul.

Lucifer qui ricane…

Les pièces du puzzle ne s’emboitent pas, pire ne semblent pas même correspondre ! Le capitaine se creuse la tête, cette affaire ne fait aucun sens !

Schwenter, le patron de la scientifique, hausse les épaules, et si la vérité était ailleurs ? Où ça ? Dans les méandres du temps !




À PROPOS DE L'AUTEUR

Micheal Gay-Duchosal - Scientifique de formation, passionné de musique et littérature, MGD quitta, il y a déjà fort longtemps, sa Suisse natale et avec elle sa confortable caverne planquée au coeur même du massif alpin ! Après un pallier de décompression obligatoire à la capitale/Paris, il reprit son baluchon et poussa jusqu’à Sao Paulo, Brésil, afin de découvrir le magnifique pays de sa chère et tendre épouse. Leur Odyssée de poche aurait pu s’arrêter là, mais, surprise ! la Californie leur tendit les bras, et voilà toute la famille qui se dore la pilule sous son glorieux soleil en sirotant le ponch un peu trop chargé de leur célèbre voisin, the Big Lebowski ; le rêve américain, quoi !

Enfin, presque…


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Seitenzahl: 343

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Rock’n Roll Machine

À Luciana.

Prélude

Où l’auteur, très sûr de son fait, présente les différents protagonistes de sa délicieuse comédie !

Les gros mots ont cette vertu qu’ils permettent d’éviter les périphrases !

–François Rabelais

Jim est ivre mort, il tient à peine sur ses pattes et l’autre crétin qui lui crache toutes ces conneries à la gueule ! Jim essaie de le calmer, mais rien n’y fait, Brian hurle comme un putois… Oh, et puis va te faire foutre, ta mère suce des poques en enfer ! Jim se tord les côtes, son rire bruyant se répand comme une traînée de poudre, des bouches édentées, des visages brûlants aux faciès hallucinés d’alcool et coke convulsent en s’arrachant les cheveux, infernal fracas, le monde entier se tape sur les cuisses en grimaçant de douleur, seule ombre, Brian, le portrait figé au milieu de ce fantastique Mardi gras… il fait un pas vers Jim et lui décoche un énorme crochet du gauche. Pluie d’étoiles, Jim finalement se relève, ils se font face, sa respiration s’accélère, colère sourde et noire, et se jette sur Brian qui tombe à la renverse. À partir de là, tout va très vite, bouteilles, chaises, assiettes se mettent à voler, on crie, on se bat, la bonne rigolade est terminée, déjà les sirènes de police se rapprochent, une nana qu’il avait repérée en début de soirée l’aide à descendre l’escalier de service, son mascara a coulé, une loupiote fantomatique, elle ouvre la porte et sort en titubant, la ruelle est déserte, odeurs de pisse et ordures, mais putain où est-ce qu’elle est passée ?

Nuit noire, Jim frissonne, d’une sous-pente, Shirley Horn monte en sourdine, Funny Valentine, you make me smile, le temps s’étire à l’envi et bat une interminable mesure, bitume lourd, un pied après l’autre jusqu’à ce que tout se détraque… Bon Dieu, relève-toi ! Tu verras alors Cassiopée, Jupiter et Mars, Vénus qui crache son feu sacré et guide les voyageurs égarés vers la porte des enfers où le bon Gabriel t’accueillera à la hauteur de tes mérites, wake up baby, les femmes sont belles et sournoises et le monde si vaste qu’il est impossible de l’embrasser d’un regard.

Jim vomit dans la roseraie, la nature est très aimante pour les ivrognes. Nauséeux, il contourne le théâtre de verdure et emprunte la pelouse souple qui grimpe jusqu’aux arbres séculaires. De cette multitude, un géant se détache, un chêne-roi, phare perdu dans l’océan urbain. Soutenu par d’immenses tentacules qui plongent dans le limon rocailleux, il est un précieux refuge pour tous les John & Mary for ever dont il porte, gravés à blanc dans sa chair, les brûlants stigmates. À bout de souffle, Jim se laisse tomber au pied du molosse.

***

Petit matin effervescent, les employés modèles sortent en grande pompe, sourires glacés, la pilule est amère. J’ai connu la ligne droite, le regard qui porte loin, je me tenais debout et la plaine immense s’ouvrait devant moi à l’infini. L’univers était ordonné, j’avais des certitudes, plein de certitudes, mais la vie a déferlé, détruisant le noyau sacré du bonheur qui me rattachait à la terre et me voilà perdu dans l’inextricable labyrinthe, Dédale est un fou, et le Minotaure sa bête immonde… Pauvre con ! Le capitaine coupe la radio, Wallace bâille, on recommence à rouler. Le capitaine dessine avec son doigt des huit imaginaires sur le revers de sa veste, bon, le révérend-gros-débile vous dirait que la vie est une longue marche forcée, une course de fond où chacun attend son heure, la vérité mon petit Wallace, c’est que la vie est une course, à la diable, effrénée, haletante qui ne tolère aucun retard, Bang vous voilà parti et le temps vous manque déjà, regardez-moi tous ces crétins ! Eh, le temps presse, il est plus tard que vous ne pensez ! Wallace ouvre tranquillement la fenêtre, plante le gyrophare et toutes sirènes hurlantes met le feu au cortège, où est-ce qu’on va ? Roule, mon petit… vole ! 

Brooklyn, South Williamsburg, Humboldt Street, une succession de façades en bois et briquettes délavées, d’entrepôts couverts de graffitis. En face de la boulangerie Peters, un portique oxydé qui débouche sur un bâtiment industriel reconverti en administration… des extrémités du hall d’entrée deux escaliers monumentaux se jettent vers les étages. Au premier, un fouillis inextricable de bureaux où des policiers hagards tapent des rapports sans fin, au second, la direction et les salles d’interrogatoires avec leurs verres sans tain. Théâtre d’ombres, un flic chargé de dossiers sort dans un rai de lumière, tandis qu’un prévenu est ramené dans sa cellule menottes aux poignets.

–Tout le monde vous cherche ! 

Le sergent Garcia bravache.

–Ils ont serré votre « pote »Luis.

–Ah bon ? 

Sur le verre dépoli, on peut lire en capitales : CPT. K. KRAUS. Wallace pousse la porte, une épouvantable odeur de cigare les prend à la gorge.

–Ah, si j’attrape cette maudite Martha !

–Capitaine vous n’allez pas me faire avaler…

–Parfaitement, cette délurée de Martha, qui d’autre ! Il serre les dents, sa table croule sous les dossiers, aime ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as aimé, un jour, je foutrai le feu à toute cette merde ! Et les yeux mi-clos, il réduit en cendre Police Central, d’abord les archives, la buvette, puis la réception et l’économat, lorsqu’une voix familière le tire de ses délicieuses rêveries apocalyptiques.

–Capitaine, on a un homicide au Bristol, un drôle detruc.

***

À une encablure, au fond de la cent cinquante-troisième, Sugar Hill, un molosse décrépi recouvert de balcon-tulipes qui toise, étonné, le paisible Trinity Church Cemetery où repose feu John Astor the fourth, célèbre passager du… Titanic !

Le couvert de toile est complètement mité, sa chair en lambeaux claque dans le vent comme l’étendard sanglant giflé par la mitraille, personne ne vous ouvre, le dernier portier a disparu depuis belle lurette ! De l’immense coupole filtre une lumière blafarde qui projette ses ombres évanescentes sur le marbre poussiéreux du hall d’entrée. Leurs pas résonnent sur la dalle froide, ils contournent le bar dont les tapisseries vieillies cloquent dans l’humidité et se dirigent vers les ascenseurs sans prêter la moindre attention au vieillard cacochyme adossé à la fenêtre qui vient de renverser son café ! Il repose sa tasse en tremblotant, éponge son journal de sa pauvre manche et reprend sa lecture l’air de rien. Couloirs ruinés et graffitis obscènes défilent à travers l’entrebâillement des portes de bois, l’arrêt est brusque, Wallace et le capitaine s’engagent dans un long boyau éclairé par des néons jaunâtres qui grésillent comme une baraque à frites, à l’extrémité une rosace se détache de la pénombre, ils s’approchent… la ville étire ses longs tentacules de lumières, feux-follets crépusculaires qui se perdent dans les étoiles, Babel inouïe aux tours démesurées, mausolées géants de nos cimetières célestes avec, tout en bas, craché des artères de la bête, une marée humaine qui déferle sur le monde.

–Par ici, Capitaine ! Le flash de la scientifique les éblouit.

–Encore une et j’ai terminé. Le légiste, un petit blond dans la quarantaine, s’approche.

–Un certain Paul Keller, il a été abattu entre quatre et six heures du matin, à bout portant.

–Des traces de lutte ? 

–Aucune ! 

–Qui l’a découvert ?

–La femme de chambre.

–Des témoins ?

–Aucun. Wallace pointe la théière sur la table denuit.

–Drogué ? 

–Possible.

–Allons voir ça de plusprès.

Sa tête est inclinée sur le côté, un visage harmonieux que parcourt une barbe savamment dessinée, nu, son teint déjà bleu renvoie au sublime Mantegna dont le Christ mort se languit dans une trompeuse nonchalance. Seul témoin de sa funeste destinée, un petit trou entre les deux orbites. Ils se penchent et observent le corps dans ses moindres détails.

–Rien de mon côté !

–Pas mieux ! Wallace parcourt ses poches, en tire un gant de latex qui claque en épousant sa main gauche puis fouille une petite valise échouée dans un coin de la chambre.

–Que des fringues de marque, il y en a pour deux mille dollars…

–Rien sous le lit ! Le capitaine se relève en époussetant son beau costume et se dirige vers la salle de bains. L’air dégoûté, il tire du bout des doigts le rideau de douche dont le fond moisi peine à se décoller de la baignoire, Sergent, vous passez au crible le personnel, Wallace vous venez !

Trois coups violents résonnent sur le palier. Police ! Jim, frappé en plein sommeil, décolle de son lit. Le souffle coupé, il entend la même voix répéter en martelant les syllabes. Police, ouvrez s’il vous plaît ! Il se traîne vers la porte en marmonnant. Ah, euh, une min… Un grand type élégant éclipse une espèce de Richard Bronson version soleil rouge en trash.

–Capitaine Kraus, police de New York, et voici le lieutenant Wallace. Il remet son badge dans la poche.

–Euh… oui ! Jim, tête blonde en pétard, se tortille en clignant des yeux, ébloui par les soubresauts capricieux des vieilles appliques à l’agonie. Wallace, amusé, enchaîne.

–Comment vous appelez-vous ? Jim, les deux mains en visière, essaie de faire bonne figure.

–Votre nom, je vous prie !

–Euh, euh, Jim, Jim Monroe.

–Fantastique ! Petite forme, hein ? Et, vous venez d’où ? 

–De, de Kansas City !

–Vous entendez cela Wallace, Monsieur vient de Kansas City faire la monstre TEUF, alcool, disco et petites pépettes à gogo, avant de se foutre sur la gueule, hein ? Jim esquisse un mouvement préjugeant de sa volonté de répondre, mais son hésitation le perd et le capitaine continue de plus belle. C’est du moins ce que me racontent ce tee-shirt maculé de sang et votre tronche d’apôtre couverte de coquards ! Jim manque de s’étrangler. Vous êtes ici pour affaires ?

–Ah non, pas du tout ! Je suis de Kansas City, mais j’habite ici depuis une année et c’est l’autre connard qui a commencé, moi, j’aime pas la bagarre, c’est, euh… nul la bagarre ! Jim prend une pose crispée.

–Tout s’éclaire mon cher Wallace, voyez l’art d’accoucher les esprits ! Vous travaillez ?

–Hein ?

–Le capitaine vous demande chez qui vous travaillez ?

–Dans une pizzeria, chez Tony au…  

–Chez Tony, s’exclame le capitaine, voyez-vous cela ! Et vous avez entendu quelque chose de bizarre ce matin vers cinq heures ? 

–Non, je dormais profondément, j’avais pris des cachets et…

–Je vois… Le capitaine fait une moue ennuyée, se lisse d’une main le visage. Rien entendu, hum… Un crissement régulier vient interrompre le fil de ses pensées et Jim médusé voit passer un chariot sur lequel repose une bâche de plastique grise de la taille d’un corps que pousse, clope au bec, le légiste.

–Vous le connaissez ? 

–Qui ça ? 

–Le voisin… dans la housse !

–Non, NON, répond Jim blême.

–Wallace, une question à poser à notre ami ? Il tend sa carte. Si un détail vous revient. Et juste avant de refermer la porte, lui décoche, facétieux, un énigmatique clin d’œil.

–Zarbi.

–Ouaip…

À travers la fenêtre crasseuse de la voiture, la ville se déploie, ville-fleuve, ville-océan où un homme est mort assassiné… Au pied des tours immaculées, des bouches béantes crachent des poisons brûlants ; le mépris, l’avidité, la jalousie. Éros, allongé sur le divan de quelque chaman freudien se racontera et Thanatos, sur-possédé de lui-même, l’habit maculé de sang, plongera dans la nuit étincelante en brandissant son couteau. Dieu est mort et il faut bien que quelqu’un garde la baraque, soupire le capitaine. La radio grésille, un type à poil fait le con dans centralPark…

–Vous ne doutez jamais ?

–De quoi ?

–De tout ça ! Je veuxdire…

–Le doute est une pollution de l’esprit ! Il y a toutes ces horreurs, et alors ? Tiraillé entre le paradis perdu de Milton et le pandémonium de Dürer, nous avons tous ce besoin régressif de clarté, de simplicité, mais c’est un rêve, un leurre, une poétique de l’esprit, l’univers est pur chaos ! Le capitaine hausse les épaules.

–Et alors ?

–Alors rien, je lutte contre l’entropie.

–Avec votre épingle de shérif…

–Et vous ?

–Je ne suis qu’horreur dusang.

–Pas pire !

Un food-truck bariolé, ils s’arrêtent pour manger une saloperie sur le pouce.

–Bon, j’ai rendez-vous avec le maire, faut qu’on se magne !

–Putain, ça caille ! Wallace relève le col de son manteau. Une coupure de courant a plongé toute la rue dans l’obscurité, un chemin de lune les ramène à la voiture. Le capitaine, mâchoire serrée : « Moi aussi, un jour, je quitterai la lumière, et hop, juste un pas de côté pour te rejoindre à jamais dans cette nuit éternelle. » Il s’arrête, regard perdu. Wallace lui prend le bras : « Vous allez être en retard, hein ? »

***

Jim avachi dans un coin près du flip tente d’avaler son troisième expresso, devant lui, Peggy fait son cirque habituel, elle court de table en table en dandinant du popotin avant de passer derrière le bar pour s’attaquer à une pile de verres avec un gros chiffon blanc. Son café est toujours aussi dégueulasse, soupire Jim en matant son hypnotique décolleté puis triture un gros muffin dégoulinant, avale de travers et tousse sa race, la messe est dite ! Il se lève en jetant sur la table un billet de cinq dollars tout froissé.

Downtown, Jim traîne son blues, une foule électrique prend d’assaut les boulevards, des torpilles en minijupe hurlent au téléphone tandis que des connards déguisés en dindon se décrochent la mâchoire, rires gras et satisfaits, un coursier le harponne, ouvre les yeux, putain ! Il suffoque, veut hurler mais les tours glacées le tiennent en respect. Une lune opaline glisse entre chien et loup. Jim s’enfonce dans une ruelle sordide, deux prostituées tapinent dans la pénombre, l’air revêche, au grand soir, lorsque le train de la mort viendra me prendre, j’aurai peur une dernière fois alors c’est ton nom que je crierai ! Il saute dans un taxi et s’enfuit. À un bloc de l’hôtel, côté Jackie Robinson Park, il descend et marche sans but précis, en ruminant, lorsque des lumières hystériques attirent son attention : The Time Machine ! Il pousse la porte… un cabaret d’avant-guerre, vestige déliquescent de la prohibition, énorme carton-pâte de briques et moulures ponctué de grands miroirs aux reflets usés, les soirs d’orage d’aucuns prétendent avoir vu les visages crispés d’Eliot Ness et Frank Nitti prisonniers du vif-argent ! Sur scène, des musiciens de jazz distillent une musique finement alcoolisée… this bitter earth, what good is love, Mmm that no one shares, and my life is like the dust… la chanteuse s’efface et le piano reprend le thème en improvisant, porté par le groove obstiné des cymbales frémissantes, des amants chavirent, Jim est transporté…

Un coude sur lezinc.

–Pas grand monde !

–C’est encore un peutôt.

Dieu qu’elle est belle ! Peu à peu, le brouhaha des discussions étouffe la musique. Une foule bigarrée se presse maintenant autour du bar. Il se lève, étrange fumée bleue à l’odeur suspecte, Restroom, devant la porte à double battant estampillée Men, la moitié du New Jersey s’est donné rendez-vous, découragé, il rebrousse chemin et emprunte le colimaçon qui mène au Paradis, un à-pic vertigineux qui plonge sur la salle. Un peu chancelant, il pose le menton sur la rambarde et contemple, fasciné, le spectacle imprévisible qu’offrent de minuscules insectes chaloupés dans l’ambiance polychrome de leur boîte de Petri. Let’s the good times roll, une marée humaine ondoie, vacille et chancelle, le front perlé de sueur et le sang à ébullition, il court s’y noyer.

Énième whiskey, des couples enlacés tombent de sommeil en se traînant vers les vestiaires, Gina lui tend l’addition, il cherche son porte-monnaie, parcourt ses poches, une, deux, trois fois, commence à transpirer.

–Je ne comprends pas ? Un rugbyman tatoué intervient.

–Un problème ? Elle hausse les épaules.

–Je l’avais sur moi tout à l’heure ! Il refait toutes ses poches… 

–Alors ?

–J’ai payé mes bières en début de soirée, il a dû tomber. Jim se gratte la tête. Je pourrais… 

–Foutre le camp avant que j’te dégage à grands coups de latte ! 

–Bob ! Intervient un vieux-beau sapé comme un milord, tu vois le mal partout ! Faisons preuve de compréhension et laissons à notre ami une chance de s’en tirer la tête haute, voyons cela, ah tout de même ! Comment comptez-vous mon cher nous dédommager de cette coquette somme ? 

–Euh…

–C’est un peu court jeune homme, on vous trouve ?

–À côté, au Bristol ! Le rugbyman dégoûté.

–Parfait ! Manquait plus que les clodos du Bristol ! Bordel, on n’est pas à l’Armée du Salut ici ! J’ai un business à faire tourner, merde !

–Bobby calme-toi, s’il te plaît ! Il y a sûrement une solution.

–Ouais, appeler les flics pour qu’ils coffrent ce petitcon !

–Je reviendrai vous payer après le boulot.

–Tu parles, encore un qu’on reverra jamais ! Lord Byron se bouffe l’intérieur des joues, fait claquer sa langue, renifle comme un tubard… Bon, c’est d’accord !

–Euh…

–Tu peux y aller maintenant !

–Ouais, dégage !

–Ben, au revoir alors, merci ! Et Jim, plus bas que terre, les yeux rivés au plancher, s’évapore sur la pointe des pieds. Lord Byron et Bobby hochent latête.

–Pff, si c’est pas malheureux !

–Bon, j’y vais ! 

–Ouais, à demain Gina !

Jim s’éloigne, elle le suit un instant du regard en se demandant si c’est un connard irresponsable ou juste un pauvretype.

2

Deux collègues gênés, mal à l’aise, paupières humides, se découvrent… un chauffard a fauché la petite sur le chemin de l’école… et la vie bascule à jamais ! Douleur, cris, larmes, révolte, puis ce silence insidieux qui petit à petit les étouffa. La veille de Noël, madame Kraus fit sa valise, le capitaine n’eut pas la force de la retenir, il était au bout du voyage. Des larmes sèches coulaient sans discontinuer le long de ses bajoues raidies d’écume bleue, des poches blafardes écrasaient son regard, il ne respirait plus et s’éloignait, indifférent, le corps et l’âme broyés. Fini bavardages et mots spécieux qui rhabillent de guenilles la cruelle vérité, on ne pouvait plus rien lui dire, il était au bout, seul, face à l’abîme, chagrin noir, coi et sans écho, mur géant de ténèbres, c’était il y a une dizaine d’années et depuis… depuis, il traîne avec lui cette douleur formidable, enfouie au plus profond de sa chair marquée au fer rouge, on n’échappe pas à la vérité. Le capitaine repose la photo de sa fille sur le buffet seventies et passe son manteau, Wallace l’attend en bas.

–Bien dormi ? Il sourit, une chimie délicate lui permet de traverser les nuits sans rêver.

–Et vous ?

–J’ai passé la soirée chez ma sœur. Le capitaine s’anime.

–Ah… et comment c’était ?

–Comme d’hab, un cauchemar.

–Oh !

–Je ne m’étends pas sur sa progéniture.

–Vos neveux en somme !

–Trois petits braillards mal embouchés qui passent le plus clair de leur temps à se rouler dans la fange, un désastre ! Ensuite, on n’y coupe pas, mon fumelard de beau-frère et alors là que dire ? Je vous le demande, que dire de cette très, très grosse enflure ? Eh bien, rien, mais alors rien du tout car, comme vous le savez, tout a déjà été dit, et au tribunal notamment ! Ils en ont même fait des bouquins, excusez du peu ! Enfin, on ne va pas cracher dans son bonnet puisque ce petit salopard travaille maintenant comme conseiller économique auprès de la banque centrale où il se fait littéralement des couilles en or, d’où la question, la sempiternelle question, pourquoi est-ce toujours aussi dégueulasse, pourquoi sont-ils incapables de boire et manger autre chose que de la merde ? C’est une énigme !

–Il se tient à carreau ?

–On dirait…

–Adieu Tina et ses fleurs sauvages, toute une époque, heureusement qu’il nous reste les photos de famille. Clin d’œil complice à Wallace.

–Même pas, elles ont été confisquées par lejuge.

–Quoi, des tirages magnifiques ! Wallace soupire.

–Tous ces crétins de Lehman Brothers le cul à l’air et le nez dans la farine.

–Ouais, on aurait dû les coffrer.

–Vous en avez de bonnes, sous quel motif ?

–N’importe, délit de mouche à merde !

Silence circonspect.

–Et votre sœur ?

–Avec ses études à rallonge, philo, taxidermie, doctorat, post-machin et tout le toutim, c’est au fond une grosse tarte qui s’est fait piéger par uncon !

–Ils forment pourtant un joli couple.

–Sur le papier, peut-être, mais comme nous le rappellent Roméo et Juliette, Tristan und Isolde, King Kong et Blondasse, les grandes histoires d’amour finissent toujours dans le caniveau, certes, il y a quelques exceptions, Blanche et ses nains répugnants, la veuve joyeuse et le prince Pistache, super rares… Oh famille, refuge des petites vertus ! Le capitaine fronce les sourcils. Non, ça ne veut rien dire, c’est une citation de Nietzche, complètement bidon !

–Ah…

–Mais qui fait toujours son petit effet… et le maire ?

–Un boulet !

–Allonsbon ?

–Enfin, ce n’est pas nouveau.

–Vous avez raison ! Wallace se renfrogne. Quand je pense au nombre de barbus déments qui rôdent en toute impunité, j’en ai la chair de poule, un petit café ?

–Je me tâte, le canon glacé de mon arme me rappelle que l’apocalypse n’est pasloin.

–Rapidos et ensuite on se jette dans l’arène.

–Eh bien, soit ! Le capitaine se recroqueville dans son siège en chantonnant, edelweiss, edelweiss, small and white…

3

Dans l’ombre de Riverside Church, Morningside Heights, Manhattan, un hôtel particulier néo-Renaissance avec son immense terrasse qui domine l’Hudson river.

Tout d’abord, la pile de casseroles abandonnées la veille, pêle-mêle dans l’évier ! Armé de brosses et d’éponges, il brique avec frénésie ces culs-de-basse-fosse croûteux avant d’attaquer la cuisine à grand renfort de Javel et détergent. À dix heures, les cuisiniers arrivent, salut Jim ! Sisyphe, le tablier couvert de savon, va s’en griller une petite, salut les gars ! Il est assis sur le perron lorsqu’un vrombissement familier se rapproche, monsieur Tony au volant de sa Maserati Sebring, une roquette stratosphérique de plus de quatre cents chevaux fait son entrée. La portière s’ouvre, une magnifique chaussure italienne de cuir marron reste un instant suspendue dans les airs avant de se poser fermement sur le sol, un homme de petite taille, plutôt sec, s’extirpe du bolide en se recoiffant, ajuste sa cravate, tire sur sa veste et se dirige vers Jim d’un pas de conquérant au destin achevé.

–Bonjour monsieurTony.

–Bonjour mon petit. Et le divin Péléide sourit.

–Monsieur Tony ?

–Oui ? Regard bleu acier, Jim surpris, balbutie.

–Euh… Tony se rapproche jusqu’à le frôler et dans un murmure :

–Oui ?

–Je, euh, pourrais vous parler tout à l’heure ?

–Bien sûr, sauf si c’est pour me demander de l’argent !

–Euh… Jim pique un fard épouvantable, rouge pivoine et la sueur au front, il ne sait plus où se mettre, Tony impassible le laisse goger puis, toujours avec ce même regard :

–Viens me voir après le déjeuner !

–Euh…

Jim décomposé essaye de se reprendre tandis que Sa Majesté Tony, drapé d’alpaga et cachemire, se détourne et commence sa grande tournée d’inspection par la salle à manger où la moindre anomalie est châtiée sans merci, fleurs, nappes, verres, assiettes, décoration, mobiliers, doivent en tous points se conforter aux savants desseins du Prince philosophe. Assis sur un tabouret, il guide le profane.

–Un peu plus à gauche, non à droite, à DROITE ! 

–Mais…

–Les fleurslà…

–Oui ?

–Poubelle !

–Mais…

–Mais quoi ?

–C’est madame qui les a achetées…

–M’en fous, poubelle !

Et des cimes de l’Olympe, il descend, plein de courroux, direction les cuisines, sa voix de stentor enfle.

–Qui a fait ça ? Tous baissent latête.

–C’est que…

–Taisez-vous ! Jamais vu une horreur pareille… Monte Cassino après la tempête, des misérables taillés en pièces, la terre retournée par les obus, et le petit qui passe derrière vous pour nettoyer toute votre, votre… c’est honteux !

–Mais patron…

–Plus un mot, c’est la dernière fois, vous finirez tous par me rendre fou ! Il sort en fulminant. La caisse, Paula, la caisse !

–J’arrive…

–Dans mon bureau !

–Voilà ! Paula dépose un gros livre de compte doublé de cuir rouge.

–Combien on a fait hier soir ?

Jim épluche les dernières pommes de terre, sans quitter leur tablier, les cuisiniers rejoignent une minuscule salle à manger privative tapissée de fleurs, guirlandes, conques et autres motifs baroques. Le chef Esposito se verse une coupe de vin, le second pioche dans la panière alors que le cuistot, un petit tasson au visage poupin, se lève pour aider Gloria, une Diane napolitaine échappée d’une toile de Luca Giordano. Ils se passent les plats sans prêter la moindre attention au poste de télévision muet qui diffuse, au-dessus de leurs têtes, une chaîne d’info en continu. Esposito, petit sourire en coin, se tourne vers Gloria.

–Alors ton infirmier ?

–Il est rentré chez bobonne avec son chat !

–Non ?

–Si ! Mais je m’en fous, jamais pu le blairer ce stupide animal, n’en faisait qu’à sa tête, nous réveillait toutes les nuits.

–T’aurais dû t’en débarrasser plus tôt… Elle soupire.

–Mouais, je suis une idiote que veux-tu.

–Une sentimentale…

–Et ta sirène du Mississippi ?

–T’avais raison, c’est une fondue ! Le second incrédule.

–Tu la connais ? Gloria hausse les épaules.

–Une vieille copine un peu barge ! Esposito saute sur sa chaise.

–Un peu barge, tu plaisantes ? Folle à lier, oui et jalouse avecça !

–Oh, ch’tit pépère tout misère ! Esposito se renfrogne, tape dupied.

–Je retourne chez ma mère ! Éclats de rire.

Jim les rejoint et s’assoit à sa place habituelle. Il ouvre une pochette de plastique à son nom et en tire une serviette d’un blanc immaculé qu’il glisse sur ses genoux. Gloria lui tend un plat de succulents macaronis.

–Merci.

–De rien, amoremio !

Petit à petit, les conversations s’épuisent et, le nez plongé dans leurs assiettes, ils mangent comme des automates, détachés, absents, totalement abandonnés à ce bref instant de répit qu’ils aimeraient voir se prolonger encore et encore… mais déjà Esposito regarde sa montre, messieurs, à vos postes ! et file en cuisine suivi par l’essentiel de la brigade qui renâcle.

–Hé ! Jim se retourne, c’est Paula. Le patron veut tevoir.

–Maintenant ? Elle secoue latête.

–J’yvais.

La porte est entrebâillée.

–Je peux ? 

–Bien sûr, entre, installe-toi !

Tony est plongé dans la lecture du livre de comptes, avec l’aide d’une règle, il en contrôle chaque écriture, annotant parfois la marge de petits signes cabalistiques.

–J’ai presque fini !

Reagan, Clinton, Horowitz, Menuhin, Rostropovitch, la Callas, Jane Fonda, les Stones, Paul Newman, Barbara Streisand… leurs portraits dédicacés tapissent le mur,

–Impressionnant, hein ? Cinquante ans de travail !

–Très…

–Tu voulais me voir ? Jim commence à fondre.

–Oui, ben voilà, je, euh, buvais un verre dans un bar près du Bristol hier soir et, euh, c’était vraiment super, il y avait du jazz, du rock, euh, une ambiance incroyable, mais j’ai perdu mon porte-monnaie et au moment de payer. Tony se racle la gorge, stoppant net le pauvreJim.

–Ben continue…

–Euh, oui. Jim transpire. L’ambiance et tout ça, puis au moment de payer donc, je ne trouve plus mon porte-monnaie, ça a failli mal tourner, le patron voulait me casser la figure et… Sa voix devient presque inaudible. Vous pourriez m’avancer deux cents dollars s’il vous plaît, je vous rembourserai !

–Dis-moi, est-ce que tu te drogues ? Jim sursaute.

–Mais,non !

–C’est bien… les flics viennent d’appeler, qu’est-ce qui s’est passé à l’hôtel ?

–Un type dans la chambre voisine a été. Jim déglutit avec peine. Assassiné !

–Tu le connaissais ?

–Non, jamais vu ! Tony se frotte le menton, songeur.

–Tu as bien fait de venir me voir, il n’y a que les imbéciles qui refusent par fierté l’aide que l’on pourrait leur apporter… et arrête de baisser les yeux, un regard faut que ça tienne, tu comprends !

–Oui.

–Et reste droit ! Jim se redresse aussitôt. Pour ta petite affaire, tu iras voir Paula.

–Merci, monsieur Tony !

Jim se rend dans le bureau de Paula qui lui tend une enveloppe.

–Tiens c’est pourtoi !

–Merci beaucoup.

–Ce n’est pas moi qu’il faut remercier.

Avant de regagner les cuisines, Jim s’enferme aux toilettes et ouvre l’enveloppe, un, deux, trois, quatre, cinq… billets de cent dollars flambant neufs !

4

Wallace frappe le flipper. Bordel ! Il porte la bouteille de Coke à ses lèvres en regardant son score s’afficher. Minable ! Jack le boutonneux prend le relais, arme, tire, la bille s’échappe et va s’écraser contre les tambours électriques qui claquent bruyamment.

— Wallace qu’est-ce que tu fous ?

— Je me tire, j’ai besoin d’air !

Il traîne ses guêtres jusqu’au cimetière, enjambe le muret et se retrouve sur le parking en herbe de l’aérodrome où le vieux Sherman ripoline son Pitt, un magnifique biplan d’acrobatie rouge et bleu.

–T’en fais une tête, un problème ?

–Non, aucun ! Le vieux Sherman le scanne de la tête aux pieds avec ses Ray-Ban.

–On va faire un tour !

–Hein ?

–Je vais chercher le matos.

–Mais…

Wallace, idiot, s’assied sur le gazon jauni.

–Tiens. Sherman lui tend en souriant un parachute et des écouteurs. Attends, je vais t’aider… en cas de problème, à mon « go ! », tu sautes et tires sur cette poignée… et le parachute se déploie… enfin la plupart du temps… compris ? Jim opine du chef. Le volume se règle ici, vas-y monte, ceintures… voilà, un coup sec, c’est parfait ! Et s’installe à sontour.

–OK, tu m’entends ?

–Ouais…

–Affirmatif !

Sherman psalmodie dans son micro, le moteur pétarade, une épaisse fumée blanche enveloppe le capot, puis l’hélice accélère et nettoie d’un coup l’horizon, autorisation de rouler ! L’avion se dandine jusqu’au seuil de piste, Sherman plante les gommes, monte les tours et, dans un bruit de tonnerre, fait son check-moteur. Paré ! Clearance de la tour ! ils s’alignent, plein gaz… l’avion prend de la vitesse, sa roulette de queue quitte le sol, une pichenette et hop, ils s’envolent… le terrain disparaît, le Pitt zigzague entre les nuages, des petites pelotes cotonneuses dont la base s’effiloche.

–À toi maintenant ! Je t’explique avec le manche… Et Wallace de virer à droite, à gauche… Un looping ? Tu suis du regard l’extrémité de l’aile, maintenant la tête en arrière… et le sol est de retour ! Une barrique ? Tout est si beau vu du ciel ! Les HLM papier bible qui se tordent dans le vent, le bayou infecté de moustiques, les moissonneuses-batteuses qui dansent sur les blés et même l’échangeur dont les hideuses protubérances se transforment en un délicat kanji qu’une main artiste dessina sans trembler au milieu de la vaste prairie.

–Ouh, ouh, y’a quelqu’un ? Houston répondez ? Coucou, c’est moi, John !

–Hein, qu’est-ce que ! Wallace retombe sur terre brutalement.

–Sympa, tu l’as trouvée où ? Il repose la petite maquette colorée sur son bureau.

–Aux puces de Williamsburg…

–Je te présente Brutus Kowalski qui travaille aux stups depuis presque…

–Sixans !

–Et qui vient en stage à lacrim.

–Oui, bien sûr, le capitaine… Wallace se lève pour lui serrer la main, très heureux, bienvenue !

–Merci beaucoup !

–Bon les Marines, je vous laisse deux minutes, je vais chercher des cafés, pas de bêtises ! Wallace :

–Tu étais dans les Marines ?

–La Navy, canonnier sur l’USS Portland ettoi ?

–Pilote de super Huey !

–Ouah ! Wallace secoue la tête en acquiesçant à on ne sait quoi, tandis que Brutus évite de regarder ses chaussures.

–Vous êtes bienici !

–Euh… oui ! C’est centré…

–Non je veux dire, aux stups, on est tous les uns sur les autres.

–Ahoui.

–Ici, au moins, vous avez de la place.

–C’est vrai ! Un silence gêné s’installe.

–Tu es sur quoi maintenant ?

–Un drôle de truc, un type retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel.

–Ligoté, en bas résille ?

–Non, à poil sur sonlit…

–Tiens ! Wallace, sceptique, croise les bras tandis que Brutus, l’air inspiré, pivote tous azimuts.

–C’est sympaici !

–Euh, ouais !

–Non, je veux dire l’ambiance a l’aircool.

–Très cool !

–Ça se sent ! Tu es marié ? Wallace fronce les sourcils.

–Non ettoi ?

–Non plus, c’est marrant, hein ?

–J’sais pas, ouais. Il hausse les épaules.

–Vous pouvez m’aider ? John leur tend des gobelets de plastique fumants. T’as vu que les Stones passent au Beacon ?

–Et… tu pourrais avoir des places ? Tantale, l’air de ne pas y toucher.

–Peut-être. Wallace au comble du supplice.

–Non, ne me dis pas quetu…

–Eh ben, ouais !

–Putain, mais comment tu fais ?

–Un jour, je t’expliquerai.

–Bah, garde tes secrets.

–Ça vaut mieux, crois-moi !

Tempsmort.

–Bon, autant qu’il s’y habitue tout de suite.

–Bienvenue ! Wallace retient sa respiration, ferme les yeux et avale une gorgée.

–C’est vrai qu’il est raide !

–Putain !

–Vous êtes certains que c’est du café ?

–Bizarrement, le truc, c’est d’y ajouter de l’alcool, prune, poire ou sans plomb et ça passe ! Brutus laboure sa gigantesque tignasse rousse.

–Excusez-moi les gars mais pourquoi vous buvez une saloperie pareille ?

–C’est vrai pourquoi est-ce qu’on boit cette saloperie ?

–J’sais pas, l’habitude sans doute !

–Un rituel hérité des anciens ? Brutus pointe son nez en direction de la machine à café, une pétaudière ferraillée à l’ancienne surmontée d’un manomètre comac, l’aiguille plantée sur le rouge.

–Vous l’avez déjà détartrée ?

–Tu veux dire, depuis la guerre de Sécession ?

–Le capitaine a raison, on devrait balancer cette grosse merde par la fenêtre.

–Pff, il ne respecte rien ce type, pas plus que toi d’ailleurs !

–Mais qu’est-ce que tu racontes ?

–C’est vraiquoi.

–Mais quel rapportavec…

–Aucun, faîtes chier, c’est tout !

–Putain, mais faut te faire soigner ! Brutus, avec une petite voix d’infirmière.

–Tss, j’ai l’impression qu’il y a un peu de tension entrevous.

–Mais non, on discute, c’esttout.

–Ah…

–D’ailleurs assez bavassé, le boss nous attend !

–Ouaip, allons voir ce que le vieux crapaud nous réserve.

Wallace se dirige vers les escaliers, John lui emboîte le pas en sifflotant suivi de Brutus guère à son aise. À travers la porte vitrée, des bras en ombre chinoise s’agitent, Wallace tend l’oreille, des bribes de conversation, il attend avec patience puis frappe trois coups secs. C’est nous !

–Entrez, salut les enfants… Ah, monsieur Kowalski, alors ça y est, vous voilà parmi nous ! Bienvenue, j’espère que vous allez vous plaire, John, vous vous êtes occupés de notre hôte, vous lui avez présenté tout notre petit monde ?

–Oui, capitaine.

–Parfait ! Asseyez-vous, asseyez-vous, Wallace vous a briefé sur les affaires en cours ?

–Oui, vaguement…

–Hélas, c’est tout le malheur avec ce garçon… Wallace, je plaisante, détendez-vous, c’est un ordre ! Bon, je viens d’avoir le légiste, la théière était bourrée de barbituriques. Le capitaine ouvre le dossier posé devant lui. Alors… Paul Keller, ressortissant suisse, quarante-trois ans, médecin, attaché scientifique au consulat général de New York, marié et père de deux enfants, inconnu au bataillon ! Pas de témoins, pas d’indices, que pouvait bien foutre ce type dans cet hôtel miteux, je vous le demande ? John, vous vous occupez du toutim habituel, téléphone, cartes de crédit, taxi, etc. Quant à vous, Wallace, je vous réserve une petite surprise ! Bien, des questions ? Non ! Alors bonne chance et on se tient au courant. Brutus vraiment ravi.

— Wallace vous avez une minute ?

Le capitaine se jette sur le combiné en lui faisant signe de se rasseoir.

***

Luis, la conscience jaune encore de sommeil dans le coin de son œil, arrive, clopin-clopant au rythme mesuré de sa patte folle, entouré de deux mastodontes patibulaires.

–On vous le metoù ?

–Vous pouvez le détacher, on s’en occupe.

–On est derrière la porte !

–C’estça.

Ahab, double menton, regard vitreux, mal rasé, cheveux hirsutes, orangés, vêtu d’un hoodie noir et d’un pantalon grisâtre peu engageant, s’assoit, les bras croisés sur sa bedaine.

–Ben, on ne sait plus recevoir ? Le capitaine sourit.

–Une seconde, je reviens ! Luis se penche vers Wallace.

–Mon petit doigt m’a dit que vous avez encore fait des bêtises et que c’est encore Bibi qui va payer l’addition, comme d’hab ! Wallace, pris d’une soudaine asthénie, s’enfonce dans son fauteuil.

–Mais, vous êtes complètement parano, ma parole !

–Ben voyons ! Vous ne m’ôterez pas de l’idée qu’y se passe ici des choses pas très jolies, jolies, si vous voyez ce que je veuxdire…

–Pas possible ! Au risque de vous surprendre, « les choses pas très jolies, jolies » comme vous dites, c’est un peu notre fonds de commerce, je vous ferais dire… Un coup de pied dans la porte et le capitaine réapparaît avec un café et des barres de chocolat.

–Alors cette nuit au poste ?

–Bon, à part le service qui est un cran au-dessous, rien à redire, c’est un sans-faute ! Une question cependant.

–Mais, je vous enprie.

–Le petit personnel, vous ne le sortez jamais ? Notez, c’est peut-être plus prudent, tête de veau, hirsute, l’épigastre qui se déboutonne, raide, pâle, livide, filoche, moucheté de vermine, des vergetures plein l’uniforme et une odeur, mon colon, de pied et d’entrejambe pisseux, à vous couper le souffle ! Tenez, j’en ai vu un qui se grattait, un véritable forcené, le bras entier dans le pantalon le machin, ben oui quoi, j’invente rien, d’abord la main, là où vous pensez, puis tout le bras, et vas-y que j’te gratte, et que j’te gratte, et tout ça avec une espèce de sourire béat mon cochon, ah le spectacle ! Et l’autre, une espèce de goitreux frisouillé, vous ressemble un peu tiens, mais alors quelque chose, à défier les lois de la nature… et de la conversation avec ça, mais oui, à chacun sa petite phrase, y pleut comme vache qui pisse, pierre qui mousse blablabla, genre lauréat du concours général, mais en moins chiadé, histoire de ne pas effaroucher. Bref, c’est certain, vous gardez les distingués pour la soute, mais là, tout de même, y’a des limites, on n’a tué personne quand même ! Notez qu’on leur en demande pas beaucoup nous autres, juste de se peigner le cul à l’occasion ! Le capitaine d’un tonlas.

–Nuit au mitard, matin braillard ! Wallace hoche latête.

–Classique…

–Moquez-vous, mais moquez-vous, j’aimerais bien vous y voir à croupir dans vos oubliettes infâmes, et tout ça pourquoi, je vous le demande, parce qu’une odieuse moustache au lyrisme poitrinaire a décidé de fanfaronner devant ses collègues, un ramassis d’abrutis dont l’indigence spéculative confine à la panne générale ! Le capitaine se redresse.

–Oui, c’est terrible ! D’ailleurs, Wallace ne cesse de me le rappeler, il n’y a pas à tortiller, nous sommes entourés de débiles ! Et là, permettez que nous nous arrêtions un instant pour rendre un hommage appuyé à sa clairvoyance et citer saint Augustin qu’il déteste, bien mal acquis est la racine de tous les maux ! Votre quincaillerie, mon petit bonhomme, vous pouvez vous asseoir dessus, confisquée !

–Et voilà ! L’admonestation, le blâme, les menaces, bref, les effets de manche habituels, il n’y a jamais moyen d’avoir une conversation normale avec vous !

–Oh, mais détrompez-vous, bien au contraire, nous vous écoutons, expliquez-nous d’où viennent ces jolis petits bijoux ? Wallace sourit benoîtement.

–Nous sommes tout ouïe !

–Mais pour l’amour du ciel allez-vous cesser de chicaner. Luis dépité. Mais, la vraie question est ailleurs…

–Ah ! et où ça donc ?

–Mais enfin vous vous doutez bien qu’on ne fait pas ça pour le plaisir ?

–Dévaliser les petits vieux ?

–C’est une manière de voir, en même temps, ils ronflaient comme des buses…

–Et alors ?

–Rien, je me comprends ! Le capitaine à bout de patience fronce les sourcils, Luis reprend l’air outragé. Oui, ben ça va, des petits problèmes de liquidités, on ne va pas en faire tout un fromage non plus ! Entre les humeurs de Madame et les excentricités de la bonne, ce n’est pas toujours facile, voilà !

–Bon, on va rendre ces babioles à leurs propriétaires, histoire de se faire passer pour des héros, hum, sauf celle-ci peut-être, j’aime bien, élégant… Bref ! revenons à nos moutons, un peu de lecture ! Voyons… outrages à agents dans l’exercice de leurs blablabla, officiers blessés, contusions, dents cassées… ah, quand même !

–Vous permettez, cette grosse vermine m’a frappé.

–Le sergent Garcia ?

–Ce que j’en sais, il a même essayé de me mordre !

–C’est bienlui !

–Regardez ! M’a fait super mal, ce con ! Luis se recroqueville, boudeur… avant de sauter sur sa chaise comme frappé par la foudre. Mais dites donc, je rêve ou vous avez repris le bureau de l’autre toquard ?

–Oui, il est parti en retraite anticipée.

–Ah ça, si je m’attendais, je crois que je vais gerber !

–Au final, ce qui compte, c’est qu’on ne le revoie plus,hein…

–Allez, haut les cœurs, en plus c’est votre jour de chance, mais oui ! Nous avons besoin de votre aide !

–Ben voyons !

–Un diplomate a été assassiné à l’hôtel Bristol.

–Un diplomate au Br… vous plaisantez !

–Un travail de pro, alors musardez, papillonnez, fouinez, ramenez-nous du concret et je passe l’éponge sur votre… Le capitaine lève les yeux au ciel. Je vous donne deux semaines, des questions ? Luis penaud.

–Non, c’est clair !

–Alors, si vous me permettez, officiers… officiers ? C’est pas possible, ils dorment ou quoi… Ah, vous pouvez rendre ses affaires à Monsieur, je vais signer son bon de sortie. Luis s’éloigne, entouré de Japet et Cronos, les titans sanguinaires.

–Expéditif et bienveillant.

–On n’écrase que les géants ! Wallace hausse les épaules.

–Vous croyez vraiment qu’il va nous aider ?

–C’est dans son intérêt, vous venez ?

Le capitaine se lève d’un bond, jette son manteau sur l’épaule et se dirige au pas de charge vers les ascenseurs. John et Brutus sont déjà au travail. Le premier prend des notes d’une écriture nerveuse, le combiné coincé sous le menton et le second, rivé sur les données bancaires de la victime, débrouille ses ultimes largesses, il les salue, papal, d’un ample geste circulaire.

–Mais où est-ce qu’on va ?

–Surprise !

–D’une manière générale, j’ai horreur des surprises, quant aux vôtres…

–Faites-moi confiance, vous n’allez pas être déçu !

Le capitaine remonte Vernon boulevard le mors aux dents, traverse en apnée le tunnel du Queens, se détend un peu en apercevant l’East River qu’il longe en direction de la pointe sud de Manhattan. À deux pas de Trinity Church, il plante les gommes devant un immeuble cossu à l’angle de Broadway et Wall Street. Nous y sommes ! Un bouledogue coincé dans un trois-pièces boudiné montre ses crocs, il sort sa plaque et le renvoie dans sa niche. Appartement cinquante-sept ! Il sourit de toutes ses dents à la caméra, l’interphone grésille.

–Mot de passe ? 

–Libéralisation.

–Non.

–Privatisation.

–C’est celui de l’année dernière.

–Chicago boys, peste, cancer, dévastation, qu’est-ce que j’en sais ?

–Subprimes ! Vous pouvez monter capitaine,