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Siggy, illustrateur de bandes dessinées, est profondément fasciné par le genre noir qu’il explore à travers ses dessins et les méandres de sa mémoire. Pourtant, dès qu’il s’agit d’amour, il préfère fuir les ombres qui peuplent son univers. Agnès, psychothérapeute, quant à elle, semble attirée par le drame sous toutes ses formes : celui qu’elle écoute dans son cabinet, qu’elle affronte au sein de sa famille et qu’elle crée dans sa propre vie. Rollain, écrivain à l’apparence peu avenante et rongé par la douleur, incarne l’essence même du noir. Mais derrière ses souffrances, il cherche désespérément la lumière, et son récit, pétri de vérité, devient un vecteur d’espoir. Que dissimule cette recherche d’ombre et de lumière chez ces trois âmes en quête de sens ? Le genre noir est-il pour eux une échappatoire, une forme de thérapie ou le reflet de leurs tourments intérieurs ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Marco-Fabio Roy concrétise son rêve d'écrivain avec la publication de son premier roman. À travers le personnage de "Rollain", il explore la tolérance face aux jugements liés aux apparences trompeuses et les bouleversements du cœur lorsqu'il se confronte à la force de l'amour véritable.
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Seitenzahl: 300
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Marco-Fabio Roy
Rollain
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marco-Fabio Roy
ISBN : 979-10-422-5495-7
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— Qu’en pensez-vous ? Sinistre, non ?
— Oui ! Lugubre, tout à fait en adéquation avec l’enseigne… Elle termina son coup d’œil circulaire en fixant son vis-à-vis.
— Et comment l’avez-vous découvert ?
— J’aime me balader, m’imprégner de sons et d’images, et j’apprécie particulièrement ce quartier, son histoire ; dans cette rue même, au fond d’une impasse à partir de 1897 « Le Grand Guignol » est né. Alors, quand j’ai remarqué cette enseigne : Café des Damnés, je me suis laissé tenter, à défaut…
Un serveur costumé s’approcha de leur table. Il était affublé d’une longue cape rouge vermeil à l’intérieur et noire à l’extérieur, surmontée d’un grand col en dentelle montant jusqu’à ses oreilles légèrement décollées.
— Pécheurs impénitents, bonsoir ! Et quelle sera votre torture ce soir ? Un troll slavock ? Une goule givrée ou notre bien célèbre Méphisto Crystal !
Il questionna du regard la jeune femme. Elle était belle. Ses lourds cheveux auburn aux mèches très claires, retombant en cascade sur ses épaules, lui donnaient un air mutin que ses yeux bleus limpides aux sourcils hautains renvoyaient.
— Je vais continuer à vous faire confiance. Vous m’avez amené jusqu’ici, choisissez donc pour moi !
Il se tourna vers le vampire aux yeux exagérément maquillés qui affichaient une ombre d’impatience.
— Dans ce cas, ce sera deux Nosfératus, cuvée spéciale ! Je vous prie… Monsieur le comte.
Le serveur aux allures démoniaques lui fit un clin d’œil en retroussant ses lèvres mauves, dévoilant ses dents de vampire, puis s’éloigna de la table en feulant dans un grand mouvement de cape.
— Vous m’avez appris quelque chose à propos du Grand Guignol, j’ignorais qu’il existait déjà avant-guerre ; c’est en lisant « Docteur Jekyll et Mister Hyde », un livre qui m’a marqué, que j’ai eu connaissance de l’existence de ce théâtre un peu particulier.
— Effectivement, au début des années 50’, durant l’ère des fils Maurey, Robert Hossein a monté cette œuvre de Wilde avec André Toscano, mais le théâtre a sombré peu après. Au fait, je dois m’excuser, je ne me suis même pas encore présenté ; je m’appelle Siegfried Reinhardt… mais tout le monde m’appelle Siggy.
— Agnès Letourneau et mes amis m’appellent Agnès.
— Me permettez-vous de vous appeler Agnès ?
— Mais oui, Siggy, tu peux.
— Je suis flatté Agnès ! Je veux dire que vous me considériez déjà un ami. J’espère que je ne me trompe pas ?
— Rassure-toi, pour l’instant, c’est un sans-faute !
— Ah ! Heu… Je dois vous avouer être surpris ! Ce n’est pas dans mes habitudes d’accoster une femme inconnue, de but en blanc, et de surcroît dans la rue ! Un irrésistible désir de vous parler m’a saisi. Je ne pouvais pas vous laisser disparaître ! Je devais savoir qui vous étiez, où vous alliez, ce que vous faisiez. C’était… Irrépressible !
— Tout un programme en somme ! Pourtant, je trouve que tu as l’air plutôt à l’aise pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude d’aborder les femmes inconnues… Irrépressiblement… dans la rue !
— Gia ! D’habitude, j’ose à peine un regard distant.
— Ah ah ! Tu te rattrapes donc sur moi ?
— Pas du tout ! Je m’excuse de vous dire cela, mais heu… je vous l’ai dit déjà ! Avec vous, une sensation inconnue m’a traversé et j’ai été attiré vers vous. J’en ai perdu toute réserve, mon espérance a dépassé ma peur et mes doutes. J’étais ce papillon de nuit, prêt à brûler ses ailes en voulant s’approcher de la lumière d’une ampoule, conscient du danger, mais incapable d’y résister !
— Une ampoule ?
— Je ne suis pas poète, chère Agnès, mais pour vous ; je le deviendrais !
— Oh, mais, je ne te demande rien moi. Bon, tu es séduisant et je n’ai pas grand-chose à faire dans l’immédiat. Et puis, tu m’as demandé de t’accompagner avec tant de gentillesse et si délicatement que j’aurais eu mauvaise grâce à refuser. Alors, je t’ai suivi.
— Et tu as bien fait !
Le vampire aux yeux de diva déposa cérémonieusement sur leur table deux grosses chopes en bronze où apparaissait, gravé en relief, un visage diabolique grimaçant un sourire aux dents pointues.
— Voilà ! Deux Nosferatus… Cuvée spéciale ! Il leur fit à nouveau un rictus vampirique en roulant des yeux terribles et disparut à grands pas, sa cape flottant sur ses chaussures à hauts talons.
Agnès, sur le ton de la confidence, lança en se penchant légèrement vers Siggy :
— Il prend son rôle très au sérieux, puis en attrapant sa chope, elle rajouta, et qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?
— Je ne me souviens plus exactement. Mais c’est très bon ! La dernière fois, je me suis régalé et j’étais gris à la perfection en sortant d’ici.
— Bien… Voyons cela ! Agnès leva sa chope et ils trinquèrent.
Le liquide alcoolisé leur brûla un peu la bouche, laissant toutefois un goût délicieux et parfumé.
— Hum ! Je reconnais là du rhum, il y a aussi de l’orange… et tu as raison ; c’est très bon ! Elle prit une deuxième gorgée :
— Oui ! C’est agréable et pas trop alcoolisé. Elle reposa lentement la chope et plongea son regard bleu intense au plus profond de l’âme du jeune homme.
— Hé bien Siggy… de quoi allons-nous parler ?
— Mais de vous bien sûr ! Je veux dire, de toi. J’aimerais tout découvrir de toi.
— Alors, voudras-tu savoir si j’ai un, ou plusieurs hommes dans ma vie en ce moment ? Il fut désarçonné par sa question sans détour et resta interdit, la chope au poing.
— Hé bien ? Veux-tu vraiment tout connaître de moi ? Tu veux me parler d’amour ? Ou juste prendre un verre, faire connaissance, pour te citer !
— Oddio… Mais je… Heu…
— Quoi ? Tu ne sais plus ? Ou alors tu n’oses plus ; pourtant le plus dur est fait, je suis là ! Devant toi. Elle s’arrêta pour reprendre une gorgée et lui laisser le temps de répondre.
— À vrai dire, je redoute de dire des bêtises ! De m’emporter !
Il posa précautionneusement sa chope et la fit disparaître en l’entourant de ses mains de géant.
— Allons, soit honnête et dis-moi ce qui te vient à l’esprit, là tout de suite, sans réfléchir !
— Et si je te fredonne : « ‘ti voglio bene assaje, ma tanto tanto bene sai ! »…
— Oh ! Ça, je connais ; c’est de Luccio Dalla ! Je vais éviter de me ridiculiser en tentant de te répondre dans la langue de Dante et Pirandello… Alors, pourquoi cet engouement soudain, et pourquoi moi ?
— Bien sûr, j’ignore tout de toi ; je dois apprendre à cheminer dans ton esprit pour découvrir ton cœur avant de pouvoir espérer toucher ton âme. Mais j’aimerais tant caresser tes cheveux aux mèches rebelles, voir encore ta bouche qui remonte en pointe quand tu souris, avec ces fossettes espiègles sur tes joues qui me comblent de joie. Et puis, je voudrais sombrer dans le calme de tes yeux qui n’ont pas eu peur de me dire oui… et tes mains, ces mains dont je ne sais encore si elles vont me broyer ou me cajoler. Il reprit tout doucement sa chope.
— Je vois… Et, je peux te demander ton âge ?
— Je viens d’avoir vingt-cinq ans.
— Ah bon !? Je t’imaginais plus mûr. Tu fais des études ou tu travailles ?
— Je dessine ! Je ferais donc des études tant que je barbouillerais, et j’ai toujours peint, crayonné, croqué… Esquissé. Et aujourd’hui, on me paye pour dessiner : c’est donc devenu un travail !
— Tu donnes l’impression que travailler est une punition.
— Et les travaux forcés ? Travailler… Oui ! Il faut survivre, s’abriter, et quand on peut, se distraire, cela demande des sous beaucoup de sous ! Et nous voilà embarqués à ramer pour atteindre l’île enchantée, et plus nous souquons fort, plus l’île s’éloigne ! Alors ? Que faire pour ne plus travailler et vivre bien ? Pour se consacrer uniquement à ce qui nous plaît, au moment où cela nous plaît. Les chanceux, les petits malins et autres bien nés réussissent parfois à conjuguer plaisir et travail. Cependant, il me semble qu’après un certain temps, le plaisir d’exercer une activité, finit par se dévaluer du fait de toutes les compromissions nécessaires pour la rendre lucrative.
— C’est bien une réflexion d’artiste ça !
— Oui ! Je suis artiste ; je travaille avec des auteurs de bandes dessinées dont j’illustre les textes de mes petits dessins.
— Mais c’est passionnant ! Quel genre d’histoires ?
— Principalement de la science-fiction, du fantastique et puis aussi des histoires d’horreur.
— Et cela fait combien de temps ?
— Tout a commencé pour moi, il y a peu près deux ans.
— Tu avais seulement vingt-trois ans, c’est jeune !
— J’ai eu la chance de rencontrer la bonne personne…
— Et puis tu as du talent !
— Oh ça…
— Dis-moi, t’arrive-t-il d’écrire tes propres textes ?
— Hum… J’ai bien plusieurs histoires de mon cru… Mais je crois que ce sont, d’une certaine manière, plus des tentatives pour décharger le poids de mes haines et de mes souffrances, que de véritables œuvres.
— La haine ne m’intéresse pas trop, en revanche la souffrance… Quel domaine fructueux pour un créatif ! C’est bien souvent dans la souffrance des individus qui les ont conçues que jaillissent les plus belles créations artistiques.
— Tu fais partie de ceux qui pensent que l’artiste doit forcément être, quelqu’un ou quelqu’une, écrasé par le poids de sa fatalité, tourmenté par le dérèglement de ses sens, et que c’est dans les cicatrices de son cœur, les brûlures de son âme et les déchirures de son esprit que germeront les fruits de la création.
— C’est bien souvent le cas, non ?
— Le créatif doit-il donc être malheureux ?
— Le grand ? Souvent, oui… Mais il a aussi d’intenses moments de bonheur ! Et parfois même, il arrive à vaincre sa souffrance.
— Et toi ? Tu as un métier… je suis indiscret ?
— Mais non, nous sommes à égalité ! Alors, c’est psychiatre et c’est une vocation !
— Oddio ! Et, tu travailles en milieu hospitalier, ou bien ?
— Pour obtenir mon D.E.S., j’ai fait de nombreux stages dans divers services, mais je pratique en cabinet privé, et mes patients sont tous des gens du spectacle… Des artistes, tel que toi.
— Vraiment ?
— Oui ! Des acteurs de cinéma, de théâtre, des metteurs en scène, des gens de télévision, des écrivains, des musiciens, j’ai même aussi quelques sportifs.
— C’est certainement un spectacle ; on dit bien « un artiste du ballon rond ». Alors dis-moi, tu fais fortune ?
— L’argent ! Cela ne compte pas pour moi et je ne le compte pas… Enfin si, un peu, mais par rapport à la moyenne, je ne me fais pas trop de soucis ! Et puis, mes parents sont fortunés ! Et je suis fille unique ; tu sais tout ! En fait, j’ai toujours été fascinée par cette terrible lutte interne qui frappe les esprits malades, depuis toute petite, alors, j’ai étudié et c’est devenu ma vocation.
— Brava ! Cela ne doit pas être facile de s’occuper de l’équilibre mental de toutes ces personnes qui se soumettent à des pressions extrêmes étant donné leur métier.
— Oui, c’est délicat : il faut faire très attention et être très disponible. Mais il y a des bons côtés, lorsque l’on arrive, par exemple, à sauver des êtres de la déchéance ou à rendre possible, grâce une psychothérapie bien menée à l’aboutissement d’une création.
— En somme, tu es toi aussi une sorte d’artiste ! Découvrant et démêlant les émotions, les sentiments qui dérangent et qui angoissent ceux qui les vivent.
— C’est une image intéressante de la part d’un illustrateur… Bon ! Tu veux un exemple ? Et après, on pourra parler de tes bandes dessinées…
— Certo che si !
— Mais dis-moi, pourquoi me parles-tu en italien ?
— Be, sono nato italiano, da Casal Monferrato.
— Oh là ! My italien sucks ! Alors, un peu d’anglais, mais c’est tout !
— C’est déjà bien !
— Reprenons, j’ai eu récemment plusieurs séances avec une jeune actrice totalement bloquée face à une scène mettant en jeu des rapports violents entre une fille et son père. Elle voulait de tout son être obtenir ce rôle qui ferait merveille pour sa jeune carrière ; mais elle était incapable de jouer la scène jusqu’au bout sans fondre en larmes et alors, elle ne pouvait plus s’arrêter. La pauvre avait réellement vécu une situation analogue durant son enfance sous l’autorité d’un père abusif qui la battait. Grâce à un travail commun, nous avons réussi à la libérer de ses mauvaises expériences. Elle m’a appelé du théâtre, pas plus tard que tout à l’heure, m’annonçant folle de joie qu’elle avait réussi à jouer cette scène qui la terrifiait tant. C’est dans ces moments-là que je trouve la véritable justification de mes efforts et de mon travail.
— Alors non seulement tu fais partie des bien nées ! Mais aussi de celles des chanceuses ! Avoir une activité professionnelle qui te plaît et dont tu tires des satisfactions de ce genre : c’est le paradis !
— Tu n’éprouves pas de joie dans ton travail ?
— Parfois ! Mais je ne suis jamais sûr d’être content, il manque toujours quelque chose ou alors, j’en fais trop ! C’est solitaire… Je suis penché sur mon dessin, tout seul, face à ma page blanche que je remplis de lignes et de couleurs, sans pouvoir partager mon processus de création. Cela me frustre…
— Moi, je pense, sans te connaître, que tu devrais exploiter ton potentiel artistique. Je veux dire que tu devrais voler de tes propres ailes et faire œuvre de création complète par toi-même.
— C’est à dire, créer tout seul mes propres histoires et les illustrer ?
— Exactement !
— Mais je te l’ai dit ! Les histoires qui me viennent à l’esprit sont horribles.
— Tu es probablement trop sévère avec toi-même et tu ne sais pas te juger à ta juste valeur.
— Non, ce n’est pas ce que je veux dire, je me suis mal exprimé, mon problème c’est… Mes histoires sont très bien par elles-mêmes. Elles sont, je pense, bien écrites, avec un début, un développement et une fin… et puis les dessins sont beaux, je crois.
— Mais alors où est le problème ?
— Le problème, c’est ce qu’elles racontent ! Le problème, c’est l’exactitude du graphisme ! Quand je dis que mes histoires sont horribles, je veux dire qu’elles sont sinistres, cauchemardesques et sanglantes ! Des visions apocalyptiques nées du recoin le plus noir de mon cerveau, de la partie la plus ignorée de mon âme. Quand je les relis, je me fais peur ! Je ne comprends pas comment j’ai pu tirer de moi, ces dialogues monstrueux et ces dessins insoutenables. Cela me dégoûte d’être moi !
— À mon avis, il y a probablement là un petit décalage dans ta personnalité. Une partie de toi veux projeter au monde ce que tu voudrais ou crois être, et une autre partie, refoulée, se manifeste dans ton processus créatif… Elle s’arrêta net et d’un geste de la main effaça ce qu’elle venait de dire.
— Je m’excuse ! Je fais de la déformation professionnelle, je suis indiscrète et mal polie. Nous venons à peine de nous rencontrer. Et je te pousse à te dévoiler comme en séance. Je te demande pardon.
— Mais non, c’est ridicule ! Tu n’as pas à t’excuser d’être ce que tu es, si ton métier déborde sur ta vie privée, cela veut simplement dire que tu en es passionnée et si possédée, qu’il est tout le temps avec toi. Cela est tout à ton honneur et personnellement, j’admire cette qualité.
— Tu as peut-être raison. Mais cela me gêne ! Je ne peux m’empêcher d’analyser les gens que je rencontre. J’essaye… Mais à un moment ou un autre, je tombe sur un profil et le psychiatre en moi démarre ! Je commence à chercher, à renifler, à la manière un animal qui fouille la terre pour trouver sa substance.
— Allora, rigiriamos il discorso, nous n’avons qu’à parler d’autre chose… Cet endroit donc ? Fit-il désignant les murs drapés de velours noir avec quelques toiles en guise de taches de couleurs, représentants avec plus ou moins de bonheur des scènes d’enfer avec des diables fourchus et bondissants, des flammes tourbillonnantes et des corps effrayés tordus à l’extrême.
— C’est macabre et de mauvais goût ! Mais j’aime bien… je suis attirée par le côté noir des choses, de plus je trouve ce breuvage décidément délicieux.
— Veux-tu utiliser ce prétexte pour en prendre un deuxième et rester un peu plus longtemps en ma compagnie ?
— Je n’ai pas besoin de prétexte, tu me plais… je suis bien avec toi et je prendrais volontiers un autre verre.
— Formidable ! Me voilà donc finalement aux anges dans cet enfer.
— C’était trop rapide !
— Ah, mais non, tu es fou ! C’était bon… et puis, on peut recommencer ! Dès que tu te sentiras prêt… Tu récupères vite ? Il secoua la tête en ricanant et roula sur le dos, l’entraînant sur lui en la serrant dans ses bras.
— Mais je ne parle pas de ça… La première fois, c’est normal ! C’est trop excitant de découvrir un corps, avec ses formes, son parfum, son grain bien à lui. J’ai alors l’impression que c’est ma première fois. Non… Je pensais que nous avons peut-être été un peu vite en besogne, avant même de commencer à se comprendre… J’ai l’impression d’avoir brûlé les étapes, d’avoir manqué une partie de la magie de deux êtres qui apprennent à se connaître.
— Mais non ! Pourquoi attendre ? Nous nous plaisons, nous avons envie l’un de l’autre, et j’ai passé l’âge de jouer à me faire chasser dans tous les coins… Alors, pourquoi être hypocrite ? Cette « magie » que tu évoques, est mère de discorde, sœur de frustration et fille de chagrin. Pour un homme et une femme, apprendre à se connaître, ça commence par la chair ; le reste n’est que mensonge ! J’ai horreur des femmes qui agitent la carotte au nez des hommes affamés afin d’exercer leur pouvoir. À mes yeux, c’est un signe d’insécurité ! Je sais tout de suite si j’ai envie physiquement d’un homme, alors pourquoi me frustrer en le faisant attendre : pour qu’il soit plus excité, plus amoureux ? Sottises ! Si un homme doit m’aimer, je ne veux certainement pas qu’il m’aime uniquement pour son désir physique de moi… Ce genre de relations n’aboutit à rien ! Le sexe n’est valable qu’accompagné d’un sentiment partagé entre deux cœurs. On fait l’amour avec nos corps, oui ! mais c’est notre esprit et nos émotions qui dominent ! Pourquoi attendre lorsque nous sommes d’accord et en phase pour passer à l’étape suivante ?
— Tu as sûrement raison… Je suis un peu dépassé.
— Tu n’es donc pas content ?
— Oh si ! Très heureux, et même bien plus… Juste un peu surpris de me retrouver si vite au lit avec toi, de sentir la chaleur de ton corps, la douceur de ta peau sur la mienne et le goût de ton amour sur mes lèvres.
— Et tu prétends ne pas être poète… J’espère surtout que tu ne penses pas que je suis une marie-couche-toi-là ! J’ai renoncé à pratiquer l’usage qui prétend qu’une femme vertueuse ne doit pas se jeter à la tête du premier homme qui lui plaît, ce qui ne veut pas dire que je suis libertine ! Mais que je rencontre très rarement un homme qui me plaît. Tu seras sans doute encore plus surpris en apprenant que ma dernière aventure remonte à cinq mois et qu’elle n’a duré qu’une seule petite nuit.
— Que s’est-il donc passé ? Il a eu peur ?
— Tu as été triste ?
— Un peu… Il me plaisait beaucoup, je me voyais déjà vivre un roman d’amour, puis comme toujours dans ce genre de cas, je me suis consolée en pensant qu’il ne me méritait pas !
— C’est ce que je me dis souvent moi aussi, pourtant, je ne sais pas pourquoi, je n’y arrive pas à y croire à chaque fois ! Je finis par être malheureux en m’accusant d’avoir encore perdu, par maladresse, une chance de vivre l’amour… D’être un à deux.
— Tu n’as encore jamais vécu avec une femme ?
— La seule femme avec qui j’ai partagé le même toit, fut ma mère… Et elle m’a quitté.
— Oh ! Désolée… Comment est-elle morte ?
— Tais-toi ! J’ai horreur de ce mot, il est trop tranchant et il me dérange… Disons qu’elle est partie là où nous irons tous !
— Je suis triste pour toi.
— Ne sois pas triste, elle est libre maintenant.
— Et ton père ?
— Oh ben lui ! Il est bien vivant… Je suppose… Sûrement au bras et à la botte d’une veuve en mal d’amour aussi vieille que riche, et qu’il va sucer jusqu’à la moelle tant qu’elle voudra bien de lui.
— C’est un gigolo ?
— Pur jus ! Il a épousé ma mère uniquement pour son argent. Après avoir épuisé toutes les ressources foncières et mobilières de sa chère épouse, il a disparu, laissant des dettes et un poupon.
— Charmant personnage ! Tu n’as aucun contact avec lui ?
— Non aucun ! Et je n’en veux pas. Je l’ai rencontré une fois, par hasard… C’était au casino de Deauville, au bras d’une centenaire ruisselante de pierres précieuses. Je me suis approché de lui et pour la première fois de ma vie, j’ai frappé quelqu’un !
Il est resté abasourdi sans bouger, à me regarder, tandis que le sang coulait de son nez, tachant sa belle chemise blanche à jabot. J’ai simplement dit mon nom et je l’ai planté là !
— Cela a dû régler, pour une bonne fois, tes rapports de force avec ce soi-disant père.
— Tout à fait ! Ce coup de poing m’a libéré de ma frustration de ne pas avoir connu de père, et de toute la hargne que j’avais à son égard de nous avoir spolié puis abandonné !
— Cet abandon dû être dur, surtout pour ta mère.
— Ça l’a tué ! Avant mon père, elle n’avait jamais connu les soucis de la vie pratique, n’ayant manqué de rien. Elle fut élevée dans le coton, à l’abri des contingences matérielles, sa seule véritable préoccupation fut d’attendre l’amour. Elle avait tout juste dix-neuf ans quand elle l’a rencontré… Elle en est tombée éperdument amoureuse, et lui, en grand charmeur a trompé son monde ! Il s’est inventé tout un passé rocambolesque ; une jeunesse dorée dans le château de sa famille du côté de Breitschwemmkoget, ses nombreux voyages et ses succès financiers. Alors, après avoir séduit la fille, il a mis ma grand-mère dans sa poche. Quand elles ont découvert la vérité, il était bien trop tard ! Ma mère était déjà mariée et enceinte. En à peine quelques mois, il a tout raflé et a filé… Ma grand-mère en est morte de chagrin ! Rester seule, ma mère s’est alors battue pour assurer notre survie ; elle a travaillé trop dur et sa faible constitution s’est détériorée jusqu’au point où elle ne pouvait plus se battre. Je la voyais fondre devant moi, jour après jour, incapable de l’aider, j’étais trop jeune pour travailler… Il s’arrêta, les souvenirs remontaient dans sa gorge comme une boule bloquant ses mots. Agnès posa ses doigts sur sa bouche et l’embrassa doucement sur les yeux, le front, le nez, les joues et finalement prit ses lèvres. En un instant, il avait tout oublié dans la douceur des baisers et son désir se réveilla plus vigoureux que jamais ! Il fut, cette fois, plus lent, mais aussi beaucoup plus brutal, se laissant aller à sa passion de toutes ses forces comme s’il eut tenté de s’anéantir dans l’extase.
— Tu vois… Je savais bien qu’à ton âge on est débordant d’énergie. Hou ! Je suis toute moulue, tu m’as tuée…
— Pardonne-moi, je me suis laissé emporter ! Je ne t’ai pas fait mal, j’espère ? J’ai le souvenir d’avoir été plutôt violent sur la fin… Non ?
— C’était merveilleux ! J’aime cette brutalité toute masculine… La plupart du temps, les hommes font l’amour à moitié de leur possibilité, croyant que nous sommes en porcelaine. Je ne les blâme pas, note bien, c’est souvent la conséquence d’avoir eu des rapports avec des femmes qui ne se soumettaient à leur désir qu’avec une grande réserve… Ce genre de femmes qui se laissent posséder alors qu’elles n’ont pas vraiment envie et qui se donnent sans passion pour s’attacher un homme ou parce qu’elles ne savent rien faire d’autre. Moi, j’aime qu’un homme soit un homme et dans mon lit : je veux sentir sa force ! Je veux qu’il me domine ! Qu’il me rende folle ! Qu’il me fasse perdre le contrôle de moi-même… Comme tu viens de le faire. Un instant, je suis redevenue cet animal qui dort en nous, cette masse de chair et de sang perdue dans un océan de plaisir avec une seule préoccupation, jouir !
— Tu veux recommencer ?
Agnès s’était endormie dans le lit après avoir sommeillé sur l’épaule de Siggy. Il s’était levé précautionneusement, évitant de la réveiller, et encore nu, avait pris place sur sa vieille planche à dessiner aux bords ébréchés. L’atelier était calme, le jour serait bientôt là ; il aimait ce moment, où la fatigue se fait sentir laissant échapper du cerveau engourdit des images insolites. Agnès avait regardé partout avec des yeux curieux, posant des questions sur un dessin ou une peinture, caressant une sculpture en passant, et s’arrêtant un moment devant l’impressionnante bibliothèque qui longeait l’atelier. Un coin lit, arrangé à la manière d’une cabine de bateau avec une énorme armoire normande, et une kitchenette occupait deux angles du rectangle qui composait cet ancien atelier de fabrication de boutons au rez-de-chaussée d’un immeuble de quatre étages.
Perché sur le tabouret aux trois pieds d’acier chromé, le dos courbé avec les avant-bras en appuis sur la planche, il dessinait, armé d’un feutre à la pointe très fine qu’il agitait de temps à autre pour activer l’écoulement de l’encre. Avant même de savoir écrire, il avait crayonné, remplissant d’innombrables cahiers de dessin. Avec le temps, il avait exploré tous les aspects de l’art graphique, du simple croquis au fusain, jusqu’à la toile peinte à l’huile et ce fut la bande dessinée qui lui convenait le mieux.
Il affectionnait particulièrement deux styles. D’abord le dessin tout en couleur, très recherché dans les détails illustrant des histoires de science-fiction, qui lui permettaient une grande liberté de création, limitée seulement par sa propre imagination et le contenu de l’histoire qu’il illustrait. Il adorait créer des personnages venus de galaxies lointaines, des machines qui n’existaient que dans l’imagination de l’imaginaire. Son deuxième style s’exprimait à l’opposé du premier, dans le dépouillement des lignes où tout était suggéré par petites touches avec des traits simples soutenus par un délicat train d’ombres sans aucune couleur, dépeignant le plus souvent des histoires d’horreurs terrifiantes.
Rollain, l’auteur de ces histoires macabres, était le seul véritable ami de Siggy. Ils s’étaient rencontrés à l’occasion d’une exposition posthume d’un grand artiste suisse qui avait mis le feu au lac. Rollain n’était pas un homme ordinaire ; si Siggy attirait les regards, lui les repoussait. Son apparence de gnome au dos voûté et aux jambes torves le discriminait. Son visage rappelait celui d’un tarsius, à cause de ses gros yeux noirs globuleux, son petit nez très plat et sa bouche cruelle aux lèvres vermeilles aussi fines qu’un fil. Son menton était fuyant et son front bas avec la ligne d’implantation des cheveux, aussi noirs que le plumage d’un corbeau, qui commençait à peine à un centimètre de ses épais sourcils menaçants.
Au premier contact, il provoquait la surprise accompagnée d’une sensation de répulsion face à l’étrangeté de sa physionomie. Il semblait à peine humain, tant ses traits différaient de la norme. Ses petites jambes grêles de taille inégales rendaient sa démarche boiteuse et son dos scoliotique à l’extrême, avait placé ses épaules de travers par rapport à la ligne du corps. Les difformités de naissance avaient aussi touché sa main droite qui était incomplète, à la place de l’auriculaire, de l’annulaire et du majeur, il n’y avait que des petits renflements de chair au bout desquels poussait de la corne qui faisait office d’ongle. Seul, son index avait échappé à cette malformation, le pouce étant inexistant, il pointait solitaire, interminablement long au bout de cette main atrophiée.
Rollain vécu jusqu’à l’âge de treize ans et demi chez sa grand-mère, une femme courageuse et volontaire qui après avoir perdu son époux dévoua sa vie à l’exploitation de ses chères vignes et à l’éducation de son fils unique, Jean-Roger. Rollain grandit au milieu des vignes et ne dépareillait pas malgré son physique si peu avenant. Il suivait sa grand-mère adorée partout où elle allait, pour le plus grand bonheur de cette femme exceptionnelle, malheureusement déçue par son fils, parti faire une carrière théâtrale à Paris où d’ailleurs il réussissait fort bien. Geneviève était anxieuse, elle ne voulait pas que tous ses efforts, ses sacrifices soient en vain ! Qui s’occuperait du vignoble ? Et la ferme ? Et le manoir ? Elle voyait en Rollain le seul successeur possible et faisait tout pour lui communiquer le sens de la propriété, l’amour de la terre et du vin. Il avait, au demeurant, des talents innés dans ce domaine et sut dès l’âge de dix ans reconnaître la plupart des vins en les goûtant, et cela sans jamais se tromper. Geneviève n’avait pas besoin de répéter deux fois la même chose à son petit-fils : il retenait tout, plus par amour filial que par intérêt pur, car rien ne lui faisait plus plaisir que de voir sa grand-mère lui sourire et le féliciter. Sans cesse elle lui rabâchait qu’un jour il serait le patron, que tout cela serait à lui et qu’il ne devait jamais vendre, mais au contraire s’agrandir sous peine de voir les autres venir le manger. Elle lui parlait de son grand-père, un ingénieur aéronautique, héros de guerre, qui avait pris la suite de son oncle dans le domaine familial où ils vivaient aujourd’hui. Rollain aussi intelligent que laid et difforme s’était appliqué toute son enfance en donnant toujours le meilleur de lui-même. Il avait appris à écouter grâce à Geneviève qui instinctivement avait su comment diriger un tel être. Il fit beaucoup de progrès sur un plan purement physique. Avec les années, il devint un excellent nageur de longue distance et il excellait aussi en Aikido. Intellectuellement, tout était facile pour lui et sa curiosité sans limite le poussait toujours en avant.
Geneviève était devenue vigneronne par la force de son destin et par amour, mais sa vie était ailleurs. Passionnée par les lettres, elle avait rencontré Philippe, son futur époux, lors de la remise de son doctorat à la Sorbonne, où vêtue en vestale pour faire référence à sa thèse sur l’œuvre d’Épicure, elle avait ébloui toute l’assistance. Son père poète et chroniqueur l’avait jetée dans les bras de son nouvel ami aviateur dont il admirait les nombreux exploits accomplis durant la Grande Guerre, on pouvait être poète et patriote comme le fut Henri Gaudier Brzeska. Ils se marièrent en juillet 1939, un mois à peine après s’être connus. Leur voyage de noces aux États-Unis dura quatre mois. Philippe ne se lassait pas de parcourir le pays, volant d’une ville à l’autre, pilotant des avions qu’il louait ou que parfois on lui prêtait. Mais à leur retour, ils furent séparés pendant deux ans. Philippe se décida à partir pour l’Angleterre afin de continuer la lutte, après avoir placé en sûreté sa femme et son beau-père dans le domaine de son oncle qui était tout ce qui lui restait de sa famille. Jusqu’à la victoire finale, il commanda une escadrille, ne s’absentant des combats que pour une courte permission au cours de laquelle il engrossa sa femme. À son retour, il avait gagné la guerre, un fils de trois ans, et perdu un oncle et un beau-père tous deux fusillés par les nazis pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment.
La guerre avait profondément changé Geneviève, d’une érudite romantique et timide, elle était devenue dure comme la terre qu’elle avait appris à cultiver, exigeante comme le vin qu’elle élevait, et autoritaire pour tenir les rênes d’un domaine viticole. Elle était seule dans ce combat ; son père, un homme de la ville trop âgé pour s’adapter et l’oncle Maxime qui aimait surtout boire son vin et fréquenter les filles, n’étaient d’aucun secours. Les hommes étaient à la guerre, il ne restait que les femmes et les enfants pour s’occuper d’une exploitation de 130 ha. Le conflit mondial terminé, Geneviève avait mérité son titre de vigneronne et sa passion pour la vigne avait grandi autant que l’amour qu’elle portait pour son enfant. La mort accidentelle de Philippe aux commandes de son Dewoitine D.510 qu’il avait chipé à l’armée pour se rendre en Angleterre mit un terme aux jours heureux d’après-guerre. Il adorait piloter ce fidèle compagnon de route, qui à cause de son cockpit ouvert lui rappelait ses premières armes sur le fameux Nieuport 28, mais la machine était vieille, la main moins sûre et ce jour-là l’orage eut raison des deux. La disparition de Philippe créa un fossé entre mère et fils, un mur d’incompréhension qui s’élevait sans cesse entre eux, jusqu’au point où l’adolescent de seize ans quitta le toit familial. Dix ans plus tard, Rollain, encore nourrisson débarqua dans la vie de Geneviève, elle fut d’abord hésitante et envahie de rancœur, puis comprit que c’était là l’opportunité de transformer cette punition, que lui infligeait son traître de fils, en victoire.