Rosa Rose E-Book

Orna Okomo

• Herausgeber: Publishroom
• Kategorie: Gesellschafts- und Liebesromane
• Sprache: Französisch

Seitenzahl: 203

Veröffentlichungsjahr: 2025

Beschreibung

Reprendre ce qui est donné, c’est voler. Dans ce roman, le lecteur ira de Bitam à Libreville quittant le Gabon pour le Canada en passant par la France et Hong Kong au rythme de Rosa Rose qui vivra mille vies, ratant l’essentiel pour réaliser finalement que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. Ngue meva yeme, la quête de la liberté peut être une erreur.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Orna Okomo, artiste et chanteuse, naît à Bitam, dans le nord du Gabon. Elle fait ses études primaires et secondaires dans sa ville natale où elle découvre l’écriture, la poésie et à travers les ondes. En 2000 et 2001, elle anime l’émission « Coulée douce » sur Radio Nord Sud. Elle poursuit ses études à Libreville et intègre l’École Supérieure des Arts et des Métiers, en communication des entreprises, puis l’Institut Supérieur de Commerce et de Gestion, en marketing. Entrepreneur, elle crée l’une des premières structures événementielles au Gabon. Œuvrant beaucoup dans le social, elle s’engage en politique pour lutter contre les injustices et la précarisation due à la mauvaise gouvernance. Pour des raisons de sécurité, elle quitte, en 2016, son pays et s’installe à Strasbourg, le nord-est de la France. Elle y retourne quand même et 2017 pour définitivement partir en 2018. Elle s’installe alors dans le sud, à Saint-Raphaël et Cannes, pour des projets de formation professionnelle dans le domaine immobilier. Actuellement, Orna Okomo est toujours au cœur de l’actualité politique, d’où la continuité, depuis 2016, de son association ACTION+ qui est une chaîne de solidarité visant à participer de près ou de loin à la vie sociale de son pays. L’écriture est sa première passion et désormais son cheval de bataille.

Leseprobe

Couverture

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Publishroom Factorywww.publishroom.com

ISBN : 978-2-38625-459-8

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Page de titre

Orna OKOMO

ROSA ROSE

NGUE MEVA YEME

Chapitre I

L’enfance insouciante

Dans cette petite ville de Bitam, au Nord du Gabon, frontalière à deux autres pays africains, les échanges rythmaient le quotidien, le climat était doux, la vie était belle et aussi très mouvementée. Cette ambiance témoignait de la diversité culturelle des habitants. Et même si les noms des trois pays different, l’atmosphère était identique et les traditions se ressemblaient.

Deux jeunes fleurs, Rose et Rosette, brillaient du côté de Smallville. Elles illuminaient la vie de leurs parents. Le père était un dentiste chevronné à la retraite qui avait fait la fierté de son pays et avait souhaité, avant la fin de sa vie, mettre ses talents au service de sa ville natale. La maman, elle, était une ancienne sage-femme qui avait elle-même fait naître ses filles. Elle en était très fière et n’hésitait jamais à raconter cette anecdote au premier venu. Elle en avait vu naître des bébés pendant son parcours professionnel, mais les plus belles naissances étaient bien sûr celles de ses filles à elle dans sa propre chambre, ce qui attestait de ses compétences et de son diplôme, selon elle incontestables.

« Lorsque Rose est née, j’étais toute seule à la maison, racontait-elle, pas moyen de contacter mon mari, alors je me suis dit : “Yao, tu es sage-femme. Mets donc ta fille au monde comme tu sais le faire pour les autres.” J’ai puisé très loin ma force et mon courage, j’ai pris des serviettes, fait chauffer de l’eau. Puis le moment est venu. J’ai fait cela comme une femme sage, et pas n’importe laquelle ! Ma fille est née toute rose de sang, très belle et surtout calme, même pas de pleurs, comme si elle savait que je venais de souffrir. Alors, pourquoi pleurer ? Elle était mon début, elle était ma chance, celle d’être mère d’une petite fille rouge et rose, alors je l’ai appelée Rose. Ma Rosa, celle qui parfumerait mon existence après tant de souffrances. C’était sûr, son père ne trouverait rien à redire. Il s’en était voulu très longtemps, mon cher mari, de ne pas avoir été là. Alors, pour lui, sa fille ne devait jamais pleurer ni manquer de rien. Elle était son grand soleil, notre soleil rose dans le noir. Il la protégeait de tout et de rien. Pour ses bains, Rose n’avait point connu l’eau du robinet, du puits ou de n’importe quelle source. Non, rien de tout cela. À la maison, les palettes d’eau Andza recouvraient le sol de la cuisine. Tout le budget y passait. Tel était le prix de sa chance à lui. Que ne donnerait-on pas à la chance lorsqu’elle nous sourit ? “Oui, on lui donne tout ce que l’on a”, disait mon mari avec ce sourire charmeur au coin des lèvres qui m’avait fait l’aimer. Et à ceux qui lui reprochaient de trop en faire, il rétorquait ceci en riant : “Je sais, mais celui qui viendra épouser ma fille devra bien sûr faire le calcul de toutes les palettes d’eau. Ainsi sera le prix de la dot. Rien d’autre.” »

Papa Assoumou, le père de Rose, était un bel homme très affectueux et fier de ses racines fang, comme on en rencontre rarement aujourd’hui. Il estimait être chanceux que Dieu lui ait donné une seconde fille. Et cette fois, deux ans après Rose, il était bien présent et voulait que personne ne voie sa femme nue. Alors, il prit le rôle de sage-homme en faisant bouillir de l’eau et en prenant des serviettes pour faire naître sa seconde fille, également toute rouge et rose. Il était si ému en la voyant si minuscule entre ses grands bras de père. Il n’alla pas chercher bien loin et décida de la nommer Rosette. Elle était la petite rosée du matin qui arrosait son champ presque parfait. Elle s’ajoutait au tableau qu’il avait créé. Comme c’était beau de les écouter raconter cette histoire encore et encore. Tout le monde savait déjà que pour épouser Rose, il faudrait rendre à son père le calcul des bouteilles d’eau Andza. Même si c’était pour rire, le dentiste Assoumou semblait prendre cela très au sérieux.

Rose était de plus en plus belle et brillante en grandissant. Elle pensait, rêvait de choses auxquelles personne, autour d’elle, n’osait songer. Elle était ambitieuse et courageuse, toujours en tête à l’école, au sport, à la danse, aux jeux. Elle était une lumière là où il en fallait. Rien sans elle n’avait de sens, on faisait appel à elle, même au-delà de ses compétences, juste pour l’avoir dans un groupe de travail, de musique ou d’étude, juste pour être bien vu.

Belle et ambitieuse

À dix-sept ans, Rose était secrétaire générale de la coopérative du lycée. Son camp venait d’être élu grâce à elle, mais sans qu’elle ait besoin de faire grand-chose. Elle avait aussi été sollicitée par la radio qui venait d’être créée pour écrire et lire des poèmes. Au coucher, toute la ville entendait sa douce voix qui berçait les cités riches et les cases même au-delà des frontières avec des mots d’amour, des dédicaces, de la musique. Ceux qui ne la connaissaient pas connaissaient déjà sa voix, mais voulaient la rencontrer ne serait-ce que pour faire « bon genre ».

Alors, lorsque le grand comité du concours de miss se rapprocha de l’école pour inciter les jeunes à participer à cet événement national, Rose fut considérée comme la favorite avant même de concourir. Aucune fille ne pouvait rivaliser avec elle. Les autres ne pouvaient espérer que la deuxième place et elles en avaient conscience vu comment elles la vénéraient. Fallait-il donc directement poser une couronne sur la tête de Rose et lui enfiler l’écharpe de gagnante pour déjà faire d’elle la miss Gabon ? Même si tout le monde pensait que Rose allait être élue avec cent pour cent des votes, il fallait tout de même respecter la procédure et lui trouver des dauphines, au moins pour faire joli sur les photos. Mais il était hors de question pour les autres de se présenter à une élection dont on connaissait déjà la gagnante. Sans jalousie aucune. En fait, tout le monde estimait que Rose représenterait parfaitement la beauté gabonaise à l’étranger. D’ailleurs, qui d’autre pourrait mieux assumer cette noble tâche ? Elle était bien la candidate la plus fiable.

Problème, l’élection de miss Gabon devait se dérouler en plein examen. Rose, elle, ne voyait donc pas les choses sous cet angle. Elle voulait passer son baccalauréat et quitter enfin Bitam, cette ville devenue un tout petit village à ses yeux au fil du temps. Elle n’était pas intéressée par cette compétition. Cette élection pour consacrer la plus belle et intelligente des filles de sa génération n’avait rien à voir avec ses projets. « Je suis déjà tout cela à la fois, alors à qui et surtout à quoi bon le prouver. Plutôt donner cette chance à une autre. Je veux bien participer à un concours, mais pour des qualités qui me manquent ou que j’ignore afin de me découvrir et de m’améliorer si nécessaire. Mais utiliser ce que j’ai déjà serait de la triche », disait-elle sans mépris, mais convaincue qu’être une reine de beauté donnerait plus de plaisir à une autre qu’à elle.

C’était aussi cela, Rose. La fille dont le père exigeait qu’elle ne soit baignée qu’avec de l’eau Andza. Alors, pour la convaincre, il fallait bien plus que ça. Elle ne voulait rien en dehors de ses propres projets. Tout était tracé. Elle souhaitait visiter le monde, rencontrer des gens nouveaux et heureux, passer des moments que personne n’oserait même imaginer. Ce n’était donc pas son équipe de la coopérative, qui avait été élue grâce à elle, qui viendrait la dissuader. Plus la date approchait, plus le Comité d’organisation battait de l’aile. Et toujours personne sur la liste des participantes.

Mais Rose eut une idée qui allait changer la donne et arranger la situation. Il s’agissait tout de même d’une compétition nationale qu’elle avait paralysée pendant trois bonnes semaines. Et à huit jours de l’événement, toujours aucun nom ne figurait sur la liste des candidates malgré la campagne de publicité en ville. C’était aussi cela, Rose. Outre sa beauté, son intelligence et son caractère de princesse, elle avait du cœur, elle savait comment agir pour honorer les autres. Elle savait dire « non », mais si son simple nom pouvait procurer du sourire aux gens qui l’entouraient, elle s’attelait à mettre du sien pour changer les choses. Certains le savaient, alors ils savaient se montrer patients. Autour d’elle, même les amis qu’elle ne voulait pas ou ne voulait plus savaient qu’il suffisait d’attendre. Elle n’aimait pas voir les gens souffrir, donc elle finissait par revenir parce qu’elle avait du cœur. Ils pouvaient être nombreux à lui faire la cour. Parfois, quatre bons amis pouvaient se la disputer ou bien deux frères ou des camarades de classe ou encore les frères de ses copines. C’était un véritable carnage autour d’elle.

Jamais Rosa ne disait « non » ou « oui » à personne. Et cela ne l’embêtait pas. « Du moment qu’à la Saint-Valentin ou à mon anniversaire, ma chambre est remplie de cadeaux, pourquoi dirais-je non ? Mais, quoi qu’il en soit, surtout pas oui ! », disait-elle, tantôt douce, tantôt matérialiste. À la fois brillante et belle, elle jouait, car « en réalité son cœur était prit par des rêves, mais il est fermé pour l’amour », disait Yao, sa mère. Son cœur ne battait qu’une seule fois et jamais une deuxième, ses sentiments devenaient de l’amitié au gré du vent. Elle voulait connaître un amour de conte de fées, alors il fallait patienter ou le chercher ailleurs. Et en attendant, il fallait aider le Comité d’organisation de miss Gabon.

Candidate malgré elle

Rose se proposa, en tant que membre du bureau de la coopérative, de sillonner les lycées et collèges au nom du Comité d’organisation pour sensibiliser les jeunes aux enjeux majeurs de cette compétition et pour la valoriser auprès des parents en dédramatisant l’image négative que certains pouvaient avoir d’un concours de miss. Il fallait convaincre avec des mots et des preuves pour que les filles trouvent le courage nécessaire de s’inscrire. Pendant ses tournées, Rose devait avant tout faire passer son message : « Je ne suis pas candidate à l’élection de miss Gabon pour la simple raison que je suis concentrée sur les examens du baccalauréat. J’ai pas mal de révisions et de points à rattraper avant la date butoir, alors il ne serait pas approprié de vouloir suivre deux lièvres à la fois. Toutefois, je me joins au Comité pour l’organisation et surtout pour le soutien et le suivi des candidates qui accepteront de participer. »

Dès cet instant, le voile tomba. Si Rose ne voulait pas être candidate, alors toutes les filles avaient une chance. Une fois sa mission terminée, Rose devait être tranquille et libre de vivre. Hélas, ce ne fut pas le cas. La liste des participantes se remplissait à toute allure et il fallait absolument respecter les délais pour que l’événement marque les esprits. Rosa avait fait son travail, il y avait des candidates, alors il suffisait d’attendre que le vent passe. Mais elle fut encore sollicitée. Le responsable de la coopérative et tous les autres membres vinrent lui demander d’aller déposer la liste chez le proviseur du lycée afin que ce dernier prenne connaissance des candidatures définitives. Service qu’elle accepta de rendre.

Dans le bureau, Rosa, accompagnée des autres membres qui lui avaient remis la liste définitive, la tendit au proviseur avec l’air satisfait du travail accompli. Elle estimait avoir finalement bien agi dans l’intérêt de chacun, mais grande fut alors sa surprise : le proviseur, en regardant la liste de haut en bas, posa une question qui allait tout chambouler.

– Ton nom ne figure pas dans la liste ?

Surprise et un peu excédée, Rosa, malgré tout apeurée, répondit :

– Non, Monsieur le proviseur.

Sans même la regarder, les yeux rivés sur ses dossiers et au téléphone, il finit par ordonner dans un geste clair de la main :

– Alors, ajoute-le ! Merci, vous pouvez disposer.

Rosa, envahie par un sentiment de colère, ajouta donc son nom sur cette liste. Alors qu’elle était sortie avant tous les autres du bureau du proviseur, son cœur était en feu. Elle voulait crier, crier sur quelqu’un, mais surtout pas là. Il fallait qu’elle s’éloigne pour pouvoir laisser sortir sa rage et exprimer la trahison dont elle venait d’être victime. Elle qui avait déjà dit « non » au moins mille fois pour prendre part à cette compétition était finalement obligée d’y participer aux côtés de toutes ces filles à qui elle avait garanti qu’elle n’y serait pas.

Son cœur était lourd, car pour elle c’était une double trahison. Elle venait de faire le tour des classes pour rassurer les autres en leur expliquant qu’elle ne serait là qu’en soutien et qu’elle avait mieux à faire. « Comment vont-elles le prendre ? Pour qui vont-elles me prendre ? », se demandait Rose. N’ayant pas les réponses à ses interrogations intérieures, elle se disait qu’elle n’avait pas été comprise, qu’elle aurait mieux fait de porter cette couronne sans compétition plutôt que de concourir avec des candidates qu’elle avait elle-même convaincues d’aller au front.

Elle n’acceptait pas l’idée de les trahir, mais encore moins celle de désobéir à l’ordre du proviseur. Tel était son dilemme. Elle qui avait toujours été la princesse bien-aimée allait être certainement détestée par les autres filles. Pour elle, il n’en était pas question, mais, finalement, l’autorité du proviseur prit le dessus sur tout le reste. Rosa était le meilleur atout du proviseur, alors pas question de le sacrifier.

Irrésistible Rosa

Heureusement avec le soutien de sa famille, Rose fut élue miss interétablissement, puis miss Gabon en 2009. Rien de surprenant, on s’y attendait. Il suffisait de la regarder. Jolies jambes. Joli visage. Fossettes. Sourire renversant.

Son charme défiait toute concurrence, elle incarnait la féminité africaine avec ses rondeurs à faire fléchir même les plus résistants.

Qui d’autre que Rose pouvait être élue ? Oui, qui ? Elle était la seule participante au teint mat, aux lèvres roses, baignée à l’eau Andza depuis sa naissance. Sa beauté et son courage ouvraient les portes fermées. « Qu’est-ce qu’elle est belle », disait-on lors de cette compétition. Il fallait chercher une deuxième et une première dauphines, car la gagnante était bien Rose. La miss Gabon 2009 allait changer les choses, car elle n’était pas seulement une miss « sois belle et tais-toi ». Non, elle était la beauté, mais aussi l’intelligence incarnée, des valeurs, la rigueur et surtout une volonté pour véritablement changer les choses. On parlait alors de l’émancipation de cette jeune femme capable de faire évoluer les mentalités et de faire bouger les lignes.

Rosette, quant à elle, était très fine et discrète. C’était une jolie fille comme sa sœur, mais elle était toujours dans l’ombre de Rose. « La petite sœur de la miss » allait être son nouveau surnom, ce qui ne la dérangeait pas. Sa popularité dépendait de sa sœur aînée. Elle était le phare qui réconfortait tous les cœurs brisés qui tombaient du bateau de sa sœur Rose. On ne pouvait que passer par elle si on avait envie de voir sa sœur ou sinon, on n’y arrivait pas. Si vous aviez été mis à l’écart par Rose, Rosette pouvait vous conseiller la patience. Elle était une princesse d’un autre genre, invisible, mais nécessaire. Elle n’était pas la dauphine, non, elle était très loin des rêves mondains. Elle avait des qualités rares, elle était notamment à l’écoute des autres. Certains diraient même sournoise tant elle avait la capacité de te faire parler de toi, de te faire révéler des secrets inavoués sans qu’elle ait à te dire une seule chose sur elle-même. Des secrets, oui, elle en avait de tout le monde, mais sans que quiconque ne craignent rien.

Elle avait des rêves, mais pas ceux de sa sœur. Bien ancrée, elle ne voulait pas grand-chose pour être heureuse. Elle était déjà la sœur de Rose. Qui d’autre était aussi proche du soleil qu’elle ? Elle, la petite Rosette, qui, comme une rose du matin rafraîchissant les plantes dans le besoin, te dira discrètement si tu as tort et ce qu’elle pense. Elle aussi avait des prétendants, mais sans plus. Elle savait que ces derniers visaient la lune Rose, mais tombaient finalement sur les étoiles de Rosette. Alors, elle faisait comme sa sœur. Et elle n’aimait personne plus que sa sœur. Malgré ses grands airs, ses grands rêves, sa grande ambition, Rose était son modèle. Elle l’admirait, mais n’irait quand même pas jusqu’à faire tout comme elle : « Je préfère être la petite sœur de la miss que d’être miss ou dauphine, ça fait trop de couleurs et de lumière. Tout est éphémère », disait-elle de la célébrité.

La rencontre d’une vie

Un matin, pourtant comme les autres, allait tout changer. Rose se rendait à l’école très en retard quand elle vit ce jeune homme grand au teint clair qui y allait lui aussi. Et vu l’heure, il était également très en retard. Il traversait ce carrefour très fréquenté par les élèves de tous les établissements qui allaient dans la direction de leurs écoles et leurs uniformes respectifs. Ceux qui se connaissaient se disaient un coucou rapide, mais pas de temps pour les bavardages. D’autres, s’ils allaient dans le même sens, se mettaient ensemble ou les uns derrière les autres. Mais ce jour-là, Rose et le bel inconnu devaient vraiment être très en retard pour se croiser à ce même carrefour. À cette heure, il était vide d’élèves, calme. Ils portaient l’uniforme de deux établissements distincts. Il allait donc dans le sens contraire de celui de Rose.

Plus il avançait, plus Rose s’interrogeait : « Qui est ce mec ? » Voilà ses premières observations : « Sa tenue est bien repassée et il a un teint clair très beau. » Rose se demandait s’il la connaissait, car si elle n’avait pas besoin de connaître tout le monde, lui devait forcément la connaître. Mais elle se posait une bien plus grande question que celle-là. Une question déterminante pour pouvoir décréter que le jeune homme était vraiment beau : sentait-il bon ? Cette question taraudait son esprit. Il fallait donc se rapprocher. La maline Rose n’avait pas hésité une seconde avant de bifurquer sur sa gauche à la rencontre du jeune et bel inconnu. « Yes ! fut sa réponse intérieure. Sinon pourquoi avoir une tenue aussi bien repassée, une aussi belle démarche, cette belle taille, ce beau teint, cette belle prestance, si on n’est pas aussi bien parfumé ? » Rose lâcha ensuite un « mmmh ».

Elle le voulait et ne pouvait plus rien se dire d’autre que ceci :

« Je vais peut-être aimer.

Tout comme Mariame − sa meilleure copine − aime Michel.

Ou comme maman aime papa.

Ou comme mon oncle aime tantine Irène.

Ou comme le président Bongo aime Edith.

Ses suppositions défilaient dans sa tête comme un chant d’oiseau qui ne dure pas.

Elle s’éloignait du bel inconnu pas après pas plongée dans une intense réflexion, avant qu’une chose lui traverse l’esprit. Son regard ? Ses yeux ? « Je n’ai pas vu la couleur de ses yeux, mince », se dit-elle. Puis Rose réalisa qu’elle était passée, elle, complètement inaperçue. En clair, le jeune homme l’avait snobée sans même qu’elle s’en rende compte une seule seconde. À ce carrefour, à n’importe quelle heure, elle était visible, et même très visible.

C’était elle la lumière de la ville, tout le monde la calculait. Elle était miss Gabon et n’était revenue dans sa ville que pour finir l’année scolaire. Sans oublier qu’elle était la voix d’or de la Radio Nord Sud, la seule radio de la contrée, cheftaine des Groupes et mouvements de jeunes, hommes, femmes, filles et enfants, tous l’adoraient. Ils rêvaient tous de la croiser à ce carrefour, car son école se trouvait juste à quelques mètres de la maison. Ce carrefour, tout le monde le traversait avec le souhait d’y croiser Rose. Son père tenait à ce qu’elles aient une vie normale, sa sœur et elle. Pas de chauffeur pour aller à l’école, miss ou pas. « Tu n’as qu’un carrefour pour t’y rendre, alors la voiture c’est pour les grands événements. Garde ta tête sur les épaules », lui répétait-il.

Le jeune homme, lui, n’avait-il pas osé profiter de sa chance ce matin-là ? Rose s’interrogeait encore et encore, des heures et des heures durant. « Il doit être fou ou il s’en fout… Il est peut-être nouveau ou c’est un expatrié. » Elle ne s’arrêtait pas. Son esprit devait forcément être ailleurs, car il avait raté sa chance. Elle devait donc l’oublier… ou bien tout faire ne serait-ce que pour voir la couleur de ses yeux et sentir son parfum une minute ou peut-être vérifier qu’il n’avait pas de fièvre ou même qu’il ne revenait pas de l’hôpital, qui n’était d’ailleurs pas très loin. Rosa réfutait l’idée d’être passée inaperçue auprès du seul bel homme croisé, mais qui n’eut aucun égard pour elle. Ce jeune homme devait être souffrance.

Cœur perdu

En réalité, le fameux inconnu s’appelait Frys Ondo et il venait effectivement d’ailleurs. Ses parents l’avaient envoyé au Gabon, et plus précisément à Bitam, pour le récupérer car ils sentaient qu’ils étaient en train de le perdre. Frys Ondo était un enfant unique. Il était né aux États-Unis et avait grandi en France. Il apprenait bien à l’école, était très poli et vraiment très beau. Lorsque son père était ambassadeur, il avait parcouru de nombreux pays avec sa famille. Une fois retraité, son train de vie avait changé, puis sa femme était décédée. Il avait alors déménagé de ville en ville avec son fils et sa nouvelle compagne. Frys, voulant s’adapter dans chaque nouvel environnement, commençait à fréquenter de mauvaises personnes. Toutes les filles le voulaient, mais si lui n’en voulait pas, elles se suicidaient. Son père décida donc de l’envoyer chez ses grands-parents afin que ces derniers lui inculquent les bases de la vie, la culture et les valeurs que peuvent nous léguer nos parents. Lui aussi avait donc son lot de problèmes. Et ce n’était pas une fille du bled qui allait faire le poids. Frys avait déjà vu mieux.

Le soir venu, Rosette, la petite sœur calme, avait vu l’attitude de Rose. Elle adorait la titiller et écouter sa sœur raconter ses histoires. Elle avait une telle manière de les dramatiser lorsqu’elle voulait les rendre graves ou de les améliorer lorsqu’elle voulait faire rêver ses amies. Dans tous les cas, Rosette était la meilleure oreille. Son écoute développait ses sens. Elle devenait d’ailleurs de plus en plus sage à force d’écouter et de conseiller.

– Toc toc, bonsoir, vous ! lança Rosette à sa sœur.

Elle disait « vous » parce que Rose n’était jamais seule. Même lorsqu’elle s’enfermait dans une pièce, elle sentait qu’elle n’était pas seule dans sa tête. « Elle a trop de rêves, ma sœur, alors elle ne peut pas être seule à penser. Il doit y avoir trop de gens qui discutent dans sa tête », disait-elle souvent pour rire.

– Je ne t’ai pas vue de la journée. Pourtant, j’ai bien sûr guetté ta salle. Vous aviez cours, mais vous n’êtes pas sorties ?

– Oui, répondit sa grande sœur.

– Oui, quoi ?

– Oui, nous ne sommes pas sorties, lança Rose sèchement, les yeux rivés au plafond.

– Alors ta journée n’a pas été bonne, il me semble. Que se passe-t-il ? demanda Rosette en prenant soin de refermer la porte derrière elle.

– Seigneur…

Les phases de Rose commençaient par « Seigneur » lorsque la situation était très complexe. Quand elle ne savait pas trop quoi penser, c’était « Seigneur ». Quand elle était dépassée, c’était « Seigneur ». D’autres phrases pouvaient commencer par « hein », mais dans ce cas, la discussion allait très vite devenir un problème. Alors, quand elle disait « Seigneur », c’était plus intéressant et cela poussait Rosette à l’écouter encore plus attentivement.

– Seigneur ! Toi qui connais tout le monde, connais-tu par hasard l’étalon de ce matin ? Il étudie au CEB − collège évangélique de Bitam −, il a des favoris, sa tenue est très bien repassée et, Seigneur, qu’est-ce qu’il sent bon !

Rosette rétorqua :

– Si je le connais ? Ou plutôt s’il te connaît ?