Sang d'ombres et de fées - Julien Piron - E-Book

Sang d'ombres et de fées E-Book

Julien Piron

0,0

Beschreibung

L’Ordre vous souhaite la bienvenue à Tenebrium. Que vous soyez Orcs, Trolls, Mages ou Nécromanciens, ici vous pourrez vous bâtir un avenir meilleur loin de toute pollution humaine

C’est dans ce pays que Gloria Velner découvre, lors d’une randonnée, le premier mâle du peuple des Fées. Rejeté du simple fait de son genre, elle l'élève comme son fils et le prénomme Aru.

Être doué de magie et de beauté, il grandit dans l’ignorance de ses origines et décide de rejoindre l’Ordre en devenant Gardien, l’élite de la police. C’est dans ce cadre qu’il finira par se voir remettre l’une des enquêtes les plus effroyables de l’histoire de ce pays. Une enquête qui, à la veille d’une guerre civile, risque bien de détruire l’harmonie fragile unissant les peuples.

Ville souterraine, amour torride, loups revanchards, goules affamées et trahisons en chaîne... En quelques jours seulement, Aru Velner découvrira les pires secrets que cache Tenebrium.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Julien Piron - "Grand amateur de films d'horreur et fan inconditionnel de Stephen King, Julien commence à écrire dès l'âge de six des récits horrifiques dans lesquelles loups-garous, esprits frappeurs et vampires se rencontrent joyeusement.

En grandissant, il se tourne vers le Fantastique, mais sans jamais tourner le dos à toutes ces créatures démoniaques qu'il idolâtre et qu'il aime intégrer dans des genres littéraires où ils n'ont pas spécialement leur place.

Aujourd'hui, du haut de ses 38 ans, il écrit sans cesse, s'essayant à tous les genres, du thriller dystopique (Contrôle) au Dark Fantasy, passant même par la case scénario avec le court-métrage Le Dernier Vidéo-Club produit par la RTBF (chaîne Belge).

"Sang d'Ombres et de Fées" est son premier pas dans l'Urban Fantasy."

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Veröffentlichungsjahr: 2024

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


 

 

 

 

 

 

 

 

Couverture et maquette intérieure par Ecoffet Scarlett

Correction par Sophie Eloy

 

 

© 2023 Imaginary Edge Éditions

© 2023 Julien Piron

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

 

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

ISBN97823857220407

 

ENFANT DE FÉE

 

Ne croyez pas ces histoires. Ne vous laissez pas berner par ces légendes enchanteresses et ces contes merveilleux qui se murmurent au coin du feu. Ces récits, peu importe leur forme, ont été embellis pour ne pas effrayer les enfants. Comme les cadeaux qu'on dépose sous un sapin la veille de Noël, on les a soigneusement emballés dans des couleurs agréables avant de les agrémenter de jolis nœuds roses et de dorures. Mais, si vous aviez réellement rencontré une fée, vous sauriez qu'elles ne sont pas ces jolies demoiselles aux ailes de papillon voletant au fond des bois tout en éparpillant de la poussière dorée. Vous sauriez qu'il n'existe pas de créatures plus viles et plus cruelles que ces êtres à l'apparence terrifiante.

Priez de toujours l’ignorer… Car, si vous deviez le découvrir, sans doute ne vivriez-vous pas assez longtemps pour le raconter.

C'est aux abords de la dernière forêt des Fées que débute cette histoire, bien au-delà des frontières séparant la civilisation des verdoyantes collines des Vallées-Chantraine et des plaines maudites de Tervâne. Au cœur d'une nuit froide et sans étoiles où l'espoir est un voyageur qui ne trouve plus son chemin. Le silence dominant les paysages était si intense qu'il en était devenu aussi fragile que de la porcelaine.

Rien n'est plus fragile que le silence, car il suffit de le nommer pour le briser.

C'est ce que se disait Gloria Velner, une mage vieillissante, appréciant les randonnées et les pèlerinages dans ces parties du pays où même les trolls les plus téméraires n'osaient poser le pied. Elle avait toujours quelque chose à se dire, car tels sont les sages qui pensent plus qu'ils ne parlent. Une pensée solitaire qui s'avéra juste. Quelques centaines de mètres la séparaient encore de Tervâne, quand elle entendit d'horribles et glaçants cris perçants résonnant dans toute la région. Des hurlements inhumains, vibrants de cruauté, si puissants qu'ils ne briseraient pas simplement le silence, mais qui bouleverseraient ces lieux des années durant de leurs échos sinistres.

N'importe qui d'autre aurait fait demi-tour et se serait enfui à toutes jambes. La peur et l'ignorance forment un duo diabolique capable de vous retourner le cœur. Mais Gloria reconnut ces cris. Ils étaient les notes aiguës de ce qu'elle appelait le Chant des Fées. L'expression d'une discussion animée entre ces créatures démoniaques prédisant quelques violentes altercations et mises à mort.

Parce qu'elle avait vécu dans les galeries souterraines infestées de semi-loup et parmi les gobelins et les trolls sauvages de Tenebrium, Gloria ne se laissait pas impressionner aisément. Ce fut pourquoi elle continua de gravir les collines qui obstruaient son champ de vision afin de rejoindre la dernière forêt des Fées et découvrir l'objet de leur émoi.

Gloria Velner avait la cinquantaine bien tapée, gardait la forme grâce à ses randonnées à travers le monde et ressemblait à une bohémienne autant capable de vous offrir le thé que de vous maudire jusqu'aux racines les plus profondes de votre arbre généalogique. Une grande dame au teint d'ébène et à la chevelure folle, toujours vêtue de ses anciennes robes de mage qu'elle aimait raccommoder. Si on la trouvait souriante et charmante au premier regard, elle était aussi brusque et cinglante, n'hésitant pas à exprimer le fond de ses pensées et à jouer des poings pour défendre les plus faibles. Elle avait pratiqué la magie des éléments, la branche la plus prestigieuse des universités de sorcellerie, et possédait tout un tas de recettes pour concocter des élixirs lui promettant de vivre encore bien soixante années supplémentaires. Elle avait travaillé plus de quarante ans aux côtés des Gardiens et des Héritiers, combattant pour la paix et l’harmonie d’un pays en proie à la peur, ce qui lui avait valu une certaine renommée. De dures années durant lesquelles elle avait économisé une belle fortune afin de pouvoir s’offrir une retraite à la hauteur de ses efforts. Et quand vint le jour pour elle de quitter l'Ordre, la branche gouvernementale en charge de la protection des Héritiers et de Tenebrium, elle se fit construire une belle maison en bois au cœur d’un domaine naturel où l’on croisait plus d’écureuils et de renards que de trolls et de représentants en assurance. Un lieu où la paix était réelle, et non l’illusion temporaire englobant les cités du pays, loin des guerres de clans, des marchés noirs et de ces galeries souterraines empestant le chien mouillé.

En cette nuit de pleine lune, emportée dans sa randonnée annuelle qui l’amenait dans ces régions hostiles où elle pouvait travailler sa magie tranquillement et sans avoir à remplir les documents administratifs adéquats, elle avait décidé d’installer son bivouac de l’autre côté des collines, sur des terres arborant moins de reliefs, auprès de quelques arbres solitaires. Mais, d’entendre les Fées aussi animées avait attisé sa curiosité. Elle termina donc de grimper les collines, les descendit ensuite, toujours guidée par ces cris tonitruants ressemblant aux plaintes d’un millier d’animaux agonisants, et retrouva les plaines en quelques minutes. En chemin, elle avait lâché ses sacs pour gagner en vitesse.

Elle calma néanmoins ses ardeurs en approchant de la forêt. Il aurait été suicidaire de s’y aventurer sans prudence. Se dissimulant derrière des rochers, elle sonda l’obscurité malveillante de ce massif forestier comme on toise un ennemi pour déceler ses failles. Elle étudia les différents sentiers et chemins dérobés vous invitant à pénétrer ces lieux, jeta un sort de détection mineur pour localiser les fées les plus proches et se releva quand elle fut certaine qu’elle pouvait progresser sur une cinquantaine de mètres sans risquer d’être démembrée ou dévorée vivante.

Les cris s’intensifiaient. S’amusaient avec les sens de Gloria. Elle devait faire appel à toute sa concentration pour réussir à avancer sans s’étourdir ou s’évanouir derrière la magie noire que dispersaient les Fées en se disputant de la sorte. Quand elle dépassa les premiers arbres, il ne restait presque plus rien de sa curiosité. Face à cette nature sombre et poisseuse, Gloria se sentit vide. Épuisée. Comme si ces arbres longilignes à l’écorce luisante et aux feuillages gris cendre lui soutiraient toute son énergie vitale.

Malgré tout, elle fit encore quelques pas. Elle progressa en ligne droite dans cet univers qui lui était inconnu avant de saisir enfin toute la stupidité de son acte. Ici, elle n’était plus l’éminente Gloria Velner saluée dans les couloirs du bâtiment-mère de l’Ordre. Elle n’était plus la femme qui avait combattu des trolls sauvages durant la rébellion de 1969 et gagné la médaille du courage pour avoir empêché l’ancien Meneur de Loup d’attenter à la vie d’un Héritier.

Ici, elle n’était qu’une proie comme les autres.

Reprenant ses esprits, elle comprit qu'il était temps de rebrousser chemin. De partir avant qu'on ne remarque sa présence. Elle s’apprêta donc à quitter cette forêt, avant d’être le jouet d’une bande de créatures sadiques capables de vous étouffer avec votre propre foie fraîchement arraché, quand elle perçut des pleurs parmi les cris. Des pleurs vibrants d’innocence au cœur de ce chant effroyable.

Était-ce l’une des victimes de ces Fées qui appelaient à l’aide? Qui usait de ses dernières forces pour tenter de capter l’attention d’un aventurier aveuglé par sa témérité?

Tendant l’oreille, Gloria finit par saisir à qui appartenaient ces pleurs. Ils étaient ceux d’un nourrisson. D’un nouveau-né.

Cette terrifiante certitude la troubla au plus haut point, jusqu’à lui faire oublier les nombreux dangers rôdant dans la pénombre. Elle jeta un nouveau sort de détection et perçut, à moins de vingt mètres de sa position, une étincelle de vie brillant de ses derniers éclats. Tout autour, l’énergie néfaste des Fées se rapprochait, ceinturait l’étincelle pour la prendre en étau, offrant peu d'espoir de survie à ce bébé.

N’écoutant que son courage et répondant à la chaleur de son instinct, elle courut. Elle courut plus vite encore qu’un chat sauvage, filant à contre-courant des vents froids et pestilentiels de cette forêt maudite. Suivant les derniers éclats de l'étincelle, que l'obscurité étouffait déjà, elle trouva l'enfant. Un bébé se débattant dans les fougères brûlantes et les herbes coupantes, recouvert d’une couche de gélatine le protégeant de cette végétation hostile. Autour d’eux, elle aperçut les silhouettes géantes et filiformes des Fées qui venaient dans sa direction, hurlantes et affamées. Les prédatrices les plus cruelles de la création. Les ignorant, elle arracha un pan de sa robe et en enveloppa le bébé. Elle le souleva et l’amena tout contre son cœur, là où elle pouvait sentir la fragilité de cet être démuni. Jetant un dernier regard terrifié vers l'ennemi, elle fit volte-face et chercha, au cœur de ces ténèbres, un chemin salvateur. Dans le sillage de son dernier sort, dans les lueurs de sa propre puissance magique, une voie d'éclats argentés se dessina. Sans hésiter, elle repartit dans cette direction.

Les Fées, pleines de rages, coururent derrière elle, étendant leurs longs bras raides et pourvus d’ongles crasseux pour l’arrêter dans sa fuite. Gloria, plus rapide que ne laissaient le supposer sa silhouette et son âge avancé, put rapidement les distancer. Faisant danser la cendre autour de ses pieds, elle sortit de ces bois maudits avant qu’ils ne se referment sur elle et emprisonnent sa chair et son âme. Elle courut encore, même quand elle fut certaine d’être libérée des intentions cruelles de ces Fées qui hurlaient dans son dos.

Ce ne fut qu’aux pieds des collines qu’elle s’arrêta et prit enfin le temps de découvrir le nourrisson qu’elle venait de sauver d’une mort aussi certaine que violente. Et son étonnement atteint alors son comble.

Un mâle. Le nouveau-né était un mâle. Il présentait bien quelques difformités osseuses prouvant son appartenance au peuple des Fées, mais elles étaient légères. Du reste, si ce n’était que ses yeux d’un rouge vermillon, il tenait des humains surtout. Cette sous-race vivant de l’autre côté des sortilèges mis en place pour préserver Tenebrium de leur infériorité.

Gloria était troublée par cette découverte. De toute évidence, le bébé provenait bien de ce peuple maudit, ce qui allait contre toutes les théories mises en place par les spécialistes et les historiens. De toujours, il était un fait que les Fées n’enfantaient que des femelles, faisant de leur espèce l’unique à être représentée par un seul genre. Et pourtant, en cet instant précis, sous l’œil laiteux d’une lune pleine et dans les bras froids de cette nuit d’automne, Gloria Velner rencontrait le tout premier mâle du peuple des Fées. Rejeté par sa mère dès sa naissance, qui avait certainement préféré l’abandonner plutôt que de subir la honte d’une telle création, il attendait, sans le savoir, les supplices d’un châtiment injuste perpétré par les mères de ces forêts maudites. Du simple fait d’être né avec le mauvais sexe, il aurait dû mourir, si seulement Gloria ne s’en était pas mêlée.

Elle sut, en jugeant l’ampleur de cette découverte, que l’enfant était voué à un grand destin. Il ne pouvait en être autrement. Il était unique dans ce monde si vaste et méritait, de ce fait, une éducation unique. Ce fut la raison pour laquelle Gloria Velner décida de l’adopter. Une décision impulsive, certes, mais rappelant à la mage retraitée qu’il fallait toujours suivre son instinct. De sa position, elle était toute disposée à lui enseigner l’histoire et les langues, l’art et l’écriture, mais aussi la magie et la nécromancie. Elle pouvait également lui offrir le confort d’une maison spacieuse et la protection.

De belles offrandes dont peu d’enfants pouvaient se vanter.

Perdue dans ses pensées, elle constata soudain que le bébé avait cessé de pleurer. Enveloppé dans ce pan de robe usée, il avait trouvé la sécurité et le réconfort. Dans un échange de regards aussi troublant qu'envoûtant, les deux êtres semblaient se lier.

Son aura débordait de magie, sans l’ombre d’un doute. Il ne fallait faire usage d’aucun sortilège de révélation pour le constater. Un héritage sacré le prédestinant à côtoyer les meilleures carrières. Instinctivement, Gloria jaugea les risques de garder un tel enfant chez elle, entre les murs de sa baraque. Les Fées pourraient bien vouloir quitter leurs forêts pour détruire cette abomination et redorer leur blason. Fort heureusement, elles étaient prisonnières de leurs demeures et ne pouvaient en sortir qu’à l’apogée du chaos, quand les magies noires reprendraient le contrôle de Tenebrium. Et comme personne ne voulait voir ces créatures déambuler dans les rues et les magasins, ce n’était pas près d’arriver ! Pas tant que l’Ordre s'épuiserait à garantir l’harmonie des peuples et à garder les Lycans dans leur royaume souterrain. Pas tant que les Héritiers seraient là pour assurer la sérénité de leur simple présence.

Gloria mit fin plus tôt que prévu à sa randonnée, rebroussant chemin dès les premières lueurs flamboyantes d'une aube nouvelle. Elle usa de ses connaissances et de ce que la nature avait à offrir pour concocter un élixir de Jouissance, afin de lui permettre une montée de lait et de nourrir l'enfant. Ses seins gonflèrent et devinrent douloureux, mais cela calma les pleurs du bébé qui reprirent dès le matin. Du fait de l'élixir, elle eut des désirs qu'un étranger ou une étrangère aurait pu satisfaire au vu de ses états, mais quelques sorts d’apaisement calmèrent rapidement ses ardeurs.

Il leur fallut deux jours de marche pour retrouver sa demeure. Deux jours éreintants, autant pour Gloria que pour l'enfant. Mais, quand elle retrouva sa maison, le bois de ses murs brillait, les lacs alentour scintillaient de mille éclats, les cèdres verdoyaient et les plantes s’affichaient une dernière fois dans leurs plus beaux tons avant d’être fauchées par l’hiver. Le domaine paraissait s’être accoutré royalement pour la venue du nouveau-né, confortant Gloria dans sa décision.

L’HÉRITIER ET LE GARDIEN

 

Gloria avait mené une existence parfois difficile, ponctuée d’embûches, de malédictions, de mauvais sorts et de guerres civiles, mais rien n’aurait pu la préparer à cette ultime épreuve. Aucun de ces combats, même les plus acharnés, ne pouvait être comparé au métier de parent.

Du fait de sa position de mage ayant travaillé pour l’Ordre, elle n’eut aucun mal à faire de cet enfant le sien. Quelques signatures suffirent pour qu’elle devienne officiellement sa mère. Elle cacha son appartenance au peuple des Fées, pour éviter de le condamner à mort du simple fait d’être né, et lui donna le nom de son arrière-grand-père : Aru. Il était, selon la version qu'elle avait donnée et qui était désormais reprise dans le dossier du garçon, un simple orphelin découvert devant les tanières de quelques trolls sauvages. Un enfant sans passé à qui on offrait la chance d'avoir un avenir.

Elle modifia quelque peu son apparence pour lui donner les airs d’un mage, diminuant ses protubérances osseuses, donnant une meilleure forme à ses oreilles et changeant le rouge de ses yeux en un noir profond, et l’éduqua avec autant de douceur que de fermeté. Elle lui apprit la langue commune de Tenebrium et l'Eludyen, qui était le parler magique enseigné dans les Académies, mais aussi quelques dialectes conservés dans les tribus primitives. Elle lui apprit à lire et à écrire dès qu'il fut en âge de bien tenir un crayon, et il lui apprit en retour la patience et la tendresse.

Connaissant ses origines, Gloria n'était qu'à moitié étonnée de ses facilités d'apprentissage. Il avait parfois peur quand il se promenait près des cités et qu'il croisait quelques bandes d'orcs ou de jeunes nécromanciens, mais il ne manquait pas de courage pour autant. Il était également persévérant et attentionné, un peu distrait parfois, et toujours affamé de connaissances.

Ce qui étonna par contre Gloria, ce fut le lien qui se créa entre eux. Il ne fallut pas attendre les âges de la réflexion pour qu'elle s'en rende compte. Et quand il se mit à parler, qu'il trouva les armes pour exprimer ce qu'il ressentait à propos de cette femme qui l'avait éduqué, il ne trouva même pas de mots assez forts que pour décrire l'amour qu'il avait pour elle.

Quand il fut en âge d’aller à l’école, elle l’inscrivit dans l’un des établissements populaires de la ville de Fairy-Bourg, là où il pourrait grandir parmi les différents peuples qui composaient Tenebrium. Depuis plus d’un siècle, les mages et les nécromanciens cohabitaient avec les trolls, les gobelins et les orcs, travaillant chacun à cette harmonie parfois fragile, et Gloria pensait indispensable que son fils vive parmi ces gens pour mieux les comprendre lorsqu’il serait en âge de les diriger. Pour ce faire, elle quitta son beau domaine dans les Vallées-Chantraine et s’installa en bordure de ville, entre la nature et la cité des Reines. Ainsi, Aru pourrait étudier au modeste Collège d’Adèle-et-Navart, là où les problèmes ne se trouvaient pas que sur des feuilles d'examens. Gloria n’appréciait pas de lâcher son fils dans la sauvagerie somnolente de ce pays, mais il était important pour un enfant de Tenebrium de se créer une carapace dès son plus jeune âge. La seule règle qui lui était imposée était de ne jamais entrer dans les métros. On n’y trouvait plus aucun moyen de transport depuis 25 ans, mais seulement des accès aux galeries souterraines où survivait le peuple des Lycans. Des lieux infâmes, glorifiant le vice et la violence, et où les sept péchés capitaux étaient dignement représentés.

Il fut difficile pour lui de s'intégrer. Les écoles populaires offraient un enseignement tout à fait respectable, avec des options dédiées à la magie, aux arts mystiques et à l'histoire des peuples, mais réunissaient des enfants parfois très indisciplinés. On y partageait sa classe avec des trolls sauvages, des orcs agressifs, des gobelins sournois, des nécromanciens ingérables et des mages prétentieux. Les profs y étaient même secondés par des trolls de montagne pour assurer leur sécurité et celle des élèves les plus dociles. Aru, qui n'appartenait à aucun clan, fut malmené de toute part. Gloria le vit rapidement, un soir qu'il rentrait de l'école avec un œdème à l'œil, les cheveux défaits et des traces de sang sur son pull. Elle le soigna et lui fit boire un thé relaxant. Une fois qu'il fut plus à même de parler, elle le pria de raconter ce qui s'était passé.

— Ce sont les trolls qui m'ont bousculé, dit-il, la tête basse.

— Pourquoi ont-ils fait cela ?

— Je ne sais pas.

— Est-ce la première fois ?

Aru hésita à répondre, mais pas longtemps. Il était difficile de mentir à Gloria. La douceur de sa voix invitait à la sincérité.

— Ça arrive tout le temps, se confia-t-il. Les gobelins me jettent des crasses dessus pendant les cours et les mages se moquent de moi. Parfois, les orcs essayent de brûler ma veste juste pour rire et les nécromanciens trouvent drôle de me plonger la tête dans les toilettes… Mais, les pires, ce sont les trolls. Je les déteste !

— Ils ne se sont pas contentés de te bousculer ? devina Gloria.

Aru s'assombrit et secoua la tête. Le cœur de Gloria se serra d'entendre tout ça. Il lui était interdit d'user de magie contre des mineurs juste pour quelques brimades, mais elle s'imaginait bien faire tomber les toits de l'école sur leurs têtes. Elle n'en dit rien, évidemment, mais Aru vit une lueur de colère passer dans ses yeux noirs. Elle attendit que passent ses émotions avant de reprendre :

— Pourquoi ne fais-tu rien ?

— Ils sont plus grands que moi.

Gloria s'approcha de son fils et plongea ses yeux si profondément dans les siens, qu'on aurait cru qu'ils allaient bientôt partager la même vision.

— Tu compares donc la puissance à la hauteur d'une personne ?

— Ils sont très forts.

— Tu l'es aussi.

Aru voulut protester, lui rappelant combien il paraissait fragile face à des ennemis aussi costauds que des trolls, mais Gloria avait le regard insistant.

— Qu'est-ce que je dois faire ? finit-il par demander.

— Il est de ton devoir de faire ce qui te paraît juste.

— Je ne comprends pas.

— Je suppose que ces brutes s'en prennent à d'autres élèves ? - Aru opina du chef - Que te dit ton cœur quand ils agissent de cette manière ?

— J'aimerais les défendre, avoua le jeune garçon.

Une envie qui se confirma dans le brillant de ses larmes.

— Alors, fais-le, lui dit Gloria d'un ton sans équivoque. Défends-toi. Défends-les.

Il voulut protester, mais ses protestations se heurtèrent à l'implacabilité de sa mère.

Le lendemain, à peine fit-il un pas dans le bâtiment principal de l'école, qu'un troll de deux fois son poids se jeta sur lui. Un troll bien comme il faut, tout en muscles et en graisses, à la peau grise et rugueuse, et avec cet air ignare qu'ont toutes les brutes. La créature voulut le jeter dans une poubelle, juste pour amuser la galerie, mais Aru en décida autrement. Les paroles de sa mère résonnaient encore dans sa tête et l'encouragèrent à agir. Il s'échappa d'abord de son étreinte, avant de canaliser toute sa force et toute sa colère dans un coup de poing qu'il envoya dans la tronche du troll.

L'ennemi s'effondra devant un public médusé. Il s'effondra si lourdement, qu'on crut qu'il ne s'en relèverait jamais.

Ainsi, Aru découvrait sa puissance. Il n'était pas qu'un simple mage au faciès angélique qui se prend des coups. Il pouvait être bien plus. Il avait l'intelligence et la force, il ne lui manquait plus qu'un objectif. Un objectif qu'il se découvrit le jour où il rencontra un Héritier.

Les Héritiers étaient nommés ainsi, car de ce mot, ils en étaient les meilleurs représentants. En effet, ceux-là étaient les descendants lointains de la race des dragons. Des milliers d'années séparaient les deux espèces, mais le sang de ces créatures magiques coulait toujours dans leurs veines et leur conférait puissance et sagesse qui faisaient d'eux le peuple le plus respecté. Toujours vêtus de riches robes et de toges cérémonieuses qui cachaient leurs traits au monde, on savait d'eux qu'ils étaient grands, qu'ils parlaient peu et qu'ils étaient les seuls à être craints du peuple des Lycans.

La première fois qu'Aru en rencontra un, il venait d'avoir huit ans. Pour cette occasion, sa mère l'amena dîner dans les beaux quartiers de Belle-Fort. Ce genre de quartier chic aux nombreuses rues commerçantes où les populations se mettent sur leur 31 (à l'exception des gobelins) et où la police, premier exemple de mixité, apparaît dans leurs plus beaux uniformes.

Ils mangèrent au Centaure majestueux. Un restaurant où l'on servait les meilleures viandes de Tenebrium. Des viandes issues des fermes de l’ouest où les bœufs étaient élevés par la dernière famille de Géants vivant sur terre. Aru en était encore à apprécier les mises en bouche, quand l'Héritier fit son entrée. Dépassant d'une bonne tête le plus grand troll que le jeune garçon ait jamais rencontré, l'être dégageait une magie envoûtante, incapable d'ignorer. Tous les clients se tournèrent machinalement vers lui, tandis que le silence le plus solennel s'installait dans la salle. Portant une toge souple qui le recouvrait de la tête aux pieds, il était impossible de voir un morceau de son corps dépasser. Même ses mains étaient gantées. Et sur les sols carrelés de la pièce, il semblait flotter.

Quand les gens se remirent enfin de cette présence inattendue, une pléiade de serveurs accourut vers l'être pour le guider vers sa table. Sans surprise, on l'installa à la meilleure, sous les plus beaux lustres, là où il pouvait encore être contemplé tel un chef-d'œuvre en constante évolution. Ce fut à cet instant qu'Aru réussit à détourner son regard de ce personnage fascinant pour découvrir, juste à côté de lui, cette femme élancée qui portait une magnifique tunique de noir et d'argent. Une paire de baguettes de combat était accrochée à son dos et une arme de poing reposait dans un holster au niveau de sa ceinture. Aru la trouvait belle et devina, d'un seul regard, qu'elle était certainement la femme la plus forte de ce pays. Une évidence dont il ne saisissait pas l'origine.

— Qui est-ce ? demanda-t-il à sa mère.

Gloria, qui n’était pas aussi émoustillée que les autres clients, lui répondit d’une voix à peine audible :

— C'est un Héritier, mon garçon. L'une des personnes les plus importantes et les plus influentes de ce pays. Le garant de notre sécurité. Lui et ses pairs sont à la tête de notre hiérarchie et nous protègent des invasions sauvages. Leur simple présence permet l'harmonie en gardant le chaos dans l'ombre et sous la terre. Tant qu'ils seront là, les peuples vivront ensemble, les Lycans resteront dans l'ombre et la magie restera dans la lumière.

— Oui, on en a parlé à l'école, se rappela Aru. Ils nous protègent depuis des siècles, mais ils ne sont plus qu'une dizaine, c'est ça ?

— Certes, ils ne sont plus très nombreux, mais chacun d'eux possède assez de magie que pour repousser les semi-loups d'une main et maintenir l'équilibre entre les autres peuplades de l'autre.

— Waouh…

Il ne pouvait cacher son admiration pour cet être, à l'instar des autres clients. Pourtant, c'était la femme en tunique noire et argent qui l'intriguait le plus.

— Qui est la personne à côté ? demanda-t-il.

Gloria se retourna discrètement vers l'Héritier et aperçut à son tour la femme qui s’installait face à lui. Tout en grâce et en prudence, elle prit place en jetant des regards méfiants tout autour d'eux. Comme si elle craignait qu'un ennemi débarque brusquement.

En la découvrant, le visage de Gloria se détendit, un peu comme si elle retrouvait une vieille amie.

— C'est une Gardienne, Aru, dit-elle. Des membres importants de l'Ordre. L’élite de la police. Certains d’entre eux, les plus respectables et les plus doués, sont choisis pour être les protecteurs des Héritiers.

— Je pensais que c'était les Héritiers qui nous protégeaient.

— Il faut bien que quelqu'un les protège eux, non ? De loin ou de près, les Gardiens veillent à la sécurité de notre pays en veillant sur les Héritiers. Ainsi, les Héritiers peuvent maintenir la paix dans tout Tenebrium. Ils sont aussi les officiers supérieurs de la police et dirigent l'Ordre. Ce sont des personnes très importantes et très puissantes. Dans la hiérarchie, ils se situent juste en dessous des Héritiers et de la cheffe suprême.

Aru était impressionné. Plus encore que par l'Héritier qui se trouvait à quelques mètres de lui.

— C'est ce que je veux… murmura-t-il.

— Que veux-tu ?

— Devenir Gardien.

Le visage de Gloria s'éclaircit.

— C'est un métier noble, mais il est difficile d'en devenir un, lui apprit-elle. J'ai passé assez d'années en tant qu'agent de liaison entre les Gardiens et les mages que pour le savoir. Crois-moi, seuls les meilleurs peuvent s'accoutrer des tuniques officielles de ce rang prestigieux.

— C'est ce que je veux…

Malgré son jeune âge, Gloria ne pouvait nier la détermination qu'il y avait dans ses yeux. Elle pouvait même deviner combien cet objectif brûlait déjà le cœur de son enfant.

— Si c'est ton choix, alors il déterminera ton existence, conclut-elle.

Des Fées, il avait pris le meilleur. De sa mère adoptive aussi. Rien ne semblait impossible pour ce jeune garçon. Gloria le savait, comme elle sut qu'il allait certainement devenir le plus jeune Gardien de toute l'histoire de Tenebrium. Les tests d'entrée imposaient d'être majeur, mais aussi une condition physique et une magie que peu d'adolescents fraîchement débarqués dans l'âge adulte pouvaient atteindre. Mais, Aru avait toujours une longueur d'avance sur ses camarades. Il était plus intelligent, plus vif, plus concentré et plus résistant. Quant à sa magie, qui n'en était encore qu'à ses balbutiements, elle lui permettait déjà de petits exploits dont peu d'enfants pouvaient se targuer. Il était capable de dompter le vent en dirigeant de faibles bourrasques ou même de calmer les flammes d’un feu de cheminée.

En réalité, le simple fait de vouloir devenir Gardien scellait son destin.

 

 

 

 

 

 

 

 

SOUS-TERRE

 

Après avoir passé des années sur les bancs des écoles populaires, Aru obtint son diplôme quelques jours après son dix-huitième anniversaire. Il n'avait dès lors plus qu'une idée en tête : passer les tests d'entrée pour devenir Gardien. Ses professeurs tentèrent de le décourager, lui conseillant plutôt de rejoindre des Universités de prestige qui lui permettraient de convoiter les meilleures places au sein de l’Ordre, mais Aru n'en démordait pas. Gloria, qui avait toute confiance en son fils, l'encouragea à s'inscrire.

Comblant les promesses offertes par sa jeune et belle apparence, il était devenu plus beau encore lorsqu'il atteignit la majorité. Grand et naturellement musculeux, des lèvres pulpeuses et le front large, tout son visage semblait sculpté de la meilleure manière pour satisfaire tous les regards. Il avait de longs cheveux noirs, des joues lisses et glabres qui le laisseraient imberbe, et un air mystérieux qui allait de pair avec cette beauté froide qu’il arborait. Il lui était désormais impossible de traverser la ville sans que les gens ne se tournent vers lui. Mages et nécromanciennes appréciaient de le contempler, mais aussi trolles, orques et gobelines se surprenaient à l'observer, et parfois tous genres confondus.

Aru ne doutait pas de sa beauté, mais avait d'autres ambitions que de passer ses journées à s'allonger auprès de ces jeunes femmes qui tentaient de l'envoûter de leurs charmes. Il avait bien eu quelques aventures, et certaines plus sauvages que d'autres, mais son unique projet de vie était de devenir le plus jeune Gardien. Sa mère lui avait assuré qu'il était promis à un bel avenir et il se devait de ne pas la décevoir. Après tout, c'était grâce à elle qu'il était là. Même s'il ignorait tout de ses véritables origines, car Gloria s'était contentée de lui répéter la version officielle reprise dans les documents de son adoption, il se sentait redevable. Il voulait briller pour que jamais cette admiration qu'elle avait dans les yeux à son égard ne ternisse.

Une fois qu’il eut son diplôme, tous deux quittèrent les rumeurs incessantes de Fairy-Bourg pour retourner dans les Vallées-Chantraine. Là-bas, dans le domaine familial, Aru put réviser ses connaissances et sa magie, au contraire des jeunes de son âge qui traînaient dans les rues ou se rendaient pour la première fois dans les souterrains interdits. Quand vint le jour des tests, qui se déroulaient sur cinq journées éprouvantes d'efforts physiques, magiques et intellectuels, ce fut sans surprise qu'Aru eut les meilleures notes. Il était plus fort que les trolls, plus endurant que les orcs et sa magie dépassait largement la moyenne. Il reçut officiellement le statut de Disciple en date du 1er septembre, ainsi que son affectation pour les deux années de formation qu’il allait passer. Deux années durant lesquelles il allait devoir jongler entre les cours, les activités physiques, les épreuves, mais aussi quelques tâches ingrates sur le terrain afin de juger sa détermination, sa patience et sa manière de gérer le stress. S'il voulait, par la suite, devenir Gardien, il allait devoir réussir cette formation.

Il fut affecté, avec sept autres Disciples, à Goldin-Hall, tout au nord du pays, dans une ancienne caserne de pompiers désaffectée. Un bâtiment sinistre, privé de chauffage, implanté entre deux cités en guerre et devant lequel il n'était pas rare de retrouver les cadavres de quelques dealers. L’endroit idéal pour mettre les futurs Gardiens à l’épreuve. Les officiers supérieurs, qui ne manquaient pas d’imagination quand il était question de traumatiser leurs recrues, aimaient leur ôter tout le confort possible en échange d’une insécurité permanente et de douches froides. Il était ainsi plus facile de les juger, de mesurer leur motivation. Heureusement, Aru était paré. Même s'il n'avait plus le soutien de sa mère, qui vivait à 150 km de sa nouvelle demeure, et que les autres disciples le prenaient pour un gamin sans expérience, il était prêt à tout pour y arriver. Il ne craignait pas les remarques, les épreuves, les cours théoriques et les rixes qui se déroulaient de l'autre côté des murs de la caserne. De plus, il s’était habitué à la solitude. Elle était sa plus fidèle amie, et ce depuis son premier jour d’école. La seule personne qui daignait lui parler, c’était son coloc de chambre. Un certain Korf Talran, ancien Inquisiteur proche de la quarantaine, dont les origines trolls lui conféraient une stature imposante. Plus proche des mages au niveau de son apparence et de ses aptitudes, le teint caramel et les yeux verts, il laissait néanmoins pousser sa barbe et ses cheveux pour cacher les quelques imperfections de son visage. On ne pouvait pas avoir un arrière-grand-père troll sans en subir les conséquences physiques. Moins endurant que l’était Aru, il n’était pas rare que le mage s’essouffle et s’effondre au bout d’une longue journée d’épreuves.

— Comment fais-tu pour tenir encore debout ? lui demanda-t-il un soir alors qu’ils se retrouvaient dans leur chambre.

— Je ne sais pas… Ça a toujours été comme ça.

Korf s’allongea dans son matelas où il lui fallut plusieurs minutes pour retrouver son souffle. Le froid semblait se coller à sa sueur, mais il manquait de force pour tirer la couverture sur lui.

— Je ne vais pas y arriver, avoua-t-il.

Aru l’observa en silence, intrigué de voir cet homme solide faire montre de tant de faiblesses. Ce fut d’ailleurs la première fois qu’il se posa des questions sur sa propre personne. Était-ce normal qu’il réussisse là où tant de ses pairs échouaient ?

Dans tous les cas, Korf abandonna la formation au bout de huit jours, le laissant à nouveau en compagnie de sa solitude dans cette chambre infestée d’araignées et constamment traversée de courants d’air.

 

***

Au bout de deux semaines, un officier assigna Aru aux patrouilles souterraines. Tous les vendredis soirs, accompagné d'un autre Disciple, il allait devoir parcourir les tunnels et les quartiers de cette ville qu'on nommait sobrement Sous-Terre. Un travail qui consistait à se promener dans les galeries souterraines infestées de Lycans et à veiller à la sécurité des lieux. C'était évidemment bien plus une mise à l'épreuve qu'une véritable patrouille de sécurité, vu qu’il avait pour interdiction de relever les délits apparents. La seule chose qu'on lui demandait, c'était de s'affirmer dans cet univers poisseux où toutes les activités transgressaient les lois et règlements en vigueur dans le pays. Un monde dans lequel les jeunes Disciples devaient se faire leurs armes.

Ce qu’il savait de ce monde souterrain, c'est ce qu'il en avait entendu de la bouche de sa mère et de ses professeurs. Une ville sombre et secrète creusée par les gobelins du temps où ils étaient considérés comme de simples nuisibles ne méritant pas de respirer le même air que les mages. Plus tard, on y jeta le peuple des Lycans pour mettre fin aux infections et aux malédictions que leurs morsures engendraient, permettant aux gobelins de revenir. Depuis, Sous-Terre était devenu l'antre du vice et de la perdition. Drogues et prostitution formaient le cœur des activités de cette ville, et il était aussi possible d'y acheter des armes et des organes. On pouvait également y croiser d’infâmes mercenaires venus remplir des contrats ; ces êtres dénués d'amour propre qui volaient, tabassaient et massacraient au nom de l'or.

Même s'il était curieux de nature et qu’il s’était plus d’une fois demandé à quoi ressemblait Sous-Terre, Aru n'était pas friand à l'idée de patrouiller parmi les Lycans. Son désir était de faire ses preuves à la surface de la terre, pas sous ses pieds !

Sa première patrouille se déroula en compagnie d’un dénommé Ronald Porter. Une recrue affichant au compteur le double de l’âge d’Aru, aussi doué pour soulever de la fonte que pour jeter des sorts de glace capable de congeler le cœur d'un ennemi (du moins, selon ses propres mots). Une brute épaisse, qui avait passé sept ans dans la Brigade anti-Démon (la B.A.D). De ce qu’en savait Aru sur le sujet, cette brigade rassemblait les policiers de l'extrême. Des hommes et des femmes, de toutes les espèces, qu’on envoyait sur les interventions les plus périlleuses. À eux seuls, ils éteignaient les feux de la rébellion au sein des orcs et des nécromanciens, et ramenaient le calme lors des pillages, des braquages et des manifestations qui tournaient mal. Ils menaient aussi des enquêtes sur des affaires sensibles et risquaient leurs vies en accompagnant les services de secours dans les Cités les plus sensibles.

La journée était pluvieuse, du genre à tenter de vous noyer debout. Le seul côté positif de la patrouille, c’est qu’ils allaient avoir le sol comme parapluie. Après avoir quitté la caserne, ils descendirent dans la première bouche de métro qu'ils rencontrèrent. Dès les premières marches, ils furent accueillis par des odeurs d’excréments qui leur retournèrent l’estomac. Grimaçant, ils continuèrent sur leur lancée et longèrent des corridors venteux aux parois constellées de taches de sang et de déjections. En chemin, ils rencontrèrent quelques gobelins shootés et un mage nu s’offrant un instant de plaisir sous une couverture crasseuse. Aucune de ces personnes ne leur prêta attention, au contraire d'Aru qui, curieux, ne pouvait s'empêcher de les dévisager. Ronald, constatant cela, lui donna un coup de coude.

— Évitons les problèmes avant même d'entrer à Sous-Terre, dit-il.

— Désolé… C'est la première fois que je viens ici.

— Ça se voit !

Et il n'ajouta rien d'autre.

Pour cette patrouille, Aru portait la tunique grise des Disciples, une baguette de dissuasion ayant la forme d'une matraque télescopique (à peine capable d'envoyer des étincelles ou d'émettre des flashs d'aveuglement) et une paire de menottes liberticide pouvant amoindrir la magie de celui qui les portait aux poignets. Une panoplie bien futile dans les enfers souterrains, selon son avis.

Ils arrivèrent sur un quai où plusieurs mages et nécromanciens s'étaient regroupés. En voyant les Disciples débarquer, ils se dépêchèrent de se cacher le visage et de déguerpir. De toute évidence, ils ne voulaient pas être vus dans ces lieux sordides. Ronald les ignora proprement et descendit dans les tunnels pour s'enfoncer dans l'obscurité ambiante qu'une lignée d'ampoules hésitantes peinait à repousser. Aru le suivit et tous deux s'arrêtèrent devant l'une de ces vieilles portes de service métalliques menant directement à Sous-Terre.

— À partir de maintenant, on cesse de jouer les curieux, compris ? dit Ronald. De l'autre côté de cette foutue porte, c'est l'antre du diable. Si tu vois des trolls sauvages s'enfiler au milieu de la route ou des nécromanciens se défoncer à l'opium en s'enfonçant des manches de ventouses dans le derche, tu détournes les yeux et tu continues à marcher droit.

— Bien compris.

Les paroles n'étaient pas rassurantes. Aru devait s'attendre à tout, et surtout au pire. Une fois les portes de service dépassées, ils descendirent encore plus profondément dans les entrailles de la Terre, happés par une obscurité aussi grandissante que menaçante.

Sous-Terre était constitué d'une centaine de galeries souterraines formant comme les rayons d'une roue de vélo, avec tout un tas de chemins dérobés permettant de passer de l'une à l'autre au besoin. Au centre de ce royaume sinistre se trouvait Berserkir. Le quartier principal où vivait le peuple des Lycans.

Durant des années, Aru s'était imaginé que ces tunnels étaient infestés de rats, de déchets et de toxicomanes, et que ce monde évoluait au cœur de ténèbres permanentes. Il fut surpris en découvrant pour la première fois cette ville.

Après avoir descendu une deuxième volée de marches et avoir traversé un passage aux murs humides et entachés de champignons, Aru et Ronald passèrent par une nouvelle porte et se retrouvèrent dans l'une des galeries de Sous-Terre. La première chose qui étonna le jeune homme, ce fut de voir à quel point cet endroit était éclairé. Tous les cinq mètres, on trouvait une lanterne suspendue au plafond diffusant une lumière jaune et orange. Cette lumière rebondissait sur les nombreux établissements en bois et révélait de belles routes de pavés luisants. On y entendait de la musique, mais aussi une rumeur ambiante composée de rires, de cris, de cliquetis et du bruit de quelques bagarres se déroulant derrière les murs des bâtiments longeant ces tunnels aux parois terreuses.

En tant qu’habitant de Tenebrium, Aru n’avait pas grandi parmi les humains. De ce fait, il n'avait jamais vu de westerns. Mais, s'il avait été un cinéphile, sans doute aurait-il comparé ces paysages pleins de vie aux décors typiques de ces films basés sur la conquête de l'Ouest.