Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Cinq ans auparavant, Jean Carello, vingt-deux ans, perd son unique frère. Certain d’être désormais le seul enfant Carello vivant, il apprend, grâce à un faire-part, le décès d’une célébrité : Paul Carello Patard, son autre frère jusque-là inconnu. Dès lors, il va s’employer à se construire un personnage pour infiltrer sa famille afin de se venger de son père. Cependant, à ses dépens, il découvre très vite que la vie de son frère n’était pas toute rose. En effet, son entourage est totalement vicieux et regorge de nombreux cadavres dans les placards. Dorénavant, tout le monde est suspect…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Auteure-metteuse en scène et actrice-réalisatrice,
Safia Bouadan fonde son association L’Onde Bleue en 2005 dans le but de défendre des projets artistiques et socio-culturels engagés. En 2021, avec sa co-réalisatrice, Sophie Parel, elles tournent un court documentaire, Entre mes mains, remarqué par le jury d’Arte lors du Concours Et pourtant elles tournent, et présélectionné au Grec Rush 2021. Par ailleurs sociologue diplômée de troisième cycle à l’UER René Descartes-Sorbonne, elle devient Observateur au CIB puis Expert au Geobs, issu du CIB de l’UNESCO. Passionnée par le genre thriller psychologique, elle signe ici son primo roman,
Sang vie, un suspense haletant.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 201
Veröffentlichungsjahr: 2022
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Safia Bouadan
Sang vie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Safia Bouadan
ISBN :979-10-377-6605-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À tous ceux qui combattent dans l’ombre
pour plus de lumière en ce monde…
Spéciale dédicace à feu mon très cher et estimé Brahim
Jean Carello, un beau jeune homme est mal dans sa peau ; il se sent coupable d’un crime qu’il ne se souvient pas avoir commis contre son propre frère, Samuel ! Aux prises avec ses démons, il conçoit un plan diabolique afin de prendre la place d’un demi-frère, Paul Patard, mort dans de circonstances pas claires et dont il ignorait l’existence auparavant.
Il va chercher les causes de sa culpabilité dans les profondeurs de l’inconscient, noirci par des mensonges et des manipulations où l’amour, grand catalyseur, va jouer son rôle de thérapeute.
Safia Bouadan, dans son premier roman, développe un thriller psychologique où se mêlent des sentiments intenses, des tortures ésotériques, des affaires de famille et de règlements de compte.
Babis Plaïtakis
Auteur-scénariste-réalisateur
Historien de l’art
Je n’aurais pu écrire ce roman, Sang vie, sans l’héritage et la nourriture apportés durant mes années d’études universitaires et de recherche au sein de l’UER René Descartes de Paris V-Sorbonne – puis dans le cadre de l’UNESCO.
À feux mes maîtres et amis avec qui j’ai collaboré pendant près de onze ans, le Pr Jean-Marc Alby, psychiatre et psychanalyste, ex -chef de service en psychiatrie de l’hôpital Saint-Antoine et le Pr Pierre Cuer, physicien et philosophe, secrétaire général de la FER du Conseil de l’Europe. Leur confiance, leur encadrement, leurs conseils, leur bienveillance et notre amitié ont été porteurs à plus d’un titre. Venant d’une branche non médicale, comme sociologue, ils m’ont parrainée dans ma spécialisation universitaire en éthique de la santé et droits de l’homme. Tous deux ont en effet dirigé ma formation « L’éthique face aux morales, à la santé et aux droits de l’homme » dispensée à l’ancienne faculté de médecine de l’UER René Descartes-Paris V – Sorbonne.
Je remercie aussi leur ami et mon professeur, Pr Louis Crocq, psychiatre militaire, médecin général des Armées à l’hôpital de Percy, précurseur des cellules médico-psychologiques qui a encadré mon mémoire « Confrontation au réel de la mort : différence entre le civil et le soldat » dans la formation qu’il dirigeait « Stress et Traumatismes majeurs » à l’UER René Descartes-Paris V.
L’ombre de la lumière dessinait un arc sombre au-dessus du lit qui était vide. L’enfant n’y était plus depuis des années mais la pièce vibrait encore de sa présence. La couverture bleue en dentelle qui le recouvrait, amoureusement brodée par des mains frêles et délicates, était inondée de larmes que même le temps n’avait pas réussi à sécher. La chambre interdite, comme je la nommais, était ouverte ce jour car on allait la transformer en chambre d’amis. J’en profitai pour m’y glisser. Quelle ironie ! Le culte de la mort suintait sur l’un des murs où se tenait bien droite une croix religieuse. Une poupée de porcelaine jetait un regard bleu vide sur le tapis fleuri posé à même la moquette. C’était un cadeau des grands-parents durant l’hospitalisation de l’enfant né prématuré. Samuel aurait eu dix-sept ans cette année. Je me demandais quel homme il serait devenu s’il avait vécu. Moi, son grand frère, je me sentais tel un grand dadais, mal dans ma peau, noyé au cœur d’une famille sans âme mais aimante et pieuse. Je me perdais dans la vie depuis mon adolescence, enserré par des souvenirs morbides de guerre, de récits tristes et sans éclat, sempiternellement répétés comme des chants d’arrière- garde par les miens. J’avais atteint mes vingt-deux ans, l’âge mûr pour s’envoler et faire fortune ou beau mariage. Dans mon petit village, c’était l’un ou l’autre, jamais les deux. Moi, j’aspirais à autre chose, je me sentais depuis toujours différent, je voulais exister ! La sonnerie de la porte d’entrée me tira de mes pensées et m’obligea à quitter ce lieu de sépulture où je passais en cachette des heures sombres au pied du lit de celui qui aurait dû être mon petit frère chéri. Je l’avais tant espérée cette naissance ! Égoïstement, je pensais qu’elle me tirerait de la solitude dans laquelle je m’enfermais depuis tout enfant déjà et ce fut pire quand Samuel mourut. Je fis une grave dépression dont je crois, je ne m’étais jamais vraiment remis. Je courus ouvrir à l’homme encore jeune, sympathique que je connaissais depuis petit. Le facteur était l’ami de tous dans le village. Musicien à ses heures, décelant ma solitude, il avait tenté de m’intéresser à la guitare, instrument qu’il ne quittait que pour partir faire ses tournées avec son vélo et sa sacoche. Il lui arrivait aussi de s’occuper des animations musicales avec quelques amateurs bénévoles comme lui à l’occasion de fêtes populaires. Il était veuf et élevait ses deux jumelles avec conscience et amour. L’une d’entre elles qui était en âge de séduction recherchait toujours ma présence quand il m’arrivait de la croiser au détour d’une ruelle avec ou sans son père. Je remerciai ce dernier comme à mon habitude lui offrant le café puis refermai la porte derrière lui afin de me livrer au tri du courrier quotidien. Une petite enveloppe portant le symbole de la croix, adressée à mon père David, s’en échappa. Je ne pus m’empêcher d’avoir envie de l’ouvrir. Après quelques hésitations, je finis par en déchirer le coin cédant à cette tentation morbide. À l’intérieur, un petit carton annonçait l’enterrement de mon frère ! Je relus les mots : « Mr et Mme Jacques Patard et leur fille Diane Patard ont le regret de vous informer du décès de leur fils Paul Carello Patard né Carello, fils de David Carello et de Marie Patard. Les obsèques auront lieu en l’église de Saint-Jean de la Croix où une cérémonie sera donnée en son honneur. »
Patard… Cela sonnait comme bâtard ! Je n’arrivai pas à détourner mes yeux de ce que je venais de lire. Je lus et relus encore. Les lettres noircies et moribondes dansaient sous mon nez, m’étourdissant au point que j’en chavirai me retenant sur le bord d’une chaise pris de soudains vertiges. Mon père aurait-il eu un fils dont il aurait abandonné la mère enceinte avant ma propre naissance ? Ou alors nous avait-il soigneusement caché son existence ? Il était écrit « Né Carello » mais s’il l’avait reconnu, nous l’aurions connu ou alors voyait-il son autre fils en cachette comme faisaient beaucoup de ces parents adultérins afin de voir grandir leurs enfants ? Et puis une question se posait avant tout pour moi : qui avait pu envoyer à mon père cette lettre cataclysme ? L’auteur le connaissait-il personnellement ou était-ce une lettre type ? De fait, il n’y avait rien d’autre dans l’enveloppe que ce carton Bristol. Je refusais de croire que mon père ne connaissait pas la naissance de ce fils à ce jour à moins que la mère lui ait intentionnellement caché son existence auquel cas tout s’expliquait. Samuel, mon frère né prématurément était mort à l’âge de douze ans alors que j’en avais dix-sept. La semaine passée, j’avais atteint mes vingt-deux ans. Et on m’annonçait que j’avais un demi-frère aîné âgé de vingt-six ans qui venait de décéder sans que j’aie eu connaissance de sa venue au monde ! Quel mauvais coup du sort ! Je ne pouvais croire que mon père, David Carello, cet homme moralisateur, eût pu nous cacher une chose semblable. Pourtant cela semblait être le cas à première vue. Il fallait que j’en aie le cœur net ! La sensation de malaise disparut bien vite, laissant place soudainement à un étrange désir mêlé d’excitation. Je passai une nuit agitée à me tourner et à me retourner. Je sus le lendemain ce que je voulais faire. Ne dit-on pas que la nuit porte conseil ? Je décidai donc de mener ma propre enquête puis, subtilisant le faire-part du décès de Paul afin que ma famille ne le voie pas, de me rendre incognito à la cérémonie funéraire qui se déroulait dans trois jours. Après tout, mon père ne s’était pas préoccupé de son fils vivant, pourquoi s’en préoccuperait-il plus maintenant qu’il était mort ? Alors que pour ma part, cela m’intéressait, voire m’excitait au plus haut point.
Pour la première fois depuis des années, je sentis une toute nouvelle jouissance inonder mon corps. Je décidai qu’il ne fallait pas perdre une minute et je recherchai frénétiquement l’itinéraire pour me rendre le jour venu à l’adresse indiquée sur le carton. Quelle tenue pourrais-je donc mettre ? J’avais déjà l’impression confuse que cette cérémonie serait pour moi une célébration personnelle… Je fouillai dans mon armoire y extirpant un costume bleu marine, j’avais horreur du noir qui m’allait si mal. Celui-ci était tout neuf, la veste élégante et bien cintrée, le pantalon me tombait impeccablement sur les pieds. Je complétai alors ma tenue avec une chemise gris perle, une cravate de soie de la même couleur que le costume, une ceinture de cuir gris foncé à boucle d’argent, une paire de mocassins aussi en cuir de veau, celle reçue en cadeau d’anniversaire par mes parents. Tous me disaient que je ne faisais pas mes vingt-deux ans ! Tout en me mirant auparavant dans le miroir, je dénichai un cintre avec une housse assez grande pour y mettre l’ensemble puis je le suspendis dans la grande armoire.
Enfin le jour J arriva. J’avais tout réglé avec ma famille, leur parlant d’un enterrement de vie de garçon d’un vieux copain de classe perdu de vue et retrouvé grâce aux réseaux sociaux. Je leur racontai que nous lui faisions une surprise avant son mariage en l’invitant dans un de ces cabarets chics et branchés parisiens. Or, je partais de mon village pour me rendre dans une autre ville de province pas si éloignée de notre domicile. À ma grande surprise, il m’était devenu facile de mentir, de troquer une réalité contre une autre et puis je savais enfin où je voulais aller. Et c’était cette carte funéraire qui m’en donnait l’occasion. Mais il ne fallait pas brûler les étapes. La première était franchie dès lors que je quittai la maison, embrassant père et mère, habillé en prince italien, mon costume venait en effet de chez Armani, cadeau de famille à la Noël passée. J’étais heureux…
L’air glacial à cette heure du matin me réchauffait. Je bouillais intérieurement tandis que je disais au revoir aux parents restés sur le pas de la porte après m’avoir mis entre les mains des provisions pour le voyage prévu de deux jours comme quand je partais en camp d’ados. C’en était drôle de les voir me regarder avec leur air fier. Sans doute, se disaient-ils, je trouverais en la compagnie de ces ex-nouveaux copains de classe, un nouveau groupe auquel me greffer pour me sortir de la torpeur indolente dans laquelle je m’enfermais depuis des années. Sans doute, pensaient-ils encore, j’intégrerais un réseau pour me procurer un boulot ou pire une fiancée ? De fait, mon approche des filles jusque-là s’était soldée par un échec pour elles. J’étais tout simplement indifférent à leur séduction maniérée ou naturelle. Je ris sous cape en mettant le moteur en marche de ma nouvelle voiture, un crédit fait par mes parents pour m’assurer une indépendance afin que je puisse quitter le village quand bon me semblerait. C’est ce que je faisais depuis que j’avais reçu cette missive, me rendant en repérage à l’adresse des parents du défunt Paul où endossant le rôle d’un planqué, je menais ainsi discrètement ma propre enquête depuis deux bons jours… C’est ainsi que j’appris que mon frère était le chef du groupe pop rock « Illico » qu’il avait fondé sous un pseudo avec des potes du lycée reprenant les tubes des Beatles pour finir par mieux s’en éloigner créant ses propres morceaux. Il avait participé à plusieurs concours qui lui avaient valu de trouver une production qui leur permettait ainsi de réaliser leur tout premier album. Tous avaient saisi leur chance quittant les études dans lesquelles ils ne brillaient guère aspirant à d’autres horizons. Ce fut Paul qui entraîna le groupe à se professionnaliser, leur faisant signer peu de temps après leur rencontre avec le producteur, un juteux contrat, chance inespérée dans la situation de crise musicale actuelle. Tout alla très vite ensuite, de concert en concert, un gros tourneur s’intéressa à eux mais ils se firent reconnaître plus par l’originalité de leurs clips que de leurs titres. Il me fut donc facile de me procurer leurs CD, DVD de concerts, liens internet et de rassembler ainsi tous les articles de presse relatant la prodigieuse ascension de ce groupe sorti de nulle part, moi qui ne m’intéressais à aucune musique branchée. De fait, ce n’était ni original ni populaire mais ça avait marché. Le travail marketing avait été mené de main de maître par un producteur venu tout droit des multinationales étrangères à l’effet de frappe commerciale aussi important que l’impact de leur marque. Je n’avais à ce jour aucun goût pour la musique pop et je me surprenais à imiter mon frère. Ce chanteur-compositeur guitariste avait non seulement un talent fou mais un charisme qui aurait fait pâlir nos stars d’aujourd’hui. Et c’est ce qu’il était presque devenu, une vraie star… Son regard bleu velours parsemé de vert s’était ancré en moi puissamment tandis que je visionnais ses clips. Prenant soin que personne ne puisse me voir dans la maison, je me réfugiais dans ma chambre et je gesticulais devant la glace de mon armoire mettant en boucle aussi les CD dont je reprenais à tue-tête les ridicules tubes d’ados ! Ainsi, mon premier réflexe fut naturellement de chanter lorsque je pris mon véhicule pour m’éloigner de ce pâté de maisons où était perdue la mienne, une vieille mais belle demeure que les parents avaient pris soin de remettre à neuf et qu’ils avaient décorée avec goût à part cette chambre d’enfant devenue celle d’un jeune garçon puis celle du « disparu ». Elle n’avait pas bougé jusqu’à cette prise soudaine de décision le jour de son dix-septième anniversaire post mortem. Je n’avais d’ailleurs toujours pas compris comment ce fait miraculeux de transformer ce cercueil en pièce de vie avait pu se déclencher dans leur tête car pour moi rien ne changeait. Les journées restaient tristes et sans saveur familiale. Un coup de klaxon venu de la voiture d’en face me tira de mes pensées me ramenant à la réalité. La musique venue de mon lecteur CD avait cessé depuis un certain temps déjà. Il ne fallait pas que je me laisse distraire alors que j’étais près du but. Je mâchouillais fiévreusement un chewing-gum. Les kilomètres s’enfilaient les uns après les autres comme autant de perles d’un collier unique monté par le plus fin des bijoutiers. J’étais heureux. Cette route me conduisait droit vers mon destin. Enfin !
Je commençai à manquer de carburant. Pris par l’excitation de mon départ, j’en avais oublié de faire le plein la veille mais j’étais sûr que la chance allait me sourire et que je trouverais une station d’essence dans ce coin reculé de campagne que je ne connaissais pas, ayant préféré changer d’itinéraire et prendre des routes moins fréquentées pour me rendre à la ville où habitait et où serait enterré Paul. La chance était avec moi, je m’arrêtai donc près d’un de ces énormes centres commerciaux sans âme au milieu de quelques zones industrielles excentrées de toute habitation. Je fis le plein et entrai dans la petite boutique pour acheter le journal où je pensais que le décès de Paul serait annoncé. Même si le groupe allait se séparer, chacun voulant poursuivre sa propre carrière, la voix de Paul résonnait encore dans les oreilles de ses fans… Je ne me trompai pas, le petit écran suspendu devant la porte d’entrée passait son dernier clip annonçant les terribles circonstances de sa mort où lors d’un retour victorieux d’un concert du groupe, la petite camionnette rouge métal qui transportait avec leur matériel tous ses occupants, s’était encastrée dans un pilonne. Le chauffeur avait pris la fuite étant apparemment ivre. Ces informations défilaient sous mes yeux entre deux entrefilets d’évènements people et autres catastrophes du jour. Tout en me servant un café au distributeur, j’échafaudai ce plan qui germait dans ma tête depuis que j’avais lu cet avis de décès. Tout d’abord, il me faudrait infiltrer le milieu de ses proches. J’allais donc me servir de chaque information concernant mon défunt frère, j’esquissai un rictus qui se transforma en une grimace de satisfaction lorsque je croisai le regard de mon frère qui me souriait comme s’il me défiait de mettre cet impensable projet à exécution depuis l’écran du téléviseur qui me faisait face. Plus je fixais l’écran qui le montrait maintenant aux bras d’une jeune mannequin devenue actrice suite à un succès de mode, plus je l’enviais. Pourquoi la roue du destin avait tant donné à l’un reléguant l’autre à une vie sans enchantement ? Pourquoi je m’étais retrouvé bloqué dans mon élan par des souvenirs morbides de mon frère Samuel, mort prématurément cinq ans auparavant et par une famille marquée par les sévices du passé ? Je ne pouvais croire que ce décès lui aussi prématuré n’avait aucune signification dans ma propre destinée. Au contraire, j’y voyais le signe qu’elle se mettait en marche sous mes yeux restés rivés à ceux de Paul qui me souriait maintenant. J’allais devenir Paul, une partie de moi serait une part de lui. Cela m’excitait ce désir conscient de gémellité. De retour dans ma voiture, je remis bien vite le moteur en marche, j’allumai la radio cette fois pour glaner le maximum d’informations portant sur Paul. De station en station, les ondes diffusaient parfois en boucle l’annonce de ses funérailles. Il était si aimé que cela ? Pourtant la carrière du groupe s’était éteinte aussi vite qu’elle avait grandi à part quelques concerts, depuis que mon frère s’était entiché de ce joli modèle, Julia, sa toute nouvelle fiancée qu’il avait piquée à son producteur qui ne le lui avait pas pardonné. Il l’avait viré de tous ses projets et il avait rompu tout contrat avec lui. Il avait même réussi à séparer les membres du groupe pris en tenailles entre Paul, leur ami de lycée et le producteur aux bras assez longs pour écraser toute velléité de carrière après « Illico ». Leur amitié n’avait pas tenu face au chantage et aucun n’avait voulu prendre ce risque mais Paul s’en fichait car il avait tout pour lui, fiancé depuis peu à Julia Sands, un joli nom me disais-je, qui déjà m’attirait. Elle était française d’origine américaine et sa carrière s’envolait. Mon défunt frère de son côté avait eu plusieurs propositions et il comptait continuer son chemin en solo comme beaucoup de musiciens, chanteurs issus de groupe célèbre ou non. Et puis je me disais : « Quel coup de pub pour lui de son vivant que celle de l’annonce de ses fiançailles en même temps que celle de la rupture du groupe ! ». Je ne me trompais pas. Au moment où ces pensées traversaient mon esprit, la journaliste évoqua justement ses regrets quant à cette formidable rencontre avec la chance qu’avait eue le chanteur amoureux et qui lui ouvrait toutes les portes alors que l’une se fermait mettant fin à la carrière de leur formation « Illico »… Oui mais maintenant, Paul était mort… et j’allais le remplacer. Non, non, je ne pensais pas prendre sa place auprès de ceux qui l’aimaient même si personne ne pouvait nier la ressemblance entre lui et moi sauf que mes yeux étaient d’un noir perçant et que les siens étaient d’un bleu vert magnétique. J’étais et je serai toujours son frère… J’avais le droit d’être reconnu moi aussi ! Mais pour cela, il fallait que je sache tout de cette affaire familiale. Je rageai de tout ce temps perdu. Comment père avait pu me faire cela ? Peut-être que dans sa rigidité, il savait parfaitement que cette star était son fils et qu’il s’en était d’autant plus détourné ? L’important n’était pas de lui ressembler, non… L’important était de retracer toute son existence depuis sa naissance jusqu’à cet accident qui avait coûté la sienne. Je me sentais l’esprit d’un chercheur avant sa découverte ! Et cet état me poussait à aller plus loin, toujours plus loin.