Saumur Brutes - Gino Blandin - E-Book

Saumur Brutes E-Book

Gino Blandin

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Beschreibung

Un vol dans une maison de retraite saumuroise désigne Julie Lantilly comme coupable. Mais la jeune femme n'a pas dit son dernier mot !

Les maisons de retraite ont la réputation d'être calmes; eh bien non, pas toutes ! Pas celle qui va faire de Julie Lantilly, une nouvelle fois embarquée dans une curieuse histoire de vol, une présumée coupable. Il faut dire que, sous ses allures de petite ville bourgeoise tranquille et sans histoire, Saumur dissimule une réalité moins reluisante. Tous les coups y semblent permis dès lors que l'apparence est sauve. Si,dans la bonne société, on se salue avec des baisemains, c'est dans les coulisses que l'on peaufine pièges et chausse-trapes. Malgré une charge de travail de plus en plus pesante, la journaliste du Courrier ligérien va devoir se tirer du mauvais pas où elle se trouve: c'est dans le milieu d'une presse régionale en difficulté, au sein de laquelle dominent les injonctions de « restrictions budgétaires » et de « réduction du personnel », qu'elle va devoir évoluer prudemment et, entre deux reportages rondement menés, tirer au clair cette bien surprenante énigme.

Un polar saisissant en plein coeur de la cité ligérienne qui, sous des dehors de ville paisible, semble bien cacher son jeu. A dévorer sans plus attendre !

EXTRAIT

— J’avais écrit un papier sur cette maison de retraite, je m’en souviens, il y a quelques années. Je n’y suis jamais retournée depuis. Et donc, elle fonctionne toujours bien ?
— Oui, elle fonctionne du feu de Dieu. Madame Martin-Delalande m’avait raconté qu’à l’origine, les concepteurs du projet étaient sceptiques parce qu’ils considéraient que Saumur n’était pas une assez grande ville pour accueillir un établissement de ce standing. Ils craignaient de ne pas trouver assez d’anciens avec des retraites suffisantes pour se payer ce confort, vous comprenez ? »
Julie opina de la tête. Le capitaine reprit :
« Grâce à Madame Martin-Delalande, ma mère est morte dans des conditions décentes.
— Je comprends.
— Je... ça m’embêterait d’apprendre qu’elle ne soit pas morte de sa belle mort, si je puis dire.
— Je le comprends mais, d’un autre côté, ce n’est pas elle qui est en cause. Si elle a été... supprimée, comme le suggère la lettre anonyme, il est de votre devoir que justice soit rendue.
— Bien sûr. Je vous entends bien, Mademoiselle Lantilly, mais vous comprendrez que moi, j’ai un certificat médical de décès en bonne et due forme. L’autorisation d’inhumer a été délivrée par la mairie. Tout est en règle. En conséquence, il m’est impossible d’ouvrir une enquête. Vous le savez bien. »
La jeune femme jeta un regard malicieux au policier.
« Il vous faut du lourd. C’est ça ?
— C’est exactement ça. Apportez-moi une bonne preuve et je vous ouvre une enquête. »

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

L'écriture simple, fluide et moderne de l'auteur nous fait vivre cette enquête de l'intérieur. L'auteur nous offre ici un polar mené tambour battant par son héroïne hors du commun et tellement attachante. - KatiaRay

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gino Blandin est enseignant. Auparavant, il a été foreur pétrolier. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Saumur, dont L’Histoire du Centre Hospitalier de Saumur (Prix Politi 1996), il écrit aussi des romans policiers dont le cadre est la région saumuroise.

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Collection dirigée par Thierry Lucas

© 2019 – – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Gino BLANDIN

SAUMUR BRUTES

Cette histoire est une fiction et, selon la formule consacrée , « toute ressemblance avec des personnages ou des événements réels serait une pure coïncidence ». Néanmoins, quasiment tous les lieux évoqués existent ainsi que les personnages. Ceux-ci, en particulier les commerçants, sont le plus souvent dans leur vrai rôle, mais il arrive également à certains de se retrouver dans la peau d’un autre personnage, histoire de brouiller les cartes.

Chapitre 1

Quand Jean-Paul émergea du sommeil, la première chose qu’il se dit mentalement fut : « Où suis-je ? ». Quelle heure était-il ? Où était-il ? Il ne se rappelait plus de rien. Il ne se rappelait plus des circonstances dans lesquelles il avait sombré dans le sommeil. La chambre où il se trouvait était plongée dans l’obscurité. Il ne la connaissait pas. Le peu de lumière qui filtrait à travers les persiennes n’était pas suffisant pour qu’il reconnût la pièce. Que lui était-il arrivé ? Pourquoi se retrouvait-il dans cette chambre inconnue ? Un léger parfum flottait dans l’air, un parfum d’intimité mais qui ne lui rappelait rien. Ce n’était pas celui de Madeleine, sa femme. Il avait dû prendre une cuite carabinée la veille au soir. Il ressentait une barre au front. Bon Dieu, que c’était pénible ! C’est là qu’on voyait qu’on vieillissait. Il y a quelques années encore, quand il prenait une grosse cuite, il s’en tirait pour une bonne gueule de bois. Mais maintenant, ce n’était plus le cas. Il était complètement dans le brouillard, dans le coaltar plus exactement. Heureusement, sa cervelle semblait encore en état de marche. « Procédons par ordre » se dit-il. Il était couché dans un lit qui avait une odeur inconnue dans une grande chambre inconnue, haute de plafond. Il devait être tôt car la lueur qui filtrait était bien modeste. Jean-Paul essaya de bouger, il ressentit une douleur dans le crâne mais le reste avait l’air de fonctionner. Il était dans un lit confortable. Les draps souples sentaient bon. Sa jambe heurta quelque chose et il réalisa alors qu’il n’était pas seul dans ce lit. Quelqu’un dormait à côté de lui. Ce n’était pas Madeleine. « Quelle cuite ! se dit-il, pour se réveiller le matin dans le lit de quelqu’un dont on ne se souvient pas ». La personne près de lui dormait profondément. Elle ne ronflait pas. Jean-Paul pensa qu’il serait courtois pour lui de ne pas la réveiller. Qui était-ce ? Il commença une manœuvre pour se tourner vers l’inconnue car il ne pouvait s’agir que d’une femme. Avec mille précautions, il parvint à se mettre sur le côté. La dormeuse ne manifesta aucun signe de réveil. Maintenant, il pouvait plonger son nez dans la chevelure de l’inconnue. Il ne parvenait pas à distinguer la couleur de ses cheveux mais ils exhalaient un doux parfum chic. Il avait passé la nuit avec une bourgeoise, ce qui n’avait rien d’exceptionnel dans le milieu dans lequel il vivait. Le contraire, une femme du peuple, aurait été étonnant. Même bourré, il fallait se tenir dans le monde. Cette idée le fit sourire. Il pensa à Madeleine qui, comme bourgeoise, se tenait là. Elle dissimulait toujours son corps dans de longues chemises de nuit très chastes ; cela aurait pu être excitant si au moins de temps à autre elle avait envoyé valser au pied du lit ses fringues de nonne mais ce n’était pas souvent le cas et, avec les années de mariage, cela se produisait de plus en plus rarement. Voilà comment un mari qui, au départ, n’avait aucune velléité d’infidélité se retrouvait un beau matin dans le lit d’une inconnue. Que s’était-il passé le soir d’avant ? Que s’était-il passé la veille ? Il se rappelait avoir mis sa Mercedes au garage le matin. Il avait déjeuné à la Bourse le midi. Ah oui ! Il était allé à Angers l’après-midi et il était rentré tard. Il avait prévenu Madeleine qui lui avait dit qu’elle allait au cinéma avec ses copines et lui, qu’avait-il fait ensuite ? Ils étaient d’abord allés boire un verre chez Philou et ensuite ils étaient allés au restaurant et c’est là qu’ils avaient rencontré... Soudain, il se souvint de cette femme, madame Esther Martin-Delalande... Cette femme qu’il avait toujours connue, qui avait l’âge d’être sa mère. Cette femme volontaire était une personnalité incontournable du microcosme saumurois, cette grande bourgeoise qui dirigeait le Bocage Saint-Michel. Elle n’était plus de la première jeunesse mais elle avait encore du charme. Quand elle vous jetait un regard, c’était toujours un défi. Il se souvenait s’être interrogé sur ce que serait de coucher avec elle : coucher avec une femme qui avait l’âge d’être votre mère, cela pouvait être excitant. Ça devait être freudien une envie pareille. Non, c’était œdipien ! C’était à Œdipe qu’on avait prédit qu’il coucherait avec sa mère. Encore que Freud et Œdipe ça ne devait pas être incompatible. Qui y avait-il à ce dîner, le gros Richard ? Oui, il se souvenait de lui. Il y avait aussi Sacha, Casimir, Jeff, l’élégant... Tout se brouillait dans son esprit. Il se souvenait vaguement du repas. Soudain, lui vint clairement à l’esprit un souvenir : il montait dans la Morgan d’Esther Martin-Delalande. Quelqu’un lui disait qu’il n’était plus en état de conduire et que la dame allait le raccompagner chez lui... Que s’était-il passé ensuite ? Il ne se souvenait de rien. Le brouillard total. S’il en jugeait par sa situation actuelle, il y avait tout lieu de penser qu’au lieu de le ramener chez lui, la dame l’avait gardé pour elle et l’avait mis dans son lit. Mais... était-il monté dans la Morgan ? Pas sûr. Le trou noir. Plus rien. Bonjour la scène avec Madeleine ! Il allait lui falloir trouver un alibi en béton car elle devait commencer à se douter de ses infidélités. Ainsi, jusqu’à preuve du contraire, il se serait payé cette grande catin de madame Esther Martin-Delalande ? Avait-il été en mesure de « l’honorer », comme on disait autrefois ? Car s’il était ivre-mort, il n’avait pas dû être d’une grande efficacité. La situation aurait pu être comique : il avait couché avec Esther Martin-Delalande mais il n’était pas très sûr de l’avoir baisée ni d’avoir pris du plaisir avec elle. En tout cas, il ne se rappelait plus de rien, quel gâchis ! Il était à poil dans les draps, il avait dû se passer quelque chose. Il s’était envoyé en l’air avec la Martin-Delalande ! Certains prétendaient qu’elle était une sacrée baiseuse, mais Jean-Paul pensait qu’ils disaient cela comme ça, comme on le dit de tous les hommes politiques.

Il s’était tapé Madame Martin-Delalande... qui aurait pu être sa mère... était-elle plus séduisante que Madeleine ? Objectivement, non. Pourquoi avait-il fait cela alors ? Madeleine était encore bien foutue ; le problème, c’est que sur le plan radada, elle avait un comportement de bonne sœur, son éducation sans doute... Il devait avoir été trompé par son inconscient. S’il avait eu le choix, il aurait plutôt trompé Madeleine avec une jeunette alors que là, il se retrouvait dans le lit parfumé d’Esther Martin-Delalande, grande bourgeoise de Saumur, s’il en fut.

Il passa son pied le long de la jambe de la dormeuse. Elle ne réagit pas mais il constata qu’elle avait la peau froide. Problème de circulation sans doute ? Lui, parfois, il lui arrivait d’avoir les pieds froids mais jamais les mollets. La femme dormait à poings fermés, couchée sur le côté, lui tournant le dos. Ils avaient dû bien se donner le soir d’avant... Jean-Paul eut soudain une espèce d’intuition brusque : il sortit la main de dessous les draps et la posa sur l’épaule de la dame. L’épaule était aussi froide que le mollet. Jean-Paul émergea alors de sa torpeur et se redressa sur le lit. Sans ménagement, il prit la dormeuse par les épaules et la fit basculer. Ses doigts s’empêtrèrent dans la chevelure de la femme qui bascula sans offrir aucune résistance. Il ne pouvait voir distinctement son visage car il faisait trop sombre dans la pièce mais instinctivement il comprit qu’il y avait un problème.

« Madame ! Madame ! » lança-t-il à haute voix.

La dormeuse n’eut aucune réaction. Jean-Paul eut un mauvais pressentiment. Et si... ? Il passa ses doigts sur le cou. Il n’avait jamais été très doué pour trouver son propre pouls. Il eut beau chercher, il ne trouva rien. Sous ses doigts aucun battement, si faible soit-il, aucune pulsation, aucune vie. Le cou était aussi froid que l’épaule.

« Non, ce n’est pas vrai ! » cria Jean-Paul en lâchant la masse inerte.

Que lui arrivait-il ? Était-ce un cauchemar ? Il secoua la tête pour se réveiller mais rien n’y fit. Il ne se réveilla pas. Il était bien assis sur ce lit dans une chambre inconnue avec, près de lui, le cadavre d’une femme avec laquelle il avait apparemment passé la nuit. Il s’approcha du visage et malgré le manque de lumière, il constata que c’était bien Esther Martin-Delalande. Ses yeux étaient clos mais il n’y avait pas de doute là-dessus. Dans quel pétrin venait-il de se fourrer ?

Il resta un long moment à essayer de faire le point objectivement, espérant secrètement que le cauchemar allait s’interrompre. Mais il ne se passa rien. Il tenta de scruter les bruits. Aucun son extérieur ne lui parvint si ce n’est celui de quelques oiseaux matinaux. Apparemment, ils devaient être seuls dans la maison, aucun bruit domestique ne lui parvenant. Que devait-il faire ?

Il aperçut ses vêtements jetés pêle-mêle sur un divan, mélangés à ceux de la femme. Un soutien-gorge blanc jonchait le tapis à côté d’une paire de chaussures à talon haut. Que pouvait-il faire ? S’habiller vite fait et quitter les lieux au plus vite ? Mais quand on découvrirait le corps, s’il y avait une autopsie, on trouverait des traces de son sperme et ses empreintes un peu partout. Avait-il tué cette femme ? Cette idée lui vint soudain à l’esprit. Il se leva et dans le plus simple appareil, contourna le lit. Il trouva rapidement l’interrupteur de la lampe de chevet. La lumière éclaira la grande chambre. Esther Martin-Delalande semblait dormir. Il écarta les draps. Le corps avait déjà une certaine rigidité. Ce n’était pas la première fois qu’il se trouvait en présence d’un cadavre. Il regarda les seins flasques et la toison pubienne soigneusement taillée. Apparemment, le corps ne portait aucune trace de coups. Qu’est-ce qui avait bien pu se produire ? Pourquoi avait-il fallu que cette dame mourût la nuit où elle s’était envoyée en l’air avec lui ? Il n’y était pour rien. Il en était convaincu. Le cou ne portait aucun signe de strangulation. Il ne l’avait donc pas étranglée dans un moment de folie. Leur échange avait-il été à ce point intense qu’il aurait été fatal à Esther ? L’hypothèse était flatteuse pour lui mais il se serait bien passé d’un tel exploit.

Il replaça le drap sur le corps. Il se dirigea vers le divan et chercha fébrilement ses affaires. Ne trouvant pas sa veste, il regarda ailleurs et finit par la découvrir sur le dossier d’un fauteuil. D’une poche, il sortit son portable. Il appuya sur l’écran tactile avant de porter l’appareil à son oreille. Il attendit, rongeant son frein. Une voix féminine l’informa qu’il était bien sur le répondeur du numéro... Il lui coupa le sifflet et appela un autre numéro.

Cette fois, une voix masculine endormie se fit entendre :

« Docteur Guitton...

— Père, c’est moi, Jean-Paul.

— Que se passe-t-il ? Tu as vu l’heure ?

— J’ai besoin de toi. C’est très grave... »

L’annonce de la mort de madame Esther Martin-Delalande créa un grand choc à Saumur. Tout le monde connaissait cette femme dynamique, elle faisait partie de ces personnes que l’on voit partout. Elle était directrice de la maison de retraite haut de gamme Le Bocage Saint-Michel – cinquante-quatre salariés. Son époux dirigeait les Caves de La Gravelle – trente-six salariés –, mais il faut rappeler que le domaine viticole appartenait en propre à sa femme. Celle-ci avait également hérité de son père un vignoble sis à Vouvray dans l’Indre et Loire qui employait une douzaine de salariés. Madame Esther Martin-Delalande était également la première pourvoyeuse de fonds de la Banque alimentaire – il fallait bien aider les pauvres – ainsi que de la cure. Dès qu’il y avait un souci, monsieur le curé savait qu’il pouvait toujours compter sur cette paroissienne généreuse et fortunée. Madame Martin-Delalande était la présidente de l’association Patrimoine chrétien en Saumurois, un groupe de personnes bien pensantes qui militaient pour la sauvegarde des églises et des chapelles. Elle avait aussi financé les tenues de la compagnie de majorettes du Chemin Vert et bien d’autres choses. Madame Esther Martin-Delalande était incontournable dans de multiples domaines car elle possédait beaucoup d’argent. Déçue par la politique, elle n’avait pas apporté son soutien au dernier candidat de droite pour la mairie de Saumur. Résultat : il avait perdu, ce qui l’avait beaucoup amusée. Ce jeune blanc-bec avait cru pouvoir gagner la mairie de Saumur sans son soutien ! Il s’en mordait les doigts maintenant. Les « rouges » avaient pris le pouvoir, grand bien leur fasse ! Ceux-là n’auraient pas l’ombre d’un euro car Madame Esther Martin-Delalande n’avait le cœur sur la main que pour ceux qui étaient blancs, catholiques et de droite. Les autres n’avaient bien sûr rien à attendre d’elle. On ne peut pas donner pour toutes les causes...

Son enterrement fut somptueux. La messe fut dite en la magnifique collégiale de Notre-Dame de Cunault, édifice monumental en pierre de tuffeau construit entre les xie et xiiie siècles. Derrière une façade austère, cette église dévoile un intérieur de grandes dimensions. Elle possède un large déambulatoire lumineux et les dernières travées de la nef ont été construites dans le style gothique angevin dit «Plantagenêt ». Elle est remarquable pour ses deux cent-vingt-trois chapiteaux sculptés ainsi que ses peintures murales qui en font un véritable trésor artistique. Au xixe siècle, elle avait dû son salut à l’intervention de Prosper Mérimée, auteur du célèbre roman Carmenet Inspecteur général des monuments historiques à ses heures. Un vilain promoteur d’avant l’heure, un certain Dupuis-Charlemagne, dont le souvenir restait encore à Saumur, n’avait-il pas eu l’intention d’en faire une grange à foin ? De nos jours, l’église est prisée pour son acoustique. L’ensemble de musiciens du groupe Fossa Sicca qui répétait en quatuor ce jour-là n’en fut pas moins invité à libérer les lieux au plus vite pour laisser place au grand événement de l’année : les obsèques de Madame Esther Martin-Delalande.

La cérémonie fut impressionnante : pas moins de cinq curés et vicaires secondaient monseigneur Taillandier, évêque de Coutances, vêtu d’une somptueuse chasuble brodée d’or. Pourquoi l’évêque de Coutances dirigeait-il la cérémonie ? Parce qu’il était, aux dires de certains, de la famille de Madame Martin-Delalande. à ces gens s’ajoutaient des diacres et des chanoines en civil ainsi qu’une demi-douzaine d’enfants de chœur en aube comme avant le concile Vatican II. Les connaisseurs notèrent quand même que, parmi ceux-ci, se trouvait une fille, ce que l’on n’aurait jamais vu autrefois.

L’église était pleine à craquer. Pour ceux qui n’avaient pu entrer, on avait dressé un grand écran contre le mur de la collégiale : la cérémonie serait projetée en direct. On avait coupé la circulation dans la rue principale de Cunault pour y installer des chaises ; sur le bitume, les pieds des chaises s’enfonceraient moins que sur la pelouse.

Dans l’assistance, outre la famille de la défunte, ses deux filles, un mari et un frère, on comptait trois maires de Saumur dont celui qui était en activité. Il était entouré de quasiment tout le conseil municipal. à ceux-ci s’ajoutaient une dizaine de maires des villages environnants, trois députés, deux conseillers généraux, toute l’équipe dirigeante de la communauté d’Agglo. L’école de cavalerie se fit remarquer par un grand nombre d’officiers en uniforme, la poitrine bardée de décorations multicolores, mais se tenaient également là des officiers du 2e Dragon de Fontevraud et surtout des cavaliers du Cadre Noir tout de noir vêtus. En concurrence aux militaires sur le plan vestimentaire, se tenaient les congrégations religieuses : la communauté des sœurs Notre-Dame-des-Gardes, la congrégation des sœurs de Jeanne Delanoue de Saint-Hilaire-Saint-Florent, les petites sœurs des pauvres d’Angers et celles de la Providence de la Flèche. Plus discrets étaient les représentants de tous les établissements scolaires privés de la ville : le lycée Saint-Louis, les collèges Sainte-Anne et Saint-André, le lycée professionnel des Ardilliers, sans oublier les écoles primaires : l’Abbaye, Nantilly et bien d’autres encore. Toutes aussi discrètes étaient les délégations d’un grand nombre d’associations caritatives comme la Banque alimentaire, le Secours populaire, la communauté d’Emmaüs, la Croix Rouge, Habitat Solidarité, la Société Protectrice des Animaux. Dans l’assistance, on reconnaissait beaucoup de viticulteurs à leur visage bronzé, ils étaient venus là par sympathie pour Monsieur Martin. Et enfin, une foule de personnes que l’on ne pouvait pas qualifier d’anonymes, comme l’aurait voulu la formule consacrée, car dans une petite ville comme Saumur tout le monde connaît tout le monde. Ces gens étaient venus rendre un dernier hommage à cette dame qu’ils avaient croisée sur leur chemin et qui les avait impressionnés. Il serait mesquin de dire qu’il était de bon ton d’être vu à cette cérémonie.

La célébration fut longue comme il se devait pour une personne du rang de Madame Martin-Delalande. Il y eut des déclarations solennelles où l’on loua les qualités de la défunte. On chanta beaucoup. Beaucoup furent émus aux larmes quand la chorale Amadeus entonna le chœur « O fortuna » de la cantate Carmina Burana de Carl Orff. Ce n’était certes pas un chant religieux mais c’était un morceau célèbre et c’était surtout celui que travaillait la chorale à ce moment-là. Il n’était peut-être pas encore parfaitement maîtrisé... Dans de telles circonstances, il fallait faire face et cet enterrement fut très digne et très réussi. à l’issue de la cérémonie, toute l’assistance se mit sur deux colonnes pour rendre un dernier hommage à la défunte, en aspergeant le cercueil de quelques gouttes d’eau bénite, pour les croyants ; en posant la main sur le cercueil de chêne clair, pour les non-croyants. Du fait du grand nombre de personnes, cette partie de l’office fut interminable. Pour faire patienter les gens, des animateurs venus d’on ne sait où se mirent à interroger certains à la sortie de l’église, ce fut retransmis sur le grand écran à l’extérieur. Une petite mamie à qui l’on avait demandé de témoigner déclara : « Esther avait un cœur en or mais ça ne l’a pas empêché d’avoir une crise cardiaque. Faut croire que les cœurs en or sont aussi fragiles que les autres. »

Julie Lantilly, qui couvrait l’événement pour son journal le Courrier Ligérien, l’avait suivi devant l’écran extérieur. Elle sourit à la remarque de la mamie.

« Une crise cardiaque, tu parles ! » lança une dame assise près d’elle.

Elle la regarda. La femme portait un tailleur fort seyant bon chic bon genre et des bijoux vraisemblablement de valeur, mais discrets.

« Vous ne pensez pas que Madame Martin-Delalande soit décédée d’un arrêt cardiaque ? » demanda Julie.

La dame la regarda d’un air suffisant, avant de répondre :

« Jeune femme, vous n’êtes pas sans savoir que dans les bonnes familles, il y a des maladies inavouables. Vous ne verrez jamais, par exemple, un de ces messieurs mourir d’une cirrhose du foie. Ça ne se fait pas dans le grand monde.

— Et vous pensez que Madame Martin-Delalande ne serait pas morte d’une crise cardiaque comme on l’a dit ?

— Exactement, c’est ce que je dis : Esther avait un cœur en acier. La grand-mère pensait qu’elle avait un cœur en or, moi j’affirme qu’elle avait un cœur en acier. En matière de santé, l’acier est mieux que l’or.

— Pour vous, elle n’est pas morte d’une crise cardiaque ?

— J’en suis persuadée.

— Comment pouvez-vous l’affirmer ?

— Excusez-moi, jeune femme, je ne me suis pas présentée : Eliane Montiège, cardiologue. Esther est l’une de mes patientes ou plus exactement était l’une de mes patientes, et j’affirme que, physiquement, elle avait un cœur à toute épreuve. »

Les choses auraient pu en rester là pour Julie Lantilly. Elle avait rédigé un grand article sur l’enterrement d’Esther Martin-Delalande et, comme il ne se passait pas grand-chose à Saumur, il avait fait la une du Courrier Ligérien. On avait gonflé l’article avec des témoignages et des photos, à tel point qu’un étranger aurait pu croire que cette dame était une véritable sainte. Julie avait parfois honte de l’indigence des Unes de son journal. Deux jours auparavant, on avait fait la Une du Courrier avec le changement de propriétaires d’un hôtel du centre-ville ! En comparaison, l’enterrement de Madame Martin-Delalande pouvait passer pour un grand événement.

Ce matin-là, elle travaillait sur un nouvel article quand Jocelyne entra dans son bureau.

« Tiens, y avait ça pour toi, dit la secrétaire en déposant devant elle une enveloppe.

— Merci, Jocelyne. »

La secrétaire avait déjà poursuivi sa route, Julie prit l’enveloppe. On y avait inscrit au feutre fin : pour Julie Lantilly . à l’aide d’un cutter, elle ouvrit l’enveloppe qui contenait une simple feuille de papier pliée en trois. Elle la déplia et lut.

« Mademoiselle Lantilly, j’apprécie beaucoup vos articles. Je vous écris ce petit mot car je trouve désolant que vous ayez gobé le mensonge de la mort d’Esther Martin-Delalande. Elle n’est pas morte d’un arrêt cardiaque, on l’a tuée. C’était une garce mais elle ne méritait pas une telle mort. Capucine.»

Julie retourna la lettre dans tous les sens. était-ce une blague de ses collègues ? Le papier était ordinaire, du 80 g/m2. Le message avait été produit par une imprimante classique. L’auteur avait utilisé la police Calibri en taille 14. Il devait croire que Julie était un peu myope. L’écriture sur l’enveloppe aurait peut-être instruit un graphologue mais, à elle, elle n’apprenait absolument rien. La signature « Capucine » pouvait laisser penser que c’était une femme qui l’avait écrite.

La jeune femme rangea la lettre et se remit au travail.

« Et 40 ! » se dit Julie Lantilly en touchant le bord de la piscine.

La séance était terminée, elle avait effectué quarante longueurs et parcouru un kilomètre. Elle était satisfaite d’elle-même, un entraînement régulier lui avait fait améliorer son crawl. Maintenant, elle allait plus vite qu’avant, tout en produisant moins d’efforts. Elle n’en était pas encore à s’aligner auprès des nageurs du couloir des « rapides » qui, en deux mouvements, parcouraient presque la longueur de la piscine, mais elle avait fait des progrès. Elle finissait sa séance avec plaisir. La natation restait son sport préféré. Aucun autre ne sollicitait autant l’ensemble des muscles. La course à pied avait son charme mais elle mettait à mal les articulations alors que la nage les déchargeait du poids du corps. La nage l’apaisait et la décontractait.

Un bref coup d’œil à la pendule lui permit de savoir qu’il ne fallait pas qu’elle traîne. La piscine durant la pause déjeuner c’était très agréable, mais le temps était mesuré. Dans une demi-heure, elle devait être à son bureau. C’est pourquoi elle enleva son bonnet et ses lunettes et se dirigea vers la sortie. Tendant les bras, elle saisit les montants de l’échelle et sortit de l’eau. Quelques irréductibles restaient encore dans le bassin : c’était le meilleur moment pour nager car il n’y avait plus foule. Elle adressa un petit geste de la main aux surveillants qui se tenaient à l’autre extrémité du bassin puis elle tourna les talons. Elle récupéra sa serviette au passage et passa aux douches.

Là encore, il n’y avait plus grand monde. Elle se permit le luxe de pénétrer dans une cabine particulière. Elle ferma la porte et s’apprêtait à accrocher sa serviette à la patère quand elle s’aperçut de son erreur.

« Merde ! » dit-elle en réalisant que la serviette qu’elle avait prise n’était pas la sienne.

En fait, la sienne était absolument identique à celle qu’elle avait à la main mais ce n’était pas la sienne. Ça m’apprendra à profiter des soldes de Décathlon, pensa-t-elle, maintenant, tout Saumur a la même serviette de bain. Pour confirmer son erreur, un tube de shampooing-douche lui tomba sur les pieds. Ce n’était pas le sien. Ce n’était pas sa marque.

Aussitôt, elle replia la serviette, l’enroulant autour du tube de gel, et sortit de la cabine. Elle revint vers les bassins. Sur l’étagère où tout le monde déposait sa serviette, la sienne n’y était plus. Elle était certaine de l’avoir posée là en arrivant. Elle regarda les autres endroits où l’on pouvait laisser ses affaires : rien. Cela signifiait que quelqu’un avait donc fait la même erreur qu’elle, mais avant elle ! Une personne avait pris sa serviette par inadvertance. Elle eut beau regarder tout autour de la table, ses affaires avaient disparu. C’était bien la première fois qu’une telle mésaventure lui arrivait !

Sans perdre une seconde, elle fila aux vestiaires. Là encore, il n’y avait plus beaucoup de personnes. Les rangées de casiers qui s’alignaient de façon symétrique bouchaient partiellement la vue.

« Quelqu’un s’est-il trompé de serviette, une serviette rouge ? » lança-t-elle à haute voix. Elle répéta la même phrase plusieurs fois, allant d’une cabine à l’autre.

Elle obtint quelques réponses négatives de gens qui se changeaient. Elle pouvait n’en voir que les pieds par-dessous les portes. Une voix féminine lui suggéra de s’adresser à l’accueil. Elle comprit vite que c’était fichu. Ne sachant que faire, elle décida finalement de retourner aux douches et d’utiliser la serviette et le gel-douche qui ne lui appartenaient pas.

Quelques minutes plus tard, séchée et habillée, elle vint raconter sa mésaventure à l’hôtesse d’accueil qui trouva l’histoire très drôle.

« Non, personne n’est venu me dire qu’il s’était trompé de serviette, dit-elle. La personne qui s’est trompée ne s’en est sans doute même pas aperçu.

— Les serviettes doivent être identiques, mais le gel-douche est différent, précisa Julie.

— Vous savez, à l’heure de midi, il y a des personnes du troisième âge qui n’ont plus une très bonne vue.

— Heureusement que j’avais fixé le bracelet avec la clé du casier à ma cheville, sinon je me retrouvais en maillot de bain.

— Les problèmes de clés sont fréquents. Rassurez-vous, nous avons un passe pour ouvrir les casiers.

— Qu’est-ce que je fais ? demanda Julie.

— Vous me dites que cette serviette est identique à la vôtre ; si j’étais vous, je la garderais !

— Elles viennent toutes deux de chez Décathlon. Vous pensez que je peux la garder ?

— écoutez, gardez celle-ci et, si jamais quelqu’un venait à réclamer sa serviette, je vous préviendrai.

— D’accord. On fait comme ça. »

« Il y a quelque chose qui a changé dans votre bureau ! déclara Julie en entrant.

— Et comment ! C’est parce qu’ils ont démoli l’immeuble Parmentier. Maintenant on y voit plus clair.

— Vous avez la vue dégagée, c’est chouette.

— On l’a mérité, fit remarquer le capitaine Ménard en faisant basculer la fenêtre. Vous pouvez me croire, on a bossé deux mois au son des marteaux-piqueurs.

— J’étais venu assister au chantier quand la partie centrale de l’immeuble avait déjà été mise à terre par une pelleteuse équipée d’une impressionnante mâchoire. Il y avait des spectateurs, je me rappelle.

— Sûr, c’était l’attraction du quartier.

— Qu’est-ce qu’ils vont mettre à la place ?

— Je n’en sais rien, j’espère que ce sera des pavillons. Pas un square, parce qu’on sait comment ça se transforme un square dans un quartier comme celui-ci. »

Julie se détacha de la fenêtre et alla s’asseoir. Le capitaine Ménard en fit de même, derrière son bureau qui disparaissait sous les dossiers et les papiers divers.

« Qu’est-ce qui vous amène, Mademoiselle Lantilly ?

— Je vais aller droit au but : il y a une rumeur qui dit que Madame Martin-Delalande ne serait pas morte de mort naturelle.

— Non ! Mademoiselle Nantilly, pas vous ! Ne me dites pas que vous prêtez l’oreille aux rumeurs.

— Désolée de vous décevoir.

— Vous insinueriez qu’Esther Martin-Delalande ne serait pas morte de sa bonne mort ?

— C’est le bruit qui court.

— Et pouvez-vous m’indiquer ce qui vous a mis la puce à l’oreille ? Parce que je devine que si vous êtes venue pour me parler de ce sujet, c’est que vous devez avoir de bonnes raisons.

— à l’enterrement de Madame Martin-Delalande, j’ai rencontré sa cardiologue, Madame Montiège, une parisienne, qui m’a affirmé que la patiente décédée avait un cœur en parfait état et que, donc, elle ne pouvait pas croire un seul instant à cette histoire de crise cardiaque.

— Il ne m’appartient pas de juger ce genre de déclaration. Les toubibs qui se trompent, ça arrive, non ? Quoi d’autre ?

— J’ai reçu une lettre anonyme, la voici. »

Julie sortit de son sac la lettre et la présenta au capitaine Ménard.

« ‘‘Capucine’’, c’est mignon... commenta seulement le policier en rendant la lettre à Julie.

— Qu’en pensez-vous ? demanda la jeune femme.

— Madame Martin-Delalande est morte officiellement d’un arrêt cardiaque et je n’ai aucune raison d’en douter. Son décès a été constaté par le docteur Guitton dont la crédibilité n’est plus à démontrer. Je le connais depuis toujours. Il exerce à Saumur depuis plus de 40 ans. »

La journaliste remit la lettre dans son sac, tandis que le policier continuait :

« C’est curieux cette propension à toujours trouver la disparition des gens riches suspecte. Vous ne trouvez pas ? Ma voisine, la mère Férec, qui était presque une clocharde, est morte le mois dernier d’une rupture d’anévrisme et personne, à ma connaissance, n’a fait traîner la rumeur selon laquelle elle aurait été assassinée.

— Vous avez raison, dit Julie en souriant, c’est au-delà d’un certain montant sur le compte bancaire de la personne que le phénomène naît.

— C’est vrai qu’Esther Martin-Delalande doit laisser un bel héritage.

— Vous savez qui va hériter ? Madame Martin-Delalande a un mari et des enfants, le problème de l’héritage, logiquement, ne doit pas se poser.

— Je n’en ai aucune idée. Elle avait de la famille. Les héritiers vont sans doute s’entre-déchirer comme il se doit. C’est la tradition.

— Sérieusement, que pensez-vous de cette affaire, monsieur Ménard ?

— Mademoiselle Lantilly, je vais être franc avec vous, j’avais le plus grand respect pour Esther Martin-Delalande de son vivant. Elle m’avait rendu un grand service. Quand ma mère n’a plus été en mesure de rester chez elle, il m’a fallu trouver une maison de retraite. Madame Martin-Delalande m’a fait des conditions très intéressantes au Bocage Saint-Michel. Je lui en serai éternellement reconnaissant car, sans son geste, je n’avais pas les moyens financiers de mettre ma mère dans un tel établissement.

— Je l’ignorais...

— Vous n’êtes pas sans savoir que le Bocage Saint-Michel est la maison de retraite la plus huppée de la ville, si ce n’est du département. Pour y accéder, les pensionnaires doivent posséder une source de revenus des plus conséquentes. Cet établissement offre tout le confort. Les résidents peuvent y apporter leurs meubles et leurs objets familiers. C’est le grand standing. Ils peuvent prendre leurs repas dans la salle à manger ou se faire servir dans leur appartement. Une infirmière assure une permanence, jour et nuit, 7 jours sur 7. Au rez-de-chaussée, il y a le cabinet du docteur Guitton. S’il y a un pépin, il peut intervenir sans délai.

— J’avais écrit un papier sur cette maison de retraite, je m’en souviens, il y a quelques années. Je n’y suis jamais retournée depuis. Et donc, elle fonctionne toujours bien ?

— Oui, elle fonctionne du feu de Dieu. Madame Martin-Delalande m’avait raconté qu’à l’origine, les concepteurs du projet étaient sceptiques parce qu’ils considéraient que Saumur n’était pas une assez grande ville pour accueillir un établissement de ce standing. Ils craignaient de ne pas trouver assez d’anciens avec des retraites suffisantes pour se payer ce confort, vous comprenez ? »

Julie opina de la tête. Le capitaine reprit :

« Grâce à Madame Martin-Delalande, ma mère est morte dans des conditions décentes.

— Je comprends.

— Je... ça m’embêterait d’apprendre qu’elle ne soit pas morte de sa belle mort, si je puis dire.

— Je le comprends mais, d’un autre côté, ce n’est pas elle qui est en cause. Si elle a été... supprimée, comme le suggère la lettre anonyme, il est de votre devoir que justice soit rendue.

— Bien sûr. Je vous entends bien, Mademoiselle Lantilly, mais vous comprendrez que moi, j’ai un certificat médical de décès en bonne et due forme. L’autorisation d’inhumer a été délivrée par la mairie. Tout est en règle. En conséquence, il m’est impossible d’ouvrir une enquête. Vous le savez bien. »

La jeune femme jeta un regard malicieux au policier.

« Il vous faut du lourd. C’est ça ?

— C’est exactement ça. Apportez-moi une bonne preuve et je vous ouvre une enquête. »

Quelques jours plus tard, Julie Lantilly s’accorda une pause au salon de thé La duchesse Anne. Alors qu’elle savourait un thé en dégustant de délicieux macarons, Christiane Godineau, la maîtresse des lieux, fit son apparition. Les deux femmes s’embrassèrent avant de s’asseoir dans les fauteuils confortables. Elles commencèrent par échanger les banalités d’usage, mais la conversation ne tarda pas à s’orienter vers le sujet saumurois du moment : la disparition de Madame Martin-Delalande. Cette dame était bien sûr une cliente fidèle de la pâtisserie, Madame Godineau la connaissait très bien. Elle avait mille et une anecdotes à raconter sur elle. Madame Martin-Delalande adorait les petits palmiers à la pomme qu’elle trempait dans son thé, elle était très gourmande et avait beaucoup de mal à se raisonner. Madame Godineau sous-entendit que de nombreuses associations allaient souffrir de la disparition de la mécène. Elles se vantaient jusqu’alors de vivre de la générosité de leurs adhérents, mais maintenant la vérité allait éclater au grand jour. Sans Madame Martin-Delalande, il y avait fort à parier que bon nombre d’entre-elles allaient connaître des problèmes de trésorerie.

Monsieur Godineau fit alors son apparition dans le magasin, en habits de travail. Il déposa dans la vitrine un magnifique plateau de tartes et vint saluer la journaliste.

« Bonjour Julie.

— Nous parlions de Madame Martin-Delalande, lui dit son épouse. Nous disions qu’elle allait manquer à beaucoup à Saumur. »

Monsieur Godineau approuva :

« C’est vrai qu’elle était très active et qu’elle s’occupait de beaucoup de choses.

— Elle dirigeait la maison de retraite du Bocage Saint-Michel.

— Oui, et paraît-il que ça ne rigolait pas tous les jours, commenta le pâtissier. Les cuistots que je connais m’ont raconté de sacrées histoires.

— Elle veillait surtout à trier ses pensionnaires, rétorqua sa femme. Pour finir ses jours au Bocage, il faut avoir un portefeuille bien garni. Vous y allez toujours chanter ?

— Sans doute, répondit son mari, je n’ai pas reçu de message annonçant l’annulation du spectacle.

— Quel spectacle ? demanda Julie

— Le spectacle des Chats Noirs. »

Madame Godineau crut bon de préciser pour la journaliste :

« Comme il a déjà un pied dans la retraite, Christian est rentré dans la chorale des Chats Noirs.

— Qui sont ces Chats Noirs ? demanda Julie.

— Tu ne les connais pas ? C’est une chorale dirigée par Bernard Faucou. Ils interprètent surtout des chansons de la Belle époque. C’est très chouette.

— Oui, j’en ai déjà entendu parler, mais je ne les ai jamais vus. »

Monsieur Godineau intervint :

« Bernard ne veut surtout pas qu’on dise que nous sommes une chorale. Il veut que nous disions un ‘‘groupe d’amis chantants’’. Pour lui, une chorale c’est trop connoté vieilles filles en rangs d’oignons avec chemisiers blancs et serre-tête. Les Chats Noirs, ce n’est pas du tout cela ; c’est un foutoir pas possible, mais le résultat est super. On s’amuse et on chante.

— Et vous allez vous produire au Bocage ?

— Oui, c’est prévu de longue date. Madame Martin-Delalande avait invité les Chats Noirs pour qu’ils donnent un concert. En fait, elle les invitait quasiment chaque année pour qu’ils mettent un peu d’animation et de gaieté dans sa maison. Après sa disparition, la question s’est posée : devait-on maintenir le spectacle ? Les nouveaux dirigeants du Bocage ont finalement décidé que oui. La vie continue et donc nous allons, comme prévu, chanter là-bas.

— Et ce sera quand, ce concert ?

— Samedi prochain, à 15 heures.

— J’aurais bien aimé y assister, mais il ne doit pas être ouvert au grand public ?

— Non, sans doute, mais toi, Julie, en tant que journaliste, si tu veux venir, il n’y aura sûrement aucun problème.

— Je note la date, fit la jeune femme en pianotant sur son portable. »

« Qui êtes-vous ? » demanda le gardien en costume, un métis balaise qui devait faire du rugby.

Julie Lantilly déclina son identité et sortit sa carte de presse. L’homme regarda le document avec beaucoup de circonspection avant de déclarer :

« Attendez là, je vais en référer à ma hiérarchie. »

Le vigile disparut dans une pièce adjacente. La jeune femme eut tout le loisir d’inspecter le hall d’entrée du Bocage Saint Michel. L’espace était lumineux, éclairé par de grandes baies vitrées. Le bâtiment était entouré d’arbres et de verdure. On ne se serait jamais cru dans une maison de retraite mais plutôt dans le hall d’un hôtel de luxe. Un long comptoir où trônait un immense bouquet de fleurs renforçait cette impression. Partiellement dissimulée par le comptoir, une hôtesse dont on n’apercevait que la chevelure blonde s’affairait.

La porte de l’ascenseur s’ouvrit avec un bruit feutré et un homme en costume gris et cravate rose apparut. D’une démarche souple, il vint au-devant de la journaliste avec un sourire affable.

« Vous êtes Mademoiselle Lantilly ? déclara-t-il en lui tendant la main.

— Elle-même...

— Arnaud Laporte, directeur, je suis enchanté de vous accueillir au Bocage Saint-Michel. à notre grand regret, nous n’avons pas l’habitude de recevoir la presse. Vous êtes venue pour le concert des Chats Noirs ?

— Exactement.

— Très bien, venez avec moi, je vais vous présenter les lieux. »