Sauvetages ordinaires - Philian Wipper - E-Book

Sauvetages ordinaires E-Book

Philian Wipper

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Beschreibung

Entre humour et poésie, Philian Wipper livre une vérité incommensurable : les raisons de se sauver ne manquent pas ! Éviter d’incorrigibles crétins, lutter contre l’ennui et les ennuis, échapper à la honte, esquiver une nouvelle dispute, voire retrouver la joie de vivre… La liste est infinie. Philian s’amuse ici à fournir un aperçu de ce grand fourre-tout rempli de coups de chance qui, parfois, aident à rebondir un peu plus loin. Douze histoires inventées, ou presque, qui se lisent comme des nouvelles.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une carrière de chercheur, Philian Wipper laisse libre cours à son imagination, en se documentant préalablement afin de garantir l’authenticité de ses récits. Ainsi, il poursuit son intérêt pour les situations ordinaires, veillant à ne pas laisser l’essentiel lui échapper. En 2023, il a également enrichi son répertoire littéraire en publiant deux autres nouvelles, "Les Cueilleurs d’eau" et "Promesse de Gascon", parues dans des recueils édités par JDH Éditions et Éditions Passiflore.

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Seitenzahl: 176

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Philian Wipper

Sauvetages ordinaires

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Philian Wipper

ISBN : 979-10-422-0954-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Illustration de couverture

Pablo Picasso

Le sauvetage, 1932

Oil on canvas, 130,0 x 97.5 cm

Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler Collection

Photo : Robert Bayer

Georges

Alex quitte la chambre sans bruit. Il fait encore nuit. Quelques minutes plus tard, il arrive chez lui et s’équipe rapidement. Un bol de thé fumant, le reste dans la bouteille Thermos glissée dans le sac à dos. Il se force à manger une ou deux tartines de miel pour éviter une fringale tout à l’heure.

La dispute d’hier soir, toujours pour la même raison, ne passe pas. Il commence à en avoir assez. Cette maison perdue à retaper, il la recherche évidemment, sur Internet tous les jours ou presque. Et il ne rate aucune occasion d’en parler à qui pourrait les aider. Ce n’est pas de sa faute s’ils n’ont encore rien trouvé. Depuis longtemps les massifs sont écumés. Et la battue aux vieilles maisons est devenue un sport depuis le confinement. Ils ne sont pas seuls à explorer, évidemment. Mais ça, Claude ne veut pas le comprendre. Ce n’est pas parce que son travail l’amène à sillonner toutes les montagnes du Gapençais et au-delà, qu’il devrait trouver facilement. Pour Claude, si cela tarde c’est parce qu’au fond il ne veut pas vivre en couple. Cette nouvelle prise de bec l’a particulièrement agacé. Alors aujourd’hui, chacun de son côté. Rien de mieux pour calmer les esprits.

Pour une fois, il ne trouve aucun plaisir à faire cette route qu’il connaît par cœur. L’engueulade, évidemment, mais également la météo. Avec la pluie de cette semaine, la neige est un peu remontée et la vallée du Drac est dans la grisaille. Aujourd’hui il n’y aura pas grand-monde sur les skis. Il ne s’en plaint pas.

À la sortie de Corps, il tourne en direction du Lac du Sautet. La route descend en serpentant. Personne. Il passe rapidement le barrage et remonte pour retrouver la longue ligne droite en direction de La Posterle. Ensuite, la route se rétrécit et se faufile à flanc de forêt. De l’autre côté, le haut des falaises du Gigon est caché par les nuages. Le petit pont qui enjambe la Souloise apparaît. L’endroit est superbe, mais ce matin on ne voit rien. Les pleins phares balaient le bas des parois qui encadrent la gorge étroite. À la sortie du défilé, Saint-Didier. À cette heure, le hameau est sans vie. La portion de route qui suit a été refaite cet été, il est venu à vélo, c’était très roulant. Elle serait facilement avalée sans le brouillard qui se forme, mais là il est obligé de ralentir.

Il surveille la température extérieure qui s’affiche sur le tableau de bord. Elle baisse régulièrement, ce n’est pas bon signe. S’il fait trop froid, le brouillard sera épais et surtout tenace. Pour une randonnée à ski, ce n’est pas le mieux. Son oncle qui l’a initié à la peau de phoque l’a toujours prévenu du danger. Pourtant aguerri, il s’est lui-même fait piéger à plusieurs reprises. Non seulement le brouillard fait perdre l’orientation, mais surtout peut priver de tous repères. À ne plus rien voir, on ne parvient plus à se situer dans une pente. On ne sait même plus si on monte ou si on descend. Dans ce cas, il faut s’arrêter et attendre au milieu de nulle part. Mais ça, c’est contre notre instinct. Alors on prend le risque de poursuivre et de se perdre.

Enfin le col du Festre, les rares maisons, le foyer de ski de fond, évidemment fermé à cette heure et peut-être même pour la journée. Aucune voiture garée, pourtant il est huit heures un peu passées. Moteur coupé, au chaud, Alex attend quelques instants. Il fait moins six et un petit vent agite légèrement les arbres alentour. La couche de brouillard ne paraît pas très épaisse. De toute façon, le jour est en train de se lever et le soleil va parvenir à la dissiper. Il n’a aucune raison d’hésiter. Et si la météo ne s’améliore pas, il s’arrêtera au col de Darne. Un petit dénivelé, mais au moins il ne sera pas venu pour rien. En tout cas, il a besoin de bouger pour évacuer la dispute. En plus, avec le froid de la nuit la neige portera bien et les risques de coulées sont limités. Il n’y a pas eu de vent fort ces derniers jours, par conséquent, la possibilité de plaques qui pourraient casser est quasiment nulle.

Petit choc thermique en sortant de la voiture. Bonnet, anorak et gants aussitôt enfilés, Alex quitte ses bottes pour les chaussures de ski et les crochète le plus rapidement possible. Les skis avec les peaux de phoque déhoussés, bâtons et sac à dos sortis du coffre, il verrouille la voiture. Il adore ces moments. Tôt, en tenue de randonnée, contre le froid, un itinéraire en tête et personne autour. Il traverse la route et pose les skis sur la neige. C’est le point de départ habituel. Petits coups de bâtons, la neige est dure, c’est du béton. Les couteaux s’imposeront plus haut dans la pente. Pour l’instant, enclencher les fixations et partir au bon rythme. Pas trop vite avec ce froid, d’abord chauffer le corps, sentir peu à peu les gestes simples devenir fluides. Glisser, ne pas marcher.

Le brouillard joue avec le paysage. Il y a ce que l’on voit ou distingue, prés enneigés, bosquets, taches noires des pierres qui émergent des clapiers, et ce que l’on imagine. Être seul dans ces conditions est excitant, c’est un petit défi même si ce n’est pas la haute montagne. Alex part à l’aveugle, mais les sommets sont bien en place dans sa tête.

Grimper dans ces conditions exige de l’attention. Alex le sait, ce n’est pas la première fois. Décider de la direction et tenir le cap, rester concentré. Il se sent bien, à la fois plein de forces et la tête finalement disponible. Les skis glissent facilement, la visibilité d’environ cent ou cent cinquante mètres est suffisante. De nombreuses traces de skis et de raquettes facilitent la tâche, il suffit de les suivre. Pour le moment toutes se dirigent vers le col, c’est l’itinéraire classique.

En un quart d’heure, il arrive au pied du Chauvet. La petite combe l’attend. La neige tient bien, la descente sera excellente. Il est heureux, il avance. La pente est remontée sans difficulté. Il cherche la cabane d’alpage qui a été reconstruite. Elle devrait être à droite, mais il ne la voit pas encore. Ce n’est pas grave, il poursuit. Le toit apparaît enfin. Avec le brouillard ce n’est pas évident. Il cherche à mieux caler sa mémoire du lieu.

Passer par la cabane est important. C’est à ce niveau que l’on traverse, en la remontant, la pente plus raide qui débouche dans le vallon. De là, il reste à pousser jusqu’au col qui sépare le Chauvet à gauche et sur la droite la Tête du Jas des Arres. Une courte pause s’impose pour sortir les couteaux et les emboîter sur les fixations. La neige est très dure, ce serait idiot d’avoir besoin de déchausser en plein dévers pour les mettre. Il a chaud, il enlève l’anorak et le fourre dans le sac. Il en profite pour se soulager. Il remet le sac au dos et le redépose immédiatement. Il allait oublier de mettre en marche son Arva. Une fois l’appareil sorti de la poche du dessus, il le sangle autour du buste. Il est prêt et repart immédiatement pour ne pas refroidir.

Le brouillard est toujours aussi tenace, la visibilité se réduit même un peu. Il grimpe, les couteaux accrochent bien, mais leur crissement le prive du seul bruissement des skis. Son pas redevient fluide une fois dans le vallon, la pente ne l’oblige plus à se tenir sur les carres et à marquer chaque pas. Face à la pente, les skis bien à plat, il commence à remonter le fond de la combe qui va l’amener entre les deux versants. Avec les cales de montée, il prend une bonne inclinaison et avance en limitant le nombre de conversions. Tout va bien, mais si le brouillard se levait cela irait mieux. Le rythme lui convient, il poursuit sûr de lui.

À un moment cependant, les traces de skis qu’il suivait jusque-là disparaissent. Alex s’arrête pour scruter la neige. Plus rien. Un petit vent en début de nuit a dû les combler. Il va devoir se fier à sa mémoire. Le brouillard s’épaissit. Il continue, mais plus lentement. Au pire, mais vraiment au pire, il redescendra en suivant ses traces de montée. En prévision, il marque, à chaque pas, davantage la neige en enfonçant plus profondément les couteaux. Sans visibilité ça ne sera pas du grand ski, tant pis. Mais dans ces conditions également, il y a un plaisir à prendre.

Le col n’est toujours pas en vue, pourtant il ne doit plus être loin. Alex poursuit lentement, cherchant du regard le replat qui signale l’arrivée. Le col doit être juste au-dessus. Il continue, puis le cliquetis des couteaux s’arrête. Il est arrivé. La dernière traversée l’étonne. D’habitude, il débouche par la droite après avoir contourné une dernière bosse. Or cette fois, il est sorti par la gauche. C’est curieux mais sans importance. Il est au col, c’est ce qui compte.

Alex libère les skis et pose le sac. Pas question de prendre froid. Il ne sait pas si ses vêtements respirent comme le vantent les fabricants, lui, en tout cas, transpire énormément. Il enfile au plus vite l’anorak. Léger et très chaud. Claude le lui a offert à Noël. Il pense à leurs retrouvailles, tout à l’heure.

Bien protégé dans ses couches de vêtements, il ramollit une barre de céréales dans un gobelet de thé chaud et l’avale en deux grosses bouchées. Déjà dix heures. Le brouillard l’a beaucoup ralenti. Et la descente dans cette purée de pois ne sera pas des plus rapides. Il fera pour le mieux et enverra de toute façon un texto à Claude une fois à la voiture. Un autre gobelet avant de redescendre. Il lui en restera un peu une fois en bas.

Les couteaux enlevés, les peaux de phoques retirées et pliées, le tout rangé dans les poches en nylon, il fourre le matériel dans le sac à dos. En mettant les fixations en position de descente, il relève la tête pour estimer la visibilité. À cause du plafond bas et du peu de vent, un jour blanc l’a enveloppé. C’est le pire. Il ne s’en est même pas aperçu. Pas plus de six mètres de visibilité, peut-être même moins. Bien sûr il sait par où redescendre, mais maintenant le brouillard est trop dense. Nouveau coup d’œil à la montre, il décide d’attendre un peu. Pas besoin de rester debout, il se cale assis sur le sac à dos.

Les paroles de son oncle Pierre lui reviennent en tête.

Dans de telles conditions il faut s’arrêter, lui a-t-il dit souvent.

À son tour de suivre le conseil, pas d’imprudence. Il pense à Pierre et à ses aventures. Comme cette fois où le brouillard l’avait rattrapé avec son groupe au sommet de l’Ighil M’Goun. Ils avaient été contraints de bivouaquer avant de pouvoir redescendre carte en main le lendemain. Dans la vallée, les villageois du premier hameau rencontré les avaient accueillis avant de les remettre dans la bonne direction. Ils avaient passé un long moment à boire verre sur verre du thé à la menthe brûlant, assis bien au chaud dans une grande pièce éclairée par des photophores en terre cuite posés à même le sol, communiquant seulement par des gestes avec leurs hôtes. C’est le plus beau souvenir de montagne de son oncle. Le printemps suivant, Pierre était retourné au village pour les remercier. C’est tout lui. Ici ce n’est pas l’Atlas, mais la situation vaut d’être vécue, si elle ne dure pas trop.

Cependant, cela semble mal parti. Alex stationne depuis plus d’une heure et le jour blanc l’emprisonne toujours. C’est long. Assis, debout, faire quelques pas, s’asseoir de nouveau, recommencer… Le temps s’écoule lentement, mais il doit attendre. Les blancs se mélangent entièrement, neige et brouillard ne font qu’un. Il sort de leur boîtier les lunettes avec les verres jaunes. Elles ne servent à rien, il les range et se relève. Il marche et s’aperçoit qu’il perd le sens de l’équilibre. S’il redescend, il pourrait rater les repères et surtout il y a le danger de la mauvaise chute. Une petite inquiétude commence à le saisir. C’est trop risqué d’y aller et le portable ne passe pas. Il ne peut pas prévenir Claude. Attendre encore, le temps qu’il faudra. Prendre son mal en patience, c’est tout. Sauf qu’à un moment donné il va falloir se décider, rejoindre la voiture ou bien creuser la neige pour s’abriter et peut-être rester la nuit. Bien sûr, il n’y croit pas.

Quand il s’autorise à jeter un coup d’œil à sa montre, il est midi. Il doit encore attendre. Il n’a pas le choix. L’idée du bivouac lui revient, il la repousse. Mais peu à peu elle s’impose. Il résiste, jusqu’au moment où sans trop réfléchir il se relève. Alors, à coups de pied il creuse la neige, à genou il déblaie et creuse encore. Peu à peu, une cuvette prend forme. Dans la neige, il aura moins froid. Tout à sa besogne, une autre idée lui vient, rallonger le thé restant tant qu’il est encore chaud. Il sort la Thermos du sac, enlève le gobelet, dévisse le bouchon. De petits morceaux de neige tombent dedans. Après avoir replacé la bouteille dans le sac, il s’active de plus belle. Pour finir, il pose des blocs de neige tout autour du trou.

Il est maintenant plus de quatorze heures. D’habitude il est à la voiture depuis un bon moment. Il commence à regretter d’être parti. Mais il est là et doit attendre. En tout cas, il semble faire un peu moins froid, c’est une bonne chose, une au moins.

Soudain, les conditions s’améliorent. Le jour blanc bleuit. Le brouillard paraît moins compact, on voit un peu le relief. Alex applaudit et libère un rire nerveux. Pas de temps à perdre, rechausser les skis, resserrer les chaussures. Le sac, vite. Le bonnet à réajuster, passer les dragonnes des bâtons. Il est prêt et engage la descente, doucement.

La neige tient bien, il glisse prudemment. Surtout éviter la chute qui pourrait faire perdre les repères. Heureusement il devine l’inclinaison de la pente et peut anticiper les virages en évitant de trop déraper. La visibilité est réduite, mais il enchaîne plusieurs courbes d’affilée. La neige est lisse, les skis ne broutent pas. Ne pas perdre de temps, tant qu’il voit un peu. La confiance revient, il sourit, même un peu fier de vaincre l’adversité. Il enchaîne de courtes traversées suivies de virages plus ouverts. Brusquement le jour blanc avale de nouveau la pente. Il est forcé de stopper, le stress revient immédiatement. Cette fois il ne distingue plus rien, à peine les spatules. Rester calme, surtout rester calme. Il tape la neige pour stabiliser les skis. Ne pas stationner sur les carres pour éviter les crampes. Il est forcé d’attendre un semblant d’éclaircie, mais combien de temps ? Le soleil va forcément parvenir à percer la couche de nuages. Un léger vent le fait espérer. Seulement les minutes passent et le blanc laiteux l’enveloppe toujours, et c’est déjà l’après-midi. Attendre, attendre encore. Pourvu qu’il ne reste pas bloqué trop longtemps. Il s’appuie sur les bâtons, bras repliés, buste en avant. Le temps s’écoule, il ne pense à rien.

Le brouillard s’effiloche, le soleil perce. Le ciel bleu l’éblouit. Il cligne des yeux, un paysage apparaît. Son corps se raidit, ses mains se cramponnent aux bâtons, ses pieds poussent vers le bas comme pour s’enfoncer dans la neige. En face, une montagne surgit, c’est la Tête de Garnasier.

— Mais qu’est-ce que je fous là ?! Je ne suis pas sur le bon versant ! Bordel de bordel ! jure Alex.

Ses forces lâchent, il s’ordonne de ne pas paniquer. Il doit rester calme. Il n’est pas tombé, il n’a rien perdu, il n’est pas perdu, il est simplement sur l’autre versant. Le jour blanc l’a totalement désorienté. Ne pas perdre de temps à chercher l’explication, la seule chose qui compte est de sortir de là. Il respire profondément, plusieurs fois, puis regarde la pente. Elle est raide et plus longue que de l’autre côté. Il doit prendre une décision. Il lève la tête, il a descendu deux cents mètres de dénivelé, peut-être plus, peut-être moins. La corniche au départ, il ne l’avait pas vue. Heureusement il l’a évitée. Chasser la peur, trouver la meilleure solution. Remonter la pente, mais cela l’obligerait à remettre peaux et couteaux. C’est prendre le risque de laisser échapper son matériel. Pas question. Remonter tout droit en portant les skis, c’est mieux, il peut s’en servir d’appui en les enfonçant dans la neige. Mais si de nouveau il ne voit rien, le risque sera trop grand, en plus avec la corniche. Du reste, le brouillard se reforme et une nouvelle fois va l’engloutir. Juste avant que la fenêtre de clarté ne se referme, il regarde vers le bas. La pente est soutenue, mais elle finit au niveau d’un bois qui tapisse un vallon. Apparemment pas d’obstacles s’il descend bien à l’aplomb.

Sa décision est prise, il ne connaît pas l’endroit, mais il a vu des skieurs grimper par ce versant l’année dernière. On peut donc passer par là. Il trouvera bien le point de départ, certainement à proximité de la route qui mène au col du Festre depuis Montmaur. Même si sa voiture est de l’autre côté, il n’est pas perdu. Le brouillard ne tarde pas à l’envelopper, mais il n’a plus de raison de se presser. Juste attendre qu’il le libère et se sauver au plus vite. Il rentrera tard, très tard, mais entier.

Enfin, la visibilité revient. Il distingue le bois tout en bas. Une longue respiration et Alex se penche en avant pour se mettre à glisser. La neige est un peu moins dure, mais elle tient bien. Il choisit d’enchaîner des virages courts pour ne pas s’écarter de la trajectoire fixée. Par endroits, la neige s’enfonce un peu sous son poids. Il descend, toujours très concentré. Les muscles se raidissent peu à peu. Il s’autorise un bref arrêt avant de poursuivre sans se poser de questions.

Le haut des arbres s’offre enfin à lui, il est arrivé en bas sans casse. Il est en eau, ses vêtements sont lourds. Il s’accorde une pause. Il se débarrasse du sac. D’abord boire. Le thé est à peine tiédasse. Il pisse de nouveau puis sort le portable pour envoyer un texto à Claude, mais il n’y a pas de réseau. La batterie est faible, il doit l’économiser. Il défait l’anorak, le rentre dans le sac, ôte son bonnet, change de gants tout en regardant la direction à prendre le long du bois. Il enlève l’Arva, il n’en a plus besoin. Il enroule les sangles autour de l’appareil et le place dans la poche du haut. Il réfléchit à la suite. Ne pas trop s’approcher des arbres pour garder de la pente.

Une poussée sur les bâtons le relance. À petite vitesse, il longe le bois. Parfois le passage de petites bosses accélère la descente. Il espère rejoindre la route rapidement. Mais parvenu au fond du vallon, il doit avancer à plat. Un bref arrêt, le temps de libérer les fixations pour redonner du mouvement.

Il continue d’avancer en s’appliquant à respirer profondément, jusqu’au moment où il aperçoit droit devant un mélange de feuillus et de conifères qui lui barre le passage. La galère continue. Il décide de ne pas remonter car il fatigue. Il entre dans le bois et se fixe une direction entre les branches basses. Heureusement, les arbres protègent du brouillard. Rapide coup d’œil à la montre, presque seize heures. Il essaie d’accélérer, mais la progression est difficile, exécrable même. Des troncs encombrent la traversée et à plusieurs reprises des ravines l’obligent à déchausser les skis. À cause de la pluie des jours précédents, à cette altitude la neige est amollie. En plus, la température n’est jamais très basse dans les forêts. Conséquence, il ne glisse plus, il marche péniblement. Parfois les bâtons se dérobent ou bien s’accrochent à une pierre ou une racine cachée par la neige. Plusieurs fois, il évite de basculer. C’est épuisant, il est trempé. Continuer, continuer. Il débouchera forcément quelque part. Avancer, ne pas se mettre à douter. Il n’a plus le choix de toute façon.

Le bois s’éclaircit enfin. Il s’extirpe péniblement des derniers arbres, en accrochant une fois de plus le sac à dos, et s’arrête pour souffler un peu et comprendre où il se trouve. Il est passé sous la couche de brouillard, tant mieux, mais le froid humide le saisit. L’essentiel est qu’il a nettement gagné en visibilité, il peut maintenant se diriger.