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Ruf, qui travaille temporairement comme gardien de musée, se trouve entraîné dans une aventure rocambolesque en découvrant les histoires des visiteurs de l’exposition. Au fil de rencontres improbables et d’événements inattendus, il se retrouve à Palerme en compagnie de Virginie où des intrigues tout aussi incroyables les attendent.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur imaginatif, plusieurs ouvrages d’
Yves de Mestier ont déjà fait l’objet de publications aux éditions l’Harmattan, notamment "Le Casino de la Succulente" et "Fiorella" parus en 2022. À présent, il nous livre "Scarabées onctueux".
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Seitenzahl: 166
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Yves de Mestier
Scarabées onctueux
Roman
© Lys Bleu Éditions – Yves de Mestier
ISBN : 979-10-422-1502-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
Carnets de notes du Général Thevenet (1914-1917), L’Harmattan Historiques, 2021 ;
Le Casino de la Succulente, Roman, L’Harmattan, 2022 ;
Fiorella, Roman, L’Harmattan, 2022 ;
Alliance Franco-Russe, un voyage officiel à Saint Pétersbourg en 1897, L’Harmattan Historiques, 2023.
Ruf(héros malgré lui et amoureux de Virginie)
Virginie(conservatrice du Musée)
Matthieu(futur anthropologue, gardien du Musée)
Un professeur et trois étudiants
Etienne (éditeur et critique littéraire)
Prudence(visiteuse vêtue de rouge)
Greg(businessman)
Nicolas(Alix, Anastasia, Alexis, Maria, famille à la recherche de mandragore)
Armand(explorateur, amoureux de Nathalie)
Un peintre
Nathalie(peut-être amoureuse d’Armand)
Raphaël (photographe)
Olga(assistante du photographe et modèle du peintre)
Mathilde(ancienne relation amoureuse de Nicolas)
Luigi (frère de Mathilde)
Artemisia(femme de Luigi)
Lucette (dame du vestiaire)
Esteban Ramirez(ancien cuistot argentin, ami d’Armand)
Une vieille dame(tante de Nathalie)
Un lecteur
Une lectrice
… et quelques autres
J’étais joyeux et las, toutes les bêtes s’approchaient de moi et me considéraient, sur les arbres à feuille étaient posés des coléoptères et des « scarabées onctueux » se traînaient sur le chemin.
Knut Hamsun, Pan, Chapitre XX
Une pleine page de recommandations agrafées sur le panneau de liège qui faisait face à la porte d’entrée pouvait se comprendre avant ce départ en voyage, pas sûr que ce soit vraiment utile puisqu’il n’y aurait sans doute personne pour les lire, mais au moins on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas l’avoir fait s’il arrivait quoi que ce soit pendant son absence. Lumières éteintes, affaires rangées à leur place, il était temps d’y aller, car le taxi allait repartir vu les appels désespérés du chauffeur après de longues minutes d’attente devant la porte, attente ponctuée de coups de klaxon et de commentaires peu amènes des autres voitures coincées dans la rue par cette chaude matinée d’été.
Il avait déjà envoyé une vingtaine de messages à sa voisine Virginie depuis son réveil, tous restés sans réponse, ce qui l’inquiétait et l’agaçait terriblement, car il se sentait démuni, sans la moindre solution en perspective. Il essayerait quand même de la retrouver à l’aéroport, sinon il partirait seul en voyage ; il n’allait pas rester scotché chez lui à cause d’un caprice ou d’une lubie passagère, tant pis pour elle ! Enfin, il était quand même assez inquiet et déjà rongé par le remords de n’avoir pu faire preuve de plus d’imagination et d’efficacité pour la retrouver.
Comme il ne tenait pas à être en retard à l’aéroport et à louper son avion vu les embouteillages quotidiens dans la capitale, il avait donc prévu tout le temps qu’il faudrait pour sortir de Paris, sans doute par une porte opposée à la route la plus directe pour contourner les travaux habituels ou les déviations plus ou moins provisoires et autres péripéties auxquelles on ne pouvait opposer que la résignation ou le désespoir.
C’est sur ces réflexions, somme toute bien banales, que Ruf claqua sa porte, tourna la clé dans la serrure, frappa encore une fois chez Virginie sans obtenir de réponse, et s’apprêta à dévaler l’escalier, son sac de voyage sur l’épaule.
Et l’angoisse au ventre, il faut bien le dire.
Quelques jours auparavant, une longue marche à travers Paris lui avait été nécessaire pour rejoindre le point de rencontre convenu avec cette agence improbable dont l’annonce assez cocasse semblait rédigée pour rebuter le plus possible de candidats : « studio crasseux à rafraîchir, mais bien situé, voisinage immédiat sur les nerfs, mais loyer modéré si projet personnel attractif, contacter l’agence par courrier uniquement avec enveloppe réponse timbrée. Curieux s’abstenir ».
Il s’était empressé de répondre à cette annonce en y joignant deux tickets d’entrée au Musée Grévin avec ce simple mot : « maniaque du silence et de la propreté, j’ai hâte de visiter, allons-y ensemble ou retrouvons-nous devant Marilyn ! » et la réponse n’avait pas tardé avec la date et l’heure et une adresse juste balisée par quelques indications sommaires. Le jour venu, il arriva un peu en avance au milieu d’une place arborée avec, en son centre, un square bordé de grilles, quelques mouvements de feuilles dans les tilleuls, des abeilles butinant les massifs de fleurs, un endroit plutôt paisible par ailleurs. Personne en vue, il ne restait plus qu’à trouver un coin où s’asseoir quelques minutes pour répéter encore une fois son argumentaire en attendant l’employé de l’agence qui lui avait donné rendez-vous. En regardant autour de lui, il remarqua des boutiques autour de cette place flanquée de quatre rangées de beaux immeubles en pierre de taille ; une librairie ésotérique avec quelques bouquins au titre certainement abscons en vitrine, ce n’était pas du tout pour lui, un salon de massage vaguement asiatique, pas pour lui non plus, un boulanger spécialisé en tartes tropéziennes, très intéressant, et, juste en face, un bistrot à l’enseigne du Rendez-vous des Gendarmes, agrémenté d’une terrasse ombragée et bordée de grandes plantes vertes, programme sympathique à conserver en mémoire pour plus tard…
Quelques clients étaient en train de siroter leur apéritif ou de prendre un café en lisant leur journal pendant qu’un jeune artiste, grand et mince, d’allure androgyne, l’œil noir et le front cerné d’un foulard indien, chantait depuis le trottoir accompagné à la guitare par un musicien un peu plus âgé, le teint hâve et la chevelure noire en dreadlocks. Le garçon de café était si absorbé par la mélodie qu’il en oubliait les clients qui s’agitaient autour de lui avec de grands mouvements de bras pour faire une autre commande ou pour demander l’addition. Et puis soudain, voyant enfin l’air fâché de la patronne postée derrière le comptoir, il sortit de sa rêverie en sursautant et se précipita vers ses clients pour prendre de nouvelles commandes ou leur apporter l’addition, alors que les musiciens faisaient passer d’une table à l’autre un enjoliveur cabossé en guise de sébile.
Le square lui-même était presque désert, seul un sympathique clochard entièrement vêtu de bleu des pieds à la tête, polo à rayures et casquette de marin pêcheur avec une ancre marine et un galon doré, était installé sur l’un des bancs, occupé à lire un guide de voyages tout en se curant les ongles avec un opinel hors d’âge. Ayant aperçu Ruf, il lui fit signe de s’approcher et sortit de sa poche un avion de papier qu’il lança adroitement sur un pigeon en s’exclamant : « Boomerang, regarde l’avion ! ». Le pigeon cessa de roucouler et s’éleva d’un rapide coup d’ailes pour éviter le petit avion et venir prendre un bout de pain que l’homme tenait dans le creux de son autre main. Ruf le félicita avec un grand sourire avant d’aller s’asseoir un peu plus loin pour plonger le nez dans un carnet où il avait noté son argumentaire pour obtenir cet appartement qui ne devait pas lui passer sous le nez.
Les opportunités étaient assez rares, les prix élevés et les propriétaires exigeants, il devait se montrer sous son meilleur jour, et surtout susciter la confiance s’il en croyait la rédaction étrange de l’annonce. Il avait donc apporté à tout hasard ses douze derniers bulletins de salaire, la caution de ses parents et grands-parents, leur feuille d’impôts certifiée conforme, leur dernier relevé de banque, un certificat de notoriété délivré par le juge d’instance depuis moins de trois mois, l’avis à jour de ses cotisations syndicales et sociales, un dernier test d’aptitude délivré par le médecin du travail, la carte Jeunes des Chemins de Fer, la renonciation à recours dûment signée et, pour faire bonne impression, le contrôle technique à jour de son vieux cabriolet. Cela devait suffire en principe, mais il avait aussi troqué jean et tee-shirt pour un costume bien coupé par un tailleur branché de la capitale, avec une belle chemise et des chaussures en daim impeccables pour faire bonne contenance devant l’agence en s’imaginant un employé blafard, forcément grincheux et méfiant. Déjà un quart d’heure qu’il était arrivé et toujours personne à l’horizon, jusqu’au bip d’un message l’informant qu’il était finalement attendu sur place avec les instructions pour se rendre au bon endroit.
C’était à deux pas, en face du square, un très bel immeuble en pierre de taille bordé de balcons en fer forgé, un porche majestueux aux portes bleues donnait sur un grand passage voûté, orné d’une paire de candélabres en bronze soutenus par des sirènes tenant chacune un miroir dans une main. Il fallait le traverser avant d’atteindre une cour lumineuse et vaste, au centre de laquelle étaient disposés plusieurs arbustes et des bacs de fleurs, puis monter un escalier de service qui n’était pas dénué de charme malgré sa vétusté, et arriver enfin sous les combles et toquer à la deuxième porte à droite. Ruf se concentra, reprit sa respiration, adopta un air sérieux, ajusta sa veste et frappa doucement à la porte qui s’ouvrit, non pas sur un genre de Quasimodo échappé des tours de Notre-Dame de Paris, mais sur une très jolie fille brune vêtue d’une jupe en pagne vert et de ballerines vertes. Elle le fit entrer avec un sourire et referma la porte derrière lui.
L’angoisse disparut d’un seul coup, il pensa d’abord s’être trompé d’endroit ; son embarras et sa surprise devaient être palpables…
— Bonjour Ruf, c’est bien ici, j’ai pensé que ce serait plus simple de vous faire monter directement, je m’appelle Virginie et je dois vous faire visiter cet appartement.
Elle le fit entrer, s’efforçant de le mettre à l’aise en lui demandant si cela faisait longtemps qu’il cherchait un appartement, si le quartier lui plaisait, si le prix serait acceptable pour lui, s’il avait bien remarqué le charme du grand hall d’entrée avec ses sirènes et la loge de la concierge derrière laquelle veillait un perroquet nommé Coco comme tous les perroquets. Ruf était tellement étonné qu’il en oublia aussitôt tous les âpres commentaires appris par cœur pour l’occasion, tant sur le caractère un peu lépreux de l’escalier du fond de la cour que sur la crasse des carreaux ou sur le prix tout de même un peu élevé malgré le quartier.
L’appartement n’était pas très grand, mais très bien réparti, pas du tout crasseux comme le disait l’annonce, clair et calme avec un balcon en fer donnant sur la cour et suffisamment de place pour y installer une table et deux chaises, et même un grand pot avec un arbuste, par exemple un citronnier ou un olivier. Tout était beaucoup plus propre que ce qu’il avait imaginé, à peine besoin d’un coup de pinceau et en plus il aurait largement la place qu’il lui fallait pour mettre toutes ses affaires. Alors, il retrouva rapidement la parole pour dire à Virginie que cela lui plaisait beaucoup, qu’il était d’accord pour prendre l’appartement tout de suite, et lui proposer d’aller signer les papiers dans le bistrot repéré juste en dessous, elle serait mieux installée pour vérifier que son dossier était complet, sa solvabilité attestée, son honorabilité incontestable et qu’il répondait ainsi aux conditions drastiques fixées par l’agence de location. Elle accepta sans hésiter et ils partirent en cette toute fin d’après-midi finaliser leur arrangement au Rendez-vous des Gendarmes sous le signe bienveillant et inspirateur du Spritz.
Les justificatifs à peine regardés, tout se fit très facilement et, le bail une fois signé, Virginie lui expliqua le sourire en coin qu’elle n’était pas employée par l’agence, mais qu’elle venait elle-même d’emménager dans l’appartement d’à-côté ; elle avait accepté de rendre service à sa meilleure amie pour faire les visites à sa place et choisir elle-même son futur voisin de palier, le caractère peu attrayant de l’annonce devait éloigner les curieux, et c’était plus que réussi puisqu’il était son seul visiteur. Tout s’organisait à merveille dans le meilleur des mondes possibles, Ruf pensait à un geste du destin et lui dit combien il était impatient d’entrer dans les lieux et de l’avoir pour voisine. L’affaire conclue, les Spritz éclusés, Ruf reçut les clés et lui promit de la prévenir dès que possible de la date de son emménagement, ce qui ne devait pas tarder, et ils se promirent de se revoir vite, ce qui ne devrait pas être très difficile.
Il ne put s’empêcher d’esquisser des entrechats en traversant le square sur le chemin du retour, sous le regard intéressé du clochard sympathique qui reçut au passage un petit billet pour améliorer son ordinaire et celui de son pigeon.
Paquets de linge et cartons de livres, vêtements et fringues de toute sorte, lampes et ampoules, affiches et dessins, et puis la cantine d’objets préparée par les parents pour ne manquer de rien, frigo et machines, lit moelleux et coussins, aspirateur offert par sa tante Lucie (drôle d’idée, mais pourquoi pas finalement), pelle et balayette, marteau, pince, tournevis, clous, perceuse, casse-noix, épluche-légumes, entonnoir et tire-bouchon et puis la sculpture achetée à New York sur un coup de foudre. Il y avait aussi des stores qu’il faudra monter sans attendre, et bien d’autres objets tous indispensables. Il avait déjà passé commande d’un canapé, de chaises et de deux transats pour le balcon, et pour le reste on verrait après !
Quelques jours plus tard, Ruf était prêt à emménager, un ami horticulteur était venu avec sa fourgonnette pour l’aider à tout transporter puis à monter les étages avec son barda. Il était impatient d’arriver et de s’installer sur place et laissa un message à Virginie pour la prévenir de son arrivée en proposant de passer la voir quand il aurait installé ses affaires si elle était là. Elle répondit aussitôt pour lui dire qu’il n’avait qu’à passer chez elle dans la soirée, sur le palier de la porte en face, pour prendre un verre.
Bien lourdes ces caisses avec ces cinq étages, et la poussière, et la sueur, et les doigts coincés dans la porte d’accès à l’escalier qui était mal réglée, et la voiture en double file qui avait été verbalisée, et son bureau qui ne pouvait se passer de lui et lui adressait message sur message, et les tâches d’eau sur la moquette de l’escalier qui faisaient déjà râler la gardienne et surtout la voisine du troisième. Pourtant, ce voisinage « sur les nerfs », comme disait l’annonce, n’avait pas l’air bien farouche et il était sûr de savoir l’amadouer. Son ami devant repartir vite vers d’autres aventures horticoles, il décida de reporter ses rangements à plus tard, prit une douche rapide, quelques gouttes de sa meilleure eau de toilette, jean et polo, et fut bientôt prêt pour aller toquer à la porte voisine qui s’ouvrit sur une Virginie faussement surprise devant son arrivée si rapide.
— Bonjour Ruf, bienvenue dans notre bel immeuble !
— Merci Virginie, ça va me changer de ma coloc surpeuplée, enfin un peu d’espace et de liberté !
Elle le fit entrer dans une pièce bordée par deux hautes fenêtres donnant sur le square, avec en son milieu un bureau en plexiglas bleu clair couvert de papiers et de crayons de couleur, entouré de citronniers en fleurs avec quelques lavandes dans de grands pots de terre, quelques chaises en acier recouvertes de daim beige. Un escalier à vis en aluminium menait à l’étage inférieur où elle le fit descendre pour arriver dans un vaste espace lumineux dont les fenêtres donnaient sur un balcon courant d’un côté à l’autre de l’immeuble, tout cela avec une agréable odeur de fleurs blanches, peut-être des lys, sûrement même. Sur les murs, des photos d’artistes et d’acteurs de cinéma, une cheminée entourée de deux canapés de velours sombre, un grand tapis constitué de carrés de couleurs vives et des étagères couvertes d’objets d’apparence hétéroclite, dont une collection de superbes pots de grès émaillé. Au fond de la pièce, une colonne de bois doré sur laquelle était posé le buste en marbre blanc d’une dame, sans doute romaine, aux cheveux relevés, la tête légèrement penchée et dont les yeux avaient été sertis de pierres transparentes vertes. Un chapeau en feutre rouge avait été posé sur la tête de la statue et des colliers de coquillages passés autour du cou, ce qui lui donnait avec dérision une certaine apparence de la réalité.
Ils s’installèrent autour d’une table basse en bois laqué, puis Virginie emplit deux verres d’un vin rosé bien frais pour fêter son arrivée, Ruf était ravi de pouvoir la regarder pendant qu’elle lui passait les consignes de l’agence, et puis ils parlèrent de tout et de rien, de leurs goûts, de leurs activités, de leurs passions, de leurs projets. Elle lui dit avoir suivi des études en littérature et en histoire de l’art et qu’elle venait de décrocher le poste de conservatrice de ce petit Musée d’Art et d’Histoire installé dans un vieil hôtel particulier ayant appartenu à une grande cocotte du Second Empire, celui qui est derrière le square, première à gauche, deuxième à droite. Elle avait beaucoup de projets pour transformer son musée devenu poussiéreux après plusieurs décennies sans aucun changement, avec toujours les mêmes collections, les mêmes vitrines… Elle voulait changer le style des expositions temporaires qui étaient alors si peu nombreuses et si spécialisées qu’elles ne pouvaient s’adresser qu’à un public averti d’étudiants et de quelques connaisseurs triés sur le volet, et trouver d’autres thèmes, enrichir ses collections, obtenir le soutien d’artistes et d’écrivains, faire venir la presse et attirer un peu plus de monde et, qui sait, quelques mécènes qui lui permettraient de moderniser les installations et d’acquérir de nouveaux objets.
— J’aimerais bien, dit-elle, conserver la trace de la présence trop éphémère des visiteurs qui repartent en laissant au mieux quelques lignes dans le livre d’or pour les plus courageux d’entre eux ; ils passent et personne ne sait qui ils sont, pourquoi ils sont venus et ce qu’ils retiendront de leur visite. Certains reviendront et d’autres jamais plus, et pourtant c’est pour eux que nous faisons tous ces efforts.
— Tu sais que je rêve depuis longtemps de découvrir la vie et l’atmosphère d’un musée, non pas comme simple visiteur, mais de l’intérieur comme si j’en faisais partie, lui dit Ruf, et cela me donne une idée…
— Ah bon, qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu ne te moqueras pas de moi ?
— Bien sûr que non, dis-moi quelle idée tu as derrière la tête…
— Eh bien voilà, que dirais-tu de m’accueillir pendant quelques jours dans une fonction subalterne, discrète, et bénévole bien sûr, comme une sentinelle anonyme installée dans ton musée ? Je pourrais être utile comme appoint temporaire dans ton équipe de gardiens tout en assistant de façon presque invisible à tous les passages de visiteurs pour noter et décrire leurs réactions, imaginer qui ils sont et quelles sont leurs conversations et leur histoire, un peu comme s’ils se trouvaient les acteurs involontaires d’une pièce de théâtre dont je serais d’abord le spectateur discret et peut-être ensuite l’auteur ou le narrateur…
— Mais tu ne pourras pas te situer dans plusieurs endroits à la fois, et puis il ne faut pas que cela passe pour de l’espionnage ou de l’indiscrétion, comment l’expliquer aux équipes ?
— Il faudra leur en parler à l’avance et promettre que mes observations soient entièrement anonymes, je pourrai changer de lieu d’observation d’un jour à l’autre voire plusieurs fois dans la journée. Et puis il n’y aura aucune indiscrétion, je ne retiendrai que les postures de certains visiteurs, les plus marquants.
— Mais pour quoi faire finalement ?
— On verra bien, mais je pourrai sûrement t’apporter quelques idées nouvelles pour aménager tes collections et organiser de nouvelles expositions.