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Une cabane cloisonnée, perdue au milieu des bois. Un mystérieux geôlier. Une jeune femme amnésique qui tente par tous les moyens de s’échapper. Et l’exiguïté angoissante d’une prison dont les murs se rapprochent de jour en jour…
Sélénia devra affronter les vicissitudes de son présent et de son passé afin de déjouer son funeste destin.
Mais, à mesure que les souvenirs affluent et la reconnectent à la réalité, cette dernière lui échappe totalement. Mutilée par ses démons, combattant pour son avenir, Sélénia devra passer épreuve sur épreuve et se plonger dans les méandres de sa mémoire afin de comprendre qui la retient dans sa cellule. Et comprendre pourquoi elle y a été enfermée…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né dans le sud de la France,
Alexandre Elion a vécu une enfance solitaire avant d’entamer des études de lettres et d’anglais. Après son cursus, il voyage à travers plusieurs pays et découvre d’autres horizons inspirants, divergeant des univers
sombres et chimériques dont il s’est toujours nourri. Sa passion pour la faune, la nature et les ambiances ténébreuses ont forgé sa prose, ainsi qu’un style adéquat pour la Fantasy ou le Roman Noir. Inspiré par les maîtres du fantastique et du thriller, Alexandre Elion promet une écriture prolifique et des récits inédits dans le monde de l’imaginaire et du suspense.
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Seitenzahl: 307
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Couverture par Ecoffet Scarlett
Maquette intérieure par Ecoffet Scarlett
Correction par Sophie Leroy
© 2024 Imaginary Edge Éditions
© 2024 Alexandre Elion
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN : 9782385721619
AVERTISSEMENTS
Ce roman contient des scènes de tortures, de violences psychologiques, sexuelles et traite d’abus familial. Des scènes, des propos, peuvent heurter la sensibilité d’un lecteur non averti.
« Dans l'enfer, les places les plus brûlantes sont réservées à ceux qui, en période de crise morale, maintiennent leur neutralité. »
Dante Alighieri
L’absence de salive dans ma bouche me réveille. L’éclat diffus d’une goutte d’eau cognant contre une vitre me fait ouvrir les yeux. Je comprends déjà que quelque chose ne va pas. Il ne pleut jamais là où j’habite. Je ne sais plus où cela se trouve, car mon cerveau n’est qu’une bouillie sans nom, mais je suis certaine qu’il fait toujours beau et chaud là où je vis. Et qu’il n’y a jamais cette forte odeur de métal oxydé. C’est la troisième chose qui vient éveiller mon corps et le remet en état de marche. Ma vue reste trouble et ma gorge aussi sèche qu’une feuille de papier. Mon esprit est trop englué dans la mélasse pour penser à autre chose que le réveil de mes sens.
Je déglutis plusieurs fois. Je cligne des yeux. Je sens mes doigts bouger. J’ai toujours des doigts, deux mains, deux pieds. Je les sens. Je sens mes orteils frétiller douloureusement. Voyant toujours flou, je décide de garder les yeux fermés en attendant de comptabiliser la présence de mes membres. Un à un. Je dois les dégourdir l’un après l’autre afin de comprendre ce qui m’arrive et voir s’il ne me manque rien…
Mes yeux clos me plongent non pas dans le monde noir de l’obscurité, mais plutôt dans un univers d’un blanc étincelant. Comme lorsqu’on ferme les yeux face au soleil.
Je n’ai mal nulle part, mais mon engourdissement m’exaspère autant qu’il me terrifie. Où suis-je ? À l’hôpital ? Sur le bord d’une route en train de me vider de mon sang ? Ou chez moi, bien au chaud sous ma couette en train de faire un cauchemar ? J’exclus rapidement cette dernière hypothèse. La barrière entre le monde du rêve et la réalité a été franchie dès que j’ai senti ces relents de rouille envahir mes narines.
Je me concentre à nouveau et parviens à faire bouger les doigts de ma main gauche. Je ne me souviens pas si je suis gauchère ou droitière… Peu importe. Je verrai cela plus tard. J’essaie de mobiliser mes doigts de la main droite, mais sans succès. Par contre, mes hanches commencent à osciller faiblement. Je sens les os de mon bassin frotter subtilement contre ma peau, puis contre mon jean. J’ai un jean… Oui, j’ai un jean sur moi, j’en suis certaine à présent. Je sens sa rugosité contre mes jambes. Au moins, je ne suis pas toute nue, c’est déjà bien…
Mon pied gauche commence à faire des moulinets timides. Il semblerait que la partie gauche de mon corps veuille se réveiller la première. Je n’y vois pas d’inconvénient. Tant que tout finit par se relever, je n’aurai pas de mal à accepter la situation. Je suis une fille patiente. J’aime jauger une situation avant de m’y attaquer.
Je n’ai pas encore le courage d’ouvrir les yeux. Trop peur de découvrir ce qui se cache derrière cette odeur métallique immonde et ces gouttelettes éparses qui cognent contre une vitre. Il semblerait qu’il pleuve de plus en plus. Comme c’est étrange ce clapotis contre le verre. Étrange et terriblement mélodieux à la fois. Cela m’apaiserait presque si je n’étais pas si angoissée à l’idée de ne pas recouvrer l’ensemble de mes fonctions motrices.
Je sens ma hanche droite gigoter à son tour. Mon pied droit, puis ma jambe droite tout entière se défroissent peu à peu. J’essaie de plier un genou et y parviens non sans difficulté. J’humidifie mes lèvres délicatement, sens le goût du sel sur ma langue, la peau de mon visage qui se défige et des tiraillements à la naissance de mes paupières. Des larmes séchées, assurément. Étrange… Je pleure si rarement qu’il y a lieu de s’inquiéter.
Je décide de lever ma main gauche et de la poser sur mon ventre, je tâte mon nombril, le bout de mes seins ; j’ai un soutien-gorge, mais aucun pull ni t-shirt. Ma gorge semble intacte, mon menton également. Ma main refonctionne parfaitement bien. Je descends donc mes doigts vers mon pantalon : les boutons sont fermés. Mon vagin est indolore. Mes fesses sont à l’étroit, mais n’ont rien, d’après ce que je ressens.
Il est temps d’ouvrir les yeux, en espérant que ma vue ne soit pas aussi brouillée que tout à l’heure. Trois. Deux. Un… Courage.
Mon regard s’accroche en premier lieu à un carré de lumière au plafond. Non… Il s’agit de la vitre sur laquelle les gouttes tapent inexorablement. Une vitre fixe perçant une toiture rectangulaire. Mes yeux tentent tant bien que mal de s’habituer à la blancheur vive des lieux. J’essaie de relever mon buste, mais n’y parviens pas et découvre simplement la multitude de capitons encerclant la vitre. Je comprends alors que la lumière provient directement de l’extérieur. Il fait jour au-dehors. Un temps de printemps où une pluie éparse se mêle aux rayons tendres du soleil.
Je tourne la nuque et aperçois les murs de la pièce au centre de laquelle je suis allongée tel un cadavre. Des rembourrages noirs et moelleux recouvrent l’ensemble des murs. Les reflets satinés et la douceur de la matière caressent mes prunelles un instant. L’idée saugrenue que je me trouve à l’intérieur d’une boîte à bijoux me vient à l’esprit. Ou bien dans un de ces écrins où les joailliers rangent les beaux colliers de perles qu’ils présentent aux dames riches.
Mon regard, accoutumé à la luminosité fantastique des lieux, se tourne de nouveau vers la vitre. J’aperçois la myriade de gouttelettes qui s’amoncelle contre le carreau parfaitement nettoyé. Une branche d’arbre pourvue de mille feuilles, aussi belle qu’arrogante, se déploie au-dehors, juste au-dessus du carreau.
Où suis-je, bon sang ? Est-ce qu’on m’a fait une mauvaise blague ? J’ai peut-être été capturée ? Violée ? Je suis potentiellement victime d’un trafic d’êtres humains ? Comme ces filles que l’on drogue sans cesse et qui passent de bras en bras sans jamais s’apercevoir qu’elles sont devenues des déchets humains.
Non… Je ne pourrai le tolérer !
Mon cerveau se remet en marche si vite que je ne ressens pas la peur m’assouvir à nouveau. Une peur qui me donne un coup de fouet. De l’adrénaline pure. La meilleure drogue naturelle qui soit… Mes coudes me relèvent. Mon buste se redresse. J’étire ma colonne vertébrale, respire un grand coup. Ma main droite pendouille toujours, impossible de la réveiller. Mes genoux se déplient, si bien que je parviens à croiser mes jambes et à m’asseoir sur mes fesses, le front posé sur mes genoux. Ma nuque a encore du mal à tenir la lourdeur de mon crâne.
J’inspire exagérément une nouvelle fois ; si intensément que cela me fait penser au hennissement d’un cheval. La pluie poursuit son concerto cristallin, mais cela ne m’amuse ni ne m’apaise plus du tout. À présent, je comprends que la situation dans laquelle je me trouve est anormale.
Mon regard balaie le contour de la pièce et inspecte la multitude de coussinets capitonnés collés sur les parois. Ils semblent être d’excellente facture. La lumière entre par la seule et unique fenêtre au plafond, bien trop éloignée de moi pour être atteinte. Une moquette noire et chaude, sans odeur aucune, tapisse le sol parfaitement propre. Tout près de mon corps à demi éteint, je découvre un vieux seau en métal rouillé et fétide. Je n’ose songer à quoi il va me servir, mais comprends immédiatement d’où provenait cette odeur tenace d’oxydation.
Un détail flagrant agrippe soudain mon esprit et extermine ce qu’il restait de mes espoirs : je ne vois aucune porte…
À moins qu’une ouverture soit dissimulée dans l’ombre d’un mur ? Après tout, ces coussins collés aux parois semblent si épais qu’ils pourraient cacher n’importe quoi. Une seule solution : se lever pour en avoir le cœur net.
Je secoue ma main invalide dans l’espoir d’y faire affluer sang et mouvements, mais rien n’y fait. Ma main gauche, elle, recouvre peu à peu une motricité parfaite, si bien que j’exerce une pression sur le sol et, malgré la douleur dans mes épaules et mes coudes, je parviens à me glisser sur un genou. Mes muscles se réveillent à leur tour, et avec eux la douleur des courbatures. À mesure que mes os et mes membres reviennent à la vie, je me persuade que mon sommeil a été bien trop long. Formidablement long.
Où étais-je avant de m’endormir ? Avec qui étais-je ?
Ces questions ramènent mon esprit vers un éveil nouveau. L’adrénaline s’estompant, la raison revient peu à peu remplacer la rage, la peur et les efforts physiques de survie, par une conscience bien plus neutre de la situation. Une neutralité qui vient jeter des braises sur mon âme statufiée : mes souvenirs.
— Je…, balbutié-je. Je m’appelle…
Le souvenir de mon prénom, de mon nom de famille, de mon âge, du lieu où je réside, de mon propre visage… Tout cela m’est aussi interdit que l’accès à mes souvenirs d’enfance, d’adolescence, la conscience de qui je suis, de ce que je fais dans la vie… De mon existence même.
J’essaie désespérément de me raccrocher à quelque chose que je sais, mais ma mémoire se faufile profondément dans des abysses imaginaires dès lors que je tente de la capturer.
Je hurle. J’attrape mes tempes et me secoue le crâne. Mes coudes se balancent de gauche à droite dans une rage folle. Je lève mon second genou et me mets debout, criant toujours comme une dégénérée chaque fois qu’un souvenir glisse dans ma mémoire aussi furtivement qu’une bulle de savon. Me déplaçant tel un animal en cage dans ce que je qualifierais d’une « cellule », mes doigts courent sur les rembourrages à la recherche d’une poignée, d’une serrure ou du moindre interstice me permettant de découvrir une sortie. Je m’accroupis et laisse courir mes paumes tremblantes sur la moquette en quête d’une trappe, puis je me redresse et saute aussi haut que possible vers la vitre qui s’avère tout bonnement inatteignable. Même en grimpant sur un piédestal de fortune, je ne parviendrais pas à l’effleurer.
Arrivant à court d’options, mon cerveau comprend vite la fatalité qui m’est imposée… Ne sachant comment réagir, je mets un coup de pied dans le seau en pestant de rage.
— Un seau.
Je répète le mot de vive voix. Je sais ce qu’est un « seau ». Je sais ce qu’est une « vitre ». Je connais le mot « branche », je sais que cette branche dehors est rattachée à un arbre, lui-même probablement rattaché à une forêt. Je connais la couleur noire, la couleur blanche, la couleur bleue de mon jean. Je sais ce qu’est un jean, nom de Dieu ! Ma mémoire n’est donc pas totalement altérée.
— Si je connais le mot capiton, je devrais pouvoir me rappeler mon propre prénom, bordel !
Ma voix enrouée sonne bizarrement à mes oreilles, comme si je ne l’avais pas entendue depuis longtemps et la redécouvrais. Je secoue la tête et tente de raisonner... Au moins, ma crise m’a permis de me relever et de comprendre que je peux tenir debout sans trop d’effort.
OK, je ne sais plus comment je m’appelle, mais c’est peut-être dû à la drogue hypothétique que l’on m’a injectée. Ou bien est-ce l’effet d’un trauma ?
L’idée farfelue que je végète, prisonnière du coma, me vient tout à coup, mais je la balaie d’un revers de main en me pinçant l’oreille si fort que j’émets un couinement ridicule.
Je ferme les yeux et respire une bonne dizaine de fois d’affilée afin de me calmer. Trouver la clé du mystère qui m’enrubanne ne sera possible que si je demeure réfléchie et équilibrée. Non pas en piquant une crise de nerfs inutile. J’observe le seau que j’ai frappé du pied et constate qu’il est étonnement resté debout. Je m’en approche et identifie un fond d’eau à l’intérieur. La moquette autour est mouillée. Je hume le fond du seau, mais n’y découvre qu’une odeur de rouille.
Mes lèvres sont trop sèches et mon corps trop faible pour faire la difficile. J’avale quelques rasades d’un trait. Énergisée par l’effet de la réhydratation, ma gorge ne cesse de déglutir de plaisir et de happer le liquide frais qui pénètre dans mon corps et contribue à le ramener à la vie. Comme si je n’avais rien bu depuis des siècles.
Ragaillardie, je dépose le récipient métallique sur la moquette et fais un tour sur moi-même afin de mesurer la grandeur de la pièce. Un rectangle de vingt mètres carrés tout au plus. Mon salon ne doit être guère plus grand…
Mon salon ? Oui… Un souvenir s’accroche à mon cerveau de façon si inopinée que j’en ai le tournis. Je revois le plancher délavé, les tapis bleus, les couvertures beiges et blanches jetées nonchalamment sur le vieux canapé en tissu marron. Des flashs cognent contre mon esprit à la manière d’un fouet sur de la chair. Une douleur infâme envahit mon crâne, comme si le fait de me souvenir libérait un faisceau de pointes hérissées dans ma tête.
Je hurle à nouveau, fais les cent pas en attendant que le mal se dissipe, mais plus je me souviens des détails de mon salon, plus les lames imaginaires grandissent et me lacèrent. Je revois les vases de mauvais goût sur la bibliothèque, la lumière pénétrant par les stores vénitiens et révélant une poussière envahissante, la télévision allumée sur une de ces émissions grotesques où les gens viennent se plaindre devant des millions de téléspectateurs. J’entends les bruits dans la pièce jouxtant le séjour. Ça y est, j’y suis. Je fais partie intégrante de mon souvenir. La douleur est insupportable, mais je dois tenir bon. Je dois savoir d’où vient ce bruit, quelles sont ces odeurs de sauce, de viande grasse, de… Quelle est cette voix ? Cette voix que j’entends et qui crie ce prénom ?
J’essaie d’entendre, mais mon corps, dans la réalité de la pièce noire, ne cesse de se mouvoir en tous sens. Ma gorge est en feu. Mes cordes vocales vont se briser tant le mal déploie ses instruments tranchants dans mon crâne. Juste avant que je m’effondre et que je quitte ce souvenir en lambeaux, j’entends le prénom que mon esprit a tenté de me souffler :
— Sélénia !
Je vacille. La blancheur étincelante de la lumière recrée ce mur diaphane devant mes paupières closes. Le martèlement dans mon crâne est si fort que mes sens se perdent et s’emmêlent.
Je me retourne sur le sol et vomis toute l’eau ingurgitée auparavant. Le froissement dans mon crâne est moins puissant que durant ma traversée vers ma mémoire, mais il reste trop présent pour que je parvienne à me relever et à ouvrir les yeux.
Pourtant, malgré les épées froides qui me transpercent l’âme, je parviens à esquisser un sourire. J’arrive à me conforter dans l’idée que j’ai gagné mon combat contre la douleur. Mon combat contre l’entité, quelle qu’elle fût, qui m’empêche d’accéder à mes souvenirs dont j’ai rapporté à l’instant le plus beau des échantillons :
Mon prénom.
Je me réveille de longues minutes plus tard. Peut-être même plusieurs heures. Je l’ignore. Je sais simplement que la lumière au-dehors n’a que peu décliné. Le vent s’est levé. Ses rafales timides me font penser à des soupirs ou à des lamentations d’enfants. La branche pleine de feuilles charnues gratte contre la vitre comme si elle voulait entrer dans cette pièce que, dans mon malheur, je considère désormais comme ma geôle.
Mon mal de tête se dissipe peu à peu, à la manière d’un brouillard chassé par le soleil. Je laisse la lumière éveiller mes iris, me frotte les pommettes et me tapote vigoureusement les joues avant de me lever, visiblement ragaillardie.
Mon ventre gargouille férocement. Je n’ai rien dû manger depuis au moins une journée entière. Quelqu’un va-t-il m’apporter de la nourriture ? Quand ? Par quel moyen ? Je ne vois vraiment aucune porte perçant ces ridicules murs molletonnés.
Je décide d’explorer la pièce bien vide qui me retient prisonnière : ma main caresse les murs soyeux, à la recherche d’une trappe ou d’un interstice dissimulé. En vain. Je tâte le sol, essaie de soulever la moquette épaisse pour y trouver une sortie, mais rien n’y fait. Pas la moindre égratignure ni de coin écorné à soulever. Le seul moyen d’accéder à l’extérieur serait par cette foutue fenêtre, qui ne mérite pas vraiment ce nom-là. Il s’agit plutôt d’un simple carreau, au vitrage épais, sans poignée ni verrou. Cela dit, il se trouve beaucoup trop en hauteur pour vérifier si un mécanisme discret se dissimule dans les montants.
Des souffles d’angoisse m’envahissent de nouveau face à mes désillusions. Mon impuissance est telle que mes barrières mentales cèdent une à une. Je m’accroupis et pleure de nouveau, décidée à accepter le sort abject qu’une personne souhaite me faire vivre.
Une personne…
Oui, il doit bien y avoir une personne qui m’a menée en ces lieux ! Quelqu’un qui tire les ficelles et qui désire quelque chose de moi.
Une histoire de vengeance ? Le commerce de mon corps ? Une banale capture exécutée par un de ces fous qui kidnappe des jeunes filles et les enferme dans sa cave, peut-être ?
Non…, je ne crois pas à cette dernière hypothèse. Il s’agit généralement d’adolescentes ou de fillettes qui sont enlevées, non de jeunes adultes telles que moi.
Tiens, c’est vrai, je me rappelle que je suis une jeune femme et non une ado prépubère. Cela dit, il n’y a qu’à voir ma poitrine déjà développée et mes hanches dessinées pour s’en rendre compte. Je suis donc déjà allée au lycée, j’en suis certaine…
Où et quand ? Ça, c’est la question à mille points.
De quelle façon a-t-on pu effacer ainsi mes souvenirs ? C’est la question à dix mille points !
Je sais simplement, désormais, que je m’appelle Sélénia. Je vivais dans une maison des années quatre-vingt, à la campagne. Une maison mal entretenue, poussiéreuse, imprégnée d’odeurs familiales. Je sens encore ce fumet de viande juteuse mêlé à des relents de bois, revois ces tissus aussi délavés qu’oubliés, et des peintures si jaunies qu’elles ne semblent jamais avoir connu la lumière.
Le souvenir qui s’est imposé et a massacré mon cerveau tout à l’heure a laissé des sortes d’éclats de mémoire, disséminés çà et là dans mon esprit. En fermant les paupières, je parviens à voguer dans mon salon, à admirer le paysage qui se dessine à l’extérieur. Je m’approche de la vieille fenêtre au bois vermoulu et aperçois des champs de maïs à perte de vue. Une terrasse en bois au plancher usé jouxte les premiers terrains agricoles. Les alentours de ma maison ne sont qu’étendues dorées et nature verdoyante.
J’observe l’intérieur du séjour mal éclairé et remarque un petit drapeau des États-Unis croisé avec un fanion de couleur bleu nuit. Je m’approche plus près de cet étrange carré de tissu et y découvre un cercle multicolore présentant un paysage enfantin et des animaux, surmonté d’une fleur de tournesol et de cette citation latine : « AD ASTRA PER ASPERA ».
« Vers les étoiles à travers les difficultés » que je traduis instinctivement à voix haute. La devise de l’État du Kansas… J’habite dans le Kansas !
Ce qui expliquerait les champs de maïs à profusion encerclant ma maison ! Je m’accroupis et appuie mon dos contre un mur molletonné, rabats mes genoux contre ma poitrine et tente, avec espoir, de réunir les débris de mémoire qui stagnent dans ma tête. Le vide autour de moi entre en totale contradiction avec le fouillis sans nom que représente mon esprit. Mes pupilles font abstraction du néant de ma geôle, de sa lumière agressive et de ses murs noirs, pour entrer en collision avec les réminiscences qui s’imbriquent les unes dans les autres.
— OK. Je suis donc américaine, j’habite au Kansas et je vis visiblement avec une famille de producteurs céréaliers. Notre maison ne date pas d’hier et n’a jamais été entretenue correctement. Peut-être par manque de moyens ?
J’essaie de me remémorer qui sont les membres de ma famille et quel est notre nom, mais ne me reviennent que des échos vides et informes. Je tente alors d’aller au-delà de ma simple demeure et de retrouver le nom de la ville la plus proche. Celle où j’ai dû vivre ma scolarité jusqu’au lycée. Je me concentre à fond, cherche au-delà des terres ensemencées, vole au-dessus des immenses terrains dorés, verts, ou ocres. J’aperçois un arrêt de bus et me revois monter dans un de ces autocars jaunes typiques des États-Unis.
Je murmure :
— School Bus. Oui, je suis sur la bonne voie.
Mon corps mémoriel pénètre dans le véhicule, croise le regard du moustachu à l’allure goguenarde qui mate mon cul chaque fois que je file vers le fond de l’allée centrale. Oui, cet homme-là existe bel et bien. J’en ai la certitude. Je sais que je l’ai déjà croisé dans la réalité et qu’il va me mener vers d’autres pans de ma mémoire explosée.
Je vais m’asseoir sur la banquette la plus éloignée de la porte ; celle où le chauffeur vicieux ne peut pas me reluquer. J’ai la vague impression que je fais cela par habitude plus que par souvenir. Peut-être est-ce la même chose, après tout…
Le trajet reste flou dans mon esprit, mais je sais qu’il dure environ une vingtaine de minutes. Je ne vois nul paysage ni aucun autre passager, comme si mon cerveau se débarrassait des éléments superflus pour ne conserver que les souvenirs essentiels.
Lorsque j’entends la porte du bus s’ouvrir et que je découvre la petite ville, un autre débris de mémoire se reconstitue sous mes yeux et s’impose à moi. Un fragment immense qui se métamorphose soudainement et débloque une partie de mon esprit jusque-là inactive : la mémoire de mon enfance.
Les murs blancs de l’église me rappellent les dimanches à la messe quand j’étais petite fille. Les bancs oubliés le long de l’avenue me rouvrent les portes du passé : le parc, mes copines d’enfance, ma joie et ma bonne humeur de petite fille. J’entends les éclats de rire de mes camarades de jeu.
Seule dans ma pièce, yeux fermés, je souris aux images qui défilent sous mes paupières. Puis, ma mémoire me fait tourner la tête vers le chauffeur de bus qui me fait un clin d’œil. J’entends ce bruit caractéristique d’expiration des portes du bus qui se referment et me laissent seule face aux portes du collège où j’ai débuté mon 6th Grade.
J’ignore ce qui se passe dans mon esprit à ce moment-là, mais un déchirement s’opère et m’intime de faire machine arrière. Comme si franchir les portes de cet établissement, dans mon uniforme tout neuf, ma nouvelle coiffure et mes chaussures neuves, allait me faire plonger dans un gouffre sans fond.
Je rouvre les yeux et me retrouve dans la prison. La lumière a considérablement décliné depuis tout à l’heure. Mes yeux ont du mal à s’habituer à cette pénombre dont la profondeur se voit sublimée par les coussins et la moquette noirs. Alors que je me lève pour me dégourdir les jambes, une mélancolie délétère m’envahit. Ma cage thoracique se soulève. Des spasmes timides immergent mon thorax et des larmes incontrôlables effleurent mes joues. J’entends alors le vent se lever et la branche frotter la vitre avec véhémence, si bien que je lève mon regard vers le vacarme.
Or, mes pupilles ne découvrent pas ce à quoi elles s’attendaient. Mon corps m’impose de m’asseoir sans que j’en aie la moindre volonté. Des images folles submergent le plafond. Des couleurs vives, des couloirs blancs, des casiers vert olive, les carreaux bleutés de ma jupe de collégienne, une porte rouge…
Drogue. C’est ce que mon instinct ne cesse de hurler à travers les images psychédéliques qui m’enrubannent.
Un éclair zèbre le ciel derrière la vitre de la pièce noire, mêle sa brillance aux représentations floues qui envahissent mon regard et m’impose finalement un éclat si intense qu’il me replonge dans mes souvenirs.
Je me sens traînée de force dans mon corps mémoriel. Celui de la toute jeune fille qui entre pour la première fois dans ce collège et découvre que ses camarades n’ont plus le même avis sur elle. Cette petite fille qui comprend que les gens et les choses doivent se métamorphoser, évoluer, mourir et renaître. Cette adolescente en devenir qui va rapidement affronter les premiers démons de son existence.
— Non… Laissez-moi en paix.
Mes suppliques dans le monde réel s’engouffrent dans le néant de la pièce noire, tandis que mon esprit se pare de couleurs, de bruits féroces, de dialogues incohérents dans les couloirs, d’odeurs de transpiration dans les vestiaires, de rires moqueurs.
Puis, ma mémoire se fige soudainement.
Je sens le bois sous mes fesses alors que j’enfile mon pantalon de sport. Les adolescentes autour de moi, mes anciennes amies, sont presque nues, ou parées de vêtements dernier cri que je leur envie. Elles ricanent autant qu’elles m’ignorent. Je ne sais si ces deux informations sont liées, mais j’éprouve une angoisse profonde à me retrouver dans ce vestiaire où se mêlent des bruits de douche, des vapeurs d’eau chaude, des relents de déodorant bon marché et des rires de poufiasses en herbe.
Mon corps ressent ce dégoût de l’autre dans la réalité en même temps que celui imposé par ma mémoire.
Une fois habillée, j’enfile une casquette et me dirige spontanément vers la porte menant tout droit au terrain de baseball. J’agis d’instinct, comme guidée par une entité du passé qui connaît chaque geste et chaque instant du parcours qui l’attend. À la différence près que mon esprit d’adulte a une parfaite conscience d’assister à une scène mémorielle exigée…
Je crie de nouveau dans la pièce sombre. Même lorsque j’ouvre les yeux, je replonge dans ce souvenir et ne parviens plus à accéder au monde réel qui m’entoure. Bien que ce dernier n’ait plus aucune saveur ni d’avenir certain, je déploie une énergie intense pour y revenir et affronter ce qu’il m’est possible d’affronter.
Car ici, au milieu de ce passé immuable, je sais déjà que des choses ignobles vont se produire. J’ignore encore quoi et quand, mais je pressens une noirceur derrière chaque débris de mémoire qui se plante dans mon esprit. L’impression imbuvable qu’il va falloir se battre avec une forêt de ronces indémêlables.
Ça y est, me voilà implantée dans le corps de mon double du passé, mon moi d’une autre époque. Impossible de réintégrer mon corps présent…
L’adolescente que je suis et dont je perçois chaque mouvement a des gestes sûrs. Lorsque j’avance sur le terrain de baseball, je me place instinctivement sur la base du receveur, une batte entre les mains et un casque enfoncé sur le front. Mes cheveux noirs sont attachés dans mon dos. Je suis déjà grande et forte pour mon âge, contrairement à mes camarades qui ont encore une taille d’enfant. Les autres collégiennes ont un début de poitrine, des petites jambes effilées et des cheveux blonds, châtains, auburn. Je suis la seule à posséder cette carrure charpentée et cette longue tresse brun foncé. Je sais pertinemment que je suis bien trop différente pour faire partie de leur cercle très fermé. Ma taille et mes facilités sportives font peur aux garçons. Je suis donc aussi seule que peut l’être une ado refoulée par tout un collège.
Pourtant, je sens en moi une aura que nul ne détient. Lorsque la balle de baseball arrive dans mon champ de vision, je la frappe spontanément de toutes mes forces et l’envoie si loin vers le champ centre que j’en reste bouche bée.
J’entends alors la voix d’un homme qui se distingue parmi les éclats d’étonnement des autres élèves. Une voix qui me crie :
— Cours ! Cours, Sélénia !
Mes longues jambes filent vers la première base à une vitesse folle. Je suis alors consciente de mon corps : son élancement, sa force et son aiguisement idéaux pour le sport. Je suis née pour être une athlète, j’en ai la conviction la plus profonde. Je dépasse les élèves prostrés dans leur position, atteins une vitesse vertigineuse qui me fait oublier tout ce qui m’entoure : les ricanements, les œillades moqueuses, les soupirs. Je n’entends plus que le timbre doux de cet homme brun, à la barbe courte et au physique structuré. Son débardeur rouge détonne parmi les tenues bleu et blanc de notre équipe. Je ne perçois plus que ses encouragements alors que je vole vers la troisième base, la franchis et atteins le marbre.
Je marque un point pour mon équipe, mais n’en tire aucune satisfaction ; pour la bonne et simple raison que personne d’autre ne me félicite que le monsieur vêtu de rouge.
— Bravo, Sélénia.
Il enlève ma casquette et m’ébouriffe les cheveux. Je discerne l’habitude de ce geste machinal et ressens une forte pression dans mon cœur. Je comprends alors que cet homme n’est nul autre que mon père…
— Vittorio, m’entends-je souffler dans la réalité.
Tout le monde l’appelle Tori ou Torio. Sa barbe et ses cheveux noirs lui donnent des airs ténébreux. Il est beau, grand, fort et affiche des mains puissantes. Il possède cet embonpoint qu’ont tous les pères de famille, mais garde en permanence cet air souverain qu’ont les…
… Italiens. Papa est d’origine italienne !
Ma mémoire se ferme soudainement et m’immerge dans un océan de blancheur. Je sens ma peau frôler le sol. Mes membres convulsent sans que je puisse interagir avec la réalité. Mes yeux s’ouvrent et découvrent la noirceur envahissante qui imprègne à présent ma cellule. Des larmes glissent le long de mes joues alors que mon thorax bondit sans cesse.
De nouveau, je me dis qu’un puissant psychotrope m’a été inoculé à mon insu.
Peu à peu, mes tremblements cessent. Mes pupilles se figent, ma conscience s’englue dans un nouveau flashback où je me vois invitée à franchir une porte rouge que ma mémoire dessine dans mon esprit.
Mon corps astral pose la main sur la vieille poignée dorée. Mes bracelets brillants, mes veines saillantes et ma peau blanche m’indiquent que je ne suis plus une petite fille. Bien des années sont passées, laissant en suspens des souvenirs auxquels je ne puis accéder, mais je sais que je suis à présent une femme. Une dernière larme roule sur mes joues. Ma volonté refuse de franchir cette porte, mais la réminiscence l’exige si puissamment que je ne peux la contrer.
Je pénètre dans ma chambre d’enfant et y découvre une petite fille au teint pâle, aux doigts roses et à la chevelure noire. Elle est allongée sur son lit, endormie. Paisible. J’ignore qui cela peut être. Il ne me semble pas la connaître, mais elle me ressemble étrangement. Comme si la représentation d’un autre moi encore plus jeune s’intégrait naturellement dans mon souvenir afin de me guider.
Je laisse la fillette seule et fonce vers une autre porte débouchant sur le couloir. Je me trouve à l’étage de ma propre maison. Je m'observe dans un miroir dont le tain se marbre de zébrures brunes. Mon visage est celui d’une jeune femme. Ni lycéenne ni complètement adulte. Élancée, le visage carré et de longs cheveux bruns, je découvre la version adulte de l’adolescente trop grande pour ses treize ans. J’ignore quel âge j’ai, mais je constate une chose : mon regard reflète l’horreur. Mes iris bleu nuit ont si peu d’éclat que mes prunelles paraissent avoir envahi la totalité de mon regard.
Qu’importe. Plus rien ne semble compter. Plus rien d’autre que ma destination et mon intention. La détermination et la pensée de mon double mémoriel s’imprègnent littéralement dans mon propre esprit, me forçant à revivre cette réalité passée comme si je m’y trouvais encore.
J’entends mon souffle s’accélérer dans la réalité, mes angoisses soulever ma poitrine et mes paupières tressaillir. J’entends la branche frotter frénétiquement contre le carreau ; je ressens la noirceur totale qui a désormais envahi ma prison, et la moquette frotter doucement contre mon dos nu. Mais je ne vois rien de tout cela, ma vision se trouvant totalement happée par ces résurgences psychédéliques.
Mon corps mémoriel se saisit d’un objet que je n’ai pas envie de regarder. Je sens sa courbure et sa solidité. Je sais bien de quoi il s’agit et ce que je vais en faire. Une nouvelle porte s’ouvre devant moi. Son teint délavé et ses fissures me confirment que je suis bien dans ma propre maison, que je vais rentrer dans la salle de bains du premier étage.
Mon père se tient devant le lavabo. Quelques années de plus n’ont pas réduit sa prestance ni son charisme. Une lame de rasoir glisse le long de son cou et enlève la mousse en même temps que ses poils, laissant à découvert une peau rigide piquée d’une barbe rase. Je l’observe passer le fer coupant sous l’eau chaude, son regard fier se perdant dans les salissures de la glace et les vapeurs d’eau chaude. Je le trouve aussi beau que répugnant.
Je lui montre que je suis là.
— Bonjour, Vittorio, m’entends-je dire.
— Sélénia ? Que…
Nul le temps de prononcer une dernière phrase. La batte de baseball que je tiens fermement entre mes deux mains s’abat sur la tempe de mon père. Le sang gicle violemment sur la glace pleine de buée, le rasoir tombe au sol en émettant une musique métallique et le clapotis du robinet d’eau ouvert poursuit son chant.
Un seul coup a suffi pour le tuer. Je vois bien que son crâne est ouvert, que son cerveau gonfle sous la pression et que ses cheveux s’emmêlent dans cette bouillie informe rouge et rose.
Des larmes réelles courent le long de mes joues tandis que je me revois frapper l’occiput de mon père, ma batte s’engorgeant d’hémoglobine et mes cris de rage cadençant la scène sordide qui s’impose à mon esprit.
Alors que mon corps mémoriel poursuit sa danse cauchemardesque, mon hurlement concret me ramène à la réalité. La pièce est plongée dans un noir presque total, faiblement éclairée par de vagues lueurs lunaires. Cela m’importe peu. Secouée par le chagrin et par l’horreur, je me recroqueville sur moi-même, me frappe les tempes et m’arrache quelques cheveux.
Les tremblements ne cessent de traverser mon corps comme si mon esprit voulait se détacher de ce dernier, se séparer de cette arme, de cette machine sanguinaire qui a commis le pire des méfaits : un parricide. Comme si la drogue hallucinogène s’extrayait de mon épiderme en broyant chacun de mes nerfs.
Comment… ? Comment ai-je pu perpétrer un crime aussi irréparable ? Et surtout, pourquoi ?
Ce mot reste étrangement en suspens dans ma tête. Il se greffe à mon esprit et prend tout à coup une place infinie, pousse toutes les autres pensées, calme mes angoisses et jette un voile apaisant sur ma peur.
— Pourquoi ? demandé-je aux ténèbres.
En guise de réponse, ces dernières m’imposent l’obscurité : un sommeil profond dans lequel je m’engouffre sans le vouloir. Alors que le sourire de mon père apparaît devant mes yeux, le néant enveloppe tout et m’emporte dans sa tanière.
Un vent effroyable souffle au-dehors. Des brindilles ne cessent de taper contre le carreau. J’ouvre les yeux sur ce dernier et le découvre zébré de poussière. J’aperçois tout de même la petite ramure suspendue au-dessus de moi qui a perdu la plupart de ses feuilles, certainement à cause du vent, et m’habitue progressivement à la lumière faiblarde de ce qui m’apparaît comme une aurore.
De vagues lumières rose et bleu ciel irisent l’atmosphère. Du moins le peu que je puis en entrevoir à travers cette vitre dégoûtante. Je me délecte un bref instant de cette image fantastique et de ces couleurs avant d’accueillir dans la douleur la cruelle réalité de ma situation.
Je m’appuie sur mes coudes et m’aperçois que la pièce est toujours identique, parée de ses coussins noirs satinés, sa moquette foncée et son scellement le plus total. Je m’agenouille et laisse mon désespoir couler hors de mon corps. Je sais que pleurer et hurler me fera basculer vers le vide. Un vide qu’il me faudra remplir et combler de ma force.