SenS - David Marie - E-Book

SenS E-Book

David Marie

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Beschreibung

Un adolescent sort du coma trois ans après une chute violente et recouvre ses facultés avec une rapidité déjouant les pronostics et les connaissances des médecins. Une vingtaine d'années plus tard, un enfant atteint d'autisme guérit subitement de manière inexplicable tandis qu'une agent de crèche, a priori sans histoire, est retrouvée morte. Y a-t-il un lien entre ces différents évènements et quelles sont ces personnes qui semblent s'y intéresser de près ? Le lieutenant Marc Langard est chargé de l'enquête. Ses investigations vont l'amener à s'interroger sur le caractère isolé de l'homicide et à entrapercevoir l'existence de faits et personnes hors normes.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Prologue

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Chapitre XXI

Chapitre XXII

Epilogue

Prologue

Cela fait des années qu’il se sait en danger.

Il est conscient des moyens dont disposent ceux qui veulent le retrouver, lui et sa famille, ainsi que de leur détermination.

Il est devenu d’une prudence de Sioux, au fil du temps, afin de se fondre dans la masse en s’imposant différentes règles auxquelles il ne déroge jamais.

Lorsqu’il a appris qu’il avait été identifié par la police, il a immédiatement pris conscience du fait qu’ils allaient devoir, encore une fois, prendre un nouveau départ, ailleurs. Ceux qui les traquent ne devraient pas tarder à parvenir à leurs fins s’il ne fait rien. Il est même surpris que ce soit la police qui ait été la première à le dénicher.

Il s’en veut d’avoir accepté ce rendez-vous car depuis qu’il a quitté son interlocuteur, il est pris en filature par l’officier dont ce dernier lui a parlé. Il est peine perdue d’essayer de le semer, lui et ses collègues, car il sont certainement nombreux et rompus à ce type d’exercice.

Il prend une ligne de métro au hasard et, après une vingtaine de stations, descend à Montrouge, le terminus.

Il avance sans trop savoir quoi faire. Il suppose que l’on cherche à identifier l’endroit où il vit, mais alors pourquoi ne pas l’arrêter et procéder à un contrôle d’identité ?

Il marche d’un pas sûr sans pour autant savoir où il va et essaie de passer en revue les différentes options qui s’offrent à lui. Pour l’heure, il n’est pas question de rentrer à son domicile. Il alterne entre les trottoirs des grandes avenues et la traversée de différents squares. Il ne comprend pas cette filature plutôt grossière tant le policier semble ne pas se faire violence pour essayer de passer inaperçu. Mais bon, au moins, il n’a rien à craindre tant que les forces de l’ordre sont dans le coin !

Alors qu’il s’interroge toujours sur la stratégie à adopter afin de gérer cette situation, il croit entendre des bruits de lutte dans le square qu’il vient de quitter. Il jette un coup d'œil derrière lui et constate l’absence de celui qui le file depuis un petit bout de temps. Son sentiment initial de soulagement se transforme rapidement en inquiétude. Il ralentit le pas, histoire de pouvoir vérifier s’il est toujours surveillé.

Au bout de quelques courtes minutes, il ressent une présence malveillante derrière lui qui l’amène à se retourner à nouveau.

Ce sont eux ! Il ne les a jamais vus auparavant mais ses sens ne sauraient le trahir. Ils sont deux et se lancent à sa poursuite dès qu’ils ont compris qu’il les avait repérés.

Lui aussi court. Il n’a jamais couru aussi vite.

Mais où sont passés les flics ?

Il se rend rapidement à l’évidence : il est seul et ne pourra pas leur échapper. Au détour d’une rue, il jette son portefeuille dans une poubelle. Ils ne pourront pas avoir d’informations sur lui lorsqu’ils le fouilleront.

C’était la première étape pour tenter de protéger les siens.

Ils se rapprochent. Un camion arrive à vive allure face à lui. Il se jette sous ses roues.

C’était la seconde étape.

I

Périgueux, 2037

C’est la première fois que Fabien pénètre dans un commissariat. Il ne savait pas trop à quoi s’attendre avant d’en pousser la porte. Les seules références qu’il a en tête sont celles liées aux nombreux films et séries qu’il a visionnés par le passé.

Des lieux plutôt glauques à la salubrité douteuse caractérisent souvent l’image renvoyée par les fictions émanant de l’autre côté de l’Atlantique. L’agitation en est également un élément récurrent, permettant d’établir un contraste entre le gentil héros totalement désorienté et le tumulte généré par des agents accompagnant manu militari un type menotté à la mine patibulaire tandis que deux filles de joie courtement vêtues se crêpent le chignon. La luminosité est en général tout sauf naturelle, des éclairages défectueux n’arrangeant rien à l’affaire.

Il est donc relativement surpris lorsqu’il entre dans le commissariat de Périgueux. Le bâtiment semble assez récent, bien entretenu et, surtout, le calme y règne. Même s’il ne s’attendait pas à voir l’inspecteur Harry ou Jack Bauer débouler devant lui pour aller secourir une veuve éplorée ou un ado séquestré, il s’imaginait malgré tout que, même dans une petite ville de province, une certaine effervescence devait caractériser ce genre d’endroit. Ayant fait le constat que l’image qu’il se faisait du lieu était totalement déformée par de trop nombreuses heures passées devant les écrans, il se dirige vers l’accueil où deux fonctionnaires sont affairés. L’un a les yeux rivés sur son ordinateur, semblant faire des recherches, tandis que le second est au téléphone. A l’approche de Fabien, ce dernier raccroche le combiné.

- Je peux vous renseigner ? lui demande-t-il

- Oui, mon épouse a disparu !

Si ce genre de déclaration est systématiquement pris très au sérieux, le regard hagard de l’homme qui se présente, ses cernes, ses yeux rouges et son visage, d’une pâleur parfois annonciatrice de malaise à venir, en rajoutent à la nécessaire attention de l’agent à qui il a répondu.

- Je suis rentré chez moi ce matin à 6 heures, et elle n’était pas à la maison. Je l’ai cherchée toute la journée mais personne ne sait où elle est. Ça fait deux jours qu’elle ne s’est pas pointée à son travail.

- Marco ! crie l’agent en direction d’un de ses collègues qui semblait sur le point de quitter le commissariat. Tu peux venir s’il te plait ?

L’homme, d’une petite cinquantaine d’années, aux cheveux bruns, mi-longs et gominés a l’allure d’un Antonio Banderas à l’époque du film Desperado. Le teint mat, de taille moyenne, il boîte légèrement malgré un physique élancé, d’apparence plutôt sportive. Semblant résigné à devoir repousser la fin de sa journée de travail, il revient sur ses pas en direction du collègue qui l’a appelé.

- La femme de ce monsieur a disparu. Tu peux t’en charger ?

- J’avais prévu d’aller courir un marathon ce soir, répond Marc avec un sourire forcé. Ce sera pour une prochaine fois ! Venez avec moi, on va s’installer dans mon bureau, dit-il à Fabien.

Les deux hommes empruntent un escalier pour se rendre au premier étage. Loin des plateaux ouverts, bien connus des fictions américaines, ce sont des bureaux visiblement dimensionnés pour une à deux personnes devant lesquels ils passent jusqu’à entrer dans une pièce sur la porte de laquelle est inscrit Lieutenant Marc Langard .

L’officier de police prend place sur sa chaise tout en invitant Fabien à s’asseoir également.

- Vous allez m’expliquer ce qui vous amène, dit-il après s’être muni de feuilles blanches et d’un stylo. Mais d’abord pouvez-vous décliner votre identité ?

- Je m’appelle Fabien Bertin. J’ai quarante-six ans et j’habite dans un pavillon, rue du moulin, à Trélissac, avec ma femme, Béatrice.

- Ok ! Et donc, vous vous inquiétez pour elle ?

- Oui. Je suis chauffeur routier et il m’arrive souvent de quitter la maison pendant plusieurs jours en fonction des commandes qu’on a. Là, j’étais parti quatre jours. J’avais une livraison à faire en Espagne, à Cordoue. D’habitude, avec Béa, on s’envoie un message au moins une fois par jour quand je suis en déplacement. Déjà, ça m’a semblé bizarre de ne pas avoir de nouvelles de sa part il y a deux jours. Elle est plutôt du genre possessive et facilement inquiète si vous voyez ce que je veux dire.

N’attendant pas de réponse de la part du policier, il poursuit.

Hier, rebelote ! Du coup, j’ai essayé de l’appeler mais je suis directement tombé sur son répondeur. C’est vraiment pas son genre mais je me suis dit qu’elle avait sûrement laissé la batterie de son téléphone se décharger.

- Vous n’avez pas essayé sur la ligne fixe ? l’interrompt l’officier.

- Ça n'aurait servi à rien : on en a marre de tous ces appels plusieurs fois par jour pour nous dire qu’on peut faire poser une éolienne pour les particuliers dans notre jardin pour un euro, nous vendre une mutuelle ou nous proposer une nouvelle chaudière. Alors chez nous, le téléphone fixe est débranché depuis longtemps.

Je suis rentré au dépôt ce matin, sur les coups de 5h30. Le temps de prendre ma voiture, de passer par la boulangerie pour acheter du pain et des croissants, et je suis arrivé chez moi vers 6h00. Je n’ai pas fait de bruit en entrant parce que ma femme se lève à 6h30 en général. Elle est agent de crèche. J’ai préparé le petit déjeuner et puis, comme je ne la voyais pas arriver, je suis allé voir dans la chambre : elle n’y était pas !

- Elle a l’habitude de découcher ? l’interroge le policier tout en poursuivant sa prise de note.

- Pas du tout ! répond Fabien, visiblement outré par la question.

- Bon, qu’avez-vous fait ensuite ?

- J’ai encore essayé de la joindre sur ton téléphone mais je suis de nouveau tombé sur sa boîte vocale. Je suis allé voir au garage si la voiture y était bien garée, mais il était vide. Là, j’ai commencé à me dire que quelque chose ne tournait vraiment pas rond. J’ai passé plusieurs appels à ses amis pour savoir s’ils savaient où elle était. J’ai pensé qu’elle avait peut-être eu une soirée un peu arrosée, même si ce n’est pas son genre, et que par prudence, elle avait préféré rester sur place pour ne pas reprendre la route éméchée. Aucun d’entre eux n’a eu d’échange avec elle depuis ces deux derniers jours, pas même Emma. C’est sa meilleure amie. Elles discutent ensemble presque tous les jours au moins quinze minutes au téléphone .

J’ai attendu 8h00 que la crèche où elle travaille soit ouverte pour y passer également un coup de fil. Je suis tombé sur la directrice qui m’a dit son incompréhension. Béa n’a jamais raté un jour de boulot depuis qu’elle y bosse, il y a plus de dix ans, et ça fait maintenant plus de deux jours qu’elle est absente sans que personne n’ait été prévenu.

J’ai passé une bonne partie de la journée à fouiller la maison pour essayer d’y trouver quelque chose qui aurait pu m’indiquer où elle était ou qui puisse me rassurer sur le fait qu’elle aille bien. Je ne sais pas vraiment ce que je cherchais, mais une chose est sûre, c’est que je n’ai rien trouvé. J’ai essayé plusieurs fois de la contacter, mais que dalle ! Je tombe toujours sur ce putain de répondeur ! dit Fabien tout en essayant de maîtriser sa voix qui devient de plus en plus chevrotante.

J’ai fait plusieurs fois le trajet entre la maison et son travail, des fois qu’elle aurait eu un accident sur la route, qu’il y aurait eu un problème. Je n’ai rien vu de particulier. J’ai appelé les urgences de l’hôpital pour savoir si quelqu’un ressemblant de près ou de loin à Béa avait été pris en charge ces dernières quarante-huit heures : encore que dalle !

- Vous avez très bien réagi, dit le policier tandis qu’il consulte son ordinateur.

Le fichier des personnes retrouvées ces deux derniers jours, qu’elles soient identifiées ou pas, ne référence aucune femme. Avez-vous une photo récente de votre épouse avec vous ?

- J’ai un selfie, sur mon téléphone, qu’on a pris il y a trois semaines.

Fabien montre l’écran de son téléphone sur lequel on peut le voir avec son épouse. Béatrice Bertin a un look qui ne passe inaperçu : une coupe au carré soignée met en valeur la coloration bleu pastel de ses cheveux.

Ils sont assis l’un à côté de l’autre, visiblement très contents au regard du sourire qui parcourt leur visage. Marc croit reconnaître le tonnerre de Zeus en arrière-plan, une attraction du parc Astérix qu’il a lui-même eu l’occasion d’apprécier, il y a bien longtemps.

- Vous pouvez me l’envoyer sur mon mail ? demande-t-il au mari inquiet tout en lui tendant une carte de visite.

- Et c’est tout ? s’enquiert Fabien

- Non, non ! Nous allons procéder par étapes, mais d’abord, et sans aucunement vouloir minimiser l’importance que l’on donne à votre déclaration, il faut savoir qu’en France, chaque année, sur les quarante-mille personnes déclarées disparues, trente-mille sont retrouvées. L’issue est très souvent heureuse.

Vous allez rentrer chez vous et garder votre téléphone allumé. Si votre femme est de retour d’ici demain matin, vous me passez un coup de fil. Si ce n’est pas le cas, je passe demain à la première heure, à votre domicile, pour aller plus loin dans les investigations.

Le lieutenant Langard raccompagne Fabien jusqu’à la sortie du commissariat en lui citant quelques exemples de personnes retrouvées alors que leurs proches craignaient le pire. Dans de nombreux cas, il s’agit de disparitions volontaires de durée plus ou moins courte, résultant d’un trop-plein, d’un burn out dont les proches ne s’étaient pas rendus compte ou avaient minimisé l’importance, lui confie-t-il.

Rentré chez lui, Marc s’avachit dans son canapé, une bière à la main. Il doit passer chez Hélène à 19h00. Ils ont prévu d’aller dîner en ville. Dans la mesure où il est clair qu’il ne pourra pas y être à l’heure convenue, il lui envoit un message depuis son téléphone pour lui préciser que sa journée de travail s’est éternisée et qu’il aura probablement une grosse demi-heure de retard, le temps de prendre une douche, maintenant qu’il a enfin pû repasser par chez lui.

N’étant pas coutumier du fait, il est certain qu’elle ne lui en voudra pas.

A défaut de partager leur vie comme le font la plupart des couples conventionnels, ils ont une relation que l’on pourrait qualifier d’amoureuse sans clause d’exclusivité. Ils ne se sont pas fixés de règles spécifiques depuis le début de leur histoire commune commencée il y a trois ans à présent. Ils ont simplement convenu d’être honnêtes l’un avec l’autre si jamais cette situation ne leur convenait plus. Marc a toujours fonctionné de la sorte. Une fibre paternelle qu’il considère inexistante et une aversion pour la routine en sont, selon lui, probablement à l’origine. Il sera toujours temps d’avoir une vie sans surprise, et donc potentiellement sans piment, lorsqu’il sera à la retraite, pour peu qu’il accède un jour à ce qui ressemble de plus en plus à un concept utopique.

En attendant, il apprécie énormément ce mode de fonctionnement tant qu’il se fait dans le cadre d’un respect mutuel, bien entendu. Il aime particulièrement la phase de séduction qui précède le début de toute relation. L’avantage de ce fonctionnement, qui pourrait être qualifié de libertinage, c’est que la séduction doit être permanente. En l’absence assumée d’engagement à la fidélité, et dans la mesure où il souhaite préserver son ego, il considère chaque nouvelle aventure pour sa concubine comme un échec personnel.

Le fait qu’elle ait pu être sensible aux charmes d’un autre prétendant, signifie qu’il n’a pas été bon à moment donné : manque d’attentions, sexuellement pas au top, insuffisamment à l’écoute, les motifs de lassitude ou d’envie d’autre chose peuvent être nombreux. Ce type de relation l’oblige à considérer, comme cela devrait être le cas dans chaque couple, se dit-il régulièrement, que rien n’est jamais définitivement acquis et que se remettre en question en permanence est indispensable.

De son côté, au fil des années qui passent, il éprouve de moins en moins l'envie d'aller voir ailleurs. Si par le passé son besoin de séduction était très important, à présent, il estime ne plus avoir à se prouver qu’il peut plaire. Même s’il n’est plus de première jeunesse, il fait tout de même en sorte de s’entretenir tant physiquement qu’intellectuellement.

En se déshabillant avant d’aller sous la douche, il grimace lorsque la douleur à la jambe gauche, qui le fait boiter depuis quelques jours, lui rappelle que l’exercice physique qu’il s’évertue à pratiquer doit être adapté.

Lors du week-end précédent, il s’est essayé au squash avec un de ses neveux. Oubliant un court instant la grosse vingtaine d’années qui les sépare, il a cru pouvoir se passer d’un échauffement suffisamment important pour éviter toute déconvenue musculaire. La partie a été rapidement interrompue lorsqu’il a ressenti une douleur vive derrière le mollet. Il va en entendre parler lors des prochaines réunions de famille, et ce sera de bonne guerre !

Après s’être rapidement lavé et changé, il quitte son appartement situé dans le centre-ville de Périgueux. Il va retrouver Hélène qui habite à une dizaine de minutes de chez lui. Cette durée n’est cependant valable que lorsque la marche n’est pas contrainte. En l’occurrence, en ce qui le concerne, la durée du parcours sera portée à un quart d’heure, ce qui lui laissera cinq minutes de plus pour se promettre de ne plus oublier que l’expérience et la sagesse, qui sont censées être les siennes, doivent servir de temps en temps, surtout face à un petit jeune qui va pouvoir narguer son vieil oncle pendant de trop longues semaines.

Arrivé à proximité de l’immeuble où elle habite, Marc lui envoie un message lui signalant son arrivée imminente à l’allure d’un escargot. Hélène sort de chez elle alors qu’il n’est plus qu’à une dizaine de mètres de sa porte d’entrée. En le voyant, elle se dirige vers lui, un superbe sourire illuminant son visage.

- Ton infirmière est là ! lui susurre-t-elle à l’oreille après l’avoir langoureusement embrassé.

- Le simple fait de te voir me permet déjà d'aller beaucoup mieux, mais il faut rester vigilant. Rien ne dit que je n’aurai pas besoin de soins un peu plus tard. Il ne faut prendre à la légère ces blessures dont la gravité et la sournoiserie sont souvent minimisées, lui répond-il en fronçant les sourcils de manière à bien marquer l’ironie de ses propos.

- Soyons prudents, effectivement ! Veux-tu que nous appelions une ambulance pour aller dîner ? lui demande-t-elle dans un grand éclat de rire.

Ils marchent pendant quelques minutes pour rejoindre l’épicurien, un restaurant gastronomique du centre-ville de Périgueux qu’ils apprécient tout particulièrement. Ils adorent déambuler dans les rues pavées où la pierre blonde de couleur jaune pâle, également utilisée pour les constructions, confère une chaleur très agréable aux lieux. Les vieilles bâtisses aux façades en calcaire, caractéristique du centre-ville de Périgueux, délimitent des rues piétonnes parfois étroites qui constituent des invitations à la promenade. Si l’animation de la ville n’est bien évidemment pas celle des grandes métropoles, ils se satisfont tous deux de son charme et de son calme.

Une fois installés, ils commandent une bouteille de Pouilly Fuissé qui les accompagnera une bonne partie du repas.

- Alors, qu’est-ce-qui justifie ton intolérable retard à notre rendez-vous qui devrait être la première de tes priorités ? lui demande-t-elle avec un sourire malicieux.

- Je suis absolument confus, j’ai été très vilain ! lui répond-il en lui renvoyant son sourire.

Plus sérieusement, au moment où je m’apprêtais à partir, un type est arrivé au commissariat pour déclarer la disparition de sa femme. Il avait l’air totalement perdu. J’ai dû passer un peu de temps avec lui afin d’essayer de comprendre ce qu’il se passait.

- Une disparition à Périgueux ! Elle a certainement voulu partir avec son amant ou alors c’est son mari qui lui a réglé son affaire. Ce n’est pas toi qui me disais il y a quelque temps que dans ce genre d’histoire, l’homme est souvent impliqué ?

- Si, c’est bien ce que je pense habituellement, mais là, si la disparition est confirmée, l’alibi du mari devrait être très facile à vérifier. Il était censé être en Espagne au moment où son épouse n’a plus donné signe de vie. A moins qu’il soit totalement stupide et qu’il ait inventé cette histoire, je ne pense pas qu’il soit aux manettes de quoi que ce soit. Enfin, ça, c’est mon avis après trente minutes passées avec un homme apparemment déboussolé. Si je me trompe, ce ne sera pas la première fois que ma première impression est erronée. J’en saurai plus demain matin : je dois me rendre chez lui si sa femme n’est pas réapparue d’ici là.

Bon, et vous madame la conseillère bancaire, qu’est-ce-qui a pimenté votre journée ?

- Tu veux dire en dehors du cinq à sept avec le plombier et l’électricien ? l’interroge-t-elle d’une voix suave.

- Exactement ! dit-il avec une fausse lassitude.

Ils passeront ainsi la soirée à échanger sur différents sujets plus ou moins sérieux et évoqueront également une prochaine semaine de vacances qu’ils envisagent de passer ensemble le long de la mer adriatique. La destination précise reste cependant à déterminer. La short list des destinations possibles est, pour l’instant, constituée de la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie. Comme à chaque fois, ils se décideront dans les derniers jours précédant la date prévue pour le départ en fonction de la météo, de l’actualité géopolitique mais surtout de leur humeur du moment.

Un peu éméchés, ils rentrent comme ils sont venus, c’est-à-dire à pied, en se tenant par la main. Ils déambulent ainsi dans les rues du centre-ville où l’éclairage urbain permet de profiter encore différemment des lieux. La vitesse du couple n’est pas plus élevée qu’à l’aller malgré l’alcool qui semble avoir un pouvoir anesthésiant sur la jambe douloureuse de Marc.

Arrivés au pied de l’immeuble dans lequel Hélène réside, ils ne mettent pas bien longtemps à décider que c’est ici qu’ils passeront la nuit pour éventuellement, à un moment donné, peut-être même y dormir.

II

Clichy, 2019

- Jules ! Lucas ! La voiture est chargée, on vous attend pour partir ! Ah, ces deux-là, si on pouvait leur greffer des écrans pour jouer en réseau, ils y seraient candidats sans demander un quelconque délai de réflexion…

- J’arrive maman ! répond Jules au moment où le dernier épisode de la première saison de Preacher s'achève. Il redoutait de ne pas pouvoir arriver au terme de celle-ci avant le départ.

N’ayant pas pris le temps de télécharger cet ultime épisode, il a redouté jusqu’au bout de devoir attendre bien trop longtemps, à son goût, avant d’en connaître l’épilogue qui, comme pour chaque série qui se respecte actuellement, n’en est pas réellement un. Il ouvre davantage sur une nouvelle saison à venir qu’il n’apporte de réponses à l’intrigue.

Il a déjà consommé l’intégralité de son forfait mensuel de données mobiles et il ne compte pas sur la connexion wifi de leur location de vacances pour assouvir sa soif de consommation numérique. Internet en Normandie, il en est persuadé, ce n’est pas la même chose qu’en région parisienne, et la notion de connexion, probablement une utopie. La Normandie, la campagne…. Non mais quelle idée ont eu ses parents lorsqu’ils ont choisi leur destination de vacances estivales. Pourquoi pas la Pologne tant qu’on y est !

Mais bon, la famille Roudin, comme la grande majorité des familles, n’étant pas une démocratie, il n’a pas eu voix au chapitre et a dû se contenter de prendre connaissance de la décision parentale.

Patrick et Sarah leur ont confirmé, à lui et son frère, ce dont ils avaient conscience depuis maintenant quelque temps, à savoir des difficultés financières suite à la faillite de l’entreprise que leur mère a développée pendant plusieurs années mais qui n’a pas survécu à de trop nombreux problèmes de trésorerie.

Travaillant dans l'événementiel avec des collectivités publiques comme clients principaux, les délais de paiement de ces dernières l’ont mise en défaut auprès de nombreux fournisseurs qui l’ont lâchée les uns après les autres. Ce fut alors l’engrenage infernal : elle n’a pas été en mesure de maintenir une qualité de service à un prix maîtrisé et a vu son portefeuille clients fondre comme neige au soleil. S’en est suivie la lente agonie de l’entreprise ainsi qu’une bonne grosse dépression pour sa mère.

C’était il y a quelques semaines que la sentence a été prononcée : liquidation de l’entreprise. Bizarrement, Sarah semble avoir repris du poil de la bête depuis que le couperet est tombé. Comme si ce clap de fin lui permettait de passer à autre chose et ainsi laisser cette expérience traumatisante derrière elle.

Heureusement que son père n’a pas la fibre entrepreneuriale ! Son salaire de chef de chantier dans le bâtiment a été plus qu’appréciable ces derniers mois.

Cependant, ce qui a le plus perturbé Jules durant cette période, ça a été l’attitude de Lucas, son frère. Si cela ne le surprend plus, il espère toujours, malgré tout, voir son caractère évoluer. Si Jules est d’un naturel empathique tel qu’on peut normalement l’attendre d’un adolescent de seize ans à peu près correctement éduqué, l’égocentrisme de Lucas se pose là ! Jules se fait régulièrement la réflexion que rien ne paraît émouvoir Lucas et qu’il semble même parfois prendre un malin plaisir à faire et voir souffrir les gens autour de lui..

L’épisode du bulletin scolaire est un des derniers événements qui en témoigne. Les deux frères sont plutôt de bons élèves malgré des attitudes scolaires bien distinctes. Si Jules est assidu et travailleur, Lucas surfe sur ses facilités intellectuelles et peut avoir un comportement insolent envers ses professeurs lorsque ces derniers ont la chance de ne pas comptabiliser une nouvelle absence de sa part. Déjà que Lucas fait l’effort de venir de temps en temps en cours, il est tout de même invraisemblable qu’on lui dicte, en sus, ce qu’est censée être son attitude !

Toujours est-il qu’au regard du nombre conséquent de remarques inscrites dans son bulletin scolaire trimestriel à ce sujet, correspondant à peu de choses près au nombre de matières qui y figurent, ses parents eurent l'avantage d'être conviés par le proviseur du Lycée afin de s’en expliquer.

Lors de cet échange, Lucas adoptera les postures et expressions faciales permettant de bien faire montre de son désintérêt total et du fait qu’il n’était aucunement ému par ce qu’on lui reproche. Des railleries portant sur le physique ou sur les mauvais résultats de certains de ses camarades (pas sûr que ce nom commun soit réellement approprié dans le cas présent) jusqu’à ses absences, son dossier scolaire ne plaide pas en sa faveur. Lorsque sa mère lui demandera s’il est conscient des enjeux, il lui répondra alors que cela n’engage que lui, contrairement aux actions de sa mère.

Elle, qui met des familles entières à terre en licenciant à tour de bras.

Elle, qui a été incapable d’assumer son rôle de mère en passant plus de temps que de raison à son travail et était indisponible intellectuellement lorsqu’elle était à la maison.

Elle, qui menace par son échec professionnel la santé financière de sa famille et par la force des choses l’avenir de ses enfants.

Un sourire malsain de contentement sera perceptible sur le visage de Lucas lorsque sa mère fondra en larmes alors qu’il n’avait pas encore pu achever son plaidoyer à charge contre elle et que son père se retienne, une nouvelle fois, de gifler son fils bien qu’il en ait amorcé le geste avant de se raisonner.

Tandis que Patrick joue les contorsionnistes afin d’accéder au robinet d’arrivée d’eau situé derrière un meuble de la cuisine de manière à éviter un dégât des eaux pendant leur absence, Jules ferme sa fenêtre et rejoint sa mère dans le séjour de l’appartement.

De son côté, Lucas n’a pas encore donné signe de vie malgré un nouvel appel de sa mère. Sarah se résigne donc à aller solliciter son fils de manière plus appuyée. Elle frappe à la porte de la chambre : pas de réaction.

Elle l’ouvre avec force, et constate que Lucas est assis devant son ordinateur. Si ce dernier avait été un poste fixe, elle en aurait débranché la prise pour enfin avoir l’attention de son fils. Dans le cas d’un ordinateur portable, cela aurait pour seule conséquence un nouveau prétexte à moqueries de Lucas puisque la batterie aurait alors pris le relais.

- Lucas, tu ne vas pas me dire que tu ne m’as pas entendu t’appeler !

- Non, effectivement…

- Je peux savoir pourquoi tu n’es pas prêt ?

- Oui ! répond Lucas avec une nonchalance déconcertante.

- Et donc ?

- Il est vraiment trop con cet Edouard !

- Pardon ?

- Bah oui, “monsieur je suis premier de la classe” se croit meilleur que nous tous et a posté une vidéo expliquant comment faire pour vivre une scolarité épanouie. Comme si cet abruti avait la moindre leçon à donner sur la vie. C’est un bouffon arrogant que personne ne peut encadrer dans la classe. On est en train de lui pourrir son post de commentaires dont il va se souvenir ! Il ne va plus oser la ramener après ça !

- Tu te rends compte que c’est du harcèlement et qu’au-delà de la méchanceté gratuite dont cela témoigne, tu pourrais avoir des ennuis pour ce genre de pratique.

- Je ne fais que lui rendre service en lui faisant prendre conscience du fait qu’il est stupide ! Il devrait me remercier !

- Bon, ça suffit ! Eteins cet ordinateur, prends ton sac et va le mettre dans le coffre. C’est le seul bagage qui manque ! On part !

- Youpi ! J’ai hâte d’y être ! dit Lucas d’un ton monocorde tout en fermant les multiples fenêtres ouvertes sur son écran avant d’éteindre son PC.

Sarah regagne le séjour de l’appartement et procède aux ultimes vérifications d’avant départ. Les plantes sont arrosées ; les appareils électriques sont débranchés ; il ne reste plus qu’à fermer les volets.

Cet appartement, acheté il y a une vingtaine d’années à Clichy, au nord de Paris, dans le quartier de la mairie, est intégralement payé depuis deux ans. Elle se sent plutôt chanceuse d’un certain point de vue lorsqu’elle prend un peu de recul par rapport à sa situation professionnelle. En règle générale, lorsque quelque chose commence à péricliter, la Loi de Murphy s’applique, et c’est souvent un engrenage loin d’être agréable qui se met en place. Dans son cas, le fait de ne pas avoir cumulé une baisse significative de ses revenus, jusqu’à ce qu’ils deviennent inexistants, à un nécessaire remboursement d’emprunt aura permis d’éviter que ceci soit un sujet supplémentaire d’échanges avec son banquier.

Lorsque Patrick et Sarah se sont mis en quête de l’achat de leur “chez eux” il y a une vingtaine d’années, ils ont tout de suite eu un véritable coup de coeur pour cet appartement. Ils en ont mesuré tout le potentiel et les possibilités qu’il offrait dans la perspective de pouvoir accueillir la famille qu’ils envisageaient d’y construire. Cela aura pris quelques années afin d’en faire le logement à l’agencement et au niveau de finitions qu’ils désiraient : un beau parquet en bois massif clair couvre les quatre-vingt-dix mètres carrés de plancher à l’exception du coin cuisine où un carrelage couleur ardoise, plus aisé d’entretien, vient apporter un contraste de couleurs plutôt réussi. Les murs blancs accueillent quelques tableaux et cadres photos. Le plus gros des travaux aura consisté en l’agrandissement des fenêtres du séjour exposées au sud, au profit de grandes baies vitrées afin de profiter d’une réelle luminosité. Cela n’avait pas été sans difficulté dans la mesure où l’appartement se situe au cinquième étage. Évacuation des produits de démolition et acheminement des matériaux via les escaliers auront généré quelques heures de sudation pour le jeune couple.

Par ailleurs, la transformation du quartier au fil des années, témoin d’un certain embourgeoisement de la population clichoise sans pour autant renier son caractère populaire et familial, a permis à leur bien de voir sa valeur augmenter de manière très appréciable.

Le remplacement des volets en bois par des volets roulants en aluminium a été le dernier investissement important pour leur logement. Elle s’en félicite d’ailleurs une énième fois au moment d’appuyer sur le bouton de la télécommande actionnant la fermeture de l’ensemble. Le système est un peu bruyant au regard de ce qui se fait aujourd’hui mais cela demeure un véritable plus pour le confort quotidien.

Sarah ignore Lucas hurlant alors à travers l’appartement pour se plaindre à qui veut l’entendre du fait qu’elle aurait pû attendre qu’il ait rejoint le salon avant d’éclipser la lumière du soleil.

- Et c’est parti pour quinze jours de vacances à la mer ! s’enthousiasme Patrick au volant de leur Passat break alors que toute la famille a enfin pris place dans le véhicule. La météo annoncée est a priori bonne pour les deux prochaines semaines. On va pouvoir profiter de la plage ! se réjouit-il. Ça va nous changer de Paris, son bruit, son stress, sa pollution !

Lucas et Jules échangent un regard où le même dépit est affiché. Un moment de complicité fugace devenu bien trop rare au goût de Jules. Qu’il est loin le temps où les deux frangins ne se quittaient pas et faisaient les quatre cent coups ensemble. Cela fait tellement d’années que, parfois, il se demande si ces souvenirs de joies et bonheurs partagés avec son frère ne sont pas des évènements fantasmés de sa part. Les vidéos et photos réalisées par leurs parents témoignent cependant de la réalité de leur relation complice de l’époque. Celle-ci, tout comme le nombre de films familiaux en témoignant, s’est cependant dégradée avec le temps.

Heureusement que leur père, passionné par la photographie, a pu immortaliser de nombreux moments auxquels il se raccroche parfois.

Cette photo prise à Combloux, dans les Alpes, alors qu’ils ont tous les deux un sourire jusqu’aux oreilles après une journée de luge en est un exemple. Il s’agissait de leur première semaine aux sports d’hiver. Ils avaient passé un séjour formidable, où glissades, batailles de boules de neige, raclette, lecture des parents devant la cheminée, et rigolades dans la chambre le soir où ils feignaient l’endormissement dès que Patrick venait leur demander d’arrêter leur brouhaha constituent un des meilleurs souvenirs de ses cinq ans.

Une autre photo encadrée, qui trône sur le buffet du séjour, lui rappelle l’été de ses six ans. Ce cliché réalisé à Pise, lors de vacances en Italie, met en scène les deux frères simulant une tentative de redressement de la fameuse tour. S’il s’agit de la photo typique réalisée par le touriste de base dans cette ville de l’ouest de la Toscane, elle est néanmoins assez représentative de leur relation de l’époque : lui, en train d’essayer par la force de ses bras de corriger les quelques quatre degrés d’inclinaison de l’édifice, tandis que Lucas pousse Jules afin de soutenir son effort.

C’est alors qu’ils sont âgés d’environ sept ans que Patrick a immortalisé ce moment avec leurs cousins à Pessac en Gironde. Bras dessus bras dessous, les frangins arborent un sourire radieux aux côtés d’Estelle, Marion et Victor, les enfants de Cécile, la sœur de Sarah, et de Fred. Ce sont clairement les cousins dont il se sent le plus proche. Ceci est probablement dû au fait qu’ils se sont régulièrement fréquentés dès leur plus jeune âge. Ils constituaient alors une sorte de club des cinq se remémore Jules, à ceci près que dans les livres de Enid Blyton, quatre enfants et un chien en constituent les membres. C’était Estelle, de quatre ans leur aînée, qui leur racontait, avec plus ou moins de fidélité par rapport aux histoires originelles, les aventures de Claude, Michel, François, Annie et de Dagobert. Lucas et Jules s’imaginaient alors comme de futurs grands enquêteurs qui résoudraient avec brio les intrigues et mystères de clients qui feraient la queue en nombre pour bénéficier de leurs services.

- C’est où le camping dans lequel on va au fait ? s’enquit Lucas.

- À Courseulles-sur-mer. Lui répond son père. C’est à environ trois heures de route si j’en crois le GPS et le trafic actuel.

- Impossible que ce soit si long ! Il ne peut pas y avoir autant de désespérés qui n’ont pas compris que le concept de vacances à la plage avec soleil était incompatible avec la direction Nord !

- Tu pourrais être surpris Lucas. Tu sais, lorsque j’étais môme, je vivais en Bretagne, à Guidel, avec mes parents. Si les températures n’atteignaient pas celles du Sud, nous pouvions avoir de très belles journées ensoleillées. D’ailleurs, nous passions … ok…

En jetant un coup d'œil dans le rétroviseur, Patrick se rend compte que son fils ne l’écoute absolument pas. Il a poussé le son de la musique qu’il écoute via son casque MP3 suffisamment fort pour bien signifier aux trois autres personnes, qui partagent le même espace contraint que lui, que leur conversation ne l’intéresse pas. De son côté, Jules est affairé sur son téléphone à prendre connaissance de l’actualité de ses amis ainsi que de quelques influenceurs qu’il suit.

- Bon, voyons un avantage à la surdité momentanée de nos rejetons ! lance Patrick à Sarah avec un petit rictus. On va pouvoir écouter notre musique de vieux sans avoir besoin de négocier !

- Yes ! lui répond Sarah en lui retournant son sourire.

Après 2h40 d’un trajet sans bouchons, la famille arrive à Courseulles-sur-mer et à son camping municipal. Il est presque 16h00.

- Allez ! Tout le monde descend ! On va récupérer les clés du bungalow ! lance Patrick.

- C’est comme je l’imaginais, dit Lucas, après un coup d'œil plus que rapide aux alentours. Faîtes-moi penser à ne pas rater ma vie professionnelle afin de ne pas imposer ce genre de vacances, si on peut appeler ça ainsi, à ma future famille !

- Toi et tes amabilités, ça ne nous a pas vraiment manqué pendant le trajet ! Allons nous présenter à l’accueil, dit Sarah en poussant la porte de l’accueil.

Derrière un bureau, deux jeunes filles, probablement étudiantes le reste de l’année, gèrent les nouveaux arrivants. Un groupe de quatre adolescents, d’un côté, et un couple de quarantenaires étrangers, de l’autre, sont déjà en train de remplir les formalités d’usage.

- Anglais parlé plutôt correct et chaussettes dans les sandalettes, ce sont très certainement des Hollandais murmure Patrick à l’oreille de Sarah qui ne peut s’empêcher de pouffer de rire en voyant les pieds de l’homme récupérant sa carte bancaire après avoir réglé la caution de leur logement.

Durant quelques courtes minutes d’attente, ils auront pû observer que les deux hôtesses ne semblaient pas avoir le même niveau d’expérience ou du moins d’aisance relationnelle.

Marion et Camille, si l’on en croit les badges qu’elles arborent sur leur polo aux couleurs du camping, sont toutes deux parfaitement impliquées dans leur rôle essentiel à la réussite de la grosse journée de la semaine, celle des départs et arrivées.

Malgré un anglais parfois approximatif, Marion, pleine d’assurance, échange avec le couple de supposés Hollandais et répond à leurs différentes questions avec réactivité et une apparente facilité. Camille, quant à elle, peut-être intimidée par les quatre garçons qui ne font pas nécessairement dans la finesse afin de lui témoigner leur intérêt libidineux, laisse transparaître une gêne certaine ainsi que de récurrentes hésitations dans ses réponses. Son regard, cherchant très régulièrement, et bien souvent en vain, l’approbation de sa collègue, trahit ce manque de certitudes quant à la justesse de ses propos.

Les deux groupes de nouveaux arrivants ayant achevé leur enregistrement au même moment, c’est au tour des Roudin. Marion se lève alors.

- Bonjour messieurs-dame et bienvenue ! Je vous laisse avec ma collègue qui va s’occuper de vous. Je fais une pause clope, lui chuchote-t-elle

Patrick et Sarah s’avancent donc vers le bureau d’accueil tandis que Jules et Lucas les suivent de près. Après avoir décliné leur identité et confirmé qu’ils avaient réservé un mobil home pour deux semaines, Camille leur présente les modalités d’accès au 303, numéro de leur logement, ainsi que les animations proposées par le camping durant la première semaine de leur séjour. Elle poursuit en évoquant les activités possibles à Courseulles-sur-mer et dans ses environs : char à voile, pêche en mer, équitation, bowling, cinéma, criée, musées et aquarium pourront ainsi venir agrémenter leur séjour normand d’évènements sportivo-culino-culturels.

- De toute façon, le peu de budget prévu pour nos vacances est parti dans la location du logement. On va se cogner des balades, de la plage, de la pêche et on ne pourra même pas aller aux musées qui sont payants ici ! On ne pourra rien faire de tout ça ! marmonne Lucas.

- Vous savez, il y a des tarifs spéciaux pour les familles ainsi que des réductions pour les étudiants dans la plupart des musées, se hasarde à lui répondre Camille.

Avant même qu’il n’ait le temps d’envoyer une pique dont il sait que son frère a le secret, Jules lui coupe l’herbe sous le pied en l’attrapant par le bras et l’invite de manière appuyée à l’accompagner à la découverte des environs tandis que leurs parents finalisent les derniers détails, préalable nécessaire à leur installation.

- Tu te sens vraiment obligé d’être tout le temps aussi agressif ? Tu crois que maman n’en a pas assez bavé avec son boulot, pour que tu te sentes obligé d’en rajouter à chaque fois ?

- Désolé de vous avoir choqué, Saint Jules ! Si tu crois que ta pauvre petite maman a besoin d’être protégée, libre à toi de t’écraser. Excuse-moi de ne pas rentrer dans une des tes pathétiques cases bisounourso-débiles !

- Ça me consterne que mon propre frère puisse avoir si peu de considération pour les autres…

- N’aie crainte, lui répond Lucas d’un ton condescendant à souhait, ta pureté ne sera pas altérée par ma présence. Il n’y a là rien de contagieux !

Après une dizaine de minutes d’errance silencieuse dans les allées du camping, ils tombent sur leurs parents affairés à décharger la voiture.

- On n’est pas contre un peu d’aide, leur lance Patrick. Le principe des vacances en famille, c’est que le repos, et a fortiori les tâches ingrates, c’est pour tout le monde.

S’en suivront des tentatives de rangement des vêtements dans des placards trop petits, les courses à la supérette du coin, une promenade en bord de mer allant jusqu’à la baignade pour Sarah et un apéritif dinatoire au cours duquel Lucas sera presque agréable comme s’il accordait une sorte de trêve éphémère à sa famille.

Durant ce moment où les Roudin ont pû se poser et savourer un début de séjour normand plutôt ensoleillé, c’est le défilé des nouveaux arrivants, entre autres, dans les chemins sinueux du camping. De la petite fille égarée regardant dans toutes les directions et espérant ainsi reconnaître quelqu’un ou quelque chose, aux groupes d’enfants commençant à se constituer, en passant par des familles au nombre de membres plus ou moins fourni, c’est tout un panel de vacanciers qui déambule devant le mobil home numéro 303.

Fort logiquement, lorsque Ben, un petit garçon probablement âgé d’environ six ou sept ans, passe à son tour, il n'attire pas davantage l’attention des néo vacanciers. De son côté, il fixera relativement longtemps Lucas du regard, comme s’il savait déjà qu’il allait très prochainement bouleverser à tout jamais la vie de celui-ci.

III

Périgueux, 2037

L’alarme du téléphone de Marc retentit. Il est 6h00. Il l’éteint immédiatement, embrasse délicatement Hélène qui ne se lèvera pas avant 7h30, s’habille en prenant soin d’être le plus silencieux possible et va se faire couler un café. Il consulte les messages sur son téléphone. Il retrouve ceux de la veille échangés avec Hélène, un autre d’une enseigne de pizzas l’informant de promotions sensationnelles ainsi qu’un dernier émanant d’un numéro non enregistré.

Très vite, à la lecture du message, il comprend qu’il s’agit de Fabien : il a écrit à 5h12 pour préciser à Marc que sa femme n’était pas rentrée et qu’il n’avait reçu aucun appel de sa part. Il lui demande de confirmer qu’il passera bien chez lui ce matin. Le pauvre bonhomme n’a pas dû beaucoup dormir, se dit-il, en lui répondant qu’il sera à son pavillon vers 8h30, après être passé par le commissariat.

Marc boit rapidement son café, laisse un mot pour remercier Hélène de la soirée partagée ensemble la veille, et file à son appartement afin de récupérer sa voiture stationnée dans la rue. Le domicile de Fabien Bertin ne se situant qu’à dix grosses minutes du commissariat, il n’a pas besoin de se presser outre mesure. Sa jambe lui fait toujours mal. Même s’il considère que la consultation de médecins représente le plus souvent une perte de temps, il se fait la réflexion qu’il devra pourtant se résoudre à prendre rendez-vous afin que ce qu’il suppose être un claquage musculaire puisse se résorber sans attendre six mois.

Il n’a aucune envie de faire une croix sur le sport pendant trop longtemps car, au-delà du risque de se complaire à l’inactivité physique pouvant souvent aller de pair avec un profil bedonnant, il éprouve trop de plaisir à se dépasser. Même s’il doit régulièrement se faire violence pour aller courir, il revient systématiquement enjoué et serein de ses séances matinales de running. Vive l’endorphine !

Ce matin, en tout cas, il faut bien chercher pour trouver une quelconque performance sportive à sa marche boitillante le menant jusqu’à sa voiture.

Arrivé à 7h00 au commissariat, il est loin d’être le premier. Si ses collègues de la brigade des stups sont partis en perquisition dès 5h30 afin d’être sur site pour 6h00, d’autres lèves-tôts ont déjà pris leur poste.

De son côté, il voulait prendre le temps de faire quelques recherches concernant les époux Bertin avant de se rendre à leur domicile. Après un rapide coup d'œil à la base de données nationale où sont référencés l’ensemble des écarts à la Loi, il fait le constat de la virginité délictuelle du couple. De même, les Bertin ne semblent pas être des férus des réseaux sociaux : il ne trouve aucune trace d’inscription sur facebook, instagram, tik tok ou autre tweeter. Il partage ensuite un café avec sa boss, la commissaire Pauger, afin de lui faire part de cette nouvelle affaire ainsi que de son emploi du temps de la matinée. Ils s’apprécient mutuellement depuis maintenant plusieurs années. Marc aime le pragmatisme et le franc parler, sans langue de bois de sa supérieure, tandis que la commissaire a une confiance totale en son expérimenté lieutenant, qu’elle sait ne rien laisser au hasard et capable de toujours se remettre en cause lorsque d’autres considèreraient être arrivés au terme d’une enquête.

- Si tu as besoin de moyens spécifiques en fonction de tes investigations de ce matin, n’hésite pas à passer par moi, lui propose la commissaire Pauger. C’est le bordel en ce moment suite aux déclarations du préfet qui veut nettoyer le centre-ville de ses toxicos. Je ne sais pas comment il en est arrivé à tenir de tels propos. Je me demande si ce n’est pas lui qui a trop fumé ! Non, mais t’en vois beaucoup des gars défoncés dans la rue ? Toujours est-il qu’avec ses conneries, on n’a plus les moyens de faire correctement notre job !

Tu comprends, c’est quand même vachement plus important de prendre la pause pour les journalistes avec une dizaine de nos gars plutôt que de s’occuper des vrais problèmes, ironise-t-elle. J’arrête là parce que j’ai tout de même un devoir de réserve même si ça ne doit pas te sauter aux yeux ce matin, dit la commissaire en lançant un clin d'œil à Marc.

- Ne vous inquiétez pas chef, si jamais ces propos venaient à être rapportés à quelqu’un, je dirai que vous étiez sous LSD et que pour cette raison, il ne faut pas y accorder la moindre importance.

C’est donc d’humeur plutôt joviale que Marc quitte le commissariat pour se rendre chez les Bertin.