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Dans l’univers fou de Bordeaux des années 70, six colocataires vivent une vie de bohème marquée par des malversations, des fêtes endiablées et des expériences psychédéliques. Leurs péripéties se constituent d’astuces audacieuses et de rencontres rocambolesques. Entre les escroqueries, les plans ratés et les soirées mémorables, "Sex and drugs et parcmètres" vous transporte dans un tourbillon de liberté, de rébellion et de quête d’identité. Il est une ode à la jeunesse insouciante, aux amitiés indéfectibles et à l’exploration des limites de la réalité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Au cours de ses périples sur plusieurs continents,
Marc-Antoine Torres a exercé divers métiers, allant de maître d’hôtel à critique de télévision. Aujourd’hui, il est scénariste, producteur et réalisateur de films documentaires. Ses deux passions principales, l’écriture et les voyages, lui offrent un véritable tremplin, lui permettant de s’évader et de s’enrichir.
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Seitenzahl: 184
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Marc-Antoine Torres
Sex and drugs et parcmètres
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marc-Antoine Torres
ISBN : 979-10-422-4346-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Qu’est-ce qu’on s’emmerde quand on est jeune…
Confucius… ou presque
Deux jours ont passé depuis cette édifiante conversation. La vie continue au bistrot en bas de la piaule où l’on vit à six. Elle est quand même belle la vie : on a tous un compte chez le Père Floriot pour les hot dogs et la Pelforth brune. On se fait l’argent de poche avec les employés de banque de la succursale d’à côté qui s’entêtent à perdre le fric de leurs sandwiches du midi en jouant au tarot. Le lycée de jeunes filles de bonne famille voisin nous fournit la tendresse et les caresses, quand un des deux plumards de la piaule est libre… Pour ces jeunes filles qui viennent voir leurs intercours au fond d’une tasse à café, nous passons, et on en rajoute pour des artistes déjà blasés et injustement méconnus. Jean-Marc a une technique plus spéciale : il s’attaque aux fibrilles maternelles déjà bourgeonnantes chez ces petites femmes. Il est le cas social, le drogué qui crie « au secours » à coups de bières brunes et d’idées noires sur la société. Un virtuose dans son genre !
Les gens « bien » qui passent devant notre troquet disent que c’est un repaire de drogués et de paumés. On les traite de vieux cons. C’est la belle harmonie avec la jeunesse française. J’ai un ami qui dit qu’un jour on va tous se barrer et les laisser avec leur connerie et leurs souvenirs. Moi je n’y crois pas trop parce que l’on risquerait d’aller vivre avec le souvenir qu’on les a abandonnés et l’on deviendrait aussi con. Pour ne pas devenir con, il faut vivre avec la connerie. Toujours avoir l’ennemi en vue.
À part ça, on fait nos petites arnaques. Il y a de nos acheteurs qui se retrouvent à fumer du henné, à avaler des spaghettis coupés très fins croyant aller rejoindre Ken Kesey ou Timothy Leary, croyant s’envoyer du LS.D. Nous sommes notoires, mais tellement de bonne foi que les acheteurs ne manquent pas. De temps à autre, l’un de nous va faire un tour en face à la brigade des stupéfiants à la suite d’une dénonciation. Il leur parle invariablement du même « grand blond qui a un jean troué et qui vend sa dope place Saint Projet ». Les flics blasés le relâchent.
À sa sortie, il subit un deuxième interrogatoire avec nous. Alors, raconte, tu ne m’as pas balancé ? Ils t’ont montré des photos ? J’y suis ?
Et la vie continue. Nous sommes fin novembre à Bordeaux. La lassitude du train-train me travaille. Les fêtes se font rares, les culs et les défonces aussi par la même occasion. Je saigne côté tendresse.
À trois heures du matin, Sylvion rentre bien saoul, à grand bruit il s’enfile dans son duvet, s’aligne à côté de moi sur le parquet et me dit :
— Eh ! Eh ! Tu sais Jésus ? Ouais, le blond avec les lunettes cerclées.
Son surnom lui vient du fait qu’un jour à un concert « Ange », alors que le groupe entonnait un de leur tube nommé « Si j’étais le Messie », Jésus ayant pris de l’acide marchait sur le bord d’un balcon en criant comme c’est original : « Je suis le Christ ! Je suis le Christ ! » Il est tombé dans les bras du service d’ordre pas très Marie Madeleine qui lui a offert un passage au Golgotha en guise de déplanage. L’envie d’être le fils du Père lui est passée, le surnom lui est resté.
— Ouais, tu sais Jésus ? Il est d’accord pour nous filer deux cents sacs pour les acides. On va les chercher et il nous en file pas mal au retour !
Le lendemain, notre force de persuasion nous mettait deux cent mille francs dans les poches.
Au départ nous étions sincères Sylvion et moi : aller à Paris, acheter l’acide et revenir enrobés de la pseudo gloriole « d’avoir des trips ». Mais l’apéritif du soir fut fatal et catalyseur d’une java dans toutes les boîtes du coin. Le lendemain, la gueule de bois et un gros trou dans le budget…
J’ai connu Sylvion un an auparavant. La nuit du jour de l’An, celle où tout le monde embrasse tout le monde : moi je dois avoir la petite vérole ce jour-là personne ne m’embrasse et je n’embrasse personne. Les jours de fête, j’y suis allergique, ça me donne le cafard. Les gens ont comme leur dose d’euphorisant annuel et moi je n’ai pas envie de marcher dans leur voyage.
Sylvion était pratique ce soir-là. Pendant que les flics s’embrassaient ou étaient tous bourrés dans leurs mignons camions et gentilles casernes, lui s’attaquait aux parcmètres avec un gros tournevis : un coup de levier en haut dans la fente, un coup de levier en bas, un coup de levier au milieu et poc à lui la (modeste) caverne d’Ali trésor public et compagnies privées. Il détachait la petite boîte pleine de pièces, la mettait dans un sac qu’il portait en bandoulière, et hop au suivant ! Il avait fait la moitié de la rue quand je l’ai aperçu. Il ne m’avait pas vu et je suis resté caché à le voir œuvrer, c’était déjà mon pote…
Il s’est arrêté de « travailler », s’est approché de moi, tournevis en avant, menaçant.
On a fini la rue et on est allé se payer un gueuleton, quelques bonnes bouteilles, tout ça en monnaie clinquante… clinquante.
Il s’est mis à se raconter, il venait de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il ne pouvait pas être méditerranéen Sylvion : 1,90 m, 85 kilos, rouquin, rougeaud. Il avait émigré à Colmar. Deux ans apprenti boucher : il avait failli un jour de rogne confondre son patron avec Mussolini et le pendre, l’attraction du croc de boucher sans doute ! Depuis, il se baladait en France vivant de petits coups plus ou moins lucratifs. Il est venu habiter chez moi, chez nous.
Depuis, nous sommes devenus inséparables.
Un pacte tacite s’était installé entre nous, lui les muscles, moi la ruse. Lui, Lenny, dans « Des souris et des hommes » de Steinbeck. N’allez pas croire qu’il était demeuré, il ne tuait pas les souris, lui, c’était plutôt la connerie. Plus sain. Pas très branché sur les nourritures spirituelles, mais bourré de réflexions intelligentes sur la vie, un philosophe avancé, surtout un philosophe passé à la pratique.
Le lendemain donc de notre java nous n’étions pas frais, pas fiers… Pour arranger le tout, nous sommes allés acheter une bouteille de scotch. On s’est retrouvés bourrés dans le train de nuit pour Nantes : dans notre cuite il m’avait convaincu d’avoir des connexions là-bas et m’a dit que l’on pourrait s’y refaire. J’avais l’impulsion survoltée, pas d’autres idées, une cuite carabinée, alors c’est parti pour un mois et demi ! Nous ne le savions pas à ce moment-là. Ce que nous savions c’était le litre de scotch : ce fut notre prime occupation au réveil, aller acheter ou voler selon les finances notre litre quotidien.
Première étape Nantes. On y arrive crevés à huit heures du matin, on se paye un petit déjeuner au buffet de la gare et nous nous rendons dans un charmant petit hôtel dormir, dormir…
Au réveil nous savions implicitement qu’il fallait continuer à boire, revenir à jeun nous aurait emmené dans la bouillie d’idées angoissées et paranoïdes des lendemains d’alcool, à savoir, l’argent que nous devions maintenant, plus pour un tas d’autres raisons culpabilisantes. Ces raisons vraiment stressantes qui font reculer le réveil, traîner au lit. Ces raisons qui te poussent à retarder de voir les personnes que tu as vues dans ta cuite parce que tu ne te rappelles plus si elles ont adhéré à ton éthylisme ou non, ces raisons amoureuses, sangsues de la gueule de bois qui vont toujours avec elle. Ces raisons disparaissent avec la maturité alcoolique, paraît-il, mais à l’époque nous ne la possédions pas encore, je présume.
Après avoir prolongé la location de notre chambre d’hôtel, nous sommes partis à la recherche d’un ami de Sylvion : Patrick. Sylvion m’apprit que son pote lui devait d’ailleurs de l’argent de je ne sais quelle petite arnaque commise lors de son dernier passage nantais.
L’ami ne fréquentait pas exactement les salons de thé : plutôt le genre « Chez Yvette » ou « Chez Suzette ». Le bar avec deux ou trois plus ou moins jolies madames en étalage sur tabourets. Une autre madame moins récente, ou plus ancienne derrière le bar. Quelques messieurs bien habillés à une table avec des madames sur les genoux, un ou plusieurs poivrots, piliers ou de passage, accrochés au bar et qui se racontent aux dames aux jambes en forme de tabourets de bar.
Dans le premier bar où nous sommes entrés s’est accompli le rituel qui se déroule dans la tête des habitués à la vue de nouvelles tronches. Très vite, trois alternatives : flics ? De l’autre bord ? Michetons ?
Nous n’entrions dans aucune de ces catégories. Le contact s’est donc avéré difficile.
On s’assied au bar. Silence.
— Deux scotches, s’il vous plaît.
— Glace ?
— Oui merci.
Re-silence.
— Pardon, vous ne connaîtriez pas Patrick ? C’est un ami. Nous savons qu’il vient ici de temps en temps. Nous sommes de passage et voudrions le voir.
Silence…
— Deux autres scotches, S.V.P.
— Avec glace ?
— Oui merci.
Silence…
— Tu ne saurais pas où on pourrait le trouver ailleurs, Sylvion? Ça serait idiot de venir de Bordeaux et de le rater…
Là, Yvette, la patronne, s’est décoincée.
— J’étais à côté de la Compagnie Delmas. Ah ça vivait à l’époque ! C’était un vrai port bariolé de marins et puis ça s’est mis à mourir doucement…
— Ce n’est plus la même chose maintenant. Enfin, nous on n’a pas connu l’époque, mais une chose est sûre à minuit c’est fermé tout est fini aujourd’hui, a cru bon de rajouter Sylvion.
Envahie par une flaque de nostalgie, Yvette s’est détendue.
Après deux autres verres, et une connaissance approfondie des folles nuits bordelaises d’antan d’Yvette, nous sommes sortis du troquet en la remerciant.
En rentrant Chez France, on a eu droit à des embrassades, une bière d’office et moi de connaître Patrick : le grand-père de ce type devait fréquenter les mêmes bars que Jules Verne, mais ne pas boire les mêmes choses, ou alors avoir des visions différentes du futur pour avoir donné descendance à une telle créature. Une remise en question de l’esthétique à lui tout seul, le Patrick ! Il a failli me faire arrêter de boire quand je l’ai vu ! Dans ma tête, des visions de partouzes médiévales entre mi-humains et mi-monstres se sont déchaînées. Patrick, c’était la tare héréditaire, le crétinisme alcoolique fait homme, si je peux dire « homme » dans son cas ! C’est seulement parce qu’à cette époque je n’envisageais pas de me prolonger à travers mon sperme que j’ai vidé ma bière et que j’ai continué à picoler !
Sylvion s’est lancé dans un concours de bière avec France. Moi je suis reparti au scotch, et à délirer avec Patrick. Quand Sylvion a égalisé à dix bières, Patrick m’avait convaincu que c’était mon anniversaire et « que vingt et un ans c’est important et qu’avec ses potes il est de tradition que chaque jour de fête de naissance se termine chez les putes ».
Nantes, ville socialiste, maire socialiste. Ainsi, ce brave homme a interdit le racolage sur la voie publique : pas de sœurs, mes frères dans les rues de Nantes, du socialisme à l’état pur, tous censés avoir un cul, d’où la non-nécessité de videuses de tendresse. Dans ces cas-là, elle a une drôle de consistance, la tendresse : blanche et visqueuse. Donc le torturé du bas-ventre nantais, faut qu’il connaisse les coins péripatéticiens. Patrick connaissait…
En couvrant des kilomètres en distance alcoolique, on s’est retrouvé dans un escalier où quatre ou cinq types attendaient déjà.
— C’est combien ?
— 160 balles.
Moi c’était la première fois que je payais pour montrer ma queue à une dame, mais il n’était pas question que les autres le sachent. Une de mes anciennes copines est devenue pute sans le savoir pour la préservation de mon machisme foireux : j’ai raconté mes ébats avec elle à Patrick et Sylvion, en rajoutant que je l’avais payée. Je ne donne pas de détails ; si elle se reconnaît, elle est capable de me demander de la payer, ce qui ne serait que justice.
Sylvion passe le premier. Il ressort vaporeux en me conseillant la pipe. Je rentre en vieil habitué. Enfin, je le pense.
Elle s’appelle Cathy. Elle me demande :
— Tu veux fumer un joint ?
— Bien sûr !
— C’est dix balles en plus, lave-toi la bite, je le roule.
En me lavant, j’ai vu dans la glace du lavabo la plus rapide rouleuse de joint qu’il m’ait été donné de voir : prodigieux ! Pendant que je fumais, elle s’est mise à me sucer presque aussi vite qu’elle faisait les joints. Moi debout, elle assise sur le bord du lit. Elle s’est arrêtée, s’est jetée en arrière les jambes écartées m’a rentré en elle avant que j’aie pu assimiler la manœuvre. Elle s’est mise à remuer comme elle roulait les joints. Là, j’ai craqué.
Alors avec mes fantasmes mixés à ma cuite et ma défonce je n’ai plus vu le truc comme ça : il m’est venu des envies de sodomie. J’ai essayé de la retourner accroché à ses hanches, mais elle avait une technique très élaborée. Elle s’est dégagée et s’est mise à hurler, à me demander pour qui je la prenais? Je me suis retrouvé sur le palier en me demandant vraiment pour qui je la prenais cette femme.
J’avais mal dedans. Mais quand j’ai retrouvé les autres en bas de l’escalier, ma self-mytho-connerie a repris le dessus…
— Tu parles d’un boudin, j’ai voulu l’enculer, elle s’est mise à hurler, la salope. Alors j’ai repris mon fric (elle avait eu l’honnêteté de me le rendre) et je me suis barré. Non, mais faut pas rire, qu’est-ce que c’est que cette nana ? Hé, Patrick, si tu viens à Bordeaux je vais t’en présenter moi, de vraies putes ! J’ai l’habitude, ce n’est pas une grognasse comme ça qui va me la faire !
À l’intérieur de moi, ça ne s’arrangeait pas… Patrick me tapait dans le dos en rigolant. Moi j’avais très envie de lui taper sur la gueule pour m’avoir amené là. Nous sommes allés nous achever dans un bar. Il me fallait ça, je m’étais vraiment écœuré : sous prétexte d’avoir payé la nana, je m’étais comporté comme le dernier des connards que je m’évertuais à fuir. Je pataugeais lamentablement dans mon malaise et ma crasse, quand Sylvion a attrapé Patrick par le blouson et a commencé à le traîner en dehors du bar où nous étions. Je les ai suivis.
Sylvion était déchaîné. Je suis arrivé à le calmer. Il a quand même envoyé une praline dans la gueule de Patrick pour se soulager et l’a laissé partir.
— Jeune homme, premièrement appelez-moi jeune homme, et ensuite arrête de postillonner papy, tu vas nous inoculer ta vieillesse ! Dis, tu nous prends pour des touristes à qui tu refiles des mouchoirs brodés et autres vieilleries, conneries, en soutenant qu’elles ont appartenues à Anne de Bretagne ?
— Allez, on sort !
— Mais…
— Chut, ou nous jouons aux éléphants dans tes porcelaines !
Nous sommes sortis de la boutique d’antiquités en nous marrant.
Sylvion mettait la main dans la trousse en cuir et jetait les pièces à la volée, faisant frétiller les oreilles des passants.
Semi-matinaux, nous avions émergé ce matin-là vers les huit heures et demie, pris un bon déjeuner, acheté notre litre quotidien de scotch que nous transportions dans un attaché-case qui par sa fermeture nous rendra bien des services, l’ouverture étant opposée à la poignée de portée.
Après avoir éclusé un quart de litre de scotch, nous avons attendu l’ouverture du château d’Anne de Bretagne situé en plein cœur de Nantes et de la fierté des Bretons, quoiqu’il y ait à ce propos quelques querelles de clocher sur le fait que Nantes ne soit pas en Bretagne… Mais passons…
Lors de son précédent voyage, Sylvion avait volé je ne sais trop où une poche en cuir pleine de pièces anciennes qu’il pensait avoir une valeur marchande. Après les avoir retrouvées à leur place dans une encoignure de mur du château, nous avions fait le tour des quelques antiquaires avoisinants. Les ruines appellent les ruines. Chez le dernier, le scotch aidant, les pièces nous sortaient par les yeux, les antiquaires aussi, d’où le petit scandale ci-avant.
Nos finances atteignaient la côte d’alerte, nos javas successives nous ayant mis à sec. Mais le moral stimulé par l’eau-de-vie écossaise était au beau fixe : il nous restait de quoi faire un ou deux bons repas. On ne s’en est pas privé.
À la crêperie « Jaune » une espèce de restaurant underground, après le deuxième litre de rouge Sylvion me dit que sur la rive sud de la Loire il connaissait quelques combines pas tristes.
La première n’était en effet pas triste, folle même : dans un asile ! Sylvion m’a raconté qu’avec une bande qu’il fréquentait à Nantes, il rackettait les fous moyens qui s’ébattaient en semi-liberté dans l’enceinte de l’hôpital. L’accès de l’hôpital était facile. La cafétéria était tenue par des débiles dits légers, nous avons pris un café. Sylvion a reconnu un de ses « protégés ». Ils ont engagé la conversation et nous avons fini par savoir qu’un des pensionnaires avait reçu cent mille francs dans la matinée.
Sylvion a fait tilt et se voyait déjà avec le fric. J’ai voté non. Je les trouvais sympas ces lascars. Je me serais bien habillé avec leur pyjama bleu quelque temps, mais les autres avec leurs blouses blanches m’en empêchaient, me bloquaient en véhiculant leur pitié merdique en enfonçant les gens dont ils s’occupaient plus profond dans les tares qu’ils leur avaient décrétées. Je suis pour la vie sauvage de la pensée, quelle qu’elle soit. J’ai un ami dit fou qui m’a demandé pourquoi son psychiatre venait se faire soigner chez lui !
Sylvion n’a pas insisté. Il ne m’a pas posé de questions, de toute façon je ne lui en voulais pas.
Pas mal, Patricia : la trentaine, genre brune andalouse, bandante au possible. La reine de son troquet. Mais ce n’était pas elle que nous étions venus voir, ce qui nous intéressait était l’accès à son bar-tabac après la fermeture.
Encore une porte qui s’était ouverte dans la tête de Sylvion. Il avait repéré cet endroit lors d’un précédent séjour. Notre situation étant ce qu’elle était, quasiment fauchés, il s’en était souvenu après que l’on soit sortis de l’asile. Le coup paraissait facile : un mur à escalader pour tomber dans la cour arrière et arriver au vasistas des W.C. qu’il fallait laisser ouvert. Ce que je fis.
Maintenant il ne restait plus qu’à attendre dix ou onze heures du soir en espérant que le vasistas reste ouvert. Pour tuer le temps, direction le supermarché pas très loin du bar. C’était un petit centre commercial. Là nous mîmes à l’épreuve la mallette à ouverture opposée : nous la posions sur le rayon de l’article désiré, l’un de nous, après avoir ôté les serrures, la tenait par la poignée en faisant mine de chercher un objet quelconque dans le rayon pendant que l’autre la remplissait. Nous aurions pu faire breveter le système, car la mallette fit pratiquement un sans-faute. Sylvion voulait un gros tournevis en cas de besoin pour le soir. Nous en avons trouvé un qui ne nous a plus quittés, par la suite nous l’avons appelé Sésame. Faut pas croire, on avait la tête pleine de contes et d’histoires merveilleuses, on les réadaptait c’est tout. Il était rouge et balèze, Sésame.
Ensuite nous avons refait le plein de scotch pour la deuxième fois de la journée, quelques amuse-gueules, un grand sourire sur la nôtre pour passer la caisse et nous voilà dehors.