Shin Sekai - Tome 2 - Nicolas Bordage - E-Book

Shin Sekai - Tome 2 E-Book

Nicolas Bordage

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Beschreibung

Le meurtre de Jess a profondément bouleversé Emma, éveillant en elle un désir de vengeance implacable contre le vampire Seito, auteur de ce crime. Après les funérailles émouvantes de son amie, Emma est résolue à utiliser le vieux vampire Haïto pour atteindre son but, même si cela exige d’importants sacrifices. Sa détermination sera mise à rude épreuve ; jusqu’où sera-t-elle prête à aller pour arriver à ses fins ?

 À PROPOS DE L'AUTEUR 

Nicolas Bordage apprécie la littérature comme moyen d’évasion. Il a perfectionné ses compétences d’écriture en participant à des forums de jeux de rôle en ligne, où les auteurs faisaient interagir leurs personnages avec le public. Haïto est inspiré d’un héros de manga. En le découvrant, Nicolas a enfin trouvé une idée originale, donnant ainsi naissance à la saga "Shin Sekai".

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Seitenzahl: 407

Veröffentlichungsjahr: 2024

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© Lys Bleu Éditions – Nicolas Bordage

ISBN : 979-10-422-2168-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Un grand merci à ceux qui ont cru en moi et qui m’ont soutenu dans cette aventure.

Merci à Valérie pour son aide sur cet ouvrage.

Chapitre 1

Haïto m’observait avec son regard brillant, mais toujours aussi vide. Je savais qu’il serait compliqué de le faire plier, mais j’étais certaine que ma détermination serait supérieure à la sienne. Et surtout, j’avais largement de quoi faire pencher la balance de mon côté, même si ça signifiait mettre ma vie en jeu. De toute façon, je devais abandonner ma part d’humanité pour devenir vampire donc ça revenait presque au même pour moi. J’étais prête à tout pour arriver à mes fins.

J’étais entrée brutalement dans ce monde qui m’avait tant fait fantasmer et je ne comptais pas en sortir aussi facilement. Bien sûr, la réalité ne ressemblait en rien à ce que j’avais pu imaginer, mais, au moins, je ne pensais plus qu’il était inintéressant et dépourvu de chose sortant de l’ordinaire. Des vampires… je ne comptais plus les fois où j’en avais rêvé et voilà qu’ils venaient de bouleverser ma vie. Je venais à peine de découvrir leur existence qu’ils m’arrachaient, déjà, l’une des choses les plus chères à mon cœur.

Lorsqu’on regarde un film ou qu’on lit un livre sur eux, il est facile de tomber sous leur charme, de les apprécier ou même de les trouver fascinants. Mais ce qu’il ne faut pas oublier c’est qu’ils sont, avant tout, des tueurs d’humains. Nous ne sommes que du gibier pour eux. Je venais de l’apprendre à mes dépens, moi qui reconnaissais aisément faire partie des gens capables de leur vouer un culte à l’époque où je pensais, encore, qu’ils n’étaient que fiction. Pourtant, après avoir rencontré Seito, je ne ressentais plus que de la haine et un désir de vengeance inébranlable à leur égard.

L’indescriptible douleur, qui me faisait hurler intérieurement, avait été provoquée par cet ignoble immortel et tout ça s’était ancré en moi de façon irréversible. Ma seule chance d’assouvir cette vengeance était de devenir comme lui et, pour ça, seul Haïto pouvait m’aider.

— Ce que je fais de ma vie ne regarde que moi et je ne te demande pas ton avis, juste ton aide pour une chose que toi seul peux accomplir.
— Emma, je te laisse une chance inouïe de reprendre le cours normal de ta vie. Tu devrais en profiter, je n’ai laissé ce choix à personne d’autre auparavant.
— Ce que tu ne comprends pas c’est que j’en ai rien à foutre que tu me laisses cette chance ou non. De mon côté, je ne te laisse qu’un seul choix : soit tu me transformes, soit je te donne une bonne raison de faire ton job.
— N’agis pas sur un coup de tête et réfléchis un peu avant de prendre une décision qui, finalement, ne t’appartient pas.
— Arrête de jacter pour rien, tu veux ? Ce soir, demain ou dans un an, ce sera pareil, je ne désire plus qu’une seule chose.
— Ruiner ta vie ?
— Seito a ruiné ma vie… Il m’a pris Jess et je compte bien le lui faire payer.
— Tu ne pourras jamais.
— J’ai découvert récemment que tout était possible dans ce monde.
— Pas ça.
— Ça suffit, Haïto ! Oui ou non ? Tu me transformes ou tu me tues. Choisis.

Encore une fois, il s’était terré dans le mutisme. Le temps, qui s’écoulait, n’avait pas la même signification pour nous deux et j’avais tendance à perdre patience bien plus vite que lui. Pourquoi avait-il besoin de réfléchir autant ? La résolution de ce problème était pourtant simple, il n’y avait que deux solutions possibles. Cependant, une chose, qu’il venait de dire, avait fini par m’interpeller. Il n’avait laissé le choix à personne d’autre que moi ? Avait-il réellement passé plus de six cents ans sans nouer de liens avec qui que ce soit ? Était-ce cela qui le faisait hésiter ? Je commençais à penser qu’il éprouvait des choses pour Jess et moi et qu’il ne le comprenait pas encore.

— Dis-moi, qu’est-ce que tu ressens quand tu vois le corps de Jess inerte derrière moi ? En voyant celle que tu as tenté de protéger, sans vie ? Ça te fait mal là ?

J’avais pointé et appuyé du côté où un être humain était censé avoir un cœur. Son regard avait repris vie et il l’avait d’abord dirigé vers le mien avant de regarder Jess. Voyant qu’il ne répondait pas, j’avais décidé d’aller un peu plus loin dans ma démarche.

— Tu ne t’es jamais attaché à qui que ce soit, n’est-ce pas ?
— Je n’ai pas de temps pour ça.
— Pourtant c’est ce qui t’est arrivé avec nous, n’est-ce pas ? Et c’est pour ça que tu hésites à en finir avec moi, purement et simplement.

Pour la première fois, depuis que je le côtoyais, je le sentais troublé et perdu face à quelque chose qu’il ne connaissait pas. J’avais un mal fou à admettre qu’avant nous, il n’avait jamais ressenti ce genre d’émotion pour qui que ce soit. Comment un être aussi vieux avait-il bien pu rester sain d’esprit en menant une existence pareille ? Quel genre d’éducation et entraînement avait-il bien pu subir pour en arriver là ? Au fond, sur le moment, je ne souhaitais pas de réponse, mais juste un moyen de mettre toutes les chances de mon côté. L’opportunité de semer le trouble dans son esprit était trop belle pour que je la laisse filer.

— Quand tu la regardes et que tu constates ce qu’il lui a infligé, qu’est-ce que tu ressens ?
— Perdre une vampire telle que Jess, pour ce genre de raison… c’est dramatique.
— Tu es en colère ?
— Attristé.
— Ça ne te donne pas envie de te battre pour réparer cette injustice ?
— J’ai l’intention d’arrêter Seito, évidemment.

Encore une fois, il se cachait derrière sa fonction pour ne pas donner d’importance à ses sentiments. Je ne doutais pas une seconde qu’il veuille faire son devoir, mais, pour moi, ce n’était pas l’unique raison qui le poussait à vouloir stopper son ancien maître.

— Parce que c’est pour ça que tu as été créé ?
— En effet.
— J’ai une nouvelle pour toi. Tu n’es pas si différent de Jess ou même de nous autres, simples mortels. Toi aussi tu peux ressentir des émotions et, toi aussi, tu as le droit de les laisser te dicter ta conduite de temps en temps.
— Cette discussion n’a aucun intérêt.
— C’est ça, continue de fuir.
— De fuir ?

Je savais que ce ne serait pas simple d’atteindre psychologiquement une personne formatée comme il l’avait été depuis son plus jeune âge. Il n’avait rien connu d’autre que sa fonction de tueur, froid et implacable pendant des centaines d’années. Il me faisait davantage penser à un robot qu’à un être vivant capable de raisonner et faire des choix. Je devais aborder des sujets assez désagréables pour arriver à mes fins, mais je n’avais plus trop le choix.

— Je pense que Seito avait raison sur un point.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je le comprends quand il parlait de te rendre la liberté dont tu aurais toujours dû jouir.
— Ne t’aventure pas sur un terrain dont tu ignores tout.
— Je te connais, toi.
— Tu ne sais rien de moi ou de lui.
— Tu sais que c’est faux.
— Non ça ne l’est pas… la seule chose que tu es en droit de déduire c’est que c’est lui qui a fait de moi ce que je suis.

Je me retrouvais dans une impasse. Il avait raison, je ne savais presque rien d’eux, même si j’affirmais le contraire. J’avais très peu de choses auxquelles me raccrocher pour l’influencer et l’amener où j’avais envie. Bien sûr, il me restait la carte de la menace de dévoiler l’existence des vampires au monde, mais je préférais ne pas en arriver là pour le moment.

— Oui, et il regrette clairement de l’avoir fait. Il aimerait autre chose pour toi.
— Peu importe…
— Ce que tu peux être borné !
— Toi, tu ne l’es pas ?

Une brise glaciale me rappela que je n’avais presque rien sur le dos et qu’il faisait une température hivernale.

— On pourrait poursuivre au chaud ?
— Il n’y a rien à poursuivre et je dois m’occuper des corps.

S’occuper des corps ? Avait-il l’intention de faire disparaître celui de Jess aussi ? Sur l’instant, je m’étais juré que, vivante, je ne le permettrais jamais.

— Je vais te le dire aussi calmement que possible, Haïto. Fais ce que tu veux de Lucas, j’en ai rien à foutre. Mais Jess, tu n’y toucheras pas.

J’avais cru percevoir un soupir s’échapper de sa bouche. Je doutais qu’il ait envie de m’affronter sur un autre sujet, aussi sensible, et j’avais donc bon espoir qu’il m’entendrait sur celui-ci.

— Que comptes-tu en faire dans ce cas ?
— Je veux l’enterrer dignement.
— Hors de question.

Raté, il allait m’emmerder sur ce point également. La colère, qui ne m’avait pas quittée depuis la mort de mon amie, prenait de plus en plus de place en moi et n’allait pas tarder à me faire exploser.

— Tu commences sérieusement à me soûler.
— Désolé, mais tes demandes sont inacceptables.
— Elles pourraient l’être si tu n’avais pas autant de principes à la con.
— Ça n’a r…
— Nan, c’est bon, tais-toi maintenant. Je vais te dire ce qu’on va faire, là, tout de suite. Je vais aller me mettre au chaud dans une chambre où tu m’amèneras Jess avant de te débarrasser de l’autre déchet. Ensuite, tu reviens et on discute de tout ça.
— Ce n’est pas à toi de déc…
— Encore une fois, Haïto, je ne t’ai pas demandé ton avis.

Je ne sais pas trop ce qui l’avait poussé à m’écouter et ne plus opposer de résistance, mais, sans un bruit, il avait pris Jess dans ses bras avant de me suivre vers les chambres du motel. Qu’une humaine, aussi insignifiante que moi, puisse donner des ordres à un vampire tel que lui avait quelque chose de surréaliste.

Nous avions dû forcer une autre porte étant donné que la n° 13 n’était plus utilisable à cause du trou béant en plein milieu d’un mur.

Une fois au chaud, dans la n° 15, je reprenais peu à peu mes esprits et commençais à analyser un peu mieux la situation.

— J’y pense, le réceptionniste. Impossible qu’il n’ait rien entendu de ce qu’il s’est passé ! Et il y avait sûrement d’autres clients.
— Ils ont commencé par eux…

Je comprenais que ces pauvres gens faisaient, eux aussi, partie des dommages collatéraux du projet de Seito. Comment pouvait-on avoir si peu d’estime pour la vie des autres ?

— Je vois… Bref, fais ce que tu as à faire. Je ne bouge pas d’ici.

Toujours dans le silence, il quitta la pièce, me laissant seule avec Jess, qu’il avait déposée sur le lit. Je l’observais, assise sur le bord, et je m’étais mise à caresser délicatement son visage. Il était dur et glacial et ça n’avait plus rien à voir avec la soif. Sans m’en rendre compte, mes larmes s’étaient mises à couler. J’en voulais au monde entier qu’on me l’ait enlevée si tôt. J’avais tellement de choses à lui demander et à vivre avec elle. Et, à présent, j’aurais toujours ce regret de savoir si ce que je ressentais pour elle était réel ou non et si j’aurais pu l’assumer un jour.

Mes réflexions m’avaient amenée à penser à ce qu’Haïto m’avait dit. Est-ce que la colère provoquée par la douleur ne me faisait pas prendre de décision stupide ? Je n’avais pas imaginé, une seule seconde, ce que je devrais abandonner si jamais je devenais vampire pour traquer Seito. Thomas, Vicky, mes parents, ma vie, finalement si confortable. Étais-je vraiment prête à laisser tout ça derrière moi ? La force de ma détermination, à ce moment-là, m’aurait fait répondre oui à cette question. Mais il restait quelque chose d’important à déterminer : est-ce que je serais réellement capable, un jour, de venger Jess ? Haïto, lui-même, n’en semblait pas capable, mais je restais persuadée qu’avec de l’aide et en unissant nos forces, tout était possible. Surtout que je commençais à avoir l’intime conviction que je n’avais découvert que la partie émergée de l’iceberg.

Au bout d’un temps, que j’avais jugé relativement court vu ce qu’il avait à faire, Haïto revint dans ma chambre d’emprunt. J’avais senti tout de suite que notre bras de fer ne faisait que commencer. J’avais pris soin de ne pas lui demander comment il se débarrassait des corps et j’entendais bien continuer dans cette voie.

Il s’était arrêté après avoir passé le pas de la porte, comme s’il attendait que je lui dise quoi faire. Je m’étais levée pour lui faire face à nouveau, mais le lit, où reposait Jess, nous séparait.

— Es-tu ouvert à la discussion ?
— Que je le sois ou non, nous avons des choses à régler.
— Un oui aurait suffi. Bref, dans ce cas, commençons par elle.
— Tu ne peux pas la faire enterrer.
— Je n’ai pas dit la faire enterrer, mais l’enterrer. Tu es capable de saisir la nuance ?
— Qu’est-ce que ça change ?
— Tout simplement que c’est nous qui allons le faire, dans un endroit qu’on aura choisi. Pas de cimetière, de tombe, de plaque, de fleur et pas de témoins. Je veux juste qu’elle ne soit pas traitée comme tous les autres…
— Ça pourrait être envisageable dans ces conditions.

Je n’avais pas forcément prévu qu’il cède si rapidement sur ce point. Le problème étant que je n’avais aucune idée de l’endroit où nous pourrions faire ça. Jess m’avait trop peu parlé de sa vraie vie et je ne savais pas si elle affectionnait un lieu en particulier. Je savais juste qu’elle avait dû visiter tous les continents du globe, mais ça ne m’aidait pas plus que ça. Sur le moment, la seule idée qui m’était venue était de la faire reposer dans un endroit pour lequel j’avais une affection particulière.

— Tu veux faire ça où ?

Haïto semblait soucieux de régler ce point au plus vite, mais tout ça me prenait au dépourvu. J’avais déjà trop de choses à gérer d’un point de vue émotionnel alors autant dire que je n’avais pas du tout réfléchi à ce genre de détails. Dans l’immédiat, je n’avais que deux endroits en tête : le chalet et Central Park. Bon, je me voyais mal enterrer un corps dans le jardin de la résidence secondaire de mes parents et, dans le deuxième cas, ça me paraissait trop fréquenté pour qu’il accepte. Pourtant, je me revoyais la prendre en photo le jour où je lui ai fait comprendre que j’avais deviné son secret et je me disais qu’il ne pouvait pas y avoir de meilleur endroit.

— Peux-tu me laisser un moment de réflexion ?
— Nous devons régler ça au plus vite.
— J’en suis consciente, mais je n’ai pas vraiment de solution, j’ai trop de choses en tête pour réussir à trouver quelque chose tout de suite.
— Tu as le restant de la nuit…

Je le sentais agacé, ce n’était sûrement pas dans ses habitudes de devoir concéder ce genre de chose et surtout pas à une simple humaine. Il quitta ensuite la pièce, me laissant seule avec la dépouille de mon amie pour quelques heures.

Il m’était difficile d’en supporter davantage visuellement donc je l’avais recouverte d’un drap. J’avais pris place dans un fauteuil près du lit et je dois bien avouer que la sensation d’être dans la même pièce qu’une personne décédée n’avait rien de bien excitant. C’était même carrément glauque. Mais bon, je n’avais pas vraiment le choix, s’agissant de Jess, je n’allais tout de même pas la stocker dans le coffre de ma voiture…

Avec tout ça, la pression redescendait, laissant place à la fatigue. Mes yeux se fermaient tout seuls et je laissais mon esprit vagabonder en espérant qu’il me montre un endroit où je pourrais enterrer dignement mon amie. Mais il me repassait, inlassablement, des images de Jess posant pour moi ce fameux jour. Je me souvenais de chaque détail de son magnifique visage, de ses longs cheveux reflétant les rayons du soleil, de son aura qui la rendait radieuse en toute circonstance. En me remémorant tout ça, je ne voyais rien d’autre de plus approprié que ce lieu. Tant pis, j’allais devoir convaincre Haïto que ce serait à Central Park.

Je m’étais endormie, avec les images de ce moment si particulier pour moi, presque apaisée. Sans m’en rendre compte, cela avait renforcé ma détermination de rendre hommage à Jess et la venger.

Chapitre 2

Mes paupières clignaient pour que mes yeux puissent s’adapter doucement à la luminosité de la pièce. Je venais de me réveiller sans avoir la moindre idée de l’heure qu’il était. Je n’avais même pas l’impression d’avoir dormi.

En scrutant la pièce, je m’étais rendu compte que Jess était toujours là, mais qu’Haïto était également présent. Debout près de la porte, il semblait attendre patiemment.

— J’ai dormi longtemps ?
— Je ne sais pas…

Étrangement, je n’avais pas reconnu le ton de sa voix. Avec ces quelques mots, il m’avait paru froid et distant. Certes, c’était toujours l’impression qu’il donnait, sauf que, généralement, son timbre était chaleureux et lui conférait un côté attirant.

Jetant un coup d’œil rapide sur ma montre, je constatais qu’il n’était que six heures. Je n’avais donc que quelques heures de sommeil dans la tronche et je sentais déjà le contre coup arriver. S’il était de la même humeur que moi au réveil, nos échanges risquaient d’être tendus.

— Qu’est-ce que t’as ?
— Pardon ?

J’avais l’impression qu’il venait de régresser socialement. Sa façon de parler me rappelait la première fois que je l’avais rencontré et à quel point son attitude m’avait irritée.

— Écoute, je ne suis pas d’humeur. Je ne sais pas ce qui se passe, mais, je te préviens, je n’ai pas beaucoup dormi alors commence pas à être pénible comme ça.
— Je ne comprends pas ce qui te dérange, encore.

J’avais lâché un soupir d’exaspération pour éviter de m’emporter trop vite.

— Ce qui me dérange c’est que tu recommences avec tes réponses à la con et, là, je n’aurais pas la patience de le supporter.
— Je ne suis pas différent de d’habitude.
— Tu avais réussi à évoluer, un peu, au niveau du dialogue. Alors, ne refais pas comme au début à essayer d’esquiver les explications. Si je te demande ce qui ne va pas, tu te doutes bien que c’est visible, sur ta grosse tête, que quelque chose te tracasse. Donc, ne me réponds pas pardon comme si tu étais surpris et que tout allait bien. Je ne suis pas encore sujette aux hallucinations, je vois que ce n’est pas le cas.
— Il n’y a rien de particulier, je voudrais, juste, régler nos affaires le plus vite possible.
— Ça tombe bien, moi aussi.
— Tu as donc trouvé un lieu ?
— Eh bien… pour ce que nous avons à faire, on va devoir retourner à New York.
— New York ?
— Je veux que ce soit à Central Park.

À cette annonce, le visage du vampire se ferma, ses traits se durcirent et il avait l’air menaçant. Un frisson me transperça de toute part, je l’avais déjà vu avec cette expression, mais il ne l’avait jamais exprimée envers moi.

— J’espère que tu plaisantes.

Jusque-là, j’avais osé lui tenir tête et même le malmener oralement. Mais sa colère était tellement palpable qu’il fit vaciller ma détermination. Il émanait de lui une aura meurtrière qui me donna l’intime conviction qu’il devait lutter contre lui-même pour ne pas me faire taire à tout jamais. Je dois bien avouer que je n’avais aucunement l’intention de continuer à faire la maligne et que je commençais à avoir peur de lui.

Pourtant, je voulais tenir bon pour Jess et la faire reposer à un endroit qui me tenait à cœur.

— S’il te plaît, on doit pouvoir trouver un coin du parc où ça ne risquerait rien ?
— Je ne pense pas…
— Je ne vois aucun autre endroit possible.
— Dans ce cas…
— Prends le temps de la réflexion, je t’en supplie.

Je le vis prendre une profonde inspiration et l’atmosphère devint, immédiatement, moins pesante. Il semblait s’être calmé. Visiblement, je n’avais pas encore réussi à le pousser à bout. Ça me rassura et j’y voyais un espoir de le faire plier.

— Pourquoi là-bas ?

Je n’avais pas très envie de dévoiler les raisons qui me poussaient à prendre cette décision. C’était quelque chose de très personnel et intime, mais je savais que je ne le ferais pas pencher en ma faveur sans lui parler ouvertement.

— C’est un endroit que j’affectionne tout particulièrement. Elle et moi y passions souvent du temps et c’est là que j’ai eu la confirmation qu’elle était spéciale. Ce parc fait partie de nous et de notre relation. Je sais que ça ne t’enchante pas, et je comprends pourquoi, mais ça ne peut pas être ailleurs.

Comme je m’y attendais, il n’avait pas l’air d’apprécier ma requête. Il était resté silencieux un moment, sûrement afin de réfléchir à une façon de faire sans prendre de risque pour le secret qu’il devait protéger. Je n’étais pas naïve, je savais qu’il n’accepterait pas facilement, mais je ne pouvais m’empêcher d’espérer.

— Tu ne sais pas ce que tu me demandes, Emma…
— Si, j’en ai parfaitement conscience.
— Justement, non !
— Explique-toi.
— C’est un lieu beaucoup trop fréquenté, entretenu et sujet à de possibles aménagements et travaux.
— Il suffit de trouver un endroit uniquement accessible par des personnes comme toi et de creuser profondément.
— Ce n’est pas si simple.
— Pourquoi ?
— Parce que le corps des vampires ne se décompose pas. Alors peu importe où je la mettrai, il y aura toujours un risque que quelqu’un tombe dessus un jour.

Haïto m’apprenait une nouvelle chose et j’admettais volontiers que ça compliquait tout. Si leur corps restait intact après la mort, ça posait vraiment problème et je n’avais rien à argumenter contre ça.

— Est-ce que je peux me permettre de te proposer une solution ?

Je m’étais, un peu, perdue dans mes pensées en essayant de trouver une idée pour me sortir de cette impasse. Surprise par sa proposition, je trouvais inespéré que ce soit lui qui puisse débloquer une situation qu’il n’avait pas l’habitude de gérer.

— Je t’écoute.
— Ça ne va sûrement pas te plaire, mais écoute jusqu’au bout et pèse le pour et le contre.

Bon OK, là, je n’étais plus du tout rassurée et j’appréhendais, vraiment, ce qu’il allait me dire.

— Ouais… vas-y.
— J’ai bien compris que tu voulais lui rendre hommage et avoir la possibilité de te recueillir à l’endroit où on l’aura enterrée. Alors, pourquoi ne pas envisager de l’incinérer et conserver ses cendres ? Comme ça, tu pourrais l’avoir constamment avec toi.

Je ne l’avais pas avoué, mais j’avais envisagé cette solution, avant qu’il ne la propose, et je préférais, clairement, l’éviter. Pourtant, je devais me rendre à l’évidence, je n’avais pas d’autre solution et pas le temps d’en trouver une. Je voulais, vraiment, que ce soit à Central Park, mais ça aurait mis Haïto en danger et ce n’était vraiment pas le but de l’opération.

J’étais contrainte d’accepter cette solution qui, au final, arrangeait tout le monde. Sans rien dire, j’avais posé mon regard sur le drap qui la recouvrait et je fus submergée par une vague d’émotion. Une fois de plus, je n’avais pas pu retenir mes larmes et j’avais dû plaquer une main sur ma bouche pour étouffer mes sanglots.

— Tu as besoin de temps pour y réfléchir ?

J’avais secoué la tête négativement, je savais que c’était plus sage de faire comme ça. Restait à savoir comment procéder, mais j’avais peur de lui demander. Je crois que, dans un monde où tout me paraissait finalement possible, je gardais une certaine forme d’espoir en conservant son corps tel quel. Le fait de l’incinérer revenait à accepter sa mort et qu’il n’y avait aucun retour en arrière possible. Ça me déchirait le cœur et me remplissait de tristesse, mais ce sentiment nourrissait également ma haine et ma détermination. J’y voyais même une opportunité d’obtenir ce que je voulais en contrepartie.

— Si j’accepte ta demande, qui permettra de préserver votre secret, vas-tu enfin faire ce que je te demande ?

Bien entendu, j’avais volontairement mis en avant le fait que je lui rendais service en validant sa proposition. Je m’en servais clairement de monnaie d’échange.

— Ce sont deux choses complètement différentes.
— Je sais, je te propose simplement un deal. Tu as conscience de ce que ça me coûte d’opter pour cette méthode alors fait un effort également.
— Dans tous les cas, je ne ferais rien de tel avant de t’avoir expliqué tout le processus. Tu ne peux pas prendre ça à la légère, il va d’abord falloir qu’on en parle.
— J’ai tout mon temps.
— Non. Pour le moment, nous devons nous occuper de Jess. En temps voulu, nous reparlerons de cet autre sujet. Cela te convient ?

Son attitude, et ses mots, m’avaient interpellée. Jusque-là, il s’était contenté de tout refuser sans me laisser de porte de sortie. Mais il avait changé significativement pendant la nuit et était revenu avec de meilleures intentions. Je percevais son désir d’arranger les choses au mieux, mais, aussi, une certaine envie de faire en sorte que j’y trouve mon compte. Malgré tout, sa solution, concernant Jess, me plaisait moyennement, voire pas du tout, mais je n’en avais aucune autre à mettre dans la balance. Au moins, je pourrai conserver une partie d’elle auprès de moi, en attendant de trouver un endroit propice où me séparer définitivement d’elle.

— D’accord… On procède comment ? Où va-t-on faire ça ?
— Il me faudrait de quoi écrire.

Après avoir réussi à trouver un vieux stylo, traînant dans les tréfonds de mon sac, et un bout de papier, je l’avais vu griffonner quelque chose dessus avant de me le tendre. Il s’agissait d’une adresse dans un bled que je ne connaissais pas.

— Rejoins-moi à cet endroit dès que tu pourras.
— Pourquoi là-bas ?
— On pourra y faire ce qu’on veut sans être dérangés.
— Je vois…
— Par contre, je vais devoir la prendre avec moi.

Régler ce genre de point de détail me mettait mal à l’aise. On se rapprochait petit à petit d’une échéance que j’aurais voulu repousser le plus possible. Cette maudite boule à l’estomac refaisait son apparition accompagnée d’une désagréable sensation de chaud et froid me parcourant tout le corps. J’en avais presque la nausée.

Pourtant, je devais prendre sur moi et me forcer à accepter la situation.

— Je préfère la garder avec moi, tu pourrais l’installer à l’arrière de ma voiture ?
— Désolé, mais non.

Encore une fois, sans même réfléchir un instant, il s’opposait à moi et ça me donnait presque l’impression que c’était fait exprès. Je me trouvais dans un état psychologique extrême et ça me faisait partir au quart de tour.

— Putain, c’est pas possible, c’est un sport national, chez les vampires, de toujours contrarier les gens ?
— Est-ce que c’est un sport national, chez les humains, de toujours avoir des idées stupides ?

D’ordinaire, cette réponse m’aurait mise encore plus en rogne. Au lieu de ça, elle m’avait fait réfléchir. Qu’avais-je pu dire de si stupide ?

— Tu ne vois pas ce qui cloche ?
— J’avoue que non.
— C’est bien ça le problème, Emma… ton esprit est tellement focalisé sur Jess que tu occultes tout le reste.
— Excuse-moi d’être bouleversée par la mort de celle que… de mon amie. Accouche, c’est quoi le souci là ?
— Tu veux mettre le cadavre d’une vampire à l’arrière de ta voiture et prendre la route, voilà ce qui me dérange ! À ton avis, qu’est-ce qui va se passer si tu te fais contrôler par la police ?

Je me souviens m’être, immédiatement, sentie honteuse d’avoir été aussi idiote. C’était, pourtant, tellement évident… mais il avait raison, j’étais trop focalisée sur elle pour pouvoir être attentive à ce genre de détail.

— C’est bon, j’ai compris… quelles sont les autres options ?
— Je la transporte moi-même, c’est la seule option.
— J’aurais voulu lui éviter ça, mais pourquoi pas dans mon coffre ?
— Le problème reste identique.

Pour résumer, je n’avais pas le choix en fait. Je devais accepter qu’il l’amène à un point de rendez-vous qu’il venait de fixer et dont j’ignorais tout. Je n’avais aucune certitude sur ses intentions. Il pouvait très bien disparaître avec elle sans laisser de trace. Je n’avais aucune envie de me retrouver devant le fait accompli et devoir rentrer chez moi pour reprendre ma vie sans aucun souvenir matériel, ou presque.

— Tu es gentil, mais tu es en train d’essayer de me faire comprendre que je dois te la confier et te faire confiance ?
— Comme quoi, les humains ne sont pas si bêtes finalement.

Son sarcasme m’avait vexé et j’avais senti la colère reprendre le dessus sur moi. Pourtant, j’avais, miraculeusement, réussi à ravaler ce sentiment pour rester un minimum lucide et courtoise.

— Tu as de la répartie quand tu veux.
— Bref, qu’est-ce que tu décides ?

Il m’avait, quand même, donné chaud à la tête et je savais que ma patience atteignait ses limites. Je devais, malgré tout, garder l’esprit clair afin de prendre la meilleure décision.

— Comment je peux être sûre que tu seras au point de rendez-vous ?
— Emma… il me semble que nous n’en sommes plus là. Si j’avais voulu me débarrasser de Jess, ou de toi, je l’aurais fait depuis longtemps et sans que tu ne puisses t’y opposer. Que je sois encore avec toi, à essayer de trouver des solutions, et que tu sois toujours en vie devrait te suffire amplement. Je te le répète, je n’ai fait ce genre de chose pour personne d’autre alors n’abuses pas trop de ma patience.

Il marquait un point, même plusieurs en fait. Il n’avait, effectivement, pas besoin de ce genre de stratagème pour me tromper. S’il se donnait toute cette peine, c’est qu’il avait, bel et bien, l’intention de m’aider à offrir, à Jess, des adieux dignes de ce nom. Il avait, également, souligné le fait que je sois encore vivante et ça confortait l’impression que j’avais eue plus tôt : il luttait contre l’envie de faire ce pour quoi il était le plus doué. Je devais donc commencer à être plus conciliante si je ne voulais pas qu’il cède pour l’option de facilité.

— Très bien, emmène là…

Il avait légèrement changé de tactique et ça marchait à la perfection puisqu’au final c’est lui qui imposait ses exigences. Pour le moment, je n’avais rien obtenu de ce que je désirais, mais il y avait un point sur lequel je n’avais aucune intention de céder. Mais comme il l’avait si bien dit, chaque chose en son temps.

Chapitre 3

Je l’avais, donc, laissé emporter le corps de Jess, à contrecœur, mais je devais bien admettre que c’était la meilleure solution. Avant de partir, à mon tour, j’avais rassemblé mes affaires ainsi que les siennes. Piquée par la curiosité, j’avais ouvert son sac, sûrement en quête d’une chose en particulier. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour tomber sur son cahier à croquis. Inconsciemment, je pense que c’était exactement ce sur quoi je voulais mettre la main. Revoir cet objet si spécial m’avait un peu secouée. J’avais, d’abord, caressé la couverture avant de l’ouvrir à un endroit bien spécifique. Le dessin, qu’elle avait fait de moi, était toujours là. Vous vous doutez bien, qu’une fois de plus, je n’avais pas pu retenir mes larmes. Voilà bien une chose que j’avais l’intention de garder précieusement avec moi.

Inspectant, un peu plus, ses affaires, je n’avais pas pu m’empêcher de m’accaparer une écharpe en laine qui traînait au fond de son sac. Je ne l’avais jamais vu avec, mais j’avais l’impression qu’elle était quand même imprégnée de son odeur.

Ayant chargé, tout ce dont j’avais besoin, dans le coffre de ma voiture, j’avais pris la route après avoir programmé le GPS. J’étais épuisée, mais focalisée sur ce qui allait se passer quand j’aurais rejoint Haïto et ça me maintenait éveillée.

Son écharpe devant le nez et son cahier à dessin sur le siège passager me donnaient l’impression de l’avoir avec moi dans la voiture. Mon esprit était entièrement focalisé sur elle et j’avais, vraiment, du mal à admettre que j’allais devoir lui dire, définitivement, adieu. Je redoutais, énormément, ce moment et j’aurais préféré ne jamais arriver jusqu’à l’adresse qu’Haïto m’avait communiquée. Heureusement, c’était assez loin du motel et j’avais eu tout le loisir de laisser mon esprit me nourrir d’images des moments passés avec elle.

Je n’acceptais pas le fait de l’avoir perdue, c’était trop dur et trop tôt. Ça ne faisait que quelques heures que Seito me l’avait arrachée, mais elle me manquait déjà douloureusement. Je n’arrivais pas à savoir comment j’allais pouvoir surmonter ma peine et avancer sans elle.

Le problème, dans ces moments-là, c’est qu’on perd totalement la notion du temps à force de rêvasser. Mon GPS m’avait, presque, fait sursauter en m’annonçant que j’étais arrivée à destination. Par chance, la route était déserte parce que l’effet de surprise m’avait fait piler et immobiliser la voiture en travers de ma voie.

J’étais au beau milieu de nulle part et je ne distinguais rien. Il faisait très noir à cause des arbres, bordant la route, et du manque d’éclairage. Sans chercher à comprendre, je m’étais immédiatement dit qu’Haïto m’avait, finalement, trahie et abandonnée et me donnant une adresse bidon.

Mon premier reflex fut de vérifier le bout de papier, qu’il m’avait laissé, pour relire l’adresse qu’il avait indiquée. J’avais, ensuite, essayé de reprogrammer mon GPS, mais il persistait à me dire que j’étais au bon endroit.

Tremblante, j’avais commencé à paniquer en me disant que tout était fini et qu’il me renvoyait à ma vie d’avant sans me laisser le choix. Le plus gênant, c’était qu’il me privait d’un dernier moment avec Jess. Je ne pouvais croire qu’il soit assez cruel pour me faire un coup pareil. Mais mon regard s’habituait, petit à petit, à l’obscurité et, à force de tourner la tête dans tous les sens, j’avais fini par repérer un minuscule chemin de terre sur ma droite. J’avais, tout de suite, ressenti un immense soulagement, mais, en l’observant davantage, ce sentiment s’envola très vite. À peine assez large pour la Camaro, il m’entraînait dans un bois sinistre et je dois reconnaître que je n’avais aucune envie de m’y aventurer. Pourtant, il fallait bien que j’y mette les roues. J’espérais que je n’allais pas devoir opérer un demi-tour dans la précipitation parce qu’avancer, dans ces conditions, était déjà risqué alors autant dire que reculer s’annonçait mission impossible.

Roulant au pas, j’avais l’impression que les arbres se refermaient sur moi et qu’ils allaient m’engloutir. J’avais un petit frisson chaque fois que je croyais voir une ombre bouger ici ou là. Bref, cet environnement me faisait flipper à mort…

Mon supplice n’avait duré que quelques minutes, mais, selon ma propre perception, ça avait duré une éternité. Je vous laisse imaginer mon soulagement après m’être extirpée de cette maudite forêt et découvert une cabane en bois dont le terrain était délimité par une vieille clôture. Le chemin, que j’avais emprunté, m’y conduisait directement donc j’en avais déduit que Haïto ne devait pas être loin.

J’étais rassurée de pouvoir avancer sans être oppressée par l’environnement, mais je n’étais pas totalement sereine. Cette cabane, plantée au milieu de nulle part, n’avait rien de très accueillant. Il ne s’en dégageait aucune lumière et, à y regarder de plus près, je ne voyais rien qui puisse l’alimenter en électricité. Une chose était sûre, je n’allais pas m’y éterniser.

Il ne m’avait pas fallu longtemps pour apercevoir une autre petite structure en bois juste derrière la cabane. Pourtant, je n’avais pu voir de quoi il s’agissait qu’en m’approchant à quelques mètres de celle-ci. En comprenant à quoi elle allait servir, mon cœur se serra et mes mains se crispèrent sur le volant. Cette vague d’émotion aurait pu me faire chialer, encore une fois, mais je voulais rester forte. La route que j’avais décidé d’emprunter débutait à cet endroit et si je voulais en voir le bout je n’avais pas le choix, je devais m’endurcir.

J’avais fini par immobiliser la Camaro avant d’en sortir. Le chauffage m’avait fait oublier à quel point il faisait froid. Et c’était encore pire dans cet endroit, en pleine nature. Resserrant mon manteau autour de moi et ajustant l’écharpe de Jess devant mon nez, j’avançais en direction de la clôture. J’avais repéré Haïto qui était adossé à celle-ci. L’éclat de ses yeux, dans la pénombre, m’avait rappelé l’agression de Lucas au chalet de mes parents. Dans d’autres circonstances, mon cœur se serait emballé, mais je savais que plus personne n’en avait après ma vie et j’étais, en fait, soulagée de voir qu’il était bien là.

Je marchais dans sa direction en prenant soin de ne pas regarder ce qui reposait sur la structure en bois, sous un drap blanc, à quelques mètres de lui. Il avait préparé, à Jess, des funérailles dignes des Vikings ou des Indiens. D’une certaine manière, je lui étais reconnaissante d’avoir pris la peine de faire ça, pour elle, mais j’avais du mal à écarter le fait qu’elle allait partir en fumée devant mes yeux.

Sans un mot, j’étais venue me blottir contre lui, déposant ma tête sur son épaule, comme si nous avions toujours été proches et qu’il avait l’habitude de me réconforter. Mais, comme d’habitude, ce n’était encore qu’une coquille vide, un bloc de marbre froid et dénué d’émotion. Il resta immobile et, bien sûr, aucune chaleur ne se dégageait de lui. Cela me rappela très vite à qui j’avais affaire.

— Tu es prête ?

J’avais secoué la tête pour lui indiquer que non. À vrai dire, il aurait pu me poser cette question un millier de fois, je lui aurais toujours répondu de la même façon.

— Tu veux que je le fasse ?

Là encore, ma réponse fut négative. Si Jess devait finir de cette façon alors ce serait par ma main. J’avais aperçu une torche éteinte juste à côté de lui, ce serait mon instrument de bourreau quand j’aurai réuni suffisamment de courage pour le faire.

En voyant la manière dont il avait préparé tout ça, je m’étais dit que ça ne devait pas être la première fois qu’il participait à ce genre de rituel. Ce qui m’étonnait, là-dedans, c’était qu’il disait ne s’être jamais attaché à qui que ce soit, alors pourquoi et pour qui faire ce genre de cérémonie ? Il restait encore énormément de mystère autour de lui et je comptais bien creuser pour éclaircir tout ça, mais, dans l’immédiat, j’avais une chose importante et douloureuse à faire. De toute façon, j’espérais toujours faire en sorte de disposer de l’éternité pour apprendre à le connaître, ça ne pressait pas.

Me détachant de lui, j’avais, simplement, tendu le bras en direction de la torche. Sans un mot, il l’avait déposée dans ma main avant de l’allumer. Vous savez ce que c’est que devoir aller à l’encontre de soi-même, quand chacune des fibres de votre corps est contre ce que vous devez faire ? C’est encore plus difficile que de se lever aux aurores pour aller travailler, après n’avoir dormi que deux heures, et que vous détestez votre job.

Après, seulement, un pas en avant, je m’étais immobilisée. Peut-être que je cherchais la moindre excuse pour ne pas le faire ou, du moins, retarder l’échéance.

— Tu as prévu quelque chose pour recueillir ses cendres ?
— Oui, à l’intérieur.

Raté… il avait, décidément, pensé à tout.

— Prends ton temps, nous ne sommes pas pressés.

Il s’était mis à avancer vers la cabane, il semblait avoir l’intention de me laisser seule. Je ne l’entendais pas de cette oreille.

— Reste… je tiens à ce que tu assistes à ça.
— Pourquoi ?
— C’est une personne que tu as tenté de sauver. Tout comme moi, je veux que tu contemples ton échec.

J’espérais le faire réagir en insistant pour qu’il la regarde partir dans les flammes à mes côtés. Je voulais ébranler son cœur de glace et lui faire ressentir la même douleur que moi.

— Si tu y tiens…

Nous y étions, je n’avais plus rien sous la main pour me permettre de repousser l’échéance. Fébrilement, j’avançais vers le corps de Jess. La torche, assez lourde, tremblait dans ma main. Je m’étais arrêtée un instant devant sa dépouille. Un ultime recueillement, une ultime pensée à incruster dans ma mémoire pour celle que j’avais jurée de venger. Après une profonde inspiration, j’y avais, finalement, mis le feu.

Reculant de quelques pas, je regardais les flammes prendre de l’ampleur assez rapidement. Après un temps que j’avais jugé trop court, c’est toute la structure qui flambait et crépitait. Je m’étais laissée tomber au sol, mes jambes n’ayant plus la force de me porter, mais je n’avais pas pu détourner le regard une seule seconde de ce spectacle morbide. J’étais restée là, à genou, à contempler les braises se former sans esquisser le moindre mouvement. Encore une fois, tous les moments, que j’avais passés avec elle, me revinrent en mémoire. Une chronologie du premier jour jusqu’à cet instant tragique. Je n’avais cessé de jouer avec l’écharpe qu’elle m’avait indirectement léguée et je ne doutais, déjà, pas que cet objet allait devenir un de mes biens les plus précieux.

Haïto était resté immobile, tout du long, également. Il avait attendu que la dernière braise s’éteigne avant de se rendre dans la cabane. Cette fois-ci, je n’avais rien objecté. Il était revenu avec une boîte en métal, d’un noir profond et brillant, qu’il avait déposée, délicatement, à côté de moi. Il avait disparu juste après ça, me laissant, un dernier moment, seule à seule avec elle. J’avais fini par me détacher de ce qui restait d’elle pour observer l’urne qu’il m’avait offerte. Je constatais, avec étonnement, qu’elle était sublime. Il y avait des branches de cerisier sur chaque face et deux colombes trônaient sur le couvercle. Étant, un minimum, fan de la culture japonaise, je connaissais la symbolique des fleurs de cerisiers et je trouvais ça assez ironique d’en mettre sur une urne funéraire. Vu les origines d’Haïto, je ne doutais pas une seule seconde qu’il la connaisse aussi, mais je ne savais pas si c’était vraiment voulu, s’il essayait de me faire passer un message avec cette urne.

Ça avait eu le mérite de détourner mon attention et penser à autre chose. J’étais restée accroupie, sans bouger, encore un bon moment. Il faisait même jour quand j’avais, finalement, décidé de me lever pour aller recueillir les cendres de mon amie. Je ne sais pas s’il m’observait, mais le vampire était réapparu juste après que je referme le couvercle.

Nous nous étions observés un moment avant que je ne me décide à briser le silence.

— Merci… pour tout ça.
— Merci, à toi, d’avoir accepté. Je sais que ça n’a pas dû être facile.
— Non, en effet…
— Que comptes tu faire, à présent ?

Je savais où il voulait en venir étant donné que nous avions laissé des choses en suspens avec ces funérailles. J’avais jeté un coup d’œil à la petite boîte noire que je pressais contre moi et j’avais décidé d’éclaircir ce point avant d’évoquer la suite des événements.

— Où as-tu trouvé ça ?
— Est-ce vraiment important ?

Pour une fois, j’avais décidé de ne pas relever le fait qu’il réponde à une question par une autre. J’étais fatiguée, physiquement et mentalement, et pas du tout d’attaque pour lui rentrer dedans, comme je le faisais d’habitude.

— Si tu essayes de me faire passer un message avec, alors oui.
— Je ne peux nier que ce n’est pas anodin.
— Les circonstances font que j’y ai réfléchi, mais…

Les sakuras sont utilisées pour symboliser une vie courte, mais belle, la réussite, le renouveau, l’évolution… tout est question d’interprétation, mais tout ça me parlait très clairement.

— Tu ne comptes pas changer d’avis ?
— La vie n’est pas courte pour tout le monde et ne sera plus jamais belle pour moi. Renouveau et évolution, par contre, je suis preneuse.
— Je me doutais que tu le prendrais de cette façon.

Et je me doutais de la façon dont il interprétait ces deux termes, mais je n’avais pas envie d’en débattre.

— Écoute, tu auras beau prendre tous les chemins, que tu souhaites, pour tenter de me dissuader, ça ne marchera pas.
— Dans ce cas, laisse-moi t’expliquer ce que tu risques.
— C’est ce qui était convenu…

Il m’avait invitée à l’intérieur de la cabane et je ne fus pas surprise de voir qu’elle était pratiquement vide. Un lit une place, une petite table carrée avec deux chaises, une lampe à pétrole et une malle militaire en métal qui devait, probablement, contenir son sabre, vu qu’il ne l’avait plus avec lui. De mon point de vue, ce n’était même pas le strict minimum. Mais les vampires, et en particulier les exécuteurs, devaient sûrement avoir des besoins différents.

— Tu souhaites te reposer un peu ?

J’étais totalement épuisée, mais j’en avais assez de tourner autour de ce pot. Je ne voulais pas repartir en conflit avec lui, je n’en avais pas la force et je n’espérais, vraiment, pas qu’il essaye, encore une fois, de me faire changer d’avis.

— Finissons-en…

Visiblement résigné, il avait pris place sur l’une des chaises et je m’étais permise de m’asseoir sur le lit. Je l’observais silencieusement et j’attendais qu’il se décide à se lancer dans son explication.

— J’imagine que tu n’as aucune idée de comment ça se déroule ?
— Bah… tu me mords, en évitant de me tuer, et c’est bon, non ?
— Je vois…

Je l’avais entendu soupirer. Je savais que tout ça ne lui plaisait pas et qu’il n’en avait pas l’habitude, mais je n’avais pas l’intention de lui laisser le moindre autre choix.

— C’est un peu plus compliqué ça.
— Sans blague ?
— Si c’était aussi simple, nous serions bien plus nombreux que les humains. Mais j’estime que seulement une personne sur trois survit au processus. C’est pour ça que nous ne le faisons que très peu et dans des cas bien particuliers, c’est l’une de nos règles.
— Une sur trois ?

Je repensais aux jeunes vampires que Lucas, et son complice, nous avaient envoyés pour nous combattre. Si ce que disait Haïto était vrai, alors ils devaient avoir pris la vie de pas moins de trente personnes en assez peu de temps. J’en avais froid dans le dos, mais je trouvais étrange que la presse n’en ait pas parlé. La disparition d’autant de personnes ne passe, généralement, pas inaperçue.

— En moyenne, oui.
— Tu n’es pas en train d’inventer tout ça pour essayer de me faire peur ?
— Je te l’ai déjà dit, je n’ai pas le temps pour ce genre de chose, tu m’en fais perdre suffisamment comme ça.
— Alors, explique-moi comment Lucas et l’autre ont fait pour nous envoyer pas loin de dix jeunes vampires. Selon tes chiffres, ça fait environ vingt morts sur trente disparus et pas un mot aux infos ?
— Ce n’est pas impossible. Seito a dû leur en fournir et s’ils ont bien choisi leur cible : personne seule, avec très peu de relation et dans des villes différentes, ça peut passer inaperçu. Surtout s’ils ont soigneusement fait disparaître ceux qui n’ont pas survécu. Et, même s’ils avaient l’air jeunes, ils avaient fini leur apprentissage donc ça faisait sûrement quelque temps qu’ils étaient transformés.
—