Simone de Beauvoir - Marianne Stjepanovic-Pauly - E-Book

Simone de Beauvoir E-Book

Marianne Stjepanovic-Pauly

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Beschreibung

Femme et déclassée dans une société bourgeoise et conservatrice, elle a gagné sa liberté par l’étude et l’audace intellectuelle:

Simone de Beauvoir incarne la libération de la femme, elle est celle qui a osé briser tous les tabous : le mariage, la maternité, la dépendance vis-à-vis des hommes. Femme et déclassée dans une société bourgeoise et conservatrice, elle a gagné sa liberté par l’étude et l’audace intellectuelle, en rejetant le chemin tout tracé qui s’ouvrait devant elle. La notion de libre arbitre fait de choix et de responsabilité a déterminé sa propre vie, et se trouve au centre de son œuvre littéraire et philosophique. La liberté individuelle à laquelle chaque être humain a droit passe par le féminisme : les deux moitiés de l’humanité doivent pouvoir s’épanouir. Franche, parfois brutale, intransigeante, Simone de Beauvoir a aussi créé et protégé une famille de cœur qu’elle n’a jamais abandonnée, inventé une relation de couple d’un nouveau genre. Elle fait partie de celles grâce à qui la révolution féministe a commencé.
On se laisse happer par un récit où l’histoire personnelle et l’histoire collective sont indissociables. On se passionne pour la vie d’une femme qui a traversé le XXe siècle et l’on découvre en même temps les combats politiques, sociaux et culturels de son époque

Découvrez un récit mêlant histoire personnelle et histoire collective, et suivez le destin d'une femme franche, parfois brutale, intransigeante, qui a inventé une relation de couple d'un nouveau genre.

EXTRAIT

À Paris, la vie quotidienne se durcit encore pendant l’année suivante. Les exécutions d’otages succèdent aux attentats, la population s’épuise à résoudre les mille problèmes de la nourriture, du chauffage, des vêtements. Georges de Beauvoir est mort d’une attaque en juillet 1941, laissant Françoise sans ressources. Elle trouve un travail à la Croix-Rouge, et Simone lui verse une pension mensuelle. Avec leur traitement de professeurs, Sartre et Castor ont à leur charge Françoise, Wanda, Olga et Bost. Le seul héritage de Georges, ses coupons de tissu, permet à sa veuve et à sa fille de s’habiller, et heureusement, car l’hiver 42-43 est pire encore que le précédent.
Dans ce noir qui n’en finit pas, la seule échappatoire, c’est le spectacle. Dans les théâtres, les cinémas, les cafés, il fait chaud, on rit, on oublie quelques instants que Paris vit à l’heure de Berlin. Simone vient tous les jours travailler au premier étage du Flore. Sartre publie et fait monter Les Mouches. Gallimard accepte enfin L’Invitée en 1943. C’est un succès, on parle du prix Goncourt. Mais pour être publié et plus encore primé, un livre doit passer la censure allemande. Doit-elle accepter un prix ? Le Comité national des écrivains, sorte d’organisme clandestin dont font partie des gens aussi divers qu’Aragon le communiste, Mauriac le catholique ou Paulhan l’indépendant (Sartre en est membre, à leur demande, depuis le début de l’année 1943) lui fait savoir qu’elle peut recevoir le prix mais pas donner d’interviews. Lorsque le roman de Simone paraît, en août, la presse clandestine comme la presse officielle saluent la naissance d’une nouvelle romancière, un espoir de la littérature française.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Diplômée en lettres et en linguistique, Marianne Stjepanovic-Pauly est documentaliste pendant une dizaine d’années. Mais à la vie de bureau, elle préfère la compagnie des enfants et des livres. Passionnée par les mots et par la littérature, elle écrit les histoires qu’elle invente pour ses fils, des contes et des nouvelles. Elle trouve aujourd’hui dans la rédaction d’une biographie la possibilité d’explorer ses domaines de prédilection : la littérature, l’écriture et l’histoire.

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Couverture

Copyright

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Tous droits de reproduction, de traduction
et d’adaptation réservés pour tous pays
© 2007 Éditions du Jasmin
www.editions-du-jasmin.com
Dépôt légal à parution
ISBN 978-2-35284-425-9 Avec le soutien du

Titre

Remerciements

L’auteur
Diplômée en lettres et en linguistique, Marianne Stjepanovic-Pauly est documentaliste pendant une dizaine d’années. Mais à la vie de bureau, elle préfère la compagnie des enfants et des livres. Passionnée par les mots et par la littérature, elle écrit les histoires qu’elle invente pour ses fils, des contes et des nouvelles. Elle trouve aujourd’hui dans la rédaction d’une biographie la possibilité d’explorer ses domaines de prédilection : la littérature, l’écriture et l’histoire.
Remerciements

Dédicace

À Frédéric,

Source des citations

SOURCE DES CITATIONS
Sauf mention contraire, les citations au fil du texte sont extraites des mémoires de Simone de Beauvoir, suivant leur chronologie :
Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958 (1908-1929)
La Force de l’âge, 1960 (1929-1944)
La Force des choses, 1963 (1944-1962)
Tout compte fait, 1972 (1962-1970)
Une Mort très douce, 1964 (sur la mort de Françoise de Beauvoir)
La Cérémonie des adieux

1 Le mariage de la finance et de l’aristocratie

« Pendant plusieurs années, je me fis le docile reflet de mes parents. Il est temps de dire, dans la mesure où je le sais, qui ils étaient. »
Le 21 décembre 1906, Françoise Brasseur, dix-neuf ans, fille d’un riche banquier de Verdun, épousait Georges Bertrand de Beauvoir, vingt-huit ans, cadet de bonne famille, avocat et dandy parisien. C’était un mariage arrangé selon les principes de la grande bourgeoisie de l’époque : transmettre le patrimoine et perpétuer les traditions morales. La fiancée apportait une dot conséquente, le jeune marié un nom et une situation : il n’était question que de devoir et non d’amour. On appariait les fortunes et les titres, non les sentiments. Pourtant, par un hasard que les parents des deux jeunes gens n’avaient pas prévu, ce fut également un mariage d’amour.
Ce n’était certes pas du côté de la jeune mariée que l’on aurait parlé de sentiment. Les deux branches de sa famille, les Brasseur et les Moret, avaient bâti leur fortune et leur position sociale sur la haute fonction publique et la finance. Gustave Brasseur, le père de Françoise, avait fondé et dirigeait la Banque de la Meuse. Homme strict et conservateur, il avait gardé de son éducation chez les jésuites une grande admiration pour leurs principes sévères, tant dans sa vie familiale que dans ses affaires. Concernant ces dernières cependant, il revendiquait un esprit moderne, utilisant la publicité dans la presse pour contrer la concurrence, et offrant des réceptions luxueuses destinées à donner confiance aux investisseurs. Contrairement aux usages de sa classe sociale, il n’hésitait pas à montrer sa fortune tant qu’il s’agissait de convaincre les clients de traiter avec lui. Il était en cela efficacement secondé par sa femme. Plus fortunée que son mari, mais affligée d’un physique ingrat qui n’attirait pas les prétendants, Lucie Moret avait passé la plus grande partie de sa vie dans un couvent. Délaissée par sa mère, elle s’était profondément attachée aux religieuses qui lui tinrent lieu de famille. Les parents de Gustave, en la choisissant pour belle-fille, lui offraient la chance de sortir du couvent : elle se dévouera avec ferveur à son mari.
Leur premier enfant, Françoise, vint au monde en 1887. Espérant un héritier, ses parents ne cachèrent pas leur déception. Sa mère surtout lui montra peu d’affection, reproduisant exactement ce qu’elle avait vécu pendant son enfance. La naissance d’un garçon, Hubert, n’y changea rien, non plus que celle de Marie-Thérèse, petite dernière aimée et dorlotée. Françoise est envoyée très tôt au couvent des Oiseaux de Verdun, où elle doit apprendre tout ce qui fera d’elle une bonne épouse, une bonne mère, et rien de plus. Intelligente, elle aurait pourtant aimé étudier, prendre le voile et enseigner, ce que la supérieure du couvent, mère Bertrand, fut la seule à comprendre, comme elle fut la seule adulte à aimer la fillette ; bien des années plus tard, la mort de mère Bertrand affectera d’ailleurs Françoise bien plus profondément que celle de sa propre mère. Cependant madame Brasseur veillait : le rôle de Françoise n’était pas d’étudier dans un couvent, encore moins d’enseigner, mais de faire un beau mariage qui consoliderait le rang de la famille dans la société.
Pourtant, très seule et timide, Françoise avait peu d’amis et encore moins d’occasions de rencontrer d’éventuels prétendants. Elle n’était proche ni de son frère ni de sa sœur, qu’elle connaissait peu, ni de ses parents qui ne lui trouvaient guère d’intérêt. À bientôt vingt ans, elle aurait pu déjà être mariée, mais personne ne s’en était occupé, jusqu’à ce que les affaires de son père marquent un peu le pas. Celui-ci s’avisa alors brusquement de marier sa fille aînée le plus tôt possible. Un ami des deux familles mentionna le nom de Beauvoir : unir la fortune d’une banque à une particule aristocratique, c’était l’alliance idéale.
La famille Bertrand de Beauvoir remonte au XIIesiècle par son premier ancêtre attesté, Guillaume de Champeaux, l’un des fondateurs de l’université de Paris. En Champagne et en Bourgogne, l’arbre généalogique des Champeaux étendit de nombreuses branches. L’alliance de deux d’entre elles se fit au début du XIXe siècle par le mariage de deux cousins, Marie-Elisabeth de Champeaux et Narcisse Bertrand de Beauvoir. Ils s’établirent à Meyrignac, près d’Uzerche, sur ces terres qui devaient devenir le lieu de villégiature de toute la famille.
Leur fils Ernest-Narcisse épousa Léontine, une demoiselle Wartelle, d’une riche famille du Nord, fondant ainsi la fortune moderne des Beauvoir. Bien qu’étant l’aîné et l’héritier des terres, il préféra s’installer à Paris où il mena une carrière de fonctionnaire avant de se retirer à Meyrignac. Léontine était une femme austère, dont la famille s’enrichissait sans bruit mais régulièrement depuis des générations. Elle racontait souvent à ses enfants comment l’un de leurs ancêtres, se piquant d’appartenir à la noblesse et le criant sur les toits, fut guillotiné en 1790. « Les Beauvoir sont originaires de Bourgogne. La mère de papa était une Wartelle d’Arras. À un certain de Beauvoir, anobli en 1786, on coupa la tête en 1790. Depuis, dans la famille, il n’y eut plus de snobs de la particule. J’adore cette histoire. », raconte Hélène, la petite sœur de Simone, dans sesSouvenirs. En réalité, cette histoire devait surtout leur apprendre les vertus de la discrétion, de la modestie et du travail, tout en sous-entendant leur origine aristocratique.
Léontine et Ernest-Narcisse eurent trois enfants, Gaston, Hélène et Georges. Les terres de Meyrignac revinrent à Gaston, tandis qu’Hélène, épouse d’un hobereau des alentours, vécut sur sa propriété de La Grillère, à une vingtaine de kilomètres de ses parents. Georges, futur père de Simone, était à la fois le plus jeune et le plus fragile des trois enfants, ce qui lui valut d’être littéralement adoré par les femmes de sa famille. Élève brillant au collège Stanislas, sa mère fondait de grands espoirs sur lui. Mais la mort brutale de Léontine, d’une fièvre typhoïde compliquée d’une pneumonie, laissa son fils de treize ans totalement désemparé.
Ernest-Narcisse était en effet un père aimant mais peu au fait de l’éducation des enfants. Ses deux aînés mariés et installés, il veilla à terminer l’éducation du plus jeune sans se rendre compte de son désarroi. Celui-ci arrivait à l’adolescence muni des principes rigoureux inculqués par sa mère : religion, travail et discipline. Sa mère disparue, il se retrouva face à un père respectueux de la religion bien que non pratiquant, conseillant à son fils d’apprendre un métier, mais soucieux surtout de mener sa vie à la manière des aristocrates, en vivant de ses rentes. Peu à peu, Georges en vint à rejeter le sérieux maternel et préféra à l’étude et au travail les salons chics de Paris, où il était accueilli favorablement, étant de bonne famille, bien fait de sa personne et d’agréable compagnie. Sa véritable passion, c’était le théâtre, mais dans sa position, il ne pouvait bien sûr être question d’en faire un métier. Georges avait toutefois pris des leçons et connaissait tous les lieux de spectacle de Paris. Dès qu’il en avait l’occasion, il jouait dans les troupes d’amateurs de la haute société très en vogue à l’époque. N’ayant pas une part d’héritage suffisante pour en vivre, il se résigna à entamer une carrière d’avocat. La profession ne le passionnait guère, mais enfin elle ne lui imposait que peu de contraintes et lui procurait une situation sociale honorable, ainsi que le plaisir de parler en public. Il allait avoir trente ans quand son père décida qu’il était temps pour lui de quitter la maison et d’assurer seul son avenir. Pour cela, il fallait lui trouver un bon parti qui compenserait par une dot généreuse la modestie de son héritage.
Voici comment deux jeunes gens qu’a priori rien ne rapprochait en dehors de leur milieu social furent présentés l’un à l’autre à Houlgate, durant l’été 1906. Pour les Beauvoir, c’était l’assurance d’une dot et d’une jeune fille de bonne éducation ; pour les Brasseur, un degré de plus dans l’échelle sociale, car Georges appartenait à une famille aristocratique. Et miracle, Françoise, jolie jeune fille à la conversation agréable, et Georges, charmant et spirituel, se plurent. Il fit sa demande quelques semaines après leur première rencontre et fut favorablement accueilli : quatre mois plus tard ils étaient mariés.

2 L’amour, malgré tout

« De mes premières années, je ne retrouve guère qu’une impression confuse : quelque chose de rouge, et de noir, et de chaud. »
Le 9 janvier 1908, à peine plus d’un an après le mariage de Françoise et Georges, Simone Ernestine Lucie Marie vient au monde. C’est, aux dires de son entourage, un bébé magnifique, robuste, avec de beaux cheveux bruns et les yeux bleus des Beauvoir. Ses parents ne semblent pas regretter la naissance d’une fille ; ils sont fiers d’elle et ne manquent pas une occasion de la cajoler. Peut-être chacun a-t-il encore en tête des souvenirs douloureux de sa propre enfance : l’aînée mal aimée et le benjamin oublié de son père. La famille est installée 103 boulevard du Montparnasse, au-dessus du café la Rotonde. Françoise a une entière confiance en son mari qui lui a fait découvrir la vie parisienne, les livres et le théâtre. Il rentre souvent de son travail avec des violettes, les fleurs qu’elle préfère. Et si quelques nuages financiers se profilent à l’horizon, la jeune femme préfère les ignorer. Elle a apporté dans son trousseau du linge, des meubles ; et Georges démarre bien sa carrière d’avocat. Louise, une jeune fille de Meyrignac, leur a été envoyée par Ernest-Narcisse pour tenir la maison. Elle restera avec eux de longues années, jusqu’à son mariage, et devient pour Françoise et ses enfants bien plus qu’une domestique. « C’est à Louise que j’ai dû la sécurité quotidienne. […] Sa présence m’était aussi nécessaire et me paraissait aussi naturelle que celle du sol sous mes pieds. »
C’est en effet Louise qui est chargée de s’occuper de la petite Simone : elle lui donne son bain, la promène chaque jour dans un lourd landau, la nourrit et veille sur son sommeil. Mais ses parents s’en occupent également beaucoup, suivant les conseils des pédagogues de l’époque, et prennent chaque jour le temps de jouer avec elle. Ils tiennent à lui donner une éducation solide et moderne, et la considèrent très tôt comme une petite adulte. Dès l’âge de quatre ans, la petite fille qui fait preuve d’une inlassable curiosité, sait lire. Elle sait aussi poser sa propre carte de visite, sur le plateau d’argent présenté par un domestique, à l’entrée des salons que fréquente sa mère. Ses parents lui vouent une véritable admiration, au point qu’ils lui passent bien des caprices. Ses brusques colères qui la rendent bleue de rage sont célèbres dans la famille et parmi les amis ; selon les cas elles suscitent amusement ou réprobation. Au jardin du Luxembourg, pleurant de fureur d’avoir été contrariée, elle donne un jour un coup de pied à une dame qui voulait calmer son chagrin. Une parente qui écrit des histoires morales pour enfants utilise même son comportement pour édifier ses petits lecteurs et faire par la même occasion la leçon à Georges et à Françoise, accusés dans la famille d’être modernes, ce qui n’est pas un compliment. « Je hurlais si fort, pendant si longtemps, qu’au Luxembourg on me prit quelquefois pour une enfant martyre. “Pauvre petite !”, dit une dame en me tendant un bonbon. Je la remerciai d’un coup de pied. Cet épisode fit grand bruit ; une tante obèse et moustachue, qui maniait la plume, le raconta dansLa poupée modèle.»
Entre-temps, le 9 juin 1910, une petite sœur est née : Henriette Hélène. Cette fois, Françoise et Georges espéraient un garçon et ne cachent pas que cette deuxième fille est en quelque sorte superflue. Le grand-père Brasseur leur envoie une lettre de félicitations pour la naissance d’un fils, et rajoute un simple post-scriptum « je viens d’apprendre que c’était la naissance d’une fille. Que la volonté de Dieu soit faite. » Hélène est plus petite que son aînée, menue, blonde, mais elle aussi a les yeux bleus de son père. Son apparente fragilité de poupée de porcelaine lui vaut le surnom de Poupette, qu’elle gardera longtemps. Fort heureusement, si ses parents la considèrent comme une pâle doublure de Simone, les deux petites filles nouent très vite une relation profonde. L’aînée apprend tout ce qu’elle sait à sa cadette, laquelle lui voue une grande admiration. Elles se complètent, évitant ainsi la jalousie : « J’avais une petite sœur : ce poupon ne m’avait pas. »
L’enfance est pour Simone une période merveilleuse : ses parents l’admirent et lui passent la plupart de ses brusques colères, tant que celles-ci ne provoquent pas de scandale public. Sa sœur lui voue un amour inconditionnel qu’elle lui rend bien. Leur milieu privilégié leur assure le confort et l’insouciance, même si la ruine de Gustave Brasseur et les mauvaises affaires de Georges vont peu à peu ternir ce bonheur. En juillet 1909 en effet, de mauvais placements ont conduit le père de Françoise à la faillite et même en prison pour treize mois. L’énorme scandale causé à Verdun n’est jamais évoqué dans la famille ; les Brasseur s’installent simplement à Paris et Gustave continuera toute sa vie à monter diverses affaires plus ou moins réussies, persuadé que le succès reviendrait. Il ne versera jamais à Georges la dot de sa fille.
Françoise est entièrement dévouée à ses filles et à son mari qu’elle admire et devant lequel elle se sent toujours coupable du scandale paternel. Georges mène sa carrière ; elle s’occupe de l’instruction des enfants. L’éducation de Simone commence par la religion : encore bébé, sa mère l’emmène à la messe et lui enseigne l’histoire pieuse. Ensuite elle lira absolument tous les livres de ses enfants, contrôlera tout ce qu’elles apprennent et les empêchera de jouer avec tout enfant – y compris les camarades de classe - dont elle ne connaît pas suffisamment la famille pour savoir si ce sont des gens fréquentables. Cette véritable censure durera très longtemps, la poussant à étudier l’anglais et le latin afin de continuer à surveiller les lectures de ses filles. La fusion obligatoire et permanente entre la mère et les filles va créer entre les deux sœurs une alliance solide qui les aidera ensuite à s’opposer à la toute-puissance maternelle.
Pour l’instant, cet amour n’est pas encore étouffant. Les contraintes imposées par Françoise, les conditions qu’elle pose à leurs fréquentations donnent le sentiment à ses filles d’appartenir à une élite dont l’éducation se doit d’être soignée. Par ailleurs on reçoit beaucoup chez les Beauvoir, l’ambiance est gaie, on joue de la musique et on chante. Plusieurs fois par an les vacances les mènent dans le sud de la France, et les longs étés se passent à Meyrignac, un paradis où tous les cousins se retrouvent et sont moins surveillés qu’à Paris. Les deux sœurs, inséparables, inventent ensemble des jeux souvent inspirés de la vie des saints que leur fait lire leur mère. Simone joue le rôle de la martyre chrétienne qui résiste vaillamment à la torture et Hélène celui du persécuteur, tyran romain ou seigneur impie. Une façon pour Poupette de prendre sa revanche ? Comme celle-ci le raconte elle-même dans sesSouvenirs, la noble sainte (Simone) triomphe toujours à la fin : « Ainsi un jour, j’étais parvenue à l’enfermer dans une tour et, comme j’étais un méchant homme, je l’empêchais de faire ses prières – il faut dire que notre père était athée – je lui interdisais d’aller à la messe, je lui avais même déchiré son missel en menus morceaux, fictivement bien entendu. Mon triomphe fut de courte durée, elle m’annonça qu’elle avait tout recollé ! J’étais eue ! » Et les deux petites filles, complices, échappent un peu à la surveillance permanente de leur mère grâce à ces jeux de rôles pour lesquels elles se sont inventé un code compréhensible d’elles seules.

3 Entrer à l’école, c’est entrer dans le monde

« Au mois d’octobre 1913 – j’avais cinq ans et demi – on décida de me faire entrer dans un cours au nom alléchant : le cours Désir. »
À la fin de l’été 1913, le retour à Paris marque un grand changement dans la vie des deux sœurs : Simone a cinq ans et demi et doit entrer à l’école. Naturellement, il n’est pas question d’inscrire la petite fille ailleurs que dans un cours privé, catholique, dans lequel elle n’aura que de bonnes fréquentations et un enseignement moralement irréprochable. Il y a seulement huit ans que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat a été votée, dans un climat de tension ravivé en 1908 par la loi complémentaire sur la répartition des biens ecclésiastiques. Si le lycée a la faveur de nombreuses familles bourgeoises, il est impensable pour Georges de Beauvoir d’y faire entrer sa fille : il craint pour elle la mauvaise influence d’une société plus mélangée. Il attache énormément d’importance à son éducation, tant morale qu’intellectuelle. Françoise, qui au contact de son mari a pris conscience de la pauvreté de l’enseignement dispensé aux filles dans les écoles religieuses et les couvents, ne tient pas à mettre Simone dans un établissement strictement religieux. De plus, dans les écoles catholiques les élèves doivent impérativement être demi-pensionnaires, porter un uniforme et une paire de gants blancs lavés chaque jour. Pour la famille Beauvoir, ce sont là des frais excessifs ; si Georges souhaite suivre les usages de l’aristocratie, il n’en a guère les moyens matériels.
Le cours Désir aura finalement leur préférence. Fondé par une aristocrate laïque, Adeline Désir, cette institution est destinée à prodiguer aux filles de la bonne société une véritable éducation. Les enfants y passent entre dix et douze ans, et y reçoivent une instruction intellectuelle et religieuse. L’école dispose d’une chapelle privée ; un prêtre vient y enseigner le catéchisme aux élèves, qui évitent ainsi la fréquentation des enfants de la paroisse. Les autres cours sont dispensés par des institutrices surtout préoccupées par la morale à inculquer aux filles pour qu’elles tiennent au mieux leur rôle dans la société. Malheureusement, cela appauvrit considérablement les contenus de l’enseignement qui doit toujours rester dans les limites autorisées par l’Église. Pour les petites filles de la bonne société, une seule alternative : se marier ou prendre le voile. Georges voit dans cette école une garantie morale et une affirmation de son statut social, Françoise y trouve l’assurance d’une éducation catholique. Ne doit-on pas prononcer « Desir », en omettant l’accent, afin d’éviter toute ambiguïté de sens ?
Quant à Simone, qui sait déjà lire et compter, elle brille facilement : « Je savais lire, écrire, un peu compter : j’étais la vedette du cours “Zéro” ». Elle aime être la meilleure et travaille dur pour maintenir son rang, au point que sa mère et ses institutrices lui reprochent souvent le désordre de sa tenue. Elle est en effet si pressée de commencer sa journée d’école qu’elle néglige coiffure et vêtements. La discipline rigoureuse, les cérémonies de félicitations lui conviennent : elle est curieuse d’apprendre et avide de reconnaissance, et elle redoute plus que tout l’inaction et l’ennui.
Elle ne noue pas de relations avec les autres élèves qui déchiffrent à peine leur alphabet : les enfants ne l’intéressent pas, elle qui est considérée depuis longtemps comme une petite adulte par son père. De plus, sa mère n’encourage pas les fréquentations entre enfants. Pour l’instant, Simone se satisfait entièrement de la compagnie de ses parents, de ses enseignantes et de sa sœur qu’elle instruit au fur et à mesure qu’elle-même apprend. Poupette est une bonne élève, toujours prête à se plier à la discipline imposée par son aînée. Ainsi, malgré leurs deux ans d’écart et l’entrée de Simone à l’école, les deux enfants restent très proches, et la séparation n’est pas trop douloureuse.
Au cours Désir, les mères sont fortement incitées à assister à la classe, et attribuent les notes de conduite. Françoise ne manque jamais de donner un dix à sa fille. Les élèves sont donc en permanence sous la surveillance étroite des adultes, auxquels pas un mot, pas une bêtise, pas une étourderie ni un instant de rêverie n’échappent. Il y a deux séances hebdomadaires de lecture des notes : « Chaque mercredi, chaque samedi, je participai pendant une heure à une cérémonie sacrée, dont la pompe transfigurait toute ma semaine.” ».
Chaque matin et chaque soir, les deux petites filles assistent à la messe avec leur mère, le service religieux encadrant ainsi la journée de travail. À la maison, lorsque les devoirs sont faits, elles prient toutes les trois, sous l’œil narquois de Georges. Sceptique, celui-ci ironise sur les miracles de Lourdes et procure à Simone une littérature plus consistante que les ouvrages édifiants fournis par sa femme : Rudyard Kipling, Fenimore Cooper, Jules Verne. Ce mélange de culture et de censure, de liberté intellectuelle et de religiosité sera certainement à l’origine de l’indépendance d’esprit des deux fillettes. L’amour qu’elles portent à leur mère, l’admiration qu’elles vouent à leur père et les contradictions qu’elles observent entre ces deux personnages si importants pour elles les amèneront peu à peu à douter, à chercher à se faire leurs propres opinions. Car leur entente est sans faille : bien que l’aînée soit la préférée, Hélène et Simone sont solidaires et le resteront. Heureusement, car les années sombres s’annoncent : la guerre est proche.

4 La fin d’un monde

« Papa partit pour le front en octobre ; je revois les couloirs d’un métro, et maman qui marchait à côté de moi, les yeux mouillés. »