Sombre philharmonie - Philippe Morieras - E-Book

Sombre philharmonie E-Book

Philippe Morieras

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Beschreibung

Violoniste au sein de l’orchestre philharmonique de Paris, Alexandre Rivière est découvert sans vie dans sa loge. Les éléments trouvés sur les lieux suggèrent qu’il aurait pu mettre fin à ses jours. Cependant, flanqué de sa jeune recrue Loane Legrand, le commissaire Costel ne peut ignorer un fait troublant : Victor Larnod, le chef de l’orchestre, traîne déjà un lourd passé. Un lien existerait-il entre la mort du violoniste et celle de la femme de Larnod, assassinée quelques années plus tôt ?

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Philippe Morieras découvre le plaisir de l’écriture très tôt, et s’il ne suit pas une trajectoire professionnelle littéraire, cette passion l’accompagne depuis toujours. Il signe ici son premier roman publié, un polar teinté d’érotisme.

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Seitenzahl: 331

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Philippe Morieras

Sombre philharmonie

Roman

© Lys Bleu Éditions – Philippe Morieras

ISBN : 979-10-422-1870-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Alexandre Rivière regagna sa loge, éreinté.

Son altercation avec Victor Larnod, le chef d’orchestre, l’avait nerveusement épuisé et il était, de plus, particulièrement mécontent de sa prestation du soir. Il avait été « en dedans », et avait eu un jeu quelque peu machinal, sans réussir à distiller une quelconque émotion. Un jeu techniquement irréprochable, en place, mais fade. En tant que premier violon de l’orchestre, on attendait de lui une interprétation plus personnelle et plus engagée. Ce soir, Alexandre n’avait fait que respecter l’œuvre originelle, mais sans y avoir laissé une quelconque empreinte. Il avait été une bien pâle copie de lui-même…

Le concert avait été organisé en faveur d’une œuvre humanitaire, dans une assez grande confidentialité et peu de journalistes avaient été invités. Les critiques du lendemain seraient sans doute peu nombreuses, fort heureusement, d’autant qu’un article déjà peu élogieux était paru à son sujet dans la presse, il y avait quelques semaines. Une presse non spécialisée, mais quand même. Il ne supporterait pas une nouvelle publicité de ce type.

Cependant, ce n’était pas en jouant comme ce soir que les choses allaient s’arranger. Ni vis-à-vis de Victor Larnod, qui avait évoqué l’idée de le reléguer au sein de l’orchestre en tant que violoniste non-soliste, ni vis-à-vis des journalistes qui se délectaient de ces petites histoires et qui sauteraient sur l’occasion pour précipiter sa disgrâce.

Un frisson le traversa à l’idée de réintégrer le cœur de l’orchestre. Quelle humiliation ce serait ! Il imaginait déjà les railleries des autres musiciens… de tout le monde, en fait.

Non, cela ne se pouvait pas. Quel autre musicien était capable de prendre la place ? En toute honnêteté, deux autres violonistes en avaient à la fois la capacité et la rage. Ils n’attendaient que ça, les fumiers !

Furieux contre lui-même, contre Larnod, contre tous, il jeta son violon sur un fauteuil rouge sombre, geste qu’il regretta immédiatement. Fort heureusement, le velours de celui-ci offrit à l’instrument une chute plutôt moelleuse. Un son disgracieux s’en échappa lorsque le manche heurta l’accoudoir, mais ce fut la seule conséquence à déplorer. Quel con ! Vraiment ce n’était pas digne de lui. Il s’assura que le manche ne se soit pas vrillé et entreprit, comme à chaque fin de concert, de nettoyer et vérifier consciencieusement l’instrument, c’était une habitude qu’il avait prise depuis quelques années. Cependant, il changea d’avis. Après une première vérification rapide, il reposa le violon et s’assit devant le miroir.

Sale gueule, pensa-t-il.

Il voulut se passer un peu d’eau fraîche sur la figure, mais dut se rendre à l’évidence : ce n’était décidément pas sa soirée. Seules quelques gouttes s’échappèrent du robinet situé dans une sorte de minuscule salle d’eau privée, avant de laisser place à un râle caverneux de mauvais augure.

« Merde, manquait plus que ça ! »

Les vestiaires les plus proches se trouvaient au bout du couloir. Ce n’était pas la distance qui l’angoissait, mais le fait de pouvoir se trouver nez à nez avec un des membres de l’orchestre ou pire, avec Larnod. Pas ce soir, pas maintenant. Il souhaitait être seul.

Il ouvrit la porte de la loge et passa la tête au-dehors. Aucun bruit sinon les sons lointains de la scène que les techniciens de maintenance avaient commencé à ranger et à nettoyer.

Il hésita quelques secondes, tendit l’oreille à nouveau. Le silence du couloir le rassura. Il s’y engagea sans faire de bruit pour se rendre aux sanitaires publics de l’Opéra. Les lieux n’avaient pas encore été nettoyés et une forte odeur d’urine lui prit la gorge lorsqu’il y pénétra. Les gens étaient vraiment dégoûtants. Il préféra ne pas s’aventurer à chercher la provenance de l’odeur répugnante, sans doute un homme avait-il uriné à côté, comme d’habitude. Cela devenait quasi systématique, et exclusivement réservé à la partie des hommes, qu’il délaissa pour se réfugier « chez les dames ». Tant pis s’il était surpris, après tout, il n’en avait que pour quelques secondes. Et merde à celui ou celle qui y trouverait à redire !

Fort heureusement, car il aurait détesté devoir se justifier, les vestiaires femmes étaient aussi déserts que leurs homologues masculins et respiraient la propreté.

Les miroirs lui renvoyèrent cependant la même image. Celle d’un homme épuisé et aux traits tirés.

Il prit appui sur le rebord des lavabos en marbre blanc et rose, pour se dévisager, cette fois plus longuement. La quarantaine ne lui allait guère. Et avec les années, le surpoids non plus. En quelques mois, il avait pris plus d’une dizaine de kilos. Malbouffe, alcool et ennui.

« What else », apostropha-t-il son reflet en ricanant.

Tu parles, il n’avait rien de commun avec Clooney ! Oubliant toute éventualité d’intrusion, il quitta sa veste en tissu noir, la déposa sur le rebord du lavabo, puis ouvrit un à un les boutons de sa chemise.

Gras du bide, pensa-t-il… il respira un grand coup tout en gonflant les pectoraux et en rentrant le ventre.

Voilà !

Voilà l’homme qu’il aurait dû être s’il avait fait un peu attention à lui. Mais ces dernières années de sédentarité totale avaient inexorablement accompli leurs méfaits, et il en était là, dans une pente éminemment dangereuse. À tout point de vue.

« Pfff… »

Il se relâcha. Son tour de ventre prit dix centimètres de plus en une fraction de seconde. Il détestait l’image que lui offrait le grand miroir aux moulures dorées, cadeau dont il se serait bien passé.

Il reboutonna sa chemise jusqu’à l’avant-dernier bouton, mais ne prit pas la peine de remettre sa chemise dans son pantalon, fit couler l’eau froide et s’aspergea le visage longuement.

La fraîcheur lui fit un peu de bien.

Il regagna sa loge, si ce n’était avec entrain, du moins sans trop traîner des pieds. Il se sentait un peu mieux.

Il trouva la porte entrouverte… curieux, il lui semblait pourtant l’avoir fermée… qu’importe, la fatigue devait lui jouer des tours…

Il saisit son violon au passage et se rassit devant son miroir, soulagé de pouvoir décompresser enfin.

Mais quelque chose clochait… il approcha son visage du miroir. Pourquoi donc se sentait-il si mal à l’aise soudain ? Il s’observa plus attentivement sans rien déceler de plus. Et se figea soudain, pétrifié. Ses yeux quittèrent le reflet du miroir pour se poser sur son instrument. Quelqu’un l’avait manipulé en son absence et en avait ôté les cordes… Il n’eut que le temps d’apercevoir une silhouette haute et sombre avant de sentir l’acier des cordes pénétrer la chair de son cou…

1er septembre 2019

8 h 30

— Bonjour monsieur Larnod. La police vous attend, monsieur Larnod.

— Oui, bonjour Denis, je sais…

Denis regarda passer Victor Larnod devant lui, le suivit des yeux alors qu’il montait lentement les marches de l’Opéra Bastille. L’homme l’impressionnait. En qualité d’agent de sécurité, Denis connaissait la majorité des gens qui travaillaient ici. Il avait été embauché à l’occasion « des Troyens », premier spectacle lyrique hébergé par l’opéra, le 17 mars 1990. Il avait rencontré Victor à cette occasion et lui vouait depuis une admiration sans bornes.

Du haut de ses 1m95, Victor Larnod dégageait une aura certaine. Son pas lent, mais précis, son imposante carcasse vêtue d’un long manteau noir qu’il arborait depuis des années, ses mains élégantes et fines, son visage exagérément pâle qu’il cachait sous de longs cheveux noir ébène, tout en lui tant dans son attitude que son physique inspirait le respect et parfois la crainte au sein de son milieu professionnel.

On l’avait d’ailleurs très vite surnommé « le Comte » en référence au célèbre comte des Carpates.

Quoi qu’il en dise, cette image l’amusait et l’arrangeait d’ailleurs un peu. Cela lui garantissait une certaine tranquillité, tant de la part des médias qui avaient pourtant fait les choux gras du meurtre de sa femme quatre ans auparavant, que de la part de ses collaborateurs.

Depuis, Victor vivait seul, avec ses filles Margot et Rachel, sept et neuf ans, en retrait de la société. Pour l’aider dans l’éducation de ses filles et dans l’entretien de son domicile, Victor avait fait le choix d’engager une jeune fille au pair, Maria, laquelle s’avérait être d’une aide extrêmement précieuse et était très appréciée de ses filles.

Victor, lui, la trouvait peut-être un peu jeune malgré ses vingt-cinq ans. Pétillante et pleine de vie, elle ne suivait pas, c’était le moins que l’on puisse dire, les recommandations de Victor en termes d’éducation, et il avait cru que Maria ferait de Margot et Rachel de vraies petites pestes, chose qu’aurait certainement détesté son épouse. Mais rapidement Victor s’était rendu à l’évidence : ses deux filles allaient beaucoup mieux aujourd’hui et Maria n’y était pas étrangère. Il lui en serait éternellement reconnaissant.

Grâce à elle, Victor avait réappris un peu à vivre. Ses éclats de rire, son enthousiasme et son optimisme à toute épreuve bousculaient une existence devenue pesante et difficile.

Il escalada, songeur et un peu inquiet, les dernières marches de l’opéra.

La police l’avait appelé, il y avait à peine une heure, sans lui donner la moindre explication sur les raisons de cette convocation. Simplement elle lui avait annoncé avoir besoin de lui pour un témoignage et lui avait demandé de les rejoindre au plus vite sur les lieux.

Victor avait machinalement enfilé le manteau que sa femme lui avait offert quelques semaines avant sa mort, avait demandé à Maria d’emmener les enfants à l’école, s’était installé dans sa vieille Ford Mustang et avait pris la route, l’esprit un peu tourmenté par cet appel inattendu.

— Monsieur Larnod, je présume ?

L’homme face à lui, âgé approximativement d’une quarantaine d’années, avait le visage buriné et le teint mat, et devait sans doute être d’origine nord-africaine.

Victor avait l’habitude d’observer attentivement ses congénères.

Contrairement à ce que son entourage professionnel pouvait penser de lui et à une image austère, Victor était un homme profondément humain qui se félicitait chaque jour, c’était un de ses derniers plaisirs, du brassage ethnique de la population française. Il se réjouissait de la richesse culturelle et de l’incroyable diversité de pensées, de croyances et de coutumes que cette immigration avait apportées avec elle.

— Oui, bonjour… Inspecteur ?

— David Costel, Inspecteur divisionnaire.

L’inspecteur Costel était en compagnie du directeur de l’opéra, visiblement très tourmenté, et de Loane Legrand, sa nouvelle équipière, toute fraîche sortie de l’école, qu’il ne prit pas, sur le moment, la peine de présenter.

Saisissant doucement, mais fermement le bras de Victor, l’inspecteur l’invita à suivre ses pas. Ils prirent congé du directeur et se dirigèrent rapidement vers les coulisses, sans échanger un seul mot.

Victor en profita pour observer la jeune inspectrice qui le précédait d’un pas : plutôt jolie, de longs cheveux bruns enroulés dans un chignon professionnel, la silhouette fine et élancée, Loane n’en paraissait pas moins solide. Sa démarche volontaire trahissait un caractère certainement bien affirmé, sans que cela n’entache une sorte de grâce naturelle dans son attitude générale. Loane Legrand ne correspondait pas à l’idée que l’on peut se faire d’un agent de police, du moins pas à l’idée stricte que Victor s’en faisait.

Il crut déceler chez elle une sorte d’agitation qui l’intrigua, mais fut néanmoins très vite renseigné sur ce qui rendait l’inspectrice nerveuse :

— Ce n’est pas très beau à voir, j’en suis désolé…

Costel avait poussé la porte de la loge du violoniste, et révéla ainsi le cadavre à Victor.

— Monsieur Larnod, veuillez entrer s’il vous plaît.

Victor avança d’un pas hésitant, se baissant pour ne pas se cogner la tête dans le chambranle de la porte.

— Reconnaissez-vous cet homme ?

Victor n’eut pas besoin d’observer plus attentivement l’homme qui occupait depuis maintenant trois ans une place prépondérante au sein de l’orchestre philharmonique. Qui plus est, son nom était inscrit sur la porte de sa loge… cette question était stupide…

Choqué, il détourna le regard du cadavre presque instantanément.

— … Bien sûr inspecteur, il s’agit d’Alexandre, 1er violon au sein de l’orchestre.

— Bien sûr en effet… Depuis combien de temps le connaissiez-vous ?

Victor mit quelques secondes avant de répondre.

— Cela doit faire environ trois ans, inspecteur…

Puis se tournant vers Costel :

— Puis-je vous demander ce qui justifie ma présence ici ? N’importe qui, à commencer par Denis, notre vigile, aurait pu vous confirmer son identité.

— C’est juste M. Larnod, mais nous avions besoin de vous, tout spécialement.

— Besoin de moi ? Je ne vois pas en quoi je puis vous être d’une quelconque utilité, de plus…

— Laissez-nous en décider par nous-même, voulez-vous ? Nous aimerions avoir votre ressenti sur l’état psychique de monsieur Rivière ainsi que votre avis sur la façon dont il a décidé de mettre fin à ses jours. Il semble s’être en effet suicidé, même si nous n’excluons aucune piste…

— Un suicide ?

— Oui, cela a l’air de vous étonner ?

Victor regarda à nouveau le mort.

— Je ne sais pas… Je n’entretenais avec Alexandre que des relations professionnelles, nous n’étions pas très proches…

— Peut-être avez-vous quand même un avis sur la question ?

— Très honnêtement, inspecteur, je ne sais pas trop quoi vous dire ! Les musiciens et moi-même avons en effet remarqué qu’Alexandre semblait un peu préoccupé depuis quelques semaines, mais de là à penser au suicide, je n’en ai aucune idée. Encore une fois, nous n’étions juste que collègues.

— Et monsieur Rivière avait-il noué, à votre connaissance, des relations plus étroites avec d’autres membres de l’orchestre ? Aurait-il pu se confier à quelqu’un ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, je suis navré. Vous savez, je mène une vie assez solitaire et même si j’apprécie la plupart des membres de l’orchestre, je ne passe guère de temps avec eux en dehors des heures de répétitions et des soirs de concert.

— Très bien. J’avais espéré que vous pourriez nous aider davantage sur ce point… Mais ma coéquipière, mademoiselle Legrand, dit-il en désignant la jeune femme, est troublée par un détail…

La jeune inspectrice, qui s’était tenue jusqu’à présent un peu à l’écart, s’avança alors vers le fauteuil rouge sombre et s’empara précautionneusement de l’instrument, non sans avoir enfilé au préalable des gants en latex blancs. Elle le présenta à Victor, et prit la parole.

— Est-ce bien le violon de monsieur Rivière ?

— Oui, il me semble, en effet.

— Pouvez-vous l’examiner, s’il vous plaît ?

— Certainement…

Victor observa l’instrument avec attention, tandis que Loane le lui présentait sous tous les angles.

— Oui, il s’agit bien du sien, aucun doute là-dessus. Il me semble qu’il s’agit d’un violon que son père, luthier, lui avait fabriqué… Le corps est en érable et épicéa… C’est un bel instrument, Alexandre en prenait le plus grand soin.

— À ce propos, n’y a-t-il rien qui vous étonne ?

Victor prit à nouveau quelques secondes avant d’ajouter :

— Non… mis à part le fait que les cordes n’y sont plus…

Il ne comprit l’importance de sa remarque qu’au silence pesant qui lui fit suite.

— Mon Dieu !

Il se retourna lentement pour observer pour la première fois plus attentivement le cadavre.

Le violoniste était encore vêtu, en partie, de sa tenue de scène, le col de chemise simplement défait, maculé d’un sang rouge-noir. Les cordes avaient entamé les chairs et restaient profondément enfouies, presque indiscernables, si ce n’était par le sillon tuméfié, lequel formait autour du cou une sorte de collier.

Le violoniste était en position assise, les jambes allongées droites devant lui, les fesses ne touchant pas tout à fait le sol cependant. Il s’était pendu au tiroir haut d’une sorte de commode. Comment avait-il pu trouver la force de se pendre ainsi ?

Victor regarda à nouveau la jeune femme.

— Est-ce bien ce que je crois ?

Loane opina.

— Nous aimerions justement avoir votre avis.

En tant que musicien, que pensez-vous de la façon dont monsieur Rivière a choisi de mettre fin à ses jours ? Sans vous demander une analyse de psy alambiquée, comment interprétez-vous, toujours en qualité de musicien, le fait de choisir les cordes de son instrument pour se donner la mort ?

— Je… je ne sais pas. Énormément de musiciens ont un rapport fusionnel avec leur instrument. Pour certains, il s’agit presque d’une maîtresse. J’ai été moi-même dans ce cas, ça m’a coûté mon premier mariage… mais pourquoi y chercher une quelconque explication ?

— Parce que c’est notre métier monsieur Larnod : trouver des raisons alors qu’il semble n’y en avoir aucune…

— …

— Monsieur Larnod, nous savons que vous avez eu une conversion très animée avec le défunt, hier soir, juste après le concert. Vous lui auriez reproché un manque de professionnalisme.

— Oui en effet, mais je ne vois pas en quoi...

— Qu’entendiez-vous par là ?

— Eh bien, c’est vrai, depuis un mois, Alexandre ne s’investissait pas comme il l’aurait dû. Il me semblait, comme je vous l’ai dit, un peu absent. Je lui ai simplement demandé de se ressaisir, en lui expliquant qu’il ne pouvait se permettre de laisser ses problèmes personnels envahir sa vie professionnelle. Il l’a très mal pris et s’est emporté. Nous nous sommes en effet quittés fâchés.

Loane reprit la parole, et s’adressant à Victor.

— Nous avons trouvé cette lettre, à ses pieds.

Victor prit le papier que l’inspectrice lui tendait. Les quelques mots couchés sur le papier l’ébranlèrent profondément. Fournissant un effort désespéré pour ne pas montrer aux deux policiers son malaise, Il rendit la lettre à Loane d’une main un peu tremblante cependant. Elle le regarda avec insistance, mais choisit de ne pas le bousculer pour le moment. Elle glissa la lettre dans une pochette plastifiée avant de la ranger.

— Qu’en pensez-vous ? interrogea néanmoins Costel.

— Je n’en sais rien, je ne comprends pas… cette lettre ne ressemble pas à Alexandre, je ne sais vraiment pas quoi en penser inspecteur…

— Il n’y a rien qui vous étonne ?

— Je ne sais pas, c’est si soudain… je ne comprends pas le contenu de cette lettre, jamais je n’aurai imaginé qu’il puisse en arriver là… je ne peux malheureusement pas vous aider davantage inspecteur…

— Très bien, ce sera tout pour le moment.

Costel invita le chef d’orchestre à se diriger vers la sortie, mais l’interrompit presque aussitôt.

— Ah, monsieur Larnod, nous aimerions que vous ne vous absentiez pas trop durant les dix prochains jours. Nous vous serions reconnaissants de nous prévenir en cas d’absence. Je crois savoir que vous n’avez pas de concert prévu à l’étranger d’ici la fin du mois, vous ne devriez pas être trop handicapé par cette petite disposition.

— Eh bien, je n’ai en effet rien de prévu professionnellement, mais je pensai partir quelques jours avec mes filles en Italie… et d’autre part, je ne vois pas en quoi je peux vous être encore utile…

— Vous partirez le mois prochain, voilà tout.

— Je ne comprends pas, inspecteur.

Costel planta son regard dans celui de Victor avant d’ajouter :

— Cette lettre laisse supposer que monsieur Rivière s’est en effet suicidé. Mais d’une part je ne crois pas qu’un homme se suicide pour les raisons invoquées, et d’autre part, vous me trouverez peut-être vieux jeu, ce genre de lettre d’adieu est manuscrite dans une écrasante majorité des cas. Contrairement à celle-ci…

1er septembre

18 h

La journée avait été rude et Victor décida de passer se changer les idées chez Sergueï, avant de rentrer chez lui. Maria s’occuperait bien de faire dîner les filles. Il prit son portable et composa le numéro de son domicile. Il était encore tôt, sans doute Maria était-elle passée faire quelques courses, après être allée chercher les filles à l’école… Il laissa un message pour prévenir de son retard, avant d’enfouir à nouveau le téléphone dans sa poche de manteau et de pousser la porte du restaurant russe.

Sergueï était un ami de longue date, qui était venu s’installer en France, cela faisait maintenant plus de quinze ans. Il avait monté ce petit restaurant dans l’espoir de pouvoir simplement vivre de sa passion : la musique. Si le restaurant n’avait jamais brillé dans les guides culinaires, il emportait toutefois l’adhésion et l’enthousiasme d’un public de connaisseurs, auquel Sergueï offrait chaque soir de savants mélanges de musique traditionnelle et de jazz, tantôt seul au piano, tantôt en quartet. Et il n’était pas rare que les clients, musiciens pour la plupart, se joignent à l’orchestre en fin de soirée pour un bœuf comme seuls les jazzmen savent le faire.

Il était encore un peu tôt, Victor savait que la soirée ne débuterait pas avant 21 h. Mais Sergueï pourrait sans doute lui offrir un verre, et un peu d’écoute.

En voyant entrer Victor, Il s’exclama.

— Mon ami ! Heureux de te voir !

— Bonjour, Sergueï, je ne te dérange pas ?

— Pas le moins du monde. Je t’en prie, je t’en prie, entre. Excuse-moi de ne pas venir t’accueillir, j’ai les mains dans le caviar !

Il partit dans un rire sonore. Il s’était expatrié, car le Pays n’avait pu lui offrir de vie digne pour lui et sa famille et il tirait une grande fierté de sa réussite. Il achetait aujourd’hui de grosses quantités de caviar et il tenait là un des signes les plus flagrants de cette réussite. Plus qu’un symbole, une revanche sur sa condition passée.

Victor lui sourit :

— Sois raisonnable, tu risques l’indigestion !

Sergueï lui répondit par un clin d’œil.

— J’ai une grosse table ce soir, une réservation pour huit, un repas d’affaires, je crois. Ils tournent au caviar pendant tout le repas, j’ai dû en recommander pour l’occasion… Mais qu’est-ce qui t’amène ? Tu ne viens pas si tôt d’habitude ?

— Je ne fais que passer, je ne vais pas te déranger longtemps. J’ai eu une journée un peu difficile et je n’avais pas envie de rentrer tout de suite : un des musiciens de l’orchestre s’est suicidé hier soir. J’ai passé une partie de la matinée avec deux inspecteurs de police.

— Merde… quelqu’un que je connais ?

— Oui, il s’agit d’Alexandre, mon premier violon.

Sergueï perdit soudain son entrain.

— Alexandre !! Merde… c’était un chic type. C’est incroyable, il est encore passé ici la semaine dernière… Tiens, regarde, ce devait être mardi dernier, je l’avais même pris en photo, il était particulièrement bien accompagné !

Sergueï avait l’habitude de prendre des photos de ses clients, connus ou pas, qu’il exposait sur un des murs du restaurant. Alexandre y apparaissait en effet en compagnie d’une jeune femme ravissante, environ la trentaine.

— Il semble que ce soit un suicide, mais la police n’exclut aucune autre hypothèse.

— Merde… un meurtre ?

— C’est probable oui, même s’ils ne m’ont rien dit de tel formellement. Mais ils me demandent de rester disponible pour d’éventuelles informations complémentaires… J’avais promis aux filles de les emmener en Italie la semaine prochaine, je ne sais pas comment leur annoncer que notre voyage devra être annulé.

— Ils n’ont rien contre toi, ils ne peuvent te retenir ici !!

— Si ce n’est une lettre qu’Alexandre a laissée avant de mourir…

— C’est-à-dire ?

— Il a laissé une lettre pour expliquer son geste… et je dois dire qu’elle m’a secoué…

Il se fit hésitant. Le malaise qui l’avait assailli à la lecture de la lettre d’adieu du violoniste était à présent moins tangible. Il n’en subsistait qu’une vague impression sans réelle substance. Sans doute la vision du cadavre d’Alexandre l’avait-elle simplement, et sur le moment, perturbé. Sergueï allait peut-être le trouver ridicule. Qu’importe.

— Ce matin, cette lettre m’a fait l’effet d’un électrochoc… mais je dois dire que maintenant je ne sais plus. Je n’ai plus vraiment les mots en tête, mais son contenu n’était qu’une succession de reproches…

— De reproches ? Envers toi ?

— Non, justement, et c’est bien ce qui m’a perturbé. Nous avions des rapports un peu tendus et surtout dernièrement, aussi ça je l’aurai compris. Encore que nos frictions ne puissent certainement pas justifier un tel acte, ça n’a pas de sens. Non au contraire, ses mots n’étaient qu’une succession d’autocritiques infondées. En synthèse, il explique dans sa lettre mettre fin à ses jours du fait d’une souffrance permanente liée à son manque de talent, au fait qu’il n’était, de ses propres mots, qu’un « bouffon », un usurpateur. Jamais je n’ai eu des mots de ce genre à son égard ! Et jamais je n’ai pensé qu’il pouvait avoir cette opinion de lui-même. Oui, nous nous sommes accrochés ces derniers temps, il n’était pas vraiment investi, il était ailleurs… mais son acte est totalement démesuré… Alexandre, si on en croit ses mots, ne se sentait pas digne de l’orchestre, pas digne de moi… c’est insensé…

— C’est curieux en effet… et que pense la police de cette lettre en particulier ?

Ils n’y croient pas, c’est évident… Et si cette lettre n’a pas été écrite par Alexandre alors il s’agit forcément d’un meurtre… un meurtre, Sergueï ! Ici, dans les loges de l’opéra ! et j’ai l’impression qu’elle fait de moi un potentiel coupable.

— Calme-toi, nous n’en savons rien pour le moment. Quelle est la suite, une enquête est ouverte ?

— Je ne sais pas quelles vont être leurs conclusions…

Victor quitta Sergueï alors que les premiers clients arrivaient et que les musiciens s’attachaient à faire la balance et à accorder leurs instruments.

Il hésita à prendre le métro pour rejoindre la rue de Lyon où il avait laissé sa mustang le matin même. Il préféra marcher un peu et laissa l’arrêt Faidherbe-Chaligny derrière lui.

Plutôt que de l’apaiser, Sergueï l’avait au contraire conforté dans son malaise et ses incertitudes.

Alexandre avait été assassiné. Il le sentait. Mais par qui, et pourquoi ?

Et cet inspecteur qui lui demandait de rester à disposition. Était-il réellement considéré comme un suspect potentiel ?

La soirée était fraîche, il remonta son col avant de plonger les mains dans ses poches. Mais il se ravisa. Il lui fallait prévenir Maria. Il composa le numéro de son domicile.

Première sonnerie, on décrocha : c’était Rachel.

Son « Allo » suffit pour que Victor comprenne que quelque chose n’allait pas. Rachel était au bord des larmes. Maria n’était pas allée chercher les filles à l’école, et la directrice de l’établissement avait dû se résoudre à les ramener chez elles.

Maria n’y était pas. Et Maria n’était pas rentrée depuis.

2 septembre

7 h 10

Loane se jeta hors de son lit, prit au vol un déshabillé négligemment posé la veille sur un sofa, qu’elle enfila tout en se saisissant du téléphone qui hurlait pour la cinquième fois. Dans la précipitation, le mobile lui échappa alors qu’elle se battait avec la ceinture en soie, visiblement décidée à passer par la manche plutôt que dans le passant cousu pourtant à cet effet.

Elle tira un coup sec sur une des extrémités, laquelle céda.

« Tant pis pour la ceinture », se dit-elle en s’amusant de la situation.

« Voilà ce que l’on appelle un vrai déshabillé », pensa-t-elle en voyant son reflet dans l’énorme miroir du salon.

Les cheveux en pagaille, à peine démaquillée de la veille, le vêtement largement ouvert sur son corps endormi, elle n’en était pas moins séduisante. Elle se cambra un instant pour s’examiner avec plus d’attention. Fit tomber le déshabillé qui échoua en chiffon à ses pieds, rejoignant ainsi le téléphone qui s’était tu.

Elle paraissait plus grande qu’elle ne l’était en réalité, conséquence d’une silhouette élancée, aux formes subtiles.

« Subtiles ».

C’est ainsi qu’elle préférait envisager la chose… et d’ailleurs, en quoi le fait d’arborer une poitrine à la Kim Kardashian faisait-il d’une femme une meilleure amante ?

La fille couchée dans son lit pourrait sans doute témoigner que Loane n’avait pas manqué de générosité cette nuit… formes « subtiles » ou pas.

Poursuivant son observation, elle accompagna cette dernière pensée d’une légère caresse sur un sein, le prit doucement dans une main, simulant ainsi le port d’un soutien-gorge. Satisfaite de l’expérience, elle sourit de contentement : ses seins étaient parfaits. Pas très gros, mais joliment formés, tout ronds, ils se tenaient avec majesté et avec un soupçon d’arrogance sans qu’elle n’ait besoin de porter de sous-vêtements, si ce n’était, parfois, par pure coquetterie ou dans le cadre de son travail.

Son sein gauche arborait une petite tâche de naissance, au-dessus du téton. Un détail insignifiant, mais hautement érotique… comme peuvent l’être parfois les petites imperfections du corps.

Heureuse de ce premier constat, elle fit glisser l’autre main le long de son ventre et se plaça de profil, face au miroir. Petite coquetterie féminine, elle se hissa sur la pointe des pieds un court instant tandis qu’elle pivotait de quelques degrés pour observer à présent ses fesses. Elle resta un moment dans cette position, une main sur le ventre, une main sur le sein, se contemplant une dernière fois avec satisfaction.

La sonnerie du téléphone, qui s’était tue quelques instants, la fit sursauter à nouveau. Sans prendre la peine de se rhabiller, elle ramassa le téléphone puis décrocha.

Costel.

Sa bonne humeur retomba d’un cran.

David Costel était un bon flic, elle le savait. Et c’était une chance incroyable, pour elle, tout juste diplômée, que de l’avoir comme coéquipier. Qui plus est, c’est lui-même qui avait demandé à l’avoir comme partenaire.

Elle travaillait d’arrache-pied à se montrer digne de sa confiance, mais force était de constater que la communication entre eux n’était pas des plus facile. L’inspecteur restait assez réservé et parlait peu en dehors de son travail. Elle ne connaissait quasiment rien de lui. Elle savait juste qu’il avait été marié, et qu’il était père de trois enfants qu’il ne voyait presque jamais. Ils n’en avaient jamais parlé tous les deux.

— Bonjour, je ne vous réveille pas ?

— Non, ça va, je me levais. Un problème ?

— On peut dire ça en effet. Nous avons un nouvel élément concernant l’affaire Rivière. J’aimerais que vous me rejoigniez directement chez monsieur Larnod.

— Que s’est-il passé ?

— Notre chef d’orchestre semble décidément avoir des ennuis. Il emploie une jeune fille au pair depuis des années, une dénommée – Costel chercha un instant ses notes –, une dénommée Maria Aguas. Elle se charge habituellement d’aller chercher ses filles à l’école, ce qu’elle n’a pas fait hier soir. Et elle demeure ce matin introuvable.

Ils avaient longuement débriefé la veille au soir sur le suicide du violoniste. En l’absence d’élément nouveau, rien ne permettait de conclure à un homicide. Pas d’effraction, pas de vol, pas de trace très évidente de lutte… et une lettre d’adieu. C’est justement ce dernier élément qui leur paraissait à tous deux le plus curieux. Même dans les cas de harcèlement professionnel, ce dont il pouvait être question dans cette affaire, les victimes ayant choisi de mettre fin à leurs jours avaient pour habitude d’accabler leurs bourreaux. Larnod par ailleurs était apprécié de la très grande majorité des membres de l’orchestre, aucun témoignage n’avait sous-entendu qu’il puisse ou qu’il ait pu avoir un comportement inadéquat, avec quiconque.

Ça ne collait pas.

Loane ne fut donc pas surprise outre mesure que l’affaire devienne plus complexe. Elle ne s’attendait toutefois pas à ce que cela soit si rapide.

— Je peux y être d’ici une heure.

— OK, 8 h 30 là-bas. Je vous attends face à la cité des congrès, dans le petit café qui fait l’angle. À tout à l’heure.

Costel raccrocha avant qu’elle n’ait eu le temps de confirmer.

Bon, une heure, cela lui laissait à peine dix minutes pour passer sous la douche et enfiler une tenue appropriée. Elle prendrait un petit déjeuner rapide au lieu de rendez-vous, pendant que Costel lui exposerait les faits plus en détail avant qu’ils ne se rendent ensemble chez le chef d’orchestre.

Elle reposa le téléphone sur une table puis regagna la chambre et trouva Lucie, qui s’apprêtait à se lever à son tour.

— Tu pars ? demanda-t-elle.

— Oui, navrée. Je n’ai que dix minutes pour me préparer. Mais prends ton temps. Pour le café, tu as des capsules pour le percolateur au-dessus du réfrigérateur et tu devrais trouver de quoi manger. En partant, tu n’auras qu’à laisser la clé dans la boîte aux lettres, j’en prends un double.

Lucie se glissa hors du lit avec délicatesse. Le moindre de ses gestes semblait avoir été étudié pour provoquer le désir. Elle s’approcha de Loane, avançant avec élégance, plongea son regard noir dans celui, bleu intense, de l’inspectrice. Puis avança la bouche avec douceur avant de mordre soudain la lèvre inférieure de l’inspectrice, qu’elle suça aussitôt plus tendrement. Se collant contre l’inspectrice, et tout en glissant ses mains dans son dos, elle lui murmura lentement à l’oreille :

— J’ai envie de toi…

Loane eut un frisson quand les doigts de Lucie atteignirent ses reins. Elle l’arrêta pourtant. Bon sang que cette fille était belle, mais Costel l’attendait et il ne lui pardonnerait pas un retard certain si elle ne mettait un terme aux caresses de la magnifique jeune femme.

— Fais comme chez toi. Je t’appelle dès mon retour.

Elle ramassa enfin son déshabillé, se rendit dans la salle de bain pour prendre une douche, en sortit à peine plus de cinq minutes plus tard, coiffée, maquillée et habillée. Elle embrassa rapidement Lucie avant de quitter enfin son appartement.

Elle arriva avec quinze minutes de retard.

À sa grande surprise, Costel ne fit aucune remarque. Il paraissait même jovial ce matin.

Elle lui tendit la main avec un sourire.

— Bonjour David.

— Bonjour. Bien dormi ?

— Euh… Oui, merci.

— J’espère ne pas vous avoir dérangée tout à l’heure ? Peut-être étiez-vous occupée ? Je m’en voudrais d’avoir appelé à un moment inopportun…

Rarement Loane ne l’avait vu d’humeur aussi joyeuse. Elle en fut un peu interloquée. Ne sachant que répondre, elle bredouilla un « non non, pas le moins du monde » peu convaincu et peu convaincant.

— Allez, asseyez-vous, je vous ai commandé un café et des croissants.

Loane prit place en face de lui.

Il semblait amusé.

— Puis-je savoir ce qui vous amuse ?

— Je vous ai sans doute un peu pressée ce matin… vous avez des traces de rouge à lèvres… sur votre cou.

Il se fendit d’un large sourire, que Loane traduisit comme une raillerie à peine dissimulée, mais bienveillante, presque paternelle.

Il lui tendit une serviette.

— Tenez… ça fera plus… professionnel.

— Merci… désolée, je suis partie un peu précipitamment.

— Ne le soyez pas. Je vous ai appelée tôt.

Costel se rembrunit un peu, et, baissant la tête, ajouta :

— Et ne faites pas comme moi Loane. Ne négligez pas votre vie privée, profitez de votre jeunesse…

Il se tut quelques secondes, que Loane n’osa pas interrompre.

— Bon, assez d’apitoiements ! Venons-en à l’affaire Rivière. Ou plutôt l’affaire Larnod, devrais-je dire ! La disparition de Maria Aguas donne une nouvelle direction à ce qui est officiellement devenu, depuis ce matin, une enquête. Nous reprenons donc l’affaire sous un nouvel angle. Mais cela ne fait que confirmer nos impressions.

Costel se baissa pour ramasser sa serviette en cuir râpeuse, et en sortit une chemise sombre qu’il déposa sur la table. « Dossier Rivière ».

L’inspecteur était un homme méthodique et méticuleux. Ses dossiers en apportaient la preuve. Y étaient soigneusement classés les différents éléments, pourtant encore minces, de l’enquête. Et notamment un dossier sur Maria Aguas, la jeune fille au pair de Victor Larnod.

Loane s’étonna :

— D’où sort-il ?

— C’est Larnod, à ma demande, qui me l’a mailé hier soir. Rien d’extraordinaire. Quelques photos, les coordonnées de ses parents, que nous devrons d’ailleurs appeler sans tarder, un numéro de téléphone d’une copine de faculté. Pas de petit ami, du moins Larnod n’en a pas connaissance. Peut-être l’étudiante pourra-t-elle nous en apprendre davantage. Nous passerons la voir en fin de matinée, elle rentre manger chez elle tous les midis.

Loane observa avec attention les quelques photos que Costel lui présentait. La jeune femme était souriante, sur chacune d’entre elles. La première la présentait en compagnie de Victor et de deux enfants, sans doute les filles du chef d’orchestre, pensa Loane. Tous les quatre paraissaient former une petite tribu unie et heureuse. Et si l’on devait accorder du crédit à ces photos, Maria semblait détendue et équilibrée. Rayonnante.

Il était difficilement concevable à la vue de ces clichés qu’elle ait pu volontairement abandonner sans aucune explication Victor et ses filles. La thèse d’un enlèvement ou d’un accident était malheureusement la plus plausible.

Mais pour quelle raison ? Maria n’était a priori qu’une étudiante tout à fait banale.

Perdue dans ses pensées, elle ne prit pas garde au café brûlant qu’elle avala d’un trait. Elle s’étrangla à moitié, ce qui ne manqua pas d’amuser à nouveau Costel… La jeune inspectrice commençait à lui plaire…

L’inspecteur déposa sur la table l’acompte en monnaie, et se leva tout en rangeant le dossier Larnod dans sa serviette.

— Il est temps que nous y allions.

Loane s’essuya rapidement la bouche et se leva à son tour.

Le temps s’était franchement dégradé lorsqu’ils franchirent le seuil de la porte. Heureusement, Larnod habitait à deux pas, ils éviteraient la pluie, avec un peu de chance.

Ils arrivèrent bientôt devant une maison très basse, aux grandes baies vitrées, protégée du regard par une haie de thuyas épaisse. Ils n’eurent pas besoin de chercher le numéro, la voiture du chef d’orchestre était garée dans l’allée.

Ils sonnèrent à l’interphone. Puis ils patientèrent un moment, avant que Larnod ne vienne enfin leur ouvrir.

— Excusez-moi, le système électrique est en panne. Désolé de vous avoir fait attendre.

Loane remarqua qu’il lui adressait ses excuses à elle. Sans savoir pourquoi elle en fut presque heureuse. Petite fierté d’être considérée, elle, la petite nouvelle.

La bonne humeur de Costel lui avait d’ailleurs fait retrouver la sienne et elle dut se contenir pour ne pas faire preuve d’empathie excessive à l’égard de Victor. Elle se contenta de hocher la tête et passa devant Costel qui lui ouvrait le passage.

— Bonjour monsieur Larnod.

Costel n’attendit pas de réponse et enchaîna :

— Nous ne serons pas longs, Monsieur Larnod. Nous aimerions seulement voir la chambre de Mademoiselle Aguas et discuter un peu avec vos filles, avec votre permission.

Larnod semblait fatigué.

Rien d’étonnant à cela.

— Je vous en prie inspecteur, je suis à votre disposition. Mais Margot et Rachel sont très perturbées par la disparition de Maria. Comme moi d’ailleurs. Pourriez-vous ne pas les affoler et les inquiéter plus qu’elles ne le sont déjà ? Depuis la mort de ma femme, c’est Maria qui veille sur les petites, et elles l’aiment énormément.

— Ne vous inquiétez pas, ma collègue sait faire preuve de tact, elle verra vos filles pendant que j’inspecterai la chambre de mademoiselle Aguas.

L’inspectrice acquiesça d’un hochement de tête.

Victor referma le portail derrière lui.

Loane et David l’observèrent tandis qu’il peinait à le cadenasser à nouveau.

Hier Victor leur avait fait l’impression d’un homme fort et élégant, mais ce matin il semblait avoir pris dix ans.

Ils lui emboîtèrent le pas et pénétrèrent bientôt dans un vaste hall d’entrée, orné de photos noir et blanc. Essentiellement des portraits de grands musiciens.