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Extrait : "M. Lambert des Forts s'arrêta un moment à l'entrée du jardin ; droite et longue, une allée s'étendait devant lui, tentante en cette heure matinale où le soleil oblique d'hiver touchait d'or léger les herbes tenaces que la sarclette ne persécutait plus. Il mesura de l'œil la distance à parcourir pour aller au banc souhaité et ne s'en effraya pas d'abord."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 311
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335097702
©Ligaran 2015
À CEUX QUI NOUS REVIENNENT
M. Lambert des Forts s’arrêta un moment à l’entrée du jardin ; droite et longue, une allée s’étendait devant lui, tentante en cette heure matinale où le soleil oblique d’hiver touchait d’or léger les herbes tenaces que la sarclette ne persécutait plus.
Il mesura de l’œil la distance à parcourir pour aller au banc souhaité et ne s’en effraya pas d’abord. Ce n’était pas encore un vieillard, c’était un homme qui venait d’être jeune. Son esprit s’en souvenait dans un corps qui l’oubliait de plus en plus. Il marchait péniblement et pensait de façon alerte.
À peine avait-il fait quelques pas qu’il sentit s’alourdir sa fatigue et s’accuser la souffrance de ses reins ; il regarda autour de lui et jeta un léger cri d’appel.
– Henriette…
Une voix répondit aussitôt si claire et si fraîche qu’elle semblait se jouer sur le bruit rieur d’un ruisseau courant en cascades vers les prairies qui entouraient le petit manoir.
– Papa.
Et une jeune fille apparut pleine de grâce.
Ce mot de salutation angélique pouvait lui être appliqué ; toute jeune, petite de corps, menue de gestes, aisée et fine dans ses mouvements et dans ses voltes, elle rappelait le joli portrait que nous a tracé Saint-Simon d’Adélaïde de Savoie, Duchesse de Bourgogne. Un ovale de visage d’une perfection amusante et narquoise, deux yeux bruns et prestes, faisant sous les sourcils droits une danse de sylphes, la lèvre vive prompte et bonne, le cou d’une courbe câline et replète ; ses cheveux légers en broussaille sur le front pouvaient figurer une manière de Fontanges et, par un charmant anachronisme, se relevaient par derrière en chignon à l’antique. Sa démarche, eût dit le Duc, était celle d’une déesse sur les nues, mais la pétulance y nuisait à la majesté et quelque mythologue du XVIIe siècle l’eût plutôt comparée à la nymphe Galatée de Virgile.
D’un geste habitué, elle passa son bras sous celui de son père, pour le soutenir en paraissant s’y appuyer et les jeunes pas aidèrent les vieilles jambes qui s’équilibrèrent rassurées.
Ils furent ainsi jusqu’au banc de pierre, que M. des Forts s’obstinait à prendre pour un autel druidique et restèrent un moment silencieux à contempler le doux paysage et à goûter la joie éphémère de ce faux printemps.
Ils disaient, pour parler, pour que leur silence ne fût pas trop plein de pensées.
– Il fait doux – l’air est tiède, – tu as bien dormi ? – Et toi, papa ? – On ne dort jamais bien à mon âge, on n’a plus assez de temps. – Si tu savais, quels sommes je fais, moi, dans mon pieu… – Tiens-toi plus droite, ma chérie.
Et il objecta doucement, en forme de prière :
– On ne dit pas « pieu », Riette, c’est si simple de dire un lit.
– Oui, mais c’est bien plus long, tandis que pieu, ça y est.
– Tu trouves ?
– Papa, dis-moi tout de suite que j’ai le dos rond et que je suis mal élevée, dis-le. Mais pourquoi faire ? je le sais bien va.
Leur querelle est tendre, joyeuse, ils s’en amusent ; deux jeunes chiens qui se disputent un bâton donneraient l’impression de ce débat.
Elle continue, agressive :
– Papa, tu sais, on dit aussi : Plumard.
– Tu m’ennuies… Tiens voilà Pulchérie qui vient nous chercher pour déjeuner.
– Papa, pourquoi l’appelles-tu Pulchérie quand son nom est Julie ?
– Parce que Pulchérie vient de Pulcher qui veut dire beau en latin.
– Eh bien ?
– Regarde-la ; tu vois que j’ai raison.
La pauvre fille qui s’avance porte la plus laide figure du monde et le père comme l’enfant s’en amusent en secret.
Il se sent un peu gâteux ; il jouit de cette conscience, il lui semble que la vieillesse ainsi lui fait un signe et l’invite ; il l’accepte doucement comme on consent à s’endormir à la fin du jour.
Et, de nouveau, il essaye de marcher, se lève plein d’espoir et de vivacité… ; la douleur le guette, l’atteint et le mord ; il trébuche, le petit bras se glisse sous le bras alourdi et soulève l’énergie du vieux corps. Ils vont vers la servante que M. des Forts salue d’un sourire.
Le déjeuner est servi dans la salle à manger des jours solitaires ; l’autre, à côté, il y a dix mois était pleine de monde, de bruit, d’animation ; un valet de pied en veston de coutil y faisait un service discret et rapide, malgré les chiens qui se fourraient entre ses jambes, malgré l’abondance des plats à passer. Par les fenêtres ouvertes, on voyait le soleil de midi battre durement le sol de la terrasse ; des parfums de prairies vertes, de fleurs, de sèves, entraient. Des jeunes voix mâles se mêlaient à des rires d’enfants, et, aussitôt le repas fini, des trompes d’auto retentissaient invitant aux longues promenades.
Aujourd’hui le père et l’enfant déjeunent un peu silencieux servis par Julie, dite Pulchérie, dans la petite pièce frileusement fermée ; malgré la gaîté d’Henriette, ce repas est triste et seules les incartades du chat Moucharabieh écartent et distraient un instant la préoccupation des deux convives.
Sans le vouloir, malgré eux, ils attendent quelque chose.
Ils attendent quoi ?
Un homme qui, là-bas, vient de quitter la petite ville en relevant sur son épaule la courroie d’une lourde boîte ; comme celle de Pandore elle est pleine de tous les biens et de tous les maux, elle contient même l’espoir, mais aussi la déception.
L’homme marche le long des routes, franchit les ponts, gravit les côtes, descend les pentes, s’arrêtant de maison en maison ; attentifs, ils écoutent maintenant un rapide colloque dans la cuisine ; c’est lui, le facteur, il doit boire son verre et manger sa tartine, mais que Julie est longue et s’attarde à causer…
– Va voir, Riette, dit le père.
Avant qu’elle ne se soit levée, la porte s’ouvre et la servante apparaît tenant le courrier.
D’une main vive la jeune fille a détaillé le petit amas de papiers ; elle a mis de côté les journaux, écarté d’un coup d’ongle les écritures indifférentes, été droit à l’enveloppe souhaitée, celle que tous les jours ils espèrent et craignent tous les deux. – Tu veux que je lise, papa ?
Ses doigts déchirent le papier, déploient la lettre.
« Mon cher papa,
Vous n’avez rien reçu, Riette et toi, depuis ma dépêche vous annonçant que j’étais arrivé à bon port, vous devez être impatients de connaître mes premiers pas dans la carrière et je vois d’ici ma chère sœur, grillant comme une côtelette, guetter Gramac et l’accuser d’être inexact ; je l’entends maudire la poste et lui prêter les pires négligences ; la vérité est plus simple et Gramac est moins coupable. D’abord, j’étais très fatigué en arrivant et je n’ai pas eu une minute pour écrire, ensuite je voulais pouvoir vous dire mes impressions. Les deux premiers jours, elles ont été tout en rose ; bon lit, bonne nourriture, le matin nous faisions les diables, le soir c’étaient des veillées en famille, égayées de chanteurs amateurs. Enfin la vie de casino… ou presque.
Depuis hier, cela a changé. L’exercice est devenu de plus en plus dur. Ce qui est le plus pénible ce sont les stages d’immobilité en plein air avec la position de "garde à vous". Il fait glacial dans la grande cour nue, et sans les tricots dont ma sœur m’a pourvu j’aurais peine à tenir ; enfin on se réchauffe à la cantine ; mais il y en a tant qui n’ont pas un sou en poche qu’il serait dégoûtant de s’ingurgiter des "réchauffements" devant eux en "faisant Suisse". Tu me vois avec mon escorte de braves pannés, payant le café et le petit verre, mais, – soyez tranquilles, – sans excès et sans poser pour le richard… que je suis si peu.
Nous sommes libres de cinq à sept et j’en profite pour me promener et faire connaissance avec Tours. J’ai aussi porté ma carte chez les Perdrigon, absents en ce moment, et chez notre tante de Palinges, absente elle aussi, mais qui va revenir dans une huitaine.
C’est une belle ville que Tours, mais il y fait diablement froid ; les vents passent comme des escadrons à travers les grands boulevards qui semblent ouverts tout spécialement pour eux et hier, sur le pont qui va au faubourg de Saint-Symphorien, j’ai cru que j’allais être emporté dans la Loire par une rafale ; – elle est pourtant belle, – mais pas tentante pour le bain, la Loire qui roule large et rapide entre ses rives basses, noyant les îles, les sables, les bouquets d’arbres qui l’encombrent d’ordinaire. Tout a été balayé par le fleuve. S’il pouvait les balayer aussi les Boches… mais heureusement qu’ils ne viendront jamais jusqu’ici.
J’ai retrouvé à la caserne l’abbé Mairot, le curé de Villiers aux Saints, qui est sergent de réserve. Ça m’a fait une drôle d’impression de le voir avec une vareuse bleue et un pantalon rouge. Il a l’air en marchant de se souvenir des pans de la soutane, mais cela ne nuit pas à son allure martiale et il sait très bien se faire obéir de ses hommes. Rencontré aussi cet insupportable poseur de Lucien Delarbre qui est au 20e chasseurs. Il m’a dit qu’il avait devancé l’appel pour être sûr d’avoir un cheval, mais le bruit court qu’on va les démonter pour les faire servir à pied ; on n’a plus besoin de cavalerie avec cette guerre de taupes. Il m’a semblé moins suffisant que dans son "château" de Montoire, et plus bon garçon. Mais au fond j’ai bien senti qu’il méprisait encore plus en moi le pousse caillou que le petit hobereau de la Mazurie.
Au moment de clore ma lettre, – car on va m’appeler pour la corvée des pommes de terre, je vois arriver ce gros bêta de Théodore Soulier qui me demande si ce serait un effet de ma bonté de dire à sa famille qu’il va bien et qu’il n’a pas le temps d’écrire. Je confie cette commission à la complaisance de Mlle Riette qui voudra bien se priver de son argot habituel pour cette communication. Un patois vit et animé remplacera avantageusement son langage trop habituel.
En attendant, j’embrasse la petite chérie de tout mon cœur et toi aussi, mon cher papa.
Ton fils qui t’aime tendrement.
ALFRED. »
Ils rient, se regardent et détournent leurs yeux en les voyant un peu gros de larmes.
– Enfin, il va bien ; c’est le principal, dit le père, qui, pour distraire son émotion, a mis la main sur les journaux.
Ils sont de deux sortes. Les uns viennent du pays même et portent la date du jour, leurs titres un peu surannés, leur impression un peu confuse et baveuse les classent : L’Éclaireur du Centre, La Gazette de Limoges ; ce sont des journaux de province ; des feuilles courageuses qui luttent d’habitude pour un idéal et dans un but ; en ce moment ils n’ont qu’une idée et qu’un but : la Patrie et la Victoire ; les autres portent la marque de Paris ; des manchettes tirant l’œil, aux titres nets, des textes éclairés de blancs, faciles et rapides à lire ; ils parcourent ces feuilles, – à la Mazurie Riette peut lire sans contrôle toutes celles qu’on reçoit, – ils échangent des nouvelles, à haute voix ; mais toujours le souvenir du frère et du fils intervient, s’insinue, domine.
– C’est dommage qu’Alfred n’ait pas pu voir les Perdrigon.
– Ni sa tante de Palinges.
– Les Perdrigon surtout ; Adrienne est épatante ; il s’amusera beaucoup chez eux ; mais la Marquise est un vieux rasoir.
– Riette, je t’en prie…
– Oui, papa, je ne le dirai plus.
– C’est très bien…
– Je dirai qu’elle est barbante…
– Je désapprouve cette correction comme forme et comme fond.
– Allons, papa, ne nous disputons pas pour cette vieille toupie…
– Ah ! cette fois…
– Et allons à Bénillac avec l’auto. J’ai un tas de choses à rapporter pour la maison.
– Tu vas encore conduire ?
– Mais oui, papa, mais oui, ça n’a rien d’inconvenant, je t’assure.
– Ce n’est pas inconvenant, mais c’est peut-être dangereux.
– Est-ce que tu me prends pour une mazette ? Et puis il faut bien, il n’y a plus de chauffeur.
– C’est vrai.
– Il n’y a plus de chauffeur, il n’y a plus de meuniers, il n’y a plus de boulangers, il n’y a plus rien… et tout marche tout de même, comme avant. C’est ça qui donne une crâne idée de la femme…
Elle court au garage, amène la Smith and Sons devant la porte, presse avec autorité la poire de la trompe dont l’âcre couac vient troubler M. des Forts, déjà retiré dans l’ombre de sa bibliothèque, ombre dorée par les dos chamarrés des reliures. Il sursaute, emmené déjà très loin dans sa rêverie parallèle aux évènements dont les journaux viennent de lui apporter les récits, Hérodote feuilleté dit :
« Xerxès avait derrière ses soldats des officiers qui les poussaient en avant à coups de fouet ». Et plus loin les doigts se glissent dans ces pages séculaires où il retrouve un écho des lignes actuelles :
« Xerxès allait se loger dans un lieu. L’heure du repas venue, ceux qui régalaient se donnaient beaucoup de peine et le Grand Roi passait la nuit en cet endroit. Le lendemain ils, – ses soldats, – arrachaient la tente, pillaient la vaisselle et les meubles et emportaient tout sans rien laisser ».
Il soupire ému par cette idée : « Les âges ont beau se succéder, l’humanité est toujours la même, c’est-à-dire qu’elle est bien laide ».
Il lui semble voir luire dans les rayons de ses livres les yeux louches d’un dieu féroce et toujours inquiet.
Mais la porte s’ouvre brusque dans la lumière et la désespérance s’écarte. Henriette entre animée, éclatante, apportant du grand air dans la pièce sombre, dissipant les mauvais esprits.
– Papa, tu viens ?
Il gravit péniblement le marchepied trop haut, et s’installe aux côtés de sa fille qui tient le volant avec une autorité souveraine. Elle presse la poire, fait retentir le silence de gémissements offensants et, appuyant sur la pédale, lance la voiture avec l’aisance d’un envol.
– Heureusement qu’Alfred t’a appris, disait le père, en voyant avec orgueil sa fille évoluer dans les tournants et freiner dans les rampes.
– Oh, j’aurais bien appris toute seule, répondait l’audacieuse.
Bénillac, du tournant où ils l’aperçurent, semblait une de ces villes que les enfants sortent des cartons et disposent sur les tables avec une joie mystérieuse de création. Même des arbres verts effilés en pointe complétaient la ressemblance, avec les maisons disséminées, aux toits rouges, noirs ou bleus. L’auto fonça dans les ruelles qui défendent le centre et les quartiers marchands, aux boutiques ambitieuses, effara les poules, ainsi que les chiens, troubla la rêverie majestueuse des chats et déboucha enfin sur la grand-route devenue la grand-rue pendant sa traversée du chef-lieu d’arrondissement.
– Moi, je vais faire mes courses, mais toi, papa, tu ne peux pas me suivre.
– J’irai voir Lonzac, nous causerons un peu.
Elle le guide dans les rues, jusqu’à la petite maison au bord du fleuve ; un escalier de bois vétuste et doux monte à l’unique pièce, précédée d’un petit cabinet pour faire cuire les repas ; les fenêtres s’ouvrent sur un balcon de planches usées, branlantes, qui domine le petit jardin profond en forme de cave, dénudé par l’hiver ; au bas, le fleuve, large, rapide, remué de courants qui délayent et creusent les eaux tournoyantes. À gauche, un pont se jette d’un mouvement hardi et retombe sur l’autre rive où il s’accroche et se maintient ; élégant, mince, il semble un fil étiré d’un pays à l’autre, le fil d’un tissu dans lequel se rassemblent et se combinent les races.
Le vieux Lonzac habite une grande chambre aux murs garnis de vitrines derrière lesquelles s’alignent de ces vagues poteries où les antiquaires aiment à retrouver ou s’imaginer la trace des doigts des races disparues. Sur un carton recouvert de velours reposent des ronds de métal tordus, bossués, salis de terre et d’usure que décorent de confuses effigies. Pourtant les deux maniaques se reconnaissent avec jeunesse dans ces vieilleries. Ils savent que telle pièce de bronze fut frappée par les Bituriges ; qu’on eut attribué aux Lemovices une « fusaïole noire de forme aplatie » et que les objets de fer trouvés dans les fouilles du Mont-perdu « paraissent d’invention postérieure à l’ère chrétienne ».
Cela vaut de longs discours et de savantes discussions. M. des Forts ne regrette pas la peine que lui causa la montée des marches. Derrière les glaces des vitrines, tout un monde lointain renaît et s’agite ; à ses yeux les âges passent, s’émeuvent. Lonzac présente un tesson informe de terre enduit d’une couleur noire et percé de petits trous.
– Voici, dit-il, le dernier résultat de nos fouilles. Ce pourrait être une passoire.
M. des Forts est prodigieusement intéressé, il prend, tourne et retourne l’objet, gratte avec précaution de l’ongle le vernis, médite.
– Trouvé dans les souterrains ?
– Oui, Monsieur Lambert. J’ai parcouru les galeries sous le Mont-Perdu. Elles sont aérées à des intervalles assez rapprochés par des trous qu’on a bouchés avec une grosse pierre. De distance en distance, et surtout aux coudes, il y a dans les parois de petites niches pour y placer un luminaire ; j’ai même cru relever une excavation ovoïde dans laquelle un homme peut se cacher, un homme fort petit d’ailleurs, car je ne parviens à m’y tenir qu’en baissant la tête.
– Très importante cette observation, cela indiquerait le séjour prolongé d’une race naine, de cette race noire qui a peuplé le monde et dont on trouve encore des échantillons au centre de l’Afrique.
– Ce serait l’objet d’une communication à la Société d’Archéologie, mais en ce moment…
Ils se taisent tous deux en hochant doucement la tête ; les siècles se mêlent dans leur pensée arrêtée volontiers à ces vieilles peuplades mystérieuses, si jeunes aux aubes du monde.
Un cri vrille et disperse les ténèbres où ils se complaisent :
– Papa, papa…
– C’est ma fille qui vient me chercher.
Elle est au bas de l’escalier, attirant et retenant toute la lumière du dehors.
– Ne prenez pas la peine de monter, Mademoiselle, dit Lonzac ; mais d’une course elle a déjà escaladé les marches et vient offrir son aide à la descente du vieillard.
– Au revoir, Lonzac.
– À bientôt Monsieur Lambert.
Ce nom patronymique que la moderne snobie lui fait dédaigner, sonne un peu désagréablement à l’oreille de M. des Forts ; ses enfants, – Alfred surtout, – tiennent à la particule cousue depuis deux siècles à son nom de hobereau demi-paysan. Seuls, les vieux, dans le pays persistent à l’appeler ainsi ; ils ne savent pas que la nuit du 4 août, en fauchant les privilèges nobiliaires, a fait lever une moisson nouvelle de noms et de titres.
– Tu as fait toutes tes courses ?
– Oui, papa, l’auto est sortie du garage, nous pouvons partir.
Mais, au moment de tourner la manivelle de mise en marche, Henriette sent dans la machine une résistance qui l’inquiète ; la rébellion se traduit par des pétarades incongrues, par des frémissements sans suite.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– C’est l’allumeur qui ne fonctionne pas. Je vais voir.
Mlle des Forts soulève le couvercle du capot, plonge la tête dans le mécanisme compliqué des tubulures, manie une clef anglaise et fourgonne de sa main gantée. Mais bientôt elle arrache la peau de Suède et la jette sur les coussins de la voiture :
– On ne peut rien faire avec ces machines-là aux doigts ; ça vous empêtre.
– Tu vas avoir des mains de chauffeur.
– Chouette, alors… J’adore ça.
Et de nouveau, le cou se penche et le front s’ensevelit dans les mystères du capot pendant que le père attend, sans s’intéresser à la panne, assis sur un banc du garage et repris, malgré lui, par sa méditation sur les souterrains du Mont-Perdu.
Un grand bruit les fait tressaillir ; devant eux, sur la route, roule en vitesse une quarante chevaux dévorant la chaussée et terrifiant tout sur son passage. Henriette, troublée dans son inspection des bougies, a retiré son nez que timbre une tache d’huile. C’est ainsi parée qu’elle répond au salut de M. et Mme de Delarbre qui traversent en fracas leur ville seigneuriale.
– Là, papa, c’est fait ; nous pouvons partir.
Et la machine, cette fois, s’anime et répond à l’impulsion donnée.
– Tu étais dans une jolie tenue pour te montrer à ces Delarbre qui sont si poseurs.
– Je m’en bats l’œil.
– Et moi j’excuse, sans l’approuver, ton expression parce qu’elle n’est pas moderne ; tu la trouveras au XVIIe siècle dans une comédie de Boursault.
– Mince de Louis XIV… Comment les Delarbre ont-ils pu conserver une auto et un chauffeur quand ou a réquisitionné tout le pays ? Sauf la pauvre nôtre qui est trop petite.
– M. Delarbre s’est fait affecter au ravitaillement ; il est en service commandé.
– Oh ! Les embusqués…
Au moment où elle va tourner dans la ruelle qui la ramène en pleine campagne, un roulement de tambour retentit ; un homme coiffé d’un képi bat la peau d’âne dans le croisement des rues.
– Doucement, Riette, c’est la dépêche.
D’autres aussi s’arrêtent, se groupent, écoutent.
En phrases non ponctuées, le garde lit les communiqués du gouvernement. Ils se résument en ces mots : Rien de nouveau. On a victorieusement repoussé les attaques de l’ennemi, on a progressé de 500 mètres en Woëvre.
– Combien ces cinq cents mètres coûtent-ils de vies humaines, gémit le vieillard, tandis qu’Henriette fait éclater un hymne d’optimisme.
La route s’anime, des paysans circulent menant des bœufs ou des ânes ; des chars de fumier s’engagent en vacillant dans les chemins pour être répandus dans les champs emblavés, déjà de petits tas fument, prêts à réchauffer la terre ouverte par le soc des charrues.
– Là-bas, pense encore M. des Forts, c’est avec autre chose qu’on engraisse la terre.
Et sa pensée erre en Flandre ou en Argonne, sans oser se poser sur son fils qui bientôt partira pour le front.
Mais une contraction brusque des doigts d’Henriette sur le volant le réveille et il entend la jeune fille murmurer de sa voix que, cette fois, l’angoisse et la pitié altèrent :
– Tiens, des blessés…
Des soldats passent deux par deux ou en groupes, l’air déshabitué de n’avoir rien à faire, leur capote bleue bien propre, délavée par les pluies et la boue, couvrant presque le pantalon rouge. Les uns se soutiennent d’une béquille ou d’une canne, d’autres portent le bras en bandoulière, mais les plus émouvants sont ceux dont le front ou la joue sont bandés d’un linge sous le képi. Ils semblent heureux de vivre, malgré quelques rides de souffrance qui contractent parfois les traits et leur geste de saluer est cordial. Presque tous ces convalescents connaissent Mlle des Forts.
Sous le ciel fin, des rayons de soleil se glissent, courent comme une onde sur les terrains, sur les collines, sur les arbres tordus de la route. Ils sont arrivés.
– Veux-tu te charger de répondre à Alfred, demande le père, tandis que le vieux Laurent, – le seul homme qui reste à la maison, – pousse l’auto vers le garage.
– Oui, papa, je m’y mets tout de suite. Et toi, papa, qu’est-ce que tu vas faire ?
– Je vais lire.
Henriette écrit.
Les caractères qu’elle trace sont larges et hauts d’une belle régularité, d’une impression élégante et nette. On est bien loin aujourd’hui de l’illisible anglaise, si fine et si pâle, chère aux examinateurs pour brevets supérieurs.
Mon vieux Frédou,
Nous venons de rentrer de Bénillac ; papa se plonge dans de suaves bouquins et moi je consacre ce reste de jour à liquider mes épîtres en retard, mais naturellement, je commence par mon cher frère. Je ne lui dirai jamais assez mon affection et comme nous pensons à lui d’une façon ininterrompue. Nous sommes à Tours plus souvent qu’à la Mazurie et je suis convaincue que je saurais faire « portez arme » rien qu’à force de t’imaginer accomplissant ce glorieux exploit.
Papa va aussi bien que possible dès qu’il ne marche pas ; l’appétit est bon, le sommeil de même et son pessimisme s’atténue un peu parce que dans Hérodote il a découvert une ressemblance étonnante entre Xerxès et Guillaume. Or, comme tu sais – ou ne sais pas – que ce fameux tyran a mal fini, papa a repris un peu confiance. Tu sais ce que les choses du passé ont d’influence sur lui. Quelle drôle de chose ; le passé, eh bien, c’est le passé, c’est fini. Une seule chose importe, le présent et l’avenir. Or, l’avenir nous nous en occupons, nous nous en chargeons. Toi, du moins, mon frangin, qui peux faire l’exercice en attendant mieux. Oh ? jamais je n’ai tant ragé de n’être qu’une femme…
En attendant je fais mon métier de femme ; je vais à l’ouvroir. Si tu savais la quantité de chaussettes, de cache-nez, de gants, de passe-montagnes que nous avons tricotés, tu serais plein de vénération pour ta sœur. Elle en est digne, car ces séances à l’ouvroir ne sont pas extrêmement rigolotes. Nous sommes présidées par cette vieille Mme Fourcade, – née Duval de Lamare qui a décrété qu’on ne devait pas rire en travaillant pour les soldats. De sorte que tout le monde parle à voix basse, en étouffant les voix ; c’est tout au plus si on ne nous lit pas la vie des saints, comme au réfectoire des couvents.
Mon Dieu, j’ai assez les yeux qui me piquent quand je couds des bandes pour panser les blessures. On devrait comprendre qu’il y a du courage à rire en faisant cela, mais voilà, cela n’est pas « convenable », que de sottises on a dites et faites avec ce mot.
Nous venons de rencontrer à Bénillac l’auto des Delarbre ; ils ont pu éviter la réquisition sous prétexte qu’elle servait au ravitaillement. J’avais le nez fourré dans le capot pour inspecter mon moteur qui ne marchait pas, et, paraît-il, une assez drôle de dégaine. Papa était un peu vexé que ces grands de la terre m’eussent surpris dans cette occupation servile, moi je m’en moque et je me moque aussi d’eux en dépit de la particule. Oui, mon cher, on écrira désormais de Larbre en deux mots. Cette séparation s’est opérée sans douleur et, en dépit Delarbre… généalogique. Informe de cette particularité le jeune et beau Lucien ; peut-être ne l’a-t-on pas prévenu. À quand le Comtat romain ?
Je suis très contente que tu aies raté la Marquise. Elle est très embêtante, mais je te conseille de soigner les Perdrigon. Il y a là un milieu très gai, très bon enfant, sans pose et sans affectation, d’une simplicité rare en province. Adrienne est charmante, quand tu la connaîtras tu diras comme moi. Figure-toi la plus jolie petite tête de chérubin que tu puisses rêver ; des cheveux bouclés et « fous » – comme on dit dans les romans bien écrits, – des yeux d’un bleu qui mériterait de ne pas l’être, tant ils sont pétillants, un nez tourné à l’imprudence (style papa), la bouche un peu grande, découvrant des dents chaotiques qui sont les plus gentilles du monde, foin des mâchoires bien alignées. On en voit assez à la porte des dentistes sur du velours rouge. Un pied, une main, une taille… Enfin un petit délice. J’ai peur que tu n’y laisses ton cœur qui doit être tout entier à la Patrie en ce moment, après nous verrons.
Écris-nous plus souvent et dis-nous si tu as besoin d’argent. Depuis que tu habites la noble ville de Tours, je n’ose plus signer Riette parce qu’il paraît que ce diminutif a une signification friande dans ce pays-là. J’en suis réduite à dire qu’elle t’aime de tout son cœur ta petite.
HENRIETTE.
– Papa, c’est fait ; j’ai écrit à Frédou.
Mlle des Forts a une façon spéciale de prononcer ce mot de papa ; sous ses lèvres la sécheresse du pa s’amollit, s’arrondit et on entend une voyelle qui est entre l’a et l’o. Cela part comme un trait, cela est doux comme une caresse. Cette fantaisie labiale n’est pas pour déplaire au vieillard.
Alfred des Forts, ce jour-là, quitta la caserne à cinq heures et courut à la chambre qu’il avait en ville, rue Clocheville, pour y goûter les douceurs d’un tub réconfortant. Il alluma le petit poêle à pétrole qu’il s’était procuré et put se croire un moment rendu à la vie civile qu’il avait tant prisée. L’eau chaude que son hôtesse lui monta, le rude frottement des serviettes-éponges sur ses membres lavés, le maniement de ses objets de toilette le libérèrent un moment des habitudes nouvelles déjà prises et quand, enveloppé de son peignoir, il se surprit dans son grand fauteuil d’osier occupé à soigner ses ongles selon les rites que lui avait enseignés sa sœur, il eut peine à croire qu’il était fantassin de 2e classe au Xe de ligne. La sollicitude d’Henriette l’avait suivi jusque-là, avait pourvu sa valise des ustensiles les plus minutieux et il sourit avec reconnaissance en admirant en bel ordre dans un placard les bouteilles de liqueur domestiques (et notamment le brou de noix où elle excellait), que la jeune fille lui avait imposées au départ ; même ses yeux s’attendrirent en reconnaissant le petit gobelet d’argent dont il se servait depuis son enfance.
Après cet hommage rendu au souvenir et à la tendresse, il reprit l’uniforme et contempla dans la glace le pioupiou qu’il était devenu.
Ce guerrier était d’assez bonne mine.
Il avait la moustache fine, les yeux clairs et le teint chaud ; on sentait ce visage nourri de plein air, animé de santé, réglé par l’exercice salubre et calme, par l’absence d’inquiétudes et de passion. La génération dont il était n’avait pas connu les doutes, les espoirs, les souffrances de celle que son père représentait ; rarement Alfred s’était demandé le pourquoi des choses ; il trouvait la vie simple et la croyait bonne.
L’esprit humain avait sauté plus qu’un siècle entre le père et l’enfant, parce que M. Lambert des Forts, marié tard, n’établissait d’intervalle entre le XVIIIe siècle et lui que par son père, philosophe royaliste et voltairien né en 1795.
Alfred éteignit son pétrole qui soudain remplit la pièce de l’odeur la plus puante et sortit pour aller voir les Perdrigon.
Il sonna à la porte d’un petit hôtel de briques rouges qui avait un peu l’aspect des maisons des villes du Nord ; mais l’entrée corrigeait cette impression ; elle était large, lumineuse, s’ouvrant sur une grande galerie tapissée de ce rouge confortable à l’œil que le second Empire, si maladroit parfois dans l’art décoratif, sut du moins comprendre et utiliser.
Au bout de la galerie on voyait les arbres d’un parc qui eut paru vaste et beau un jour d’été, mais ne se dénonçait qu’à la clarté d’un ciel où la lune commençait à répandre sa poudre blanche. Le vieux domestique qui avait ouvert la porte parut s’étonner d’abord du costume de ce visiteur, comme s’il n’eût pas prévu la présence de régiments dans la ville. Il se dirigea vers le fond, souleva une tapisserie et dit doucement, timidement, – il semblait s’attendre à une réprimande :
– Madame, c’est un soldat.
La draperie en s’écartant laissait arriver au jeune homme un bruit qu’il avait déjà perçu mais moins nettement. C’étaient des voix de femmes, des rires de jeunes filles, une animation heureuse et bourdonnante que l’annonce du domestique coupa net. Il tomba aussitôt un silence qui parut éternel au « fantassin » arrêté au seuil de la maison. Puis quelqu’un parla :
– Demandez-lui ce qu’il veut, ou plutôt faites-le entrer.
Cela équivalait à une permission abrégeant une attente gênante, et Alfred parut sous la portière. Il vit d’abord une pièce dont les hautes plantes vertes semblaient faire la décoration principale. Jaillis de partout, les phœnix posés dans les angles sur des colonnes cannelées, les palmiers étendant leurs rameaux au-dessus des bacs en bois décorés d’étoiles, les caoutchoucs laissant tomber leurs larges feuilles raides vernies, donnaient un air de serre à deux salons, réunis par une large baie et chauffés exagérément par un calorifère.
Des dames, les unes raides et austères, les autres affectant des poses plus évaltonnées étaient assises dans le cercle traditionnel que la maîtresse de la maison s’ingéniait à rompre mais qui se reformait irrésistiblement après chaque départ ou chaque nouvelle arrivée.
Dans l’autre pièce dont un window donnait sur la pelouse entourée d’arbres qu’Alfred avait, en entrant, aperçus, un buffet rassemblait des assiettes de gâteaux et de petits fours autour d’un somptueux samovar d’argent et de toutes les pièces que nécessite la préparation du thé. Là des jeunes filles goûtaient en caquetant et en fusant des rires, mais leur gaîté s’était interrompue et devenait une curiosité qui faisait fusiller des yeux le soldat un peu interdit malgré son aisance.
Une dame s’était levée de l’angle de cheminée où la tradition la faisait s’asseoir et s’avançait vers le jeune homme avec, sur les lèvres, un sourire indécis d’accueil et d’interrogation. Il prévint la question et se nomma.
– Oh, Monsieur des Forts… Comme je suis heureuse de vous voir… Vous êtes donc ici ? Comment va votre cher père ?
Elle se tournait vers le coin des jeunes filles, appelait :
– Adrienne, viens. Monsieur est le frère de ton amie Henriette, le fils de M. Lambert des Forts que ton grand-père aimait tant.
Adrienne un peu maussade, en enfant qu’on arrache à son plaisir, mais croyant n’en laisser rien paraître, se détacha de son groupe et le soldat vit alors l’original du portrait que lui avait tracé sa sœur.
Comme les bons portraits, celui-ci ne comportait aucune ressemblance ; Alfred eut la naïveté de s’en étonner. C’était une jeune fille d’apparence frôle, de physionomie un peu neutre, de maintien prudent qui lui tendait la main sans presque le regarder et s’informait d’Henriette sans paraître s’intéresser à la réponse. Mais Mme Perdrigon multipliait les questions et accumulait les souvenirs pour bien prouver à la réunion que l’hôte n’était pas négligeable ; elle avait dû reprendre le tricot dont elle s’occupait à croiser les laines et revenait à sa place après avoir au passage, donné un conseil à la jolie petite Mme Lagrange-Duthieu, empêtrée dans la confection d’un passe-montagne.
Elle dut dire :
– Allez, Monsieur des Forts, allez rejoindre ces demoiselles ; je suis sûre qu’elles meurent d’envie de savoir comment on vous traite au dépôt du Xe.
Le jeune homme, maudissant en lui-même la corvée imposée par la fantaisie d’Henriette, dut aborder la redoutable petite troupe féminine qui, le goûter fini, s’était remise à l’ouvrage et piquait de bon cœur des bandes ou coupait des toiles de chemises.
– Prendrez-vous une tasse de thé, Monsieur des Forts ? dit tout de suite Adrienne en voyant venir l’intrus.
Il voulut être drôle et déclara :
– Volontiers, Mademoiselle, cela me changera un peu du Champoreau.
Leur rire éclata et la glace fut rompue.
– Qu’est-ce que c’est qu’un champoreau ?
Le thème était facile pour les amuser ; il ne fallait qu’énumérer les ressources de la cantine, détailler les menus, raconter les camaraderies en chargeant quelques ridicules et finir par un couplet de confiance et de patriotisme ; le succès d’Alfred fut complet, et ce mot qui classe un homme dans l’esprit des femmes et le sacre définitivement courut :
– Il est charmant, qui est-ce ?
Alfred, deux ou trois fois, surprit les regards d’Adrienne fixés sur lui avec un plaisir naïf ; alors il reconnut les yeux que la lettre d’Henriette lui avait décrits et cela suffit à le rendre joyeux pendant qu’après sa visite, il arpentait le boulevard Heurteloup vers l’hôtel où il avait coutume de dîner.
Lucien Delarbre l’y attendait ; leur table à deux places seulement, parée d’un mince bouquet, éclairée de flambeaux électriques, n’offrait qu’un rapport lointain avec la salle enfumée de la cantine ; ils s’assirent et des Forts poussa un soupir de satisfaction, pendant que Lucien, au contraire, s’emportait contre un détail de service négligé. Mais le chasseur se rasséréna en écoutant le récit de la visite que son compagnon venait de faire.
– Vous connaissez les Perdrigon ? Il paraît que ce sont des gens très bien. Vous devriez m’y mener la première fois que vous irez.
– Je serai enchanté de vous présenter ; je demanderai d’abord la permission à Mme Perdrigon.
L’autre ne comprit pas la leçon, car il était absorbé par le souci d’une communication difficile.
– Mon cher Alfred, j’ai oublié de vous faire part d’une modification que nous avons dû introduire dans la façon de prononcer notre nom ; nous avons retrouvé… une personne que nous avions chargée de recherches dans nos papiers de famille… a découvert que… enfin il paraît que nous avions le droit autrefois de nous appeler de Larbre.
– Mais vous l’avez toujours, je pense.