Sool - Olivier Ansidei - E-Book

Sool E-Book

Olivier Ansidei

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Beschreibung

"Sool – La méningite du singe" retrace le parcours de Sool, un ermite moderne dont le quotidien bascule après une visite inattendue qui l’incite à se plonger dans ses souvenirs, évoquant son enfance solitaire dans une ville chaotique. Guidé par un mentor, Sool découvre de nouveaux horizons et commence à rêver d’une vie différente. Son voyage le mène à Tessia, son premier amour, qui lui présente un petit singe. Cette rencontre déclenche en lui une expérience surnaturelle qui marquera un tournant décisif dans son existence.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Olivier Ansidei a trouvé dans l’écriture une nouvelle voie après la naissance de son fils en 2001 et le décès de sa tante. La littérature devient alors pour lui un puissant moyen d’expression.

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Seitenzahl: 253

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Olivier Ansidei

Sool

La méningite du singe

© Lys Bleu Éditions – Olivier Ansidei

ISBN : 979-10-422-4550-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma tante Paule Ansidei (1938-2024)

Nos parcours sont jonchés de mystères.

Celui de la mort ne serait-il pas le plus grand ?

Prologue

Je ne voulais pas raconter moi-même ce qui suit, mais je n’ai plus le choix, c’est le seul moyen de vous transmettre la vérité sur mes travaux et le grand mensonge.

À ce qu’il y a de plus grand que nous, je demande de me préserver de faire le mal, au-delà de tout, de me pardonner !

En début de matinée du neuf juillet de l’année 23 « Après Révélation », j’entreprenais de tondre mon jardin.

J’aime grimper sur mon petit tracteur et le faire vrombir comme s’il était inarrêtable.

L’odeur de la coupe de l’herbe encore humide de la rosée du matin est enivrante.

Mon grand terrain m’offre un moment de loisir bien à moi, je joue du volant, je chante et je vise les herbes comme le ferait un enfant.

Je ne manque jamais d’être le plus précis possible lorsque je m’occupe du tour de la fontaine qui se trouve au centre de mon jardin.

Elle est encadrée de deux bancs sur lesquels je m’accorde un long moment de détente une fois mon travail terminé.

J’ai bâti cette cascade de mes mains et sur un socle en son centre une jeune femme est entourée de deux géants.

Elle reproduit fidèlement une œuvre que j’ai eu le bonheur d’admirer, j’adorerais l’avoir directement sortie de mon imagination, mais ce n’est pas le cas.

Tout à mon amusement, vous comprendrez que je déteste être dérangé lors de ces séances hors du temps.

Lorsque la lumière clignotante à l’arrière de la maison m’indiquait que l’on avait sonné, j’étais loin d’avoir terminé.

Voilà trois longues années que personne ne m’avait visité, au-delà de la contrariété de devoir cesser mon jeu, j’étais surtout étonné.

Il m’avait bien fallu stopper mon engin devant la terrasse, enlever mes bottes, enfiler mes chaussons et traverser toute la maison pour me rendre au visiophone tout en enlevant mes gants.

Devant la caméra du portail se tenaient deux jeunes femmes.

SOOL : Oui, c’est pourquoi ?

LA PLUS PETITE DES DEUX : Bonjour Monsieur, nous voudrions vous interviewer, s’il vous plaît, me dit-elle, semblant sautiller devant la caméra.

Sans même prendre la peine de lui répondre, je raccrochais l’interphone.

J’étais en train de me dire qu’elles avaient l’air particulièrement jolies et voilà qu’elles sonnaient à nouveau.

Un peu agacé, je décrochais pour les entendre me dire à l’unisson : « Monsieur, c’est pour les animaux. »

SOOL : Désolé, je ne m’en occupe plus ! Bonne journée, répondais-je.

Je raccrochais de nouveau prestement et essayais de retrouver mon état joyeux d’avant ce dérangement.

Mais non, les gens se sentent toujours obligés d’insister.

Alors me voilà en train de reprendre le combiné pour les éconduire et là, surprise, c’était un homme d’une trentaine d’années qui se tenait devant les filles qui, sans perdre de temps, me dit que c’était « Lyill » qui l’envoyait.

Je me suis figé quelques instants tout en frictionnant mon index gauche avec mon pouce comme je le fais lorsque je dois prendre une décision rapide.

C’était inattendu et j’ouvrais le portail.

Lyill, voilà bien un nom que je n’avais pas entendu depuis des années.

Un fantôme du passé qui venait de me sauter au visage.

Quelques instants plus tard, alors que je me tenais cette fois devant ma porte, une petite voiture rouge décapotable se garait devant les escaliers.

Elle avait plus l’allure d’une caisse à savon sur roues que d’un véhicule.

Les trois jeunes gens en descendaient rapidement, les deux jeunes femmes attrapaient chacune une valisette à l’arrière du véhicule tandis que l’homme montait les marches et me tendait sa main à serrer.

Je le regardais un peu froidement et commençais déjà à regretter d’avoir ouvert quand il se présentait comme Bétan, le fils de Lyill.

SOOL : Ah bon, je ne savais pas qu’il avait un enfant, m’exclamais-je alors.

BÉTAN : Lui non plus ! Euh… Du moins jusqu’à la révélation.

Je crois que c’est à peu près à ce moment-là, que vous avez pris de la distance, non ? me répondait-il.

Comme si j’avais pu garder des souvenirs parfaits de tous les évènements.

SOOL : Je ne suis pas tout à fait sûr, c’est un peu compliqué, la période était confuse, mais oui, peut-être.

Les filles avaient remonté les marches avec leurs étranges valisettes et Bétan me demandait si je voulais bien lui parler de son père et des animaux.

J’avais hésité un long moment avant d’acquiescer et de les laisser entrer.

Non pas que je ne voulusse lui parler de son père, mais je ne m’y attendais pas.

Je savais bien, au fond de moi, qu’un jour on viendrait me demander des comptes sur mon rôle dans les évènements et peut-être sur mes erreurs ou mes fautes.

Je les avais installés sur la terrasse, à l’arrière de la maison.

De cet endroit, on voit bien la fontaine et ils me complimentaient de sa beauté.

Je ne leur avais pas proposé à boire.

Les deux filles me regardaient en chien de faïence.

Il n’y avait que les yeux de Bétan qui pétillait d’impatience.

Je lui avais à peine demandé ce qu’il voulait savoir exactement que, volubile, il s’engouffrait dans la brèche.

BÉTAN : Tout ! J’aimerais tout savoir.

SOOL : Il va falloir vous calmer jeune homme, si vous voulez avoir une discussion avec moi elle doit être apaisée.

Et puis que font là ces jolies jeunes femmes ?

BÉTAN : Elles sont là pour enregistrer l’audio et la vidéo.

Pour être tout à fait sincère, j’espérais que vous seriez sensibles à leurs charmes.

J’ai un peu honte de vous dire ça, mais c’était une sorte de plan B.

Il s’est avéré inutile, mais je voulais mettre toutes les chances de mon côté, je suis désolé.

Je suis journaliste pour le « Côte d’aujourd’hui », selon mon père si je réussis à avoir votre histoire, je suis sûr d’être directement embauché par le « Râle Informations ».

Vous me comprenez n’est-ce pas ? Ce serait une immense opportunité pour ma carrière, il n’y a pas photo entre un régional et un national, hein ?

Son teint brunâtre et sa carrure me rappelaient son père.

Alors c’était peut-être le moment de raconter mon parcours et me libérer de tous ces secrets.

Si aujourd’hui je vous raconte son interview, c’est parce qu’il n’a jamais pu publier ce qu’il pensait être son sésame pour une vie meilleure.

Il avait été retrouvé sans vie, à son domicile quelques jours plus tard et les enregistrements s’étaient volatilisés.

C’est donc maintenant à moi de faire le travail qu’il m’avait convaincu de le laisser mettre au jour.

C’était un jeune homme prometteur et il avait raison.

Il faut que vous sachiez ! Que plus rien ne se perde ! Que plus rien ne se volatilise ! Ne plus vivre sous le sceau du secret et dévoiler le grand mensonge.

Chapitre 1

Se résumer

Je me nommais Sool, mais on m’avait souvent appelé So !

Je ne savais pas ce qui faisait la vie, pas plus que la mort d’ailleurs.

Mais peut-être y avait-il quelque chose d’évident à suivre.

Une logique à découvrir et, peut-être à la clef, une certitude.

Avec un peu de chance, au moins un itinéraire.

Je n’avais pas toujours été aussi obsédé.

Aujourd’hui, je peux dire, malgré mon manque d’instruction, que les travaux que j’ai menés pendant dix ans avaient été fructueux.

Le Chercheur, voilà comment on me surnommait à l’époque.

Ce n’était, d’ailleurs, pas forcément flatteur, car il caractérisait bien ma ténacité face à l’incompréhensible.

Désormais, j’ai un nom de famille et tout le monde me connaît.

S’il en est ainsi, c’est suite à la rencontre d’un inconnu, mais c’est quand même bel et bien un animal qui m’avait donné le cap.

J’ai grandi dans un univers plutôt rude où la vie et la mort ne sont rien de plus que des constantes d’ajustement.

La Nébiliane est un grand pays situé sur le pourtour Elluméen.

Elle représente plus de la moitié sud du continent Râle.

Au nord-est, La Salforie, et au nord-ouest, la Côte des Roses, moitié moins grandes que la Nébiliane.

Il se disait que la vie était agréable en Côte des Roses.

Zabahl, la capitale de la Nébiliane, était une ville à forte population.

Environ soixante millions de personnes se partageaient à peine cinq cents kilomètres carrés, autant dire qu’il était souvent difficile de se frayer un chemin parmi la foule.

C’était probablement dû à cette surpopulation que les gens ne se préoccupaient que d’eux-mêmes.

Il faut dire que la nourriture était un véritable problème.

Les camions de ravitaillement provenant des champs étaient régulièrement attaqués par des brigands.

Le port, quant à lui, était encombré d’épaves, laissées là à la suite de leur abordage par ceux qu’on surnommait « Les Harponneurs ».

Il fallait faire preuve de volonté, d’imagination et ne rien trouver ragoûtant, pour s’alimenter.

Dans cet endroit, peu d’enfants vivaient avec leurs parents.

Au-delà d’un certain âge, il fallait qu’ils servent d’une manière ou d’une autre ou ils étaient jetés, définitivement, à la rue.

C’était mon cas !

Je vivais dans cet univers vicié, seul, depuis mes huit ans.

Il m’avait fallu me débrouiller comme je pouvais.

Inutile de vous dire combien de choses malsaines j’avais dû affronter pour atteindre mes dix-sept ans.

Je ne me lavais jamais, et pour tout vêtement, je possédais un long morceau d’étoffe.

À mes quinze ans, deux hommes et une femme m’avaient arraché quelques dents, dont les deux de devant.

Les restantes, bien que gâtées par le manque de nourriture et l’absence d’hygiène, pouvaient tout à fait se vendre aussi.

Alors, par précaution, lorsque j’étais à l’extérieur, je mettais le morceau de tissus pour me couvrir le bas du visage.

Je me cachais dans un trou que je recouvrais d’un couvercle de bois dans l’ancienne chaussée au fond d’une impasse.

Elle était bordée sur deux côtés de bâtiments recouverts de grillages barbelés et se terminait d’un mur si haut et si épais que je ne pouvais voir de quoi il nous séparait.

Après plusieurs années, gagnant en force j’avais réussi à creuser un trou dans le mur du fond.

Avec le troc, j’avais pu améliorer le couvercle de bois jusqu’à pouvoir m’en servir de porte.

Mon univers ne s’étendait pas très loin, au bout de mon impasse, il y avait une grande rue transversale toujours inondée de monde.

Une centaine de mètres à droite et je ne dépassais jamais la zone du petit marché où de nombreuses personnes venaient vendre tout ce qu’elles avaient bien pu échanger ou escamoter.

Une centaine de mètres à gauche et je m’arrêtais à la boulangerie où, derrière un guichet fortifié, se vendaient ou s’échangeaient quelques pains.

Je n’avais absolument aucune idée de ce qui pouvait bien se trouver en dehors de ces quelques mètres.

Pour ma part, j’y échangeais mes réalisations, je ramassais tous les mégots que je trouvais.

À l’abri de mon trou, patiemment, je reconstituais une, deux, et quand j’avais beaucoup de chance, trois cigarettes qui me permettait de profiter d’un bout de pain.

Le monde semblait dirigé par l’industrie du tabac à laquelle je ne comprenais rien.

Les gens ne pouvaient ni s’habiller ni manger, mais ils fumaient, à se rompre les poumons, comme si c’était la seule chose qui n’avait, aucune valeur.

Je n’avais pas d’imagination, je dormais très peu et, pour ne pas être surpris par une intrusion, toujours à demi éveillé.

Néanmoins, il m’arrivait de faire des rêves.

Mais le manque d’instruction et d’échanges avec les autres ne permettait pas à ma conscience d’être au-delà du primaire, de l’instinct.

Ma nature terriblement sauvage m’empêchait, j’imagine, de penser ou imaginer autre chose que mon quotidien.

En face de l’impasse, il y avait un vieux, je ne saurais dire avec certitude son âge tant les gens vieillissaient vite.

Comme là-bas, les gens ne dépassaient que rarement la soixantaine, je suppose qu’il ne devait pas avoir les cent ans qu’il paraissait.

Des quelques guenilles qu’il portait, semblant encore plus fripé que lui, émergeait en permanence son sexe.

Ce n’était pas la vue de la nudité qui me gênait, ici les gens marchaient vêtus de ce qu’ils pouvaient et bien souvent ils préféraient protéger leur ventre que leurs attributs.

La pudeur n’était pas une chose que l’on connaissait vraiment dans cette ville, régulièrement on pouvait observer ceux qui font leurs petites affaires où bon leur semble à la vue de tous.

Non, ce qui était intrigant c’est qu’il n’était pas de la même couleur que lui.

C’était un homme à la peau blanche, très blanche, avec quelques résidus de chevelure roux et gris.

Cheveux qu’il avait sûrement vendus contre quelques nourritures.

Mais son sexe était noir ébène !

Dans cette rue où des milliers de personnes passaient tous les jours, offrant une diversité de couleurs incroyables, jamais je n’avais vu un sexe d’une autre couleur que son propriétaire, et ça me fascinait.

Jamais je ne lui avais adressé la parole, d’ailleurs je n’étais même pas sûr de réussir à m’exprimer en dehors de quelques mots et des gestes nécessaires à me faire comprendre pour un échange.

Mais voilà, il arrive, certaines fois, des choses curieuses et ce jour-là était un de ces moments, qui peuvent conditionner la suite d’une vie.

Chapitre 2

S’ouvrir

Ce matin-là, comme je le faisais chaque jour, afin de toujours faire peu de bruit, j’étais sorti de mon abri en soulevant puis poussant ma porte.

Ce n’est pas que l’on ne voyait pas ce gros morceau de bois, mais, machinalement, je faisais en sorte d’être le moins remarqué possible.

Je l’avais recouvert d’une pâte à base d’eau et de poussière que relâchait la chaussée qui s’effritait, ça lui donnait une couleur grisâtre qui se fondait mieux dans le décor.

Malgré tout, ça restait une grande plaque qui pouvait attirer l’œil lorsque je la manipulais.

Ce devait être une belle journée, au travers de la couche de brouillard qui surplombait la ville en permanence, on semblait distinguer le soleil et la rue paraissait plus lumineuse qu’à l’accoutumée.

Une petite bruine légèrement acide dégoulinait sur les murs et de la pointe des barbelés tombaient de grosses gouttes.

Celles qui finissaient à terre dans un petit claquement dégageaient soudain une légère odeur de ver de gris.

Il n’était pas utile de les laisser se perdre sur le sol, j’installais mes petits creusets sous les plus prometteuses.

Je fabriquais ces petits récipients avec le même amalgame dont j’avais recouvert ma porte, mais je les façonnais avant de les laisser sécher.

Ça me rendait bien des services, récolter l’eau, récupérer le tabac restant dans les mégots, etc.

En face, le vieux.

Ça devait bien faire une bonne centaine de jours qu’il s’était assis contre ce mur, je ne le voyais bouger que rarement, peut-être une ou deux fois par jour, mais jamais il ne s’absentait plus d’une trentaine de minutes.

Je n’avais jamais eu la curiosité d’épier ce qu’il pouvait faire lors de ses escapades, il était déjà assez difficile de se préoccuper de soi-même.

En tout cas, je savais qu’il mangeait.

Tous les soirs, il sortait de derrière son dos un rat mort dans lequel il plongeait ses doigts pour en retirer des morceaux utilisables par un édenté.

Quand la rue n’était pas noire de monde, m’empêchant de l’apercevoir à sa tâche, je le regardais peiner à décortiquer cet animal qui était certainement la seule subsistance de sa pénible journée.

Il venait de revenir à sa place, car je l’avais vu fourrer quelque chose dans son dos, sans doute son repas.

En me rapprochant de la rue, j’avais vu trois femmes lui asséner des coups et, avant de filer à toutes jambes, lui prendre sa nourriture.

J’avais presque été surpris que quelqu’un d’autre que moi ait pu remarquer son manège avec les rats.

Qui sait, ce pouvait être un hasard, je n’avais jamais vu ces trois furies alors, en plus de se défouler, peut-être avaient-elles juste gagné un bonus.

Mais, après tout, ça faisait partie de nos vies, le fort prenait au faible, c’était comme ça.

J’avais vaqué à mes occupations, ramassé les mégots, gratté un peu la surface du sol.

J’en retirais un peu du produit qui me servait de base à toutes mes fabrications.

J’allais récupérer les petits creusets que j’avais camouflés pour récolter un peu d’eau de pluie.

Je m’asseyais ensuite de longues heures dans un des coins du fond de l’impasse pour façonner à l’aide d’un petit bâton de bois, des gobelets.

J’étais allé au marché voir si j’arrivais à échanger mes poteries et, en rentrant, j’empalais à grand-peine un de ces rats qui nous couraient entre les jambes.

À ma grande surprise, c’était deux de ces animaux qui étaient sur ma petite pique.

Je passais devant le vieux et, je ne sais pourquoi je m’accroupissais à ses côtés, me penchais légèrement sur lui, provoquant visiblement de la frayeur et lui glissais un des rongeurs dans le dos.

Rapidement, je regagnais mon abri sous le regard, que j’imaginais interloqué de mon voisin.

Bien sûr, ce geste ne m’avait rien coûté, mais j’avais le sentiment d’avoir fait quelque chose de bien, j’étais fier de moi.

Dans cette cité où rien ne compte que la survie, ce que je venais de faire était peu banal.

Curieusement, il était devenu mon voisin ce jour-là !

Je ne le considérais plus comme le vieux, mais plutôt comme une sorte de meuble qu’il était normal de voir à cet endroit-là.

Sans en avoir conscience, je venais de modifier le cours des choses.

J’étais maintenant un jeune homme fort et avec mes un mètre quatre-vingts j’étais considéré comme grand dans ce monde où la croissance n’était pas vraiment développée.

Rien ne m’interdisait de me rapprocher des gangs ou tout autre regroupement d’individus animés par la loi du plus fort.

C’était, a priori, la voie royale de cet univers.

Pourquoi n’avais-je pas encore pris ce chemin ?

Je crois que je ne me sentais pas prêt, et ma méfiance était toujours à son paroxysme, ce doit être pour ça que je continuais à me tenir à l’écart de ces gens.

Le lendemain de sa mésaventure, mon voisin me faisait signe, je m’approchais avec prudence et me présentais devant lui sans me mettre à sa hauteur.

Tout en le toisant, d’un mouvement de tête qui ne laissait aucune place au doute je lui indiquais un : « Que me veux-tu ? »

LE VOISIN : Nous pourrions faire équipe, me disait-il alors.

Je grimaçais, mélange d’étonnement et d’incompréhension, que pouvais-je bien pouvoir attendre d’un homme presque incapable de se nourrir ?

Je tournais les talons et commençais à me diriger vers le marché, mais il insistait :

LE VOISIN : Je peux tout t’apprendre, criait-il alors que je continuais mon chemin.

Toute la matinée, ses mots résonnaient en moi.

Mais qu’y avait-il donc à apprendre, voilà ce qui me perturbait.

Je sentais bien au fond de moi que quelque chose clochait dans le monde qui m’entourait.

Les mots de cet homme m’avaient tellement troublé qu’en revenant je récupérais de nouveau un rat pour lui.

J’avais quand même hésité, car j’avais peur que ça devienne une habitude et je ne voulais pas plus d’obligation que vivre.

Mais s’il y avait quelque chose à tirer de cet homme-là ? C’était peut-être une chance que je ne pouvais pas laisser passer.

Lorsqu’il m’avait vu revenir et m’approcher, je sentais en lui une grande fébrilité.

Ce n’était pas de la peur, plutôt, comme je le ressentais aussi, l’appréhension d’avoir un contact différent de l’habitude avec un autre être humain.

Bien qu’instinctivement déterminé à continuer mon train-train et ne rien lâcher, la curiosité commençait à me titiller.

Je lui déposais son dîner et recommençais à le toiser.

LE VOISIN : Je suis vieux et faible, mais j’ai vu et connu le monde.

Il ne s’arrête pas à ces quelques pierres, à ces rues.

Il existe des endroits qui ne ressemblent absolument pas à ce que tu connais et je peux tout te raconter !

Quel est ton nom, me demandait-il.

Je me pinçais les lèvres en les portant vers l’avant.

LE VOISIN : Ce n’est pas le plus important, tu as raison, assieds-toi à côté de moi ça t’évitera d’être bousculé et moi je serais plus ou moins protégé par ta seule présence.

Tu vois, nous faisons déjà équipe !

J’étais marin, j’officiais à bord d’un navire marchand dont j’étais très fier.

Le Capitaine avait décidé de livrer sa marchandise dans ce port, malgré l’opposition de presque tout l’équipage, rien ne le détournait de sa mission.

Évidemment, nous n’avons même pas atteint les quais !

Après un véritable gymkhana entre les épaves, nous nous sommes fait arraisonner et jeter à la mer avant d’avoir pu dire quoi que ce soit.

Les beaux jours étaient finis pour nous, j’ai nagé puis me suis enfoncé dans cette ville folle.

J’ai passé quelque temps avant la boulangerie, mais c’était un lieu où une bande faisait peser la terreur sur tout le monde.

Alors, je me suis installé ici où depuis je vis à peu près paisiblement.

Il continuait à raconter sa vie, mais j’étais perdu dans mes habitudes d’observations.

Ne pas me retrouver dans une mauvaise situation c’était la base.

Pour le moment, il ne me racontait rien de bien intéressant, la vie ici je savais ce qu’il en était, je n’avais pas besoin de lui pour me rappeler les difficultés quotidiennes.

Pour couronner le tout, je ne comprenais pas la moitié des mots qu’il prononçait.

En vérité, je ne savais pas qu’il existait tant de mots !

Pendant trois ans, tous les jours, je le retrouvais.

Il m’apprenait les mots et leurs prononciations, me traçait l’alphabet que j’apprenais par cœur.

Il m’expliquait le monde et les valeurs comme la fidélité, la loyauté et l’amour.

« C’est ça être un homme », disait-il, exister soi-même sans écraser les autres, en ayant des échanges constructifs sans renier ses principes.

Même si j’avais trouvé là une véritable passion, je ne voyais pas très bien quoi faire de tout cela, parce que ça ne changeait aucunement ma condition de survivant.

Néanmoins, je constatais en moi des évolutions.

Doucement, tout cet apprentissage semblait vouloir faire son chemin.

Je commençais à rêver de ces autres contrés, de ces animaux magiques qu’il me décrivait et de cette forêt qui m’apparaissait comme source de toutes vies.

Même s’il me semblait, au fur et à mesure, en devenir adepte, mis à part avec lui, je ne voyais pas comment mettre en pratique quoi que ce soit de son discours.

Ces changements profonds qui s’opéraient en moi ont fini par déclencher une forme de peur que je n’avais jamais ressentie.

Une angoisse transperçait mon ventre, comme un énorme vide que je n’arrivais pas à combler et ça ne me quittait plus.

J’étais irritable, impatient et nerveux comme je ne l’avais jamais été.

Puis un jour, alors que nous parlions de la fragilité de l’être, je m’en souviens comme si c’était hier, j’avais été pris d’une sorte de peur panique de la mort.

Je n’arrivais plus à respirer, mon corps frissonnait, mon visage contracté laissait paraître une vulnérabilité qui n’avait pas sa place dans ce monde.

Je partais alors vers mon refuge, laissant mon voisin visiblement très inquiet de cette imprévisible réaction.

Je m’étais isolé plusieurs jours et même la culpabilité de laisser mon voisin sans savoir s’il allait manger n’avait pas eu raison de ma colère.

Je restais enfermé, je me tapais la tête avec mes poings comme si je lui imputais mon désespoir !

J’avais fini par retrouver un peu de force et je sortais affronter de nouveau l’extérieur.

Mon voisin m’apercevait et faisait mine de se lever pour venir à ma rencontre tant il s’était inquiété.

Je mettais un terme à son mouvement et lui signifiais d’un geste de la main de se rasseoir, que je venais.

Je m’asseyais à nouveau à ses côtés et je ressentais que tout ce qu’il m’avait appris n’avait fait que me mettre en difficulté et je le lui disais sans détour.

LE VOISIN : Oui, probablement ! me disait-il d’un air un peu coupable.

Tout ce que j’ai fait était sûrement très égoïste, car tu m’apportais en échange nourriture et protection.

Ce qui est triste c’est que j’ai pu t’apprendre des valeurs qui, finalement, me sont étrangères.

J’ai profité de toi sans me rendre compte qu’il te fallait rester primaire pour faire partie de cette ville.

Je t’ai mis, je te l’assure, involontairement en danger, je m’en rends bien compte.

Mais maintenant, je ne sais quoi faire, il n’est pas possible de revenir en arrière sur la connaissance et le développement intellectuel.

Tu es malheureusement pris au piège !

Je posais mes coudes sur mes genoux et me prenais la tête dans les mains en disant dans un souffle : que dois-je faire, que vais-je devenir…

LE VOISIN : À part quitter cette ville, je ne vois pas.

SOOL : Je peux te poser une question très personnelle ?

LE VOISIN : Oui, bien sûr, tout ce que tu veux !

SOOL : Pourquoi ton membre est-il noir et toi tout blanc ? demandais-je un peu gêné.

Il se mit à rire, provoquant le regard de quelque passant sur nous.

LE VOISIN : Effectivement, nous n’en avons jamais parlé, mais de l’autre côté du monde, bien loin du bassin Elluméen, se trouve une civilisation très avancée, Les Apycéens.

Je me trouvais à bord du navire, nous déchargions notre marchandise sur le port d’Alame, leur capitale, et j’ai été maladroit.

Le filin qui retenait la marchandise avait commencé à balancer et au lieu de l’agripper avec une tringle qui se finit par un crochet, j’ai cru pouvoir le faire avec les mains.

J’ai serré si fort que mon corps tout en tension s’est retrouvé à proximité du filin qui m’a frôlé et sectionné net mon appendice.

J’ai tout de suite été pris en charge par les secours de ces gens et me suis retrouvé dans une salle d’opération incroyable dans laquelle ils m’ont appris que mon sexe n’était plus viable.

Ils m’ont alors proposé de le remplacer par celui d’un donneur sans rien me préciser de plus et j’ai, évidemment, accepté.

À mon réveil mon membre était différent, plus court, plus joufflu et d’une autre couleur.

Ça m’a fait bizarre quelque temps, mais je me suis habitué et sa couleur m’empêche d’oublier par où je suis passé, alors ce n’est pas plus mal.

Tant de choses que je ne verrais jamais et qui pourtant existaient, ne serait-il pas temps de prendre les choses à bras-le-corps ?

Sans réfléchir plus avant, je m’étais entendu demander à mon voisin s’il pensait qu’il était possible de s’enfuir de cette ville.

LE VOISIN : Bien sûr !

Mais pas pour un vieux comme moi, je ne passerais pas le quart de la ville sans tomber sous les coups de gens mal intentionnés.

Mais toi, tu es jeune, personne n’osera s’en prendre à toi.

À partir du port, il te suffit de te diriger vers le nord.

Tu verras qu’une fois à proximité des champs le brouillard s’estompe. Le soleil est magnifique. La nuit, les étoiles brillent et la lune te caresse de sa clarté.

Si j’étais toi, j’irais, mais jamais tu ne pourras revenir.

Quand on a goûté à ces endroits, c’est comme la connaissance, pas de retour en arrière possible !

Plus les jours passaient et plus je me sentais devenir étranger dans mon environnement.

Bien que je ne me fusse jamais posé de questions, il me fallait maintenant trouver un sens à ma vie.

Bien sûr, j’aurais pu continuer sur la route tracée par la famine, le froid, la soif et l’anxiété permanente d’être une proie.

Alors, bien que je fusse programmé pour ça, je choisissais une autre voie que la violence !

Chapitre 3

Il est temps

Je ne connaissais que quelques animaux, des rats par flopées, quelques chats et des insectes.

Les déjections des nombreux chiens, tous dressés pour la défense de leur maître, qui cohabitaient avec nous, rendaient cette immense cité encore plus laide.

En dehors de ça, au travers des dessins que le voisin tentait de faire parterre à l’aide de son vieux bâton, je ne pouvais qu’imaginer à quoi ressemblait le reste.

J’abandonnais mon voisin, non sans lui avoir fait un généreux stock de sa nourriture de prédilection, et m’éloignais avec pour seul objectif : rejoindre le port puis aller au nord.

Je ne me retournais pas, je ne voulais pas penser que je laissais quelqu’un derrière moi.

Je n’avais jamais pu compter que sur moi-même et je devais me préoccuper maintenant de mon voisin ?

Non, j’étais bien décidé à sortir de cet enfer, partir trouver ce petit quelque chose qui empêcherait mon estomac, jour et nuit, de se rompre d’angoisse.

Pourrais-je traverser et au moins arriver en lisière des champs ?

Ne m’avait-il pas juste raconté une fable ?

Et si les champs et la forêt n’existaient pas ?

Je serais alors complètement perdu dans cette ville qui n’a peut-être aucune fin.

Que deviendrais-je alors ?

Peu m’importe ! me répétais-je sans cesse pour raffermir ma volonté.

L’orientation s’avérait vraiment difficile, comment se diriger dans un dédale de bâtiments et des rues bondées ?

J’avais le sentiment d’être piégé dans une souricière géante.

Impossible de me repérer, il me fallait trouver de quoi marquer mon passage afin de ne pas tourner en rond.