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"Le tamanoir est silencieux. Tout en lui est un silence. Il lui arrive de pleurer pour assouplir le sol avant de le creuser. Il lève lentement son long museau. Il regarde le monde de son tout petit oeil. Sans doute voit-il flou. C'est peut-être nécessaire pour rester pacifique. Il dort de longues heures dans un bosquet de végétation dense ou dans un trou qu'il a creusé, se recroquevillant autour de sa longue queue qui lui sert la fois de camouflage et de couverture. On se sent bien en tamanoir". En une suite de tableaux quotidiens, le lecteur est invité à un voyage intérieur fait de minuscules péripéties, de songeries, d'observations phénoménologiques qui tissent peu à peu le fil de la traversée d'une absence.
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Seitenzahl: 82
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À ma sœur,
La faveur des étoiles est de nous inviter à parler, de nous montrer que nous ne sommes pas seuls, que l'aurore a un toit et mon feu tes deux mains.
René CharLa Parole en archipel
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Enfant, il y eut une période où l’on rêvait de labyrinthes suspendus entre terre et ciel. On n’en sortait qu’au petit jour. À présent que l’on tient la main du gamin dans le petit labyrinthe du jardin d’acclimatation, et que l’on ne trouve pas la sortie de ce jeu à taille miniature, on se demande s’il existe un fil d’Ariane. Mais l’enfant demande à sortir, ce que l’on fait en repassant par la salle obscure où un vieux squelette et une araignée en latex sont censés effrayer.
L’enfant se précipite vers les manèges, avide de sensations et de jeux. On le suit vers la rivière enchantée où une barque attend pour traverser un décor fait de deux ou trois crocodiles et autres animaux sauvages guettant sur la rive. On laisse la main filer sur l’eau. On imagine que la rivière cesse de suivre son chemin, qu’elle sort de son lit, et l’on songe à Brunetto Latini, encyclopédiste médiéval, qu’on a connu grâce à un ami, lui-même encyclopédiste des temps contemporains, faiseur de liens, et lecteur tous azimuts. C’est ainsi qu’on a appris que Brunetto Latini a le premier utilisé le terme lit pour désigner l’espace occupé par un cours d’eau et que dans Le Livre du Trésor, il a écrit : « La rivière semble dormir mais il lui arrive de sortir de son lit ».
La petite barque ralentit puis cogne sur la butée. On descend et on prend le chemin du retour en passant par le jeu des miroirs où l’on se voit tour à tour minuscule, aplati, élargi, et l’enfant rit quand il se voit plus grand que l’adulte.
Avant de rentrer, on fait quelques courses au supermarché du quartier. La caissière présente un bulletin de jeu. On regarde la caissière. On ne joue jamais. Elle répond c’est l’occasion en tendant un stylo. On remplit le papier. L’enfant se dépêche de le mettre dans l’urne qui accuse réception au son d’une musique électronique. On entrevoit alors un homme avec une casquette, on croise son regard et l’idée vient qu’il ressemble un peu à Che Guevara.
On remonte la rue avec les courses du jour. Quand on ouvre la porte, on trouve l’appartement tel que laissé le matin même. Il y a dans la disposition des objets comme les signes d’un mouvement inachevé. Une pelure de mandarine traînant sur la table, un petit avion sur le parquet, un verre posé sur le rebord du bureau… Moments inscrits dans l’espace. Temps suspendu à l’infime mouvement des choses qui n’ont pas été rangées mais laissées telles quelles.
On regarde la montagne de linge sur le lit et l’on va s’allonger sur ce matelas souple et irrégulier où le corps lourd de fatigue trouve justement sa mise parmi les défroques, les serviettes de bain, les draps, les sous-vêtements, les chaussettes et toutes sortes de sapes, affaires, enveloppes dont les mots se succèdent dans le mi-sommeil où l’on sombre tandis que le linge perd peu à peu tous ses attributs traditionnels, toutes ses extensions et compléments de nom - corps, lit, toilette, table, maison - pour n’être plus que le Linge, le Mont Linge, sur lequel on finit par s’endormir, tête dans un jean, bras dans un drap, pieds couverts par quelque jupe, reins dans de vieux pulls, jambes laissées à l’aventure dans quelque nippe.
On s’emmitoufle dans une veste au col animal. De jeunes garçons africains proposent aux touristes des bracelets-minute, tresses rapides pour quelques euros, gagne-misère organisé et contrôlé. Une figure du quartier brandit sa guitare électrique en gueulant. On entrevoit parmi les passants la silhouette de l’homme à la casquette. Son pas hésite. On sourit. On constate les réseaux d’images à partir desquelles les fables commencent. Reconnaîtrait-on cet homme s’il ne portait une casquette qui dessine les traits d’un visage qu’on croit argentin ? Il s’approche, vient s’asseoir sur le même banc. On se dit qu’il a une présence mate. On échange des banalités et derrière les banalités il y a tout ce que l’on sait déjà. On marche et l’on apprécie sa présence de peu de mots. On n’a pas envie de mots. On marche jusqu’à chez soi et il nous accompagne.
On sait qu’il suffit d’un regard pour l’inviter à monter. On laisse le corps décider. L’homme enlève sa casquette et l’on s’étonne en le découvrant tête nue. On rencontre ce corps inconnu qui nous plaît sans que l’on sache pourquoi. Le corps a ses raisons. On découvre un nouveau relief, un paysage dont on n’a pas l’habitude, une peau un peu sèche, un corps éprouvé, une maigreur un peu et on se laisse émouvoir par ce corps, on le goûte, on le cherche, on le savoure, on pense à soi et on oublie le reste. On propose un café qu’on prend dans la cuisine. Noir sans sucre. On sait qu’il habite le quartier. Il regarde sa montre. Au revoir, merci. Il remet sa casquette et à nouveau on songe qu’il ressemble à Che Guevara. Le plaisir sexuel fait du bien. Banalité qu’on avait oubliée.
On se réveille au petit jour. La nuit, on tarde à s’endormir. Et les jours sont longs. C’est le chagrin. Étrange être vivant qui s’agrippe et qui ralentit, abritant sous ses sillons de poils tout un monde autonome, développant un réseau de dépendances, d’énergies et d’informations, écosystème qui parasite, dont on apprivoise la lenteur, dont on sonde les conditions climatiques propices au développement de certaines espèces de tristesses. Celles rétrécies par la nuit, qui ouvrent au petit jour leurs sillons nanométriques, guides nectarifères pour quelque insecte polinisateur ; celles qui n’ont pas besoin de racines pour se développer, organismes composites, qui se répandent sans rien dire, tapissiers inoffensifs mais dont la charge devient pesante ; celles, nocturnes et immobiles, qu’on essaye de cerner, échappant sans cesse et revenant toujours, veillant l’insomnie avec leurs pattes d’infini, sournoises quand elles se lovent dans quelque anfractuosité, réduites alors à de simples petites tâches noires que l’on observe, songeant qu’elles vont disparaître, quand elles se mettent à bouger, à grossir, à déployer leurs pattes et que l’on comprend qu’elles s’étaient simplement habilement rétractées. Il est aussi des tristesses vacillantes qui se posent doucement, orientant leurs ailes par rapport aux rayons du soleil, s’acclimatant à la température ambiante, espèces photophiles qui réconcilient l’ombre et la lumière dans la présence du souvenir. Et tandis que cet étrange organisme ronronne sur le ventre, s’agrippe à la gorge, pèse sur la poitrine, on sent que rien ne sert de lutter, que le chagrin a sa propre vie, son temps de développement, ses phases de régression et de croissance ; on espère seulement une perturbation naturelle de son habitat.
On a ralenti le rythme. On regarde le monde aller. Ce n’est pas que l’on est indifférent. C’est simplement une forme de nouvelle lucidité. Les choses telles qu’elles sont. On écoute les amis, les explications, les conseils prodigués par des inspirés spirituels en reconversion dans le bien-être, signes que d’aucuns voient partout, épreuves vécues transformées en expériences de travail sur soi, les croyances qui permettent de croire… Allez vous la raconter ailleurs M’sieurs Dames ! Connards ! C’est la voisine. Vous êtes mal barrés avec votre équilibre !! Elle est folle. En soi, cela ne veut rien dire. La soirée continue. On regrette cette soirée. On préférerait le silence aux mots qui s’enfilent comme des fausses perles. Mais on joue le jeu. Assez difficilement. Ha ça c’est sûr vous avez l’air con ! On se demande à quoi ressemble la voisine qu’on n’a jamais vue, calfeutrée derrière une fenêtre dont la vitre est recouverte de morceaux de carton, fenêtre qu’elle ouvre pour hurler ses phrases puis qu’elle referme aussitôt dans un grand claquement.
*
Je les emmerde les Colombiens ! Qu’ils aillent tous se faire foutre avec les Russes ! On a laissé la fenêtre grande ouverte parce qu’on a trop fumé. On a sombré dans un demi-sommeil. Il est plus de minuit. Délire de la voisine. En général elle commence à deux heures du matin. Yes we dit it ! Voix américaines… Des touristes sans doute. Appartement d’à côté loué par airbnb. Hé connard ! T’en as pas marre là haut de jeter tes catastrophes naturelles ! Elle hurle alors que démarre illico la boucle d’une musique électronique POM’ POM‑POM PAM’ cycle d’ondes hypnotiques qui montent en puissance POM’ POM-POM PAM’. On ne sait plus si on rêve crazy she’s crazy si on dort Snaeffelsjokül was so beautiful ? si on a trop bu Snaeffelsjokül ? - c’est un volcan c’est en Islande - quand on entend la petite voix fluette du voisin POM’POM-POM PAM’ le voisin de l’immeuble d’en face un Connard ! - oui c’est vrai un connard costume blanc trois pièces et chapeau qui va avec - mais ça brûle ! ça bruuûle… Tu crois éteindre le feu avec ton petit arrosoir ? - c’est vrai qu’il a un petit arrosoir et deux géraniums POM’POM-POM PAM’ la petite voix du voisin tu vas pas l’arrêter ta musique en bas puuutain qui va sans doute appeler les flics c’est la merde c’est la merde