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Extrait : "La Fontaine, le bon La Fontaine, a fait de bien jolies fables, rimé de bien joyeux contes ; nombre de vers de sa façon – comme le diamant dans son écrin – restent dans la mémoire de chacun, mais rien chez lui d'aussi expressif ni de mieux exprimé que cette conclusion de son épitaphe. Il parle de l'emploi de son existence : « Deux parts en fit, dont il vouloit passer « L'une à dormir et l'autre à ne rien faire.» Paresse et sommeil, sommeil et paresse !..."
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Seitenzahl: 80
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Dormir ! quelle douce, riante et bonne chose !
Celui qui, le premier, a écrit :
Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ?
s’inspirait, à n’en pas douter, d’une famille plongée dans les douceurs du sommeil.
Point de discussions, point de disputes en dormant !
Quoi de plus agréable que cet exercice ! quoi de plus consolant ! quoi de plus majestueux. Si les créanciers pouvaient toujours dormir, notre siècle serait l’âge d’or !
Puis le sommeil amène les songes.
Or, les songes sont une transformation complète de l’existence.
Grâce aux songes, l’enfant devient homme ; l’homme, agent de change ; l’agent de change, propriétaire de douze maisons de campagne ; le propriétaire de douze maisons de campagne, député ; le député a un portefeuille, que Madame portera en son lieu et place, comme dans la maison Prudhomme.
Individus de tout âge, de tout sexe et de toute condition, puisent à la source des songes, source intarissable et plus variée que la carte du dîner de Paris à son début.
Le mari – si le Minotaure a visité sa demeure – oublie la venue du Minotaure, et le croissant est noyé dans les flots azurés ou bitumineux du Léthé ;
La fille d’Ève, qui n’a pas trouvé de la journée un pépin à se mettre sous les quenottes, broie tout l’étalage des lords, des milords, des margraves, des burgraves et des boyards des deux hémisphères ;
Le fils de famille, qu’assaillait un instant auparavant une cohorte de créanciers, sourit aux pleurs de ses créanciers, tressaille d’aise à leurs grincements de dents, se repaît, loin d’eux, des déboires de ces intraitables bipèdes ;
Le collégien se consumait dans un amour sans espoir de retour, et voilà qu’à peine assoupi un escadron de nymphes, de rats ou de sylphides – c’est tout un – aux tresses aussi longues qu’onduleuses, se livre dans son imagination aux plus étourdissantes voltiges et l’inonde des parfums les plus arabesques.
Et comme on se voit beau en dormant !
Il y a bien le revers de la médaille, mais on ne se souvient pas de la pile, on n’admire que la face.
Dormir, quelle douce, riante et bonne chose !
Dans notre siècle, où la fièvre des affaires dévore tous les esprits, on n’apprécie pas le dormir à sa juste valeur. Par la Bourse, il s’agit bien de dormir quand le Grand-Central marche à la dérive, que les Ardennes haussent, que le Rhône baisse, que les petites voitures tombent en débâcle ! Hors d’ici, repos ! De l’or, de l’or, il faut de l’or !
Les anciens, nos maîtres – quoi qu’on dise – prisaient bien davantage le sommeil ; ils lui dressaient des temples ; ils en avaient fait une divinité.
Et ce n’était certes pas la moins courtisée, celle-là !
Les nuits ne suffisaient point ; on consacrait à son culte notable portion de la journée.
Aussi, quel galant dieu que le dieu Sommeil et comme il était chéri et respecté ! on le choyait, on l’adulait ; mais le bonhomme ne connaissait en aucune façon le défaut d’ingratitude : pour une victime qu’on lui sacrifiait, pour une hécatombe dressée en son honneur, mille et une jouissances attendaient ses adorateurs.
Aujourd’hui, le Sommeil doit être bien revenu de ses illusions.
Il ne compte plus parmi les divinités ; le paganisme éteint, bannis sont les faux dieux, œuvre de l’imagination, qu’ont culbutés maintes révolutions. À leur place, et sans rival, trône certain génie qui a nom – le Veau-d’Or.
Ne pleure pas, ô Sommeil, de ces vicissitudes !
Que t’importe, après tout, cette nouvelle et sotte intronisation ? N’es-tu pas le plus fort parmi les forts ? que deviendrait le monde, si tu secouais sur lui la poussière de tes sandales ?
Sois sans crainte, Sommeil ; ta religion est loin de perdre tous ses adeptes ; il te reste des adorateurs et de fervents. Tes détracteurs les plus acharnés viendront plus d’une fois encore t’adresser leurs vœux ; plus d’une fois encore ils auront recours à ta puissante intervention.
Seulement, ne te laisse fléchir qu’à la dernière extrémité. Sois juste, mais sévère.
Puissent-ils, ces renégats – comme des sangsues au réservoir – se remuer des heures entières sur leurs couches ; puissent-ils, dans la saison du torride Auster, être privés… de poudre insecticide.
Ceci bien convenu ; l’esprit de ceux qui en ont – et tous les acquéreurs de ce livre en sont largement pourvus, – votre esprit donc, ô mes lecteurs, bien et dûment disposé, la séance est ouverte : vous êtes conviés à la première de la Physiologie du Sommeil.
La Fontaine, le bon La Fontaine, a fait de bien jolies fables, rimé de bien joyeux contes ; nombre de vers de sa façon – comme le diamant dans son écrin – restent dans la mémoire de chacun, mais rien chez lui d’aussi expressif ni de mieux exprimé que cette conclusion de son épitaphe. Il parle de l’emploi de son existence :
Paresse et sommeil, sommeil et paresse ! c’était là sa Bible, son Évangile, son Coran.
Qu’est-ce donc que ce dormir si doux, si désiré, si chanté ? Qu’a-t-il fait, que fait-il pour tant d’hommages ?
Ce qu’il a fait ?
D’abord c’est à lui que nous sommes redevables de notre grand-mère Ève.
Que ceux qui en douteraient ouvrent l’Ancien Testament.
Il ne laisse aucun doute sur ce point :
« Dieu voulant donner une compagne à Adam, le plongea dans un profond sommeil. »
Vous savez ce qui suit : l’histoire de la côte du premier homme et le reste.
Pour plonger Adam dans un profond sommeil, il fallait que celui-ci existât déjà.
Le sommeil est donc ancien comme le monde ; il l’a vu naître, il assistera à ses funérailles ; l’univers aura cessé qu’il régnera encore et plus vivant que jamais.
Le sommeil, c’est l’assoupissement des sens, c’est le repos du cerveau, cette petite portion de notre tête qui fait les grands hommes, c’est l’oubli des infidélités de son amante, c’est l’espérance en des jours meilleurs.
Nous avons veillé longtemps : un sentiment général de faiblesse et de lassitude s’empare de nous, nos membres se meuvent difficilement, notre intelligence ne perçoit qu’avec peine les objets ; nos paupières se closent, l’oreille n’entend plus les accords du Château des Fleurs, l’œil ne distingue plus une reinette d’un capendu, notre odorat est émoussé ; nous mesurons, tout étendus, six pieds de longueur : voilà le dormir.
De tous les actes de la vie, le sommeil est l’acte par excellence ; nul qui n’y soit assujetti.
Il survit à toutes les modes ; le panama et la crinoline passeront, le sommeil ne passera pas.
De toutes choses
La plus ancienne est Dieu,
La plus belle est le monde,
La plus forte, la nécessité,
La plus grande, l’espace,
La plus sage, le temps,
La plus prompte, la pensée,
La plus coquette, la femme,
La meilleure, le sommeil !
Les hommes dorment, les animaux dorment, les plantes, les fleurs dorment aussi.
Y a-t-il des exceptions ? Hélas ! les douleurs du corps, de l’esprit, du cœur sont de grands ennemis du sommeil.
Et le remords, le remords !
À ce propos, une parole de haute portée chez je ne sais plus quel dramaturge de l’école de 1830, – des érudits l’attribuent à Voltaire, choisissez.
On jouait une œuvre de son cru.
L’acteur chargé spécialement du rôle des tyrans, surpris à l’improviste, avait dû passer deux nuits à apprendre son rôle.
Le jour de la première (argot de coulisses), le pauvre diable, éprouvant le besoin de réparer cet excès de travail, s’était, longuement étendu sur son lit.
Il comptait, non pas sans son hôte, mais sans l’auteur qui s’avise d’ajouter à son drame une tirade à effet, une apostrophe aussi virulente qu’un début de Gatilinaire.
Il ne reste que deux heures pour l’apprendre.
– Vite, vite, cherchez-moi X…, s’écrie le dramaturge – ou Voltaire, à votre bon plaisir.
– Il prend un peu de repos…
– Qu’est-ce à dire, lui !
– Depuis deux nuits…
– Lui ! dormir !
– Mais…
– Sachez, monsieur le régisseur, sachez que le sommeil fuit la couche des tyrans ! J’ai dit ; allez !
Revenons aux végétaux.