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Gaya Dewaele, trente ans et célibataire, dirige une société qui produit de fabuleux spectacles à Villers-la-Ville. Traumatisée par un accident de la route qui lui a valu nombre de séjours à l’hôpital, elle fuit toute intimité, tout contact physique. Solitaire et farouche, elle consacre son énergie au travail, dévorée par l’ambition et le souci de perfection. Gaya traverse les ruines magiques de Villers comme elle traverse la vie, sans rien en voir, sans rien en retirer. Pourtant, la découverte inopinée d’un anneau d’or puis d’un souterrain oublié vont bouleverser son existence et éveiller sa sensualité. Et si le monde des hommes était plus tendre que ne le croit Gaya ?
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Seitenzahl: 113
Veröffentlichungsjahr: 2015
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VéroniqueBiefnot
Véronique Biefnot est agrégée en Philosophie et Lettres de l’ULB. Elle a étudié la peinture aux Beaux-Arts et l’art dramatique au Conservatoire. Elle mène une vie d’artiste polyvalente.
Véronique Biefnot a interprété plus de quarante grands rôles sur les scènes belges ; elle a mis en scène plusieurs spectacles et mis en espace des textes d’auteurs célèbres. Elle a également écrit des adaptations théâtrales ainsi qu’un moyen métrage, Alme, qu’elle a dirigé.
En mai 2011, son premier roman, Comme des larmes sous la pluie est paru aux éditions Héloïse d’Ormesson (aujourd’hui disponible en Poche) ; Les murmures de la terre ont suivi, en mai 2012 ; le troisième tome de cette trilogie est prévu en 2013. Véronique Biefnot vient également d’entamer une série de romans en littérature-jeunesse pour les éditions Myriapode. Elle collabore également à la revue littéraire Marginales.
Le site de l’auteur :
http://veroniquebiefnot.wordpress.com
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©éditions Luc Pire
[éditions Naimette sprl]
26, rue César Franck – 4000 Liège
www.lucpire.be
Coordination éditoriale :
Primaëlle Vertenoeil
Graphisme : [nor]production
www.norproduction.eu
Photo de couverture :© olly
ISBN: 978-2-87542-128-9
Version imprimée également disponible en librairies
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.
Toute reproduction, même partielle,
de cet ouvrage est strictement interdite.
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Véronique
Biefnot
Le printemps de Gaya01
Indéniablement, le printemps était là, conforme au calendrier, aux prévisions météorologiques, aux vacances scolaires et à l’avancée chlorophyllienne des bourgeons. Les irrésistibles poussées hormonales des oiseaux les incitaient à s’époumoner, enchaînant trilles et pépiements. Une joyeuse agitation animait les buissons. Tout, dans la nature, semblait affairé, en organisation des amours, en préparation de l’été, dédié à la gloire du cycle éternel des saisons, au diapason de la montée de la sève et du paroxysme des désirs.
Les ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville, gagnées elles aussi par cet enthousiasme fiévreux, abandonnaient leur gris manteau hivernal et laissaient doucement la mousse, le lierre et la vigne vierge recouvrir leurs murailles de pierre.
Totalement insensible à ce joyeux charivari, Gaya, élégante trentenaire, marchait à grands pas vers son bureau, l’œil rivé sur l’écran de son mobile qui tardait à lui fournir des renseignements sur les délais incompressibles de livraison d’un fournisseur allemand.
Devoir attendre l’agaçait et elle n’aimait pas le printemps.
C’était l’époque de l’année où sa société, une agence événementielle, préparait le grand spectacle de l’été, moment fort de la saison l’obligeant à se rendre sur le terrain pour rencontrer les équipes en pleine effervescence créatrice. Elle n’aimait pas ça, préférant garder, dans la solitude studieuse de son bureau, le recul nécessaire à la bonne gestion de sa boîte qui employait plus de cent quatre-vingts personnes par année et chapeautait toutes les manifestations artistiques sur le site de l’abbaye. Dans les rares moments où elle était honnête avec elle-même, elle savait que le printemps l’irritait surtout parce qu’il lui rappelait cette période de son enfance où l’agitation animale gagnait les membres de sa famille et de la communauté écolo-artistique où elle avait grandi. Les premiers beaux jours les envoyaient sur les routes, ses parents, sa sœur et elle, pour vendre, au gré de marchés alternatifs, le résultat de leurs productions hivernales. Ainsi, les tissages, mitaines et autres bonnets multicolores tricotés par sa mère avec la laine de leurs moutons côtoyaient les fromages ratatinés, issus des mêmes animaux, patiemment confectionnés par sa tante. Sur l’étal voisin s’alignaient les bougies ésotériques de sa grande sœur et les elfes et autres fées en résine moulée, peints minutieusement par son père dans des dégradés sirupeux de couleurs mièvres. Elle avait toujours détesté cette vie en marge, les curieux vêtements dont ses parents l’affublaient, le rythme chaotique des journées. Elle se sentait différente des autres, la risée de ses copines de classe si pimpantes en Bonpoint et en Benetton.
Quand l’accident l’avait séparée de sa famille, ça n’avait pas été plus mal.
Pendant une année, immobilisée à l’hôpital, elle avait pris ses distances… beaucoup souffert aussi, évidemment. Quand on a treize ans, huit opérations et des mois de rééducation laissent des traces.
Les nuits surtout étaient pénibles. Elle revivait l’enfermement entre les tôles du véhicule, le métal qui lui broyait la chair, les cris des pompiers à l’extérieur, le bruit épouvantable, obsédant des outils découpant l’acier, s’imprimant à jamais dans son corps, y construisant ses peurs.
Gaya retournait rarement dans son village natal. Devenue adulte, aspirant à plus de normalité, elle aurait aimé changer de prénom, échapper à sa symbolique ridicule et puérile mais devant l’effroi de ses parents remis drastiquement en cause par ce rejet, elle y avait renoncé. Ce prénom ne lui allait pas si mal après tout, elle, tellement ancrée dans le concret, les pieds si solidement fixés au sol.
Grâce à l’argent versé par l’assurance du conducteur ivre qui les avait percutés, elle avait pu poursuivre ses études dans un pensionnat en ville. L’enseignement y était strict, exigeant et c’était ce dont elle avait envie pour structurer son esprit laissé trop longtemps en friche, c’était ce dont elle avait besoin pour cadenasser son corps, le corseter, l’aider à supporter la douleur permanente qui désormais la tenaillait nuit et jour.
Elle y était facilement parvenue. Sortie première de sa promotion, elle affichait l’élégance austère de ceux qui se sentent maîtres de leur destin. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, dissimulée derrière un vernis de certitudes, armure chic voilant ses blessures, elle avançait dans la vie, battante, performante, gravissant allègrement les échelons hiérarchiques. À trente-trois ans, elle était à la tête d’une société de production, promotion, réalisation de spectacles en plein air. Ces événements prestigieux, diffusés à travers toute l’Europe, mettaient en vedette des sites somptueux sublimés pour l’occasion. La création, chaque année, se faisait ici, dans les ruines de Villers-la-Ville, le printemps en accueillait les répétitions, l’été, les représentations puis, selon le succès rencontré, le spectacle quittait le nid et émerveillait d’autres contrées. Leurs productions sillonnaient ainsi la Belgique, la France, la Suisse. Ces spectacles, généralement musicaux, ne connaissaient pas la barrière de la langue et pouvaient indifféremment être représentés en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Italie. Certaines de leurs productions, parmi les plus réussies, avaient même franchi les océans, jouées jusqu’en Afrique du Nord et en Asie. L’Angleterre, en revanche, avait toujours décliné leurs offres et séduire ces grands spécialistes des spectacles musicaux était devenu le challenge de Gaya pour les deux années à venir.
Voilà pourquoi elle redoutait cette saison : avec l’arrivée du printemps, elle devait quitter son confortable bureau, tout de cuir noir, de verre et de métal caparaçonné, et affronter les autres, les collaborateurs, les artistes, chanteurs, musiciens ou comédiens, les équipes techniques, scénographes, costumiers, éclairagistes, ingénieurs du son, les habilleuses, les régisseurs… tout un monde grouillant, bruyant, indiscipliné, à l’image de la vie qui éclatait partout en cette période de l’année ! Le reste du temps, elle pouvait gérer les choses à distance, internet et skype la mettaient en contact virtuel avec le monde entier, pas besoin de se voir, de se toucher. On pouvait travailler efficacement, loin du périmètre intime de l’autre, sur des plans, des chiffres, des programmes, faire entrer du rêve dans des tableaux Excel. Elle avait constaté que les résultats en étaient nettement plus performants. Loin des considérations personnelles, on se dispersait bien moins, on perdait bien moins de temps en palabres inutiles. Le repli dans sa tour d’ivoire lui semblait, durant le reste de l’année, le meilleur garant de son efficacité.
Dans les rares moments où elle était honnête avec elle-même, elle reconnaissait qu’elle cherchait surtout à éviter tout contact physique et toute promiscuité. Dans cette voiture fracassée, la désincarcération avait duré des heures et l’avait laissée profondément traumatisée. Dès lors, devenue claustrophobe, son corps n’étant plus que douleur, elle avait bien mal supporté les nombreuses manipulations nécessaires à sa guérison. La vue d’un hôpital lui donnait la nausée, l’évocation d’une salle de kinésithérapie relevait de la torture et l’idée de mains lui tripotant les vertèbres l’amenait au bord du malaise.
Aujourd’hui, grâce à une hygiène de vie rigoureuse, à des exercices physiques précis et au suivi attentif de médecins, elle parvenait à mener une vie normale, personne dans son entourage ne soupçonnant la souffrance qui lui mordait si souvent les chairs.
Ce matin, Gaya marchait donc vers ses bureaux, installés à l’écart, sur l’emplacement de l’ancienne porterie, où étaient jadis accueillis et contrôlés ceux qui entraient dans l’abbaye. Cette localisation privilégiée lui permettait d’échapper au mouvement de la foule tout en gardant un œil sur d’éventuels manquements de gestion. Pour y accéder, elle parcourut l’allée nord, longea le palais abbatial, sans un regard pour ses colonnes néo-classiques, coupa à gauche vers l’ancien dortoir des moines, remarqua quelques mauvaises herbes malvenues sur le parcours, enregistra son mécontentement dans son I-phone, essaya à nouveau de joindre l’Allemagne et ces foutus transporteurs qui, s’ils ne respectaient pas les délais, allaient mettre en péril la tournée en cours. Elle ne se laissa pas distraire par les enfants qui jouaient déjà sur l’herbe du cloître, poussaient des cris stridents en parcourant à toute la vitesse de leurs petites jambes le préau et ses galeries. Elle ne remarqua pas le ballet des mésanges bleues, affairées – des bouts de laine, de ficelle ou de papier coincés dans le bec – à construire leur nid dans la charmille qui délimitait l’aile des convers. Elle ne vit pas davantage le bourdonnement doré des premières abeilles qui, sous ce soleil frileux, cherchaient un abri pour leur communauté. Elle avançait à grandes enjambées vers son bureau, agacée par ce fâcheux contretemps, obnubilée par ce délai imposé à la livraison, cet imprévu perturbant la bonne marche de son planning.
Rigueur et fantaisie02
Cette année, le dossier qui avait séduit le comité de direction était un opéra. Il s’agissait d’une œuvre rarement montée de Ernest Reyer : La statue.
Tiré d’une pièce foraine, créé au théâtre lyrique à Paris en 1861, c’était l’exemple même du spectacle susceptible d’être représenté avec succès dans les ruines de Villers. L’histoire, mêlant fantastique et volupté, se déroulait dans un contexte oriental qui avait enthousiasmé le conseil d’administration. Ses membres y voyaient un séduisant exotisme vendeur et la possibilité de remettre à l’honneur un auteur oublié. Gaya remarquait surtout que produire cet opéra impliquait de trouver une soprano, deux ténors, une basse, un baryton, une flopée de figurants, de construire un décor différent à chaque acte (et non des moindres… Damas, les ruines de Baalbek, La Mecque et le désert d’Arabie…) sans compter l’inévitable ballet qui permettrait les changements de lieux et de décors… Ce spectacle devrait être un succès si elle voulait rentrer dans ses frais.
– N’oublions pas la pyrotechnie finale, avait ajouté l’un des administrateurs, le public aime les fins spectaculaires !
Tout ça ne tiendrait jamais dans son budget. Ce n’était pas encore cette année qu’elle pourrait déléguer, elle devrait être présente à chaque étape de l’élaboration, évaluer la légitimité des dépenses, argumenter sans blesser, réduire sans brimer, bref, consacrer du temps à tout ce qu’elle détestait : la dialectique, le dialogue, les pourparlers… tout ce qu’elle évitait le reste de l’année et qui allait être son quotidien pour les trois mois à venir. Elle aurait pu y trouver un certain intérêt, les personnes monopolisées pour de telles entreprises étant rarement dépourvues de qualité, Gaya évitait néanmoins soigneusement les « après-répétitions » en terrasse, les discussions jusqu’à pas d’heure sur la nécessaire vulgarisation de l’art lyrique ou le statut précaire, et même inexistant, des artistes. Elle évitait tout, les confidences, les lamentations, les envies, les revendications, les idées, les rêves… c’est dans les chiffres qu’elle excellait : faire rentrer des nombres dans des colonnes, des perspectives dans des probabilités et des dépenses dans des budgets, c’était son domaine !
Alors, cette année, comme d’habitude, elle avait écouté, sceptique, l’adaptation proposée par le dramaturge, avait regardé d’un œil critique la maquette religieusement installée par le scénographe et considéré, dubitative, la débauche de costumes nécessaires tandis que le metteur en scène, enthousiaste, lui expliquait son point de vue sur l’œuvre.
Peu lui importait que l’action de cet opéra se déroule à Damas, que le jeune héros languide, Sélim, manipulé par le puissant génie Amgiad, recherche les douze statues d’or et de diamants cachées dans le royaume souterrain.
Peu lui importait qu’il aime la jeune fille du désert, Margyane, la voilée, et qu’il doive la livrer au derviche malfaisant pour respecter sa promesse.
Peu lui importait que la jeune fille soit à son tour transformée en statue puis libérée de sa gangue d’or par le maître des Djinns. Ce dernier, joué par un impressionnant baryton, ferait sans aucun doute résonner les voûtes du chœur de l’abbatiale en lançant la conclusion moralisatrice de la pièce :
« Il est un trésor
Plus rare que l’or
De toute la terre,
C’est le doux mystère
Qu’on appelle l’amour. »
Peu lui importaient ces niaiseries sentimentales, la seule chose qui comptait pour l’instant était de faire rentrer ces « délires exotiques » dans son budget ; or il était en passe d’exploser, et s’il fallait encore y ajouter le sempiternel feu d’artifice, elle ne s’en sortirait jamais !
Il fallait qu’elle réfléchisse. Comment exprimer ses réticences sans entamer l’enthousiasme nécessaire à l’élaboration du spectacle ?