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"Steppes" est un recueil de vingt nouvelles poétiques qui invitent à découvrir des rencontres manquées, tant avec soi-même qu’avec autrui. À travers une prose lyrique, chaque récit révèle des instants suspendus où l’essentiel semble toujours s’échapper. La solitude et le désir se croisent dans des bars désertés, des promenades nocturnes et des dialogues avec des miroirs silencieux, mettant en lumière les failles de l’âme humaine. Naviguant entre humour et mélancolie, le narrateur évolue dans un univers onirique et mystérieux, où l’amour, l’espoir et le doute esquivent la vérité. Ce voyage introspectif s’adresse à ceux qui ont déjà éprouvé l’écho des instants évanouis.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Pilato écrit assidûment depuis vingt ans. Son style allie légèreté, absurde et humour, tout en révélant, derrière la gaieté, une gravité teintée de mélancolie. Il s’intéresse aux signes, masques et miroirs, tout en explorant le cynisme et l’insondable mystère des relations humaines.
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Seitenzahl: 85
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Philippe Pilato
Steppes
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Philippe Pilato
ISBN : 979-10-422-5023-2
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La mise en page, la ponctuation et l’absence de majuscule sont volontaires.
Ici, on n’aime pas le noir. Alors allez vous changer, et on verra. La nuit, on allume des milliers de lanternes chinoises parce que la lune ne suffit pas, et la steppe se couvre de feux de fortune.
Mais si je suis un orage ? un passager ? fugace, clandestin ?
Alors, dissipe-toi vite, car on n’aime pas la pluie non plus et ce sont nos éclats de rire qui nous servent de tonnerre.
Mais toi – oui, toi qui sembles être leur chef – dis-moi que tu es différent, que tu n’es pas comme eux et que tu comprends sans avoir besoin de me poser toutes ces questions idiotes qu’ils posent d’habitude, pour rien, pour faire du bruit, par curiosité malsaine, parce qu’au fond ça ne les intéresse pas.
Moi je vois un orage, noir en effet, terrible et magnifique. Et surtout secret. Un secret, c’est ce qui ne se dira jamais, et qui en dit long, pourtant. Si moi je te pose une seule question : « Pourquoi ? » je sais d’avance que tu vas me servir une histoire idiote elle aussi, mais c’est trop tard : j’ai vu.
Je n’ai pas de secret. Je suis ce que tu vois. Regarde dans mes yeux.
Ne t’inquiète pas de moi. Je ne suis pas un perceur de secrets. Mais j’aime le feu, et toi, tu es un feu roulant.
Alors je vais rester un peu. Mais je te préviens, il y aura des moments où tu me reprocheras de ne pas être là, et d’être inaccessible.
Si elle était facile, notre rencontre n’aurait guère d’intérêt. Elle serait banale et rassurante. Viens m’aider à allumer les feux, les autres se sont éloignés – ils sont déjà jaloux, et même si tu partais maintenant, orage, le mal est fait : ils croient que je leur appartiens parce que je les rassure. Tu vois ? Je te fais, instinctivement, toute la place. Occupe-la comme tu veux, c’est ta liberté.
J’aime ta steppe, qui me rappelle les montagnes sauvages où je suis né.
On n’aime pas la nuit parce qu’elle est d’abord notre nuit ; le reste, la vraie nuit, est une illusion d’optique. Notre nuit agite des choses trop compliquées qui nous fatiguent et nous empêchent de dormir.
Alors, autant travailler. Où est le bois ?
Demain matin, avec le soleil, tout sera plus simple. Qu’il fasse froid ou chaud, la lumière sera là, directe, brutale, franche.
Partout, ils répandent la lumière sur la steppe et lancent des lanternes chinoises vers le ciel. Ils courent et rient comme des enfants, et pourtant, ils travaillent, sans relâche, échangeant de temps en temps, de loin, des regards complices et heureux (de loin parce qu’ils sont pudiques. Ils travaillent contre la nuit.)
Les seules rencontres qui vaillent sont celles qui donnent envie d’être meilleur et de donner envie à l’autre – sans le prendre pour soi, tu verras, c’est un de mes défauts (oui, j’ai oublié de te dire que je n’étais ni un sage du désert ni un saint) – d’être meilleur et de donner le meilleur de lui-même.
Ta steppe illuminée me fait presque pleurer de joie.
Presque ?
Il n’y a pas d’amour heureux
Le genre de phrase qu’on entend plus
Elle fait pourtant des allers-retours dans sa tête tandis qu’il descend le boulevard Magenta
Non qu’il se sente concerné
L’amour, c’est son essence
Son kérosène
Heureux ou malheureux, il s’en fout
Il faut qu’il soit amoureux
C’est comme l’air ou l’eau de mer
Il ne peut pas s’en passer longtemps
Dans toutes les vies qu’il a vécues ou aurait voulu vivre et dont il a rêvé, c’est ce qui l’a tenu, et défini
Tout à l’heure, il a posé sa valise dans un petit hôtel sans gloire, un peu essoufflé par les quatre étages d’un escalier 19e en colimaçon, il a ouvert la fenêtre de la chambre surchauffée, regardé les arbres du boulevard et au loin le soleil pâle perché au-dessus de la République. Il aime Paris comme une maîtresse ancienne qu’on revoit toujours avec la même tendresse, une maîtresse dont on n’avait pas vraiment fait le tour en son temps, mais qu’il avait bien fallu quitter parce que…
Parce que les trajectoires
Les rencontres restent ainsi posées en lui pour toujours – sont toujours à lui, tant qu’il existe – après que les acteurs se sont éloignés dans la brume
Ils flottent en fantômes discrets, qui ont gardé la chaleur des vivants
Et les fantômes qu’il a serrés dans ses bras ont ici le même statut que les ombres qu’il n’a saisies qu’à sens unique
Sans amour, il n’y a rien, il n’est rien, et pour le coup, le bonheur n’est plus un problème, et le malheur non plus
Il voit ces gens assis par terre ou couchés sur les bancs et s’il accélère le pas et évite de les regarder longtemps, c’est qu’il sait à quel point la ligne qui le sépare d’eux – qui tous nous sépare d’eux – est très fine, qu’on soit soi-même un faux pauvre ou qu’on glisse dans une arrogante limousine le long du même boulevard parce qu’on a quelque futile rendez-vous au Crowne Plaza
Il se connaît
Il sait que s’il hésite trop longtemps il va leur demander de lui parler
Il sait aussi qu’il sera déçu parce que leur histoire sera toujours la même, et triste parce qu’elle pourrait tout aussi bien être la sienne
C’est cette même horreur de la déception qui lui fait d’avance transfigurer toutes les rencontres
Dans l’autre, c’est lui qu’il cherche tout autant que l’autre, mais l’autre, que cherche-t-il d’autre que cette réassurance qui nous fait fuir l’aventure, le danger, l’inconnu ?
Cette vraie peur qui est au cœur de notre systématique embourgeoisement
Peur non pas tant de la solitude que de ne pas trouver la prétendue âme sœur, celle qui dit pour se rassurer et se donner un destin : « Ne cherche plus, tu as trouvé »
D’arbre en arbre, d’un réverbère à l’autre, il songe à toutes ces histoires où l’on est prêt à tout, y compris au crime, mais c’est là le moindre des maux de cette chasse éperdue, pour ne pas laisser filer l’occasion
Alors, pour lui l’amour ne commence ni ne finit
L’esquisse d’un sourire, un regard furtif, une amabilité, tout lui est bon pour croire et croire encore
Et semblable à une prostituée qui n’aurait rien à vendre ni à acheter, il arpente ainsi les boulevards du monde, prenant tout ce qu’il peut sans se poser la question du consentement du monde et de ses habitants, pour être bien sûr qu’on ne lui dise jamais
« Non »
S’il avait un ennemi véritable, celui-ci serait bien armé s’il savait qu’à coups de « non ! » répétés, il peut facilement le tuer
Mais il n’a pas d’ennemis, sans doute parce que le pouvoir ne l’intéresse pas, n’a pas plus de réalité pour lui que le racisme ou le sadisme
On le montre ici seul entre un petit hôtel et un boulevard anonyme et bruyant, mais en hypersocial il est le même, lançant ainsi des paillettes multicolores pour tromper le réel et ne pas se laisser rattraper
Il ne cherche jamais à savoir vraiment ce qu’on pense de lui, il a d’avance adopté une réponse assez terne et passe sa vie à tenter de remonter la pente : son théâtre, c’est le réel, qui ne l’amuse qu’en ce qu’il est imprenable, comme
Comme une femme fatale qui serait la quintessence de toutes les femmes fatales passées, présentes et à venir et aussi imaginaires
Pourtant l’amour absolu existe bel et bien
La preuve, c’est qu’il l’éprouve, dans ces instants qui durent parfois des mois, des années, ou quelques heures
Et là, rien ne l’arrête, sa puissance et sa liberté sont totales
Qui soupçonnerait ce type, à le voir ainsi descendre un boulevard avec une certaine allure, un certain chic, d’être un Werther non-suicidaire, un Werther qui aurait duré, ce qui est en soi presque une impossibilité ?
Boulevard Richard-Lenoir, la limousine le renverse
Sa tempe heurte l’asphalte gras
Pendant quelques secondes, il est ailleurs, dans les couloirs du rêve
Un pouce finement ganté soulève une de ses paupières
Un visage soigneusement fardé est penché sur lui
Il sent ses larmes chaudes qui vont diluer le sang de sa tempe
Je prends de l’altitude
C’est facile, ça va vite, on respire mieux – de l’oxygène rare, que pour moi (et les oiseaux dont l’empreinte-oxygène est faible)
Battements de bras – j’ai l’habitude, l’agitation, c’est mon ADN
Surtout, vaine, dans le vide
Là où il n’y a pas d’obstacles – pour un dyspraxique – « Mais qu’est-ce qu’il est maladroit ! » – c’est pratique
Là-haut, la réalité met un certain temps à me rattraper, elle ne vole pas assez vite, empêtrée qu’elle est dans ses casseroles
Les siennes contre les miennes – c’est à qui fera le plus de bruit
Que le meilleur gagne
Je prends l’air, je prends de la solitude, des vacances