Suite mortelle - Yves Dorléans - E-Book

Suite mortelle E-Book

Yves Dorléans

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Beschreibung

Yves Sargues, professeur de français, arrive de fort méchante humeur pour rompre son contrat avec son éditeur, au moment où son roman devait enfin être publié. Pour réparer sa bévue, il propose à celui-ci d’écrire la suite du « Mystère St Helme » que l’auteur originel promet à ses millions de lecteurs depuis 10 ans.
Dès lors que ce projet est rendu public, Yves, Noémie, son épouse, et leur entourage se retrouvent en danger. Seulement, Yves Sargues, que tout le monde surnomme Grizzly à cause de son mauvais caractère, ne va pas s’en laisser conter…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Ayant une affection particulière pour les thrillers, Yves Dorléans se plaît à imaginer des enquêtes policières et leurs contours. Par ailleurs, il est auteur de plusieurs livres dont Le rapace.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Yves Dorléans

Suite mortelle

Roman

© Lys Bleu Éditions – Yves Dorléans

ISBN : 979-10-377-5037-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

Quand les murs tremblent

Nous sommes le six avril.

Après quatre reports, mon thriller n’est toujours pas paru, paroles, et bobards en prime. J’ai signé dans une grande maison d’édition.

Mû par une indomptable colère je décide de me rendre toutes affaires cessantes chez mon éditeur.

Les bureaux sont à l’image de n’importe quelle start-up : open-space et fausse convivialité. Toutefois, ce matin-là, la panique règne dans les locaux et la réceptionniste me lance un regard affolé. Le bateau tangue méchamment et l’angoisse a gagné les ponts inférieurs. La prochaine vague lui sera-t-elle fatale ? Quand j’atteins l’étage où je dois me rendre, une cadre décoiffée, qui a l’air d’avoir pleuré, me bouscule sans s’excuser. Je m’approche du bureau de ma superviseuse Lydia Coageur, d’où s’échappent des tombereaux d’invectives. La porte s’ouvre brusquement, le directeur adjoint sort le visage marqué, il m’ignore. Malgré tout, je me décide à frapper à la porte de Lydia, une charmante métisse, un « Entrez ! » sec me répond.

— Bonjour, Lydia, vu l’ambiance délétère qui règne aujourd’hui, je ne vais pas vous déranger. Nous referons le point dès que vous serez disponible.

— Tu peux t’asseoir, Yves. Garde pour toi ce que je vais t’apprendre. Nous avons reçu le dernier manuscrit de Hugo Farbes, c’est une catastrophe, je ne vois pas comment nous tiendrons les délais. Notre célébrité est en cure de sommeil en Suisse. La direction veut que le manuscrit soit retravaillé, je pense qu’il faut le jeter à la poubelle.

— Cela dépend de la valeur de l’intrigue.

— Eh bien, donne-moi ton avis, dit-elle, en me tendant un manuscrit écorné.

Dans l’heure qui suit, alors que Lydia m’abandonne pour se rendre à une réunion de crise, je me consacre à la lecture de la dernière production de la « tirelire » maison. Cela arrive aux plus grands de se planter complètement. Ici, le désastre est total. Je peine à reconnaître l’auteur qui a enchanté certaines de mes soirées. Lydia revient, toujours aussi tendue, et je lui rends le manuscrit sans un mot.

— C’est aussi mauvais pour toi que je le pense ?

— En pire, sans aucun doute.

— Patiente encore un moment avec moi.

— Avec grand plaisir, Lydia.

Lydia, accueillante et efficace, ne s’arrête jamais. Pendant que je feuillette un magazine, elle contacte l’imprimeur et une flopée d’attachées de presse qu’elle cajole à coup de promesses.

Une secrétaire vient l’informer qu’elle doit remonter immédiatement en salle de crise, elle me tape avec familiarité sur l’épaule et me demande de l’attendre. À contrecœur, je reste… Mon esprit se met à vagabonder à la recherche de nouveaux sujets, à mon épouse qui attend mon succès pour « vivre enfin », alors que nous ne manquons de rien. Le petit prof que je suis attend sa petite heure de gloire. Mon rêve de sortir mon livre dans une grande maison d’édition s’estompe et mon mariage a du plomb dans l’aile. Un sentiment de lassitude infinie me vide de mon énergie. Pendant que là-haut ça râle, je ne suis pas prêt de l’obtenir, mon Graal.

Une assistante de direction vient me tirer de mes sombres élucubrations en me priant sèchement de la suivre. Dans un silence bienvenu, nous prenons l’ascenseur pour l’étage directorial. La moquette est tellement épaisse qu’elle assourdit tous les bruits, comme si je marchai sur un nuage, j’en perds un instant l’équilibre. Après une halte dans son bureau où elle me noue une cravate autour du cou, elle m’introduit enfin dans la salle de réunion directoriale.

Lydia pose un doigt sur ses lèvres et me fait signe de la rejoindre. Les débats reprennent et il m’apparaît que l’assistance est divisée sur la conduite à adopter : les pros sauvetage s’opposent aux partisans d’une solution alternative. Agacé, le président du groupe s’en prend directement à moi :

— Monsieur Sargues, accepteriez-vous de participer à la réécriture du dernier livre de notre écrivain vedette ?

— Monsieur, tout d’abord, je veux vous remercier de votre offre. Je dois la décliner pour les raisons suivantes : ce livre est raté, l’intrigue est médiocre, les personnages stéréotypés, ce projet m’ennuie. Je suis venu aujourd’hui pour résilier mon contrat, je n’ai pas eu le temps d’avertir Lydia de ma décision.

Lydia me foudroie du regard alors que plusieurs cadres éclatent d’un rire nerveux.

— Vous partez au moment où Lydia venait de nous convaincre de vous publier !

— C’est un quiproquo Président, intervient Lydia, Yves Sargues a connu quatre reports de publication.

— Je dois des excuses à cette assemblée ; quant à vous Lydia, pardonnez-moi d’avoir douté de vous.

— Bien, Lydia et notre service comptabilité vont préparer votre contrat.

— Avant de prendre congé, je souhaite vous soumettre un projet : Hugo Farbes a toujours refusé d’écrire la suite de son deuxième roman. À moins qu’il n’ait déjà rédigé ce manuscrit, je suis en mesure d’écrire la suite avec au moins une auteure, ainsi que le soutien de votre service documentation.

— Monsieur Sargues, que signifie ce refus, suivi de cette acceptation ? Ne mettez plus ma patience à l’épreuve.

— Monsieur, permettez-moi d’arguer sur deux projets distincts. Le premier concerne le tout dernier manuscrit d’Hugo Farbes. Je vous ai expliqué ce que j’en pensai. Le second, le « Mystère St Helme » d’Hugo Farbes. Comme nombre de lecteurs, j’ai été frustré de ne pas lire cette suite tant annoncée, alors je l’ai inventée.

— Par moments, Monsieur Sargues, je vous trouve frileux et à d’autres, je vous découvre totalement inconscient. Votre capacité à m’exaspérer me fascine. Admettons : quid des délais ?

— Quant aux délais : dix-huit mois garantis, un an, si la synergie entre auteurs est excellente. Tout ceci reste à l’état de spéculation tant qu’Hugo Farbes n’aura pas donné son accord.

— Nous étudierons votre proposition, vous pouvez vous retirer.

J’ai attendu Lydia dans le couloir de son étage, je l’ai vue arriver rayonnante, m’indiquant d’un signe de la rejoindre dans son bureau.

— Tu m’as fait peur Yves, ta maladresse aurait pu te coûter ta carrière et ma place. Tu as effacé auprès du Conseil l’impression détestable produite par ta gaffe. Cette suite, ils en salivent d’avance, j’espère pour toi que ton intrigue tiendra la route. Hugo Farbes n’ayant pas les moyens de rembourser les avances consenties par notre maison, il sera obligé de donner son accord. On se revoit lundi, j’appelle la comptabilité pour qu’ils préparent un contrat type.

— Vous pouvez déjà les avertir que mon pourcentage sur les éditions de poche devra être supérieur de 25 pour cent au pourcentage habituel. Il s’applique bien entendu à tous les livres que je publierai chez vous.

— C’est du chantage, Yves !

— Nous parlons seulement affaires, ma chère Lydia.

De retour chez moi, je me suis échiné à expliquer à mon épouse que si mon thriller allait enfin être publié, je n’allais pas pour autant devenir la nouvelle tête de « gondole » de mon éditeur. Elle a refusé de m’écouter en prétextant que nous pourrions au moins partir en voyage.

— Mais enfin, chérie, entre la sortie de mon livre, les séances de dédicace, l’écriture du prochain, j’ai un an de boulot devant moi.

Elle est partie en claquant la porte et je me suis félicité de ne pas lui avoir parlé de mon projet de suite.

Noémie se montre, au quotidien, aussi indépendante que revendicatrice. C’est une excellente graphiste reconnue dans son milieu. Elle m’a épousé pour que j’incarne son rêve de gloire people, c’est une belle brune aux yeux verts qui surveille sa ligne avec une constance à faire pâlir tous les diététiciens ; elle suit le régime Végan et nous avons acquis un deuxième réfrigérateur encombrant.

2

Le jeu de pistes

Ma femme et moi avons retrouvé avec fougue le chemin du lit conjugal, elle, belle et désirable, refusait que je la néglige au moment où elle sentait ma carrière décoller enfin, moi qui la désirai comme jamais auparavant, alors que confusément, je commençais à réaliser que je ne pourrai jamais réussir avec elle.

Mon portable s’est mis à bourdonner vers dix heures trente alors que Noémie se préparait pour aller fêter l’anniversaire de mariage de ses parents, Jacques et Emilie, un couple aussi charmant que curieux de tout. Comment deux êtres aussi sensibles ont pu engendrer une consumériste aussi acharnée ? Mystère.

Je réponds à Lydia Coageur dans notre salon.

— Bonjour, Lydia, est-ce que la notion de dimanche vous rappelle quelque chose ?

— Salut, Yves, je viens de lire un texto du service juridique, tes contrats seront prêts demain, rendez-vous à quinze heures dans mon bureau. Elle a raccroché et j’ai sursauté quand ma femme Noémie m’a touché l’épaule.

— Surpris en flagrant délit, mon chéri ?

— Ma responsable d’édition m’attend demain à quinze heures pour la signature de mon contrat. Maintenant, je dois m’habiller pour les festivités.

— Très bien.

Nous nous rendons dans le manoir des de Perray-Jognon dans le Perche : une demeure de style gothique du XVe siècle. Cette magnifique bâtisse sur trois étages, flanquée d’une tour hexagonale, offre une façade en pierre coiffée d’un toit pentu en tuiles ocres piquetées de blanc. Ce manoir et son immense terrasse dominent une vallée verdoyante, ses quelques prés et son impénétrable forêt de chênes et de châtaigniers. On accède à cette petite merveille par le sommet de la colline. Tous les signes de modernité, parking, antenne TV, sont dissimulés derrière le bâtiment. Une partie des communs a été aménagée en chambres.

Cette réunion de famille facultativement obligatoire réside en une succession de rites.

J’abhorre me plier à cette cérémonie.

C’est Smack, dit Didier l’octogénaire, qui ouvre le bal de l’arrivée des cousins. Cet ex grand dadais, dispensé de patins, penche à droite. Son médecin l’oblige à porter des baskets compensés qui couinent sur le parquet. Noémie l’embrasse, je lui serre la paluche. Il repart torturer les lames de parquet. Nous veillons sur nos patins à respecter le parquet pluri centenaire.

Déboule ensuite la smala François, Françoise, et leurs sept rejetons qui, question brutalité et vulgarité, tiennent davantage d’une équipe de Hockey que d’une équipe de foot :

— Alors, Yves, toujours petit prof ?

— Professeur et écrivain, François. Mon livre, choisi par une grande maison d’édition, va bientôt sortir. Alors François, ça rapporte toujours autant, la traite des caissières ?

Noémie, taraudée depuis des lustres par l’envie de lui rabattre le caquet, court pouffer dans le jardin.

Suivent enfin les cousins pingouins tous en smoking qui passent en file indienne, nous saluant d’un hochement de tête.

Nous voilà bientôt réunis dans la majestueuse salle à manger. Il est de tradition, après le discours de bienvenue de Jacques, que, tour à tour, chaque invité se lève et narre ses exploits de l’année écoulée. Pour ne pas y passer la nuit, on est prié d’être bref. Exemple :

YVES : je sors un thriller.

NOÉMIE : je réalise une couverture pour « Les Beaux-Arts ».

La Palme revient aux cousins Pingouin, tous habillés en smoking, qui narrent leurs exploits avec un débit de mitrailleuse lourde : INSERM 2, Ena 3, Paribas Sd, ONU 1. Orly Sud 4. Orly Sud 4 ?

J’imagine dans vingt-ans notre fille se lever et crier avec fierté : Nigo 1 (Institut National de Géopolitique Orientée) et les pingouins de consulter frénétiquement leurs portables.

La quarantaine de convives se répartit autour de huit tables rondes que Jacques et Emilie visitent l’une après l’autre.

Suivent les grands plats du festin annuel : salade de gésiers de canard, cochon de lait aux pommes, trou normand, plateau de fromages, et en dessert, la crème de marrons maison avec de la faisselle, du fromage blanc, de la crème fraîche, ou enfin de la chantilly. Une crème de marrons pour la crème des marrants. Les agapes s’achèvent sur la piste de danse installée dans le salon carrelé.

J’ai dansé avec ma belle-mère qui a ensuite prétexté un étourdissement pour que je la conduise à l’extérieur, à l’ombre d’une tonnelle. Je l’ai aidée à s’installer, lui ai proposé d’aller lui chercher une citronnade. Elle m’a attrapé le bras, ses yeux bleus de porcelaine ont scruté mon âme d’un regard pesant. Ce que l’intensité de son regard lui a révélé lui a déplu. Une moue sans équivoque s’est affichée sur son visage :

— Tu vas prétexter la pression de ton éditeur, les soucis, je lis dans ton cœur que tu veux quitter Noémie, elle m’a parlé de vous.

— Vous vous méprenez, Emilie, n’interférez pas dans notre couple, laissez-moi profiter de ce beau dimanche ensoleillé.

J’ai couru rejoindre les autres et prendre mes consignes pour participer au jeu de pistes imaginé chaque année par mes beaux-parents dans leur immense propriété. Le tas de bois en lisière de la forêt sert de point de départ et de point d’arrivée. J’ai trouvé l’indice vert dissimulé dans les branchages : « la paille et la poutre ». Je me suis élancé vers les vestiges de l’ancienne grange récupérer un nouvel indice, je suis tombé sur une fausse piste : cette sacrée suite a tout d’un coup monopolisé mes pensées. J’ai perdu un temps précieux à revenir dans le jeu. J’ai terminé dans les derniers de la partie sous les railleries des cousins et de leurs imbuvables gamins.

Excédé, je zappe le repas du soir et je rentre seul dans notre banlieue résidentielle de Sancy la belle : sa gare routière, son marché, sa médiathèque, ses trois lotissements, ses cinq kilomètres de berge qui regardent couler la rivière Essonne. Tout autour, de merveilleux étangs nous incitent à la détente et à décélérer. Je suis professeur au lycée Jules Verne de cette avenante et provinciale cité. En moins de cinq minutes, vous vous échappez en pleine nature à moins de cinquante kilomètres de Paris et à quelques encablures de la Ferté Allais.

Juste avant le dîner, Noémie, toujours chez ses parents, se rend dans la bibliothèque pour consoler une de ses cousines en plein chagrin d’amour. Elle la prend dans ses bras, l’apaise, avec des mots qui réconfortent. Elle lui raconte une anecdote qui lui arrache un sourire. Elle conduit sa cousine dans la salle de bains du rez-de-chaussée pour l’aider à masquer les traces de son chagrin. Alors, elles prennent place dans l’immense salle à manger avec le reste de l’assemblée afin de poser pour la photo de groupe. Noémie filme et me transmet en direct depuis son portable une vue panoramique de l’assemblée réunie. Je remarque un grand type corpulent qui mitraille l’assemblée, un photographe professionnel ?

C’est une manière pour ma femme de m’associer à cette photo de groupe. Je lui envoie plein de likes qu’elle pourra montrer à ses parents pour apaiser leur courroux.

3

Secrets glacés

Je viens de m’habiller, on sonne à la porte. Un jeune livreur me tend un bon de livraison à mon nom, m’informant qu’il vient de la part de mon éditeur. Il sort trois cartons volumineux de sa camionnette, nous les portons ensemble dans le salon. Je lui propose un café qu’il accepte. Il m’informe qu’il vient installer le nouvel ordinateur sur lequel je devrai taper mon manuscrit et me presse de questions :

— Quel est mon opérateur Internet, quelle est la marque de mon imprimante… Il achève son laïus en me demandant de lui montrer mon ordinateur portable, je le lui remets, et il l’allume d’autorité pour évaluer ma pratique d’Internet en matière de sécurité informatique. Il grommelle un « ça pourrait être pire » puis son regard se tourne vers le nouveau « bijou » de ma femme : un ordinateur portable récent et haut de gamme.

— Belle bête, il est à vous ?

— Non, c’est le portable de mon épouse.

— Vous vous en servez ?

— Non, elle seule l’utilise, j’ai besoin d’en connaître le contenu, mais ne rêvons pas, le mot de passe est costaud.

— J’ai besoin d’une heure pour le craquer.

— Vous prenez combien de l’heure ?

— Cinq cents euros.

J’en siffle de surprise.

— À côté de vous, les avocats sont des smicards, et les professeurs, des ouvriers dans l’industrie textile au Pakistan. J’ai trois cents euros planqués dans la maison, pas un cent de plus.

— Ma maman sera contente quand je lui apprendrai que je fais du bénévolat auprès des classes laborieuses. Vous aurez une copie de tous les fichiers sur clé USB.

Je laisse le casseur de code perpétrer son effraction, avec une envie mêlée d’appréhension. Ce cambriolage va-t-il démolir mon couple qui s’effiloche dans les méandres d’une incompréhension mutuelle ? Soudain, cette certitude s’impose à moi. Jamais je ne pourrai réussir cette course contre la montre avec Noémie. Ce sentiment balaye toutes mes préventions, comme autant de fétus de paille.

Un peu avant quatorze heures

Je suis parti retrouver Lydia. Sa secrétaire l’a prévenue de mon arrivée en lui lançant dans l’interphone :

— Grizzly… pardon, Monsieur Sargues vient d’arriver.

Mon physique un peu pataud de blond aux yeux bleus en surcharge pondérale allié à un mauvais caractère désormais connu du personnel de l’étage me valait ce surnom, que je tolérai sauf les jours où on me tapait sur l’épaule.

Vingt minutes plus tard, la voix sèche de Lydia l’a priée de m’envoyer dans son bureau. J’ai quitté l’assistante en lui adressant un sourire ambigu, tout en lui promettant :

— Vous venez de me donner une idée rugissante, mademoiselle, ce n’est pas raisonnable de me titiller ainsi, à bientôt.

Je suis allé embrasser Lydia. Je m’affale dans un fauteuil. Elle me fait un clin d’œil avant de me tendre une masse de documents :

— Tu lis le premier exemplaire, ensuite tu paraphes, et tu signes les trois exemplaires : si tu as des questions, c’est maintenant que tu dois les formuler.

J’ai tout lu, j’ai ri en constatant que ma rémunération sur l’édition de poche passerait à titre exceptionnel de 0,60 à 0,75 euro, l’éditeur en dernier ressort décidait : de la couverture, de la quatrième de couverture, du plan média. J’ai tripoté nerveusement, dans la poche gauche de ma veste, la clé USB qui contenait la vie secrète de ma future ex, mes doigts me brûlaient. J’ai posé les feuilles sur un coin du bureau de Lydia et j’ai signé les trois exemplaires.

Son smartphone pro s’est mis à vibrer et elle a pris l’appel, soucieuse :

— Comment ? Pardonnez-moi Président, ce n’est pas ce qui était convenu. Karine Farbes devait se présenter munie du document d’accord signé par son époux. Quoi ? Il a rajouté une clause, bien sûr, nous montons immédiatement.

Dans l’ascenseur, Lydia se rongeait les ongles, je l’ai imitée avec application, elle m’a concédé un demi-sourire.

— Fiez-vous à moi, Lydia, je vais dégonfler l’égo du couple Farbes, ils bluffent, tous les atouts sont dans nos mains.

Vu l’urgence de la situation, j’ai été dispensé du port de la cravate. Nous avons rejoint les quatre protagonistes présents dans la salle de réunion. : Karine Farbes, une brune boulotte manifestement sur ses gardes, son avocat, notre Président et le responsable juridique de notre maison d’édition. J’ai pris le temps de tous les saluer, suivi de près par Lydia. Nous avons pris place à côté de notre juriste qui sur un signe du Président, a résumé la situation :

— Monsieur Farbes accepte que vous écriviez cette suite, sous réserve que votre nom ne soit mentionné nulle part, et qu’il approuve le manuscrit avant sa publication.

Je me suis enfoncé dans mon fauteuil en souriant.

— Monsieur Sargues, que vous inspirent ces nouvelles exigences ?

— Une intense envie de rire, monsieur.

— Expliquez-vous, répliqua-t-il, irrité.

— Hugo Farbes ne souhaite pas que je publie la suite de son chef-d’œuvre, son attitude remet en question la dynamique du projet que je vous ai soumis, dès lors les dix-huit mois annoncés pour la remise du manuscrit ne sont plus tenables. Imaginez que je cède à ses exigences, que se passera-t-il s’il veut que je réécrive tout ou partie du livre ?

— Vous n’êtes pas en mesure d’imposer vos conditions, s’écria l’avocat de Karine.

— Détrompez-vous, Maître, j’ai formulé, devant le Président et ses collaborateurs, des engagements clairs, vos exigences les remettent en cause, c’est ma responsabilité de les dénoncer.

— Nous comprenons vos inquiétudes mais vos prétentions sont par trop élevées, se risqua Lydia : le nom d’Yves Sargues doit au moins figurer en page intérieure et sur la quatrième de couverture. De plus, vous savez parfaitement qu’avec les fuites dans les médias, un délai de trois ans rendra ce projet obsolète.

— Je vous laisse une demi-heure pour réfléchir, madame Farbes, merci de contacter votre époux. Avec l’aide de votre conseil, j’espère que vous l’inciterez à se montrer plus conciliant.

Dès qu’ils sont sortis pour se rendre dans le salon du Président, Lydia s’est levée et a couru vers les toilettes où elle a rendu son déjeuner, le boss s’est éloigné en grommelant des récriminations contre ses auteurs : « p… de mégalos d’écrivains, j’aurais dû rester dans le pétrole ! »

J’ai attendu Lydia à la sortie des toilettes, je lui ai proposé de prendre l’air sur le toit-terrasse de l’immeuble où le soleil de printemps brillait timidement.

— Respirez cet air pollué, ma chère, c’est tout de même plus agréable que l’air vicié en boîte que votre clim débite.

— Et maintenant, Yves ?

— À présent, nous ne devons céder sur rien. Les enjeux sont trop élevés.

De retour dans son bureau, Lydia a passé un coup de fil au service RH où elle s’est heurtée à une réponse évasive, qui peinait à masquer un refus à peine poli. Je l’ai sentie un peu désarçonnée, elle s’est plongée dans le trombinoscope de l’entreprise, a enfin déniché un nom :

— Bonsoir, je souhaite joindre… je pense que vous la connaissez… comment ? Elle s’est blessée il y a deux mois ? Pardon, j’ignorai, pourquoi, je ? Elle a travaillé avec… quoi ? On sonne chez vous ? Raccrochez ! je vais laisser un message avec mes coordonnées.

Nous n’avons revu Karine Farbes et son conseil que vers 18 h 30, un ciel gris plomb nous annonçait une nuit sans étoiles. Le Président s’est sèchement excusé faisant valoir un contretemps et il a invité Karine à s’exprimer :

— Hugo accepte de faire figurer monsieur Sargues comme collaborateur sur la quatrième de couverture, en contrepartie, il exige un contrôle total et constant sur l’écriture de cette suite.

Le Président s’est tourné vers nous guettant notre réaction, Lydia est entrée dans une rage froide qui s’est exprimée par un ralentissement de son débit vocal, ainsi que par une accentuation de certains mots :

— Vous ne tenez aucun, aucun compte de nos contraintes, nous devons tenir des délais très courts.

— Dans ces conditions, je ne souhaite pas donner suite à ce projet, ai-je renchéri. Si votre époux est capable de s’y coller, qu’il se mette au travail, il a laissé des failles dans l’histoire, je comptais m’y engouffrer pour dynamiter l’action, surprendre les lecteurs. Vous connaissez nos conditions. Si vous changez d’avis, mon nom sera au moins en pages intérieures et en quatrième de couverture, je ne vous donnerai aucune information, pas plus que je ne vous concéderai un droit de regard.

J’ai vu Karine se tasser dans son fauteuil, l’attente interminable et notre détermination l’épuisaient, le Président lui a porté le coup de grâce en laissant tomber cette sentence définitive :

— Je laisse à votre mari jusqu’à demain midi pour se décider, nous ne céderons sur aucun point. Si Hugo accepte, je ne tolérerai aucune critique de sa part sur cette suite. S’il transgressait cette consigne, je le mettrais sur liste noire. Plus personne n’oserait le publier. Au revoir, madame. Maître.

Karine Farbes a quitté la salle d’un pas incertain.

Le président nous a congédiés d’un : « je ne vous retiens pas », il a rappelé Lydia sur le seuil de la porte.

Quand j’ai revu Lydia dans le couloir, elle m’a attrapé par l’épaule en me poussant sans ménagement vers l’ascenseur.

— Laissez-moi deviner, ma chère, ne serions-nous pas désormais enchaînés par la même paire de menottes ?

— Dans mes cauchemars, il m’arrive de t’étrangler, ne me laisse pas m’endormir.

— En attendant qu’il craque, si nous allions préparer la sortie de mon thriller.

— Je viens de recevoir les projets de couverture, je veux que tu retravailles ta quatrième de couverture pour la rendre plus incisive.

J’ai examiné les projets de couverture en fonction de la forme des caractères du titre, de la couleur du fond et de la taille du modèle. Je faisais défiler toutes ces suggestions sur une tablette :

— J’aime bien le fond blanc avec le titre en rouge et noir, ça te plaît, Lydia ?

— Tu me tutoies maintenant ?

— Enfin, Lydia j’ai aboli ma réserve, surmonté ma timidité. J’ai besoin de ton soutien sur ce projet.

— Je te téléphone demain pour t’indiquer la décision d’Hugo Farbes, dépêche-toi de préparer ton nouveau texte pour ta quatrième de couverture, je veux que ton thriller sorte en juin.

Je n’ai regagné mon domicile que vers vingt et une heures, j’ai embrassé Noémie qui regardait « le grand livre » comme je m’attardai un instant pour découvrir les invités et le thème du jour, elle a ri gentiment et m’a envoyé cette pique :

— Ne rêve pas trop Yves, les probabilités pour que Bernard Frankel t’invite dans son émission me paraissent infimes.

Comme je m’éloignai vers la cuisine, elle a crié : frigo, micro-ondes, lave-vaisselle. Ces merveilleuses machines qui encouragent notre fainéantise apportent beaucoup à la communication dans notre couple.

J’ai prétexté une « téléphagite » aiguë pour rester dans le salon alors que mon encombrante moitié montait enfin se coucher. Je ne sais pas à quel moment j’ai sombré, un besoin naturel pressant m’a réveillé à trois heures vingt. J’ai allumé mon ordinateur, inséré la clé USB et ouvert le premier fichier. Le clin d’œil appuyé de mon « pirate » m’avait préparé au pire, je me suis quand même mordu les lèvres quand j’ai vu Noémie, en tenue sado-maso, cingler des croupes à coup de cravache. Mon exploration m’a confronté à des images de plus en plus dégradantes. Le dernier fichier la présentait en infirmière nazie faisant semblant de se livrer à des actes de torture sur des hommes enchaînés. J’ai été pris de haut-le-cœur et j’ai couru vomir dans les toilettes. Je suis allé aux delà de mes pires désespérances, j’aurai vraiment préféré qu’elle me trompe et qu’elle s’affiche avec ses conquêtes. En revenant, j’ai fermé le fichier, enlevé la clé USB.

4

Inter (pas) net

Pendant ce temps, dans une clinique Zurichoise

Une poigne de fer se referme sur la gorge d’Hugo Farbes, l’écrivain se réveille en sursaut et se débat. D’un coup d’épaule, il percute le meuble près de son lit. Le vase en cristal tombe et explose sur le sol, l’agresseur l’assomme d’une manchette, ses mains gantées de chirurgien déposent un message sur son lit. L’homme entend du bruit et parvient à s’éclipser.

À sept heures dix, ma femme m’a embrassé dans le canapé, un baiser machinal que j’ai eu toutes les peines à lui rendre sans exploser de colère. Elle a critiqué mon haleine de chacal et allumé la télé sur une chaîne d’information continue. La brève sur l’agression d’Hugo a été annoncée en fin d’édition, la sonnerie de mon portable m’a fait sursauter.

— Bonjour, Lydia, je suis au courant, au courant de notre rendez-vous, mais l’heure n’était pas fixée.

— Tu n’es pas seul, Yves ?

— Effectivement, tu vas bien, Lydia ?

— Rapplique aussi vite que possible, on s’agite au balcon.

— Je serai au bureau vers onze heures, à plus tard, Lydia.

— Tu la tutoies maintenant, a remarqué Noémie acerbe.

— Elle me l’a demandé, Noémie, c’est grâce à elle que mon livre sera publié.

Je me suis dépêché de me préparer pour arriver à temps chez mon éditeur.

Rebelote pour une réunion de crise à l’étage directorial. Nous avons retrouvé le Président, son responsable juridique et un petit blond fébrile, Cyrille Hector, que le président a présenté comme son numéro deux avant de prendre la parole.

— Nous devons décider si nous maintenons cette suite au « Mystère Saint Helme ».

— Hugo Farbes a certes été agressé mais il peut toujours se servir de sa main droite pour signer son contrat, ai-je répliqué.

— Monsieur Sargues, allons ! a protesté Lydia.

— Vous ne savez pas tout, a rétorqué le blondinet avec une voix de fausset, l’agresseur a laissé un message dans la chambre d’Hugo : « Pas de suite au Mystère, sinon gare ».

— Je perçois vos doutes, à moins que mon confrère convalescent n’ait mis en scène cette attaque, ce qui me paraît peu plausible, il détient un motif raisonnable pour refuser de signer, je m’en voudrai de forcer le destin.

— En même temps, a regretté le Président, Hugo Farbes, que ses lecteurs boudaient, revient dans l’actualité et cette suite représente une véritable opportunité.

— Qui est au courant de ce projet ? ai-je demandé

— Nous, ici présents, les membres du comité éditorial, c’est tout, m’a répondu le conseiller juridique.

— Vous ne pensez tout de même pas… s’est indigné Cyrille, et de votre côté ?

— Je n’ai évoqué ce projet avec personne, mon épouse en ignore tout.

— Je lève la séance, a indiqué le Président, je vais discuter avec la famille Farbes et la police helvète. Ensuite, nous aviserons.

J’ai déjeuné seul au restaurant d’entreprise, les mêmes questions tournaient en boucle dans ma tête. Comment une femme aussi équilibrée que Noémie avait pu s’abaisser de la sorte ? Passé le dégoût, je m’angoissais sur ma capacité à garder mon calme. J’ai rejoint l’étage de Lydia. Devant la porte de sa secrétaire, j’ai vérifié que le volume sonore de mon smartphone était à fond et l’ai posé contre la porte. Ensuite, j’ai lancé l’application : un énorme rugissement d’ours a retenti dans tout l’étage. J’ai entendu des cris, puis je suis entré.

— Tout va bien, mademoiselle, ai-je susurré, un grand sourire aux lèvres. Ah ! cette idée que vous m’avez donnée ! j’éprouve un grand plaisir à vous la rendre !

Elle m’a fixé d’un regard incendiaire, tout en continuant à essuyer la tache de café sur son chemisier.

Lydia a ouvert la porte de son bureau et m’a fait signe d’entrer.

Alors qu’elle s’apprêtait à me sermonner, elle s’est mordu les lèvres et a été prise d’un fou rire qui m’a contaminé. Nous avons ri puis pleuré de longues minutes. Lydia s’est absentée un moment, j’ai retrouvé mon calme. Elle s’est rassise dans son fauteuil et m’a tancé du regard :

— Yves, un peu de sérieux, s’il te plaît.

— D’accord, Lydia, je change de registre. Connais-tu une très bonne avocate, spécialisée en divorce ?

— Tu dois sortir ton thriller peut-être… Écrire cette maudite suite… En plus, tu veux divorcer. Ce n’est pas vraiment le moment, Yves.

— De très graves événements dont j’ai eu connaissance la nuit dernière remettent en question toute possibilité de cohabitation temporaire avec mon épouse, je veux qu’elle quitte le domicile conjugal dans les plus brefs délais.

Lydia soupire.

— D’accord, Yves, je vais te donner les coordonnées de l’avocate qui m’a tirée des griffes de mon mari, à toi de te montrer convaincant pour qu’elle agisse en urgence.

J’ai rapidement pris congé de Lydia, respirant pour me calmer. Je suis entré dans une galerie marchande peu fréquentée avec un sentiment de malaise et d’appréhension et j’ai composé le numéro de Maître Arnaut.

— Bonjour Maître, je vous appelle de la part de Lydia Coageur.

— Je ne prends pas de nouveaux clients pour l’instant, désolée.