Sur les traces du Kraken - Mathieu Louise - E-Book

Sur les traces du Kraken E-Book

Mathieu Louise

0,0

Beschreibung

Aiden Harper, professeur spécialisé en biologie marine et passionné par les récits légendaires des océans, découvre des indices qui le guideront sur la piste d’un authentique kraken. Accompagné de son neveu Martin, il se lance dans un périple de plusieurs mois à bord d’un baleinier dirigé d’une main de fer. Au cours de leur voyage, ponctué de rencontres malheureuses et de situations imprévues, Aiden et Martin devront faire preuve d’une grande créativité pour affronter les nombreux dangers qui les guettent. Feront-ils la découverte du tout premier spécimen de kraken ? La réponse se trouve entre les lignes.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Dans cet ouvrage, Mathieu Louise a la certitude d’avoir imaginé une histoire qui lui ressemble. Passionné de légendes et de contes marins construits autour du kraken, il décide de prendre à son tour la plume pour donner vie à son imagination.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 325

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Mathieu Louise

Sur les traces du kraken

Roman

© Lys Bleu Éditions – Mathieu Louise

ISBN :979-10-422-0798-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

L’université

La prestigieuse université d’Oxford ne possédait pas seulement des salles de cours richement décorées, des élèves brillants, une riche bibliothèque ainsi que les meilleurs professeurs et savants de l’époque. Non, elle possédait aussi un professeur pour le moins atypique. Non pas que ses connaissances étaient moindres par rapport à celles des autres professeurs. Bien au contraire, c’était un érudit averti et peut-être même le plus grand savant de la biologie marine de son époque. En plus des cours qu’il enseignait quotidiennement, il se passionnait depuis toujours pour les mythes et les légendes marines, étudiant avec fascination et enthousiasme les grands monstres des légendes. Il persistait à croire dur comme fer à une part de vrai dans toutes ces histoires, faisant souvent de lui un sujet de moqueries aux yeux des autres professeurs.

Le professeur Aiden Harper, grand homme mince aux yeux bleus montés de petites lunettes rondes, était une vraie boule d’énergie qui lui causait parfois quelques trop-pleins d’étourderie, faisant, comparé aux autres élèves et professeurs un personnage excentrique dans tous les sens du terme. Il n’était pas marié, ayant pour seule compagne ses recherches et comme seul grand amour l’océan et tous ses occupants. Mais il ne vivait pas seul. Il avait la garde de Martin, son neveu de 18 ans, avec lequel il était très proche et liait une vraie complicité. Martin, n’ayant jamais revu ses parents, avait toujours aimé écouter les récits de leurs explorations. D’après les dires du professeur, ils sont partis quand Martin n’avait que 8 ans pour une nouvelle expédition dans le nord et ne réapparurent malheureusement jamais.

Martin était un jeune homme aux cheveux châtains, ses muscles contrastaient avec ses traits fins et ses beaux yeux bleus. Il était d’une grande douceur et d’une étonnante maturité pour son âge. C’était un amoureux inconditionnel des livres, particulièrement de Jack London, Spencer et Shakespeare. Ce qui le porta naturellement vers des études en littérature où il se montrait brillant pour le plus grand plaisir de ses professeurs.

Ensemble, ils habitaient une maison typique anglaise au nord d’Oxford où régnait un perpétuel désordre de livres, archives, bougies consumées, documents et cartes étalées çà et là sur les tables et les bureaux. La maison comportait, en plus d’une petite véranda, cinq autres pièces : une cuisine et une salle de bain de taille moyenne ; deux chambres et un cabinet de recherches encombré d’échantillons de diverses espèces marines dont une superbe mâchoire de grand requin blanc. Des fioles au contenu incertain étaient entreposées sur la bibliothèque murale du fond, où se trouvaient des ouvrages de biologie écrits entre autres par Carl Chun, Charles Darwin ou Anton Dohrn. La décoration était très sobre, ne comptant que quelques cartes marines accrochées au mur et une photo des parents de Martin en compagnie du professeur. Il n’y avait ni fleur, ni toile d’art, ni ornement ou petit napperon, juste l’essentiel.

Martin venait juste de rentrer de son cours de lettres quand il aperçut son oncle, tournant en rond dans son cabinet en balbutiant d’incompréhensibles phrases et gesticulant dans tous les sens, envoyant voler des documents dans la pièce. Surpris, Martin nota une certaine frustration mélangée à de la colère dans les yeux de son oncle, pourtant de nature très optimiste et calme. Il sortit de l’ombre et demanda :

— Tout va bien, mon oncle ? Avec un calme qui détendit aussitôt les traits fermes de son oncle.
— Ah, c’est toi Martin, répondit doucement le professeur Harper, je ne t’avais pas entendu. Entre, approche et ne t’inquiète pas. Callagan et Bridge ne me laissent aucun répit, toujours à fouiner sournoisement et à se moquer de ma théorie, mais je leur prouverai un jour, je le prouverai à tous et mon nom ne sera plus la cible de railleries.

Le professeur Marc Callagan enseignait les mathématiques et Édouard Bridge la géographie à l’Université d’Oxford. Ils niaient catégoriquement les théories du professeur Harper et réfutaient son travail, le prenant pour un illuminé, ne ratant jamais une bonne occasion de tourner ses travaux en dérision.

— C’est encore à propos du… kraken ?
— Bien sûr que oui ! cria le professeur Harper. Pardon, mon enfant, reprit-il avec calme, mais tu connais ma théorie mieux que quiconque ! Dis-moi, me crois-tu, toi mon cher neveu à qui je confirais ma propre vie sans l’ombre d’un doute ?
— Bien sûr mon oncle, répondit Martin avec un grand sourire, ne t’inquiète pas. Tous les grands hommes étaient, au début, des fous… Jusqu’à ce qu’ils prouvent le contraire au monde !
— Tu as raison ! reprit le professeur Harper submergé par une vague d’optimisme. Je le prouverai un jour ! jura-t-il les poings levés vers le ciel. Demain un confrère vient de Londres et je dois lui exposer ma théorie. Mais pour l’heure, tâchons de ranger ce désordre, et s’il te plaît, range ce gros carton. Ce sont les seuls vestiges de tes parents, témoigne-leur un peu plus de respect.
— Oui, mon oncle, répondit Martin qui prit le carton et l’emmena dans sa chambre.

Chapitre 2

La théorie

— Aujourd’hui est un grand jour ! s’exclama le professeur Harper à Martin. Note bien la date, 21 janvier 1921 est le jour où, enfin je vais pouvoir exposer mes théories ! Et je pourrais peut-être obtenir le soutien moral et financier de mes confrères biologistes afin de pouvoir continuer mes recherches et prouver mes dires !

Le professeur Harper surexcité ne tenait plus en place, sa chemise à peine mise et les cheveux en bataille. À le voir, on aurait juré qu’il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Il scrutait inlassablement sa montre à gousset, comme pour trouver une réponse ou du courage. Une foule de papiers et de documents lui encombrait les bras, son énergie débordante ne manquait pas d’amuser Martin, qui lui tendit une tasse de thé bien chaude.

— Alors bonne chance, mon oncle, dit-il en riant.
— De la chance il m’en faudra ! J’espère qu’ils ne m’ont pas envoyé ce grincheux de Mogador, lui et ses idées rétrogrades auront du mal à avaler ce que je lui sers !

Tout en parlant, le professeur enfila son manteau, bu d’une traite son thé. À peine eut-il le temps de saluer Martin, qu’il était déjà sur le seuil de la porte. La matinée était fraîche, l’aurore projetait encore ses reflets incandescents sur les nuages chargés d’humidité, sans nul doute une pluie se préparait.

Le professeur Aiden Harper déambulait dans les rues avec entrain, il paraissait serein, sûr de lui et déterminé à affronter les épreuves qui se présentaient à lui. Mais son calme apparent cachait en réalité un profond chaos dans son esprit. Il le savait, cet entretien pouvait l’envoyer sur des sommets, ou le projeter violemment dans le néant et l’oubli. Sa carrière et sa renommée se jouaient aujourd’hui. Les quinze bonnes minutes de marche lui permirent de répéter son exposé et de parfaire les détails. Il fut arraché de ses pensées à l’entrée de l’université d’Oxford par une voix rauque et caverneuse, emplie de dédain.

— Bonjour professeur Harper.
— Ah, cher professeur Mogador, répondit le professeur Harper, je suis hum… ravi de vous voir ! Votre voyage s’est-il bien passé ?
— Ennuyant et sans intérêt, grincha le professeur Mogador. J’espère ne pas être venu pour rien.
— Certes, non ! répliqua le professeur Harper, en essayant de garder bonne figure. Entrez donc, une averse arrive et je veux vous exposer mes recherches !

Le professeur Mogador regarda le professeur Harper un moment, le dos voûté comme si tout le poids du monde reposait sur ses épaules, sans rien dire, ne laissant apparaître qu’une mine blafarde face au sourire forcé du professeur Harper. Il récupéra sa mallette et entra dans le silence le plus complet. Il entra dans une classe, s’assit, sortit de sa mallette crayon et support, fixa encore longuement le professeur et lui fit signe de commencer.

— Bien, bien… ne voulez-vous pas un bon thé avant de commencer ? demanda le professeur Harper.
— Non, grimaça Mogador, je déteste tout ce qui est brûlant ou glacé.
— Bien entendu, rattrapa le professeur Harper. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’il n’y a rien de plus ennuyant que du thé brûlant, du champagne tiède et une femme froide ?

Le rire nerveux du professeur Harper s’arrêta aussi vite qu’il avait commencé. La pâleur de Mogador et son regard froid était posé sur lui ; il le fixait comme s’il pouvait lire au fond de son âme et trouver ses peurs et ses faiblesses. Assurément cette blague n’avait pas brisé la glace, bien au contraire, elle l’avait durcie. Le gouffre qui les séparait déjà s’agrandissait encore et l’incompréhension de Mogador fit tressaillir le professeur Harper qui sentit son front se perler de sueur.

— Bien, alors commençons ! reprit le professeur Harper. Cher confrère, laissez-moi vous présenter le kraken !
— Le kraken, coupa Mogador, le sourire aux lèvres. Ne me dites pas, professeur Harper, que votre science donne du crédit à de vulgaires légendes scandinaves médiévales ?
— Médiévales ? Certes non, car je soutiens que ce céphalopode géant hante nos mers depuis le Jurassique il y a plus de 200 millions d’années !
— Et il vivrait depuis tout ce temps-là ? ajouta Mogador avec un regard de profond désespoir.
— Si vous me laissez exposer, j’éclairerai votre lanterne sur ce point.
— Eh bien faites, lança Mogador en jetant ses longs doigts en avant, comme s’il voulait le balayer de la pièce.
— Voici ce que j’avance, reprit le professeur Harper avec confiance. Les paléontologues ne me contrediront pas quand j’affirme que le kraken, ce monstre, le plus grand cœur qui n’ait jamais battu sur cette terre, vivait au Jurassique. Je soutiens que ce n’était pas un cas unique. Mais comme toute espèce vivante, il s’est reproduit et a enfanté des descendances qui tourmentaient les marins de jadis. Je ne dis pas que ces monstres existent encore, même si je ne vois pas d’argument défavorable à ce que, aujourd’hui encore, un de ces spécimens ne soit dans les insondables abysses de notre monde. J’ai étudié scrupuleusement le manque d’indices et de preuves à leur existence. Au Jurassique les continents bougeaient, la carte s’est formée comme nous la connaissons aujourd’hui. Ces déplacements auraient contribué à l’absence de preuves et auraient enseveli tout squelette pouvant appuyer mon raisonnement. La nature a caché ses plus grands secrets. Mais si le kraken a survécu au jurassique et troublé les eaux des hommes, c’est qu’il reste encore un espoir, l’espoir de trouver des preuves tangibles. Et aujourd’hui, je demande à notre honorable conseil de me fournir les ressources nécessaires pour sonder les mers, découvrir où se cachent leurs vestiges et peut-être même, de le ramener dans notre mère patrie. Pour prouver au monde que l’Angleterre a toujours soutenu les croisades scientifiques pour le bien collectif et pour l’amour de la vérité. La découverte d’une de ces espèces nous ferait faire un bon de dix ans dans la biologie et nous permettrait de comprendre aujourd’hui, les lois qui régissaient nos océans d’hier. Bien sûr je pourrais vous montrer les multiples récits et rapports de marins, parlant d’un monstre de la taille d’une île qui ensevelit un bateau aussi facilement que le vent emporte la brume, mais je n’ai qu’une question, voulez-vous connaître la vérité et apporter à l’Angleterre le prestige de cette découverte ?

Le professeur Harper était comme un lion en cage, bougeant, gesticulant dans tous les sens, utilisant tout l’espace disponible. Il sortait cartes, croquis, récits ou archives pour appuyer sa théorie. Il ressentit, comme jadis, la pression et le stress d’une présentation orale qui allait assurément influencer son futur. Le professeur était redevenu élève. Il redoublait d’efforts et d’enthousiasme pour capter l’attention et la curiosité de son auditeur, en vain.

— Professeur Harper, commença Mogador, votre théorie fantasmagorique est, sans nul doute, une honte et un blasphème pour la science et pour ceux qui l’enseignent. Votre cas m’inquiétait déjà, mais je suis obligé d’admettre qu’il n’y a plus d’espoir. N’attendez aucune aide ni du conseil ni de moi-même. Votre chance est qu’aujourd’hui, vous semblez être le meilleur professeur de biologie marine que nous ayons et c’est uniquement pour cette raison que je ne vous retire pas le droit d’enseigner. Mais soyez sûr que votre temps est bientôt révolu, le sablier s’écoule et je serai là pour mettre un terme à votre folie.

Sans autre mot, le professeur Mogador rangea ses affaires et sortit de la classe pour repartir directement à Londres, laissant le professeur Harper seul, au milieu de la pièce dans un profond désarroi. La peine se lisait sur son visage, il était resté là, debout, le regard perdu dans le vide à peser les conséquences de ce funeste dénouement. C’en était fini, il le savait, les larmes ruisselaient sur ses joues et son cerveau ne traitait plus que la moitié des informations présentes autour de lui. Il aperçut les professeurs Callagan et Bridge passant devant la salle pour railler une nouvelle fois le professeur Harper de sarcasme. Mais à la vue de son visage déconfit et anéanti, ils poursuivirent leur chemin. Le professeur Harper, la mort dans l’âme, rassembla ses affaires, sans y mettre ni ordre ni soin. Sa vue était embrumée, ses gestes incertains. Avec tout le mal du monde, il quitta l’université pour se rendre, sans détour, à son foyer réconfortant.

La route du retour lui parut une éternité. Toutes ces années de travail, en vain. La honte, la colère, le désespoir et un profond chagrin se mélangeaient dans son esprit déjà torturé. Il était enfermé dans les tourments des questions qui l’assaillaient.

— Que vais-je faire maintenant ? songea le professeur, où est l’espoir ? Ma carrière est brisée, mes travaux anéantis. Je ne pourrai jamais prouver ce que j’avance… ce que j’avançais… tout est fini. Mogador a balayé mes rêves et mon futur d’un seul souffle. Tout est fini…

Le professeur Harper entra, la tête baissée, les épaules tombantes dans sa petite maison d’Oxford. Il laissa dégringoler ses affaires, s’allongea et son esprit s’assombrit plus encore.

Chapitre 3

Le carnet

Martin, entendant le professeur Harper entrer, courra jusqu’à son cabinet, créant une tempête sur son passage, avide de connaître le dénouement de l’affaire et de lui montrer ses propres découvertes.

— Mon oncle, cria Martin, raconte-moi tout ! Comment s’est passé le…

Martin s’arrêta net devant son oncle à l’allure hébétée et au regard vide.

— Mon oncle, murmura Martin en s’approchant doucement du sofa sur lequel était allongé le professeur Harper.
— Tout est fini, murmura le professeur.
— Non, mon oncle, ne perd pas espoir ! Par pitié, tu es le plus grand des savants !
— Mogador, commença par expliquer le professeur Harper, n’en a cure de mes travaux. Il a soufflé la flamme qui brillait en moi. Je suis fini Martin, mes recherches n’aboutiront jamais. Je suis forcé de tout arrêter, rien ne pourra changer cet état de fait. Je n’ai plus le goût de rien, pas même d’enseigner.
— Pardon, mais tu as tort, mon oncle, regarde ce que j’ai trouvé dans le carton de mes parents. C’est un carnet ! Le carnet de leur voyage, ce n’était pas qu’un simple voyage dans le nord, mon oncle. Ils faisaient partie de l’expédition de Robert E. Peary, le premier homme à avoir navigué jusqu’au Groenland !
— Et qu’est-ce que cela peut changer à ma situation ? ajouta le professeur avec une profonde tristesse.
— Mais tu ne comprends pas, s’empressa de répondre Martin. Ta théorie est exacte ! Lis ce passage…

Martin tendit le carnet au professeur Harper qui le récupéra sans à peine bouger, réajusta ses lunettes et se mit à lire.

« 28 avril 1909. Nous naviguons difficilement, les conditions sont extrêmes. Nous avons réussi à remonter jusqu’au point le plus au Nord-Est du Groenland. Nous sommes aux confins du monde. Malgré la bonne saison, le froid est mordant, terrible. Nous avons découvert une ouverture en forme de dent de loup dans la glace sous laquelle se trouvait une tache d’ombre d’une immensité incroyable, incommensurable. Nous en sommes maintenant certains, cette ombre n’est pas un artifice de la nature. Il y a quelque chose sous la glace, quelque chose qui effraye les marins au plus haut point. Nous ne pouvons nous approcher plus, l’équipage est affolé, nous sommes au bord d’une démence générale. Le capitaine est forcé de rallier l’Islande au plus vite. Ce qu’il y a sous la glace est, et doit rester, un mystère. L’équipage a fait le serment de ne rien révéler, pour le bien de l’humanité. La pensée même de ce que je qualifierais de monstre me glace le sang. Nous ne pouvons le comprendre. Ne vous en approchez sous aucun prétexte. »

Le professeur Harper ne montra aucune expression, rien ne semblait troubler la tristesse de son visage, comme s’il n’avait pas compris un mot de sa lecture. Puis, sans prévenir, ses sourcils se hissèrent sur son front, ses yeux s’écarquillèrent et tous les traits de son visage se tirèrent à l’excès. Se levant d’un bon, oubliant tous les dommages qu’il avait encaissés, il se retourna vers Martin qui le regardait avec la même lueur dans les yeux.

— Mais bien sûr ! s’écria le professeur enjoué.
— Sous la glace ! dirent-ils en chœur.
— Comment diable n’y ai-je jamais pensé avant, les continents ont enseveli les restes potentiels, mais la glace n’a fait que les recouvrir, les protéger et même les conserver !
— Que veux-tu dire par conserver ?
— Je veux dire que le kraken est peut-être prisonnier des glaces, conservé dans de bonnes conditions. Nous pourrons non seulement l’observer, mais le ramener tout entier avec nous ! Imagine les relevés et les échantillons que l’on pourrait prélever dessus ! C’est au-delà de toutes mes espérances, de mes rêves les plus fous ! Il n’y a pas une minute à perdre, je dois monter une expédition et aller voir de quoi il en retourne. Mais surtout, Martin, garde tout cela secret ! Promets-le !
— Je le promets, ajouta solennellement Martin.
— Bien. Il y a fort à faire, je dois me rendre dans les plus brefs délais à Londres pour trouver bateau et équipage. La date qui nous conviendrait le mieux pour explorer le Groenland serait en mars pour ne pas trop souffrir du froid. Cela me laisse quelques jours. Ça sera peut-être juste, mais je dois essayer, je n’ai pas le temps d’attendre un an de plus !
— Mais mon oncle, se précipita de répondre Martin, comment iras-tu ? Avec quel argent ? Et l’université ? Pense à tes obligations...
— Au diable tout ça, rugit le professeur. Ils ne m’ont jamais cru, demain je leur donnerai mon avis de congé et s’ils le refusent, je démissionnerais ! Mes explorations ne sauraient être inachevées sous aucun prétexte. Et pour l’argent cher neveu, ne t’inquiète pas, j’ai toujours gardé quelques Livres pour les occasions comme celles-ci.
— Bien. Qu’il en soit ainsi, mais je viens aussi.
— Hors de question ! s’empressa de répondre le professeur. Le voyage est trop difficile, les conditions trop extrêmes pour que je t’emmène avec moi. Et puis tu as ton année à finir et tes examens à obtenir.
— Mais mon oncle, supplia Martin, je peux aisément repousser mes examens à l’an prochain, cela ne me retardera pas. Je ne crains pas les périls de la mer ni des morsures du froid. Mes parents étaient de grands marins, alors moi aussi, j’ai ça dans le sang. Je saurais me rendre utile à bord, j’apprendrais le dur métier de marin comme mes parents autrefois. Par pitié, mon oncle, c’est moi qui ai découvert le carnet et qui t’ai informé de son contenu. Ne me mets pas de côté, les explorations ne sauraient être inachevées sous aucun prétexte. C’est toi qui me l’as dit. Et puis… qui s’occupera de toi si je ne le fais pas ?
— Bon, après tout, c’est à toi que revient cette découverte, commença le professeur pensif. Je ne suis pas sûr que cela soit raisonnable… Tu me rappelles ton père quand il avait ton âge. Bien, c’est décidé alors, tu m’accompagneras ! Demain, tu te rendras à l’université pour annoncer ton départ. Le 23 janvier, nous partirons pour Londres. Tache de préparer tes affaires et ne te charge pas à outre mesure. Prends des affaires chaudes, nous achèterons le reste à Londres !
— Merci, mon oncle, s’exclama Martin heureux, je monte tout de suite préparer mes affaires !

Sans que le professeur Harper ne puisse donner de réponse, Martin partit d’un bond dans sa chambre à l’étage. De son côté, le professeur était prêt et plus motivé que jamais. Il sortit d’un coffre accolé à la fenêtre une multitude de documents, cartes, et divers outils utiles à l’expédition qu’il déposa sur le bureau au centre de la pièce.

Il fit glisser son doigt sur le globe entreposé dans l’angle de la pièce pour tracer le trajet à accomplir, puis, appuyant d’un doigt sur l’Australie et d’un autre sur le Canada, le globe s’ouvrit en deux parties à la verticale. Il en récupéra un gros sac d’argent qu’il déposa avec le reste des affaires sur le bureau. Après avoir balayé la pièce du regard pour éviter tout oubli, il sortit du cabinet donnant directement sur la cuisine disposant d’une table à manger en son centre. Il se mit alors à préparer une appétissante dorade achetée quelques jours auparavant sur le marché.

Le repas fut servi dans une excitation extrême, Martin assommait le professeur Harper de mille questions concernant le voyage.

— Sur quel bateau allons-nous embarquer ? Avons-nous assez de provisions ? Combien de temps va durer notre voyage ? Quelles études vas-tu faire sur le kraken si nous le trouvons ?
— Doucement, répondit le professeur en riant. Chaque chose en son temps. D’abord, il nous faudra trouver un bateau capable de naviguer aussi loin et dans de dangereuses conditions. En trouver un bon ne sera pas aisé, Martin, nous ne devrons pas être trop regardants sur le confort à bord. Quant aux provisions et outils nécessaires, nous aurons tout le loisir de les trouver à Londres en temps voulu. La durée de l’expédition est très compliquée à définir. Il nous faudra environ douze jours de mer pour trouver les îles Féroé, puis nous prendrons nord-ouest pour atteindre l’Islande en cinq jours et y faire un relâche. Pour atteindre le nord-est du Groenland ou je suppose que tes parents ont trouvé cette ombre, il faudra un mois, peut-être deux ! Bien sûr tout cela dépend de notre bateau et surtout des conditions météorologiques.

Assoiffé par ses explications, le professeur but son verre d’eau d’une traite et grignota un bout de son morceau de poisson. Il sentit le regard interrogateur de Martin qui attendait une réponse à sa dernière question.

— Pour ce qui est des recherches, continua le professeur, je veux découvrir si, comme le poulpe, il possède un cœur systémique et deux cœurs branchiaux, s’ils ont la même conception génétique. Si le kraken dispose, lui aussi, d’un jet d’encre pour se défendre… J’ai grand espoir de le libérer de sa prison de glace et de le ramener au pays pour l’étudier en profondeur.
— Tu sembles avoir pensé à tout mon oncle, répondit Martin la bouche pleine. Mais n’es-tu pas inquiet de la mise en garde du carnet « Ne vous approchez sous aucun prétexte » ?
— S’inquiéter, c’est souffrir deux fois !

Sur ces mots, le professeur se leva et débarrassa la table. Puis, il souhaita une bonne nuit à Martin et alla s’effondrer dans son lit, mort de fatigue.

Chapitre 4

Londres

Le réveil fut matinal pour le professeur Harper. Il enfila une chemise bleue boutonnée jusqu’au col, un veston bleu nuit sur lequel il accrocha sa montre à gousset, pantalon et blaser noir venant compléter sa tenue. Il entra dans la cuisine ou Martin l’attendait déjà un verre de thé à la main.

— Prends du thé, proposa Martin.
— Volontiers, répondit le professeur en attrapant sa tasse. Ce matin, rendons-nous à l’université pour annoncer notre départ, j’en profiterai aussi pour récupérer quelques affaires au laboratoire en vue de mes prochaines études sur place.
— Bien mon oncle, ajouta Martin encore endormi.
— Hâtons-nous maintenant, pressa le professeur Harper.

Sur ces mots ils partirent en direction de l’université. Sur la route ils regardaient les rues pavées, les lampadaires, les automobiles passant dans tous les sens. Ils ressentaient une certaine nostalgie à la vue de cette vie en mouvement qui leur semblait si banale quelques jours avant. Ils admiraient leur univers comme s’ils ne le reverraient plus jamais, savourant chaque son, chaque odeur, comme pour la première fois, ou la dernière. La matinée était calme, grise et nuageuse. Le professeur et Martin étaient tous deux dans les tréfonds de leurs pensées, n’échangeant aucune parole jusqu’à l’université.

— Ne m’attend pas Martin et retrouvons-nous pour le souper, finit par dire le professeur Harper.
— Bien, mon oncle. Je dois me rendre à la bibliothèque pour y trouver des ouvrages sur la navigation afin de commencer mon apprentissage.

Le professeur le regarda avec un sourire approbateur et entra dans le hall où se mélangeaient déjà professeurs et élèves. Il alla droit dans le bureau du doyen, frappa à sa lourde porte de bois et entra à son appel.

— Bonjour, professeur Harper, commença le doyen Pirx.
— Bonjour, répondit le professeur. Cher doyen Pirx, je viens vous annoncer mon départ imminent pour Londres. J’ai trouvé de nouveaux éléments pour mes recherches qui me semblent pertinents et prometteurs. Demain, je prendrais le train pour Londres, puis un bateau pour le Groenland ou je devrais trouver… (il hésita) des réponses à mes questions. Je regrette de quitter mon poste sans préavis au milieu de l’année, mais je vous assure que la nécessité m’y contraint. Il m’est absolument impossible d’annuler ou de reporter cette expédition, je vous demande donc des congés à durée indéterminée et si vous me les refusez, alors c’est mon départ que je viens vous annoncer.

Le professeur se tenait droit comme un « i », dévisageant le doyen pour essayer de lire sur son visage une quelconque expression trahissant ses pensées. Mais le doyen, petit gringalet aux cheveux grisonnants, resta de marbre devant lui en continuant de fixer le professeur par-dessus ses lunettes, ne montrant aucun signe d’étonnement. Il ajouta simplement :

— Cher professeur Harper, je vous le dis, si vous n’existiez pas il faudrait vous inventer ! Je n’en déduis qu’aucune de mes paroles ne vous fera revenir sur votre décision.
— Non en effet. Ma décision est prise et irrévocable. Ce voyage pourrait bien changer la face du monde tel que nous le connaissons et bouleverser les connaissances déjà établies.
— Je suppose que je n’ai pas le choix, répondit tristement le doyen. Je vous mets en congés sans solde, à votre retour nous estimerons la réelle valeur des informations que vous aurez acquises. Votre place ne vous est pas gardée, mais je pourrais la réévaluer si vous fournissez de sérieuses raisons de nous avoir quittés aussi précipitamment. Mais je vous connais professeur, vous êtes un homme de science et les hommes de science ne peuvent refuser l’appel de la découverte et des avancées. Partez maintenant, vous m’avez donné un surplus de travail, je dois vous trouver un remplaçant adéquat.

Le professeur, conscient du cadeau que le doyen venait de lui faire, lui tendit une main pleine d’amitié et de reconnaissance qu’il serra non sans chagrin. Le professeur se dirigea vers la porte, l’ouvrit et se retourna pour ajouter :

— J’allais oublier ! Pourrais-je emprunter quelques articles dans le laboratoire pour m’aider dans mes recherches ?
— Prenez, acquiesça le doyen Pirx. Mais vous les restituerez à votre retour.
— C’est promis, jura le professeur.

Harper se dirigea vers le laboratoire des sciences, à l’autre bout de l’université, en songeant « ça s’est plutôt bien passé… très bien même ! Je crois que le doyen Pirx m’affectionne en fin de compte. Il faudra que je pense à lui rendre la monnaie de sa pièce ».

Il traversa de longs couloirs bordés de colonnes en pierre de style gothique. Il passa devant la « Radcliff camera », la bibliothèque de l’université, dessinée par l’architecte James Gibbs. Ce bâtiment circulaire du style baroque anglais est l’un des plus riches au monde. Il possède un ouvrage de chaque livre édité dans le Royaume-Uni et y renferme aussi d’autres trésors tels que des dessins de Michel-Ange et Léonard de Vinci, ainsi que des tableaux de Picasso, entre autres. Le professeur admira ce joyau, le cœur serré.

Il entra dans le laboratoire et emballa soigneusement dans un sac tout ce dont il aurait besoin pour récolter des échantillons et procéder à des expériences sur place. Notamment plusieurs loupes, seringues, scalpels, ciseaux, pics et pinces à dissection. Ainsi que des éprouvettes graduées, béchers, ballons, pipettes et fioles jaugées en abondance. Il prit aussi un bec Bensen destiné à produire une flamme pour chauffer les préparations et stériliser le matériel.

Puis il repartit vers les grandes portes d’entrée en repassant une dernière fois devant sa salle de cours pour quitter, peut-être définitivement, ce lieu qu’il aimait plus que tout. Il fut arrêté dans son élan par les professeurs Bridge et Callagan adossés devant leur classe.

— Où allez-vous chargé de la sorte ? demanda le professeur Bridge.
— Je pars dès demain au Groenland pour y accomplir des recherches d’une grande importance ! Je vais affronter le tourment des océans et du froid pour ramener un kraken en chair et en os ! Et nous verrons qui de nous rira de l’autre ! Bien sûr, je gage que les explorations n’ont pour vous, rats de bibliothèque, aucune signification et que le pire drame qui puisse vous arriver serait de vous piquer durement avec un compas.

Le professeur Harper ne prit pas la peine de s’arrêter pour donner davantage d’explications. Il s’en voulait déjà de leur avoir livré d’aussi précieuses informations qu’il aurait préféré garder confidentielles. Mais son orgueil ne résista pas à la tentation et son visage esquissa un sourire de gloire et de fierté en passant les portes.

Pour lui le plus dur était fait. Il rentra dans sa petite maison en passant par la gare pour acheter deux tickets de train en direction de Londres. Départ le lendemain matin, dix heures. Il fit ensuite un détour par la boulangerie pour se procurer du pain de voyage et par l’épicerie pour récupérer quelques vivres utiles à son voyage. Il était joyeux, apaisé et enfin libre de poursuivre son rêve et, n’y a-t-il plus noble cause que la consécration d’un rêve ?

Il arriva en premier et se mit en hâte dans les préparatifs du départ. Il commença par remplir une malle de ses affaires les plus chaudes et d’y joindre les articles empruntés à l’université. Passant le reste de la journée à trier et organiser ses nombreuses cartes et documents.

Martin rentra à la tombée de la nuit et tomba sur un délicieux « bangers and mash », une sorte de saucisse servie avec de la purée et des oignons, posé sur la table.

— Quelle surprise, mon oncle ! proclama Martin en s’asseyant à table.
— Et en voilà une autre, répondit le professeur en lui tendant son billet de train. Le départ est pour demain dix heures. Sinon, dis-moi comment s’est passée ta journée ? Tes professeurs n’étaient pas tristes de perdre leur meilleur espoir ?
— N’en fais pas trop, rétorqua Martin en souriant. Mes professeurs étaient certes désolés d’apprendre mon départ, mais ils ont fini par m’encourager après avoir entendu les raisons qui me poussent. Mais ne t’en fais pas, j’ai gardé un silence absolu sur le kraken.
— Moi aussi… hum, j’ai gardé le secret, menti le professeur avec malice. Cela ne t’a pas pris toute la journée, j’en suis sûr ! Alors où étais-tu passé ?
— Je suis allé au parc pour me placer à mon endroit favori, sous un grand chêne. J’y ai lu un livre fort intéressant, Moby Dick de Herman Melville. Cela m’a donné un avant-goût de notre voyage et je puis affirmer maintenant que je suis prêt à affronter les dangers qui se présenteront !
— Tu es courageux, mon neveu, complimenta le professeur en ébouriffant les cheveux de Martin. Mais le courage aussi a besoin de repos. Je vais m’allonger, ne tarde pas trop, demain la voiture nous prendra à neuf heures pour nous emmener à la gare. Bonne nuit, cher neveu, compagnon d’infortune !

Le professeur Harper ponctua sa phrase d’un clin d’œil et monta s’allonger. Le temps que Martin débarrasse, le professeur dormait déjà.

Dès sept heures, nos deux aventuriers étaient debout, préparant leur déjeuner constitué d’œufs, de bacon, de haricots blancs et de thé, tout en discutant science et météorologie. Le repas fut englouti à une vitesse folle et les préparatifs reprirent de plus belle. Mallettes et sacs encombraient déjà l’entrée. Martin emballa quelques livres et beaucoup d’affaires chaudes, il prit aussi la photo de ses parents ainsi qu’un cahier vierge et des crayons en quantité suffisante pour retranscrire leur expédition. À huit heures et demi, tout était fin prêt. Le professeur expliquait quelques termes nautiques quand quelqu’un frappa à la porte.

— Tu attends de la visite ? demanda Aiden intrigué.
— Non, mon oncle.

Le professeur ouvrit la porte et se retrouva face à Callagan et Bridge. Très surpris par cette visite inattendue, il resta muet. C’est le professeur Callagan qui brisa la glace :

— Bonjour Harper, notre visite est inattendue, je le conçois. Le professeur Bridge et moi-même reconnaissons à juste titre que nous n’avons jamais été… disons… très agréables envers vous. Mais malgré de nombreuses railleries, vous êtes resté honnête avec vous-même, et c’est chose rare, croyez-moi. En bref qu’importe l’animosité entre nous, vous partez pour un voyage périlleux et semé de difficultés. Nous avons donc pensé que certains objets pourraient vous être précieux.

Les deux confrères lui tendirent une carte et un compas.

— Une carte du Groenland, reprit le professeur de géographie, la plus précise et récente que nous ayons à ce jour.
— Et un compas, ajouta le professeur de mathématiques, pour que vous puissiez utiliser cette carte au mieux.

Le professeur Harper, bien que troublé par ces offrandes inattendues, les accepta de bon cœur en promettant de ne pas oublier ses confrères le moment venu. Il leur serra chaleureusement la main.

— Et maintenant bon voyage ! acheva le professeur Bridge.

Les deux collègues retournèrent dans leur voiture, non sans un ultime adieu, et repartirent à vive allure. Le taxi arriva au même instant devant la maison du professeur Harper.

— En route, Martin ! s’écria Aiden en attrapant ses bagages.

Ils chargèrent le taxi des deux imposantes malles noires contenant les outils et les cartes. Deux autres sacs de voyage pour les habits furent ajoutés tant bien que mal dans la voiture qui ne pouvait supporter plus de chargement. Le professeur fit un dernier tour pour s’assurer d’aucun oubli, verrouilla sa porte d’entrée et glissa les clefs dans le pot de fleurs suspendu au côté de la porte.

Le trajet en voiture fut très bref, le chargement et le déchargement des bagages ont occupé plus de temps que le trajet en lui-même. Le voiturier fut grassement payé par le professeur Harper. Il fallut recommencer la même épreuve pour entrer dans le train et amasser tous les bagages. À peine ont-ils eu le temps de s’installer que les portes se refermèrent au coup de sifflet de dix heures. Le train prit de la vitesse dans un fabuleux vacarme. Le trajet laissa le temps au professeur d’analyser la carte du Groenland récemment offerte. La carte étalée sur la table ne cessa pas d’intriguer Martin et d’émerveiller le professeur qui répétait souvent à mi-voix « magnifique, splendide, excellent ».

— Regarde Martin, dit-il en pointant sur sa carte, je pense que c’est ici que tes parents l’ont vu. Par 81° 36’16,08" N, 16° 16’47,32" W. C’est ici que nous devons nous rendre.

Sans écouter la réponse, le professeur rangea toutes ses affaires. Quand il eut fini de replier la carte, le train s’arrêta à la gare de Londres à midi pile.

— Voici Londres mon cher neveu, s’exclama le professeur. Nous avons du travail, commençons par trouver un hôtel pour y déposer toutes nos affaires, nous irons ensuite au port pour trouver un navire et nous finirons par l’achat de nos provisions.
— Bien mon oncle, répondit Martin en déchargeant la montagne de bagages.

Le professeur et Martin se retrouvèrent dans la grande gare de London Bridge et traversèrent à contre-courant le flot des voyageurs pressés derrière les trains. Ils arrivèrent à la sortie de la gare. Martin fut émerveillé par la quantité et la diversité des Londoniens passant devant ses yeux. Beaucoup de véhicules encombraient la voie pavée sur laquelle se dressaient de grands bâtiments qu’il trouva très élégants. Des voitures allaient et venaient dans tous les sens ainsi que de grands bus rouges à deux étages que Martin connaissait, mais n’avait jamais encore vus. Il ne se lassait pas de regarder les gentlemen et les ladies tous très richement habillés. Parmi toute cette énergie en perpétuel mouvement, il aperçut au loin certaines personnes amputées d’un bras ou d’une jambe, derniers témoins d’une guerre cruelle qui a laissé sa marque sur ces hommes. Mais avant qu’il ne fasse part de son observation à son oncle, celui-ci brisa le silence :

— L’Hôtel de la gare, dit le professeur en pointant un grand bâtiment blanc en face de la gare. Cela sera parfait pour le moment, allons-y !

Ils s’étaient déjà tous deux mis en marche dès que le professeur eut fini sa phrase. Ils arrivèrent très vite à la réception de l’hôtel où les accueillit un grand concierge fin et sec.

— Bonjour messieurs et bienvenue à Londres. Je suis Harry, votre concierge, désirez-vous une chambre ?
— Bonjour, répondit le professeur, il nous faudrait une chambre modeste pour mon neveu et moi-même, je ne puis vous dire encore pour combien de temps, mais pour l’heure, une nuit suffira.
— Bien, messieurs. Pour deux Livres par nuit, nous avons la chambre trente-deux.
— Parfait ! répondit le professeur en échangeant la clef contre deux Livres.
— Prévenez-moi, ajouta Harry, s’il vous faut quoi que ce soit.
— Merci, s’écrièrent le professeur et Martin en montant leurs lourdes affaires dans les escaliers.