Tempête sur Langley - Serge Debuisson - E-Book

Tempête sur Langley E-Book

Serge Debuisson

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Beschreibung

Les détonations étouffées par le silencieux de l’arme n’avaient pas alerté les voisins proches. Lester avait le cœur dans la poitrine, le sang lui battait aux tempes. C’était la première fois qu’il se trouvait en situation de danger imminent. Son entraînement, ultra poussé à « La Ferme », bien que l’ayant préparé à ce genre d’expositions, n’incluait que très peu de scènes avec balles réelles. Et c’était sa première mission…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Serge Debuisson a été séduit, dans ses jeunes années, par des écrivains tels que Jean Bruce, Josette Bruce et Gérard de Villiers. Il réadapte ses textes précédemment élaborés pour les faire coller à des sujets d’actualité. C’est de la même manière qu’est né Tempête sur Langley, son premier roman d’espionnage librement inspiré de ces auteurs.

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Seitenzahl: 348

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Serge Debuisson

Tempête sur Langley

Première mission

Roman

© Lys Bleu Éditions – Serge Debuisson

ISBN : 979-10-377-8403-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre un

Le Rick’sClub avait fait le plein. Toute la société mâle de New-York et d’ailleurs, en quête de distractions érotiques s’était rendue dans cette boîte de nuit réputée, qui offrait à sa clientèle, à en croire la publicité ciblée qui circulait ci et là, les plus jolies filles de New-York.

Encore un cliché publicitaire usé comme le sable par la vague, tant il avait servi à faire la gloire d’établissements similaires de par le monde.

Où va se nicher l’avidité érotique du genre humain !

L’assistance, ce soir-là, était composée de riches représentants masculins, pour la plupart américains, de tout âge, avec une proportion plus importante chez les plus de cinquante ans.

Prêts à débourser jusqu’à 350 dollars pour s’offrir une bouteille de champagne en compagnie d’une bombe VIP…

Seuls quelques couples, dont on se demandait s’ils n’étaient pas libertins, se trémoussaient gentiment sur les banquettes ou sur leur chaise au rythme d’une musique langoureuse. Pour certains, ils attendaient le spectacle qu’offraient de sublimes créatures à partir de 23 h. C’était leur aphrodisiaque. Avant d’aller faire l’amour, en toute discrétion, sur le siège arrière d’une voiture.

La salle du premier niveau, plongée dans une demi-obscurité propice à de nombreux et divers attouchements plus ou moins discrets, baignait dans un mélange d’odeurs sensuelles. Dernière note à ce décor érotique, les jeunes femmes, qui officiaient dans la salle, étaient habillées d’une robe en latex moulant, laissant apparaître de très jolies poitrines et des croupes harmonieuses.

Ce qui visiblement provoquait chez les sujets mâles un état proche de l’apoplexie… La tension artérielle de certains d’entre eux n’avait d’égale que leur rigidité sexuelle… Rares étaient les bars tenders qui œuvraient sans qu’un contact physique, plus ou moins appuyé, ne soit tenté par un client plus téméraire, ou simplement plus éméché. Alors, elles répondaient intelligemment par un large sourire, un petit éclat de rire, un mot gentil, jamais déplacé. Sans laisser le moindre espoir sur une quelconque aventure. Elles étaient avant tout dans la salle pour offrir un service de qualité dans une ambiance saine.

Toutes à leur embauche signaient une sorte de contrat moral.

Il était 22 h 55 Quand Patrick Minn pénétra à son tour dans le Rick’s Club. Il observa un instant les décorations de Noël disséminées avec parcimonie sur les cloisons de l’établissement. Il en fut amusé, presque intimidé.

Il s’avança avec une aisance inattendue chez lui vers une table un peu à l’écart qu’il avait réservée pour la modique somme de 300 dollars. Une fortune.

Grand, il mesurait pratiquement 1 m 90, les épaules larges se rejoignant sur un cou de taureau, la silhouette bien proportionnée, il se sentait bien dans sa peau.

Chemin faisant, il s’attarda à poser un regard discret pour le moins sur les différents occupants à proximité, comme pour les photographier.

C’était cependant un regard plein d’acuité, diffusé par des yeux d’un bleu glacial, au-delà desquels on devinait un caractère ferme, volontaire et juste. Les cheveux blonds, à peine bouclés, lui donnaient paradoxalement un air bonhomme, limite enfantin.

Satisfait par son inspection, Patrick Minn laissa choir ses cent quatre-vingts livres sur la banquette en cuir noir qui sembla gémir d’être soumise à un tel poids. Il se sentait pleinement décontracté, tant sur le plan physique que sur le plan psychique.

Une magnifique rousse, chevelure en cascade, lèvres pulpeuses, moulée dans sa robe de latex blanche, ultra courte, dont les seins avaient peine à rester enfermés dans le tissu, fit son apparition, pour lui demander dans un murmure :

— Monsieur a fait son choix ?

Courbée en avant, sa somptueuse croupe relevée, elle supporta facilement le regard de l’homme. Une étincelle vicieuse s’alluma dans son regard, et un instant elle crut que ce client allait lui demander de s’asseoir afin de passer la soirée ensemble. Un instant, quand Patrick Minn lui prit doucement le poignet, elle pensa que son vœu allait s’exaucer : son désappointement arriva à son comble quand il lui sembla reconnaître un habitué des lieux.

— Bonsoir, ravi de vous voir Jessica.

Jessica se redressa d’un mouvement lent, secoua la tête, ce qui eut pour effet de replacer sa jolie chevelure sur ses épaules. À son tour, elle répondit par un sourire :

— Bonsoir Monsieur, excusez-moi je ne vous avais pas reconnu. Vous prendrez une bouteille de Champagne comme d’habitude ?

Sa respiration était lente, sa poitrine se soulevant harmonieusement, son ton enjôleur.

À rendre toute sa virilité à un centenaire.

— Oui Jessica, apportez-moi une bouteille de Moët & Chandon s’il vous plaît.

— Bien Monsieur Patrick.

Un silence puis :

— Christina va bientôt commencer…

Patrick Minn l’enveloppa d’un regard appétissant, un instant rêveur. Dieu qu’elle était désirable.

— Parfait Jessica, bonne soirée.

— Je reviens de suite.

Et elle s’éloigna en prenant bien soin de balancer sa croupe qu’elle savait parfaite.

Patrick Minn s’attacha de nouveau à inspecter les environs immédiats. Les lumières tamisées ne facilitaient pas l’exploration de la salle, mais l’acuité de son regard et la fréquentation des lieux étaient pour le servir.

Rien ne semblait avoir bougé depuis son arrivée et son intermède charmant avec Jessica. Les visages ressemblaient, trait pour trait, à ceux que sa mémoire visuelle avait enregistrés. Néanmoins, un spectacle, pour le moins pas banal, attira son attention.

Un client, un homme d’une soixante d’années environ, cheveux gris-blancs, légèrement décoiffés, le visage couperosé, seul (la plupart des tables accueillaient des groupes) caressait avec une jouissance non feinte une magnifique créature rousse assise sur ses genoux à la table voisine, située légèrement sur sa gauche. La fille semblait se régaler de son traitement, les yeux à demi fermés et la bouche entr’ouverte. Sa robe était remontée à mi-cuisse. Elle faisait quasiment corps avec cheveuxpoivre et sel qui lui caressait la poitrine de sa main gauche, tandis que la droite, explorait très adroitement la peau nue, juste au-dessus des bas.

Patrick Minn jura intérieurement : Fuck !

Maintenant, la rousse flamboyante avait sa main sur la bosse au niveau du bas ventre de cheveux poivre et sel et s’évertuait à lui rendre son plaisir en imprimant une caresse qui en disait long. Ce fut assez rapide : trente secondes plus tard, cheveux poivre et sel se redressa sur la banquette et se raidit avec un han significatif, les yeux au ciel, manquant dans son geste faire tomber sa compagne d’un soir. Il avait joui sur lui.

Assurément, il ne devait pas regretter les 300 ou 500 dollars dont il s’était acquitté.

Patrick Minn détourna la tête : le spectacle était terminé. Il pensa furtivement que les mœurs étaient décidément bien légères à cette époque. Et s’étonna d’être un tant soit peu aussi puritain.

Jessica était devant lui, un sourire à faire damner un saint, accroché à ses lèvres remaquillées, tenant un seau contenant la bouteille de Moët et Chandon. Toujours avec sa prestance aguichante, elle saisit le col de la bouteille d’une main pour poser le seau de l’autre sur la table.

Patrick Minn, tout en la dévisageant d’un œil gourmand, attrapa la bouteille pour l’ouvrir.

— Merci Jessica.

Puis après avoir fait sauter le muselet et le bouchon, il renversa le breuvage dans les deux coupes posées sur la table en invitant Jessica à s’asseoir près de lui. Après tout, un peu de sa charmante compagnie n’était pas pour lui déplaire.

La jeune fille eut un sourire angélique et tortilla des fesses, pour venir s’installer auprès de son client.

Elle était aux anges. Ils trinquèrent.

Décidément, cet homme ne la laissait pas du tout indifférente : plus, elle éprouvait beaucoup d’attirance physique pour lui, un léger feu embrasait son ventre.

Patrick Minn le savait : il lui prit la main et la baisa doucement, puis lui claqua les fesses amicalement avant d’avouer :

— Jessica, vous êtes splendide, mais vous savez que je suis ici pour quelqu’un d’autre n’est-ce pas ?

Elle le regarda comme s’il avait prononcé son arrêt de mort, frustrée, voire presque méchante, puis se releva d’un coup, laissant sa coupe de champagne à moitié vide sur la table. D’une voix tremblante, elle lâcha :

— Je sais, j’espérais que…

Le reste de ses paroles lui resta dans la gorge… Sans ajouter la moindre syllabe, elle quitta la table, une larme dans ses jolis yeux.

Patrick Minn la suivit du regard, un brin nostalgique. Il aurait bien voulu poursuivre l’idylle avec elle, mais ses sentiments se portaient sur une autre jeune femme. Il vida sa coupe en pensant que la vie parfois était injuste. Le Moët & Chandon, exquis, lui fit un bien fou. Quelques minutes s’écoulèrent, puis la saynète devant lui plongea dans une pénombre complice.

Un essaim de créatures plus désirables les unes que les autres apparut : Patrick Minn porta son regard sur une blonde, la blonde, du lot, celle qui lui procurait depuis quelques semaines des moments inoubliables. Elles n’étaient en fait que trois : une brune, aussi captivante que Jessica, une métisse africaine qui n’enviait rien aux deux autres, et sa blonde, Christina. Avec la démarche féline, elles s’avancèrent au bord de la saynète tout en crochant chacune leur barre de pôle dance.

Des applaudissements frénétiques ponctués de sifflets montèrent de l’assistance.

Patrick Minn délaissa les deux autres filles, cherchant le regard de Christina : il eut du mal, la demi-obscurité régnant, à accrocher ses yeux. Il vida sa coupe.

Christina, accompagnée de ses consœurs commença son numéro. Grande, un corps de rêve, une poitrine à couper le souffle et des jambes interminables, moulées dans des cuissardes noires, elle n’était vêtue que d’un minuscule string rouge, assorti d’un top visiblement trop petit de la même couleur. En tissu si léger qu’ils ne cachaient rien, ou si peu… Elle se lova sur la barre, la jambe droite repliée en avant et le bras levé. Au rythme de Beat-It de Michael Jackson. La tête rejetée en arrière, offerte… Puis, toujours avec une lenteur improbable, elle glissa ses doigts dans son string, tout en frottant ses seins sur la barre, pour l’écarter de son bassin et finalement l’ôter, laissant la place à un micro tissu censé masquer son pubis et retenu par un élastique.

Un cri obscène partit de la salle.

Patrick Minn jura à nouveau, intérieurement, puis regarda sa montre.

Il était 23 h 30.

Après une courte réflexion, il décida de s’accorder le plaisir des yeux devant le numéro de sa maîtresse avant d’aller téléphoner. Il se reversa une coupe de champagne et quelque peu excité porta à nouveau les yeux sur le spectacle.

Les filles continuaient leur ballet érotique. La brune et la métisse glissaient inlassablement sur leur barre de pôle dance respective, toujours dans la même tenue, tandis que Christina, elle, s’évertuait à enlever cette fois-ci son soutien-gorge. La stéréo diffusait maintenant Thriller. Le soutien-gorge n’offrit qu’un brin de résistance et se retrouva volant dans la salle. Les seins de Christina étaient totalement nus, superbement pleins, d’une tenue inégalée, capables de soutirer un baquet de sperme à un eunuque. À part son micro tissu sur son mont de Vénus, Christina évoluait totalement nue. Maintenant, elle épousait, lascive, la musique. Les notes cessèrent brusquement, l’obscurité devint totale, et elle s’éclipsa dans un grondement réprobateur. Accompagnée par la brune et la métisse.

Patrick Minn avala sa salive en éprouvant un désir sauvage, presque bestial, empreint de jalousie. Le numéro de Christina était superbement professionnel, irrésistible, et cela le chagrinait au plus haut point. Il supportait mal que sa maîtresse s’offrît de telle sorte aux regards lubriques de ces mâles baveux. Même si l’amour qu’il lui portait n’était que charnel, cela le rendait au fil du temps de plus en plus jaloux.

On ne peut pas se refaire.

Ancien officier traitant de la Central Intelligence Agency, mis aux bans de cette dernière à la suite d’une mystérieuse affaire en Tchétchénie, dont il ne s’était jamais complètement remis, Patrick Minn avait gardé de cette période de sa vie une certaine répulsion pour les sentiments amoureux. Il avait échappé de justesse à la section antiterroriste de la CIA, qui s’enrichissait des éléments incapables ou traîtres comme lui. Ce n’était pas pour commencer une idylle. Dans ce métier, il n’y avait pas la place pour ça, ni pour l’amitié, ni pour la pitié.

Le cœur d’un bon agent secret se devait d’être en acier pur. Trempé. Inattaquable.et insensible.

Cela l’avait poussé à rompre avec une jeune fille dont il était tombé éperdument amoureux, le jour où ses supérieurs avaient découvert (très rapidement) sa liaison.

Maintenant, avec le recul, il pouvait affirmer que ce métier était ingrat, dur, toujours inavouable, et sans autre récompense que celle de s’entendre dire Minn, vous avez fait du bon travail ponctuée de l’inévitable Merci !

Il pesta, envoyant l’Oncle Sam, à mille lieues sous terre.

Perdu dans ses sombres pensées, il ne s’aperçut pas tout de suite de la présence de Christina.

Elle était là, divinement désirable, portant la même robe hyper moulante que les autres filles. Et elle lui souriait. Il releva précipitamment la tête et répondit à son sourire :

— Oh baby excuse-moi ! Assieds-toi ! Il joignait le geste à la parole. Ce qu’elle fit.

— Tu as été merveilleuse ce soir, vraiment.

Le dernier mot avait été prononcé sur ton nuancé. Cela ne lui échappa pas.

— Mon chéri, tu devrais surveiller tes intonations. Je sais que tu ne penses pas ce que tu dis ! annonça-t-elle, dubitative.

Patrick Minn accusa pour le coup, pour le moins, puis se reprit d’une voix plus sûre :

— C’est ton job, Tina, et tu dois le faire ! J’admire ce que tu fais, même si je dois l’avouer, cela me coûte un peu de te voir là exhibée aux yeux de tous.

Les lèvres de la jeune femme affichèrent à nouveau le même sourire dubitatif.

Patrick Minn scella alors sa bouche sur la sienne, comme pour faire disparaître le léger malaise qui s’était installé. Dans le même moment, il jeta un coup d’œil à sa montre en s’excusant :

— Tina chérie, je dois m’absenter un court moment, il faut que je téléphone, j’en ai pour une minute.

Il lui versa une coupe de champagne en se rendant compte qu’il avait, jusque-là, manqué à ses devoirs puis lui releva doucement le menton avec l’index avant de se lever. Il préférait appeler depuis le fixe de la boîte, par discrétion, plutôt que de se servir de son téléphone portable.

Christina le regarda curieusement, se demandant quel pouvait être le motif impérieux qui poussait son amant à téléphoner ce soir. Résignée, elle le suivit des yeux. Sûr et décidé comme jamais, Patrick Minn se dirigea vers le bar le plus proche. Il heurta au passage une jeune femme aux seins en poire, et pour toute excuse lui tapota les fesses. Elle gloussa, marquant un temps d’arrêt, puis voyant que l’homme ne lui portait plus d’attention, poursuivit sa marche.

Avant de se saisir du combiné, un peu à l’écart, Patrick Minn enveloppa une dernière fois ce qu’il pouvait de la salle de son regard métallique. Puis, sans la moindre retenue, il composa le numéro du bureau le plus proche du FBI.

Il était une heure et quart du matin.

Il fallait agir vite et bien.

***

Samuel Brown, directeur de la Spécial Activities Division de la Central Intelligence Agency, l’avait bien précisé dans son ordre de mission, en toutes lettres.

La réussite de cette mission, confiée à Nicolas March, agent frais émoulu de Langley, reposait sur l’intégrité et la maîtrise de soi de son exécutant. Certes, le travail ne demandait pas de posséder de grandes qualités intellectuelles, mais dans son genre, comme dans toute mission de la Company, aucun écart ne pouvait être toléré. Le passé était là pour le démontrer…

Aussi l’amour propre de Nicolas March était sérieusement remonté dans l’échelle des sentiments.

Non pas qu’il fût orgueilleux – il n’avait d’ailleurs pas le droit de l’être – mais parce qu’il savait que ses galons augmenteraient rapidement avec la totale réussite de sa mission.

Ce dont il ne doutait pas un seul instant.

Avec des gestes trahissant un self-control hors pair, Nicolas March venait d’installer son dernier micro-espion quand le lourd silence de la pièce fut déchiré par le cri strident d’une sirène. Un petit tic nerveux lui déforma légèrement la joue. Il tenta de chasser la première idée qui lui était venue, mais la sirène redoubla et il identifia son origine, une voiture du FBI. La peur se manifesta par un picotement imperceptible sur le dos de ses mains. À la fois surpris et heureux d’avoir accompli sa tâche, il réfléchit à toute vitesse, aussi vite que son cerveau pouvait le faire. Que venaient faire les fédéraux à cette heure aux abords du Consulat de Turquie ? Il switcha brusquement sa lampe-torche tout en essayant de contrôler les battements de son cœur qui s’était accéléré. La respiration courte, il se dirigea vers la fenêtre du bureau du Consul, qui donnait sur la 1st Avenue. Il était sûr de n’avoir commis la moindre imprudence qui aurait pu trahir sa présence. Sûr et certain. Courbé en deux, il poursuivit son mouvement. Il était au 6e étage. Prudemment, parvenu à son objectif, il écarta les lames du store avec l’espoir fou de ne pas voir ce qu’il craignait…

Les deux pick-up Chevrolet Tahoe étaient hélas en bas de l’immeuble, rampes de gyrophares allumées, ayant dévié la circulation qui était somme toute relative à cette heure de la nuit. Deux hommes en uniforme étaient descendus de leur véhicule et s’apprêtaient à entrer dans l’immeuble. Les autres étaient à l’intérieur du second pick-up. L’éclairage public ne mentait pas. Et puis, c’était la procédure au cas où l’interpellation tournerait mal : les abords immédiats étaient de cette façon verrouillés.

Il lui fallait réfléchir à une issue convenable. Soit il empruntait l’ascenseur avec le risque que celui-ci soit utilisé par les fédéraux pour monter à l’étage, soit les escaliers. C’était tout aussi dangereux. Le mieux était d’attendre, là dans l’obscurité de la pièce. Après tout, rien ne disait encore que leur présence se justifiait par la sienne. Bien que…

Se torturant l’esprit, il finit par accepter qu’il avait sans doute été trahi, malgré les innombrables précautions qu’il avait pu prendre. Mais comment et par qui ?

Il en était à ce point de sa réflexion quand le bruit de l’ascenseur le fit sursauter : ils étaient rapides, il ne s’était même pas écoulé une minute depuis son observation à la fenêtre. Surtout ne pas faire de bruit… Il domina les pulsations de son pouls et ralentit au maximum sa respiration, tout en s’agenouillant derrière l’immense bureau de style ottoman.

Son répit fut de courte durée : déjà, la porte face à lui s’ouvrait lentement et le faisceau d’une lampe-torche déchirait la nuit de la pièce. Le museau du Glock 22 se précisa. Noir avec le reflet du faisceau lumineux.

Brusquement, Nicolas March se détendit tout en ajustant sa cible de son Sig Sauer P226 : le coup partit instantanément, une flamme violacée traversa la pièce pour finir dans le chambranle de la porte. Il reprit sa position initiale. L’agent du FBI n’avait pas été touché. Il cria :

— Freeze !1 Ne faites pas le malin, ne bougez plus ! Vous ne pouvez pas vous en sortir !

Nicolas March maudit à cet instant tous les flics de la terre, tous les administrateurs de la CIA.

La voix reprit, sifflante :

— Montrez-vous les mains en l’air !

Nicolas March obéit, à regret, et dans le même moment la pièce s’éclaira.

Le fédéral le tenait en joue, sûr de lui. C’était un homme bien bâti, avec un visage maigre, des pommettes saillantes qui laissaient deviner un individu de caractère, autoritaire. Ses yeux verts comme ceux d’un chat étaient fixes. Enfin, les mains, nerveuses et fines, serraient l’arme consciencieusement.

Le policier intima à Nicolas March d’avancer lentement et de poser les mains sur le bureau. L’agent de la CIA s’exécuta, laissant tomber son arme sur le sol. Intérieurement, il ne s’avouait pas vaincu. Le fédéral s’approcha de lui précautionneusement, toujours l’arme au poing, pour le maîtriser en lui écartant les jambes. C’est quand Nicolas March sentit le souffle du fédéral dans son cou qu’il s’actionna rapide comme un cobra.

Par chance, le deuxième policier n’avait toujours pas pénétré dans le bureau.

Le Glock 22 s’envola comme une assiette de ball-trap, projeté par la manchette implacable de Nicolas March pour finir sa course folle dans une vitrine regorgeant de statuettes ottomanes. Sans temps mort, profitant de la soudaineté de son attaque, il saisit Visage Maigre à la gorge tout en lui assénant une béquille dans les jambes. Les deux hommes chutèrent lourdement sur le sol. Mais Nicolas March avait l’avantage du dessus. Il décocha un coup terrible sur le nez de son adversaire qui explosa, laissant dégouliner un mélange poisseux de sang et de cartilage. Ivre de rage, Nicolas March doubla son coup sur l’arcade sourcilière qui péta, tandis que son propriétaire lâchait un han de douleur. Voulant en terminer rapidement, avant que le deuxième fédéral n’intervienne, il incrusta ses doigts sous le menton, cherchant la carotide.

Avec l’intention, non de tuer, mais d’endormir. Fébrilement, il commença à serrer Visage Maigre qui amorça une congestion, se souleva en saccades, comme un poisson hors de l’eau, cherchant désespérément à écarter les mains qui le privaient d’oxygène. Ses yeux se révulsèrent et cela provoqua une certaine jouissance à Nicolas March.

Ce sentiment de victoire fut le dernier ressenti par l’agent de la CIA. Il éprouva une atroce brûlure à l’occiput, lutta pour écarter la douleur qui irradiait tout son corps, et tomba de côté. Avec cette furtive sensation de s’être fait doublement avoir.

Avant de sombrer dans l’inconscience, il eut l’image d’un fédéral assez petit, mais trapu, qui tenait par le canon un autre Glock 22. Le second flic.

Chapitre deux

La chambre, tapissée avec soin et goût était meublée avec recherche, d’un lit rond en bois exotique, d’une coiffeuse assortie où traînaient de nombreux produits de beauté, et de deux fauteuils style crapaud. L’ouverture vitrée donnant sur la 32e Rue éclairait généreusement cet appartement situé au 3e étage d’un immeuble situé tout proche du New YorkHostel Manhattan. Aux murs, des reproductions soignées mais sans valeur de grands artistes contemporains. D’imposants rideaux de satin bleu, ornés d’une petite frange teintée d’or, assuraient une certaine intimité. En cette fin d’après-midi du mois de novembre, le soleil était rougeoyant, et ses faibles rayons peinaient à transpercer le lourd tissu.

Entièrement nue, abandonnée et heureuse, Christina dormait d’un sommeil profond, réparateur de son activité nocturne. Assis dans l’un des deux fauteuils crapaud, Patrick Minn, son éternelle Craven au bout des doigts, songeait, les yeux fixés au plafond.

Il était détendu, physiquement et psychiquement, sa maîtresse lui ayant procuré tout au long de l’après-midi de subtils plaisirs et gourmandises sexuels.

Ce qu’il avait accompli la veille, tôt dans la nuit, le réjouissait au plus haut point. Un sourire entendu se dessina sur ses lèvres, découvrant une dentition immaculée, lorsque le mot vengeance lui vint à l’esprit. Car c’était bien, tout au moins à ses yeux, une vengeance. Son amour propre atteint au plus haut niveau l’avait poussé à agir de la sorte. Un acte qui dévoilerait au grand jour certains agissements pas toujours avoués de la plus grande usine de renseignements que la Terre ait portée. Un acte simple mais aux répercussions qui pouvaient s’avérer houleuses. Un acte qui provoquerait à coup sûr des vagues parmi tous ces cloportes fourmillant chez son ex-employeur.

Un doux gémissement prolongé le fit sortir momentanément de ses pensées, gommant son sourire devenu sarcastique. Il tourna la tête vers sa compagne, se pencha pour lui déposer un baiser sur le front, laissant sa main vagabonder sur son ventre ferme. L’absence de toison chez Christina le contrariait : il ne pouvait s’empêcher de distinguer les visages gorgés de désir refoulé des mâles qui bavaient devant son spectacle, les soirs, au Rick’s’Club. Parfois, sa jalousie obsessionnelle lui interdisait de réfléchir sereinement.

Sous la caresse du délicat baiser, Christina avait cessé de gémir et avait replié les jambes, ouverte et impudique, à demi endormie.

Patrick Minn piocha une nouvelle cigarette dans son paquet et l’alluma avec le mégot de la précédente. Instinctivement, sa pensée reprit son cheminement.

Oui, la Central Intelligence Agency allait devoir répondre d’agissements contraires à son éthique, mais surtout aux lois américaines, agissant une fois encore sur le territoire américain. Il fallait que la Company paye pour ce qu’elle lui avait fait subir, le priver d’un métier qui lui plaisait, même avec ses aléas peu banaux. Qui plus est dans des circonstances douteuses, jamais éclaircies officiellement, fallacieuses à ses yeux. La CIA allait être bannie, bafouée, par les observateurs du monde entier. Certes, elle s’en relèverait comme toujours mais qu’importe, cela le faisait presque jouir. Une guerre morale avait commencé entre elle et lui.

Il tira nerveusement sur sa cigarette, comme pour accélérer le film de son passé proche.

Son cerveau appuya sur la touche replay.

Un an plus tôt, au cours d’un simulacre de procès, sans retentissement extérieur, sans journaliste, à huis clos devant le directeur général de la CIA, l’amiral Mac Grégor, et deux de ses adjoints, Robert Bowes et Samuel Brown, respectivement directeur adjoint et directeur de la Special Activities Division, à Langley, il avait été accusé. À tort selon lui.

Une seule demi-journée avait suffi pour ce procès au terme duquel il avait été banni. Plus jamais il n’aurait le droit et le pouvoir d’enquêter en son nom : par contre, elle, garderait le monopole de conserver un œil sur sa vie future.

Parce qu’il n’avait pas eu la force d’achever un de ses collègues, alors privé de la parole, lors d’une mission très spéciale en Tchétchénie, et qui était tombé dans les mains du FSB on l’avait rejeté comme un rebut devenu soudain inutile, dangereux, encombrant. Il ne s’était même pas défendu tant sa cause était plaidée d’avance. Mais il avait sa conscience pour lui. Car il savait que David Moon, cette barbouze qui l’accompagnait ne parlerait jamais plus, lui qui s’était automutilé en se tranchant le ligament reliant la langue au palais. Avec un courage hors du commun.

Ébranlé par cette putain de sale guerre, ayant enduré des épisodes sanglants, il n’avait pu de surcroît achever David Moon, de toute façon inutile aux yeux du FSB. Un muet n’avait aucun crédit dans les locaux du FSB pas plus que dans d’autres d’ailleurs. Seulement, la CIA avait vu cette affaire sous un autre angle. Bien que convaincus que David Moon n’aurait jamais parlé, même en ayant encore sa langue, ces messieurs avaient jugé que dans d’autres circonstances, lui, Patrick Minn n’aurait jamais eu le cran de supprimer un agent tombé dans les mains ennemies. Selon eux, il n’avait pas l’envergure suffisante.

La CIA avait retourné le problème. À son avantage. Pour le détruire.

C’est bien connu, la fin justifie les moyens.

Il écrasa sa cigarette complètement consumée dans un cendrier de plâtre, et revenu à l’instant présent, promena à nouveau son regard sur le corps abandonné de sa maîtresse.

Il se surprit soudain à se féliciter d’avoir rencontré Christina juste après avoir été exclu de la CIA alors qu’il traversait une période difficile de sa vie. La plus noire. Très attentive à sa détresse, Christina avait su lui maintenir la tête hors de l’eau et probablement aurait-il mal tourné si elle n’avait pas été à ses côtés.

Nullement rassasié, envahi à ce moment par un désir violent, il emprisonna les seins de la jeune femme de ses mains puissantes, tout en veillant à ne pas lui faire mal, il se souleva légèrement pour s’allonger sur ce corps davantage offert par le sommeil. Docilement, d’un mouvement du genou, il lui écarta les jambes, le sang commençant à lui battre les tempes. Il ne fallait pas qu’elle se réveille.

Il était maintenant bien érigé et d’un coup de reins assuré il entra en elle. Christina gémit. Son sommeil n’était ni léger ni profond, une sorte de torpeur bienfaisante. Patrick Minn était ravi : il commença de légers mais adroits va-et-vient dans ce sexe humide, chaud, vibrant… Il était maintenant excité à la limite de la douleur. Il possédait : il n’était pas amoureux de sa maîtresse, juste fou de son corps splendide. Maintenant en appui sur les mains, il s’employait avec une succession d’à-coups réguliers à soigner son plaisir sans se soucier de celui de la jeune femme. Il explosa au bout d’une dizaine de minutes, en sueur, inondant de sa semence sa partenaire. Aveuglé par son orgasme, il ne s’aperçut pas tout de suite que Christina avait émergé de son alanguissement.

Enfin soulagé, il lui dédia un petit sourire de reconnaissance.

***

Les sons semblaient provenir d’un monde irréel, lointain, inconnu, Nicolas March avait beaucoup de mal à comprendre…

Les bruits étaient étranges, avec une résonnance infinie, extraordinaire, rien de ce qu’il avait rencontré auparavant. Son cerveau les percevait avec difficulté, presque de façon artificielle comme s’il se trouvait ailleurs, dans un autre monde. Une pensée morbide lui traversa l’esprit : il devait être mort. Mais alors, lui qui ne croyait pas à la vie après la mort, il y avait donc quelque chose ! Il fut pris d’une panique incoercible quand il entendit subitement des coups sourds lui vriller les tympans. Il se reprit pour se rendre compte qu’il s’agissait des battements de son propre cœur ! Donc il n’était pas mort. Il fut rassuré. Il fit un effort improbable de concentration, et au bout de quelques secondes, il parvint enfin à identifier la nature des sons qui l’avaient assailli. C’étaient des voix humaines. Pas de doute. Deux. Avec encore une fois un effort quasi surhumain, il réussit à entrouvrir les paupières. Il devait savoir.

Au début, il fut aveuglé puis au fur et à mesure, ses pupilles se dilatèrent et s’accoutumèrent à la lumière. La résonnance du début avait cessé. Il distingua nettement les contours de la pièce où il se trouvait, cela ressemblait terriblement à un bureau de police.

Il écarquilla les yeux au maximum, tenta de se lever, réussit seulement, non sans effort, à se redresser. Il était assis, sur une chaise, les mains menottées derrière le dos. Devant lui, la lampe crue, forte, qui l’avait aveuglé quand il avait repris ses esprits. Et derrière la lampe, un homme qu’il reconnut comme étant celui qui l’avait eu par surprise dans le bureau du Consul. Il avait un visage rondouillard, surprenant chez un officier du FBI. Ses yeux, ronds comme des boutons de chemise, le regardaient comme un cobra observe une proie.

Nicolas March soutint son regard et à cet instant une douleur lancinante se réveilla à la base de son crâne.

— Réveillé ?

La voix cingla derrière lui. Et se matérialisa aussitôt à ses côtés. Il identifia de go l’agent sur qui il avait riposté quelques heures plus tôt. On ne pouvait pas ne pas le reconnaître : les traces des coups portés au nez et à l’arcade suffisaient. Il s’agissait de Visage Maigre. Celui-ci était plus grand qu’il ne l’avait paru lors de son interpellation, mais aussi plus maigre, quoique bâti harmonieusement, et on pouvait lire dans ses yeux verts qu’il en voulait furieusement à Nicolas March. Il se présenta, avec une voix stridente, empreinte de ressentiment :

— Je suis l’Agent Spécial Smith et voici l’Agent Fédéral Cyrus Willson.

Il avait désigné son supérieur assis devant lui du plat de la main. Il poursuivit :

— Vous êtes dans les locaux de l’agence fédérale Band Merengue de la 6e Avenue. Nous vous avons surpris en train d’opérer illégalement dans les locaux du Consulat de Turquie. En dehors de ça, vous avez tiré sur un agent fédéral et avez tenté de le tuer !

Il porta sa main fine successivement à l’œil, au nez et enfin à la gorge, une large strie rouge violacée entravait son cou. Ses yeux verts étincelaient de courroux. Ce faisant, il s’était légèrement incliné en avant, et Nicolas March se fit la réflexion qu’il avait un petit air de colonel anglais durant la colonisation des Indes. Il afficha un pâle sourire, tout à ses pensées, puis cessa sous une nouvelle poussée de douleur irradiant sa nuque.

L’agent Smith remarqua, en se réjouissant, la grimace qui s’était figée sur la bouche de Nicolas March.

Non sans une pointe de perfidie, il interrogea :

— Il semblerait que vous ayez mal ? Puis, plus menaçant encore, ajouta :

— Que faisiez-vous là-bas ? Qui êtes-vous ? La façon dont vous avez réagi à notre arrivée, et la résistance, devrais-je dire, l’énergie furieuse que vous avez montrée à mon égard me font penser à quelqu’un de bien entraîné…

Nicolas March s’attendait à cette réaction de la part des G Men. Malgré la douleur, il avait maintenant toutes ses facultés. Il savait que la bataille conte le FBI était perdue, qu’on découvrirait tôt ou tard ce qu’il avait fait au Consulat, que la Company le lâcherait même avant de le soutenir : néanmoins, bien que frais émoulu de la Special Activities Division, il fallait montrer sa détermination. Résister. Il se lança :

— Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ! Le ton était neutre. Pour ne pas aggraver la situation.

Visage Maigre lança un œil narquois à Cyrus Willson qui étrangement n’avait encore pipé mot. Pour rétorquer :

— C’est à nous d’en juger !

Il alla s’asseoir sur le coin du bureau de son supérieur qui continuait à l’observer avec la même attitude. Soudain, le téléphone sonna. Cyrus Willson décrocha au bout de la 3e sonnerie :

— Allô, Willson !

Tout en écoutant son interlocuteur, Willson jouait tranquillement avec la souris de son ordinateur dont on entendait le bruit de ventilateur. Il resta une trentaine de secondes, accroché au combiné, puis tranquillement émit un Right avant de reposer l’appareil. Il éteignit alors la lampe de bureau et la pièce fut inondée par l’éclairage ambiant. Puis il se leva, dépliant sa petite carcasse, ses yeux presque globuleux sur Nicolas March, et s’avança, menaçant :

— Je viens d’avoir un entretien très instructif…

Il s’arrêta un court instant avant de poursuivre, d’une voix peu rassurante, en nette discordance avec son apparente bonhomie :

— On vient de m’apprendre que nous avons trouvé des micros là où nous vous avons surpris. Des micros, dernière génération, et ce juste après votre passage… curieux, ne trouvez-vous pas ?

Tout en parlant, il avait sorti une pipe de la marque française Chacom, faite d’un foyer en bruyère naturelle vernie et d’un tuyau en acrylique et s’évertuait à y bourrer une bonne dose de « Virginia ».

Un silence pesant, lourd de circonstances envahit soudain la pièce. Le fantôme de l’Oncle Sam voulut le rompre et se ravisa. L’agent fédéral Willson craqua une allumette et enflamma le tabac qui dégagea aussitôt un nuage de fumée épais et très odorant. Après avoir éteint son allumette d’un balancement de la main de gauche à droite, le visage rondouillard du G man s’approcha de celui de Nicola March si prêt que ce dernier crut qu’il allait le toucher :

— Alors ?

La voix était devenue très menaçante. Il éructa littéralement :

— Vous allez parler ! Oui ? Mon collègue vous a déclaré que nous étions persuadés que vous appartenez à un organisme d’état vu votre entraînement. Alors vous feriez mieux d’avouer : NSA?DIA ? CIA ?

Mutisme.

Le silence s’imposait. Nicolas March serra les dents au point de se faire mal. Surtout ne pas parler, pas maintenant. La règle N° 1 de la CIA : ne jamais révéler son appartenance à la Company. Ses instructeurs avaient été formels sur ce point. Tenir le plus longtemps possible. Face au FBI cela devait être plus facile que devant n’importe quel service ennemi. Il était aux USA. après tout.

Cyrus Willson revint à la charge, plus véhément que jamais. Des lueurs rouges avaient pris possession de ses yeux qui dévoraient littéralement Nicolas March. Il tira nerveusement sur sa pipe provoquant un chuintement comparable à un cri de chouette qui ne le déstabilisa pas, bien au contraire. Écarlate, il cria, le doigt en avant :

— Vous vous foutez de moi mon ami hein ! Vous croyez pouvoir vous en tirer comme ça ? Foutaise ouais foutaise. Je vais vous le dire moi pour qui vous travaillez. Les micros que l’on a retrouvés au Consulatproviennent de laboratoires bien connus figurez-vous. C’est ce que m’a appris mon correspondant, tout à l’heure au téléphone. J’ai même les premières constatations là dans mon ordinateur ! Il souffla, comme pour reprendre son haleine, jeta un œil complaisant à sa pipe, et fier de lui continua :

— Les micros que vous avez posés ont été bien sagement élaborés par la CIA! Oui la CIA!

Il rejoignit son bureau, sous le regard complice de Visage Maigre qui arborait maintenant un air goguenard.

Cyrus Willson avait tourné l’écran de son ordinateur de telle façon que Nicolas March puisse le voir.

Ce dernier ne pipait mot, fidèle à lui-même. Il fallait relever le défi. Bien sûr, il savait maintenant que la partie était perdue, qu’il était grillé. Et il extrapolait sur les suites merdiques qui n’allaient pas manquer de suivre. Et pour lui, et pour la Company. Il avait beau se refaire le film de la préparation de sa mission au ralenti dans sa tête, impossible de déceler là où il avait pu commettre une erreur. Il regarda, impassible tout à tour les G Men puis l’écran de l’ordinateur.

Cyrus Willson s’adressa à lui, paraissant soulagé, le teint redevenu rosé dans son visage rondouillard :

— Ok man vous voyez les croquis des micros là sur l’écran. Ça vous parle ? Ce sont ceux que vous avez semés là-bas. Il vous en faut plus pour parler hein ? Tout ça vous désigne comme étant une barbouze de la CIA, mon cher.

C’était l’assaut final.

Nicolas March accusa le coup intérieurement : cette fois, il était cuit, grillé, retourné… Il se refit encore et encore le film des dernières heures à l’envers pour découvrir ce qui l’avait trahi. Ou qui avait bien pu le trahir. Il avait préparé sa mission avec le plus grand soin. Certes, on ne pouvait, dans ce métier, être jamais sûr à cent pour cent. Il ne voyait pas. Sauf une dernière possibilité : quelqu’un l’avait dénoncé. Quelqu’un d’impossible à identifier pour l’heure. Sauf s’il tentait un dernier coup de bluff avec les gars du FBI.

— Est-ce que je peux vous poser une question ? Le ton était neutre. Les deux hommes du FBI se concertèrent, surpris, puis Willson, les yeux écarquillés, acquiesça :

— Que voulez-vous savoir ?

L’agent de la CIA se jeta à l’eau :

— Comment avez-vous su que j’étais dans ces locaux ?

C’était le monde à l’envers, le coupable qui posait les questions… Le fantôme de l’Oncle Sam apparut, une main sur les yeux, l’autre essayant de se boucher les oreilles.

Willson toussa, irrité par tant d’audace. Il tapota sa pipe dans le grand cendrier qui officiait sur son bureau, vida le foyer et répondit :

— Figurez-vous que nous avons reçu un coup de fil anonyme vers 1 h 20 ce matin : quelqu’un nous a assuré qu’il y avait probablement un espion dans les locaux du Consulat.

Il paraissait très sûr de lui.

— Alors nous sommes allés vérifier, et nous vous avons trouvé, c’est aussi simple que ça. Il avait prononcé sa dernière phrase sur un ton sarcastique.

Nicolas March ravala, de nouveau atteint. Anéanti. Passer aux aveux, en terminer avec cette mascarade, c’était l’ultime étape d’un parcours rocambolesque. C’était inutile de nier.

Il dit, sur un ton neutre qui le surprit :

— Ok men je suis un agent de la CIAvous avez gagné. Mon nom est Nicolas March. Vous pouvez vérifier auprès de Langley. Et alors ? Vous pensez que les USA courent à la catastrophe ? Que ça va foutre le bordel ? Non, pas du tout, pour la bonne et simple raison que vous ne pourrez pas aller au-delà des intentions de mes patrons. Voilà pourquoi.

Les deux G Men pensèrent à cet instant précis que leur homme était bien naïf, qu’il devait être un perdreau de l’année. Pour eux, le principal avait été fait, ils avaient arrêté un homme coupable de trahison envers la CIA et seul cela comptait. La Company réglerait ses comptes en interne, et puis c’est tout.

Ils jetèrent un dernier regard plein de compassion à Nicolas March.

Ce dernier crut, à tort, qu’il n’avait pas compromis la CIA et qu’elle étoufferait cette affaire facilement et sans éclats préjudiciables.

Chapitre trois