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Veröffentlichungsjahr: 2017
2017 - Anna Ruggieri
Les principes sur le juste et l'injuste sont les mêmes entout temps et en tout lieu, ils constituent la morale absolue; maisles principes sur les moeurs varient avec les âges et lespays. Depuis la promiscuité sanslimites des tribus sauvagesjusqu'à la prohibition absolue de l'oeuvre de chair en dehorsdu mariage, que de degrés divers dans la libertéaccordée aux rapports sexuels par l'opinion publique et par laloi sociale et religieuse! A l'exception des Iranienset des Juifs,toute l'antiquité a considéré l'acte charnel commepermis, toutes les fois qu'il ne blesse pas le droit d'autrui,comme par exemple le commerce avec une veuve ou toute autre femmecomplètement maîtresse de sa personne. Toutefois laChine, laGrèce et Rome ont honoré les vierges, et l'Indeles ascètes voués à la continence à titre desacrifice.
Au point de vue de la raison seule et d'une conscienceégoïste, la tolérance des Indiens et des païensparait naturelle et la règle sévère desIranienssemble dictée par l'intérêt social oupolitique; aussi cette règle n'a-t-elle étéimposée qu'au nom d'une révélation par Zoroastre etpar Moïse.
De là deux grandes divisions entre les peuples sous lerapport des moeurs; chez les uns la monogamie est obligatoire, chezles autres la polygamie est permise sous toutes les formes qu'ellepeut revêtir, y compris le concubinage et la fornicationpassagère. Dans l'antiquité on doit, entre les peuplesqui n'admettent pas de révélation, distinguer sous lerapport desmoeurs: d'une part, les Ariahs de l'Inde chez lesquelsla religion et la superstition se mêlent intimement etactivement à tout ce qui concerne les moeurs, dans unintérêt politique, avec absence de génie artistique;et d'autre part, les Ariahs d'Occident, c'est-à-dire les Grecset les Romains chez lesquels ce culte a été seulement lamanifestation extérieure des moeurs, sans direction ni actionmarquée sur elles, et où le génie artistique a toutidéalisé et tout dominé.
Ainsi le naturalisme des Brahmes, l'antiquité payenne etles principes de l'Iran ou d'Israël, dont a héritéle Christianisme, forment trois sujets d'études de moeursà rapprocher et à faire ressortir par leurs contrastes.La matière se trouve: pour le premier sujet, dans lesscholiastes etles poètes du brahmanisme; pour le second, dansla littérature classique, principalement dans les poèteslatins sous les douze Césars; pour le troisième, dans lesauteurs modernes sur les moeurs, savants et théologiens. Cesauteurs sont universellement connus et il suffira d'en citerquelques extraits. Mais il est nécessaire de donner, danscette introduction, d'abord des renseignements sommaires sur lesIraniens, puis des détails plus complets sur les Brahmes.
LES IRANIENS.—Il paraît établi que leMazdéisme est postérieur au XIXe siècle avantJésus-Christ, époque où commence l'èrevédique, et antérieure au VIIIe siècle avantJésus-Christ;d'où l'on conclut que l'auteur de l'Avesta aprécédé la loi de Manou et n'a pu êtrecontemporain de Pythagore comme l'affirment quelques historiensgrecs. Peut-être d'ailleurs Zoroastre est-il un nomgénérique (comme l'ont été probablement ceux deManou et de Bouddha) qui désigne une série delégislateurs dont le dernier serait celui que Pythagore auraitconnu à Babylone età Balk où il tenaitécole.
L'antique Iran était à l'est du grand désertsalé de Khaver, autrefois mer intérieure; son centreétait Merv et Balk. Tout près était, sinon leberceau de la race Aryenne, au moins sa dernière station,avant la séparation de sesdeux branches asiatiques.
On s'accorde à reconnaître dans Zoroastre unréformateur qui voulut relever son pays succombant àl'exploitation des Mages (magiciens) et à l'inertie, et lerégénérer par le travail, surtout agricole, et parle développement de la population fondé sur le mariage,les bonnes moeurs et les idées de pureté. Voici ses deuxpréceptes essentiels que nous retrouvons dans la loi deMoïse:
Eviter et purifier les souillures physiques et morales; avoirdes moeurs pures pour augmenter la population. Zoroastre recommandel'art de guérir et proscrit la magie, son code n'est qu'unethérapeutique morale et physique.
Il peut, ainsi que quelques-uns le prétendent deMoïse, avoir emprunté à l'Égypte une grandepartie de ses préceptes sur les souillures et lespurifications.
Ce qui domine dans la morale de Zoroastre, c'est l'horreur dumensonge; ce trait ne se trouve dans aucune des religions del'Orient ni dans le caractère d'aucune de ses races, sauf lesIraniens et les Bod (anciens Scythes).
Comme principe, il paraît dériver de laquasi-adoration de la lumière, qui fait le fond duMazdéisme. On doit certainement aussi en faire honneur àla droiture et à l'élévation de caractère deson fondateur.
Les aspirations morales du Mazdéen, sa conception de lavie,du devoir et de la destinée humaine, sont exprimées dansla prière suivante:
«Je vous demanderai, ô Ozmuzd, les plaisirs, lapureté, la sainteté. Accordez-moi une vie longue et bienremplie. Donnez aux hommes des plaisirs purs et saints, qu'ilssoienttoujours engendrant, toujours dans les plaisirs.»
«Défendez le sincère et le véridique contrele menteur etversez la lumière.»
Après le mensonge, le plus grand des crimes, aux yeux deZoroastre, est le libertinage, tant sous la forme d'onanisme oud'amour stérile que sous celle d'amour illégitime etdésordonné.
La perte des germes fécondants est la plus grande faute auxyeux de la société et de Dieu.
L'Iranien sans femme est dit «au dessous de tout.»
Le père dispose de sa fille et le frère de sasoeur.
La jeune fille doit être vierge. Le prêtre dit aupère: «Vous donnez cette vierge pour la réjouissancede la terre et du ciel, pour être maîtresse de maison etgouverner un lieu.»
L'acte conjugal doit être sanctifié par uneprière: «Je vous confie cette semence, ôSapondamad» (la fille d'Ozmuzd).
Chaque matin, le mari doit invoquer Oschen (qui donneabondamment les germes).
Si l'amant se dérobe, la femme qu'il a rendue mère ale droit de le tuer.
L'infanticide et le concubinage sont punis de mort, mais laloin'édicte rien contre les femmes «publiquement amoureuses,gaies et contentes, qui se tiennent par les chemins et senourrissent au hasard de ce qu'on leur donne.» Cettetolérance est une sorte de soupape ouverte aux passions pourempêcher le concubinage et l'adultère.
Zoroastre recommande aussi l'accouplement des bestiaux.
Il prescrit de traiter les chiens presque aussi bien que leshommes; sera damné celui qui frappera une chienne mère.Dans tout l'Orient on ne retrouve qu'au Thibet ce soin presquepieux pour les chiens. Outre les préceptes sur le mariage etles souillures, il y a beaucoup d'autres points de ressemblanceentre l'Avesta et la Bible. M. Renan en a conclu qu'il y a eucertainement un croisement entre le développement iranien etle développement juif. M. de Bunsen a publié un livrepour démontrer que le Christianisme n'est autre chose que ladoctrine de Zoroastre, transmise par un certain nombred'intermédiaires jusqu'à saint Jean dont l'évangileest, selon quelques uns, l'expression de la doctrine secrètede Jésus, de sa métaphysique. Il soutient que la formule«je crois au père, au fils et à l'esprit»à laquelle se réduisait, d'après M. Michel Nicolas,leCredodes premiers chrétiens, n'est pas juive, mais qu'ellevient de Zoroastre.
Il n'est point surprenant qu'un homme d'imagination identifieainsi deux doctrines qui se rapprochent beaucoup par leurpureté.
M. Emile Burnouf, de son côté, pense queceCredoétait aussi celui des Ariahs dans l'Ariavarta, ce quipeut se concilier avec la thèse de Mr de Bunsen.
Le même auteur fait dériver la symboliquechrétienne du culte primitif des Ariahs.
Ce sont là de brillants aperçus plutôt que desfaits rigoureusement acquis à la science. Ce qui n'est pointcontesté, c'est l'identité presque parfaite desrègles sur les moeurs chez les Iraniens et chez les juifs, etpar suite chez les chrétiens. Pour qu'on en soit frappé,il suffit de rappeler:
1° Les préceptes du Décalogue: VIe «Tu neforniqueras point»; «IXe Tu ne désireras pas lafemme de ton prochain»; ou bien le 6e commandement de Dieu:«L'oeuvre de chair tu neferas, qu'en mariage seulement»,et le 9e «Luxurieux point ne seras, de corps ni deconsentement.»
2° La doctrine de l'Eglise sur l'Onanisme (Père Gury,théologie morale).
«La pollution consiste à répandre sa semence sansavoir commerce avec un autre; la pollution directe parfaitementvolontaire est toujours un péché mortel.»
«Toute effusion de semence, faite de proposdélibéré, si faible qu'elle soit, est une pollutionet par suite un péché mortel.»
«L'onanisme tire son nom d'Onam, second fils du patriarcheJuda, qui après la mort de son frère Her, fut forcé,selon la coutume, d'épouser sa soeur Thamar pour donner unepostérité à son frère. Mais, s'approchant del'épouse de son frère, il répandait sa semenceà terre pour que des enfants ne naquissent pas sous le nom deson frère. Aussi le Seigneur le frappa parce qu'il faisait unechose abominable (Genèse XXXVIII, 9 et 10).
«922.—L'onanisme volontaire est toujours unpéché mortel en tant que contraire à la nature;aussi il ne peut jamais être permis aux époux, parceque:
1° Il est contraire à la fin principale du mariage ettend en principe à l'extinction de la société et parconséquent renverse l'ordre naturel;
2° Parce qu'il a été défendu strictement parle législateur suprême et créateur, comme ilrésulte du texte précité de laGenèse.»
L'INDE.—Dans l'Inde la morale se confond avec la religion,et la religion avec les Brahmes. Ce sont trois termes qu'on ne peutséparer dans un exposé. Nous nous étendrons doncquelque peu sur les Brahmes.
Les moeurs des Ariahs paraissent avoir été pures dansl'Aria-Varta, berceau commun des Ariahs asiatiques, et dans leSepta Sindou leur première conquête dans l'Inde, entre lavalléedélicieuse de Caboul et la Serasvati.
L'épouse était une compagne aussi respectée quedévouée.
Le culte était privé, le père de famille pouvait,même sans le poète ou barde de la tribu, consommer lesacrifice; mais bientôt le poète imposa sa présenceet il devint prêtre.
Dans le principe rien ne distinguait les prêtres du corpsdes Ariahs ou Vishas, pasteurs; ils étaient, comme les autresmembres de la tribu, pasteurs, agriculteurs, guerriers, souvent lestrois à la fois.
A la fin de la seconde période védique (la secondesérie des hymnes), le sacerdoce s'établit avec le cultepublic.
On adore Indra soleil, qu'on agrandit pour en faire Vichnousoleil.
Des hymnes font de Roudra un dieu en deux personnes.
C'est le souffle impur lorsqu'il vient desmaraissub-himmalayens, le dieu purificateur quand il chasse l'airempesté des bas-fonds et des jungles.
Quand la conquête embrasse tout le pays entre laSérasvati et la Jumma, l'aristocratie guerrière se formeen même temps que la caste sacerdotale.
Les Ariahs ont à combattre lesDaysous noirshabitants desmontagnes et lesDaysous jaunes(sans doute de la race mongole) quioccupent les plaines; ces derniers sont avancés dans lacivilisation, combattent sur des chars, ont des villes avecenceintes. Quand ils sontassujettis, les Brahmes leur empruntent leculte des génies qui était leur religion.
Dans la vallée du Gange, les Ariahs se civilisent et secorrompent; les Brahmes favorisent l'établissement de petitesmonarchies pour tenir en bride les guerriers (Kchattrias) et parmiles compétiteurs ils appuient ceux qui les soutiennent.
Quelques-uns sont guerriers et rois.
Ils se font les gourous (directeurs de Conscience) et lespourohitas (officiants) des rajahs.
Pour acquérir un grand prestige, ils établissent lenoviciat des jeunesBrahmes et l'ascétisme des vieillards.
Jouissant de la paix par la protection des Radjas (princesguerriers), les Brahmes se divisent en deux camps; les unsn'admettent comme efficaces pour le salut que la foi et laprière (la backti),les autres proclament la souverainetéde la boddhi ([Grec: sorich] des Grecs, la connaissance).
A la période védique succède la périodehéroïque, l'Inde des Kchattrias, qui dure plusieurssiècles pendant lesquels les Ariahs s'emparent: d'abord ducours inférieur du Gange, puis du reste de lapéninsule.
Pendant que les guerriers achèvent la conquête, lestrois classes se distinguent et se séparent de plus en plus,les Brahmes s'emparent de tous les pouvoirs civils etjudiciaires.
Les Brahmes et les Kchattrias se disputent le pouvoir; lespremiers, pour flatter la foule, adoptent ses superstitions et sesdieux, ils font appel aux races non-aryennes et principalement auxpeuplades guerrières à peine soumises; avec leur aide etcelle de quelques rois qui se déclarent pour eux, ilsexterminent les Kchattrias dans le sud et ne leur laissent ailleursqu'un rôle subordonné.
Ils composent alors une série d'ouvrages théologiquesqui change la religion et qui leur donne la possession exclusive detout ce qui touche auculte. Le couronnement de l'oeuvre est la loide Manou qui consacre leur suprématie sur tous et en toutechose et achève l'abaissement physique et moral des classesserviles vouées, même à leurs propres yeux, par ladoctrine de la métempsycose, à une déchéanceirrémédiable.
C'est ainsi que les Pariahs se croient eux-mêmesinférieurs à beaucoup d'animaux. Par la peur, par lacorruption, par le dogme de l'obéissance aveugle à lacoutume immuable, l'institution de Manou a vécu plus qu'aucuneautre et on ne saurait en prévoir la fin. Jamais et nulle parton n'a poussé aussi loin que les Brahmes l'habiletéthéocratique pour l'asservissement.
Ce qui était resté des Kchattrias et la casteentière des Vessiahs (Vishas) supportaient avec impatiencel'arrogance et lesprivilèges exorbitants des Brahmes.
Les théosophes et les ascètes, en dehors de leurcaste, les combattaient dans le champ de la spéculation.
Tous ces adversaires se réunirent dans le Bouddhisme; ileut une telle faveur que tout ce qui avait une certainevaleurmorale entrait dans les couvents bouddhiques: les Brahmesdélaissés et réduits à leurs propres ressourcesvécurent de leurs biens et des métiers que Manou leurpermet en temps de détresse. Mais ils n'abandonnèrentpoint la partie. Tandis que le célibat bouddhiquedévorait les hautes castes qui leur étaient opposéeset ne laissait rien pour le recrutement du corps religieux, lesbrahmes se maintenaient par l'esprit de famille, et à force depersévérance, de talents, d'habileté et d'astuce,ils parvenaient à supprimer le bouddhisme.
Par une série de transformations, les Brahmes ont fait dela divinisation de la vie et de la génération, l'essencemême de la religion. Aujourd'hui les Hindous se divisent endeux grandes sectes:—les adorateurs de Siva, autrefoisRoudra, qui portent au bras gauche un anneau dans lequel estrenfermé le lingam-yoni, sorte d'amulette figurantl'accouplement des organes des deux sexes, (verenda utriusque sexusin actu copulationis),—et ceux de Vishnou qui portent aufront le Nahman. C'est une sorte de trident tracé àpartir de l'origine du nez. La ligne verticale du milieu est rougeet représente le flux menstruel; les lignes droiteslatérales sont d'un gris cendré et figurent la semencevirile.
En introduisant la sensualité danstout ce qui touche àla religion, lesBrahmes avaient eu deux objectifs.
Arracher au Bouddhisme et captiver par des images de leurgoût grossier les Hindous, surtout ceux de la caste servileincapables d'atteindre aux délicatesses du sentiment etdel'idéal. C'était avec la représentationsculpturale des scènes mythologiques qui avait un certainmérite, non de forme, mais de mouvement, le moyen le plusfacile et peut-être unique de plaire aux yeux; c'étaitaussi une concession aux cultes locaux antérieurs à laconquête, qui purent ainsi se continuer dans le sein duPanthéisme.
Le second objectif des Brahmes, celui-là fondamental et nonpoint seulement une arme et un expédient de circonstance, nousest indiqué par la prescription de Manou: «chacundoitacquitter la dette des ancêtres» (avoir au moins unfils pour lui fermer les yeux).
Le but était d'empêcher la diminution numériqueet par suite l'effacement de la race des Ariahs, aujourd'huireprésentée uniquement par les Brahmes, et aussi dedévelopperla population servile dont le travail était lasource principale de la richesse publique. Le législateurpensait sans doute qu'il fallait exciter les passions chez unpeuple physiquement assez faible, d'un tempéramentlymphatique, disposé à l'anémie par l'insuffisanced'une alimentation exclusivement végétale et parl'accablement du climat.
La religion naturaliste ou érotique de l'Inde acommencé par l'adoration de Siva, confondu d'abord avec lefétiche du membre viril, le linga. Le linga, qu'on rencontrepartout dans l'Inde, sur les routes, aux carrefours etplaces-publiques, dans les champs n'est point ce qu'était dansl'antiquité payenne le phallus, une image obscène etquelquefois un objet d'art. Si on n'était point averti, on leprendrait pour une bornepresque cylindrique, c'est-à-dire unpeu plus large à la base qu'au sommet, laquelle se termine parune calotte sphérique fort aplatie et ne présentantaucune saillie sur le fût. Celui que j'ai rapporté del'Inde avait une hauteur d'un mètre, un diamètremoyen de0,25 à 0,30 m. et reposait sur une base également engranit d'un mètre et demi de côté, clans laquelleétait creusée au pied du fût une sorte de rainurecirculaire représentant le pli du yoni (partie sexuelle de lafemme) figuré par la base, ainsique cela a lieugénéralement.
Ainsi, même aujourd'hui, après trente sièclespeut-être, le linga et l'yoni ne sont point des images quiparlent aux sens, ce sont des corps géométriques servantde symboles, des fétiches.
Comme il ne s'est trouvé aucune trace de fétichismechez les Ariahs de l'époque védique, ni aucun autrefétiche dans le culte brahmanique postérieur, il fautpenser que le linga est le fétiche probablement trèsancien d'une race assujettie, peut-être les Daysous noirs, etque les Brahmes, pour s'attacher cette race, adoptèrent Sivaet le linga, en confondant à dessein Siva avec Roudra, le dieuvédique qui s'en rapprochait le plus par ses attributs: Sivaétait sans doute le dieu national d'une partie notable del'Inde avant la conquête Aryenne; car, dès lecommencement, il a reçu la qualification d'Issouara,l'être suprême.
Le linga n'avait point pénétré dans la religionvédique, où il n'y a point de culte du phallus. Stevensonet Lassen lui attribuent, avec beaucoup de preuves à l'appuide leur opinion, une origine dravidienne (la langue dravinienne,aujourd'hui le tamoul, est en usage dans tout le sud de lapéninsule).
Le linga apparaît dans la religion des Brahmes en mêmetemps que le Sivaïsme, et celui-ci s'y montreimmédiatement après la période des hymnes; quelquesmorceaux du yagur-véda (véda du cérémonial)supposent un état déjà avancé de la religionsivaïste.
Le temple d'Issouara (Siva, être suprême) àBenarès paraît avoir été très ancien; ilétait dans toute sa splendeur lors de la visite dupèlerin chinois Fa-Hien.
Encore aujourd'hui, c'est le sivaïsme qui domine àBenarès, la ville sainte et savante par excellence.
Plusieurs passages du Mahabarata ont trait au culte de Siva etdu linga; les Épopées, bien que Vichnouistes, supposentuneprépondérance antérieure du culte deMahadèva (le grand dieu, Siva, l'être existant parlui-même).
Dans les premières légendes bouddhistes, leLalita-Vistara, par exemple, Siva vient immédiatementaprès Brahma et Çakra (Indra). On sait qu'il y atoujourseu grande sympathie et nombreux rapprochements entre lebouddhisme et le sivaïsme, sans doute parce que ce dernierétait très rationnaliste et presque monothéiste,tandis que le vishnouvisme représentait le panthéisme etl'idolâtrie. Le sivaïsme est restélongtemps lareligion professionnelle des Brahmes lettrés.
Il y a maintenant dans le sud de l'Inde une secte spiritualistequi prétend professer le sivaïsme primitif. Elle a eupour interprète Senathi Radja dans son livre: «lesivaïsme dans l'Inde méridionale.»
Le sivaïsme, dit l'auteur, paraît être la plusancienne des religions; l'ancienne littérature dravidienne estentièrement sivaïste. Agastia est le premier sage qui aenseigné le monothéisme sivaïste, bien avant les sixsystèmes de philosophie hindoue, en le fondant à la foissur les Vedas et sur les Agamas, écrits qui n'ont jamaisété traduits dans aucune langue européenne. Voici lerésumé de la doctrine monothéiste:
«Tout est compris dans les trois termes: Dieu, l'âme,la matière.
Issouara ou Siva ouDieu est la cause efficiente de l'univers,son créateur et sa providence.
Siva est immuable, omnipotent, omniscient etmiséricordieux, il remplit l'univers et pourtant il endiffère.
Il est en union intime avec l'âme humaine immortelle, maisil se distingue des âmes individuelles qui sontinférieures d'un degré à son essence. Son union avecune âme devient manifeste quand celle-ci s'affranchit du jougdes sens, ce qu'elle ne peut faire sans la grâce dont Siva estle dispensateur.
La matière est éternelle et passive, c'est Siva qui lameut; il est l'époux de la nature entière qu'ilféconde par son action universelle.
Il n'y a qu'un dieu, ceux qui disent qu'il y a plusieurs dieuxseront voués au feu infernal.
La révélation de Dieu est une, la destinéefinaleest une, la voie morale pour l'humanité toutentière est une.»
De là vient sans doute le renseignement suivant, donnépar l'abbéDubois: chaque Brahmane dirait à son fils aumoment de l'initiation:«Souviens-toi qu'il n'y a qu'un seulDieu; mais c'est undogme qu'il nefaut point révéler parcequ'il ne serait point compris.»
Siva est le dieu de l'Inde qui a le plus de sanctuaires et lelinga est le symbole le plus répandu. On le trouve àprofusion au Cambodge où, tous les ans, à la fête durenouveau, on promène dans les rues en procession un immenselinga creux dans lequel se tient un jeune garçon qui en formela tête épanouie.
Chose curieuse! Le linga est la matière d'un ex-vototrès commun pour les ascètes au Cambodge. Voici, un peuabrégée, la dédicace d'un linga par l'un d'eux(Journal de la Société asiatique).
Om, adoration à Siva.
1°.—2°.—3°.—Formulespréliminaires d'adoration à Siva.
4°. Le linga érigé par l'ascète Djana-Prigadans le temps de l'ère Çaka exprimée par le chiffre6, les nuages 7 etles ouvertures du corps 9, soit le nombre 976;respectez-le, habitants des cavernes (ermites ascètes)voués à la méditation de Siva qui a résidéen lui.
5°. Réfugié auprès de tous ceux qui ont pouroccupation la science du maître des maîtres du monde(Siva), il l'a donné (le linga) à tous pour protégerle sattra (le soma offert en sacrifice comme symbole de la semencedivine de Siva) de ces ascètes aux mérites excellents,l'ayant tiré des entrailles de son corps.
6°. C'est le Seigneur en personne (le lingaest Sivalui-même), se disaient tous ceux qui ont des méritesexcellents (les ascètes). Aussi vouèrent-ils uneaffection éternelle à ce yoghi aspirant à ladélivrance (celui qui avait donné le linga).
7°. Pour lui, abattus par des haches telles que cellesdeMaïtri, et précipités dans cet océan qu'onappelle la qualité de bonté (la qualité debonté embrassait tout ce qui est excellent et saint),lesarbres qu'on appelle les six ennemis(les six sens) ne porterontplus aucun fruit.
8°. Sorti d'une race pure,il a accompli les oeuvres virilesqu'il avait à accomplir. Et maintenant, son âmepurifiée a en partage la béatitude suprême(même avant la mort dans sa retraite, etc.).
9°. On voit par cette dédicace que le voeu ou laconsécration d'un linga était un acted'austérité et que le linga, comme Siva, avait un culteplutôt sévère qu'aimable.
Le culte de Priape, en Grèce, paraît avoir eu àpeu près le même caractère. C'était unedivinité rurale dont le délicieux roman de Daphnis etChloé nous donne une idée respectable et sympathique,nullement licencieuse. Ce caractère paraît avoirchangé à Rome par l'effet du progrès del'érotisme dans toutes les religions de l'Inde. D'aprèsRichard Payne, auteur duCulte de Priape, Priape y avait un temple,des prêtres, des oies sacrées. On lui amenait pourvictimes de belles filles qui venaient de perdre leurvirginité.
La haute antiquité du culte du linga dans l'Inde et lacertitude aujourd'hui acquise d'une expansion ou éruption del'hindouisme vers l'Occident, antérieur auxsept sages de laGrèce, rendent très probable l'opinion que c'est del'Inde qu'est venu le culte phallique; d'abord associé sansdoute à celui des divinités assyriennes etphéniciennes dont l'une a pu représenter Siva, ils'établit ensuite avec éclat dansl'île de Chypre quilui fut consacrée tout entière. Il passa de là dansl'Asie Mineure, en Grèce et en Italie.
Rien de surprenant que, dans ces contrées où l'artétait tout, le linga, encore fétiche à Paphos, sesoit transformé en une image que les idéesdes anciens surles nudités, absolument différentes des nôtres, nefaisaient point considérer comme obscène et que lasculpture s'efforçât de rendre aussi belle et aussigracieuse qu'aucune autre partie du corps humain. C'est ce que l'onvoit dans la statue de l'Hercule phallophore qui porte une corned'abondance remplie de phallus, et dans un grand nombre decamées antiques. Sans doute on mit beaucoup de lingas oupriapes pour servir de délimitation ou de repère dans leschamps et les jardins. De là l'origine du dieu champêtrePriape. C'est la prédominance primitive de l'énergiemâle qui se continua dans la Grèce, tandis que, peuà peu, dans l'Inde, l'énergie femelle prenait le dessus.Chez les poètes anciens jusqu'à Lucrèce, Vénusest la déesse de la beauté, de la volupté, desamours faciles, des jeux et des ris plutôt que de lafécondité. Junon avait pour les épouses ce derniercaractère plus peut-être que Vénus; et une autredéesse, Lucine, présidait aux accouchements. Ce futprobablement par l'effet de la pénétration des idéesindiennes transformées, au sujet des énergies femelles,et peut-être aussi par un progrès naturel, que lespoètes philosophes tels que Lucrècecélébrèrent Vénus comme lamèreuniverselle: Venus omnium parens.
Le culte de Vénus dansl'île de Chypre réunitbeaucoup de traits du culte naturaliste de l'Inde à laprostitution sacrée des religions assyriennes etphéniciennes, le tout relevé par l'arc grec.
Le temple de Paphos dessinait un rectangle (forme des templesindiens et grecs) de dix-huit mètres de longueur sur neufmètres de largeur. Sous le péristyle, un phallus d'unmètre de hauteur, érigé sur un piédestal,annonçait l'objet du culte. Au milieu du temple se dressait uncône d'un mètre de hauteur (forme du linga), symbole del'organe générateur.
Tout autour du cône étaient rangées de nombreusesdéesses dans des poses appropriées au culte du temple(comme les gopies autour du dieu Krishna).
La statue de la déesse placée dans le sanctuaire al'index de la main droite dirigé vers lepubis (Latchoumy, ladéesse de la fécondité, figure dans les bas-reliefsdes pagodes avec un doigt placé immédiatement au-dessousdu pubis).
Le bras gauche s'arrondit à la hauteur de la poitrine etl'index de la main gauche est dirigé vers le mamelon duseindroit; on se demande si c'est un appel à la volupté oul'indication de l'allaitement.
Cette statue, oeuvre admirable de Praxitèle, est surtoutgracieuse et délicate; c'est la voluptéidéalisée (voir à ce sujet le chapitre des amours deLucien).
L'aphrodite phénicienne est au contraire un typeréaliste; elle a les formes massives, les flancs larges etrobustes, la poitrine rebondie, les hanches et le bassin largementdéveloppés; tout en elle respire la luxure.
A l'entrée de tous les temples naturalistesde Chypre, de laPhénicie, se dressent des colonnes de formes diverses,symboles de l'organe mâle. Il y avait toujours deux de cessymboles, colonnes ou obélisques, devant les templesconstruits par les Phéniciens, y compris celui deJérusalem.
Des érudits attribuent cette origine, comme emprunt fait autemple de Jérusalem, aux deux tours ou flèches de noscathédrales gothiques; l'auteur duGénie duchristianismene s'en doutait guère! Et cependant les menhirsde la Basse-Bretagne, tout à fait semblables àceux d'unegrande région du Décan, paraissent avoir appartenu aumême culte naturaliste[1].
Remarquons que les Sivaïstes et les Phéniciens,ceux-ci comme Sémites, avaient, outre les mêmes symboles,les mêmes croyances monothéistes.
Ce qu'on adorait à Paphos et dans les autres templesnaturalistes, c'était la volupté souveraine par l'uniondes sexes, l'amour universel dans le monde, la force productricechez les êtres animés.
[Note 1: Mgr Laouénan.—Les monuments celtiques sonttrès communs dans l'Inde; dansles plaines rocheuses quis'étendent parmi les massifs des gates orientales jusqu'àla Nerbudda et aux monts Vindhyas, on rencontre à chaque paspour ainsi dire des constructions identiques à celles quiexistent au nord et à l'ouest de l'Europe. D'après latradition locale ou l'opinion des habitants intelligents, lesmenhirs représentent le linga. Les étymologies appuientcette opinion.]
Dans les fêtes d'Adonis dont la légende est un mythesolaire, on célébrait le retour du soleil et de l'amouruniversel par des transports de joie, des chants et des dansesorgiaques (comme dans le culte de Krishna, incarnation deVishnou-Soleil).
Alors avaient lieu les prostitutions sacréesconsidérées comme des sacrifices (elles ont de l'analogieavec les Sakty pudja, sacrifices de la Sackty, que nous verronsplus loin s'établir dans le Sivaïsme).
«Sous de légers berceaux de myrthe et de laurier, sousdes tentes enguirlandées de fleurs, se tenaient lesHériodules, prêtresses de la déesse, jeunes etbelles esclaves grecquesou syriennes; elles étaient couvertesde bijoux, vêtues de riches étoffes, coiffées d'unemitre enrichie de pierreries, de laquelle s'échappaient leslongues tresses de leurs noires chevelures entremêlées deguirlandes de fleurs dans lesquelles se jouait une écharpeécarlate. Sur leurs poitrines aux seins fermes et arrondis,que protégeait une gaze légère, pendaient descolliers d'or, d'ambre et de perles ou de verre chatoyant, commeinsignes de leur office religieux; elles tenaient à la main unrameau de myrthe et la colombe, l'oiseau de Vénus.»
Ainsi parées, elles attendaient souriantes et toujoursprêtes à célébrer le doux sacrifice enl'honneur de la déesse avec tous ceux qui les en priaient.
Partout où domine le culte du Linga ou de seséquivalents, onest obligé de voir une émanation duSivaïsme primitif, divinisation du pouvoir rénovateur,avec un rôle secondaire pour la déesse de la beauté(dans l'Inde, Parvati, la femme de Siva).
Dans cette période reculée, Siva est la causeefficiente qui, par son énergie ou sa sakti comme instrument,produit ou détruit le monde qui a pour matrice la prakrite oula matière universelle (voir, pour la définition de laprakriti, le sankya commenté par M. Barthélemy deSaint-Hilaire). La sakty d'un dieu forme avec lui unseul êtreà double face. Peu à peu, par la prédominance de lasakty, le rôle de l'élément mâle diminua, puiss'effaça, mais ce fut assez tard. La prédominance de lasakty de Siva ne s'affirme que dans les derniers Pouranas et dansla littérature des Tantras qui commence au IVe siècle denotre ère.
Le culte des saktis, tel qu'il est décrit dans lesTantras,forme une religion à part, celle des Saktas, qui se divise enplusieurs branches et qui a sa mythologie spéciale. Ladivinité dominante est Mahadeva (Siva). Selon le VayouPourana, non-seulement Siva avait une double nature mâle etfemelle, mais sa nature femelle se divisa en deux moitiés,l'une blanche et l'autre noire, cette dernière sans douteimaginée pour la satisfaction des castes des Soudras (noirs).A la nature blanche, ou qualité de bonté, on rattacha lesSaktys ou déesses bienfaisantes, telles que Latchoumy,Seravasti, épouses de Vischnou et de Brahma; à la naturenoire Dourga, Candi, Cananda, toutes les saktys ou déessesredoutées. Mahadévi ou la sakty de Siva, qu'on supposeune transformation de Maya, le principe féminin des Vedas, sedéveloppa dans une infinité de manifestations ou depersonnifications de toutes les forces physiques, physiologiques,morales et intellectuelles, qui eurent chacune leurs dévots etleur culte. Comme plusieurs de ces déesses sont notoirementdes divinités aborigènes, il est vraisemblable quel'ensemble fut constitué par le groupement des divinitésfemelles des cultes aborigènes pour former une sorte depolythéisme féminin que les Brahmes acceptèrentcomme une religion populaire en y introduisant au dernierdegré les femmes mortelles, depuis les Brahmines.
Pour creuser une séparation plus profonde entre leBouddhisme et la religion populaire, les Brahmes avaientdéveloppé jusqu'à la fausser la Bakti, l'anciennedoctrine du salut par la foi et la dévotion ou la grâce,opposée à celle du salut par la boddhi (la connaissance),doctrine de l'ancienne thésophie, du sankia, du bouddhisme etde l'orthodoxie brahmanique moderneformulée par Cançara,le résurrecteur du Brahmanisme presque tué par leBouddhisme. La backti s'adresse, dans chaque secte, à lamanifestation du dieu la plus rapprochée, par exemple, chezles Vichnouvistes, non à Vishnou, mais à Krishna, le dieufait homme; il y répond par sa grâce. La dévotion audieu de la secte suppléait à tout, à la morale, auxoeuvres, à l'ascétisme, à la contemplation. Cettedoctrine est pleinement développée dans le chant duBienHeureuxet systématisée par Sandilya dans sesSutrasde laBakti, d'où Nagardjuna les a introduits dans le grandvéhicule bouddhiste. Par elle lareligion, jusque-làdérobée aux masses dans son essence, devient un fait desentiment que le sensualisme hindou change bien vite en un fait depassion.
En resserrant la dévotion sectaire sur une divinitétrès précise, la bakti a poussé àl'idolâtrie; elle a confondu d'abord le dieu avec son image,puis distingué entre les sanctuaires d'un même dieu. Delà une subdivision à l'infini des sectes et descultes.
La Bakti embrasse tout le vichnouvisme et une partie seulementdu sivaïsme.
Les bakta ou sectateurs de la Bakti se divisèrent en:maindroite, qui s'en tient aux Pouranas et à la dévotion pourleurs dieux et déesses mythologiques (les Pouranas sont lamythologiepopulaire recueillie officiellement par les Brahmes),etmain gauche, qui fait du Kaulo Upanishad et des Tantras une sortede veda particulier, adressant de préférence sadévotion aux énergies et divinités femelles etprincipalement à l'union des sexes etaux pouvoirs magiques.Les Tantras sont des livres d'érotisme et de magie.
Les rites de la main gauche unissent les deux sexes ensupprimant toute distinction de caste. Dans des réunions quine sont point publiques, les affiliés, gorgés de viandeset de spiritueux, adorent la sakti sous la forme d'une femme, leplus souvent celle de l'un d'eux; elle est placée toute nuesur une sorte de piédestal et un initié consomme lesacrifice par l'acte charnel. La cérémonie se termine parl'accouplement général de tous, chaque couplereprésentant Siva et sa Sakty et devenant identique avec eux.C'est absorbé dans la pensée de la divinité et sanschercher la satisfaction des sens que le fidèle doit accomplirces actes. Les catéchismes qui enseignent ces pratiques sontremplis de hautes théories morales et mêmed'ascétisme, mais en réalité, les membres de cesréunions ne sont que des libertins hypocrites. On prétendque beaucoup de brahmes en font secrètement partie bien quepubliquement ils affectent de les blâmer, parceque toutes cespratiques sont contraires aux règles sur les castes et lessouillures.
Ce fait n'est qu'une application particulière de lapolitique générale des Brahmes qui partout ontflatté les passions et semé la corruption, pourdétacher du bouddhismeles populations qu'il avait d'abordconquises.
C'est dans cette même pensée qu'ils ont constituéla grande secte essentiellement panthéiste de Vichnou, etprincipalement le culte de Krichna. Bien mieux encore que leSivaïsme, le Vischnouvisme, par sa théorie desincarnations et de l'action continue de Vischnou pour la conversiondu monde et par la divination de la vie dans toutes sesmanifestations, se prêtait à l'adoption de toutes lesdivinités, de tous les cultes, de toutes les superstitionsaborigènes.Actuellement l'Inde compte plus de 20,000 dieux, laplupart anciennes divinités locales qui sont adorées parles vishnouvistes, en même temps que Vichnou dans sesprincipales incarnations de Rama et de Krischna et dans sesattributs essentiels de dieu soleil, tel que le conçoivent unegrande partie des Hindous, surtout les plus instruits.
Krishna fut un prince, ou chef indigène (le mot krishnaveut dire noir), guerrier habile et heureux, qui rendit aux Brahmesdes services signalés dans le cours de leurs luttes contrelesKchattrias, et dont les premiers, en récompense, firent uneincarnation de Vichnou. Son culte et ses légendes, notammentcelles de ses amours avec Radha, furent, dès l'origine,très licencieux, et Krishna fut sans doute tout d'abord ledieu du plaisir. LeLalita-Vistara(vie poétique de Bouddha)confond Krishna avec Marah, le tentateur, le dieu de laconcupiscence. Pour les besoins de leur lutte contre le bouddhisme,les Brahmes relevèrent le culte de Krishna, fortgoûté du sensualisme hindou; ils lui laissèrentprobablement toute la licence de ses pratiques pour le bas peuple,mais en même temps ils s'efforcèrent de l'entourer auxyeux des classes élevées d'une auréole demysticisme. Krishna s'élève à une grande hauteur dephilosophie religieuse dans le chant duBien Heureux; soit rencontrefortuite, soit emprunt du philosophe grec, la théorie desdivinités secondaires, ministres du dieu principal, est lamême dans Platon et dans le poète hindou. On acommenté les amours de Krishna avec Rhada, comme uneallégorie figurant le commerce de l'âme avec Dieu. Mais,de même que nous l'avons vu tout à l'heure pour lesTantras et les catéchismes de la Sakty, il faut penser que ceprétendu amour divin n'existait que pour des ascètes, etque, au fond, c'était pour les Brahmes une manière decouvrir d'une apparence de piété l'érotisme duculte.
A mesure que la Bakti s'accentue dans le vichnouvisme et que lesmérites de la dévotion sont de plus en plusconsidérés comme dispensant de tous les autres, lareligion de Krishna plonge de plus en plus dans l'érotisme etfait parler davantage à l'amour divin le langage de lapassion. Cette tendance se montre avec un éclat incomparabledans le Baghavata pourana et avec plus d'intensité encore dansles remaniements populaires de cet ouvrage répandus dans toutel'Inde, notamment dans le Premsagar Indi (l'Océand'amour).
Le Baghavata Pourana donne des descriptions très lascivesdes amours deKrishna avec les gopies (bergères).
Le poëme lyrique deGita Govinda(le Chant du pâtre,Krishna) rappelle le Cantique des Cantiques et Lassen ne l'atraduit qu'en latin. Il n'a été dépassé enverve érotique que par l'ode à Priape de Piron.L'érotisme a infecté tous le vichnouvisme; M.Théodore Pavie a vu à Ceylan des scènesrépugnantes jusqu'au dégoût. Dans la province deBombay et au Bengale, les dévots de Krishna, surtout dans lescampagnes, ont des réunions de nuit où, en imitation desjeux de Krishna et des Gopies, ils s'exaltent en communjusqu'à un paroxysme frénétique et une licence sansbornes.
Krishna est le véritable dieu de l'amour pour les Hindous.Quant au dieu Kama, le Cupidon indien, c'est évidemment unemprunt fait aux Grecs. Le mot Kama signifie le plaisir charnel etil est employé dans ce sens par les plus anciensauteurs, enmême temps que le Darma (devoir religieux) et I'Artha (lascience de la richesse). Ces trois mots forment la trilogie hindouedes mobiles de nos actions. Comme les Hindous sont fort imitateurs,ils ont adopté le Cupidon des Grecs, aprèsl'établissement de ceux-ci dans une partie du Punjab, et luiont donné le nom déjà bien ancien de Kama. Il figureseulement dans une légende sans doute relativementrécente des Pouranas[2].
[Note 2: Le baron d'Ekstein dit: «Les Ariabs ontemprunté aux Cephenès,leurs prédécesseurs dansl'Inde, le dieu Kama,pareil à l'Eros des Grecs; ils l'ontembelli, _bien qu'il n'appartienne pas dans son principe àleur pensée cosmologique et ilsl'ontpostérieurementreproduit dans le Véda comme il estdécrit par Hosunt.]
Lesbayadères ne sont pas, comme on pourrait le croire,consacrées au dieu Kama; elles sont les épouses deSoubramaniar, le dieu de la guerre.
Après avoir reçu du paganisme Cupidon, sous le nom deKama, l'Inde, à son tour, semble lui avoir donné,commeimitation ou importation de ses pratiques de plus en pluscorrompues, surtout de celles des saktis de la main gauche, leculte de plus en plus corrompu de Priape, dont le chevalier RichardPayne nous a donné une histoire. En voici quelques traitsessentiels.
Avant la célébration d'un mariage, on plaçait lafiancée sur la statue du dieu, le phallus, pour qu'ellefût rendue féconde par le principe divin. Dans unpoème ancien sur Priape (Priapi Carmen) on voit une dameprésentant au dieu les peintures d'Éléphantis et luidemandant gravement de jouir des plaisirs auxquels il préside,dans toutes les attitudes décrites par ce traité.
Lorsqu'une femme avait rempli le rôle de victime dans lesacrifice à Priape, elle exprimait sa gratitude par desprésents déposés sur l'autel, des phallus en nombreégal à celui des officiants du sacrifice. Quelquefois cenombre était grand et prouvait que la victime n'avait pasété négligée.
Ces sacrifices se faisaient dans des fêtes de nuit, aussibien que tous ceux offerts aux divinités qui présidaientà la génération. Les dévots à cesdivinités s'enfermaient dans les temples et y vivaient dans lapromiscuité. Il y avait aussi des initiées dontPétrone a peint les moeurs dans quelques pages que nous avonsrésumées.
A Corinthe et à Ereix, ville de Sicile, il y avait destemples consacrés à la prostitution.
Selon l'érudit Larcher, Vénus était ladéesse qui possédait le plus grand nombre de temples dansles deux Grèces; on en comptait une centaine. Plusieurs villesde la Grèce, maissurtout Athènes et Corinthe,célébraient ses fêtes avec un nombre de bellesfemmes qu'on ne pourrait réunir aujourd'hui. Elle étaitencore plus en honneur à Rome dont elle étaitconsidérée comme la mère. Jamais peuple ne porta lasensualité plus loin que les Romains; hommes et femmes detoute condition et de tout rang se livraient avec fureur àtous les débordements.
Nous avons vu les Brahmes introduire l'érotisme le plusréaliste dans le culte, dans la religion et dans les livresqui en font partie intégrante, comme les Pouranas, lesTantras, lescatéchismes des Saktis, etc. Ils s'en étaientservi, bien avant la venue de Bouddha, pour captiver lespopulations sujettes et les rallier à leur cause dans leursluttes contre les Kchattrias. Le bouddhisme conquit l'Inde sicomplètement que les Brahmes presque partout furentdélaissés; la plupart durent, pour vivre, recourir àtous les métiers que Manou leur permetdans les temps dedétresse. Mais ils avaient la persistance et l'habiletédes aristocraties héréditaires. Gens essentiellementpratiques et aptes aux affaires, juristes, financiers,administrateurs, diplomates, au besoin soldats etgénéraux, dialecticiens vigoureux, subtils,polémistes sans scrupules, poètes élégants,ingénieux et quelquefois pleins d'éclat et de génie,ils se rendirent indispensables aux princes et aux grands par lesservices qu'eux seuls savaient leur rendre, et gagnèrent leurfaveur par l'agrément de leur esprit et de leurs talents etpar la souplesse de leur caractère. En même temps qu'ilsdéveloppaient dans les masses le vichnouvisme ou plutôtla religion de Krishna que le Bouddha avait condamnée, ilsproduisaient beaucoup d'oeuvres remarquables. Ils ennoblissaientpar de grandes épopées et popularisaient par deslégendes écrites les dieux et les héros. Restésles seuls héritiers du genre Aryen dans l'Inde etpossédant dans la langue sanscrite un admirableinstrument pourla poésie et la philosophie[3], ils renouvelèrent tout:hymnes, poèmes épiques, systèmes théosophiques,codes de lois. Ce fut une véritable renaissance. Des rois,amis de l'ancienne littérature, tinrent à leur cour desAcadémies de poètesaimables et de beaux esprits qu'ilspayaient fort cher. On y improvisait des vers et jusqu'à desmadrigaux et des épigrammes. Parmi ces poètes, on citeKalidaça, l'auteur du drame si admiré deÇakountala.Commencé avant l'ère chrétienne, ce mouvementlittéraire se continua jusqu'à la conquêtemusulmane. Cette littérature des Brahmes plaisait beaucoupplus que la soporifique et nuageuse métaphysique desBouddhistes. La faveur des princes les aidait à écraserleurs adversaires. Ils achevèrent de se la concilier en ayantpour leur usage et pour celui de ce qu'on appellerait aujourd'huila haute société et la bonne compagnie et poureux-mêmes, en ce qui concerne les plaisirs charnels, unemorale des plus faciles. Les règles ont ététracées par Vatsyayana dans leKama-Soutraou traité del'amour (art d'aimer), qui est considéré comme lechef-d'oeuvre et le code sur la Matière.
[Note 3: Ce mouvement extraordinaire suivit de prèsl'invention et l'adoption de l'écriture sanscrite quiservirent à la fois au Bouddhismeet à la renaissancebrahmanique, de même que la découverte de l'imprimeriefavorisa le développement de le Réforme et de laRenaissance.]
Ce livre doit être rattaché à la renaissancebrahmanique; il a été écrit pendant la lutte entreles brahmes et les bouddhistes, puisqu'il défend auxépouses de fréquenter lesmendiantes bouddhistes(on saitque les religieuses bouddhistes étaient mendiantes).
L'Inde a plusieurs autres livres érotiques fortrépandus, la plupart postérieurs auKama-Soutra.On seprocure facilement les suivants, écrits en sanscrit:
1° LeRatira hasya, ou les Secrets de l'Amour, par lepoète Koka. Il a été traduit dans tous les dialectesde l'Inde et est fort répandu sous le nom deKoka-Shastra; ilse compose de 800 vers, formant dix chapitres appelésPachivédas. Il paraît postérieurauKama-Soutraetcontient la définition des quatre classes defemmes: Padmini, Chitrini, Hastini et Sankini (voir l'appendice duchapitre II du titre I).
Il indique les jours et les heures auxquels chacun de cestypesféminins est plus particulièrement porté àl'amour. L'auteur cite des écrits qu'il a consultés etqui ne sont point parvenus jusqu'à nous.
2°Les Cinq flèches de l'Amour, par Djyotiricha, grandpoète et grand musicien; 600 vers, formant cinq chapitres dontchacun porte le nom d'une fleur qui forme la flèche.
3°Le Flambeau de l'Amour, par le fameux poèteDjayadéva, qui se vante d'avoir écrit sur tout.
4°La Poupée de l'Amour, par le poète Thamoudatta,brahmane; trois chapitres.
5°L'Anourga Rounga, oule Théâtre de l'Amour,appelé encore:Le Navire sur l'Océan de l'Amour,composé par le poète Koullianmoull, vers la fin du XVesiècle. Il traite trente-trois sujets différents et donne130 recettes ou prescriptionsad hoc. Voici les principales:
1re Recette pour hâter le spasme de la femme;
2e Pour retarder celui de l'homme;
3e Les aphrodisiaques;
4e Moyens pour rétrécir le yoni, pour le parfumer;
7e L'art d'épiler le corps et les parties sexuelles;
8e Recette pour faciliter l'écoulement mensuel de lafemme;
9e Pour empêcher les hémorragies;
10e Pour purifier et assainir la matrice;
11e Pour assurer l'enfantement et protéger lagrossesse;
12e Pour prévenir les avortements;
13e Pour rendre l'accouchement facile et la délivranceprompte;
14e Pour limiter le nombre des enfants;
21e Pour faire grossir les seins;
22e Pour les affermir et les relever;
23e, 24e, 25e Pour parfumer le corps; faire disparaîtrel'odeur forte de la transpiration; oindre le corps après lebain;
26e Parfumer l'haleine, en fairedisparaître la mauvaiseodeur;
27e Pour provoquer, charmer, fasciner, subjuguer les femmes etles hommes;
28e Moyens pour gagner et conserver le coeur de son mari;
29e Collyre magique pour assurer l'amour et l'amitié;
30e Moyen pour triompher d'un rival;
31e Filtres et autres moyens de captiver;
32e Encens pour fasciner, fumigations excitant lagénésique;
33e Vers magiques qui fascinent.
Etc. etc.
Il est évident que ce livre fourmille d'erreurs; selontoute probabilité, il ne dit rien qui ne soit acquis àlascience moderne.
L'Art d'Aimer, de Vatsyayana, se distingue de tous cesécrits par son caractère et sa forme exclusivementdidactiques. Chacune de ses parties forme un catéchisme:catéchisme des rapports sexuels sous toutes les formes et dufleurtage pour les deux sexes; catéchisme des épouses etdu harem; de la séduction et du courtage d'amour; et enfincatéchisme des courtisanes. C'est un document historiqueprécieux, car il nous initie de la manière la plus intimeaux moeurs de la haute société hindoue de l'époque(il y a environ 2,000 ans) et aux conseils de plaisir et deduplicité des Brahmes.
La curiosité qu'éveille le fonds ne suffirait peutêtre pas à faire supporter la sécheresse de laforme, si le lecteur était strictement limité auxleçons de Vatsyayana; pour éviter cet écueil on amis à la suite de chacune d'elles, dans un appendice auchapitre qui la contient, les équivalents ou lescorrespondants de la morale payenne qui se trouvent dans lespoètes, les seuls docteurs ès-moeurs del'antiquitépayenne; on a cité aussi quelques poèteshindous et deux morceaux concernant les Chinois. On acomplété chaque appendice par la morale Iranienne, soitla morale chrétienne empruntée à laThéologiemoraledu père Gury, en se bornant à un petit nombred'articles accompagnés quelquefois de renseignementsphysiologiques.
Ce rapprochement des textes divers se rapportant respectivementà chaque sujet, permet au lecteur de se faire une idéerelative très exacte des trois morales sur chaque pointtraité.
Celle quenotre raison préfère est évidemment lamorale Iranienne socialement le plus recommandable, source desplaisirs les plus purs et, par cela même, peut-être lesplus grands, parce que le coeur y entre pour une forte part.
La morale du Paganisme nous séduit par sa facilité,par l'art et la poésie qui l'accompagnent; mais, à laréflexion, nous sommes frappés d'unesupériorité del'Art d'Aimerde Vatsyayana sur celui despoètes latins. Ceux-ci ne chantent que la volupté, leplaisir égoïste, et souvent le libertinage grossier d'unejeunesse habituée à la brutalité des camps.Vatsyayana donne pour but aux efforts de l'homme la satisfaction dela femme. C'est déjà, indépendamment même de laprocréation, un point de vue altruiste par comparaison aveccelui auquel seplaçaient les rudes enfants de Romulus, telsque nous les ont dépeints Catulle, Tibulle et Juvénal. Onsait que ce dernier commence sa satyre sur les femmes de son tempspar le conseil de prendre un mignon plutôt qu'une épousepour laquelle il faudrait sefatiguer les flancs. La philopédie([Grec: philopaidia]) était plus en honneur à Rome que lemariage; elle était inconnue à l'Inde brahmanique;Vatsyayana n'en fait même pas mention.
Un autre avantage des Indiens sur les Romains, c'était ladécence extérieure dans les rapports entre les deuxsexes. Les bonnes castes de l'Inde n'ont jamais rien connu quiressemble à l'orgie romaine sous les Césars et au cynismede Caligula.
Dans l'antiquité, une intrigue amoureuse n'était pointune affaire de coeur. Pas pluschez les Indiens que chez lesRomains, on ne trouve dans l'amour ce que nous appelons latendresse; c'est là un sentiment tout moderne et quiprête à nos poètes élégiaques, tels queParny, André Chénier, etc., un charme que n'ont point lesLatins. Properce est le seul qui approche de la délicatessemoderne.
Mais la dureté romaine se retrouvait jusque dans lagalanterie. Les jeunes Romains maltraitaient leurs maîtresses.Au cirque, on représentait des scènes mythologiquesoù le meurtre, non point simulé, mais bien réel, semêlait à l'amour quelquefois bestial, et où souventont figuré Tibère et Néron.
Au contraire, l'Inde obéit à ce précepte:«Ne frappez point une femme, même avec unefleur.»
Nous rappellerons enfin que, dans l'Inde, l'amour est au servicede la religion, tandis qu'à Rome la religion (le culte deVénus par exemple) était au service de l'amour comme dela politique.
L'érotisme joue un grand rôle dans toutes lesfêtes religieuses desHindous, il en est pour eux le principalattrait.
Tels sont les contrastes que notre travail fait ressortir et ilsne sont pas sans intérêt pour la science desreligions.
Invocation.
Au commencement, le Seigneur des créatures[4] donna aux hommes et aux femmes, danscent mille chapitres, les règles à suivre pour leur existence, en ce qui concerne:
Le Dharma ou devoir religieux[5];
L'Artha ou la richesse;
Le Kama ou l'amour.
La durée de la vie humaine, quand elle n'est point abrégée par des accidents, est d'un siècle.
On doit la partager entre le Dharma, l'Artha et le Kama, de telle sorte qu'ils n'empiètent point l'un sur l'autre; l'enfance doit être consacrée à l'étude; la jeunesse et l'âge mûr, à l'Artha et au Kama; la vieillesse, au Dharma qui procure à l'homme la délivrance finale, c'est-à-dire la fin des transmigrations.
[Note 4: Le Seigneur des créatures est une qualification souvent donnée à Siva. Vatsyayana était donc Sivaïste comme tous les brahmes de son temps.]
[Note 5: Pour les Brahmes, le Dharma est le ritereligieux, le sacrifice, l'offrande, le culte, l'obéissance à la coutume. Pour les Bouddhistes, c'est la règle morale, le devoir philosophique.]
Le Dharma est l'accomplissement de certains actes, comme les sacrifices qu'on omet parce qu'on n'en aperçoit pas le résultat dans ce monde, et l'abstention de certains autres, comme de manger de la viande, que l'on accomplit parce qu'on en éprouve un bon effet.
L'Artha comprend l'industrie, l'agriculture, le commerce, les relations sociales et de famille; c'est l'économie politique que doivent apprendre les fonctionnaires et les négociants.
Le Kama est la jouissance, au moyen des cinq sens; il est enseigné par le Kama Soutra et la pratique.
Quand le Dharma, l'Artha et le Kama se présentent en concurrence, le Dharmaest généralement préféré à l'Artha et l'Artha au Kama. Mais pour le roi, l'Artha occupe le premier rang, parce qu'il assure les moyens de subsistance.
Toute une école, très nombreuse, fait passer l'Artha avant tout, parce que, avant tout, il faut assurer les besoins de la vie.
En pratique, toutes les classes qui vivent de leur travail, et tous les hommes qui convoitent la richesse, suivent le sentiment de cette école.
Les Lokayatikas prétendent qu'il n'y a pas lieu d'observer le Dharma, parce qu'il n'a en vue que la vie future dans laquelle on ignore s'il portera ou non son fruit.
Selon eux, c'est sottise que de remettre en d'autres mains ce que l'on tient. En outre, il vaut mieux avoir un pigeon aujourd'hui qu'un coq de paon demain, et une pièce de cuivre que l'on donne vaut mieux qu'une pièce d'or que l'on promet.»
Réponse à l'objection:
«1° Le livre saint qui prescrit les pratiques du Dharma ne laisse place à aucun doute.
2° Nous voyons par expérience que les sacrifices offerts pour obtenir la destructionde nos ennemis ou la chute de la pluie portent leur fruit.
3° Le soleil, la lune, les étoiles et les autres corps célestes paraissent travailler avec intérêt pour le bien du monde.
4° Le monde ne se maintient que par l'observance des règles concernant lesquatre castes et les quatre périodes de la vie.
5° On sème dans l'espérance de récolter.»
On ne doit point sacrifier le Kama à l'Artha parce que le plaisir est aussi nécessaire que la nourriture. Modéré et prudent, il s'associe au Dharma et à l'Artha. Celui qui pratique les trois est heureux dans cette vie et dans la vie future. Tout acte qui se lie à la fois aux trois ou seulement à deux ou même à un seul des trois peut être accompli. Tout acte qui, pour satisfaire l'un des trois, sacrifie les deux autres,doit être évité(par exemple, un homme qui se ruine par la dévotion ou le libertinage est insensé et coupable)[6].
[Note 6: Au temps de Vatsyayana, la philosophie Sankia et le Bouddhisme avaient complètement discrédité, au moins dans les hautes castes, les pratiques du Dharma brahmanique; ce n'était plus guère qu'une superstition populaire. On s'en aperçoit à la pauvreté des arguments que Vatsyayana oppose aux Lokayatikas.
On voit que le Dharma, I'Artha et le Kama avaient chacun des partisans exclusifs dont les préférences dépendaient de leur situation: quelques-uns choisissaient seulement deux de ces trois termes. Barthriari dit (Amour, stance 53): «Les hommes ont à choisir ici-bas entredeux cultes: celui des belles qui n'aspirent qu'à jeux et plaisirs toujours renouvelés, ou celui qu'on rend dans la forêt à l'Etre absolu.»]
Une partie des cent mille commandements, particulièrement ceux qui se rapportent au Dharma, forment la loi de Svayambha. Ceux relatifs à l'Artha ont été compilés par Brihaspati, etceux qui concernent le Kama ou l'amour ont été exposés dans mille chapitres par Nandi, de la secte de Mahadéva ou Civa[7].
[Note 7: Vatsyayana, on le voit par les mots en italique, prétend qu'il se borne à reproduire des préceptes édictés par la divinité depuis l'origine des choses et par conséquent obligatoires.]
Les Kama Shastras (codes de l'amour) de Nandi furent successivement abrégés par divers auteurs, puis répartis entre six traités composés par des auteurs différents, dont l'un, Dattaka, écrivit lesien à la requête des femmes publiques de Patalipoutra; c'est le Shastra ou Catéchisme des courtisanes[8].
[Note 8: De même que le Shastra des courtisanes de l'Inde a été écrit à leur requête, le 3e livre del'Art d'aimera été composé par Ovide, à la demande des femmes galantes de Rome: «Voici que les jeunes beautés, à leur tour, me prient de leur donner des leçons. Je vais apprendre aux femmes comment elles se feront aimer. [...]