Tongé et le mystérieux pentagone - Jacky Chabrol - E-Book

Tongé et le mystérieux pentagone E-Book

Jacky Chabrol

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Beschreibung

Après un accident inexpliqué, Tongé est hospitalisé pendant la pandémie du COVID-19. Retrouvant doucement ses esprits dans un monde confiné, il revisite les cinquante années passées, à cheval sur deux siècles. Tout s’entremêle entre ses questionnements, ses engagements, ses relations et ce mystérieux pentagone qui n’avait rien à voir avec le fameux bâtiment de Washington mais qui inquiétait sérieusement la police française…


À PROPOS DE L’AUTEUR

Jacky Chabrol est auteur de plusieurs livres parmi lesquels trois essais sur la désobéissance civile, la démocratie et le numérique. Il signe, avec Tongé et le mystérieux pentagone, une œuvre plus romanesque que les précédentes.

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Seitenzahl: 432

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Jacky Chabrol

Tongé et le mystérieux pentagone

© Lys Bleu Éditions – Jacky Chabrol

ISBN : 979-10-422-0140-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avertissements

Si de nombreux faits et événements relatés dans cette fiction se sont réellement déroulés en tout ou partie, et si des lieux sont facilement identifiables, il n’en est rien des personnages entièrement imaginés par l’auteur.

Aussi toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Pour ce qui est de Pentagone, le mystère reste entier !

À chaque lecteur et lectrice de trouver sa propre réponse !

Du même auteur

Éditions La Galipote (Vertaizon – 63) :

- Les vers virent au rouge (poésie) – 2003 ;
- Du social au climat – de 1968 à 2018, ½ siècle d’engagements entre social et écologie – 2018 ;
- Pourquoi désobéir, et comment ? – Essai 2019 ;
- L’auvergnat qui n’aimait pas le fromage, le petit garçon 1949-1960 – Mémoires d’enfance 2020 ;
- Pourquoi voter ? Ou comment retrouver son pouvoir citoyen – Essai 2021 ;
- Déconnectons-nous – Ensemble retrouvons notre capacité d’agir et de penser – Essai 2022.

Editions Bibliocratie (Internet) :

- Pensées de rêve et mots en grève – Nouvelles et poésie 2014

Préface

Né peu après la disparition des dinosaures, Jacky Chabrol a tout de suite signé un pacte avec l’amour. L’amour d’une mère, d’une grand-mère, l’amour de la femme, que l’on retrouve dans « L’auvergnat qui n’aimait pas le fromage », l’amour de la poésie et c’est là sa force, l’amour de son prochain. C’est sans doute l’amour de la technique et du son qui l’a fait entrer en poésie. Le slam, le théâtre, le spectacle, le cinéma ont forgé son goût pour les rencontres festives. Organisateur hors pair, il œuvre, depuis vingt-cinq ans, à faire avancer les luttes contre l’industrialisation agricole par la non-violence. Grâce à lui, bon nombre de citoyens ont compris que l’union faisait la force et les amitiés pérennes. Il a fait avancer la cause écologique et la lutte contre le réchauffement climatique. Voir son essai « Pourquoi désobéir et comment ? » Mais Jacky Chabrol est aussi un formidable conteur.

Dans ce roman « Tongé et le mystérieux pentagone », on en a la preuve. Tongé, animé par un idéal de fraternité, découvre ce qui se passe au Mexique, plus exactement au Chiapas ; tout naturellement de retour en France, il devient un Astérix d’Arvernhe. Il rencontre des pauvres, des riches, des personnes en difficulté, des personnes qui veulent que le monde change et, ensemble, ils agissent.

Il ne faudrait pas oublier la police qui est à la pacification des âmes ce que les termites sont à la charpente des maisons… Dès lors, Tongé joue. Comme sur un échiquier à cinq côtés, il se débrouille pour avoir un coup d’avance sur les termites… Jusqu’à quand ? Vous le découvrirez en le lisant.

Vous découvrirez aussi les nombreuses références aux mouvements sociaux, ainsi que l’importance d’actions mineures, auxquelles la presse n’est pas conviée. Exemple :

« Rappelons que le principal objectif de pentagone était de perturber les lieux de pouvoir et leurs membres, pas de faire une démonstration de force, avec des actions simultanées dans tout le pays, par une mobilisation de masse. »

Avec Tongé, Jacky Chabrol nous sert une lecture éclairante où l’intrigue nous permet de comprendre, tout en délicatesse, ce qu’on ne voit pas habituellement dans un essai ou dans un polar. C’est un excellent roman à mettre entre toutes les mains.

César Cassarine

Prologue

Dimanche 15 mars 2020, Clermont-Ferrand

Tongé descend à vélo à la gare SNCF où il doit retrouver Maxime ; il est inquiet, car c’est la première fois qu’un tel rendez-vous est organisé dans l’urgence.

Depuis que leur organisation secrète est opérationnelle, jamais une alerte de ce type n’a été nécessaire et si Maxime vient de Lyon c’est que cela doit être important.

Tongé essaye de rester calme, ce n’est peut-être qu’une mesure de précaution sans d’autres conséquences, il sera bientôt fixé.

Le soir est tombé et les rues sont désertes en ce dimanche de fin d’hiver encore frais, Tongé arrive à la fin de la descente de la rue de Durtol, il va rejoindre Fontgiève quand il sent la présence d’une voiture juste derrière lui. Tongé a l’habitude de ces courses à vélo où il faut partager la route, les pistes cyclables étant encore assez rares à Clermont.

L’instant d’après, sans qu’il n’ait pu s’en rendre compte, il est allongé au sol, inanimé.

En moins de quelques secondes, il est chargé dans la voiture avec son vélo, dont la roue avant s’est cassée dans le choc avec le trottoir. Personne n’a rien vu.

Lundi 16 mars, le matin. M. Jean, retraité, est sorti avec son chien, et comme chaque jour il rentre dans le petit square Amadéo. Il aime bien cette sortie matinale et ce square tranquille dans ce quartier peu animé. Il détache son compagnon à quatre pattes qui reprend son cheminement habituel à chercher les odeurs déjà connues ou nouvelles.

Mais ce matin, il y a quelque chose qui intrigue l’animal ; là près de ce bosquet, il sent une odeur de sang séché. Il reste à l’arrêt, comme lorsqu’il pratiquait la chasse il y a des années déjà.

M. Jean remarque tout de suite l’attitude de son chien et s’approche prudemment.

À moitié caché sous les branchages, il y a le corps d’un homme couché et immobile.

M. Jean regarde autour de lui, comme si un danger était présent, rien d’inhabituel !

Il se rapproche et voit que l’homme est blessé, mais qu’il semble vivant, car son corps est encore tiède. Il saisit son téléphone et compose le numéro d’urgence.

Un bon quart d’heure plus tard, les pompiers ferment les portes de l’ambulance et lancent leur sirène. Tongé, allongé sur une civière, est transporté en urgence au CHRU de Saint-Jacques.

À la gare, Maxime était arrivé à l’heure prévue. Ne voyant pas arriver Tongé, il avait tout de suite compris qu’il y avait un problème sérieux. Si Tongé avait eu un empêchement de dernière heure, Maxime aurait reçu un signe, d’une façon ou d’une autre. Maxime allait passer la nuit à Clermont et rentrer à Lyon tôt le lendemain pour aller à son travail comme chaque jour ; il serait alors temps d’enclencher les procédures de neutralisation des réseaux de Pentagone, au moins dans l’attente d’éclaircir la situation.

Il prendrait alors le temps de se renseigner sur ce qui était arrivé à Tongé, normalement, comme un copain qui prend des nouvelles.

Sa venue à Clermont avait été motivée par une alerte des cellules de Grenoble et Strasbourg sur des perquisitions inexpliquées chez des activistes proches de l’organisation, mais cela n’était peut-être qu’une fausse alerte. De toute façon, comme toujours dans leur pratique de précaution déjà bien rodée, il fallait enclencher les procédures de mise en sommeil et en sécurité.

L’absence de Tongé au rendez-vous pouvait être un autre signe, peut-être plus inquiétant, mais dans l’attente il ne fallait rien en conclure.

Première partie

Quand le passé remonte…

CHRU de Clermont-Ferrand, mars 2020

C’est l’effervescence à l’hôpital clermontois en ces tout premiers jours du printemps 2020, l’épidémie du coronavirus Covid-19 est bien installée en France, et beaucoup d’hôpitaux sont entièrement mobilisés pour tenter de juguler cette nouvelle épidémie.

Bien qu’un confinement décrété sur tout le territoire ait énormément ralenti toute activité, l’hôpital doit également continuer à assurer l’accueil et la prise en charge d’autres malades ou accidentés. Parmi ceux-ci, un homme d’une cinquantaine d’années pris en charge depuis quelques jours, certainement un cycliste renversé par une voiture. Son corps trouvé dans un square, et non pas sur la chaussée et sans vélo à proximité, porte néanmoins les traces d’un accident classique de la circulation.

Peut-être que l’automobiliste responsable de l’accident a voulu brouiller les pistes en laissant le blessé là, sans son vélo, c’est du moins ce que les policiers ont inscrit sur le procès-verbal lors de leur constat, sur place.

Lorsque le blessé fut ausculté aux urgences, un rapide diagnostic fit état d’une large plaie au niveau de la cheville droite, de plusieurs contusions sur le reste du corps et d’un choc à la tête. Si le cycliste avait un casque, celui-ci avait dû se détacher lors de la chute.

Dans l’urgence, le blessé est mis sous perfusion, ses plaies désinfectées et pansées en attente d’un examen plus approfondi. Une carte d’identité trouvée sur lui révèle son nom, son âge et son lieu de résidence, il est sans connaissance depuis son arrivée, mais son état général ne fait pas craindre pour sa vie.

Dans les heures qui suivent, une première intervention a lieu sur sa jambe qui semble la plus touchée. Une radio du crâne ne montre aucune lésion, seulement un hématome qu’il faudra résorber et surveiller pour éviter toute formation d’un caillot de sang qui pourrait aggraver son état.

***

Tongé reprend lentement connaissance, il est allongé dans un lit dans une chambre qu’il ne connaît pas, mais rapidement il réalise qu’il doit être dans un hôpital. Il est sous perfusion, à côté d’un chariot équipé de plusieurs appareils. Il a mal partout et sa tête semble peser une tonne, il ne peut guère bouger, il prend conscience qu’il doit rester tranquille et attendre.

Il se rendort rapidement, on a dû le mettre sous calmants.

Une voix qui semble lointaine le sort de son sommeil. Il ouvre lentement les yeux et aperçoit un homme et une femme au pied de son lit, tous deux revêtus d’une tenue entièrement étanche, avec masque et lunettes. Ce n’était donc pas un rêve, il est réellement dans une chambre d’hôpital et dans un état dont il n’a aucune idée, mais vivant.

— Monsieur, vous m’entendez ? Vous avez eu un accident de la circulation. On vous a opéré d’une fracture de votre cheville droite, vous avez la jambe immobilisée. Vous avez également eu un choc à la tête, mais sans gravité, également d’autres contusions, notamment à hauteur de votre poitrine. Vous n’avez rien de cassé à ce niveau-là, mais vous pouvez ressentir quelques douleurs pour respirer.

Vous êtes sous sédatifs et antalgiques, votre état général ne nous inquiète pas, mais vous devrez rester quelques jours sans bouger. Nous devons nous assurer qu’il n’y a pas d’autres conséquences, notamment au niveau de votre circulation sanguine.

Ne vous inquiétez pas, si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous appelez l’infirmière, vous devez simplement patienter et vous reposer.

Tongé voulait parler, il avait l’impression d’avoir la tête pleine de questions, il ne trouvait pas ses mots et sa bouche desséchée ne semblait pas lui obéir. Il regardait les deux soignants qui lui souriaient, il avait compris ce qu’ils lui avaient dit.

Le médecin continua :

— Vous aurez bientôt toutes les réponses à vos questions, nous avons prévenu chez vous, c’est votre nièce qui nous a répondu. Vous savez que pour le moment toute visite est interdite à cause de l’épidémie, mais nous tiendrons informés vos proches de votre état. Soyez rassuré, tout ira bien.

On vous laisse maintenant, comme vous devez l’imaginer, l’ensemble du corps médical est un peu bousculé, mais on ne vous laisse pas tomber.

L’épidémie, c’était ça qui expliquait leur tenue particulière, ce n’était pas de lui que les soignants se protégeaient en se tenant à l’écart, c’était pour protéger les patients sains.

Tongé essayait de se rappeler les heures passées, mais depuis combien de temps était-il là ? Deux jours, trois, peut-être plus…

Mais que faisait-il avant ?

L’épidémie, oui, effectivement, il se souvenait… Mais il avait dû sortir pour avoir un accident ? Pour quoi faire ? Des courses ? Tout était trouble dans sa mémoire et sa tête bourdonnait… Depuis quelques années, Tongé partageait sa maison clermontoise avec Sylvie, une amie rencontrée des années avant, et Noémie, sa nièce et filleule venue faire ses études dans une faculté clermontoise.

C’était elle qui avait reçu le message de l’hôpital, elle préviendrait ses parents, il ne fallait pas qu’ils s’inquiètent… Pour l’instant, il ne pouvait rien faire de plus, juste bouger les bras pour atteindre la sonnette d’appel.

Dans ces cas-là, entre deux sommes, il faut s’occuper l’esprit. La chambre dans laquelle il était avait une fenêtre, en partie obstruée par le volet déroulant, on ne voyait pas l’extérieur. Pas de bruits venant de dehors ou des pièces voisines.

Tongé se mit à réfléchir à son état, finalement ça pourrait être pire, à cinquante ans passés il avait encore une bonne condition physique, qu’il entretenait régulièrement. C’était un atout qui avait dû limiter les dégâts.

S’il était à vélo, une voiture l’avait renversé, ou était-il tombé tout seul ? Il ne se souvenait pas des circonstances, mais le choc avait dû être violent. Il avait déjà fait des chutes à vélo, mais jamais au point de se retrouver dans un lit d’hôpital.

Peut-être que la mémoire lui reviendra. Le manque de communication avec l’extérieur lui pesait, il demanderait s’il peut téléphoner, la chambre n’était pas équipée et il ne prenait quasiment jamais son portable avec lui pour une simple course.

En attendant, il s’occuperait l’esprit en réfléchissant à la situation générale et à ce qu’ils avaient entrepris avec ses camarades, depuis quelques années. L’épidémie avait un peu mis en veilleuse leur activité clandestine, c’était l’occasion pour penser à l’après, allaient-ils continuer leurs actions de la même manière ?

Avec Sylvie, Maxime, Misou et Julien, ils avaient commencé à se poser la question, et puis le coronavirus était venu perturber quelque peu la situation.

Cela faisait penser à certains scénarios qu’avaient listés les collapsologues, dans leurs écrits sur l’effondrement. Dans le cas présent, un simple virus perturbait l’économie mondiale et faisait ressentir les fragilités d’une société mondialisée, entièrement tournée vers la recherche d’un profit immédiat.

Dans cette nouvelle donne, il convenait que Pentagone prenne en compte la situation. L’organisation secrète qu’ils avaient fondée avec ses quatre camarades avait pour objectif de participer à l’accélération de la chute de cette société, avant qu’un effondrement non maîtrisé provoque des dégâts irréversibles pour les humains et l’environnement dont ils dépendaient.

Tongé avait des difficultés pour réfléchir en profondeur, il préféra s’évader en pensant à ses quatre amis et ses proches, Noémie, sa nièce, les autres membres de sa famille…

Il s’endormit l’esprit vagabond… Des images défilaient, remontant le temps… Puis le calendrier s’arrêta en 1983, les images étaient celles de l’île d’Oléron, pendant les vacances d’été ! À cette époque, Tongé se nommait encore Gérald et il avait 14 ans !

Gérald, Maxime et Misou couraient comme des fous sur la plage, le soleil les enveloppait d’une chaleur remplie de gouttelettes iodées. L’insouciance d’un début d’adolescence heureux où le temps ne compte pas, le présent remplissant des journées qui se succèdent identiques et sans souci.

***

Gérald était né le 1er avril 1969, ce qui ne manquait pas de lui valoir nombre de plaisanteries. Ses deux parents s’étaient connus pendant les événements de mai 1968 et Gérald en était le résultat !

Son père, Roger, était originaire du bassin minier de Brassac-les-Mines et donc naturellement issu d’une famille de mineurs. Gérald n’avait jamais connu les mines, fermées au tout début des années 60, mais il avait grandi dans cette ambiance de cité où étaient mêlées des populations d’origines diverses : italienne, polonaise, espagnole, sans compter les diverses régions de France…

Après le collège, Roger fut admis à l’école professionnelle Michelin à Clermont-Ferrand et, après un CAP d’électricien, tout naturellement embauché dans une des nombreuses usines de la capitale arverne.

Julia était d’origine portugaise, sa famille avait suivi le père venu, lui aussi, travailler à la manufacture de pneus.

Julia avait deux frères plus âgés qu’elle, toute la famille avait longtemps résidé dans une de ces petites maisons de la cité de Montferrand, cité également construite pour les « Bib », comme on désignait les employés de la grande maison clermontoise.

Après le lycée, Julia avait fréquenté la faculté Blaise Pascal, d’où elle était sortie avec un diplôme d’histoire, puis elle avait préparé l’agrégation. C’est à cette période qu’elle avait rencontré Roger, dans un bar de la place Gaillard, L’Union.

Pendant les événements de mai-juin 1968, ce bar était un lieu de rencontres entre des étudiant(e)s et de jeunes ouvrier(e)s.

Julia était déjà engagée au sein du syndicat étudiant l’UNEF et Roger l’avait remarquée lors d’un meeting à Gergovia, dès lors ils ne s’étaient plus quittés et 20 ans plus tard ils étaient toujours ensemble.

Avec l’aide de leurs parents respectifs et peu après la naissance de Gérald, ils avaient emménagé dans une vieille maison bourgeoise sur les côtes de Clermont, maison en mauvais état, et donc d’un prix abordable, et que Roger avait entièrement restaurée au fil des ans.

Ayant quitté son travail à l’usine en 1971, ne supportant plus le climat d’une hiérarchie pesante et d’une organisation du travail incompatible avec l’espoir créé au sein de cette jeunesse d’après 68, il s’installa comme réparateur électroménager, transformant le sous-sol de leur récente demeure en atelier. Gérald était fils unique, Julia et Roger, très heureux d’avoir eu ce fils dans l’euphorie d’une révolution inaboutie, avaient décidé, d’un commun accord, de ne pas avoir d’autres enfants… Ils se questionnaient déjà trop sur l’avenir de la génération suivante.

Gérald avait donc grandi dans cette ambiance entre une mère intellectuelle et un père manuel, dans une maison souvent remplie de militants politiques et syndicaux où chaque semaine le monde était reconstruit !

Depuis, les côtes clermontoises s’étaient recouvertes de constructions et leur maison au centre d’un grand jardin détonnait dans cet ensemble de pavillons des années 70.

***

Le père de Misou était un des frères de Julia, la maman de Gérald. Misou avait perdu sa mère, décédée suite à une septicémie lors de sa naissance. Son père l’avait élevée seul ; employé de la grande maison auvergnate, et en travaillant sur le rythme des 3x8, il n’avait pas les disponibilités pour être suffisamment présent. Alors, pendant les vacances scolaires et d’autres occasions, c’était tout naturellement que Misou passait autant de temps chez sa tante et son oncle, Julia et Roger.

Avec Gérald, ils avaient grandi ensemble. Gérald, de deux ans à peine son aîné, considérait Misou comme sa petite sœur, c’était une complicité entière, ils n’avaient aucun secret l’un pour l’autre.

Pendant les vacances d’été, sur l’île d’Oléron, Gérald, Misou et Maxime, qui les accompagnait pendant tout le séjour, étaient inséparables. Ils avaient tout fait ensemble, des pâtés de sable à l’école de voile, et évidemment les interminables balades à vélo entrecoupées de longues parties de pêche à pied, lors des marées basses.

Devenus adolescents, ils continuaient à former la « bande du camping » avec d’autres résidents réguliers, les boums et les feux de camp sur la plage, avec un lecteur de cassettes pour l’ambiance musicale de ces années 80.

Gérald et Maxime se connaissaient depuis que leurs deux familles avaient pris l’habitude de passer leurs vacances d’été dans ce camping, proche de Boyardville, juste en face du fameux fort qui n’était pas encore la vedette télévisuelle qu’il deviendra.

Depuis cette année de 1976, ils avaient continué à se voir régulièrement tout en poursuivant leurs études chacun de son côté, Maxime à Grenoble et Gérald à Clermont-Ferrand.

En pensant à sa cousine, Tongé, dans un état mi-comateux, revoyait tous ces moments de simples petits bonheurs. Ses parents avaient une grande caravane, avec deux chambres, qu’ils laissaient en permanence sur l’île et qu’ils retrouvaient chaque été. Mais dès l’âge de 14 ans, les deux cousins avaient exigé d’avoir une tente indépendante pour tous les deux. C’était leur maison à eux pendant 5 à 6 semaines, là ils se racontaient tout, leurs chagrins, leurs joies et leurs espoirs pour plus tard.

Ils s’étaient promis de ne jamais se quitter de vue, quoi qu’il puisse arriver ; ils avaient même déjà programmé que lorsqu’ils seraient mariés, chacun de son côté, ils partageraient une partie de leurs vacances avec leurs enfants, tous réunis.

***

Tongé ouvrit un œil, la chambre était plongée dans la pénombre, il avait la gorge sèche, il appuya sur la sonnette, et un court instant plus tard apparut l’infirmière de garde.

Tongé arriva difficilement à s’exprimer, mais l’infirmière comprit, elle revint avec un flacon muni d’une pipette, elle expliqua à Tongé que depuis qu’il avait repris connaissance il pourrait commencer à s’alimenter, mais il fallait commencer doucement, il pouvait avaler une gorgée en espaçant chaque prise.

On lui apporterait, dans la soirée, une compote et demain il aurait son premier vrai repas.

L’infirmière profita de sa venue pour vérifier la poche accrochée au bord du lit, Tongé comprit alors qu’il était sondé. Il n’avait même pas réalisé qu’il était couché sans aucune possibilité de se lever depuis plusieurs jours.

Le liquide coulant dans sa gorge avait un goût de source, tel qu’on peut encore en boire dans certains lieux sauvages d’Auvergne.

Tongé referma les yeux, à quoi pensait-il à son réveil ? Ah oui, Maxime ! Il lui semblait, étrangement, que Maxime était tout proche et qu’il essayait de lui dire quelque chose.

Tongé se rendormit et il lui sembla entendre un train entrer en gare !

Berlin, 1989 !

Gare de Berlin, vendredi 3 novembre 1989, 10 h du matin, Gérald descend du train en provenance de Paris.

Maxime est là sur le quai comme prévu, les deux amis se saluent chaleureusement, heureux de se retrouver pour ces quelques jours à passer ensemble.

Maxime, qui poursuit ses études à Berlin, avait invité son vieux copain à venir le rejoindre en ce début novembre ; ils avaient prévu une visite complète de la ville et Gérald avait apporté son appareil photo, bien décidé à revenir avec des souvenirs de ce séjour.

Pour l’heure et devant un café, Maxime détaillait à Gérald le programme qu’il avait concocté pour ces quelques jours, c’était la première fois que Gérald posait les pieds en Allemagne et il était impatient de découvrir cette ville dont Maxime parlait avec un enthousiasme débordant.

Maxime était installé, depuis un an, dans un grand appartement du centre-ville, qu’il partageait avec deux autres étudiants, venus, comme lui, prolonger leurs études en Allemagne, dans le cadre de ce programme franco-allemand en place depuis le milieu des années 70.

Gérald, lui, attendait de rentrer à l’école Louis Lumière, qui venait de déménager à Noisy-Le-Grand, en Seine-Saint-Denis, après plus de 60 ans passés dans la capitale parisienne.

École très renommée qui avait formé des générations de professionnels du son et de l’image de haut niveau.

Gérald avait été reçu au concours d’entrée après avoir fait un an de prépa. À la sortie du lycée, il s’était d’abord inscrit à l’école d’architecture de Clermont puis il s’était rendu compte qu’il recherchait autre chose. Passionné de photographie et pratiquant le théâtre amateur, il s’était intéressé aux carrières du son et de l’image et c’est tout naturellement qu’il avait postulé à cette école prestigieuse. Mais comme le concours d’entrée était très sélectif, il avait suivi un an de préparation en sciences, ce qui lui avait réussi puisqu’il faisait maintenant partie de la promo 1989.

Il en était particulièrement fier et heureux et, en attendant la rentrée prévue mi-novembre, il était bien décidé à profiter de sa venue à Berlin pour en rapporter quelques photos exemplaires. Ce matin du 3 novembre, il était très loin d’imaginer ce qu’il allait ramener !

Après avoir déposé ses affaires dans l’appartement de Maxime, les deux copains flânèrent dans le centre de cette ville toujours coupée en deux.

Maxime avait prévu, pour ce premier midi, un repas dans un restaurant connu pour ses spécialités berlinoises.

Il profita de ce moment pour expliquer à Gérald la situation politique qui semblait s’accélérer ces dernières semaines. Gérald ne suivait que très peu l’actualité et il faut dire que les nouvelles n’arrivaient que parcimonieusement en France.

— Tout a commencé au printemps, la Hongrie ouvre « son rideau de fer », en Pologne un nouveau premier ministre est élu, il est issu du mouvement Solidarnosc.

Les Allemands de l’Est commencent à quitter le pays par milliers, ils rejoignent la RFA par la Hongrie, puis l’Autriche. Des tentes sont installées dans l’ambassade de la RFA à Prague, où 4000 réfugiés sont accueillis. Le 30 septembre, un accord est conclu avec la RDA pour qu’ils puissent légalement émigrer à l’ouest.

En RDA, la contestation prend de l’ampleur ; à partir de septembre, chaque lundi, des manifestations sont organisées ; le 16 octobre, ils étaient 200 000 manifestants dans les rues de Leipzig. À Berlin-Est, plus de 300 000 personnes ont défilé en appelant à la liberté d’expression, la liberté de la presse et le droit de se réunir, la police n’est pas intervenue ! Les manifestations se sont poursuivies dans une quarantaine de villes de RDA.

Voilà aujourd’hui la situation, conclut Maxime, tu arrives ici à un moment un peu tendu, personne ne sait ce qui va se passer, tout le monde regarde du côté de l’Union soviétique, car le gouvernement de RDA semble complètement dépassé. Mikhaïl Gorbatchev, venu à Berlin-Est célébrer le quarantième anniversaire de la naissance de la RDA, a bien stipulé que le recours à une répression armée était à exclure, mais on reste prudent, il y a tellement eu de déceptions par le passé !

Demain, on ira faire un tour du côté du mur et de la fameuse porte de Brandebourg, en attendant je t’emmène au bord de la Havel, c’est notre plage à nous, les jeunes de l’ouest. Bon, c’est pas la bonne saison pour se baigner, mais on peut faire un tour en barque. Ce soir, petite fête chez moi, avec des amis, et je te présenterai Romane, une étudiante tchèque qui a réussi à obtenir une bourse pour venir étudier à Berlin.

Gérald eut un grand sourire, tout en reprochant à son ami cette petite cachotterie, Maxime avait une nouvelle petite amie et il n’en savait rien !

La soirée fut fort sympathique, bien que Gérald n’ait fait que deux ans d’allemand au lycée. Tous ces jeunes arrivaient à se comprendre assez facilement, très souvent en anglais et pour quelques-uns en français. On sentait que pour cette nouvelle génération, l’Europe se construisait dans l’échange direct, bien au-delà des accords entre États et des échanges commerciaux qui s’amplifiaient depuis la création de la communauté européenne.

Cette Union européenne, commencée à 6, comprenait maintenant 12 pays depuis l’intégration de la Grèce, puis de l’Espagne et du Portugal. Et ce n’était certainement pas encore fini, mais pour l’heure, l’Europe était encore divisée en deux blocs, l’est et l’ouest, et même si l’on sentait une certaine évolution de l’autre côté de ce fameux rideau de fer, le clivage était bien présent.

Si les étudiants, réunis ce soir-là dans cet appartement du centre de Berlin, écoutaient les tubes de l’époque encore très marqués par le rock’n’roll et la pop des années 70, à l’est, les jeunes aussi découvraient cette musique, les ondes radio ne s’arrêtant pas à un mur de béton et de barbelés !

En regardant Romane très à l’aise parmi les amis de Maxime qu’elle semblait bien connaître, Gérald ne put s’empêcher de penser que sa génération connaîtrait des changements importants. La guerre de 39-45 paraissait loin et cette nouvelle « guerre froide », qui perdurait depuis plus de 25 ans, ne pourrait pas résister à la volonté de toute une jeunesse qui ne désirait que vivre en paix et en harmonie.

Romane était très jolie et Gérald était content pour son ami qui avait l’air très amoureux ; depuis qu’ils étaient devenus comme des frangins qui se disaient tout, Gérald n’avait jamais ressenti son pote aussi bien dans ses baskets.

Le lendemain, les visites commencèrent sérieusement, la matinée fut passée près de cette fameuse porte entre l’Est et l’Ouest et toujours fermée et étroitement surveillée. Le mur ondulait de chaque côté comme un serpent qui se perdrait au loin dans les hautes herbes, mais là c’était au beau milieu d’une ville, entre les maisons, coupant des rues et séparant des familles autrefois voisines et amies.

Il avait beau avoir vu des dizaines de fois des photos de ce célèbre mur, là c’était différent, on sentait une vie de chaque côté, ce n’était plus une image fixe, mais comme un traveling de cinéma qui balayerait des toits, des murs, des fenêtres fermées, comme une vie arrêtée un jour, et qui attendait le clap de la scène suivante pour revivre.

Gérald photographiait tout, les détails, les gros plans de ces fils de fer barbelés à travers lesquels on pouvait apercevoir « l’autre côté », comme devant une prison dont on sait qu’elle est remplie, sans connaître aucun de ses résidents.

Impression étrange qui ne pouvait se ressentir que là, au pied de cette frontière voulue par certains hommes ; qu’avaient pensé ces hommes pour bâtir ce mur ?

Avaient-ils peur ? De quoi ?

Gérald prenait beaucoup de temps à soigner ses prises de vue, le numérique n’était pas encore là, permettant des mitraillages sans cadrage ni réflexion. Il visait spécialement tous ces graffitis qui exprimaient à leur manière l’incompréhension d’un tel partage, il y avait à la fois une expression artistique et politique ; ça parlait à Gérald qui avait cette double sensibilité, héritée très certainement de ses deux parents.

Il dit à Maxime qu’il aimerait bien revenir à la tombée du soir, moment où la lumière serait différente, pour avoir d’autres couleurs, un autre relief, qui permettraient à cette surface plane d’apparaître sous une autre forme, peut-être plus ronde, plus douce. La transformer en mur d’expression plutôt qu’en mur d’exclusion.

Le soir venu, la pluie avait fait son apparition, c’était partie remise, le lendemain était un dimanche, Maxime et sa bande de copains avaient pour habitude de se retrouver au bord de l’eau pour un pique-nique, et Gérald se joint à eux avec entrain, il appréciait cette bande d’étudiants et ces discussions mêlées d’humour et de chamailleries.

Ils continueraient la visite de la ville lundi.

En attendant, Gérald ressentait le besoin de se documenter un peu plus sur l’histoire de cette ville coupée en deux, Maxime avait toute une documentation à disposition, avec des guides touristiques en français, Gérald se plongea dans la lecture.

Tout avait commencé à la fin de la guerre de 39-45, lorsque les Alliés (Russes, Américains, Anglais et Français) s’étaient « réparti » le territoire allemand en zones militaires et y avaient installé des bases ; c’est pour cette raison que nombre d’appelés français pouvaient se retrouver sur le sol allemand pour effectuer leur service militaire ; ça, Gérald le savait.

Il recherchait plus précisément les détails concernant la construction de cette séparation entre Est et Ouest.

Le mur de Berlin (en allemand Berliner Mauer), « mur de la honte » pour les Allemands de l’Ouest et officiellement appelé par le gouvernement est-allemand « mur de protection antifasciste », est érigé en plein Berlin dans la nuit du 12 au 13août1961 par la République démocratique allemande (RDA), qui tente ainsi de mettre fin à l’exode croissant de ses habitants vers la République fédérale d’Allemagne.

Plus qu’un simple mur, il s’agit d’un dispositif militaire complexe comportant deux murs de 3,6 mètres de haut, avec un chemin de ronde, 302 miradors et dispositifs d’alarme, 14 000 gardes, 600 chiens et des barbelés dressés vers le ciel. Un nombre indéterminé de personnes furent victimes des tentatives de franchissement du mur. En effet, des gardes-frontière est-allemands et des soldats soviétiques n’hésitèrent pas à tirer sur des fugitifs.

Depuis sa création en 1949, la RDA subit un flot d’émigration croissant vers la RFA, particulièrement à Berlin. La frontière urbaine est difficilement contrôlable, contrairement aux zones rurales déjà très surveillées. Entre 2,6 et 3,6 millions d’Allemands fuient la RDA par Berlin entre 1949 et 1961, privant le pays d’une main-d’œuvre indispensable au moment de sa reconstruction et montrant à la face du monde leur faible adhésion au régime communiste. Émigrer ne pose pas de difficulté majeure, car, jusqu’en août 1961, il suffit de prendre le métro ou le chemin de fer berlinois pour passer d’est en ouest, ce que font quotidiennement des Berlinois pour aller travailler.

Pendant les deux premières semaines d’août 1961, riches en rumeurs, plus de 47 000 citoyens est-allemands passent en Allemagne de l’Ouest via Berlin. De plus, Berlin-Ouest joue aussi le rôle de porte vers l’ouest pour de nombreux Tchécoslovaques et Polonais. Comme l’émigration concerne particulièrement les jeunes actifs, elle pose un problème économique majeur et menace l’existence même de la RDA.

Les deux parties de la ville connaissent des évolutions différentes. Berlin-Est, capitale de la RDA, se dote de bâtiments prestigieux autour de l’Alexanderplatz et de la Marx-Engels-Platz. Le centre (Mitte) de Berlin, qui se trouve du côté est, perd son animation. En effet, l’entretien des bâtiments laisse à désirer, surtout les magnifiques bâtiments situés sur l’île des musées, en particulier l’important musée de Pergame. Poursuivant le développement d’une économie socialiste, le régime inaugure en 1967, dans la zone industrielle d’Oberschöneweide, le premier combinat industriel de la RDA, le Kombinat VEB Kabelwerke Oberspree (KWO) dans la câblerie. En 1970, débute la construction d’immeubles de onze à vingt-cinq étages dans la Leipzigerstrasse qui défigurent l’espace urbain.

À cette lecture, Gérald comprenait mieux que son séjour à Berlin allait se limiter à la visite d’une ville déchirée, et amputée de nombreux bâtiments historiques. Berlin n’était plus la capitale rayonnante du siècle dernier et ce n’était pas demain que cela allait changer.

Les jours suivants, lorsque Maxime était libéré de ses cours, les deux jeunes hommes parcouraient la ville : musées, cathédrales, parcs publics, etc.

Il y avait quand même beaucoup de choses à voir, certains monuments étaient encore en restauration suite aux nombreux et violents bombardements des années de guerre.

Cela faisait déjà cinq jours que Gérald était là, il ne lui restait plus que trois journées pleines avant de repartir ; l’École Louis Lumière accueillait les nouvelles promos le mardi 14 et il devait préparer cette rentrée. À Paris, il occupait une chambre chez une famille, lointains cousins du côté de sa branche paternelle. C’était là qu’il avait passé son année de prépa, peut-être devrait-il déménager pour se rapprocher de l’école et ainsi éviter de nombreux déplacements. Il verrait tout ça une fois la rentrée effectuée.

Pour le moment, il restait fasciné par ce mur qu’il voyait presque chaque jour. Une matinée, où Maxime était occupé, Gérald partit seul à la limite de la ville, pour voir comment cette séparation se continuait au-delà.

Il y avait même une « frontière maritime », là où passait une rivière, des panneaux indiquaient clairement le danger couru pour toute tentative de traversée. Il y avait déjà eu des morts.

Gérald se demandait combien de personnes avaient réussi leur passage à l’ouest et combien avaient péri dans leur tentative, aucun chiffre officiel n’existait… Comme si cette situation était inscrite dans l’histoire pour longtemps et que la séparation était globalement admise par la plupart des protagonistes.

Gérald avait remarqué que ce n’était pas un sujet prioritaire dans les discussions des étudiants qu’il avait rencontrés, même si ces derniers jours l’actualité remettait sur la scène le problème de tous ces réfugiés qui arrivaient de l’Est.

Jeudi 9 novembre

Même si côté ouest on avait eu écho des manifestations monstres à Berlin-Est, rien ne laissait supposer un quelconque changement par rapport à ce mur toujours gardé par les soldats, avec ses points de passage où toute personne et véhicule étaient soigneusement contrôlés.

Mais parfois, l’histoire ne prévient pas qu’elle prend un virage non programmé, c’est ce qui s’est passé ce 9 novembre 1989 à 18 h 57 précises, à la télévision de Berlin-Est, où le secrétaire du Comité central chargé des médias tient une conférence de presse. À la fin de la conférence, il lit d’une façon plutôt détachée un projet de décision du conseil des ministres qu’on a placé devant lui :

« Les voyages privés vers l’étranger peuvent être autorisés sans présentation de justificatifs – motif du voyage ou lien de famille. Les autorisations seront délivrées sans retard. Une circulaire en ce sens va être bientôt diffusée. Les départements de la police populaire responsables des visas et de l’enregistrement du domicile sont mandatés pour accorder sans délai des autorisations permanentes de voyage, sans que les conditions actuellement en vigueur n’aient à être remplies. Les voyages y compris à durée permanente peuvent se faire à tout poste-frontière avec la RFA. »

Aussitôt, les radios et télévisions de la RFA et de Berlin-Ouest annoncent : Le mur est ouvert !

Maxime et Gérald qui étaient en discussion avec leurs amis dans l’appartement de Maxime, avec la radio allumée, se regardent ébahis. Gérald bondit de son siège et sans hésiter déclare : il faut y aller ! Il a déjà saisi le sac contenant son reflex et enfilé sa veste.

Maxime et ses amis se lèvent et le suivent sans plus poser de questions.

Près du mur, de nombreuses personnes se pressent, d’abord en silence, puis des chansons fusent ; une ambiance indescriptible de chaque côté du mur, car côté est, la foule est aussi présente, et l’on entend distinctement des cris et des klaxons.

À ce moment, ni les troupes frontalières ni même les fonctionnaires du ministère chargé de la Sécurité d’État responsables du contrôle des visas n’avaient été informés. Sans ordre concret ni consigne, mais sous la pression de la foule, un point de passage est ouvert peu après 23 h, suivi d’autres points tant à Berlin qu’à la frontière avec la RFA.

Gérald et ses amis passeront une bonne partie de la nuit au milieu de cette euphorie, de jeunes gens montent sur le mur et commencent à démonter les grillages sous les yeux des militaires toujours de faction et qui restent de marbre.

On voit d’autres personnes arriver avec des échelles, des masses et d’autres outils et commencer à vouloir détruire physiquement cette frontière de métal et de béton. L’ambiance est complètement folle, Gérald court dans tous les sens sans réfléchir avec son appareil photo à la main ; il mitraille, il mitraille. Heureusement que dans sa sacoche, il avait une réserve de pellicules.

Les médias, pris de vitesse, n’arrivent qu’au milieu de la nuit, mais la véritable ruée a lieu le lendemain matin, beaucoup s’étant couchés trop tôt cette nuit-là pour assister à l’ouverture de la frontière. Ce jour-là, d’immenses colonnes de ressortissants est-allemands et de voitures se dirigent vers Berlin-Ouest. Les citoyens de la RDA sont accueillis à bras ouverts par la population de Berlin-Ouest. Un concert de klaxons résonne dans Berlin et des inconnus tombent dans les bras les uns des autres. Une impressionnante marée humaine sonne ainsi le glas de la Guerre froide, les médias étrangers arrivent les uns après les autres, Gérald réalise qu’il a dans son sac un trésor d’images.

Le 11 novembre, le violoncelliste virtuose, Mstislav Rostropovitch, qui avait dû s’exiler à l’ouest pour ses prises de position en URSS, vient encourager les démolisseurs en jouant du violoncelle au pied du mur. Cet événement, largement médiatisé, deviendra célèbre et sera l’un des symboles de la chute du bloc de l’Est.

Le retour de Gérald pour Paris est programmé pour le soir même, il ne peut pas rester plus longtemps. Quand il quitte Maxime, sur le quai de la gare, il ne réalise pas qu’il n’a quasiment pas dormi depuis 48 heures, le trajet va lui permettre de récupérer un peu !

Arrivé à Paris dans la matinée du 12, il se jette sur la presse nationale, Libération, Le Monde, L’Humanité, tous les journaux font leurs titres sur l’événement. Il rentre chez lui et parcourt les articles comme s’il devait réaliser qu’il avait bien été là-bas et qu’il n’avait pas rêvé.

Dans Libération, il tombe sur un entrefilet presque anodin : « recherchons images prises sur place, au cours des premières heures de la chute du mur, contacter Marie, au journal, avec un n° de tél. ».

Gérald relit trois fois le communiqué… Il hésite… Bon, d’abord téléphoner à ses parents en Auvergne qui doivent se demander s’il est bien rentré. Il demande à ses logeurs s’il peut utiliser le téléphone de la maison et appelle Clermont-Ferrand.

Il a tant de choses à dire… Oui, il va bien, non, il n’a pas eu de problèmes, oui, il était présent au cours de la nuit du 9 au 10… Oui, il a pris plein de photos, oui, Maxime va très bien, il a une petite amie, il vous embrasse…

Gérald ressent le besoin de demander à son père ce qu’il pense de l’annonce de Libé : « Fonce, lui dit son père, mais n’oublie pas, tu rentres à l’école mardi. »

Bien sûr que Gérald n’oublie pas. Après avoir raccroché, il sort et flâne un peu le long du canal Saint-Martin, c’est dimanche, la rue est calme comme un dimanche parisien, Gérald a encore Berlin dans les yeux… Paris est différent… Il essaye d’imaginer un mur coupant en deux la capitale… D’un côté, la tour Eiffel, de l’autre, l’Arc de Triomphe… Cette image inimaginable le fait sourire, il entre dans un bar pour prendre un café et il réalise qu’il a faim. Qu’a-t-il mangé depuis son départ ? Rien !

Il s’attable et sort le morceau du journal qu’il a soigneusement découpé… Doit-il appeler aujourd’hui dimanche ou attendre demain matin ?

De toute façon, il ne risque rien, il demande au bar le numéro… Ça sonne et un message enregistré lui dit que le service ouvrira lundi matin à 9 h et qu’il peut laisser un message. Il explique en deux mots la raison de son appel et précise qu’il rappellera dès l’ouverture du lendemain.

Après un repas bien mérité, il retourne à son logement, il a des choses à préparer et en les faisant tout de suite, ça le laissera libre pour le lendemain.

Lundi 13 novembre

Gérald est levé depuis un moment, il attend, un peu nerveux, 9 heures, pour appeler le journal ; en fait, ses photos ne sont pas développées et il n’a rien à montrer pour l’instant et, le lendemain, il doit regagner sa nouvelle école. Bon, de toute façon il faut essayer.

Au téléphone, c’est une voie de jeune femme qui répond, elle a déjà lu le message de la veille et dit être intéressée pour le rencontrer.

Après lui avoir demandé s’il était à Paris, elle lui propose de déjeuner ensemble quelque part, car elle ne sera pas au journal de toute la journée, ayant un reportage à faire dans le quartier du Marais.

Gérald lui propose un petit restau qu’il connaît dans le même quartier, rendez-vous est pris pour 11 h 30.

Avec sa sacoche remplie de pellicules, Gérald est au rendez-vous à l’heure précise, il s’est habillé en tenue de ville, laissant son jean et son vieux blouson de côté, il veut paraître plus sérieux que l’étudiant mal fagoté qu’il est habituellement.

Marie arrive dans une tenue digne des babas cool des années 70, cheveux au vent, un grand châle sur les épaules couvrant à moitié un chemisier à fleurs, sur une jupe dissymétrique, un grand sac en tissu pendant à l’épaule.

Gérald se sent presque gêné d’être aussi classique dans sa tenue, il est impressionné par cette jeune femme, au visage souriant, avec des yeux d’un vert émeraude soulignés par sa chevelure d’un roux très pâle.

Marie lui tend la main en se présentant. Elle est en deuxième année à l’École Supérieure de Journalisme, et actuellement en stage au journal, dans le cadre de ses études. C’est elle qui a eu l’idée de cette annonce et son tuteur lui a demandé de s’en charger.

« On doit avoir le même âge, on se tutoie ? Alors, dis-moi tout, Berlin ? » continue-t-elle en s’installant en face de Gérald le plus naturellement du monde.

À son tour, Gérald se présente rapidement et lui fait un bref résumé de son séjour en Allemagne.

« J’ai mes pellicules avec moi, mais elles ne sont pas développées, je ne peux pas te montrer ce que cela donne. »

Marie lui explique que son journal veut faire une double page dans l’édition du week-end suivant, sur le mur et sa chute ; n’ayant pas de correspondant sur place le premier jour, ils sont à la recherche de photos des premières heures de l’événement. Il faudrait donc avoir un échantillon de son travail très vite.

Gérald lui propose de lui laisser les 4 à 5 rouleaux qu’il a faits cette nuit-là, car faisant sa rentrée à Louis Lumière le lendemain mardi, il ne pourra pas s’occuper de les faire développer.

Pas de souci pour Marie, elle peut faire tirer des planches-contacts au journal et sélectionner une vingtaine de vues s’il y a matière. Elle peut lui signer un reçu et ils devront se contacter avant la fin de la semaine pour concrétiser un accord si certaines de ses photos sont choisies.

Gérald ne peut qu’accepter, il propose que ce soit lui qui la contacte, car pour l’instant il ne sait pas encore comment vont se passer ces premiers jours de rentrée.

La suite du repas fut un échange sur leurs études respectives, leurs loisirs à la capitale et en-dehors. Au bout d’une heure, on aurait dit deux amis qui se retrouvaient après les vacances d’été.

Marie se leva en disant : « Maintenant que l’on se connaît, on se fait la bise, j’attends ton coup de fil et je pense que l’on se reverra ! »

Gérald se retrouva seul, un peu perturbé, il ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi simple et aussi spontané. Il avait le parfum de Marie sur ses joues, il ferma les yeux pour mieux s’en imprégner. Il regagna sa chambre en se demandant quand il la reverrait, comme si cet espoir devenait plus important que la suite donnée à ses photos.

Lyon, mars 2020

Comme prévu, à son retour de Clermont, Maxime reprit son travail habituel.

En fin de journée de ce lundi, il eut des nouvelles : Tongé était hospitalisé suite à un accident de la circulation encore pas expliqué ; il avait été retrouvé inanimé, ce matin, dans un parc de la ville. D’après l’hôpital, ses jours ne seraient pas en danger.

À ces nouvelles, Maxime comprit pourquoi Tongé n’était pas au rendez-vous, un accident inexpliqué ? Il y avait de quoi s’interroger et établir des hypothèses peu rassurantes.

En rentrant chez lui, Maxime vérifia les témoins discrets qu’il mettait en place lors d’une absence, pour vérifier si son appartement avait été visité. Effectivement, il y avait bien eu intrusion, Maxime alluma son ordinateur de bureau, il n’avait pas été visité, soit que son code n’ait pas été « craqué », soit les visiteurs cherchaient autre chose, mais quoi ?

Il n’y avait aucune trace de désordre. Maxime étant assez méthodique, il ne laissait jamais de papiers sur son bureau ni de vaisselle sale dans l’évier. Il inspecta toutes les pièces et les divers meubles de rangement, tout paraissait en ordre.

Les « visiteurs » avaient bien travaillé ! Mais puisqu’il y avait eu visite, ils avaient bien dû chercher quelque chose. Maxime était tranquille, s’ils recherchaient des traces de Pentagone, ils n’auraient rien trouvé. Depuis que leur organisation secrète était opérationnelle, ils avaient mis en place un système efficace : aucune trace de communication ou de reconnaissance chez les membres actifs de Pentagone.

Mais ce qui inquiétait Maxime, c’était cette suite d’alertes, d’abord des perquisitions chez certaines personnes à Grenoble et Strasbourg, à chaque fois pour des motifs autres, comme des plaintes suite à des actions de « réquisitions citoyennes dans des multinationales ».

Mais là il n’y avait aucune démarche officielle, la visite de son appartement avait été effectuée en toute illégalité, il ne pouvait s’empêcher de faire un rapprochement avec l’accident de Tongé. C’était pour le voir qu’il avait fait cet aller-retour à Clermont et c’était justement à ce moment qu’il y avait eu cette visite, puis Tongé qui se retrouve à l’hôpital.

C’était évident, il y avait eu coordination des deux affaires, cela voulait dire concrètement qu’il avait été suivi jusqu’à son départ et qu’à Clermont on attendait que Tongé réponde à son appel !

Cela démontrait qu’ils étaient surveillés, mais depuis quand et pourquoi ?

Il n’y avait jamais eu auparavant une telle suspicion sur la surveillance dont ils pouvaient faire l’objet. Ils savaient que, depuis quelque temps, les services de police resserraient leurs investigations sur la mouvance écolo-radicale.

Ils avaient pris toutes leurs précautions pour ne laisser aucune preuve de leur appartenance à Pentagone. Alors pourquoi étaient-ils visés, lui et Tongé ?

Quoi qu’il en soit, il fallait mettre en alerte générale le réseau, ce qui fut fait en moins de 24 heures.

Maxime envoya un message codé à Grenoble qui prévint à son tour Strasbourg, Sylvie préviendrait Toulouse qui ferait suivre, ainsi de suite. Toutes les cellules seraient prévenues, chacun devant faire comme d’habitude, ne rien changer à son quotidien tout en étant attentif à des surveillances possibles.

La structure horizontale de Pentagone avait déjà prouvé son efficacité, chaque cellule étant en contact avec une autre, l’information circulait aussi vite que si un ordre était venu d’un comité central.

Le plus important dans l’immédiat était l’état de santé de Tongé. Ensuite, il faudrait rechercher une explication sur l’accident dont il avait été victime, Sylvie était chargée de faire une enquête discrète.

Le soir de ce lundi, le président Macron annonçait un confinement généralisé sur tout le territoire ; le lendemain, le responsable de l’entreprise d’informatique où travaillait Maxime organisait son personnel pour mettre en place le télétravail pour la plupart des salariés.

Maxime serait confiné chez lui, comme des millions de Français, avec autorisation de sortie pour faire ses courses ou « prendre l’air » à moins de 10 km de son lieu de résidence.

À ce niveau-là, les activistes de Pentagone seraient tous au même régime, cela facilitera leur mise « en sommeil » et ils pourront continuer à communiquer entre eux avec les canaux habituels.

Maxime était confiant, rien ne pouvait les inquiéter réellement, tellement leur organisation était cloisonnée et sécurisée. Mais l’accident de Tongé n’était pas dû à un concours de circonstances, c’était évident.

Que s’était-il donc passé à Clermont ?

Chambre 1469, CHRU Gabriel Montpied

Une infirmière rentra sans bruit dans la chambre de Tongé, elle venait relever les données des appareils de surveillance qui étaient raccordés sur le patient.

Tongé dormait profondément, mais il sembla à l’infirmière qu’il parlait en dormant, des paroles incompréhensibles. Cela arrivait souvent aux personnes mises sous calmants, Tongé ne semblait pas agité et c’était le plus important, sinon l’infirmière aurait dû le signaler à l’équipe médicale. L’état de l’accidenté n’étant pas encore complètement stabilisé, il convenait de prévenir au moindre signal alarmiste.

Tongé était encore dans son passé, le jour où il avait rencontré Marie pour la première fois.

Le lendemain de ce jour-là, en début d’après-midi, il était à Noisy-le-Grand. L’école étant encore en plein aménagement, le responsable qui les reçut leur expliqua que leurs cours ne commenceraient que la semaine prochaine. Pour l’instant, il allait leur faire visiter l’ensemble des bâtiments, puis ils devront régler quelques formalités administratives avant de rencontrer leurs professeurs ; et ils auront un premier travail à rendre pour le mardi suivant.