Tonus à l’internat - Yves Pagès - E-Book

Tonus à l’internat E-Book

Yves Pagès

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Beschreibung

Début des années 80. Chef de clinique en cardiologie, Henri mène sa carrière sans encombre jusqu’à ce qu’une erreur médicale mette en cause une de ses internes. Soucieux de son sort, il s’engage à la défendre, mais tout se complique. Au cœur de l’ambiance à la fois libertine et stressante de l’internat des hôpitaux, entre des rebondissements dramatiques et des personnalités peu ordinaires, le praticien se retrouve plongé dans une intrigue pour le moins particulière. S’en sortira-t-il indemne ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ancien maire et conseiller général, Yves Pagès est cardiologue de profession et préside la Société Internationale Francophone de Sport Santé. Après la parution de "Poudre sur la Solitaire" en 2023 aux éditions Baudelaire, il présente son deuxième roman, "Tonus à l’internat".

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Yves Pagès

Tonus à l’internat

Roman

© Lys Bleu Éditions – Yves Pagès

ISBN : 979-10-422-2432-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Poudre sur la Solitaire, roman, Éditions Baudelaire, 2023.

Préface

L’auteur n’est pas un moraliste, mais un anatomiste qui se contente de dire ce qu’il trouve dans le cadavre humain. (…) Il se tient à l’écart, surtout par un motif d’art, pour laisser à son œuvre (…) son caractère de procès-verbal écrit à jamais sur le marbre1.

Tels étaient les mots d’Émile Zola pour décrire le romancier naturaliste. Ils reviennent inévitablement à l’esprit en lisant les pages qui vont suivre tant l’auteur, cardiologue de métier, s’y plaît à disséquer le corps humain pour mieux en sonder l’âme.

L’auteur est un anatomiste, sans aucun doute. Le roman s’ouvre sur le récit d’une erreur médicale, en fin de garde, au terme d’une opération dont tous les détails nous sont livrés au moyen d’un langage précis, peut-être inconnu des lecteurs qui par chance n’ont pas trop fréquenté les services de cardiologie des centres hospitaliers – langage que l’on pourrait qualifier à tous points de vue de clinique. À l’issue de cet ouvrage, la « fibrillation auriculaire », « l’ischémie myocardique » et la « mydriase bilatérale » deviendront des termes familiers pour son lecteur : à cet égard, le présent roman est un roman scientifique, « il continue et complète la physiologie »2, comme aurait dit Émile Zola.

Pour autant, l’auteur ne s’intéresse pas qu’aux cadavres : si le présent ouvrage est jalonné d’autopsies, ce sont bien les corps vivants qui occupent le devant de la scène et font l’objet du même travail analytique qu’un médecin légiste ferait sur des dépouilles. L’ensemble des soignants sont des êtres de chair et de sang, dont la pratique du métier peut être altérée par la fatigue, les émotions, le désir : à cet égard, le présent roman est un roman sentimental, où l’auteur se fait « le juge d’instruction des hommes et de leurs passions »3.

« Juge d’instruction », l’auteur l’est à double titre. Les morts qui surviennent au fil des pages ne sont pas toutes naturelles et il faudra au lecteur, comme aux enquêteurs, une certaine lucidité pour identifier les coupables et établir le partage des responsabilités : à cet égard, le présent roman est donc aussi un roman policier, qui devrait maintenir la tension chez le lecteur – n’est-ce pas là, après tout, le propre du cardiologue ?

Enfin, l’auteur nous livre la radiographie d’un milieu et d’une époque : le milieu hospitalier des années 1980. Alors que le Gouvernement a ordonné, en janvier 2023, le retrait des fresques à caractère pornographique dans les salles de garde de l’ensemble des hôpitaux publics, le présent ouvrage ne nous cache rien de ces traditions étudiantes, de l’humour carabin et de ses travers. C’est donc bien « le procès-verbal de l’expérience »4 qui s’écrit devant les yeux du lecteur : nous lui souhaitons d’y trouver tout l’intérêt qu’il mérite.

Vincent Perrot

Ancien élève de l’École normale supérieure

Enseignant à la Sorbonne et Sciences Po Paris

Chapitre 1

Fin de garde

La main gantée du médecin se saisit du bistouri et pratiqua une incision rectiligne de cinq centimètres de long, parallèle à la clavicule droite du patient, environ quatre centimètres sous le bord inférieur de celle-ci. Un sang de couleur bordeaux se mit à sourdre. À l’aide de quelques compresses stériles, le praticien tamponna le fond de la plaie. Avec une paire de ciseaux à disséquer, à bouts recourbés et arrondis, il entama la dissection des plans sous-cutanés jusqu’à l’aponévrose du muscle grand pectoral.

Il put bientôt introduire ses deux index dans la petite cavité, ce qui, en décollant l’aponévrose, permit d’aménager une poche destinée à recevoir le pacemaker.

Il prit ensuite une seringue qu’il fixa à un trocart, qu’il introduisit à travers l’incision, dirigeant la pointe sous la clavicule en direction du cou du patient à la recherche de la veine sous-clavière. L’irruption d’un sang rouge foncé témoigna qu’il avait bien ponctionné la veine. La seringue fut désolidarisée de cette grosse aiguille à travers laquelle il put enfiler un guide métallique filiforme souple à bout mousse recourbé pour ne pas blesser les parois vasculaires.

Le trocart une fois retiré, un désilet en plastique fut introduit sur ce guide métallique jusque dans la veine sous-clavière, avant que ce guide ne soit lui-même retiré pour permettre l’introduction dans le conduit interne du désilet d’une sonde de stimulation cardiaque, qui fut poussée d’abord dans la veine cave supérieure, puis dans les cavités cardiaques droites jusqu’à la pointe du ventricule droit.

Le médecin avait suivi la progression rapide de la sonde grâce à sa visualisation radiologique en temps réel sur le scope de l’ampli de brillance qui surplombait la table d’opération.

Une fois la pointe de la sonde bien positionnée, et le désilet retiré, il fallait calculer l’ampérage et le voltage adéquats pour assurer une stimulation ventriculaire de qualité, grâce à un stimulateur externe relié par des fils électriques à l’extrémité de la sonde restant hors du corps du patient. Une fois ces calculs terminés, et après avoir vérifié que la stimulation n’entraînait pas de contraction diaphragmatique, l’opérateur prit le pacemaker stérile que lui présentait l’infirmière du bloc et le brancha à l’extrémité de la sonde qu’il avait solidarisée au muscle par un point de suture.

Il introduisit le pacemaker dans la poche prépectorale en vérifiant que n’apparaissent pas de contractions du muscle pectoral.

Il ne restait plus qu’à suturer l’incision cutanée par cinq ou six points de Blair-Donati assurant un bon rapprochement des lèvres de la plaie.

L’infirmière put ensuite confectionner un pansement protecteur un peu compressif, sur lequel elle posa un petit sac de sable pour prévenir tout épanchement sanguin à l’intérieur de la poche.

Le docteur Henri Legall put retirer ses gants stériles. Il demanda à l’infirmière de l’aider à défaire derrière son cou le nœud de la bavette stérile qui couvrait son nez et sa bouche. Il esquissa un discret sourire de contentement, satisfait d’avoir implanté, sans trop de difficultés, un pacemaker cardiaque en moins de trente minutes.

Le patient sous simple anesthésie locale n’avait pas souffert, et il put le rassurer sur la parfaite réussite de l’intervention.

Toujours revêtu de sa tenue de bloc, Henri, chef de clinique du service de cardiologie, quitta le bloc opératoire pour regagner le couloir du service et prendre connaissance des entrées qui avaient été examinées par Brigitte Verdier, jeune interne de première année, dont c’était le premier stage dans un service de cardiologie.

Il souhaitait ne pas trop s’attarder en ce lundi après-midi, car il avait assuré la garde de cardiologie du CHU du samedi midi au lundi matin, et avait enchaîné sa présence dans le service toute la journée du lundi. Il avait été réveillé à plusieurs reprises par des urgences dans les nuits du samedi et du dimanche et il aspirait maintenant, après cinquante-sept heures non-stop de présence à l’hôpital, à prendre un peu de repos avec surtout une bonne nuit de sommeil sans interruption, car la semaine ne faisait que commencer, et il aurait à assurer d’ici quelques jours une nouvelle garde.

Brigitte était une très belle fille de vingt-cinq ans, grande, blonde, les traits fins et harmonieux, avec un regard qui témoignait d’une intelligence vive, mais qui laissait percer une certaine fragilité.

Après avoir été reçue dans un bon rang au concours de l’internat des hôpitaux, ce qui lui avait permis de choisir dès son premier stage de six mois un des deux postes d’internes encore disponibles dans le service de cardiologie, habituellement très prisé, elle souhaitait tester différentes spécialités médicales avant de choisir celle qu’elle validerait pour l’exercer plus tard.

Le voyant s’approcher, elle s’adressa à Henri :

« Docteur Legall, j’ai trois entrées à vous présenter ; si vous avez un instant… »

« Bien sûr Brigitte, je vous écoute… »

Il la connaissait encore peu, mais était déjà sous le charme de sa jeune interne. Il n’osait détacher ses yeux des siens, de peur que l’on surprenne son regard s’attarder sur une partie du corps élégant et avantageux de la jeune femme, dont l’échancrure de la blouse blanche laissait entrevoir la naissance d’une gorge qu’il imaginait rayonnante. Il était à la fois séduit et intimidé, mais s’efforçait de rester concentré sur l’histoire de la maladie et l’anamnèse de l’entrée que lui résumait Brigitte. Elle lui présenta l’électrocardiogramme sur lequel il put, sur un rythme rapide et irrégulier vers 120 par minute, rapidement diagnostiquer une tachyarythmie complète par fibrillation auriculaire, l’absence d’ischémie myocardique ou de séquelles d’infarctus, mais les stigmates d’une hypertrophie du ventricule gauche.

Ils pénétrèrent dans la chambre pour examiner la patiente âgée de soixante-quinze ans. Le chef du service, ancien agrégé du professeur Lenègre, ponte de la cardiologie française des années 1950-60, avait été formé à la méthode anatomoclinique et exigeait de ses assistants et internes une rigueur méthodologique sans faille dans la conduite de l’examen des patients. Henri s’employa donc à palper tous les pouls périphériques et à ausculter les gros troncs artériels. Il retrouva à la palpation des chevilles un peu d’œdème bimalléolaire, mou, prenant le godet, mais il nota l’absence de signe de phlébite à la palpation des mollets. Il constata l’absence d’épanchement pleural à la percussion des bases pulmonaires. L’auscultation lui permit enfin de retrouver un souffle holosystolique de pointe, trois sur dix, d’insuffisance mitrale modérée, que l’interne avait bien reconnu, alors que les bases pulmonaires étaient le siège de rares râles crépitants. La tension artérielle restait élevée à 18/10 malgré un traitement antihypertenseur que la patiente prenait depuis des années.

Henri confirma le traitement prescrit par Brigitte, associant un deuxième antihypertenseur, des anticoagulants pour prévenir toute formation de caillots dans les oreillettes qui ne se contractaient plus, et une petite dose de charge d’Amiodarone pour tenter, sous surveillance scopique continue, de réduire la fibrillation par voie médicamenteuse afin d’éviter le recours ultérieur à un choc électrique externe. Une petite dose de diurétique était enfin ajoutée pour faire fondre les œdèmes.

Les deux autres entrées, également des patients en décompensation cardiaque, furent examinés dans la foulée et Henri n’eut que peu de corrections à apporter à l’observation établie par son interne.

Il put enfin regagner son bureau et prit connaissance de quelques résultats d’examens biologiques. Sa montre marquait maintenant dix-huit heures, et il se décida à quitter le service, la jeune Brigitte assurant la garde jusqu’au lendemain matin, quand on frappa à sa porte. Une infirmière brune au teint mat, portant la trentaine, bien mise et séduisante, entra et vint lui faire la bise. Ils se connaissaient bien et entretenaient par épisodes une relation charnelle qui permettait à Henri, encore célibataire, d’agrémenter certaines de ses soirées d’un piment érotique auquel il ne se refusait pas à goûter.

Patricia travaillait dans le service de réanimation médicale à l’étage au-dessus et était encore en tenue de travail.

Henri la questionna : « Tu as déjà terminé ton service ? »

« Je termine à dix-neuf heures, mais je suis descendue pour te demander si on ne pourrait pas passer la soirée ensemble. J’ai vu tout à l’heure dans le couloir que tu semblais sous le charme de ta nouvelle interne, dit-elle dans un petit sourire moqueur. Tout le monde parle d’elle dans le service. Mes collègues parient toutes qu’elle va faire des ravages à l’internat ! »

Henri leva les yeux au ciel, ne sachant comment cacher la petite gêne qui l’avait envahi, trahissant des sentiments naissants.

Et pressentant une soirée fougueuse avec sa maîtresse occasionnelle, il répondit :

« On peut dîner chez moi si tu en conviens ; je m’occupe de tout. Rendez-vous pour vingt heures. »

Patricia arbora un large sourire de satisfaction et le gratifia en remerciement de son invitation d’un baiser prolongé sur la bouche, qui laissait présager des suites torrides.

Ils se retrouvèrent deux heures plus tard chez Henri. Elle s’était habillée avec soin et avait certainement passé un bon moment à sa table de maquillage, même si le résultat n’était pas trop chargé et de bon goût.

Henri lui proposa une coupe de champagne, mais avant qu’il ne la lui tende, elle s’était déjà collée à lui, l’enlaçant dans un désir non retenu de s’engager dans des ébats sensuels.

Henri aurait bien pris le temps de boire quelques gorgées et d’échanger quelques mots pour faire monter sa libido dans une progression érotique dont il connaissait l’issue. Mais pour Patricia ce n’était pas un jeu. Elle était amoureuse et voulait se donner tout de suite, sans retenue à son amant pour lui prouver l’intensité de ses sentiments. Ils passèrent donc d’abord par la chambre pour un corps à corps vigoureux qui ne pouvait être retardé.

Mais Henri restait accroché à l’image de sa jeune interne, qui ne le quittait plus. Il était comme détaché du présent et s’exécutait machinalement sans grande conviction dans un jeu érotique qu’il semblait plus suivre que diriger. Patricia s’en rendit compte et tenta de le ramener à la réalité :

« À quoi penses-tu ? Je me demande si tu n’es pas avec une autre en pensées ? Ce n’est tout de même pas ta jeune interne qui te préoccupe ? »

« Non, non, j’ai eu une garde difficile et j’ai du mal à me détacher de l’image d’un patient de quarante-cinq ans que je n’ai pas réussi à sauver d’un infarctus massif. »

L’argument semblait avoir fait mouche et il était difficile d’en contester le caractère irréfutable.

Henri prétexta rapidement d’avoir faim pour mettre un terme à la câlinothérapie qu’avait entrepris Patricia.