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Un symposium réunissant scientifiques, politiques, artistes ou sportifs est organisé à Lausanne afin de penser l’usage du monde, un mini-Davos sur la riviera vaudoise. Une question interpellait cette année-là : quel thème unificateur pouvait bien relier un militaire-sociologue, conseiller de l’Élysée en matière d’éducation, une chimiste d’État, directrice d’un institut d’hygiène, et une cinéaste parisienne branchée et en disgrâce ? Cet ouvrage plonge le lecteur dans une série d’univers loufoques : un monde à deux dimensions, une société ultra-propre complètement aseptisée et enfin un État où le sentiment amoureux est devenu une obligation, quitte à se faire aider par la pharmacopée. Quand la société supprime le libre arbitre et rend obligatoire la réalisation de désirs officiels, ne s’érige-t-elle pas en trafiquante de désir ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Xavier Chillier a fait des études de lettres et de sciences. Dans ses romans, il aime poser des regards dystopiques et facétieux sur la société occidentale. Avec
Trafic de désir, il met en avant des contrées diverses qui verront naître des rencontres improbables.
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Seitenzahl: 188
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Xavier Chillier
Trafic de désir
Roman
© Lys Bleu Éditions – Xavier Chillier
ISBN : 979-10-377-8714-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À celles et ceux qui nous donnent l’envie d’avoir envie…
À TKO, à RR
Vincent se rendait au musée olympique sur les bords du Léman. Des immeubles à l’architecture balnéaire, comme on croise encore à Nice, Deauville ou Évian, s’égrainaient le long de son chemin qui plongeait vers le Lac. Comme tout bon Genevois égaré en ces lieux, il apprécia le côté villégiature paisible qui se dégageait de l’avenue de la Harpe.
Avec ses bistrots aux façades colorées, Ouchy se donnait des airs de ville du Sud, quelque chose d’Ascona, peut-être. Le tableau était grandiose, pas si éloigné des paysages peints par Courbet lorsqu’il fuit la France après ses déboires de sympathisant communard : le Lac au premier plan, avec pour toile de fond un panorama alpestre. Le New York Times ne s’y était pas trompé ; cette année-là, il avait classé le chef-lieu vaudois parmi la cinquantaine de villes à voir absolument.
Arrivé au bord de l’eau, Vincent vira vers l’Est, longea le quai et ses massifs floraux ripolinés. Au loin, un bateau à aubes glissait sur les flots, sans effort, tel un cygne blanc dans l’azur. Il filait vers Genève, dans la direction opposée à la sienne.
Il faisait déjà très chaud pour cette heure encore matinale. En grimpant l’escalier monumental parsemé d’esplanades agrémentées de fontaines et de statues à la gloire du sport, Vincent suait déjà à grosses gouttes. Il était invité à la journée clients de l’Entreprise, autrement dit un think tank, une espèce de mini-Davos. Les invités étaient des entrepreneurs, des intellectuels, des artistes, des sportifs ou des aventuriers qui réfléchissaient au sens de la vie, à l’avenir de l’entrepreneuriat, à l’écologie et à la société en général. Un brainstorming rafraîchissant qui commençait le matin par des conférences continuait à midi par une spécialité régionale, avant de se poursuivre aux heures les plus chaudes par des tables rondes sur un bateau de la CGN. Le vapeur emmenait la centaine d’invités au château de Chillon, où une société de taste-vin animait la soirée dans la salle d’apparat du château. Une occasion de faire habilement la promotion des vins vaudois, afin que le monde entier s’incline devant ce savoir-faire viticole acquis depuis des siècles.
Vincent n’était pas entrepreneur. S’il avait dû choisir son camp, il se serait plutôt rangé du côté de l’intelligentsia courtisée par le directeur. Cependant, celui-ci était un ami et c’était à cette relation de longue date que Vincent devait son carton d’invitation. Jadis, lorsque l’événement était encore tout petit, qu’il avait lieu dans une salle de réunion d’un hôtel impersonnel non loin de l’aéroport, il avait dépanné le directeur en donnant une conférence au pied levé pour pallier une défection. Une petite vingtaine de personnes étaient venues l’écouter parler des « hypothèses quant à l’origine de l’homochiralité des biomolécules sur la terre primitive ».
Depuis, l’entreprise avait grandi. Elle courtisait des scientifiques phares, des sociologues vedettes, des économistes médiatisés, des sportifs médaillés et des aventuriers aux tarifs prohibitifs. Finalement, la « petite journée clients » des débuts était devenue un événement pour happy few. Pour les conférenciers, tenir le crachoir était devenu synonyme d’une ligne de prestige à ajouter sur leur C.V. déjà bien rempli et un chèque intéressant dans leur portefeuille souvent bien garni.
L’événement restait cependant assez secret. Le directeur jouait là-dessus. Il était en froid avec la presse ; il ne l’invitait pas. Dans sa magnanimité, il lui laissait quand même trois ou quatre laissez-passer pour qu’elle pût assister aux conférences. À Davos, les sésames pour la presse s’arrachaient et étaient difficiles à acquérir, mais une fois le badge blanc en poche, les journalistes jouissaient d’un accès illimité à toutes les agapes avec les puissants. Ici, leur badge était d’un jaune pâlot et ne donnait accès qu’aux conférences et au café croissant. Pour les parties récréatives et les tables rondes, il exigeait que la presse payât une contrepartie. De toute façon, elle ne se mobilisait guère. Parfois, un plumitif zélé assistait aux conférences, afin de se faire une idée de cet événement dont il peinait à définir les contours, pensant qu’il devait y avoir là quelque strapontin pour un futur forum de Davos. Un peu par dépit, un peu par vengeance, les comptes-rendus n’avaient jamais dépassé l’entrefilet bouche-trou ou la dépêche d’agence.
En général, les conférences s’organisaient autour d’un thème de société qui changeait chaque année. Vincent se remémora celui de l’an passé : « Processus qualité comme garant de la performance ». A priori rien d’hyperalléchant, mais le directeur avait réussi à attirer des intervenants dont les prouesses techniques ou sportives tenaient du happening, des réussites qui interrogeaient singulièrement sur les parts du processus de préparation dans l’exploit.
Par exemple, on avait démontré aux invités que si les principes physico-chimiques des piles électriques étaient connus depuis Alessandro Volta et John Daniell au milieu du XIXe siècle et qu’elles avaient régulièrement bénéficié d’améliorations techniques, ce n’étaient guère ces dernières qui avaient permis l’explosion toute récente des voitures électriques. La révolution était venue de la façon de faire travailler intelligemment des milliers de piles standards, de court-circuiter les défectueuses, pour mieux préserver la puissance et l’autonomie de l’ensemble.
Vincent se souvenait aussi d’un colonel qui avait expliqué avec conviction que pour éviter une guerre sur un malentendu culturel, il était important de ne pas surprendre son ennemi potentiel. Pour empêcher les divergences d’interprétation, il fallait suivre un protocole strict, une attitude très codifiée qui ne laissait pas de place au hasard.
Puis une aventurière de l’extrême avait expliqué au public frissonnant que quand vous décidiez de vous jeter d’une falaise avec une combinaison qui vous faisait planer tant que vous ne rencontriez pas le sol, vous aviez un intérêt prépondérant à gérer les paramètres, d’où un processus de préparation qui ne laissait pas de place à l’improvisation.
Cette année, l’invitation intriguait par des thèmes plus bizarres qu’à l’habitude. On ne reconnaissait ni la marque de fabrique de l’Entreprise, et les intentions du PDG ne transparaissaient pas aussi clairement qu’à l’accoutumée. Les liens entre les intervenants semblaient hétéroclites, voire acrobatiques. Un sociologue, une chimiste et une cinéaste allaient se partager le crachoir, ce qui permettait d’espérer que la lecture sociétale très linéaire du directeur avait été mise en veille et que quelque chose d’inédit était en train de se tramer.
Arrivé au sommet de l’escalier, Vincent entra dans le nouveau Parthénon à la gloire du sport, temple moderne qui réunissait tradition helléniste, mercantilisme moderne, nationalisme exacerbé et universalité de la performance. Argent, gloire et pouvoir s’imbriquant avec effort, travail, dépassement de soi et abnégation.
Dans le hall du bâtiment à l’architecture futuriste, on lui demanda son nom et on lui remit un badge, celui méconnu, mais assez prisé, des anciens intervenants. On lui indiqua le grand auditorium dans lequel le bastringue allait se tenir, et on l’invita à aller prendre un café en attendant le début de la manifestation.
Ces moments perdus étaient parfaitement scénarisés ; des employés lui sautèrent dessus pour lui souhaiter la bienvenue, engager la conversation et déterminer s’il était un client, un futur client, ou une personnalité utile au développement de l’Entreprise. Constatant qu’il était un ancien intervenant, on essayait de se rappeler la conférence qu’il avait donnée, mais l’excitation retombait vite. On lui demandait alors si on pouvait lui apporter un café, on lui indiquait où se trouvait les viennoiseries, on lui souhaitait une bonne journée et qu’on allait bien sûr se recroiser, avant d’aller accueillir les nouveaux venus dans un regain d’excitation.
Parfois, Vincent rencontrait quelqu’un qu’il connaissait, un collègue, de vagues relations, certains politiques, mais le plus souvent, le premier café était un grand moment de solitude. Pour ne pas apparaître trop seul et donc suspect, il naviguait de groupe en groupe essayant de se faire phagocyter sans se faire remarquer.
Un ristretto à la main, un croissant dans l’autre, qu’il abandonnait périodiquement en équilibre instable sur la sous-tasse le temps de serrer la main à de nouveaux arrivants, phagocytés à leur tour par le groupe qui enflait avant de se diviser en de nouveaux sous-groupes. Les femmes lui semblaient souvent belles et bien habillées, le charme discret de la bourgeoisie avait toujours eu un certain effet sur lui.
La couleur de son badge d’ancien intervenant ne l’aidait pas à se fondre dans la masse. Pour certains, il y avait même un peu de méfiance, on ne savait pas s’il était réellement invité ou s’il faisait partie de l’équipe technique. On hésitait à le prendre de haut. Pour d’autres, au parfum du code des couleurs, pointait sans doute l’envie ; il avait déjà été adoubé. Son nom était gravé sur le mur Hall of Fame dans la salle des pas perdus de l’Entreprise au-dessus d’une statue d’un homme assis scrutant l’avenir en regardant le ciel, une copie cubiste d’une œuvre précolombienne. Même si ce n’était pas Stockholm ou Sunset Boulevard, au mieux un strapontin de piédestal, Vincent trônait parmi les élus, il pouvait donc parfois inspirer une défiance respectueuse.
Ces errements ne duraient de toute façon pas longtemps. Vincent n’arrivait jamais très tôt pour le ice breaker coffee, une terminologie chère à ce milieu qui l’agaçait un peu. En ce qui le concernait, la séance « casse-glace » n’était jamais très longue et frisait l’inefficacité. D’ailleurs, il était encore en train d’ingurgiter les dernières bouchées de son croissant lorsque des rabatteurs indiquèrent aux invités qu’il fallait se diriger vers l’auditorium.
La salle aurait pu passer pour un hommage à la gloire de 2001, l’Odyssée de l’espace. Résolument futuriste, elle semblait sombre, endormie, plongée dans l’espace interstellaire ; truffée de gadgets électroniques, elle attendait qu’une mécanique étrange la réveillât. Un projecteur s’alluma, un son THX emplit les lieux. Le directeur apparut souriant. Il faisait beau gosse, le boss, sans cravate, mais sculpté dans un élégant costume italien. Il commença par une plaisanterie :
Il continua par les formules habituelles de politesse, évoqua le plaisir de passer du temps ensemble, etc. Puis il annonça les thèmes de la journée. Il leva trois doigts. Il avait étudié dans une école de commerce à Boston, où on lui avait appris que le nombre 3 était l’arme rhétorique par excellence. La singularité ou l’unicité n’était pas bonne, elle assenait une vérité comme un dogme, la dualité était louche et il lui manquait une forme de conclusion, la trilogie était parfaite pour la mémorisation. Les nombres supérieurs diluaient le message, on tombait dans l’anonymat de la pluralité.
Le directeur regarda sa main, sourit et enchaîna :
La salle était enchantée, on allait vivre un moment d’anthologie. Le directeur poursuivit :
La star avait gardé de sa carrière militaire une coupe de cheveux en brosse et de la sociologie une moustache désuète de syndicaliste. Il commença à parler littérature :
Des rires accueillirent le propos, alors qu’il continuait :
Une franche hilarité envahit la salle ; le public était conquis. Après un silence, il reprit :
Il but une gorgée d’eau et se mua en conteur :
Il marqua une pause pour reboire une goutte d’eau, prétexte pour laisser un bref instant infuser l’absurdité de la maxime. Il regarda l’auditoire, des sourires complices se dessinaient, on le suivait, il reprit :
Regardant l’auditoire, il le prit à partie :
Des sourires se dessinaient sur les visages ; le conférencier était content de son effet. Il continua :
Le 1er Cercle se mit à tancer sans ménagement le Cercle No 6, sa ministre de l’Éducation nationale :
Quelques sourires se dessinèrent dans l’assemblée des ministres. Le Cercle No 6 donna de l’emphase à ses propos :
— Ces comportements en classe sont inadmissibles. Des plaintes d’enseignants ont translaté jusqu’à mon plan de travail. La surface de mon bureau n’est pas extensible à l’infini pour accueillir tous les témoignages, non seulement d’enseignants, mais aussi d’inspecteurs des écoles. On savait que l’on frisait le grand n’importe quoi dans le secondaire, entre 12-15 ans, mais la tendance a gangrené le primaire, les élèves de 7 à 12 ans ne veulent plus rester couchés sur le plan des classes – comme poussés par une force démoniaque – ils se sentent obligés à faire d’innombrables translations dans tous les sens et même à sauter en l’air.
Le 1er Cercle, qui jusque-là prenait la situation un peu à la légère, se montra sincèrement préoccupé :
Le Cercle No 2, le ministre de l’Intérieur, toujours pragmatique, intervint :