Transforme ses larmes en diamants - Tome 1 - Rose Vieau - E-Book

Transforme ses larmes en diamants - Tome 1 E-Book

Rose Vieau

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Beschreibung

Carmen de la Fresnay est jeune, belle et immensément riche. Toutefois, elle est insolente, bornée et affiche un sale caractère. Alors, quand elle désobéit une fois de plus à ses parents, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Cette fois-ci, elle se verra assigner un garde du corps à temps plein : Saul Rivet. Ce dernier, à peine plus vieux qu’elle, est tatoué et sans abri. Dès lors, sa mère, âme charitable, lui offrira une formation complète, un bon salaire ainsi qu’un toit. Seulement, Saul est un curieux personnage…


À PROPOS DE L'AUTEURE


L’envie de créer et de raconter des histoires a toujours sommeillé en Rose Vieau. Alors, en quelques mois, elle a défini ses personnages et assemblé les éléments d’un univers. Ce travail lui a ainsi permis de se dépasser afin de mener à bout son projet d’écriture. Transforme ses larmes en diamants - Tome I est son premier roman publié.

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Seitenzahl: 645

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Rose Vieau

Transforme ses larmes en diamants

Tome I

Roman

© Lys Bleu Éditions – Rose Vieau

ISBN :979-10-377-6077-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Monaco. Que dire de cette ville débordant de richesses toutes plus précieuses les unes que les autres ? Dans un État comme celui-ci où la corruption, l’hypocrisie et le crime règnent, vous ne saurez jamais qui croire ou trahir. Car là où milliardaires dominent et dépensent, il ne peut n’y avoir d’yeux que pour eux et pour eux seuls.

En vous penchant ne serait-ce qu’un tout petit peu plus sur la question, que verrez-vous réellement au fond des yeux de ce prestigieux trader, empochant des centaines de milliers à sa partie de poker ? Ce ne sera pas la joie de gagner que vous lirez dans ce regard, mais la répugnante soif de pouvoir et de richesse, qui empoisonne et qui tue.

Plus rien ne leur suffit. Même avec toutes les îles de la Méditerranée sous la main, des litres et des litres de pétrole empochés ou des actions à l’infini, rien ne leur sera jamais assez bien. Ils connaîtront la perte ou ils nageront dans le succès. La partie qu’ils ont débutée est presque perdue d’avance, mais au point où ils en sont, ils ne peuvent plus abandonner.

Bienvenue dans la principauté de beauté, de débauche et de mensonge, Monaco.

Chapitre 1

Mes jérémiades n’avaient encore une fois servi à rien. J’emmerdais du plus profond de mon être ma chère mère qui était une fois encore à l’origine de cette ridicule réception. Des stylistes venus en masse d’Italie la veille s’acharnaient depuis des heures sur ma tenue qui se devait d’être digne de moi : resplendissante.

Perchée sur un tabouret, j’observai d’un œil attentif diverses assistantes s’affairer à chaque détail de ma robe. Je les jaugeais, munies d’une pince et la main tremblante, placer un à un les diamants sur le satin rouge de la robe. Une douleur vive traversa alors mon dos.

— Votre nom, murmurai-je en baissant lentement les yeux.
— Je m’excuse, mademoiselle, je… C’est mon premier jour, je promets de faire plus attention et…

J’éclatai de rire et passai la main dans mon dos nu. Quand je relevai le doigt à hauteur de mon nez, une goutte de sang glissa pour atterrir sur le carrelage de quartz. Je regardai à nouveau la brunette maintenant écarlate et repoussai les quelques assistants toujours affairés dans les dernières retouches de la tenue.

— Je vous ai demandé votre nom, pas une dissertation.
— Lina. Je m’appelle Lina Glatvoni.

Cette Glatvoni eut l’audace de m’administrer un beau regard noir qui me fit hausser les sourcils. J’éclatai d’un rire bruyant. Tous les employés présents cessèrent toute activité et un silence de plomb tomba.

Cette effrontée de stagiaire sembla bien moins sûre d’elle dès qu’elle se retrouva au centre de l’attention. Pieds nus, je sautai du tabouret pour me retrouver à quelques centimètres de son visage. Un peu plus petite que moi, je dus me pencher à sa hauteur pour murmurer :

— Une goutte de plus et c’est un retour immédiat en Italie.

Toujours face à elle, j’observai son expression si assurée se muer en inquiétude mais mon plaisir fut de courte de durée. La voix joviale de ma mère venait de briser l’ambiance pesante et même de dos, je reconnus ses talons fouler le sol. Elle était accompagnée du styliste le plus reconnu d’Europe. Si Michael Jackson était encore de ce monde, j’étais bien persuadée qu’il l’aurait payé des millions pour s’occuper de ses costumes.

— N’ayez aucune crainte, minauda ma mère dans son plus faux sourire à la stagiaire.
— Bellissimo, s’écria Léonardo en tendant une main ornée de bagues vers une de mes bretelles.

Je la repoussai d’un mouvement sec et me tournai vers ma mère.

— Un peu plus de respect, jeune fille, siffla-t-elle entre ses dents d’un blanc à vous donner des migraines. Léonardo me disait à l’instant qu’on peut à présent passer au maquillage. N’est-ce pas ?

Léonardo hocha la tête, toujours en train de détailler de ses yeux calculateurs chaque pli et chaque couture de la robe. Un claquement de doigts et une troupe de maquilleurs professionnels plus tard, je me retrouvai fin prête.

Inquiète qu’un autre « incident » se produise, ma mère tint à rester à mes côtés durant toute la préparation. La voir sursauter à chaque fois que j’ouvrais la bouche me fit bien ricaner.

Il était désormais vingt heures tapantes et les portes du domaine s’ouvrirent enfin. Je n’eus pas le temps de gravir les marches de l’entrée que je me retrouvai assiégée des flashs de la presse et des magazines people.

Cela faisait des années que mon père interdisait à ma mère d’ouvrir aux journalistes mais elle le faisait toujours, de peur qu’ils « perdent leurs emplois ».

Mais à cause de cette bonté de cœur, je me retrouvai une fois de plus aplatie contre mes deux gardes du corps. Comparables à des bœufs niveau poids, physique et taille, ils peinaient cependant à garder une distance entre les journalistes et nous.

— Pourquoi vous paie-t-on si la seule chose que vous sachiez faire c’est m’écraser les pieds, bandes d’incapables ? crachai-je dans leur direction. Allez, dégagez.

Je les laissai se confondre en excuses et levai les yeux au ciel avant d’empoigner les bas de ma robe et de les repousser violemment. Ils voulaient des photos ? Elles en auraient, ces foutues fouines. Il y eut des cris d’approbation lorsque je me plaçai au bord du balcon, les mains sur la rambarde de granit et le menton baissé vers eux.

Les voir grouiller par quinzaine sous mon nez, telle une cour face à sa reine me procura un excellent sentiment de toute puissance. Mes dix-huit ans se passeraient peut-être mieux que je l’espérais, en fin de compte.

Dans le jardin derrière les journalistes, les pneus de Berlines, Lamborghini et décapotables en tout genre crissaient sur le gravier blanc. Des célébrités que je connaissais de vue ou de nom étaient attaquées par une nouvelle horde de journalistes et les multiples gardes du corps se battaient pour les maintenir hors du tapis rouge.

Lassée, je rejoignis rapidement ma mère et nous nous chargeâmes d’accueillir les invités qui entraient en masse dans la maison. Telle ou telle chanteuse, tel footballeur, telle actrice, tel présentateur…

Je répondis de vagues remerciements aux vœux que je recevais et une fois que ma mère m’eut enfin quittée pour faire la discussion avec je ne savais quelle nouvelle star, je profitai de cette aubaine pour m’accouder au bar.

— Joyeux anniversaire, Carmen.

Cette voix. Je ne la connaissais que trop bien, elle me fit soupirer. Je me retournai, prête à affronter une nouvelle altercation sociale.

— Je vous remercie, Gen, dis-je platement en portant la coupe de champagne à mes lèvres.

Je ne quittai pas son regard en passant ma langue sur ma lèvre inférieure, récupérant ainsi une goutte de champagne avant qu’elle ne coule sur mon menton.

Gen fixa ma bouche avec attention, puis esquissa un sourire avant de planter ses yeux dans les miens. Son costume trois-pièces de velours obscur s’accordait à la perfection avec ses cheveux d’un noir profond. Ses yeux bruns me jaugèrent un instant et il s’apprêta à dire quelque chose, mais fut coupé par mon père.

— Regardez la beauté de nos enfants, ma chère Nomiko ! s’exclama-t-il les bras levés.

Vêtue d’un kimono aux tons vert forêt resplendissants, Nomiko m’adressa un sourire tendre avant d’embrasser mes deux joues. Je lui rendis son sourire, étant l’une des seules personnes que je portais dans mon cœur. Je sentis la main de mon père se placer dans mon dos et je compris qu’il fallait que je pose une nouvelle fois.

Je ne pris même pas la peine d’afficher un beau sourire, je me contentai de fixer un des appareils photo, encadrée de Gen et mon père. Lorsque vint l’heure du dîner, mes parents et moi nous retrouvèrent sans surprise, attablés avec Nomiko et son fils. Je doutais de plus en plus qu’ils trafiquent dans mon dos un mariage avec Gen mais j’avais toujours essayé d’éloigner cette idée folle de mon esprit. Mes parents étaient assez modernes pour ne pas adhérer à ce genre d’idées, surtout qu’ils savaient pertinemment que je n’éprouvais aucun sentiment amoureux vis-à-vis de Gen.

Les Sugimoto m’avaient même invitée dans leur gigantesque maison traditionnelle au Japon, l’été dernier. Gen ne m’avait pas lâchée d’une semelle et je le soupçonnais d’avoir envoyé ses hommes de main donner une leçon musclée à des jeunes qui s’étaient amusés à me draguer. Ce fut le seul divertissement de mes vacances. Une fois mon retour à Monte-Carlo, il ne fit que de me harceler de messages sur les réseaux sociaux.

Je sentis son regard pesant sur moi pendant tout le repas. Je ne pouvais profiter pleinement de mon gâteau d’anniversaire en le sachant m’observer. Non pas que cette attention me déplaise mais la forêt noire est un plat qui mérite d’être mangé plus dignement que ça. Je lui offris un sourire forcé pour qu’il détourne le regard et je fus tranquille jusqu’au bal, où il fallut évidemment que je danse avec lui.

Malgré mes réticences, mon père me glissa qu’il augmenterait mon argent de poche de quinze pour cent si j’acceptais cette danse alors je me contraignis à empoigner la main tendue de Gen pour le laisser me guider jusqu’au centre de la piste de danse.

Gen était un bon danseur, je me surpris même à faire un effort et suivre la fluidité de ses pas. Malgré mes escarpins, je glissai et tournai avec aise et ses mains me retenaient avec assez de puissance pour me faire tournoyer sans que je ne m’éclate contre le parquet.

Ses cheveux plaqués en arrière avec seulement quelques mèches tombant sur son front hâlé lui donnaient un charme divin. Des sourcils épais et épilés à la perfection soulignaient son regard pénétrant et sa bouche entrouverte laissait échapper un souffle chaud qui s’abattait sur mon visage. Il était d’une beauté à couper le souffle, d’une gentillesse exquise et d’une intelligence épatante et pour la première fois, je me demandai pourquoi ne l’aimais-je donc pas.

Cette question me tortura jusqu’à tard dans la nuit. La réception en l’honneur de ma majorité était terminée depuis plusieurs heures mais je n’arrivais pas à dormir. Je n’arrêtais pas de me tourner et me retourner dans mon lit, pleine d’interrogations qui n’avaient d’habitude aucune place dans ma tête. Est-ce que mes parents allaient réellement me marier avec un homme que je n’aimais pas ?

Chapitre 2

Le lendemain, un mal de crâne abominable accompagna mon réveil. Une main sur le front, je repensai douloureusement à la réception. Il était vrai qu’une fois tous les invités partis, j’avais un peu forcé sur le rhum. Mes parents et Nomiko avaient dû repartir de l’autre côté de la ville pour régler je ne savais quelles affaires et je m’étais donc retrouvée seule avec Gen.

— Vous buvez ? avais-je demandé en lui tendant un verre.

Gen avait desserré sa cravate, déboutonné les premiers boutons de sa chemise et avait pris place dans le fauteuil bleu nuit de cuir face à moi.

Dès qu’il eut accepté l’alcool, les évènements s’enchaînèrent rapidement et après quelques bouteilles de vin et plusieurs paquets de cigarettes, nous avions décidé d’un commun accord qu’il vaudrait mieux aller se coucher.

Mais la boisson avait encore eu raison de moi. Je me retrouvais maintenant avec une terrible gueule de bois en plus d’une nausée diablement persistante. Je n’eus pas le temps de me plaindre davantage, il était presque huit heures et j’avais pris du retard sur ma journée. Après une brève toilette, j’étais prête pour aller en cours.

Le lycée dans lequel j’étais inscrite me répugnait mais je n’avais pas le choix. Rempli de fils à papa en tout genre et de princesses gâtées jusqu’à la moelle, l’établissement me dégoûtait. Évidemment que je faisais partie de cette catégorie richissime mais j’avais le mérite de ne pas m’en vanter.

— Salut, dis-je à Maddy en balançant mon sac sur la table.
— Hey ! Joyeux anniversaire, je suis vraiment désolée de ne pas avoir pu venir, j’étais coincée chez mes grands-parents pour le week-end…
— Ne t’en fais pas pour ça.

Maddy se mordit la lèvre et sourit à pleines dents. Elle était mon amie et dans ce lycée merdique, c’était l’une des rares personnes pour lesquelles j’éprouvais de l’affection.

Elle était débordante d’une énergie incroyable et rien que de la voir me redonnait un peu de courage. Je vis à ses yeux inquisiteurs qu’elle voulait des détails de la soirée. Je roulai des yeux et souris. Elle eut même droit au détail de la danse avec Gen.

Partout où je passai me valurent les regards curieux des élèves. Durant la nuit, les photos de la réception avaient été publiées dans les journaux et dans les magazines et comme à chaque fois, seuls quelques élèves avec un bon statut avaient pu venir. Les invitations des de la Fresnay créaient beaucoup de jaloux et étaient un objet de convoitise.

Ils salivaient tous devant nos galas que l’on disait si spectaculaires dans le pays entier. Je m’arrêtai dans le cloître de l’établissement et posai un pied sur le banc de pierre pour remonter ma chaussette haute.

— Ta soirée était réussie, de la Fresnay. Dommage qu’on n’ait pas pu danser ensemble.

Je relevai la tête vers le fils d’un célèbre diplomate russe, Alek Voronov. Celui-ci passa le dos de sa main sur son veston noir et m’offrit un sourire en coin.

Lunettes relevées sur le haut du crâne et assez intello, Alek plaisait aux filles et aux garçons. Il faisait un tabac dans l’équipe de hockey et était l’une des fiertés du lycée. Je m’assis sur le banc et détachai mes cheveux.

— Mon argent de poche n’aurait pas été augmenté si t’avais été mon cavalier. Mais peut-être la prochaine fois, qui sait, hasardai-je en haussant les épaules.

Alek éclata d’un de ses rires francs dont il détenait le secret et me fit un signe de la main avant de s’éloigner. Je l’avais vaguement aperçu en accueillant les invités et je l’avais royalement ignoré. L’air commença à se rafraîchir, j’attrapai mon sac et pris la direction de ma prochaine salle de cours.

Naître dans une famille aisée comprend aussi toute l’éducation et les mœurs qui vont avec. Et mes parents avaient un peu forcé sur la case « éducation ». À trois ans, mon père me faisait prendre des cours d’anglais avec la meilleure professeure britannique qui puisse exister. À huit ans, il y eut ensuite le mandarin, le russe, l’espagnol et le latin, sans oublier l’hindi. Les cours d’équitation, d’art, de mathématique avancée et toutes sortes de sports ne passèrent pas à côté non plus.

Vous pourriez croire qu’une fois les langues les plus parlées dans le monde maîtrisées, je serais enfin tranquille. Eh bien non : j’étais actuellement plongée dans l’apprentissage de l’arabe et du japonais.

Jongler d’une langue à l’autre sans difficulté était primordial : dans quelques années, peut-être même quelques mois, je prendrai les rênes de l’entreprise familiale où mon père y avait fait fortune grâce à ses nombreuses relations à l’international.

En attendant, même dans la classe européenne la plus poussée, je me faisais royalement chier. Alek et Maddy m’encadrant et tous deux participant avec une vivacité hors du commun me firent quand même une légère distraction.

Mais les cours de ce lycée se devant d’être le meilleur des meilleurs commençaient à me taper sur les nerfs. De plus, entendre mes deux voisins s’exciter sur leurs chaises avait fait revenir ma migraine.

La nuit tomba vite et quand le chauffeur me déposa devant l’entrée du domaine, il faisait déjà noir. Je pris immédiatement la direction des écuries.

Le domaine où je logeais depuis toujours était il y a une quarantaine d’années un immense centre équestre destiné aux enfants et adultes de la haute bourgeoisie. Après la mort de mon grand-père, mon père décida de rénover le bâtiment principal qui avait maintenant l’air d’un gigantesque hôtel particulier.

Pour honorer la passion de mon grand-père pour les chevaux, les écuries avaient également été entièrement refaites et les quelques hectares de terrain derrière le domaine étaient occupés par la dizaine de chevaux que nous possédions. Le chemin était illuminé par quelques éclairages au sol et je ne pus m’empêcher de sourire en atteignant les écuries.

Une fois mon cheval sellé, je m’apprêtai à passer le pied dans l’étrier quand la sonnerie de mon portable retentit si fort qu’Apollon hennit de surprise et secoua frénétiquement la tête.

Je poussai un juron en lisant sur l’écran le nom de père. La discussion fut brève, il me demanda simplement de rentrer immédiatement. Évidemment, il ne précisa pas pourquoi. Mais le ton de sa voix me préoccupa.

Mon père était quelqu’un de doux quand il le voulait et quand il avait quelque chose à me dire, il venait me trouver aux écuries et nous nous rendions ensuite tous les deux faire une balade dans la forêt derrière les champs. Le fait qu’il ne me donne aucun détail était bizarre. Je poussai la lourde porte d’entrée, ma bombe toujours sous le bras, et me dirigeai à grands pas vers le salon.

Ma mère était assise sur le sofa, la mine pâle, et mon père lui frottait doucement l’épaule. Lui aussi avait l’air inquiet. Ses cheveux poivre sel étaient ébouriffés et il tirait de grosses bouffées sur son cigare cubain.

J’étais des plus confuses, je ne voyais pas ce qui pouvait se passer pour mettre mes parents dans un tel état. Je ne l’avais pas vu tout de suite à cause des gros piliers s’élevant du sol au plafond mais je l’aperçus enfin.

Un cri sortit aussitôt de ma gorge et j’accourus vers Gen. Assis face à mes parents, il avait le visage tuméfié et du sang frais coulait de sa lèvre, de son nez et de son front. Il était trempé de sueur, sa poitrine montait et descendait à un rythme irrégulier et saccadé. Nomiko affichait une mine consternée. Son fume-cigarette coincé entre les dents, elle tournait et retournait entre ses doigts un fin poignard.

— Mais… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Chapitre 3

Hors de moi, je faisais inlassablement les cent pas dans ma chambre depuis une bonne heure. Gen et Nomiko s’étaient fait attaquer durant leur trajet vers l’aéroport et Gen s’était battu pour défendre sa mère.

Leurs trois gardes du corps avaient été tués. Encore sous le choc, je me laissai tomber au sol face à mon miroir. Les Sugimoto auraient pu y passer. Je passai une main fébrile dans mes cheveux.

— Je n’aurais jamais cru vous voir pleurer un jour.

Je me relevai vivement pour rencontrer le regard de Gen. Adossé contre ma porte, sa chemise ouverte, il caressait du bout du doigt le bandage qui lui entourait l’estomac. Je ne l’avais même pas entendu arriver tant j’étais concentrée à fixer ma réflexion.

— Vous n’avez même pas toqué, qu’est-ce qu’il vous prend, de rentrer dans la chambre des gens sans prévenir ? Et que faites-vous là ?
— Je m’excuse, Carmen, dit-il dans un faible rire. J’en oublie mes bonnes manières. Je voulais vous prévenir que ma mère et moi resterons chez vous quelques jours, peut-être semaines.

Je haussai un sourcil d’incompréhension.

— Le temps que la situation se tasse, expliqua Gen.
— Pourquoi est-ce qu’on vous a attaqués ? Ça n’a aucun sens.

Gen soupira longuement et fit tourner sa chevalière entre ses doigts.

— Je pense qu’il s’agit des Vénézuéliens. Ils n’ont pas bien pris notre refus d’alliance. N’ayez aucune crainte, on s’en est déjà occupé.

Je ne fis rien paraître mais leur efficacité m’impressionna. Je vis Gen grimacer discrètement en portant la main à son sourcil. Un fin filet de sang atterrit sur ses cils et le fit cligner des yeux.

— T’as mal ? dis-je aussitôt en m’approchant, munie de mouchoirs.

Surpris, Gen eut un mouvement de recul mais en voyant ma détermination, je vis les muscles de son ventre se détendre. Sur la pointe des pieds, j’appliquai le tissu sur sa plaie et le balançai dans ma poubelle. Gen me remercia d’un sourire et il porta la main sur une des mèches de mes cheveux tombant sur mes yeux.

— Ils sont plus foncés que l’été dernier, chuchota-t-il. D’un blond presque brun.

Je regardai quelques instants sa main si près de ma bouche et secouai la tête en me détournant. Je n’aimais pas cette proximité. Je lui avais essuyé un peu de sang, pas la peine d’en faire une dégoûtante ode nostalgique. Gênée de l’ambiance que j’avais causée, je remuai l’élastique de mon short avec nervosité.

— Tu devrais y aller, t’as besoin de repos.

Gen me détailla plusieurs secondes, acquiesça, mais juste avant de passer la porte, il dit :

— J’apprécie que t’acceptes enfin de me tutoyer, Carmen. Merci encore.

Une fois la porte fermée, je poussai un bruyant soupir et me jetai sur mon lit. Je ne m’étais même pas rendu compte que je pleurais. Les larmes d’émotion étaient silencieuses et discrètes, un peu trop parfois.

Le lendemain, je ne croisai ni mon père ni ma mère. J’en avais l’habitude, de toute façon. La jupe courte imposée par l’uniforme du lycée me faisait grelotter et malgré la BMW chauffée, je ne pus retenir quelques grelottements.

Lorsque le chauffeur se gara sur le parking, je me retrouvai comme toujours parmi les premiers arrivés. Je m’apprêtai à gravir les marches de l’établissement quand une lourde masse s’abattit sur mes épaules.

— Putain, Maddy ! m’écriai-je avec colère.
— Désolée, s’esclaffa-t-elle dans un gigantesque sourire. Tu sais qu’on parle encore plus de toi ?
— Mais de quoi tu parles, à la fin ? dis-je avec impatience.

Il était vrai que le peu d’élèves que j’avais croisé m’avait regardée de haut en bas avec une expression bizarre. J’avais mis ça sur le coup de la réception du week-end précédent qui leur restait en travers de la gorge mais c’était différent, cette fois. J’ouvris la bouche mais je fus aussitôt coupée :

— Carmen, c’est vrai que tu héberges d’autres criminels dans le domaine ?
— D’autres ? Comment ça, d’autres, Everett ?

Fils d’une journaliste sans scrupules mais célèbre pour son exécrable manière de gagner sa vie en violant l’intimité des autres, Everett ravala difficilement sa salive face à moi. Détesté de tous (à croire que c’était de famille), il cherchait par tous les moyens d’entrer dans le domaine depuis notre première année au lycée.

— Plus rien à dire, Bayeux ? renchérit Maddy avec une moue amusée face à son silence.
— Laisse tomber, marmonna-t-il en croisant mon regard noir.

Ce fut à ce moment qu’Alek et Oscar choisirent de pointer le bout de leur nez.

— Quelle star, de la Fresnay ! s’exclama Alek les bras écartés. On ne parle que de ces fameux Sugimoto.
— Alors ? me chuchota Oscar en passant son bras autour de mes épaules. Ils sont vraiment dans la mafia ?
— Vous êtes ridicules, je croirais entendre la mère de ce connard d’Everett, soupirai-je en me dégageant d’Oscar.

Alek échangea un regard avec Oscar avant que tous deux partent dans un fou rire et s’éloignent. J’avais donc la cause de ces murmures incessants.

Maddy et moi bousculâmes un groupe de filles qui nous fixaient sans discrétion et nous nous rendîmes en cours de maths. Cette montée soudaine en popularité n’annonçait rien de bon pour Gen, Nomiko, mes parents et moi. J’avais le mauvais pressentiment qu’il y aurait bientôt des changements.

Sans surprise, je ne m’étais pas trompée. Plus tard dans la soirée, bien décidée à monter mon étalon, je finissais à peine de le seller que des bruits de sabots dans la carrière résonnèrent dans les écuries. Il n’y avait que mon père pour monter à cette heure tardive. Et il était censé n’être jamais présent. Je poussai un grognement et grimpai sur le dos d’Apollon.

Arrêtée devant la barrière ouverte de la carrière éclairée, j’observais mon père franchir les quelques oxers avec aisance. Saphir, sa splendide jument, était un pur-sang alezan né de deux anciens champions de saut d’obstacle. Sa grâce était à couper le souffle.

— C’est à en oublier que j’ai un père.
— Je t’en prie, Carmen, soupira-t-il.

Son front trempé de sueur et ses cheveux rabattus en arrière le rajeunissaient. Néanmoins, ses traits étaient tirés par l’inquiétude. Il flatta de sa main gantée l’encolure de Saphir avant d’avancer vers la barrière de la carrière. Je le suivis en silence et nous prîmes le chemin de la forêt.

— Tu t’es amélioré en dressage, c’est bien.
— Et si tu me disais ce que t’as à me dire, au lieu de tourner autour du pot, dis-je avec agacement.
— Très bien, mais ça ne va pas te plaire.
— Ce que tu dis ne me plaît jamais.
— Tu es en danger, Carmen, lâcha mon père en ignorant ma remarque. Nous pensions que les agresseurs des Sugimoto en avaient après Nomiko mais il se trouve que c’est à Gen qu’ils en veulent. Nous ne savons pas encore qui, mais on en a après lui. Et toi aussi.
— En quoi est-ce une surprise ? je ris amèrement. Je suis entourée de gardes du corps depuis toujours, papa.

Nous arrivions maintenant à la bordure de la forêt. Elle était sombre, seuls quelques rayons de lune éclairaient le chemin. Mon père s’arrêta et tourna la tête vers moi.

— Maintenant que tu es majeure, il semblerait qu’ils soient bien plus déterminés que les années précédentes à…
— Me faire la peau ?

Mon père m’administra un regard sévère mais fut contraint d’acquiescer. Ce n’était une surprise pour personne, mon père avait un nombre incalculable d’ennemis et ils avaient bien compris qu’il y a bien pire que de tuer la personne que l’on déteste par-dessus tout. Il suffit de s’en prendre à ses proches pour la voir dépérir à petit feu.

— Tu es ma fille unique, je dois te protéger, dit-il en me caressant la joue.

Je fermai les yeux. Il faisait la même chose depuis que j’étais petite. Mais je n’étais plus une gamine. Je tournai la tête pour me dégager de son emprise et je vis une ombre traverser les yeux bleus de mon père. Je regrettai presque instantanément mon geste mais j’étais bien trop fière pour le laisser paraître. Que pouvait-il me reprocher ? Après tout, c’était lui qui m’avait appris à rester impassible peu importe la situation.

— Nous devons ruser et opérer de manière différente, cette fois-ci. Fini les mastodontes visibles à des kilomètres nous avons besoin d’un jeune homme avec des capacités hors norme capable de tout le temps se fondre dans le décor.
— T’es en train de me dire que j’aurai un garde du corps à temps plein ?
— Exactement. Il t’accompagnera aux galas, en cours, lors de tes sorties, de tes soirées et tout le reste.

Je tombais des nues. J’étais étouffée depuis ma naissance, limitée dans mes déplacements et dans mes activités et on m’apprenait maintenant qu’en plus de tout le reste, je serais suivie les seuls moments où j’avais un semblant de vie normale ?

— C’est du foutage de gueule, papa, lui crachai-je.

Une vive douleur me traversa le visage. Je réprimai un rire et passai la main sur ma joue.

— J’aurais dû m’en douter. Dès qu’on te contredit, tu en passes aux mains. Mais je suis majeure, je suis libre de décider par moi-même.

Un rictus mauvais tordit les lèvres de mon père.

— N’oublie jamais à qui tu parles, ma fille. Tant que tu vivras sous mon toit, tu n’auras aucun mot à dire sur les méthodes que je choisis pour assurer ta protection. Si je juge qu’un garde du corps est nécessaire alors il y en aura un. Suis-je assez clair ?
— Et si je refuse ?
— Je te bloque l’accès à ton compte bancaire. Arrête tes enfantillages, dois-je te rappeler que tu es l’héritière de l’entreprise ?

Il me posait un ultimatum. Contrainte d’accepter, je refusai cependant d’admettre à haute voix qu’une fois de plus, Ivann de la Fresnay avait gagné. Je poussai un grognement et donnai un violent coup de talon à Apollon, qui partit aussitôt au galop.

Chapitre 4

— T’y crois, toi ? J’hallucine, un garde du corps à temps plein.
— Espère juste qu’il soit mignon, dit Maddy en posant le lisseur sur sa coiffeuse.
— Je n’ai plus que ça à faire.

Nous nous préparions depuis une bonne heure pour honorer l’ouverture d’une nouvelle boîte de nuit, enfermées dans la chambre de Maddy à essayer des multitudes de tenues.

Je choisis finalement une robe courte de satin noir fendue aux cuisses. Mes cheveux étaient rassemblés dans une queue de cheval basse un peu désordonnée et mes yeux étaient soulignés d’un trait d’eye-liner fin et long.

Je comptais bien profiter du peu de temps que j’avais avant que mes parents me trouvent un garde du corps. Une boîte de nuit venait tout juste d’ouvrir et ce soir, ils l’inauguraient. Connaissant le propriétaire et l’ayant aidé à financer le projet, il m’avait réservé plusieurs places à l’étage VIP.

Maddy enfila son ensemble composé d’une jupe et d’un top à bretelles rose et passa une main dans ses cheveux châtains bouclés. Sa peau mate ressortait vachement, avec sa tenue. Nous nous dirigeâmes dans sa voiture et partirent direction plage du Larvotto. Même à cette époque froide de l’année, la côte était remplie de touristes.

Même quelques rues plus loin, les éclats de voix et la musique nous parvenaient. Les deux videurs me reconnurent aussitôt et après s’être salués, ils nous laissèrent entrer. J’entendis plusieurs plaintes derrière nous qui me firent sourire. Une fois à l’intérieur, Maddy poussa un sifflement ahuri. Je ne pus m’empêcher de murmurer un « wow » discret, fière que l’aide financière que j’ai apportée ait donné un si bon résultat.

Il n’était que minuit mais la piste de danse était pleine de jeunes déchaînés. Une musique électrique faisait vibrer l’entrepôt. Nous montâmes à l’étage, présentèrent nos badges à deux mecs baraqués et allâmes directement au bar.

— Tu ne veux pas qu’on descende sur la piste de danse ? me cria Maddy après avoir avalé cul sec son shot de vodka.

Je tournai la tête vers les canapés de cuir occupés par quelques vieux entourés de strip-teaseuses. Même avec plusieurs rousses sur les genoux, ils ne pouvaient s’empêcher de loucher grossièrement sur nous. Je remarquai alors que nous étions les seules adolescentes présentes à l’étage. Je ne le sentais tout à coup plus très bien, cet étage VIP.

— T’as raison, on s’en va.

Nous allions descendre les escaliers quand une main se referma sur mon bras. Je me retournai vivement.

— Oh ! Du calme, de la Fresnay, rigola Alek, clope entre les dents.

Je roulai des yeux et vis qu’il était accompagné de son acolyte, Oscar. Celui-ci parcourut lentement chaque recoin de mon corps avant de finalement s’intéresser à deux brunes passant devant nous.

— Ce n’est pas croyable, vous êtes partout, marmonnai-je en acceptant tout de même la cigarette que me tendit Alek.
— Plus on est de fous, plus on rit ! s’enthousiasma Maddy. Aller, on y va, y’a de plus en plus de monde…

Alek et Oscar semblèrent adhérer à l’idée et hochèrent la tête. Maddy m’attrapa la main et nous nous frayâmes un chemin pour atterrir au cœur de la piste. Je pris une bouffée de cigarette, repoussai un mec un peu trop alcoolisé quand je sentis deux mains sur mes hanches. Je reconnus aussitôt le parfum d’Oscar. Son souffle dans ma nuque, il me murmura :

— On pourrait remettre ça, tu ne crois pas ?

Je savais parfaitement qu’il faisait allusion à une fin de soirée qui avait eu lieu quelques mois auparavant. On avait couché ensemble mais Dieu sait que l’alcool n’y était pas pour rien. Oscar était quelqu’un de séduisant, je ne couche quand même pas avec n’importe qui, mais il était trop… basique. Même si ce n’était ce que les élèves du lycée pensaient.

— C’est arrivé une fois seulement, je ne compte pas recommencer, Oscar.

Je sentis ses mains resserrer leur emprise sur mon corps et sa frustration me fit rire. Je lui tapotai le haut du crâne et attrapai la cigarette qu’il avait en bouche pour en tirer une bouffée. Je savais quel effet je lui faisais.

Ennuyée, je me détachai de lui pour aller retrouver Maddy quand je la vis, elle et Alek, s’échanger un baiser langoureux. Je le savais bien qu’ils se tournaient autour, ces deux-là. Maddy l’avait toujours nié mais dès qu’ils auraient fini leurs affaires, j’irai lui en toucher deux mots.

— Alors comme ça, tu te tapes toujours Oscar ? ricana Maddy en haussant un sourcil quelques instants plus tard.
— Il aimerait bien, répliquai-je en appliquant une fine couche de rouge à lèvres. Fous-toi bien de moi, je t’ai vue avec Alek tout à l’heure.

Maddy, habituellement si confiante, vira dans des teintes rouges en une fraction de seconde. Je la regardai quelque temps avant d’exploser de rire.

— On a un truc pour les Russes, hein ?

Elle m’administra un coup sur la tête et nous prîmes la direction de la sortie. L’air glacé me fit soupirer d’aise. L’atmosphère étouffante de la boîte m’aurait montée à la tête si nous étions restées une minute de plus. Il devait bien être deux heures du matin, les trottoirs éclairés par les lampadaires étaient pleins de jeunes fêtards, les trois quarts déjà bien bourrés.

Ce ne fut que dans la voiture que je remarquai les multiples appels manqués de mes parents. J’admettais que j’étais presque sortie comme un voleur. Après les cours j’avais filé chez Maddy sans dire un mot à mes parents alors que j’avais comme stricte règle de les avertir pour chaque déplacement que j’effectuais. Au moment où j’écoutais ma messagerie, une troupe de gardes du corps était certainement à notre poursuite.

Mais je m’en fichais. Tout ce que je voulais, c’était boire et m’amuser car bientôt, je n’aurais plus tous ces privilèges. Fidèles à notre tradition, nous nous attablâmes à notre table habituelle au bar que nous fréquentions depuis nos quatorze ans. Maddy et moi l’aimions tant car il avait ce côté secret, contrairement à toutes les terrasses tape-à-l’œil qui peuplent les rues de ce pays.

Derrière chaque box masqué d’un épais rideau de velours rouge se trouvaient deux petites tables rondes de bois massif. Les fauteuils d’angles dans les mêmes tons de sang formaient un endroit parfait pour terminer nos soirées. Après plusieurs whiskys coca, Maddy tira le rideau et passa la tête à travers. Je haussai un sourcil en remarquant sa mine intriguée.

— Ben quoi ?
— Y’a un mec qui n’arrête pas de fixer notre box. Quand on est rentrées, il ne t’a pas lâchée du regard.

Encore un détraqué. Je grommelai quelque chose qui fit sourire Maddy et nous sortîmes du bar. Arrivée devant la grille du domaine, j’inspirai profondément et commençai à remonter l’allée. Je n’eus pas le temps de passer la porte que toutes les lumières s’allumèrent. Je fermai les yeux quand j’entendis des pas rapides fouler le carrelage. Ce fut d’abord ma mère qui apparut puis mon père, tous deux en pyjama.

— Vous n’êtes pas couchés ? dis-je dans un demi-sourire en me dirigeant vers l’escalier.
— Pas si vite, Carmen, siffla mon père en me retenant par le bras. Ma parole, n’avions-nous pas un accord ?

Je soupirai et me dégageai de sa poigne douloureuse.

— Tu sais pourtant que tu es peut-être en danger, dit doucement ma mère. Tu dois absolument nous dire où tu te trouves.

Ma mère avait le don pour détendre l’atmosphère. Mon père passa une main dans ses cheveux et alluma rageusement un cigare. Je baissai les yeux et serrai les dents.

— Je profitais simplement de mes derniers instants de liberté avant qu’un de vos chiens ne me lâche plus.

Je sus immédiatement que mes paroles enrageraient mon père et effectivement, son cigare entre les dents, il se précipita vers moi et arrêta son visage à seulement quelques centimètres du mien.

— Je commence à en avoir assez, Carmen. Jusqu’à ce qu’on trouve celui qui assurera la protection de ta vie, tu ne sortiras du domaine que pour aller en cours. Est-ce que tu m’as compris ?

Je déglutis et hochai la tête. Son regard sombre me fit pour la première fois depuis longtemps peur. Soudain, des bruits de courses nous firent tourner la tête vers l’entrée. Trois gardes du corps venaient d’arriver, essoufflés et bredouilles.

Si c’était eux qui avaient été chargés de me ramener, ils avaient lamentablement échoué. Ça restait ma victoire du soir. Dès qu’ils me virent, ils écarquillèrent les yeux et dirent avec une haine contenue :

— Nous l’avons cherchée dans toute la ville, monsieur.
— Si nous n’étions pas dans un tel moment de crise, je vous renverrais sur le champ, cracha mon père.
— Ivann ! s’écria ma mère. Merci messieurs, vous pouvez y aller.

Sans un regard pour moi, les trois gardes du corps tournèrent les talons.

— Je peux disposer ? dis-je avec sarcasme.

Mon père ouvrit la bouche mais ma mère lui jeta un regard d’avertissement. Je levai les yeux au ciel et n’attendis pas leur réponse pour m’enfermer dans ma chambre. Les journées seraient encore pires qu’avant avec les nouvelles règles à la con de mon père.

Chapitre 5

Ce matin-là, je sus que la journée se déroulerait mal. Je me levai avec une douleur à la tête à la limite du supportable et quand je me rendis face à mon miroir, je découvris avec dégoût que mes yeux étaient enflés. Sûrement à cause du stress lié à cette histoire de garde du corps. Je ne parvins même pas à distinguer le marron clair de mes iris tant mes paupières étaient boursouflées.

Habitant à une quarantaine de minutes du lycée, je me levais toujours très tôt et il n’était que cinq heures du matin. Je pris le temps d’appliquer pendant une vingtaine de minutes deux poches de glaçons sur mes yeux et poursuivis ma routine. L’allée devant la maison était couverte d’un verglas épais sur lequel mon chauffeur manqua de s’étaler. Je refrénai un rire et grimpai dans la voiture.

Comme pour confirmer le fait qu’aujourd’hui ne me ferait pas de cadeau, cet inexpérimenté de chauffeur me fit renverser mon café brûlant sur mon uniforme quand il appuya de toutes ses forces sur le frein. Il ne se préoccupait plus de la femme et de sa fille qui s’excusaient gauchement sur le passage piéton, il regardait avec appréhension la tache foncée qui s’étalait sur ma chemise.

— Je pourrais vous poursuivre en justice pour mise en danger à la vie d’autrui, vous savez ?
— Mais… Enfin, mademoiselle, j’ai évité les deux femmes à temps…
— Je parlais de moi, pas de ces idiotes. Qu’elles aillent en enfer, peut-être que là-bas, on y respecte les feux rouges.

Le chauffeur ouvrit la bouche et me regarda, ne sachant que dire ou que faire.

— Bah alors ? C’est que vous voulez me mettre en retard, en plus ?

Il ne dit plus rien jusqu’aux grilles du lycée. Je l’observai démarrer en trombe du parking avec un sourire et me dirigeai vers mon casier pour y récupérer une chemise de rechange. Dans les vestiaires, j’y retrouvai Maddy, enfilant une brassière de sport. Je lui offris un doigt d’honneur quand elle se moqua de ma tâche mais elle ravala vite ses rires quand je lui décrivis la tête du chauffeur après mes menaces.

Elle me réprimanda jusqu’au court de tennis sur ma façon de traiter les autres et sur le travail qu’il fallait faire sur soi pour se contrôler. Maddy avait un truc pour l’altruisme ou je ne savais quelles autres conneries du genre. On m’avait toujours appris qu’entre humains s’exerçait une véritable chaîne alimentaire. Suffisait d’être à la hauteur de son titre, quand on se trouvait au sommet.

Comme si mon sac n’était pas assez lourd, une grosse pluie glacée accompagnée de petits flocons de neige s’abattit sur moi dès que je mis le pied hors de la berline. Évidemment, il fallut que cette foutue bagnole pourtant valant une petite fortune tombe en panne juste devant l’entrée du domaine. Le chauffeur, encore traumatisé, se confondait en excuse.

Sans un regard pour lui, je parcourus au pas de course les deux cents mètres de gravier et franchit avec soulagement le pas de la porte. Haletante, trempée et épuisée, ce fut à peine si je réagis à la voix de mon père :

— Dure journée ?
— Je te croyais à Zurich.
— Excellent accueil.

Je me tournai vers lui. Un sourire creusait des fossettes dans ses joues mais ses yeux n’exprimaient rien. Aucune lueur de quoi que ce soit. Cette expression de pure satisfaction qu’arborait mon père ne présageait rien de bon. Je sus alors qu’il avait trouvé.

— Où est-il ? demandai-je avec lassitude.
— Suis-moi.

J’avais horreur qu’on ne me donne pas de réponse claire mais je me retins bien de faire une réflexion. Plus on s’approchait de la cuisine, plus l’angoisse montait en moi. À quoi allait bien ressembler le gardien de ma vie ? Un monstre couvert de tatouages au crâne rasé ? Ou peut-être bien une équipe entière, connaissant la folie des grandeurs de mon père. Je ne vous cache pas que je ne retins pas mon cri de surprise en découvrant celui qui aurait la lourde tâche de me protéger.

Je pensai d’abord à une blague mais l’expression neutre de mon père me convaincue du contraire. Face à moi se tenait un jeune homme de peut-être bien vingt-cinq ans, de grande taille à l’expression nonchalante. Ses vêtements sales et déchirés couvraient la totalité de son corps et des chaussures usées au point de dévoiler ses orteils. Ses yeux d’un bleu délavé en partie cachés par des cheveux crasseux étaient ancrés aux miens et il renifla bruyamment avant de tourner la tête.

— Papa, viens-tu d’engager un clochard ?
— Surveille ton langage en ma présence, Carmen, me prévint-il aussitôt. Je te présente Saul Rivet, il saura te protéger, je te le garantis.

Mais je perçus une légère pointe de doute dans la voix de mon père. Quelque chose sonnait faux. Cette histoire n’avait aucun sens. Jamais, au grand jamais, Ivann de la Fresnay ne confierait la vie de son héritière à un clochard pioché au hasard dans les rues de Monte-Carlo.

— C’est maman, hein ? dis-je en attrapant une barre de céréales.

Mon père parut alors gêné. Les réactions qu’il avait ne lui ressemblaient absolument pas. Je m’apprêtais à en demander plus quand la voix guillerette de ma mère s’éleva dans le couloir, pour se rapprocher de plus en plus de nous.

Elle fit son apparition suivie de deux domestiques aux bras chargés de draps et de vêtements. Je ne savais pas ce qui se passait mais j’étais sûre d’une chose : c’était absurde.

— Je vous ai fait venir des tonnes de vêtements, s’exclama ma mère en désignant fièrement les linges. Vous disposerez de la chambre face à celle de Carmen, vous êtes libre de l’aménager comme bon vous semble. Vos entraînements se dérouleront dans nos salles de sport privées.
— Je ne sais comment vous remercier de votre générosité, madame de la Fresnay, dit le dénommé Saul à voix basse, tête baissée. Je ne vous décevrai pas.
— J’en suis persuadé, dit mon père en le détaillant discrètement du regard. Vous commencerez dès que vos examens médicaux et votre remise en forme seront terminés. Je compte sur vous pour vous remettre d’aplomb rapidement.

Saul, toujours le visage fermé, hocha la tête avant que ma mère n’ordonne aux deux domestiques de l’emmener jusqu’à sa chambre. Je les suivis du regard et attendis qu’ils aient disparu pour me retourner vivement.

— Est-ce que pour une fois, j’ai mon mot à dire ? Qu’est-ce que c’est que cette blague, maman ?
— Ta fille a raison. Je sais que tu as bon cœur, Hena, mais de là à offrir l’asile à un sans-abri… Ce n’est pas comme ça que je fonctionne, j’engage des gens qualifiés. Quand tu m’as fait rentrer en urgence, je pensais que tu avais trouvé quelqu’un d’un peu plus diplômé.

Ma mère nous dévisageait avec des yeux sévères et pleins de reproches. Je n’aimais pas ce regard. C’était celui d’une femme sûre de ce qu’elle fait.

— Ce garçon m’a sauvée. Ces bandits auraient pu me tuer mais il s’est jeté sur eux et… et tu aurais vu sa technique ! Il se battait comme s’il avait fait ça toute sa vie, Ivann. Il allait partir en courant mais je l’ai retenu. Il mérite sa chance.

Ce SDF était donc un bon samaritain. Foutaises. Je ne le sentais pas, il devait forcément avoir quelque chose d’autre en tête. Je n’étais pas en position de négocier, mon père semblait avoir étrangement été envoûté par le beau discours de ma mère et lui jura de trouver les meilleurs entraîneurs pour le former.

— Je vois ton inquiétude, Carmencita, dit ma mère d’une voix tendre en se tournant vers moi. Fais-moi confiance, mi cielo.

Elle attrapa mon visage entre ses deux mains et posa un baiser sur mon front. Je fermai les yeux et me forçai à lui sourire. Quant à mon père, il s’était éclipsé sans un bruit, sans doute déjà en route pour l’aéroport. Nous y étions. J’allais désormais vivre à temps plein avec un inconnu à quelques mètres de ma chambre. Je me tus, mais il y avait réellement quelque chose qui me perturbait, chez ce Saul. Et ce n’était pas sa situation financière.

Ce type venait de passer de mendiant à une vie de luxe du jour au lendemain et il n’y avait pas eu une once de gratitude sur son visage. Certes, déceler une quelconque expression s’avérait compliqué vu la saleté incrustée sur sa peau mais je l’avais bien observé. Il avait répondu à mes parents de manière mécanique, presque agacée. Ils n’avaient rien remarqué mais moi si. Une chose était sûre, personne ne me trompait, moi, Carmen de la Fresnay.

Chapitre 6

Les réunions étaient bien l’une des choses que je détestais le plus. Avant chaque réception s’organisaient ces réunions rassemblant les invités les plus importants. J’étais forcée d’y assister à chaque fois et au fil des années, je commençais à être à court de ruses pour échapper aux longs discours de mes parents.

Je ne savais rien de la réunion qui se déroulerait aujourd’hui si ce n’était qu’il était question d’un anniversaire. Je traversai toute la maison en direction du salon en effervescence, redoutant la prochaine heure. Je m’apprêtais à signaler ma présence à mes parents mais je les vis parler à un homme de dos. Cette carrure. Je ne l’avais pas vue depuis longtemps mais je pouvais la reconnaître entre mille.

Une insupportable douleur me tordit alors le ventre et je sentis mon cœur cogner de toute sa puissance contre mon torse. Clouée sur place, je n’arrivai même pas à faire demi-tour. Mais quand mon père croisa mon regard, je sus que je ne pouvais plus rebrousser chemin. Tous les trois se retournèrent et vinrent dans ma direction, tous le sourire aux lèvres. Cet instant de stupeur qui n’avait même pas duré une seconde me quitta aussi vite qu’il était arrivé.

— Tu es devenue une femme à présent !

Tais-toi. Ferme-là, je t’en supplie.

— Bonjour, Arnaud.

Je me raidis au contact de sa main sur ma hanche mais mon père nous regardait avec fierté alors quand il déposait un baiser plus long que nécessaire à la commissure de mes lèvres, je réprimai mon dégoût et m’écartai de lui discrètement.

— La dernière fois que je t’ai vue, tu faisais bien deux têtes de moins. Tu as bien changé, depuis toutes ces années.
— Il faut croire, oui, répondis-je en me rapprochant de ma mère.
— Il faudrait qu’on te la renvoie, un été. Tu m’avais dit que les Caraïbes t’avaient plu, Carmencita ? s’exclama ma mère.

Un frisson me parcourut l’échine.

— J’y réfléchirai. La réunion commence bientôt, n’est-ce pas ?

Mon père acquiesça et pour la première fois, cette réunion me fit pousser un soupir de soulagement. Mais ses yeux ne faisaient que de me détailler avec persistance. Je savais que je le recroiserais à nouveau mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si tôt. Sitôt les places des invités fixées et le menu décidé, je ne perdis pas une minute pour déguerpir.

Une fois la porte de ma chambre fermée, j’accourus vers mon manteau et y fouillai les poches avant de mettre la main sur mon paquet de clopes. Je me débrouillais toujours pour ne laisser aucune odeur dans ma chambre et je ne m’étais jamais fait prendre. Accoudée à ma fenêtre, je pris une longue bouffée et mon regard se perdit sur les champs. Ce ne fut qu’en baissant les yeux pour éteindre mon mégot que je remarquai que ma main tremblait.

— Vous devriez vous couvrir, vous allez tomber malade avec cette température.
— Putain de merde ! criai-je alors, lâchant le cendrier sur le coup de la surprise.

Je me retournai vivement vers celui qui avait osé entrer dans ma chambre et découvris un homme, quelques mètres derrière moi.

— La prochaine fois que vous osez entrer ici sans ma permission, je peux vous assurer que les trottoirs seront vos seuls couchages.

Le menton levé vers lui à seulement quelques centimètres de son visage, je vis ses yeux briller d’un éclat étrange. De l’amusement ? C’était de l’amusement, que je venais de voir ? Un léger sourire se dessina sur ses lèvres mais il disparut presque aussitôt. J’étouffai un rire et reculai de quelques pas, soutenant son regard dur.

— Et c’est que ça se fout de moi, en plus ? Vous êtes qui, d’abord ? Et comment ça se fait que vous soyez ici ?

Il parut surpris. Ses sourcils se froncèrent et il toussota.

— Je suis votre garde du corps. Vous savez ? Le clochard.

Ce fut à mon tour de tomber de haut. Je fus tellement pris de court que j’attrapai une autre cigarette et l’allumai sans même prendre la peine d’aller à la fenêtre.

Les yeux plissés, je dévisageai grossièrement Saul Rivet des pieds à la tête. Sa transformation était radicale. Rasé de près, ses cheveux d’un châtain clair et sa peau hâlée maintenant propre le rendaient méconnaissable.

Les vêtements trop grands de la dernière fois avaient été remplacés par une chemise blanche et un pantalon de costume noir. Je pensais qu’il était de type frêle mais avec des vêtements à sa taille, il avait l’air plus musclé.

— Ah ouais, quand même. Comment ça se fait que je ne vous aie pas vu pendant au moins dix jours ?
— Votre mère voulait que je sois plus en parfaite santé et entraîné pour commencer à m’occuper de vous.
— Et ça a été aussi long ?
— Il y avait aussi des examens médicaux, il fallait attendre les résultats d’analyse et je devais suivre un programme de remise en forme.
— J’aurais pu subir une tentative d’assassinat, entre temps.
— Ah.

De ma vie, je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi ennuyé d’une conversation avec moi. Je lui administrai un regard noir et tournai les talons. J’attendis le moment où la porte claquerait, signe de son départ, mais il ne vint pas. Je me retournai lentement. Saul était toujours là, immobile, me fixant avec attention.

— Eh bien ? Personne ne va me tirer une balle ou m’envoyer une fléchette empoisonnée, ‘pouvez disposer.
— Je vois. N’allez pas pleurer dans les bras de Monsieur si quoi que ce soit vous arrive, dans ce cas. De toute façon, vous seriez déjà morte.

Je le savais. Le jeune homme poli et modèle devant ma mère dévoilait son vrai visage. Je me dirigeai vers lui avec un sourire victorieux et pointai un doigt sur son torse. Il baissa les yeux vers moi et haussa un sourcil.

— Je n’aurai pas besoin de mon père pour vous faire dégager, Rivet. Vous ne tiendrez pas un mois.
— Je saurai m’habituer à la vie de château, ne vous faites pas de soucis pour moi, dit-il avec sarcasme. Je vous retrouve demain matin à sept heures et demie pour vous accompagner en cours. Bonne nuit, Carmen.

Chapitre 7

Bouche bée, je le regardai fermer la porte de ma chambre. En dix-huit ans d’existence, aucun employé ne m’avait parlé sur ce ton. S’occuper de moi était si bien payé que toute personne sensée se plierait en quatre pour moi. Ce Saul était différent, apparemment. Une chose était sûre, si quelqu’un devait y rester, ça serait bien lui.

Chose promise, chose due : Saul m’attendait devant la porte d’entrée, vêtu d’un trois-pièces sur mesure. Le voir m’irrita tout de suite. Le pire était que mes parents me l’avaient mis sur le dos et ils n’étaient même pas présents.

Je ne répondis pas à son « bonjour » et passai devant lui pour monter dans la voiture. Il était aussi mon nouveau chauffeur et le trajet se fit dans un silence que je me fis une joie de ne pas briser. Quand j’aperçus la grille du lycée, je m’éclipsai avant même qu’il n’ait coupé le contact.

— T’as l’air d’une humeur massacrante, de la Fresnay, chuchota Alek dans mon dos.

Son ton agaçant me laissa deviner le sourire taquin qu’il avait sur les lèvres. Sans me retourner, je tendis le bras en arrière et poussai de la main sa trousse, qui atterrit sur le parquet. Je l’entendis ricaner et la ramasser sous le regard noir du professeur de français.

— Très mature.
— Toujours. D’ailleurs, je te conseillerais de faire très attention à la manière dont tu traiteras Maddy.

Je me retournai complètement vers lui et plantai mes yeux dans les siens. Il haussa les sourcils mais sourit avec de hocher la tête. Malgré mon ton dur, je savais qu’il prendrait soin de mon amie alors je n’insistai pas et me reconcentrai sur mes cours. L’heure de pause arriva plus vite que d’habitude, je repérai de loin Maddy assise à une table haute.

— Le garde du corps s’est montré, hier soir.

Maddy releva aussitôt la tête, les yeux brillants d’excitation.

— Et alors ? Comment il est ?
— Plus propre que la dernière fois. Et très intrusif.
— Attirant ? me demanda-t-elle en se penchant vers moi.
— Oui, plutôt. Même s’il reste basique.

Ma description vague de Saul suffit pour que Maddy pousse un cri de joie étouffé dans sa serviette et attire une dizaine de regards dans notre direction. Je soupirai mais souris légèrement.

— J’ai beau me renseigner sur tout Internet, je ne trouve rien qui mène à Saul Rivet, dit Maddy en posant avec déception son portable sur la table.
— Oh, j’ai déjà cherché. Même mon père n’est tombé sur rien d’intéressant. Comme s’il était effacé de la société.
— Flippant.
— Surtout qu’il vient littéralement de nulle part, ma mère l’a trouvé dans la rue.

Nous restâmes silencieuses pendant quelques minutes, pensives. Peut-être qu’il n’était pas un adepte de la technologie. Je finis plus tard que prévu et le parking était désert quand je quittai la bibliothèque du lycée. La seule voiture présente était la nôtre, garée à proximité de l’entrée.

À peine arrivée à hauteur de la berline, je fus brusquement saisie par les deux bras et tirée en avant. Je poussai un cri de surprise et tentai de me dégager mais la poigne qui me retenait était puissante. Mais nous passâmes sous un lampadaire et je reconnus Saul. Une vague de colère monta en moi.

— Mais bordel, qu’est-ce qu’il vous prend ? J’vous ai pris pour un foutu kidnappeur ou je ne sais pas quoi.

Je défroissai ma chemise avec colère et attendis impatiemment ses explications. Mais il restait silencieux, sa respiration était bruyante et il avait l’air nerveux. Saul passa une main dans ses cheveux et serra la mâchoire.

— Carmen, où étiez-vous ? dit-il dans une colère contenue. Je vous ai envoyé plein de messages, on devait se retrouver il y a au moins trois heures.
— Ça n’a jamais été convenu, Rivet, le coupai-je sèchement. Je préparais mes prochains examens, je ne savais pas que vous deviez vous tenir au courant de chaque changement d’emploi du temps.

Saul éclata alors d’un rire sans joie. Il fit tourner entre ses mains les clés de la voiture et sans me répondre, il grimpa côté conducteur. Comme à l’aller, les quarante minutes de trajet furent silencieuses mais cette fois-ci, il fut de courte durée.

— Je suis tenu d’assurer votre protection Carmen, alors oui, je dois être au courant du moindre imprévu. Je suis désolé mais c’est sous ordre de vos parents.

Je croisai brièvement son regard bleu dans le rétroviseur et tournai la tête vers la vitre. Il avait raison mais j’avais besoin de temps pour m’adapter à cette vie contrôlée. Nous montâmes les marches de l’entrée et sans un mot de plus, je partis vers la cuisine récupérer mon plat et m’apprêtai à l’entamer quand Gen fit son apparition. Manquait plus que lui.

— Salut, Carmen.
— Salut. Vous n’êtes toujours pas partis ?

Il étouffa un rire et s’assit face à moi.

— Ne t’en fais pas, notre départ approche. Ma mère a décidé d’acheter un hôtel particulier en ville.
— Parmi ceux qui sont à rénover ?
— Oui, l’entreprise de ton père est en pleins travaux. Nous allions loger à l’hôtel mais Hena voulait absolument que nous restions ici donc tu vas me voir pendant quelques mois encore.
— Oh, d’accord, dis-je avec stupéfaction. Mais… Vous êtes sûrs de vouloir rester à Monaco, vu ce qui s’est passé le mois dernier ?

Gen poussa un soupir et passa un doigt sur son arcade sourcilière. Une légère cicatrice coupait en deux le bout de son sourcil. Je n’avais pas vu qu’elle était aussi profonde.

— Oui, nous ne sommes pas du genre à fuir la menace, dit-il dans un sourire. C’est ton nouveau garde du corps ?

Il regarda au-dessus de mon épaule en direction de Saul, debout à l’entrée de la cuisine. Ne changeait-il donc jamais de position ? En guise de réponse, je poussai un profond soupir qui fit sourire Gen. Je terminai de manger sous le regard des deux hommes et ne pus m’empêcher de ressentir un certain malaise. Se savoir observée de la sorte me dérangeait plus que tout.

Mais alors que je mettais mes couverts sales dans le lave-vaisselle, je surpris l’échange de regard entre Saul et Gen. Dans la cuisine silencieuse planait maintenant un trop-plein de testostérone. Après un regard dédaigneux en direction de ces deux mâles, je montai dans ma chambre pour enfiler un pantalon d’équitation. Je me pensais débarrassée de Saul pour la soirée mais quelque chose me disait que lui n’en avait pas fini avec moi.