Traque en Ardèche - Robert Briquet - E-Book

Traque en Ardèche E-Book

Robert Briquet

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Beschreibung

L’exceptionnel site des gorges de l’Ardèche est le théâtre d’événements effrayants et dramatiques : vols, empoisonnements, meurtres, enlèvements… Tout tourne autour d’un centre de vacances de jeunes adolescents à Saint-Remèze. Le danger rôde. Il est partout. Isabelle, lieutenante de gendarmerie en début de carrière, diligente sa première enquête criminelle. Elle se heurte à un adversaire retors, sans scrupule, prêt à tout. Vraiment à tout. Au cours de l’investigation, Isabelle retrouve le grand amour de sa vie qu’elle croyait perdu. Saura-t-elle le garder ? Dans la chaleur étouffante de l’été ardéchois, une traque mortelle s’organise.


À PROPOS DE L'AUTEUR


La carrière de Robert Briquet s’est entièrement déroulée dans le monde de l’enseignement en tant qu’instituteur puis directeur. Ses passions sont la lecture mais surtout l’écriture et les voyages. Il a été édité à trois reprises. Premièrement par Labor en 2006 pour un ouvrage pédagogique intitulé L’immersion linguistique. Ensuite, il fait publier deux romans humoristiques ayant pour cadre l’école à savoir Objectif trente juin et L’école facétieuse.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Robert Briquet

Traque en Ardèche

Monos, colo, hosto et pandores

Roman

© Lys Bleu Éditions – Robert Briquet

ISBN : 979-10-377-7853-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

1 et 2 juillet

Colonie

En cet après-midi torride de début juillet, le car gravit difficilement les derniers lacets de la montée de Bourg-Saint-Andéol vers le plateau des gorges de l’Ardèche.

Il a quitté la région liégeoise en Belgique la veille en début de soirée avec à son bord une cinquantaine de jeunes, garçons et filles de 12 à 17 ans issus pour la plupart de milieux populaires voire paupérisés ou éloignés de leur famille sur décision d’un juge de la jeunesse.

Jean-Chrysostome, un réjouissant petit noir avec un sourire éclatant exhibant des dents d’une blancheur lumineuse avait dû courir pour attraper le car qui l’avait déjà attendu plus de dix minutes.

Son arrivée avait été saluée par des applaudissements de ceux qui le connaissaient déjà. Il s’était fait un peu chahuter par les autres. Mais avait gardé son éternel sourire.

Il est allé s’asseoir à côté de Jérémie, un grand garçon maigre déjà tatoué un peu partout, ce qui lui donnait l’aspect d’une tenture, qui l’avait accueilli par un grognement.

Devant eux, un jeune homme sérieux, posé, calme, portant de grosses lunettes aux verres épais lisait déjà un livre de vulgarisation scientifique à propos des corps célestes au grand ébahissement de son voisin pour qui le livre est un objet aussi incongru dans son univers qu’un crucifix sous son oreiller.

Les filles les plus âgées se sont vite reconnues : quatre d’entre elles occupent les sièges du fond du car d’où elles ont une vue sur tout, Magali, Pénélope, Agathe et Hafida.

Tous ces jeunes sont partis pour un mois d’activités sportives censées leur apprendre la solidarité, le goût de l’effort et la discipline. Attitudes que beaucoup ignorent.

Quelques-uns sont considérés comme « jeunes à problèmes ». Le grand air de la magnifique région des gorges de l’Ardèche et le sport ne pourront que leur être bénéfiques.

Les quinze heures de voyage, en partie de nuit, ont eu raison des plus agités et des plus bruyants. Ils sont à peu près tous vautrés, recroquevillés ou répandus sur leur siège.

Un des deux chauffeurs est descendu à la gare de Dijon, au milieu de la nuit, pour rentrer en Belgique, laissant le volant à son collègue.

— Je me présente, je m’appelle Henri, je voudrais réussir ma vie… avait-il lancé en prenant le volant et en pensant être drôle.

Seuls, les quelques rares à connaître Balavoine (et à s’en souvenir) avaient souri.

C’est un petit bonhomme presque chauve, discret, sympathique. On s’étonne presque qu’il puisse conduire un si grand car. Il a d’ailleurs ajouté un épais coussin sur son siège.

Anne, la responsable du groupe, une belle grande fille de vingt-cinq ans, sportive, cheveux longs châtains, qui n’a peur de rien, n’a pas fermé l’œil de la nuit. Elle sait que ce ne sera pas simple et pour tout dire que ce sera un mois éreintant.

Elle ne pouvait pas savoir à quel point…

Chaque année, elle consacre son mois de vacances à encadrer des jeunes en difficulté. Elle n’a pas oublié d’où elle vient.

Anne avait arpenté le couloir central du car pendant des heures, tâchant de parler un peu avec chacun. Savoir leur prénom, ce qu’ils aimaient faire, quel sport ils préféraient.

Elle fait toujours les choses à fond.

Ceux qui l’aiment bien disent que c’est une guerrière, de l’autorité et du charme. De la rigueur avec le sourire.

Ceux qui ne l’aiment pas se plaignent que c’est une guerrière, inflexible dans ses convictions et ne craignant pas de donner des coups de griffes ou des coups de gueule à ceux qui le méritent.

Elle avait choisi son équipe de moniteurs. Ils avaient déjà encadré plusieurs fois des colonies ensemble. À eux six, trois filles et trois garçons, ils formaient une équipe de choc. S’il y en avait une, ils auraient pu jouer la Champion’s League des moniteurs de colonie de vacances.

Seul, Renaud, le septième et petit dernier, avait été imposé par les organisateurs. Il est à peine plus âgé que les vacanciers et semble ne jamais avoir vu un enfant ou un ado de près.

Anne l’avait observé pendant le trajet. Il avait l’air mal à l’aise. Il aurait sans doute préféré se trouver ailleurs. Il faudra l’avoir à l’œil.

Anne a une confiance absolue dans son équipe, surtout dans le plus ancien, Claude Dujarret1, un costaud d’un mètre nonante-huit, cent kilos, d’un éternel optimisme et d’une inébranlable fidélité envers sa cheffe, Anne. Pour elle, il aurait mis sa tête sur le billot, sa main droite à couper et l’autre au feu. Et entre eux, il s’agit d’estime réciproque, d’admiration, de respect et d’amitié pure.

Le car approche de sa destination, Saint-Remèze et le centre de vacances, un peu à l’écart du village après le musée de la lavande vers les gorges de l’Ardèche, pas loin de la maison forestière.

La matinée a été chaude. Il fait maintenant torride et l’air conditionné du car peine à maintenir une température acceptable. La montée vers les gorges d’Ardèche a réveillé les endormis. Chacun s’ébroue façon chat de gouttière, impatient de descendre.

Le car entre dans l’enceinte du centre de vacances et s’arrête devant l’entrée principale, soulevant un nuage de poussière. Il n’a pas plu depuis longtemps.

Anne sort la première suivie de Claude. Les autres animateurs s’occupant de faire récupérer les sacs et les valises et de sortir le matériel sportif qu’ils ont amené avec eux.

Le directeur du centre, monsieur Dupontel, petit homme rondouillard attiré par le bruit du car et le brouhaha des vacanciers sort du bâtiment et s’avance pour accueillir ses visiteurs, ses deux petits yeux lubriques s’attardant sur toutes les filles qu’il croise et spécialement sur leurs courbes… quand il y en a.

— Bienvenue en Ardèche et à Saint-Remèze, s’exclame-t-il, faussement jovial en s’adressant à Claude, le prenant pour le chef.

— Ha ha, la cheffe, c’est elle, fait celui-ci en désignant Anne. Faudra vous y faire, mon vieux.

Il dépasse le petit bonhomme de deux têtes.

Avisant Anne, celui-ci se dit qu’il ne perdait pas au change en laissant ses yeux s’attarder sur l’élégante silhouette de la cheffe qu’une nuit sans sommeil, quinze heures de route et la chaleur accablante avaient à peine altérée.

— La responsable, c’est moi. Bonjour, montrez-nous les chambres, qu’on puisse s’installer.

— Euh, hem… oui, bafouille le nabot. Les garçons au premier étage et les filles au deuxième…

— OK, assène Anne, ça va, on va se débrouiller.

Le directeur écoute à peine. Tant il est occupé à regarder toutes ces jeunes filles, parfois à peine pubères. Et d’autres, déjà de petites femmes. Ses deux yeux ne lui suffisaient pas pour tout voir.

Elle ajoute, ayant déjà jaugé le gnome :

— Inutile de préciser que je ne veux pas vous voir au deuxième. À aucun moment, ponctue-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Dupontel avale de travers, cherche quelque chose à répondre, mais n’en a pas le temps.

Anne, plus haut, en s’adressant au groupe maintenant rassemblé dans la grande salle :

— Vous avez une heure pour vous installer, les moniteurs vont vous accompagner. Changez-vous, rafraîchissez-vous, vous l’avez bien mérité. Rassemblement ici à quinze heures… et pas de retardataires !

Puis se tournant vers le directeur du centre qui tente de reprendre contenance :

— Et l’infirmière, est-elle arrivée ?

Les organisateurs avaient chargé le directeur du centre de recruter l’infirmière dans l’environnement local.

— Elle devrait arriver bientôt, s’empresse-t-il de répondre, trop content d’avoir quelque chose qu’il pense intéressant à dire.

Gendarmerie

Plus tôt dans la journée, Isabelle Lefort, jolie blonde aux yeux bleus assortis à son uniforme, nouvelle lieutenante de gendarmerie, arrivée il y a quelques jours à la caserne de Vallon-Pont-d’Arc, place de l’Ancienne Gare, après une mutation de son Alsace natale, gagnait le poste d’accueil de son nouveau casernement pour s’enquérir des événements de la nuit auprès du planton.

— RAS, mon lieutenant… euh, ma lieutenante. C’est toujours aussi calme. Mais on n’est que le deux juillet, cela pourrait changer.

Il ne croyait pas si bien dire…

Isabelle remercie et se dirige vers son bureau, celui de sa petite équipe plutôt, en se remémorant son arrivée il y a peu et le pot de bienvenue qui lui avait été offert par ses coéquipiers : Benoît Legrand un adjudant précis et ordonné – cela devait être bien utile, pensa-t-elle, Jean, un inspecteur, as de l’informatique, véritable Paganini des claviers et des ordis et Corinne une jeune aspirante, brunette frisottante toujours souriante arrivée récemment elle aussi.

Ce matin, aucun n’était encore arrivé. Elle s’assit à son bureau et enclencha le ventilateur : il faisait déjà très chaud malgré l’heure matinale.

Elle avait eu aussi l’occasion, ce soir-là, de rencontrer le capitaine, un vieux grognon presque chauve, parvenu à quelques semaines de la retraite et qui redoutait plus que tout qu’un événement inopiné vienne perturber sa fin de carrière. Son mot d’ordre était « pas de vagues, pas de vagues… ».

C’est vrai aussi que les choses étaient particulièrement calmes ici à Vallon-Pont-d’Arc.

Le capitaine s’était demandé pourquoi on lui envoyait un lieutenant de si loin. Et une femme en plus. Il s’abstint de tout commentaire : pas de vagues, pas de vagues…

Sa rêverie fut interrompue par l’entrée de deux de ses collègues, l’adjudant et l’as du disque dur. Ils supputaient leurs chances (ou pas) de recevoir rapidement le nouveau matériel informatique promis depuis des lunes par l’administration.

Le téléphone interrompt leur conversation et les salutations matinales. Comme dans une école, un appel téléphonique si tôt le matin n’est souvent pas bon signe.

Isabelle décroche. On les appelle pour un accident de la circulation impliquant deux voitures sur la sinueuse route des gorges de l’Ardèche.

— Téléphone à Corinne, dit-elle à son second, l’adjudant, qu’elle vienne nous rejoindre sur place. On ne sera pas trop de trois pour les constatations. Toi, ajouta-t-elle à l’adresse de Jean le virtuose des ordis, reste ici, tu feras la garde et les recherches sur le web si c’est nécessaire.

La gendarmerie de proximité de Vallon-Pont-d’Arc, au fin fond de la France profonde, est une toute petite brigade d’une trentaine de gendarmes dirigée par un colonel un peu absent et secondé par le capitaine plus préoccupé de sa mise à la retraite prochaine que par la routine de la caserne. En effet, peu de choses sortant de l’ordinaire s’y déroulaient.

Isabelle prend le volant et démarre sur les chapeaux de roues en laissant un petit nuage bleu sur place.

Un peu d’animation n’était pas pour lui déplaire mais un accident n’était certainement pas l’événement qu’elle préférait : des blessés, des pleurs, le malheur des gens… Elle est comme une noix de coco : dure dehors et tendre dedans.

Colo

Les deux monitrices s’activent : Émeline une très jolie fille d’une vingtaine d’années, chaleureuse, extravertie, sportive (il valait mieux pour ce séjour-ci), fana de danses modernes et qui a déjà fait trois années de suite des colonies avec Anne comme cheffe, et Chloé sa copine du même âge, un peu précieuse et qui arborait en permanence des bijoux, qu’elle prétendait faux pour ne pas attirer les jalousies, mais qui étaient un héritage de sa grand-mère la comtesse de Brisac. Elles rassemblent les dernières filles qui avaient mis un temps fou à arranger leurs affaires dans la minuscule armoire qui leur a été attribuée.

Tous les autres sont déjà dans la grande salle commune. Un joyeux remue-ménage y règne. Le soleil, les vacances, le sentiment de liberté, tout concourt à rendre gais ces jeunes que la vie n’avait pas toujours gâtés.

Anne réclame le silence. Il s’agit de mettre les choses au point tout de suite, de faire admettre les règles de vie en communauté.

— Vous êtes ici pour passer un mois de vacances exceptionnel dont vous vous souviendrez toute votre vie. Vous allez faire des choses dont vous ne vous seriez jamais crus capables de faire. Même pas d’imaginer. Vous allez prendre confiance en vous et vous faire des amis pour la vie.

Murmures approbateurs.

— Mais il y a quelques règles à respecter…

Murmures interrogateurs.

Dix minutes plus tard, dans un silence de cathédrale, Anne conclut :

— Je résume : pas de smartphone, on a prévenu vos parents ou vos responsables avant le départ, ils ont marqué leur accord et ont dû vous le dire. J’en ai vu cependant quelques-uns dans le car. Les moniteurs vont passer les récolter. Vous les retrouverez évidemment en fin de séjour. Vous verrez, on peut très bien vivre sans… et bien s’amuser. Pas de smartphone donc, pas de drogue, pas de drague, pas de vol, pas de clope… et bien entendu, on marche à l’eau !

Après deux ou trois secondes de sidération complète s’ensuivit une vague d’exclamations.

« Mais c’est le bagne ! », « c’est la galère », « on est en prison ». Certains rigolent. Quelques-uns rient jaune. Ceux qui étaient déjà partis avec Anne connaissent la musique et s’amusent des récriminations qui fusent çà et là.

Anne et Claude Dujarret échangent un bref regard. Elle lui fait un léger signe de tête. Entre ces deux-là, pas besoin de longs discours.

Claude s’avance tenant un petit sac. Il se plante devant les vacanciers, jambes écartées, bras croisés sur sa puissante poitrine. Montrant du même coup ses énormes biceps.

Menton relevé, il promène son regard sur l’assemblée. Ce qui a pour effet de concentrer l’attention de chacun et d’instaurer le silence. Et pour la plupart de se ratatiner sur leur chaise. C’est qu’il en impose le costaud.

Avec emphase, il sort du petit sac… un marteau et un énorme clou.

Il les exhibe ostensiblement à tous, se tournant de tous côtés. Il se dirige lentement vers la porte du couloir qui mène aux étages.

Puis brusquement, il enfonce le clou de quelques coups de marteau vigoureux dans le chambranle au-dessus de la porte. Dans le silence de la salle, ceux-ci résonnent comme autant de coups de tonnerre.

Le directeur qui est resté dans la salle en ayant du mal à tenir ses yeux dans leur orbite tant il mate Anne, sursaute et s’éloigne vivement. La vue conjointe du costaud et du marteau lui inspire plutôt la trouille.

D’une voix de stentor, promenant son regard sur l’assemblée, Claude assène en détachant bien toutes les syllabes :

— Vous avez vu… celui qui fait un pas de travers, je le pends là et je l’y laisse sécher jusqu’à ce qu’on parte.

Le respect, la crainte, l’incrédulité ou l’admiration se lisent sur les visages.

Un petit malin, en marcel qu’il n’a pas dû changer lors de l’installation, pâle et hirsute, genre Tatane des banlieues, ricane :

— Ha ha, elle est bien bonne, tu n’oserais jamais… Et puis il faudrait déjà nous attraper… ha ha…

Et il se lève se tournant de tous côtés, pour récolter le succès qu’il croit avoir mérité par son audace.

Marc, crollé, rieur, déjà très populaire pour avoir joué de la guitare un bon moment dans le car en faisant reprendre en chœur les refrains connus des jeunes, tape dans les côtes de Patrick, l’autre moniteur assis à côté de lui sur une table derrière le groupe, et lui souffle tout bas :

— C’est lui, je crois, qui fumait de l’herbe dans les toilettes à l’arrêt à Bastogne. J’ai senti une odeur de barbecue… mais je ne suis pas entré dans les w.c., acheva-t-il en rigolant. À surveiller de près ce coco-là !

Claude Dujarret, d’un ton enjoué, content de pouvoir faire une démonstration :

— Comment t’appelles-tu ?

L’autre, narquois :

— … Mmh.

— Comment t’appelles-tu ? répéta Claude tout doucement.

— Johnny, jette le rebelle, comme un défi, et je t’emmerde.

Il s’attire quelques sourires moqueurs, le physique ne répondant pas vraiment au prénom. Quelques murmures réprobateurs et aussi un intérêt véritable : comment cela allait-il se terminer ?

— Viens, Johnny, viens près de moi, dit Claude de façon plus autoritaire, viens, n’aie pas peur.

Peur lui ? Non mais ! Il ne pouvait pas laisser passer cela. Peur ! On allait voir qui est le vrai chef ici.

Il se lève, rajustant son pantalon que ses hanches étroites ne retiennent pas. Et, arrogant, il se faufile à travers les chaises jusqu’à Claude. Le narguant du regard. Il se retourne pour voir l’effet que son manège produit sur les autres, promenant à son tour son regard sur la salle, tournant le dos à Claude, l’ignorant ostensiblement. Erreur !

Il n’a pas l’occasion d’en faire beaucoup plus, Dujarret le soulève sous les aisselles aussi aisément que s’il s’agissait d’un coussin. L’attrape par l’encolure de son marcel et le maintient contre le clou comme s’il y était suspendu.

C’est si soudain, si inattendu, si drôle que la salle explose d’une hilarité communicative.

Le fumeur d’herbe s’agite vainement dans tous les sens, bras et jambes battant inutilement l’air.

Ce qui redouble les rires et déclenche une salve d’applaudissements et de vivats.

Claude approche son nez à deux centimètres de celui de Tatane et lui dit haut et fort :

— Excuse-toi pour le « je t’emmerde ».

Les vaines gesticulations s’accroissent.

— Excuse-toi.

— …

— Excuse-toi ou tu restes pendu là et on t’apporte ton repas du soir ici.

— …

La situation devient intenable pour Tatane et il craint surtout que le géant ne lui colle une beigne. C’était souvent son moyen à lui pour régler les problèmes dans sa cité.

Cela ne sert à rien de continuer, le ridicule ne ferait qu’augmenter. Il marmonne :

— … m’excuse, à peine audible.

— Plus fort, on ne t’a pas entendu.

— Je m’excuse, crie-t-il presque, pressé de mettre fin à cette mascarade.

Une ovation monstre accueille cette reddition.

Le groupe sait maintenant où est l’autorité et qu’il vaut mieux filer doux. Claude pose Tatane au sol et lui dit :

— File !

Il ne se le fait pas dire deux fois.

Les deux moniteurs, Marc et Patrick, interceptant le costaud alors que tout le monde sort, lui murmurent à l’oreille :

— T’y es allé un peu fort, ha ha.

— Je crois qu’on a la paix jusqu’à la fin, rigole Claude… en laissant le clou planté où il est. Il pourrait peut-être encore servir.

Gendarmerie

La voiture de la gendarmerie, arrivée avant l’ambulance, avait fait une montée vertigineuse sur la route en lacets vers le lieu de l’accident. L’adjudant Benoît Legrand qui voyageait pour la première fois avec Isabelle au volant, était agrippé à sa ceinture de sécurité comme à une bouée de sauvetage, tout pâle et regardant alternativement le compteur de vitesse, le ravin d’un côté et la roche de l’autre. Il se promit mentalement de conduire lui-même la prochaine fois.

Il poussa un soupir de soulagement qu’il espérait discret une fois qu’elle eut garé la voiture à bonne distance de l’accident pour laisser place à l’ambulance.

La collision a été frontale, violente, brutale, expédiant la petite Citroën au bord du précipice (on reconnaissait la marque uniquement grâce à l’écusson à l’arrière de la voiture), retenue seulement par un muret et l’autre voiture contre la paroi rocheuse. Les automobilistes qui suivaient les deux voitures s’étaient arrêtés. De toute façon, ils n’auraient pas pu passer, tant les débris sur la route étaient nombreux.

Un corps éjecté de la Citroën gît au milieu de la route.

Les deux occupants de l’autre voiture plus grosse, un SUV, sont restés coincés à l’intérieur.

Isabelle prend les choses en main de façon très autoritaire.

— Sécurise la route en amont et en aval, puis aide les deux du SUV à sortir s’ils le peuvent, je m’occupe de celui qui a été éjecté, crie-t-elle à l’adjudant qui est bien content de quitter la voiture de gendarmerie vivant.

Isabelle se précipite vers la victime étendue, écarte ceux qui l’entourent et qui ne savent trop que faire.

Elle commande à la personne la plus proche d’amener une couverture, à un autre de donner sa veste pour faire un coussin improvisé et aux derniers de s’écarter.

Constatant que le cœur du malheureux lâche, à califourchon sur lui, elle commence un massage cardiaque en lui parlant sans arrêt, presque en criant.

L’adjudant Benoît, tout en désincarcérant les deux occupants du SUV avec un cric qu’avait apporté un des automobilistes, ne pouvait s’empêcher d’admirer l’autorité, le calme et la précision des gestes de la lieutenante.

Il eut comme un sentiment de fierté.

La sirène de l’ambulance s’entend de loin. Elle déboule du dernier virage à très vive allure. Elle avait dû monter de l’hôpital de Bourg-Saint-Andéol probablement aussi vite que les gendarmes venus de Vallon-Pont-d’Arc.

Elle s’arrête pile devant le corps étendu sur la route et dont la vie ne tenait plus qu’à un fil : le massage acharné d’Isabelle.

Le médecin urgentiste prend le relais d’Isabelle, la félicite brièvement, fait embarquer les trois blessés par les ambulanciers.

Le chauffeur de l’ambulance avait déjà tourné le véhicule dans l’autre sens et une fois tout le monde casé et sécurisé démarre aussi vite qu’il était monté toutes sirènes hurlantes.

Corinne, l’aspirante, arrive enfin avec une vieille camionnette pourrie, le dernier véhicule plus ou moins en état de rouler disponible à la caserne.

S’adressant à Isabelle et un peu inquiète :

— Désolée, cheffe, j’ai fait aussi vite que j’ai pu. Je…

— Ce n’est pas grave, Corinne, va prendre les dépositions des témoins avec Benoît.

L’adjudant Benoît Legrand avait déjà commencé. Il n’avait aucun problème à être commandé par une femme, mais être commandé par une femme comme Isabelle c’était un plaisir, une fierté… même si elle conduit trop vite.

Colo

Toute la colonie était partie à pied reconnaître les lieux aux alentours du centre de vacances, pour se dégourdir un peu les jambes et surtout pour connaître l’environnement qui serait le leur pendant un mois. Tatane tentait de se rendre invisible en trottinant à l’arrière du groupe.

Seule Anne était restée pour régler les problèmes d’intendance avec le sieur Dupontel, au grand plaisir lubrique de celui-ci.

Un bruit de moteur se fait entendre sur la cour devant l’entrée.

Une dame descend de la voiture. Ni grande ni petite, ni mince ni grosse, dégageant une certaine assurance, cheveux courts à la garçonne, plate comme une sole limande, vaguement revêche, vêtements communs, des lunettes rondes à teinte variable, genre passe-partout, discrète limite invisible : Tatane pourra prendre quelques leçons auprès d’elle si nécessaire.

Les portes étant ouvertes, elle entre sans bruit dans la grande salle. Deux personnes s’y trouvent : le directeur qui l’a recrutée et qui ne lui a accordé aucune attention et une belle jeune femme qui respire l’énergie, Anne.

— Euh… je suis l’infirmière.

— Ah, contente de vous voir, je suis Anne, la responsable du groupe. Et vous, c’est… ?

— Je m’appelle Sarah, fait-elle en baissant yeux qu’on ne voyait guère, venant de l’extérieur, ses verres étant toujours très foncés, j’ai montré mes certificats à monsieur le directeur.

Celui-ci n’y avait accordé qu’un intérêt distrait.

Elle ajoute :

— Je me suis permis de venir avec ma voiture et je vais la laisser ici pour pouvoir aller voir ma mère de temps à autre dans une maison de retraite à Montélimar. Je l’ai laissée hors du centre, elle ne gênera personne.

— D’accord. Monsieur Dupontel va vous montrer votre chambre et l’infirmerie, fait Anne en s’obligeant à rester aimable et à sourire à cette personne qui dégageait si peu de sympathie.

Je vous présenterai au groupe lorsqu’il rentrera pour souper.

Le petit rondouillard quitte à regret la salle et surtout Anne, cette superbe fille. Pour celle-ci, c’est l’opportunité de se débarrasser du regard glauque du nabot.

Hôpital

Sirène hurlante à fond, l’ambulance pénètre sur le site de l’hôpital et s’arrête sur l’emplacement réservé aux urgences.

Avec des gestes rapides, précis, professionnels, les infirmiers prennent les blessés en charge.

Celui qui a été éjecté est toujours en vie, mal en point mais vivant. Il est dirigé immédiatement vers le bloc opératoire. Les deux autres sont pris en charge par Merveille, c’est son prénom, une ravissante noire, un peu opulente, avec un rire ravageur et une joie communicative. On serait presque content de venir à l’hôpital pour la rencontrer.

— Vous allez voir comme on va bien s’occuper de vous. Vous serez vite retapés, ha ha.

Elle les confie à Amal, un infirmier indien à la peau mate et au regard de feu, en désignant la chambre où ils doivent être installés pour un jour ou deux d’observation. Amal, dans sa langue, signifie « pur ou éclatant ». Merveille trouvait que cela lui allait (p) as mal et même à merveille.

3 juillet

Gendarmerie

La lieutenante a rédigé son rapport la veille au soir après l’intervention de son équipe sur l’accident de la route des gorges.

Dès que le capitaine entre dans la caserne, elle le suit dans son bureau.

— Bonjour, capitaine.

— Jour, répond-il sans enthousiasme.

Il pensait passer une matinée toute calme

Sans se laisser démonter par le niveau d’énergie proche de zéro qui émane de ce local, Isabelle poursuit.

— Un groupe de jeunes s’est installé dans le centre de vacances de Saint-Remèze. Je vais aller y faire un tour avec un de mes hommes, je…

— Vous n’avez rien de mieux à faire ici ?

— J’ai fait mon rapport pour l’intervention d’hier, il est sur votre bureau, répond-elle en le lui désignant d’un doigt autoritaire et avec un large sourire. Je reconnaîtrai aussi les lieux, je ne connais pas encore cette région.

Le capitaine ne voulait surtout pas discutailler. Cette lieutenante savait ce qu’elle voulait. Mais au moindre faux pas, il ne la ratera pas.

— Bon, si vous voulez, capitula-t-il, mais restez joignable, je ne veux pas que mes hommes, en insistant sur « hommes » et en la regardant pour une fois dans les yeux, je ne veux pas que mes hommes se dispersent dans la nature.

— Évidemment, lâche-t-elle en sortant et, lui tournant le dos, en levant les yeux au plafond.

Colo

Les nouvelles vont vite.

L’arrivée à Saint-Remèze d’une cinquantaine de jeunes est non seulement parvenue aux oreilles de la gendarmerie mais aussi des jeunes gens du village de Saint-Remèze et des villages aux alentours, Labastide-de-Virac ou Bidon. Les distractions n’étant pas si nombreuses, plusieurs sont venus voir par eux-mêmes, en mobylettes et tourner autour du centre.

Anne, Claude et les moniteurs ont élargi la zone de reconnaissance des lieux en emmenant le groupe pour une balade à pied vers la réserve naturelle des gorges de l’Ardèche par la D 490 puis à travers la garrigue et l’imposant massif forestier.

C’est une bonne mise en jambes pour les activités sportives qui vont suivre.

Le site est grandiose avec des canyons époustouflants et la rivière Ardèche qui s’écoule deux cents mètres plus bas. Même les jeunes blasés sont bluffés par la beauté du décor et le calme majestueux qui en émane. Ils peuvent même suivre un moment le vol d’un faucon pèlerin qui tourne au-dessus des rochers. Impérial.

Prévoyant la chaleur, ils ont emporté beaucoup d’eau et incité certains à se mettre un tissu mouillé sur la tête pour éviter l’insolation.

Au retour à Saint-Remèze, les jeunes du coin interpellent ceux du groupe, spécialement les grandes filles qui ont l’air de beaucoup les intéresser. Surtout les plus âgées qui se sont rapidement réunies, leurs intérêts étant les mêmes : les garçons, le maquillage, la musique.

Elles marchent à la fin du groupe, préférant papoter à marcher. Il y a Hafida, une réjouissante Maghrébine avec une épaisse tignasse bouclée et un sourire permanent, Magali qui porte de grosses chaussures de marche et qui n’hésite pas à distribuer des horions spécialement aux garçons quand ils l’ennuient. Il y a aussi Agathe qui se trouve trop petite, trop grosse, trop… mais que tous les garçons regardent et Pénélope qui est très fine et très jolie et qui le sait. Elles gloussent, ravies de l’intérêt qu’elles suscitent chez les jeunes locaux.

Marc, le moniteur joueur de guitare, dès la soirée de la veille constate :

— Quel est le crétin qui a pensé que les intérêts d’un gamin de douze ans avaient quoi que ce soit à voir avec ceux d’une fille de dix-sept ?

Anne lui avait répondu qu’il avait raison et qu’il faudrait de temps à autre faire des activités séparées selon l’âge.

Tatane voit une occasion de se mettre en valeur et est le premier à établir le contact. Il veut absolument essayer la mobylette d’un visiteur. Il se fait remballer sans ménagement : ils sont plus âgés que lui d’au moins deux ou trois ans. Il ne les intéresse pas.

— Écarte-toi minus, tu me fais de l’ombre, lui jette le propriétaire de la mobylette convoitée en le repoussant sans ménagement.

Tatane pense qu’il ne va pas beaucoup s’amuser ici.

Mais c’est l’heure du repas, tout le monde rentre dans le bâtiment au grand désappointement des visiteurs qui s’en vont dans une pétarade d’enfer de leurs mobylettes.

Gendarmerie

La lieutenante Isabelle Lefort s’était présentée au centre de vacances de Saint-Remèze avec Corinne plus tôt dans la matinée. Elles y avaient seulement trouvé Georges l’ouvrier d’entretien et la jeune femme d’ouvrage Georgette. Le directeur avait sa maison à cent mètres du centre et n’était logiquement pas toujours assis à son bureau d’autant que, il y a quelques jours, Georgette l’avait rembarré vertement alors qu’il l’avait serrée de beaucoup trop près après l’avoir appelée dans son bureau.

Lubrique mais pas courageux : maintenant, il s’en tenait écarté.

Les deux gendarmes avaient aussi conversé un peu avec l’infirmière. Elles avaient trouvé celle-ci en train d’organiser son infirmerie. Isabelle trouve, sans le dire, qu’elle avait un regard bizarre.

Sarah se précipite sur ses lunettes et les rajuste.

En rentrant dans leur véhicule, Corinne souffle à sa cheffe :

— Qu’est-ce qu’elle a aux yeux ? On dirait…

— Elle a des yeux vairons, chaque œil est d’une couleur différente. Et chez certaines personnes, mais c’est rare, ils peuvent même changer de couleur sous le coup d’une émotion forte.

— On en apprend des choses à l’école de police, rigole Corinne.

— Mais non, mon père est ophtalmologue ! sourit à son tour Isabelle. Il aurait bien voulu que je reprenne son cabinet, mais j’ai besoin de plus d’action.

— Pour ne pas être sorties pour rien, ajoute-t-elle, nous allons redescendre à Vallon-Pont-d’Arc par la route des gorges, je voudrais bien vérifier les traces de freinage.

— Benoît m’a dit que vous aviez fait une montée digne de Sébastien Loeb et qu’il était tout vert en arrivant sur les lieux de l’accident.

Isabelle sourit. Elle avait bien vu que l’adjudant avait serré les dents et les fesses dans la montée.

— Il n’y a plus d’urgence, on va y aller plus calmement.

— Vous êtes une cheffe cool. Je vous adore, confesse Corinne, des étoiles plein les yeux, en riant.

— Tant mieux, dit la lieutenante en riant aussi… en démarrant à nouveau sur les chapeaux de roues et en mettant la « clim » à fond dans la voiture.

Colo

Patrick, le mono sportif, est aussi un fan d’astronomie. Il a amené un télescope de bonne qualité pour un amateur. Le deuxième soir, il explique à tout le groupe rassemblé le système solaire, les étoiles, la voie lactée, l’univers, les galaxies. Il a un vrai talent de conteur pour mettre des choses compliquées à portée des ados.

— On comprend mieux qu’à l’école, s’exclame, ravi, Jean-Chrysostome, le petit noir.

— Nous allons nous rendre sur la butte derrière le centre, c’est déboisé et on pourra voir le ciel dans de bonnes conditions. Je vous expliquerai ce qu’on voit.

La plupart sont enthousiastes. On leur a rarement parlé de choses si intéressantes et ils vont faire une sortie la nuit qui va bientôt tomber, dans le noir. Seul Tatane râle.

Sarah, l’infirmière, accompagne le groupe. Elle aussi a l’air très intéressée.

Une fois sur le site, Patrick fait coucher tout le monde sur le dos pour voir le ciel dans les meilleures conditions et sans se tordre le cou.

Il montre la première « étoile » (ce n’en est pas une puisque c’est, comme la terre, un satellite du soleil) à apparaître, Vénus qui brille très fort mais disparaît assez vite côté ouest. Puis Jupiter, repérable à l’œil nu. La Grande Ourse et la Petite Ourse sont identifiées. Puis Mars et Orion.

Chacun à son tour peut regarder avec le télescope. Patrick répond aux questions qui fusent de toutes parts.

Quelques-uns sont subjugués par le télescope. La puissance de grossissement est phénoménale.

Jamais les ados n’ont regardé le ciel comme cela. Ils ont, eux aussi, des… étoiles plein les yeux.

4 juillet

Colo

Le directeur, comme c’est le début du mois, va préparer les enveloppes pour payer le personnel : Georges, l’ouvrier d’entretien, Georgette la femme d’ouvrage, la cuisinière et les commis.

Dès le matin, il est allé à la banque à Vallon-Pont-d’Arc retirer l’argent nécessaire en précisant quelles coupures il souhaitait.

Une fois rentré, il a placé le tout dans le coffre de son bureau. Il appellera le personnel un par un en fin de journée dans quelques jours, Georgette en dernier en espérant qu’elle se montre plus compréhensive…

Comme d’habitude, il ouvre la fenêtre et se met au travail de vérification de l’intendance et des commandes à faire.

À la pause en début d’après-midi, quelques ados ont cassé les pieds de Patrick pour qu’il leur prête le télescope : ils veulent voir de près la lune qui est visible de jour.

Patrick hésite, mais il a suscité l’intérêt chez les jeunes, c’est difficile de faire marche arrière maintenant même si lui a du boulot : préparer les activités des prochains jours avec les autres moniteurs.

Il consent en faisant mille recommandations : comment placer le pied, éviter les poussières, ne pas toucher les lentilles avec les doigts, pas de chocs, remballer l’appareil quand ils auront fini…

Les cinq garçons acquiescent, sont d’accord avec tout : ils veulent utiliser le télescope.

Ils regrimpent sur la butte et l’installent. La mise au point leur pose quelques difficultés : c’est très sensible et ils prennent beaucoup de précautions. Jacques, l’intello, parvient à régler le focus. C’est magique, il voit les cratères, les « montagnes », les plis du terrain. Il laisse les autres regarder et s’émerveiller à leur tour.

Jérémie, le tatoué, en attendant son tour regarde alentour, le bâtiment où ils logent, le bureau du directeur dont la fenêtre est ouverte, l’infirmerie, le village de Saint-Remèze un peu plus loin, la maison du directeur à deux cents mètres et…

Il tape du coude son voisin, Jean-Chrysostome qui regarde à son tour et interpelle les autres en leur montrant…

Jérémie reprend le télescope et le dirige vers la maison du directeur. Il ne parvient pas à faire la mise au point. Ils y chipotent tous. C’est Frédéric un des plus grands de la colo qui y parvient.

— ‘tain, la meuf ! bégaie-t-il

Jérémie le bouscule un peu pour regarder à son tour.

— Quels nibars !

— Laisse-moi regarder, gémit le petit noir.

— T’es trop petit pour ça, tranche Jacques qui regarde à son tour très dignement… et avale de travers en rajustant ses lunettes.

— Allez, laissez-moi regarder, plaide Jean-Chrysostome, en s’agrippant aux basques des grands qui sont agglutinés autour du télescope dirigé vers la villa de Dupontel où madame Dupontel fait la sieste sur la terrasse, seins nus.

— Elle est bien foutue, constate Frédéric, comme s’il y connaissait quelque chose.

— Eh, faites gaffe, voilà l’infirmière, avertit Jean-Chrysostome, charitable même s’il n’a rien pu voir de ce qui agite tant ses copains.

Vivement, ils tournent le télescope dans une autre direction.

— Que faites-vous là, demande Sarah de façon enjouée.

— On regardait la lune, dit Jacques en déglutissant difficilement.

— En plein jour ?

— Oui, regardez, elle est là. Mais maintenant, on va y aller, c’est l’heure et on n’est pas trop tôt. On va remballer…

— Je vais le faire pour vous, cela m’intéresse aussi. Je jette un coup d’œil et puis je rapporterai le télescope à Patrick.

Trop heureux de ne pas s’être fait surprendre, ils galopent jusqu’au centre où le car a déjà commencé à embarquer la colo qui va descendre à Vallon-Pont-d’Arc pour une pause bronzage sur la plage de galets tout près du magnifique pont d’Arc, arche rocheuse qui enjambe la rivière à cinquante-quatre mètres de hauteur et sur cinquante-neuf mètres de largeur. C’est fantastique. Beau. Inattendu. Majestueux.

En entrant les derniers, ils signalent à Patrick que le télescope est entre les mains de l’infirmière. Il sera bien soigné ! Cela ne lui plaît qu’à moitié. Mais il est trop tard, le car va partir.

Les cinq astronomes amateurs et voyeurs occasionnels n’ont de cesse de raconter leur « découverte » aux autres à voix basse, comme des conspirateurs, conscients sans doute que mater n’est pas une activité très valorisante. Dans les chuchotements, on pourrait peut-être distinguer : nichons, gros, énormes, à poil. Au fur et à mesure que la rumeur se répand, ils ont bientôt atteint la taille de citrouilles.

— Qu’est-ce qu’ils se racontent là, demande Anne en se retournant vers Patrick.

— Je crois qu’ils sont allés mater les nichons de la femme de Dupontel qui bronzait seins nus sur sa terrasse.

— Elle fait ce qu’elle veut sur sa terrasse, mais il faudra lui dire que nos jeunes sont curieux…

— J’irai le lui dire demain… à l’heure de la sieste, rigole Marc en plaquant un accord de guitare.

— Oui et moi, je garderai le télescope sous clé, ajoute Patrick pas trop content de s’être fait un peu avoir.

Claude intervient :

— Les jeunes du coin sont de nouveau venus tourner autour du centre ce midi. Il faudrait peut-être leur proposer une activité sportive commune, pour les avoir à l’œil.

— Bien vu, Claude, on va y réfléchir.

Le car arrive sur le site du pont d’Arc.

Anne fait un peu la guide touristique et explique la formation de l’arche, comment la roche calcaire a été creusée par la rivière depuis des millénaires.

Ensuite, le groupe s’éparpille sur la plage le long de l’eau pour une heure de farniente. Les monos sont tranquilles : il n’est pas possible de se noyer dans si peu d’eau.

Anne demande à Claude d’aller se renseigner près des loueurs de kayaks si on peut envisager une journée de descente en kayak malgré le niveau bas de la rivière.

C’est l’occasion de voir un peu comment cela fonctionne, comment s’installer dedans, comment tenir les rames, s’asseoir un peu dedans. Le loueur montre tout ce qu’on lui demande : c’est une nuée de clients potentiels.

Sur la rive opposée, plus en aval, il y a du remue-ménage. On voit des gens qui s’agitent. Ça a l’air de crier, de se bagarrer même. Le loueur, bon prince, commente :

— C’est un camp de naturistes. D’habitude, c’est calme.

— Des naturistes ? demande Claude.

— Oui, c’est la vérité toute nue, il y a une plage qui leur est réservée plus bas sur la rivière.

On entend une sirène et on voit une voiture de gendarmes débouler.

— La caserne de gendarmerie n’est qu’à un jet de pierre, intervient de nouveau le loueur pour expliquer la rapidité de l’intervention.

On croit distinguer deux gendarmes qui séparent les belligérants, mais c’est si loin qu’on ne distingue pas grand-chose.

— Il faudrait le télescope de Patrick, rigole Claude.

En rentrant en fin d’après-midi, Anne se demande où est l’infirmière : il faut soigner quelques coups de soleil. Malgré les conseils et la crème à bronzer ! Mais le soleil cogne dur.

Anne part à sa recherche. À l’infirmerie, personne. Dans la chambre, on ne répond pas.

Le directeur n’est pas là. L’ouvrier et la femme d’ouvrage s’en sont allés. Elle interroge la cuisinière. Celle-ci lui dit que l’infirmière est partie en milieu d’après-midi en disant qu’elle allait voir sa mère à Montélimar. Et ce n’est pas vraiment tout près ajoute-t-elle.

— Nom de D… s’exclame Anne, le moins c’est qu’elle me prévienne et mieux encore qu’elle me demande.

— Tout doux, cheffe, tente de la calmer Émeline. Je vais aller faire l’infirmerie avec Chloé. Ce sont des coups de soleil, on peut s’en charger. Un peu de crème…

— Elle ne perd rien pour attendre, grince la cheffe dont les yeux clairs lancent des éclairs.

5 juillet

Gendarmerie

Comme chaque jour depuis qu’elle est affectée à la caserne de Vallon-Pont-d’Arc, Isabelle est la première arrivée.

Mais elle a à peine franchi la porte d’entrée de la caserne qu’elle est interpellée par le gendarme qui a fait la nuit.

— Ma lieutenante, le colonel et le capitaine ne sont pas encore là. Mais j’ai à l’instant un appel d’un habitant de Vogüé. Il y a un mort sur la route de Lanas. Il dit qu’il n’y a pas de blessures apparentes. Mais il ne sait pas quoi faire. Je lui ai dit de ne toucher à rien. Il nous attend.

— Tu as bien fait. Appelle mon équipe, qu’ils m’y retrouvent là-bas. Avertis la légiste. Et signale quand même tout cela au capitaine quand il arrivera.

Il y a un peu plus d’animation depuis deux jours, pense-t-elle : un accident, une bagarre de nudistes et maintenant un mort.

L’intervention chez les nudistes, elle a trouvé cela plutôt drôle. Cela a été vite réglé. La vue de l’uniforme sans doute. Et puis, c’était facile : pas besoin de les fouiller pour voir s’ils cachent une arme !

Corinne, l’aspirante, ne savait où regarder. Elle a aussi trouvé que, heureusement, il ne fallait pas se mettre dans leur tenue pour intervenir. Elle se voyait déjà dans la tenue d’Eve, sans feuille de vigne, avec ceinturon, matraque et pistolet…

Mais maintenant, pour Isabelle, c’est son premier mort en tant que cheffe d’enquête. Elle respire et se concentre.

Elle arrive sur les lieux. Vérifie si la victime est bien morte. Puis elle fait délimiter une scène de crime avec des rubans rouge et blanc.

La victime se trouve couchée sur le ventre sur le bas-côté de la route à une cinquantaine de mètres de l’habitation du témoin qui a donné l’alerte, mais qui n’a rien vu ni entendu. Il se rendait à son travail en voiture tôt matin. Il s’est arrêté en voyant le corps. Il est fort impressionné.

L’équipe d’Isabelle arrive avec la légiste. Aucune blessure, aucune trace de coups, pas de sang.

Après un moment d’inspection, la légiste interpelle Isabelle :

— Je pencherais pour un arrêt cardiaque et cela date de quelques heures.

— Oui, mais pourquoi se trouve-t-il tout seul, la nuit sans voiture et surtout sans portefeuille, sans pièce d’identité, sans argent… Le vol ?

— Je vais l’emmener et je vais vérifier tout cela, il y a peut-être autre chose.

— Quel âge à peu près ?

— Je dirais quarante-cinq ans

Isabelle se tourne vers son équipe :

— Trouvez-moi l’identité de ce citoyen-là. Commencez par vérifier les disparitions.

— Et il a une pièce de casino dans la poche de son pantalon, signale l’adjudant. Après l’avoir fouillé méthodiquement. Le casino le plus proche est celui de Vals-les-Bains. Je vais le photographier et aller vérifier s’ils ont vu notre client cette nuit.

Avant que le cadavre ne soit enlevé, Corinne qui a aidé à la fouille signale :

— Regardez, il a comme une trace de piqûre dans le cou, un petit trou.

La légiste se penche, un peu vexée :

— Oui, je l’aurais vu à l’autopsie. Je vous tiens au courant.

— Bien Corinne, souffle tout bas la lieutenante.

Rentrée à la caserne, Isabelle va voir le capitaine qui est atterré. Le planton l’a mis au courant. Il arpente son bureau en s’épongeant le front et ce n’est pas seulement dû à chaleur torride qui se prolonge.

— Un mort, à quelques semaines de la pension. Un mort. Il n’y a jamais rien ici. Mais depuis que vous êtes là… Oui, bon. Ça a l’air d’être un accident. Vous allez classer cela.

— J’attends le rapport de la légiste.

— C’est inutile, c’est un accident.

— Sauf votre respect, mon capitaine, je vais attendre la légiste.

— Si vous y tenez, maugrée-t-il. Et maintenant, laissez-moi travailler.

Isabelle note, sans le dire, qu’il n’y a rien sur le plan de travail de son bureau.

Colo

Dès huit heures, Anne se fait un devoir d’aller tambouriner à la porte de la chambre de l’infirmière pour avoir une explication sur sa disparition de la veille.

Boum boum boum.

Pas de réponse.

Boum boum boum.

— C’est quoi, fait une voix endormie

— Ouvrez, c’est Anne.

— Euh, attendez…

Elle n’a pas trop envie d’avoir une conversation avec Anne.

— Non, ouvrez tout de suite.

Sarah, l’infirmière, apparaît en peignoir mal fermé, pas coiffée, mal réveillée, bougon, sans ses lunettes. Elle entr’ouvre à peine la porte qui par ailleurs est retenue par une chaîne.

— Sortez !

Elle hésite

— Sortez, vous dis-je.

Peu de choses résistent à la détermination d’Anne. Sarah sort et s’apprête à recevoir les remontrances de la cheffe.

— Quand vous quittez le centre, vous devez, je dis bien vous devez me demander l’autorisation.

— Oui mais j’ai quand même le droit de sortir…

— Un jour par semaine, je dois en être avertie et je dois vous avoir donné l’autorisation. C’est compris ? Je passe pour cette fois.

— Euh, je voulais vous demander… Je dois porter des médicaments à ma mère à Montélimar. Je vais y aller ce soir…

— Non, il n’en est pas question. Votre mère se trouve bien dans une maison de retraite ?

— Oui.

— Je vais leur téléphoner, il y a bien un moyen de procurer les médicaments nécessaires à votre mère sans que vous vous déplaciez. C’est très bien de vous occuper de votre maman, mais vous devez assumer ce à quoi vous vous êtes engagée.

— Vous n’avez pas le droit de…

Ses yeux se plissent et deviennent gris foncé.

— La cheffe ici c’est moi, il faudra intégrer cela.

— Une semaine de travail c’est trente-cinq heures, hasarde Sarah.

— Merci de me le rappeler, mais pas en colonie, vous êtes logée et nourrie gratis, vous avez signé un contrat. Donnez-moi le numéro de téléphone de la maison de retraite, que je voie ce qu’il y a moyen de faire.

— Euh, non ça ira, je vais leur téléphoner moi-même.

— Habillez-vous en vitesse. Il faudra aller voir la petite Claire. Elle est au deuxième étage dans sa chambre. Elle se plaint de mal au bas-ventre et dans le bas du dos. Vous resterez avec elle durant la matinée. Avec toute la colo, nous allons faire un grand jeu autour du dolmen du Chanet au bord des gorges de l’Ardèche. S’il n’y a pas une amélioration cet après-midi, nous irons à l’hôpital.

Gendarmerie

La lieutenante fait le point avec ses équipiers en fin d’après-midi.

L’adjudant Benoît Legrand s’est rendu au casino de Vals-les-Bains avec une photo du décédé. Il a eu du mal à trouver une personne à qui parler. C’est un établissement qui n’ouvre pas tôt.

Le directeur du casino qu’il a fini par dégoter a fait venir un croupier. Il ne veut pas d’ennui avec la police.

Le croupier croit reconnaître un client de la veille.

— Il a pas mal gagné. On commençait à avoir des doutes. Mais il est parti tôt.

— À quelle heure ?

— Minuit, je pense. Mais on peut vérifier avec les caméras de surveillance.

L’adjudant montre le jeton trouvé dans la poche du mort.

— Oui, c’est bien à nous.

— Donnez-moi les enregistrements des caméras de surveillance de la salle où il se trouvait et de la sortie.

Benoît retourne voir le directeur dans son bureau. Il y fait un peu de paperasse : le gendarme l’a fait venir vraiment tôt au casino. C’est qu’il travaille la nuit lui…

— Montrez-moi le cahier des entrées.

— Que voulez-vous dire ?

— Le registre où vous consignez l’identité de ceux qui entrent dans le casino. On doit bien vous montrer une carte d’identité pour entrer ?

— Oui, oui… mais euh… On ne prend pas note. Les clients n’aiment pas cela ! Mais le personnel d’accueil vérifie la carte d’identité ou le passeport de ceux qui entrent. On regarde seulement s’ils ne sont pas sur la liste noire des interdits de casino.

Jean, l’informaticien de l’équipe, a visionné les enregistrements une partie de l’après-midi.

— On le voit jouer et gagner pas mal. Il était seul. À la sortie, il est suivi à cinq secondes d’intervalle par une personne, un homme probablement…

— Comment ça « probablement » ? intervient Isabelle.

— On ne le voit pas de face mais il est habillé comme un homme.

— Et ensuite ?

— On ne sait pas, la caméra ne couvre pas le parking.

— Oui, il n’a peut-être rien à voir avec notre affaire.

Corinne intervient :

— La légiste a apporté ceci, ce sont les empreintes digitales de notre homme.

— Jean, passe-nous ceci à l’ordi pour voir s’il est fiché, commande Isabelle. Je résume, on a un mort dont on ne connaît pas encore la cause du décès, qui a joué et gagné au casino.

On le retrouve à vingt-cinq kilomètres du casino au petit matin, dépouillé de son argent, de son portefeuille et peut-être de sa voiture.

— Le directeur du casino m’a dit qu’il n’y avait pas de voiture abandonnée sur son parking ce matin, ajoute Benoît.

— On n’a pas encore d’avis de disparition le concernant, ajoute Corinne.

— Bon, on attend l’avis de la légiste sur la cause de la mort pour demain. Benoît, demain tu seras de sortie casino. Va montrer la photo de notre homme aux clients du casino. Peut-être que quelqu’un le connaît.

— Bon c’est fini pour…

Dring dring dring…

Colo

Après le grand jeu du matin autour du dolmen du Chanet, preuve tangible du riche passé préhistorique de la région, l’après-midi a été consacré à un entraînement de football pour les garçons comme pour les filles. Il faut se préparer pour le match annoncé contre les jeunes Ardéchois dans les prochains jours. Le match a été conclu par les plus grands du groupe avec les visiteurs à mobylette. Cela se passera en soirée pour qu’il fasse un peu moins chaud.

Claude Dujarret et Patrick ont pris l’entraînement en charge.

Le terrain de foot n’est qu’à quelques centaines de mètres du centre. Sur le chemin du retour, le groupe s’étire le long de la route en se passant les bouteilles d’eau d’un à l’autre.

En rentrant, certains vont prendre une douche, quelques-uns bavardent çà et là autour du bâtiment principal. Il fait calme et paisible.

Anne a pris des nouvelles de Claire : elle a un peu moins mal. Anne et l’infirmière décident d’attendre le lendemain avant d’aller à l’hôpital si nécessaire.

Les monos sont réunis dans la grande salle pour préparer les activités du lendemain.

Hafida, la jeune maghrébine frisottante et rieuse, fait irruption en hurlant, toute tremblante, plus rieuse du tout :

— J’étais avec Pénélope, elle n’est plus lààà…

Elle tremble de tous ses membres. Anne intervient.

— Calme-toi, respire, là, tu n’as rien à craindre…

— Mais Pénéloooope… !

— Que s’est-il passé ?

— On était toutes les quatre, les grandes avec Pénélope, Magali et Agathe, émet-elle en hoquetant, derrière le groupe.

Et elle se met à pleurer.

L’inquiétude saisit les moniteurs.

— Calme-toi, respire lentement, essaie de nous expliquer.

— On était près du centre, mais on n’est pas rentrées, on est restées près du petit bois pas loin d’ici.

Émeline intervient :

— J’étais derrière elles avec Chloé, elles se sont arrêtées et ont dit qu’elles suivaient. On aurait dû rester…

— Continue, tranche Anne en s’adressant à Hafida qui renifle.

— Deux garçons à moto attendaient, près des arbres. On a un peu parlé. Ils buvaient à une bouteille. Ils nous en ont donné une. Ils disaient qu’il faisait chaud et qu’il fallait boire. Mais je n’ai pas bu. Pénélope bien. Je n’ai plus vu les deux autres, Magali et Agathe, elles avaient continué à avancer. J’ai voulu aller les rechercher. Je suis venue jusqu’à la barrière du centre mais je ne les ai pas vues, je crois qu’elles étaient rentrées. Je suis retournée près de Pénélope. Il n’y avait plus persoooonne.

— Il ne faut jamais laisser une copine seule dans un endroit qu’on ne connaît pas bien, sermonne Chloé.

— Je sais, je n’aurais pas dû…

Et de se remettre à pleurer.

— Où est-ce exactement ? s’emporte Claude

— Ne la brusque pas, tente de calmer Anne.

— Près du petit bois…

Claude démarre à fond, renversant deux chaises au passage.

— Marc, suis-le, va avec lui, ordonne Anne avec sa voix de capitaine d’un navire en train de couler. Patrick, avec moi, on va de l’autre côté. Chloé reste avec Hafida et toi, Émeline, occupe-toi du groupe.

— Et moi, gémit Renaud, le jeune mono qui ne parvient pas à s’intégrer. Sans obtenir de réponse.

Claude Dujarret est un rapide malgré sa grande carcasse. En peu de temps, il est près du petit bois. Rien ni personne. Il avise une chaussure de sport qui traîne à l’entrée du sentier.

Il s’élance sur celui-ci, fait quelques pas, s’arrête et écoute. Rien.

Il se remet à courir. S’arrête de nouveau et crie :

— Pénélope, Pénélope…

Il lui semble entendre des bruits de branches cassées sur sa droite, s’élance, la rage au ventre, dans cette direction en tentant d’écarter les branches basses qui lui fouettent le visage.

Derrière un épais buisson, à l’entrée d’une petite clairière, Pénélope, les vêtements en lambeaux, le short arraché, le chemisier déchiré et ouvert gît, pantelante sur le sol. Son agresseur, un homme jeune, assis sur elle, la braguette ouverte, une main sur la bouche de la gamine allait la gifler, se ravise, se relève, tente de se relever plutôt, en voyant se ruer sur lui un géant aux mains énormes qui hurle :

— Lâche-la, lâche-la !

Il n’a pas le temps de se relever complètement que Dujarret est sur lui.

Il porte des traces de griffures sur le visage. La gamine a dû se défendre courageusement quand elle avait encore un peu de lucidité.

Au moment où Claude va le saisir, l’agresseur se retourne brutalement, un long couteau effilé à la main et vise le visage. En un éclair, Dujarret pense : il s’attaque à une gamine avec un couteau.

Un deuxième agresseur, à quelques mètres de là, effrayé, ne demande pas son reste et file à toute vitesse.

Claude évite le couteau de peu, frappe brutalement la main armée. Le couteau tombe sur le sol. Dujarret l’écarte d’un coup de pied puis soulève l’agresseur d’une main et de l’autre lui assène un formidable coup de poing dans le plexus.

Le souffle coupé, les jambes molles, l’agresseur s’effondre comme une serpillière. Dujarret est déchaîné, il lui envoie un coup de pied dans lequel il met toutes ses forces (c’est dire !) sur la braguette du violeur qu’il n’a pas eu le temps de refermer. Il émet un bruit sourd et se replie en deux. Ses testicules ont dû lui remonter jusque dans la gorge.

Marc arrive en courant.

— Occupe-toi d’elle, lui hurle Claude.

On entend un bruit de moto qui se met en marche.

Claude relève le candidat violeur et lui balance une torgnole à lui arracher la tronche et qui l’envoie contre un tronc d’arbre au pied duquel il s’écroule.

Le round n’est pas fini. Dujarret l’empoigne à deux mains, le soulève et le rejette au sol.

— Arrête, arrête, crie Marc, tu vas le tuer.

— Il le mérite bien, en se laissant tomber sur lui (cent kilos !) un genou sur sa poitrine pour l’immobiliser. Le pantin se dégonfle totalement sous le poids. On dirait une carpette.

Claude pourrait aussi bien ne pas le tenir, il est tellement mal en point qu’il ne pourrait pas faire un pas.

Dujarret est hors de lui. On a osé s’attaquer à une gamine dont il avait la responsabilité. Il va la rendre abîmée à ses parents. Il ne supporte pas cette idée.

— Je crois que l’autre s’est échappé à moto, dit Marc qui a relevé Pénélope.

Il l’aide à remettre et rattacher ses vêtements. Elle n’a pas trop l’air de savoir ce qui s’est passé, comme dans un état second. Elle a des coupures au visage et sur le cou. Son agresseur a tenté de l’intimider avec son couteau.

— J’ai chaud, on dirait que j’ai bu, balbutie Pénélope en titubant.

— Ramène-la au centre et avertis Anne, moi je me charge de ce petit con.

— Tu ne ferais pas mieux d’appeler une ambulance ?

— Non, on appellera la gendarmerie dès qu’on sera au centre. En route mec, en s’adressant au pantin désarticulé qui n’a toujours pas prononcé un mot compréhensible.

— Je te laisse cinquante mètres d’avance, ajoute-t-il à l’intention de Marc, pour ne pas que Pénélope voie son tortionnaire trop près d’elle.

Gendarmerie

Dring dring dring.

C’est le planton de service.

— Désolé ma lieutenante, il n’y a plus que vous à la caserne. C’est le centre de vacances de Saint-Remèze. Il y a eu une tentative de viol. Ils ont le violeur mais il paraît qu’il est dans un sale état.

— Dis-leur qu’on arrive.

Puis s’adressant à Corinne :

— Tu avais des projets pour ce soir ?

— Euh non…

— D’accord, j’ai trouvé de quoi t’occuper, tu viens avec moi à Saint-Remèze. Benoît aura sa soirée et sa nuit occupées demain soir à Vals-les-Bains. Et Jean doit chercher l’identité de notre mort et voir s’il peut trouver quelque chose sur la personne qui le suivait en sortant du casino.

Colo

Pénélope est transportée à l’infirmerie. Elle divague et ne se souvient de rien. Le candidat violeur a été attaché à un radiateur et est assis sur une chaise dans une petite pièce attenante à la grande salle. Il a un œil tuméfié, la lèvre inférieure fendue, le nez violacé et un bras dont il ne peut plus se servir. Il a horriblement mal dans la poitrine : il doit avoir des côtes cassées. Dujarret monte la garde, assis de l’autre côté de la table. Il ne décolère pas contre ce prédateur qui s’est attaqué à une jeune fille de son groupe, mais il a arrêté de le massacrer. L’autre n’a pas la moindre envie d’attirer de nouveau l’attention de Dujarret. Il fait le mort pour ne pas l’être pour de bon.

La nouvelle du retour de Pénélope s’est propagée dans le centre à toute vitesse. L’aura de Claude a encore grandi après son intervention musclée et le sauvetage de Pénélope. Hafida s’est remise à pleurer en voyant revenir sa copine Pénélope. Avec Marc, ils sont sollicités de toutes parts pour raconter ce qu’ils savent de cette mésaventure. Ces vacances prennent un tour tout à fait inattendu, voire exceptionnel.

La sirène de la voiture de gendarmerie, comme le clairon annonçant l’arrivée de la cavalerie, sonne comme une délivrance.

Les deux gendarmettes pénètrent dans le bâtiment et…

— Isabelle !

— Anne !

La lieutenante de gendarmerie et la cheffe de la colo, nez à nez, tombent dans les bras l’une de l’autre et s’étreignent.

— Que fais-tu là ?

— Et toi ?

— Vous vous connaissez ? interrogent Corinne d’un côté et Patrick de l’autre.

C’est Anne qui répond :

— Nous avons fait un Erasmus ensemble à Barcelone il y a quelques années. On y est restées six mois…

— Sept, corrige Isabelle en souriant. On s’est beaucoup amusées…

Elle ajoute en s’adressant à Anne :

— On fêtera nos retrouvailles plus tard, explique-nous ce qui s’est passé.

Après les explications, elle veut voir Pénélope qui est toujours dans le cirage. Anne et Corinne l’accompagnent.

— Je ne peux pas l’interroger aujourd’hui. On lui a probablement fait boire du GHB.

— Du quoi ?