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Entre des pages imprégnées de mystère et d’émotion, découvrez les destins croisés de trois figures singulières. Une héroïne intrépide se bat pour survivre dans une époque en proie aux turbulences, une jeune femme disparaît de façon surnaturelle, amenant son compagnon dans une quête désespérée pour la retrouver et lever le voile sur une incroyable énigme, et une vieille dame, gardienne de secrets impénétrables, s’évapore dans l’ombre. Chaque histoire est un puzzle, chaque détail une clé, et chaque révélation une porte vers l’inattendu. Témoin de ces vies énigmatiques, serez-vous assez audacieux pour démêler les fils du mystère et percer l’indicible vérité avant que le silence ne s’impose ? Le voyage commence ici.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Portée par la nuit et un imaginaire fertile,
Anita Valantin donne vie à des poésies, textes et romans. Curieuse et passionnée, elle façonne des personnages complexes, tour à tour sombres, lumineux, ou énigmatiques, chacun reflétant une part d’elle-même qu’elle aime offrir à son public.
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Seitenzahl: 278
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Anita Valantin
Trois femmes… trois mystères !
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Anita Valantin
ISBN : 979-10-422-6197-9
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Tourbillon familial pendant la Commune
En introduction
Vous croiserez ici des personnages fictifs et des personnes ayant vécu à l’époque de la Commune.
Ils se sont vus parfois attribuer une famille issue de l’imaginaire. C’est le propre du roman de mélanger le réel et l’imaginaire…
À chacun de trouver son chemin dans leurs labyrinthes…
Me voilà penchée sur ma feuille blanche, tout ça pour un pari, un défi… Quelle stupidité ! J’ai parié avec mon éditeur que je pouvais écrire un roman, même un roman de quat’sous, une bluette, un roman à l’eau de rose… en cinquante pages, en quelques jours ou deux semaines maximum… (moins de trois, m’a-t-il dit… le bougre !).
Me voilà bien ennuyée, maintenant, mais comment surseoir ?
…
Un thème, donnez-moi un thème !
La poésie ? Ça ne marche pas, j’ai sorti trois recueils, qui sont restés ancrés, sagement posés sur les étagères… Je les lis et relis dans des soirées, mes poésies ! Je choisis, les plus douces, ou les plus lyriques… cela n’intéresse pas le public !
La vie ? Quelle vie ? La mienne ? Une vie inventée de toutes pièces, une vie de fantôme… Il fallait bien de l’imagination pour croire à cette histoire… Même moi, j’ai du mal à me croire. N’insistez pas, je ne vous la raconterai pas…
Et puis, si, tiens, autant vous la racontez, vous ne me croirez pas, de toute façon… Mais tant pis, vous l’aurez voulu !
Je suis née un quatorze juillet… pas de chance, ce jour-là, on fêtait la Révolution (pas celle de 1789, non ! celle de 1790, même là les cours d’histoire vous mentent… pas que sur mon histoire).
Quatorze juillet, donc, mes parents (fauteurs de mes jours) ont voulu m’appeler Révolution. Ils auraient pu choisir Révoltée, cela aurait été plus simple… D’avance, j’étais damnée, et condamnée ! Heureusement, une bonne fée passait par là (ma grand-mère, qu’elle soit bénie !) et leur a suggéré d’associer à ce prénom maudit un patronyme adouci.
Plusieurs choix s’offraient à eux : Cunégonde (prénom de l’arrière-grand-mère paternelle), Éponine, ou mieux Azelma, en hommage (quel hommage !) à Victor Hugo… ou Valentine (le prénom de ma bonne fée). Ce fut Valentine… Ouf !
Donc, je fus Révolution, Valentine. Autant vous dire que dès que je fus mise en relation avec d’autres enfants, que les syllabes se formèrent dans mon esprit, et que je voyais les visages surpris et inquiets se tourner vers moi, je compris le poison qu’allait être ce prénom de Révolution. Je me tournai vers Valentine, et refusai de répondre à l’autre.
J’avais trois ans, j’avais été bercée à ce prénom damné. Trop tard ! Il est resté ancré dans mon histoire, et dans ma mémoire. Tenter de l’effacer eut été difficile, mes parents me le servaient avec tant d’amour ! À force d’insister : « Non ! Pas Révolution, Valentine »… en zézayant, ils ont fini par lâcher du lest et accepter d’intervertir les deux prénoms.
Plus tard, chaque fois que l’on m’appelait « Valentine, à table ! » Ou « Valentine, au lit ! » en arrière-plan, je serrais les dents, parce qu’il y avait cette petite voix à l’intérieur de ma tête qui répétait : « Révolution, à table. Révolution au lit ! »
Drôles de parents, tout de même pour faire un tel cadeau de naissance à leur enfant !
Mon père, homme politique et écrivain, m’avait ainsi associée à ses choix éthiques.
Qu’il ait passé sa triste vie à courir les manifestations, les rendez-vous politico-syndicaux, à fomenter des révoltes de couloirs, et des opérations stratégiques, soit ! Mais qu’il m’emmène à toutes ses réunions, et répète mon prénom comme sa meilleure option, aussi bien comme titre de leur parti, que comme choix stratégique : Révolution… ! Vous imaginez l’effet que cela fait dans la tête d’une petite fille. J’étais un emblème, un blason, un faire-valoir et déjà une égérie…
D’ailleurs, papa le disait bien : « Tu es mon Égérie-chérie »…
Est-ce que j’existais en tant que moi ? Non, bien sûr… Déjà j’étais un fantôme. Fantôme d’une révolution archidépassée, qui, même si elle fut salutaire pour l’équilibre social et politique français, a laissé des traces et des meurtrissures indélébiles dans notre histoire… À tel point, que même 68, paraissait ridicule à côté de LA Révolution… et LA Révolution, voyez-vous, c’était moi. Comment vivre en tant que soi, avec ce titre sur le dos, même symbolique, je vous repose la question… parce que j’aimerais bien avoir une réponse ; pas celle de mes parents ; pas celle de mes camarades d’école, de collège ou de lycée ; ni celle des étudiants avec lesquels j’ai fait mes études ; mais la vôtre, celle du quidam, qui jamais n’aurait osé faire un tel affront à son enfant, une telle impasse sur sa personnalité future…
Alors, me direz-vous, et la maman, où était-elle, mmmh ?
Je vais vous le dire, où elle était, cette bonne dame ! Elle faisait grève, elle manifestait, elle s’affamait régulièrement pour une cause ou une autre… Syndicaliste jusqu’au bout des ongles, elle trouva même le moyen d’accoucher pendant un piquet de grève…
Lorsque l’ambulance des pompiers est arrivée, elle était en pleine négociation avec un employeur rétif. Le travail avait commencé, enfin, son accouchement, ma naissance, bien sûr !
Le directeur de l’usine, respectueux, et relativement impressionné, avait laissé son bureau à la future maman (ce qui lui avait évité de se retrouver otage des manifestants).
Les pompiers l’ont accouchée là, sur le bureau, soutenue par deux collègues, déjà mamans, qui avaient couru ensuite avertir mon père, et chercher les quelques vêtements de naissance que mes parents avaient récupérés de droite et de gauche (surtout de gauche !). Cela avait valu à ma mère une distinction par le responsable du syndicat, et un article dans le journal, la saluant pour son habileté à faire aboutir des négociations patronales !
Lesquels journalistes, après avoir félicité les heureux parents s’étaient tout de même inquiétés pour le prénom de la petite, craignant certainement quelques débordements futurs, par osmose avec un prénom aussi marqué…
Bon, dans tout ça, pas forcément de quoi fouetter un chat, vous dites-vous !
Tous les jours, il naît des enfants dans des situations exceptionnelles.
Tenez, l’autre jour, une petite dame a accouché sur un parking, faute d’avoir eu le temps de se rendre en salle d’accouchement : contractions discrètes… et hop, un bébé sur l’asphalte…
J’entends, j’entends… mais ces bébés-surprises naissent-ils avec une telle charge sur leurs toutes petites épaules ? Eh bien, non, ils s’appellent : Kevin ou Maëlys, pas Cunégonde et encore moins Révolution…
Bon, je vous entends penser : va-t-elle se plaindre encore longtemps ? Sûr, ce n’est pas drôle, mais elle a tout de même eu une option sécurisante : Valentine.
Soit, passons…
Pas de frères et sœurs dans cette famille : pas trop de temps à consacrer à une marmaille… Je fus donc choyée entre deux crises politiques, deux livres à faire paraître, et deux combats syndicaux…
Ma mère me déposait à la crèche publique municipale où je rejoignais les enfants des salariés de son usine.
Dès potron-minet, nous refaisions le monde à coup d’usines en lego, de châteaux de sable qui s’effondraient sous les coups de boutoir de la « Révolution », et de batailles de licornes… sous le regard de quelques « nounous » ou « tatas », moyennement ravies de bercer d’autres bambins que les leurs, plus grands et déjà partis pour le joli monde fleuri de l’école publique.
Mon père (ce héros !) me récupérait et m’emmenait dès que possible à ses réunions de parti. S’il avait une intervention à faire, je faisais le tour des genoux, tirait des moustaches, lorgnait le décolleté de ses assistantes, jouais avec leur téléphone, et gribouillais sur les notes des uns et des autres… Ce, jusqu’à ce que je n’aie plus l’âge des balades sur les genoux des camarades du parti, et où la primaire (publique !) fut dans l’obligation de m’accueillir…
Les récréations m’ont appris une chose : à montrer les dents et les poings.
Pour mes camarades d’école, j’étais une provocation. La maîtresse, ravie d’importuner la fille d’un père aussi politisé à gauche, avait flashé sur le premier prénom de son élève, et elle m’appelait au tableau au moindre prétexte : « Révolution, peux-tu nous expliquer la révolution d’Octobre ? Toi qui as un si joli prénom… » laissait-elle traîner assez négligemment, pour que j’entende pouffer dans les rangs. Ça se payait à la récréation.
Il était totalement vain de rappeler à la maîtresse que je m’appelais désormais Valentine. J’ai tenté une fois. Elle m’a regardée avec un faux air naïf, en disant : « Mais, j’ai vu ta fiche d’état civil. Il est bien inscrit Révolution. Tu ne peux pas changer de prénom à ton gré, jeune fille ! Sinon, où va-t-on ? » soupirait-elle.
Rengaine reprise par mes camarades à la récréation, que je m’autorisais à tenter de mater, en bonne redresseuse de torts. J’étais très forte aux coups de pied volants, tirages de couettes, et autres coups de poing ravageurs. Les bleus pleuvaient.
Bien sûr, mes parents ont été plus d’une fois convoqués par le Directeur de l’École, qui leur annonçait un avenir sombre pour leur progéniture…
À la suite d’un trop plein de rage, d’insultes, et de coups, mes parents décidèrent, à l’opposé de leurs convictions, que je rejoindrais la troupe des enfants de l’école privée : étonnement, car une « Sainte Bernadette » m’accueillit, avec moins de sournoiserie que le public…
Là, le prénom de Révolution arrêta, pour mon bonheur, d’avoir cours. Le public pouvait y voir un affront. Le privé, lui, optait pour une sainte discrétion… Valentine, je m’étais renommée, Valentine, je fus pour eux, sans contestation ni remarque.
Mon premier prénom, et son signifiant, étaient certainement trop subversifs, pour y être accepté !
Tant mieux ! je pus, enfin, sereinement, entamer un parcours scolaire un peu moins chaotique.
L’école peut être une porte ouverte sur la culture, l’art, le savoir… Je m’y plongeai avec délice, et me révélai excellente en littérature, en tout ce qui concernait notre langue.
Mes parents complétaient, lors de nos repas familiaux, le versant politique, qui n’apparaissait pas, et pour cause, dans les cours de l’école privée. Nous avions des discussions enflammées de géopolitique, de philosophie… J’avais quinze ans, l’âge où on apprend avec enthousiasme…
Pour mes seize ans, mes parents m’offrirent des séances en atelier d’écriture, pour affiner ma plume… Mon père me voyait bien prendre la relève derrière lui, en politique comme en littérature. Ma mère, elle, me faisait répéter les discours de ses idoles syndicales, pour que les messages s’ancrent, et que je puisse prendre aussi la suite de ses combats.
Vous aurez compris, mes parents attendaient beaucoup de moi.
Après avoir tâté de la politique, du syndicalisme, l’écriture me tendit les bras, et avec l’écriture, la poésie.
Prise d’une crise aiguë de romantisme, les paradigmes sociaux, la géopolitique quittèrent d’un coup ma table de chevet et mes obsessions.
J’avalais Baudelaire, Victor Hugo (même si une sourde rancune résistait : a-t-on idée de nommer des filles Eponine ou Azelma ?). Rimbaud, Verlaine, Nerval, du Bellay, et Ronsard atterrirent sur ma table de chevet, sur mon bureau, dans mon lit, sous les draps pour des lectures nocturnes à la lampe de poche, ce que mes parents prisaient moyennement. J’étais menacée de devenir aveugle rapidement, ce qui était censé m’arrêter dans mon élan de noctambulisme poétique.
Bien sûr, je n’en avais que faire : je me voyais mourir à 25 ans, ce qui était déjà un grand âge pour quitter un monde qui faisait fi des poètes et de la poésie.
Seize ans ! J’étais amoureuse… en plus de la poésie, d’un jeune faune chevelu et de son violoncelle, qui l’accompagnait en forêt pour m’y conter fleurette. Nous cherchions nymphes et fées dans une nature plaisante, délaissant la virginité des tapis moelleux de mousses accueillantes, pour des pique-niques d’une sagesse confondante.
Nous chantions et déclamions, dans la plus grande émotion, vers et quatrains de nos poètes préférés.
L’éphèbe me délaissa pour une sombre Ophélie… Laquelle prenait son nom très au sérieux et finit un triste jour, sa courte vie, la malheureuse, noyée dans le ruisseau, suivie par l’Apollon désespéré.
Je repris mes habitudes champêtres mélancoliques, jusqu’à ce que la folie de l’écriture nettoie larmes et spleen.
À seize ans, rien ne dure longtemps.
J’appris simultanément la dactylographie, la photographie, les tarots divinatoires, la cuisine et la peinture sur soie. Mon corps se couvrit de poèmes tatoués, et mes nuits s’alourdirent aux parfums d’encens d’un maître de yin yoga, avec lequel méditer prenait des allures surprenantes… Il m’emmena voyager dans des mondes hallucinatoires, puis, un jour, me délaissa pour une blonde sophistiquée et décervelée, mannequin de son état.
Fini le yoga, finis les mondes transitoires…
Écrire devint une habitude, pour la plus grande joie de mon père, qui traçait déjà pour son « égérie-chérie » un avenir somptueux, entre lettres et pamphlets politiques.
J’étais donc partie pour une voie littéraire, lorsque je rencontrai Juan-Pablo, fils de danseur espagnol, qui m’apprit tous les arcanes du tango argentin, et bien plus encore dans sa chambre de bonne sous les toits.
Je m’installai. Un chat bleu russe, nommé Moscou, s’invita avec nous, et notre trio, entre danse, écritures et câlins, ouvrit un cours de danse de salon.
Ma machine à écrire et moi sommes devenues inséparables, entre deux tangos, deux câlins, et deux cours de littérature médiévale.
La poésie faisait partie de moi, au grand dam de mon père, qui me poussait à m’ancrer dans des œuvres bien plus pamphlétaires.
Trois recueils sortirent, dans le style médiéval de Ronsard, qui atterrirent bien vite sur les étagères, avec l’unique succès d’estime d’un Juan-Pablo très amoureux de sa belle et de son style…
Pour lui, j’étais Valentine, sans aucune arrière-pensée, douce et paisible jeune fille, et excellente danseuse. Pour le tango argentin, je troquais mes chaussures plates pour des talons, mes jeans pour des jupes sexy et mes tee-shirts trop courts pour des boléros décolletés.
En bref, je me déguisais en femme, et c’était assez plaisant, le rôle de danseuse de tango ! Le côté sexy, sûrement !
Parallèlement, histoire de ne pas m’ennuyer dans un chemin unique, je testai : la voiture de course, le vol à voile, le parachutisme, la dentelle au fuseau, et pris des cours de coiffure pour dames.
Je m’étais prise d’affection pour quelques enfants de l’école primaire (publique) voisine et les boostait en français, leur appris à écrire des poèmes, et à slamer… J’eus beaucoup de succès auprès de leurs parents, mais peu auprès des institutrices et instituteurs vieillissants, galvanisés par un souvenir persistant de mes soi-disant frasques passées.
Quelques-uns de mes poèmes atterrirent, par élève interposé, sur des bureaux souvent vides de culture, histoire de leur rappeler que j’existais toujours, et que, ma foi, ma vie n’était pas aussi désastreuse qu’ils-elles avaient bien voulu se persuader. Dont un de ces poèmes au titre (légèrement narquois) de « Révolution » fit visiblement son effet, puisque l’institutrice en question (celle qui avait été si désagréable avec moi) faillit s’étouffer en le lisant… Mon jeune élève l’avait discrètement déposé accompagné de ma dédicace ! Chose, bien sûr, qui ne pouvait que lui rester en travers de la gorge (au propre comme au figuré) : gonflée, la petite !
Mon mentor es-tango, s’en étrangla de rire, trouva la vengeance savoureuse, et me brancha auprès d’un de ses amis journaliste.
Je testai donc le journalisme : mon esprit critique fonctionnait à 100 %, et c’est le pied sur l’accélérateur que je lui proposai mes premiers articles dans une gamme très large : de la politique (bien sûr !) à la poésie, en passant par les chiens écrasés (je détestais qu’on fasse du mal aux chiens), les dernières nouvelles scientifiques, le tricot au crochet ou l’horoscope quotidien.
J’eus un franc succès en relatant la dernière course de formule 1, dans un style qui n’aurait déplu ni à Airton Senna ni à Philippe Roth…
Je m’offris, avec les rémunérations mon premier ordinateur, ce qui me permettait de continuer à écrire, sans promener à tout instant ma lourde machine à écrire, une vieille Olympia, dont le ruban encré tachait systématiquement mes pages.
À faire ces petits travaux pour un journal reconnaissant, je fus rapidement à même de me mettre à mon compte dans un créneau multiple qui inquiétait ma mère, mais faisait beaucoup rire mon père. Mon affiche proclamait successivement que j’étais :
– Professeur de tango ;
– Poète ;
– Spécialiste en littérature médiévale ;
– Écrivain public ;
– Détective privé ;
– Critique politique ;
– Formatrice en yin yoga et Qi Gong ;
– Spécialiste en histoire des révolutions ;
– Photographe ;
– Mécanicienne spécialisée F1 ;
– « Pet sitter » pour chats ;
– Journaliste free-lance ;
– Critique d’art.
…
Avec un créneau aussi large, j’aurais forcément du succès, pensais-je…
Alors, oui… et non !
J’avais des compétences pour tout, spécialiste de beaucoup de choses, et surtout, j’étais gonflée à bloc…
Après des semaines d’attente, toujours rivée à mon ordinateur et à mon téléphone, entre mes poèmes, Moscou, et les cours de tango argentin par internet, je désespérais.
Ma carte bleue commençait à sentir le roussi, mon portefeuille était vide, et je tenais bon grâce aux quelques subsides versés en douce par mon père.
Maman soutenait que je devais absolument apprendre à gérer la triviale réalité, et donc me débrouiller seule : « C’est comme ça que l’on devient adulte ! » me disait-elle, l’œil sévère…
Un beau matin, je m’endormais sur mon bureau, suite à une nuit plus poétique que jamais, lorsque je vis arriver enfin un client.
Incroyable… Un client ! …
Lequel m’expliqua que, très curieusement, toutes mes compétences allaient être utiles, si seulement j’acceptais de n’être rémunérée qu’à la fin du contrat prêt à signer qu’il me présenta.
Ce personnage distingué, entre deux âges (vous savez ce que ça veut dire, vous : entre deux âges ? Ni trop ni trop peu… suspect !) proposait au bout du contrat un pont d’or, littéralement.
Lorsque je vis le chiffre en bas du contrat, je faillis m’étouffer… Cela se mesurait en dizaines de milliers d’euros…
Quel était le deal ? Assassiner quelqu’un ? Vendre la dernière drogue dure ? Partir sur la lune ? Aller ouvrir un cours de tango argentin en Alaska ? Tisser une couverture en or massif ?
J’étais prête à beaucoup pour relancer mon compte en banque… mais sortir de la légalité, malgré mon premier prénom, me déplaisait souverainement. J’étais certes aux abois, mais pas au point de partir bêtement dans n’importe quoi…
Joseph d’A., dont je tairai le nom par respect pour son intimité, me posa un contrat sur le bureau :
— Lisez, jeune fille, décortiquez, faites lire à vos amis, vos parents, à un avocat, à qui vous voulez, et puis téléphonez-moi. Vous êtes, à mon avis, la seule compétente pour ce travail.
Il me salua en soulevant un chapeau hors d’âge, et se dirigea vers la porte.
Bouche bée, je le vis sortir, très droit de mon bureau, appuyé sur sa canne à pommeau d’argent.
Je devais rêver…
Comment appeler ça autrement qu’un deal ?
Je me trouvais dans la situation décrite dans les polars : le détective ne peut plus régler sa secrétaire ni mettre d’essence dans sa voiture, il est harcelé de toute part… Il va falloir qu’il accepte de travailler pour la personne pour laquelle au grand jamais il ne voulait travailler… Cruel dilemme !
Donc, j’ai lu le contrat.
Il commençait par une histoire. Une drôle d’histoire de famille : un héritage qui ne serait touché que si toutes les conditions étaient remplies.
L’histoire était tout bonnement hallucinante, mais vous verrez cela en temps et en lieu… parce que, vous vous en doutez, j’ai accepté et signé le contrat, photocopié, fais lire à Juan-Pablo (juste au cas où je ne revienne pas de cette aventure), communiqué à mes parents (j’imaginais déjà ma mère s’arracher les cheveux !). Je préparai mon bagage, téléphonai à mon drôle de client, et attendis.
Dans ce contrat, rien de violent, rien de contraire à mon éthique, ou aux bonnes mœurs, rien qui puisse léser quelqu’un, juste une sorte de défi… ça tombait bien : j’étais spécialiste !
Lorsque mon client est venu me chercher, toujours distingué, il me salua avec une phrase :
« Je savais que j’étais tombé sur la bonne personne… C’est parfait. À partir de maintenant et jusqu’à la conclusion de ce contrat, vous êtes un fantôme. Vous n’existez plus pour personne, sauf pour moi. Je serai le seul à vous voir, à vous entendre. Vous laissez ici votre téléphone, votre ordinateur, plus rien ne vous relie au monde. Vous allez être dans la solitude la plus totale. Moi seul serai votre lien au monde. Votre famille, et votre ami auront uniquement le droit d’avoir de vos nouvelles par mon intermédiaire une fois par semaine. Je leur ai laissé un message avec un numéro de téléphone ou prendre de vos nouvelles : une photo de vous prouvant que vous êtes toujours de ce monde, et mon message. Juste pour les sécuriser. Cela vous sied-il ?
(Décidément, ce personnage venait d’un autre monde… Qui utilise encore ce : Cela vous sied-il ?)
— Bien sûr, cela me convient.
J’étais alléchée, et pas que pour cette coquette somme ! Tout dans cette histoire m’intriguait. Maintenant, est-ce que j’allais faire l’affaire, et être à la hauteur de la tâche qui m’attendait ?
Le mot « fantôme » résonnait dans mes oreilles d’une drôle de façon : un vieux retour du passé… Mais bon, revenir sur le passé ne résout jamais rien, alors j’ai fait taire la petite voix de ma mère qui clamait que ce n’était pas normal, cette histoire, et j’ai foncé.
Lorsque nous sommes arrivés, après un trajet, finalement assez rapide (comme aller d’un bout de Paris à l’autre un jour de circulation fluide), un lourd portail s’ouvrit devant la voiture, que je vis se refermer en grinçant derrière nous…
Un petit frisson dans mon dos m’avertit tout de même que, fidèle à mon habitude, je me mettais dans une situation plutôt épique ! Pas franchement de peur, le frisson, plutôt juste une petite alerte comme « sois vigilante » !
Très bien, je serai vigilante, me dis-je, en traversant la cour derrière le « monsieur » distingué :
— Bien, vous m’appellerez Joseph, et je vous appellerai Valentine, cela facilitera nos relations. On évitera les « monsieur » « mademoiselle ».
Je vais vous montrer vos quartiers, et puis repas dans une demi-heure, pendant lequel je vous expliquerai très clairement ce que j’attends de vous. Cela vous convient-il ?
— C’est parfait !
Bon, pour l’instant, pas de quoi fouetter un chat, pas de danger en vue. J’étais logée dans une grande et belle maison entourée d’un charmant jardin fleuri, plein de bosquets, entre rosiers, rhododendrons, et azalées, et je pourrais m’y promener par moments, si j’avais besoin de prendre l’air.
Joseph m’avait attribué une sorte de studio à l’étage, confortable, et bien éclairé par de grandes fenêtres et des balcons donnant sur le jardin. C’était princier à côté de la chambre de bonne !
Le repas était fort bon, pas d’excès, mais je constatai que je serais bien nourrie, si les plats se montraient toujours de cette qualité.
— Bien, parlons ! reprit mon hôte.
— Je suis tout ouïe.
— À partir de maintenant, nous avons deux semaines pour que le défi auquel vous allez être confrontée soit résolu, et terminé. À la suite de quoi, vous pourrez rentrer chez vous, et oublier tout ça, avec une sécurité financière qui devrait vous permettre d’envisager votre avenir sous de meilleurs auspices.
— Est-ce que les deux semaines seront suffisantes ?
— En fait, nous n’avons pas le choix, le codicille qui bloque la mise à disposition de cet héritage s’évanouira dans deux semaines à partir d’aujourd’hui. Un coup de chance que je vous aie trouvée au bon moment. Il n’y a pas au monde beaucoup de personnes qui répondent très exactement au profil dont j’avais besoin pour résoudre cette affaire. Accepter de devenir un fantôme n’était pas non plus gagné, dit-il en soupirant…
— Qu’est-ce que vous voulez dire par « accepter de devenir un fantôme », m’inquiétais-je soudain.
— D’abord, se retirer du monde des vivants pendant deux semaines, et puis, aussi, parce que vous allez devoir vous mettre dans la peau d’un certain nombre de personnages, vivant dans une autre époque. Des membres de ma famille, aujourd’hui disparus, dont les traces marquent ces lieux. Par exemple, le petit logement où je vous ai installé est celui de mon arrière-grand-mère, qui, fort curieusement, s’appelait Valentine. Elle avait aussi la même particularité que vous : un premier prénom lourd à porter : Révolution !
— Comment avez-vous su ? m’étranglais-je.
— Vous avez vos sources, en tant que détective, moi, je prends mes renseignements, aussi ! C’est bien normal, non ?
— Oui, en effet. Mais, je ne me doutais pas que j’allais encore avoir affaire à ce prénom maudit !
— Eh bien, ainsi, vous comprendrez facilement ce qu’a vécu mon arrière-grand-mère, cette chère Valentine…
— Oh, que oui, je comprends. Il est possible que cela ait été encore plus complexe que pour moi, par le passé… En quelle année est-elle née ? Et pourquoi lui avoir donné aussi ce prénom ?
— Doucement, vous saurez tout, mais ne précipitons pas !
Voyez-vous, cette maison a été construite après la révolution. Ma famille a eu son quota d’éradications à la période sauvage de 1790 jusqu’au décès de tous les « nettoyeurs » : nous sommes une vieille famille d’aristocrates, et, même si nous sommes des libertaires depuis fort longtemps, le fait d’avoir une particule devant son nom, et quelques titres de noblesse a excité des jalousies suffisantes pour vouloir mettre un échafaud entre un certain nombre de nos têtes et le reste de nos corps… fit-il, une main protectrice à sa gorge.
Certains de nos aïeux se sont échappés vers l’Angleterre, où ils ont trouvé un refuge sûr en attendant que les orages se calment. Puis ils sont revenus, ont fait construire cette maison sous Napoléon Bonaparte (qui n’y a rien trouvé à redire). Ils ont retrouvé également terres et châteaux, en piteux état, et fait quelques nettoyages parmi les servantes et domestiques qui avaient dénoncé les leurs… Oh, pas de vengeance physique, ils les ont juste « remerciés » avec un subside suffisant le temps de trouver un travail ailleurs.
En même temps, ils ont pu récupérer documents et trésors cachés, bien cachés, heureusement. Ces coquins n’avaient pas mis la main dessus.
Cela nous a permis de reprendre une vie, non pas fastueuse, mais discrète et confortable, et d’alimenter des artistes et écrivains que nous jugions capables de créer des merveilles…
Par la suite, notre famille a essaimé, toujours libertaire, toujours aidant les arts et les artistes qui le méritaient, tout en préservant un capital dont pourraient profiter leurs descendants.
Me voilà donc aujourd’hui propriétaire de cette maison.
Mais, voici le « mais » : mon arrière-grand-père, époux de Valentine-Révolution, a mis ce fameux codicille sur le plus gros de notre fortune. Ce que vous allez devoir m’aider à débloquer.
Je vis assez chichement, même si l’impression que je peux vous donner est celle d’une vie très confortable. Il est vrai que, par rapport à une petite chambre de bonne sous les toits, ceci, dit-il avec un geste large autour de lui, peut être luxueux.
Mon grand-père, mort pendant la Première Guerre mondiale, laissa sa jeune femme enceinte d’un premier à naître. Les circonstances n’avaient pas permis de rechercher la personne porteuse d’une possible solution.
Ensuite, mon père, leur fils, n’a pas vécu suffisamment longtemps pour trouver celle qui correspondrait très exactement au profil recherché. Il est décédé peu de temps après ma naissance.
J’étais fils unique. Ma mère a fait le maximum pour me livrer tous les éléments qu’elle connaissait de la situation. Les notaires se sont également succédé, et ont transmis le codicille. À moi de trouver, maintenant, avec votre aide, le moyen d’accéder enfin à notre fortune, et ainsi de vous en faire partiellement profiter…
Il se lança donc dans l’étonnante lecture de ce codicille, retranscrit par son notaire…
Je dois vous dire, en amont, que mon arrière-grand-père était très amoureux de son épouse. Ils formaient tous les deux un couple merveilleux, très attachés l’un à l’autre, et très attachants.
Lorsqu’il a rencontré Valentine, Jean-Joseph a compris tout de suite, non seulement qu’elle serait la femme de sa vie, mais également qu’il y avait un secret dans sa famille qui expliquait ce prénom caché de Révolution. Rien à ce sujet n’avait été parlé.
Le codicille prévoit de délivrer la fortune familiale à la personne qui mettra en place la résolution de ce problème :
« Pour quelle raison, les parents de son épouse, Valentine l’ont-ils d’abord prénommée “Révolution”, à une époque où cette entorse à une habitude culturelle qui voulait que l’enfant porte les prénoms des parrains ou marraines, issus de sa famille, pouvait avoir de graves conséquences sur sa vie sociale et familiale ? »
Votre travail est donc, non seulement celui d’une détective, mais vous allez devoir mettre en œuvre toutes les qualités que vous avez développées pendant votre cursus très large professionnel et personnel, pour faire revivre les personnes, les situations qui pourraient expliquer ce choix. C’est un travail de fantôme : vous allez devoir non seulement exhumer les vies de quatre générations de notre famille, et des graves évènements traversés pour en tirer la substantifique moelle, mais surtout de vous glisser dans leurs vies, dans leurs pensées, dans leur peau, pour saisir les graves raisons de ces choix.
Le notaire sera seul juge de la logique et de la qualité de votre prestation. Si cela n’est pas satisfaisant, si vous échouez, la fortune familiale sera distribuée à diverses œuvres caritatives, en remplacement des œuvres citées par mon arrière-grand-père, selon son choix. Et vous et moi n’en verrons absolument rien. Je continuerai à vivre tel que je le fais actuellement, et vous reprendrez le chemin de votre bureau, des cours de tango, et de la chambre de bonne.
Cela ne sera pas gravissime pour moi, et peut-être pas pour vous non plus, qui, avec le bel élan qui vous a amené jusqu’ici, trouverez forcément les bonnes opportunités pour une vie heureuse et épanouie.
Mais la curiosité intellectuelle que nous semblons partager nous poussera tous deux certainement vers la recherche d’une meilleure conclusion… Qu’en pensez-vous ?
— Très bien, le sujet est plus qu’intéressant, pour les raisons que vous avez citées… et ma curiosité intellectuelle est éveillée.
Par quoi pouvons-nous commencer ? Déjà, quels documents avez-vous ?
Joseph sortit donc une mallette pleine de documents, d’archives familiales, des photos très anciennes, jusqu’aux actuelles, un arbre généalogique, sur lequel manquaient plusieurs noms, plusieurs dates. Des actes de vente, des actes de naissance, de mariage, de décès…
— Ah, j’oubliais ! Je vous ai empêchée de prendre votre ordinateur et votre téléphone, parce qu’il vous aurait été trop facile de contacter votre famille et votre ami, vos amis, et de vous déconcentrer de cette histoire.
Par contre, un ordinateur est à votre disposition pour toutes les recherches que vous devrez faire. Il y a aussi dans la bibliothèque des livres qui peut-être vous aideront.
Je vous saurais gré de ne pas vous disperser en dehors de notre affaire. Toute perte de temps et d’énergie peut nous être préjudiciable, vous le comprendrez. Donc pas de tentative de contact avec votre famille ou vos amis.
Tous les soirs, nous prendrons un temps pour récapituler les progrès faits dans la journée, et les pistes à suivre la journée suivante.
— Très bien, commençons ! Avez-vous l’arbre généalogique de Valentine ?
— Ici, commence la difficulté. Concernant sa naissance et celle de ses parents, tous les papiers ont brûlé dans un incendie. À cette époque tout était conservé dans les églises. Il suffisait d’un incendie et tout disparaissait. Et si la famille n’avait pas pris la précaution de faire recopier les documents, il leur restait leur mémoire, ce qui est toujours sujet à caution.
Il va donc falloir faire appel à l’ordinateur pour trouver des traces de son patronyme, et recouper avec ce que nous savons de l’époque et du lieu où elle a vécu…
— Travail de fourmi ! Quel est son nom de jeune fille ? A-t-on une idée du lieu où ont vécu ses parents ? »
Ainsi commençait notre quête. Je me lançai immédiatement sur les traces de la belle inconnue, mon double patronymique.
Née au château alsacien d’Andlau, dont ses grands-parents étaient propriétaires, notre Valentine-Révolution, petite, avait suivi sa mère, Geneviève, et sa famille lors de leur retour à Paris. Juste après l’épisode sanglant de la Commune…
Quel rapport y avait-il entre le château d’Andlau, Geneviève et la Commune… était la question qui taraudait mon esprit, et y avait-il une relation entre la naissance de Valentine et son prénom de Révolution ?