Trois voix - Bryan Brach - E-Book

Trois voix E-Book

Bryan Brach

0,0

Beschreibung

Un écrivain bloqué aux prises avec l’oubli. Une peluche vaudou reçue en guise de cadeau. Des meubles en kit porteurs d’une malédiction. Trois histoires, Trois voix, un chœur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bryan Brach, fervent admirateur des mondes fantastiques à la manière de Stephen King, Lucius Shepard et Bram Stoker, s’immerge régulièrement dans des univers envoûtants pour tisser des récits étonnants. Son premier ouvrage, "Trois voix", révèle ainsi l’éclosion d’un talent prometteur.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 112

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Bryan Brach

Trois voix

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Bryan Brach

ISBN : 979-10-422-2570-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Hypnagogie

J’ai toujours rêvé de devenir écrivain. Mais je n’ai jamais trouvé la patience de m’asseoir à mon bureau pour écrire sérieusement. La patience ou le courage de me confronter à mes démons. Les quelques fois où j’y étais contraint – par une dissertation à rendre le lendemain, par exemple – je compensais mon sentiment de médiocrité par des mots abscons, surannés et superfétatoires. Les événements que je m’apprête à raconter, toutefois, me pressent de faire simple. S’il n’est pas déjà trop tard…

Avant de me retrouver acculé devant la page blanche, je menais une vie d’étudiant dissipé. Je me réveillais à pas d’heure et reprenais la bringue de la veille, quand ma conscience ne me commandait pas de revenir en cours de temps à autre. En première année de langues et littératures, j’ai préféré profiter de ma liberté dûment acquise après dix-huit ans de scolarité obligatoire. Mes parents n’auraient pas été enchantés d’apprendre qu’ils finançaient en réalité une année « sabbatique ». Grand bien leur fasse !

Tout commença un matin de février, au lendemain d’une soirée mémorable où la mémoire elle-même s’effiloche. Curieusement, je me levai avec le chant des oiseaux, léger comme leurs plumes et frais comme la rosée. Je m’en souviens comme si c’était hier, certainement parce que ce fut le premier réveil à l’aube de cette année académique.

Par contraste, des relents de bière stagnaient dans les vingt mètres carrés de mon studio ; par-dessous, je flairai l’arôme plus subtil, plus entêtant du cannabis. Au saut du lit, j’ouvris grand les deux battants de la porte-fenêtre restée close toute la nuit. La bise m’ébouriffa les cheveux, fouetta les tentures bleu marine et dispersa les vapeurs de la veille.

Sept, huit, neuf… Neuf bouteilles vides se massaient sur la table basse, devant le canapé-lit déplié. Une tache marronnasse gondolait le bois, au niveau du coin inférieur droit. Dessus, au bord du vide, un pilulier renversé vomissait des cachets multicolores sur la moquette anthracite. De quelle drogue s’agissait-il ? Je m’emparai du flacon ; aucune étiquette ne me renseigna. À qui pouvait-elle bien appartenir… ?

Je fermai les yeux et pris une ample bouffée d’oxygène. Les pensées, limpides, dérivaient sur le fleuve de ma conscience. J’y vis mes amis, Théo, Ben, Caro, l’échec de ma dernière session d’examen, l’idée d’un potentiel roman… Mais impossible de me souvenir de la soirée, malgré tous mes efforts de concentration. En descellant mes paupières, je me sentis étranger au décor, à mon propre environnement.

Peut-être qu’un peu d’eau me rafraîchirait la mémoire ? Je me dirigeai dans la salle de douche, survolant les déchets – paquets de chips, sachets de bonbons, miettes de biscuits, bouteilles de Coca et autres crasses… – qui jonchaient le sol. Je nettoierais tantôt.

Avant d’ouvrir le robinet, je me contemplai dans la glace juste au-dessus. Je m’attendais à déceler sur mon visage quelque indice de la veille – cernes, yeux bouffis, teint cireux… Rien. Jamais, depuis la puberté, ma peau n’avait paru aussi lisse et nette. Même l’acné tardive qui, hier encore, constellait mes tempes avait disparu.

Je me penchai davantage quand un courant d’air, par la porte entrouverte, rafla mon image dans le miroir. Mon cœur rata un battement, et je me cramponnai au lavabo pour ne pas défaillir. Je n’osai plus relever la tête ; l’œil noir du siphon me sembla tout d’un coup plus attrayant.

Mais la curiosité qui me disputait à l’effroi prit le dessus. Le soulagement fut instantané : mon reflet ébahi me dévisageait dans la glace.

Que s’était-il passé ? Une hallucination, très probablement. Un phénomène similaire s’était déjà produit, deux mois auparavant. Je prenais une douche après un réveil cotonneux, lorsqu’une main décharnée a surgi d’entre les rideaux. Le mirage n’a duré qu’une fraction de seconde. Il aurait pu toutefois me coûter quelques vertèbres, si je ne m’étais pas rattrapé à la barre qui suspendait le pommeau.

Ma figure recouvrit ses couleurs avant de s’effacer à nouveau. Elle reparut l’instant suivant, et s’éclipsa derechef. Encore et encore, comme si un fantôme passait en coup de vent entre le miroir et moi. Bon sang ! Je palpai mes bras, mon torse, mon visage. Tout y était, sauf mon reflet. Entre deux clignements, la glace réfléchissait la douche derrière moi.

Qu’était-il en train de m’arriver ? Si les souvenirs me faisaient défaut, peut-être ne serait-ce pas le cas de mes amis. Je m’arrachai au lavabo et me précipitai dans le salon. Mon téléphone se rechargeait sur le clic-clac. Il glissa par deux fois entre mes mains moites avant que je ne trouve le numéro de Théo dans mon répertoire.

— Bro, il est en train de se passer un truc de…

Mais la voix enregistrée sur son répondeur coupa ma phrase. Évidemment. Théo ne se levait jamais avant midi. Pareil pour les autres – à moins qu’ils ne soient en cours. Je devais ronger mon frein en attendant.

Que faire ? Je suivis son exemple et me recouchai. Je n’avais pas sommeil, mais fermer les yeux sous la couette me semblait être le meilleur moyen de tuer les heures. Pas un instant l’idée de sortir prendre l’air ou d’aller en cours ne m’effleura les synapses. Même ma résolution d’effectuer un brin de ménage s’évanouit avec la fraîcheur matinale.

Midi sonna. Pourtant, je n’étais pas allongé depuis cinq minutes. En posant les pieds sur la moquette, je me crus prisonnier d’un mauvais rêve.

Le sol avait été désencombré et la table basse, débarrassée de ses cadavres. Le linge qui, ce matin encore, pendait sur le séchoir, avait été plié sur une chaise avec un soin quasi maternel. Je battis des paupières pour dissiper l’illusion, mais force était de constater que ce n’en était pas une. Quelqu’un avait profité de mon somme – m’étais-je vraiment endormi… ? – pour décrasser l’appartement.

Quelqu’un, ou quelque chose.

Un frisson courut le long de mon échine. Non, impossible ! Je m’ébrouai pour me chasser cette idée de la tête. Impossible ! Les fantômes n’existent pas, et les fantômes maniaques de la propreté encore moins. Ma santé mentale commençait à me jouer des tours, voilà tout. J’ai déjà connu des épisodes dépressifs par le passé ; la drogue n’avait certainement pas aidé.

Sans surprise, le pilulier aussi avait disparu. Envolée, la preuve de mon délire…

Je me massai les paupières, la tête lourde. Non, la drogue n’expliquait pas tout. Retour à l’hypothèse de départ : quelqu’un avait voulu me faire une farce. Peut-être ma propre mère, qui sait ? Mes parents possédaient un double des clefs. Après avoir reçu mon dernier relevé de notes par la poste – il fallait bien sûr que ces trouffions du secrétariat facultaire envoient une copie à mon domicile légal par voie recommandée –, après avoir reçu mon dernier relevé de notes, ma mère aurait trouvé un moyen subtil de me faire sentir son mécontentement. C’était vicieux, mais bien son genre. Je l’appellerais tout à l’heure pour clarifier la situation.

La curiosité me conduisit à nouveau dans la salle de douche. Fort de mon explication, je ne craignais plus de voir mon reflet se dérober dans la glace. Mon organisme, pendant ma « sieste », avait eu tout le temps d’évacuer ce qui restait de stupéfiants dans mon cerveau.

Absolument pas. Ce fut pire encore : mon image ne vacillait plus, elle pâlissait ! Cette fois-ci, je la fixai sans ciller, sourcils froncés, pendant que ma main plongeait à tâtons dans la poche droite de mon short. Mais au moment de dégainer la caméra de mon téléphone, mon reflet recouvrit sa netteté originelle. Merde ! À ça près !

À la place, je rappelai Théo comme j’avais prévu de le faire. Il décrocha à la septième et dernière sonnerie.

— Allô ?

— Théo ! Il faut que tu passes à l’appart, je dois te raconter un truc !

Le silence recueillit ma voix à l’autre bout de la ligne.

— Théo ? Est-ce que tu peux passer ?

— … D’accord.

Ces deux syllabes se refermèrent sur ma poitrine comme un étau. Sa voix, d’ordinaire si joviale, paraissait ramper le long d’un tunnel.

— Et dis aux autres de venir aussi. Il est en train de m’arriver quelque chose, je ne sais pas quoi, je crois que je perds la boule, je…

Théo me raccrocha au nez. La ligne coupée, le « bip » clignotait dans le silence comme des points en éternelle suspension. En face, le miroir narquois recommença à gommer mes traits. Qu’est-ce qui clochait, merde ?

De rage ou de désespoir, je balançai mon portable à travers le salon. Il rebondit sur le clic-clac, qui accueillit ma chute après lui. Je me laissai fondre dans sa toile, bras et jambes écartés. Le soleil caressait mon visage du bout de ses rayons. Je fermai les yeux juste un instant, l’espace d’un soupir…

Et les rouvris dans l’obscurité. Un mouvement de panique détira mes jambes comme un ressort. Sitôt debout, un vertige m’assaillit et je vis le sol se rapprocher d’un peu trop près. Mon fessier atterrit sur la table basse, le bois craqua, lorsqu’une série de petits coups frappèrent la porte d’entrée.

Vite ! Je piochai un jean et un t-shirt dans la pile de linge propre, sur la chaise de mon bureau. La fermeture à glissière se coinça dans le short de mon pyjama. À trop tirer dessus, je finis par arracher le curseur. Les coups retentirent à nouveau, plus insistants.

— J’arriiiiive ! criai-je pour me faire entendre.

Je pressai l’interrupteur et la lumière du plafonnier m’abasourdit. Des flashes éclaboussaient ma rétine tandis que je titubai vers la porte. En passant devant la kitchenette, à l’entrée, je remarquai que l’évier avait été vidé de la vaisselle qui s’y amoncelait depuis trois jours.

— Théo ! Caro ! Ben ! m’exclamai-je en les découvrant de l’autre côté de la porte. Eh ben alors ? Vous en tirez une tronche.

La lassitude et une extrême pâleur, en effet, consternaient leurs trois visages. Les poches sous les yeux de Théo étaient encore plus lourdes qu’à l’accoutumée. Caro adressa un discret coup de coude à Ben, croyant peut-être échapper à mon attention, et l’échalas déroula sa colonne vertébrale, un sourire artificiel accroché au visage.

— Qu’est-ce que vous attendez ? Le dégel ?

Le moulinet de ma main les priait d’entrer, de s’installer, de faire comme chez eux. Ils s’échangèrent un dernier regard avant d’obtempérer. Ils me cachaient quelque chose, mais quoi ? Je redoutais d’en avoir le cœur net.

Ils pénétrèrent dans mon antre en file indienne, et les deux packs de Leffe blondes que Ben portait à bout de bras virent fleurir mon premier sourire de la journée. Je l’en délestai, fis sauter les capsules de quatre bouteilles et en tendis une à chacun de mes convives, me réservant la dernière. Après quoi je lançai ma playlist habituelle pour les dérider un peu.

L’enceinte acoustique emplit l’espace sonore d’un simulacre de gaîté. Nous trinquâmes, le cœur absent, et le breuvage descendit d’un trait dans mon gosier.

— Vous ne payez pas de mine, tous les trois ! Vous ne vous êtes pas remis de la veille ou quoi ?

— Hmmm… Non, pas vraiment, m’avoua Caro. Tu ne te rappelles rien ? Rien de rien ?

— Du tout ! Mais ça devait être une sacrée soirée. Qu’est-ce qu’on a pris comme daube, au juste ? Je ne sais pas vous, mais moi, j’en ressens encore les effets.

Nouveau regard de connivence embarrassée.

— On se fait un poker ? bottai-je en touche.

— Euh… Je n’ai pas apporté ma mallette, s’excusa Théo en se grattant le bras avec nervosité.

— Pas grave, j’ai un jeu de cartes qui traîne quelque part. On n’a qu’à faire une pyramide.

L’atmosphère s’allégea sensiblement au fil de la partie. L’alcool aidant, quelques rires fusèrent ici et là. Ben, qui avait également rapporté du shit, roula un trois feuilles. Le joint circula entre nos lèvres, et ses volutes enfumèrent bientôt toute la pièce. La boisson continuait à délier les langues sur des sujets de moindre importance – les derniers examens, les cours du nouveau quadrimestre, les prochaines vacances… – tandis que la résine de cannabis égarait nos pensées. Nous évitions tous, cependant, d’aborder le soir de la veille.

Aux alentours de vingt-trois heures, les conversations se tarirent. Caro et Ben accusaient des signes flagrants de fatigue. L’une bâilla à s’en décrocher la mâchoire, quand l’autre secoua la tête devant la Jupiler que j’avais expressément sortie pour lui du frigo. Lui qui ne refusait jamais une bière…

Caro se leva du canapé-lit toujours déplié et épousseta sa jupe. Ben adressa un bref hochement de menton à Théo, qui haussa les épaules.

— Vous partez déjà ? Mais il n’est même pas minuit…

— Nous n’avons pas tous ton temps, rétorqua Caro. Je commence tôt, demain.

— Toujours aussi assidue en cours, à ce que je vois…

— Arrête de te prendre pour le nombril du monde, Nath.

Je leur emboîtai le pas jusqu’à la porte, quelque peu froissé par sa remarque. Un sourire me crispa le visage, comme toujours lorsque la tension électrise l’atmosphère.

— Salut, mec, me lança Ben, accompagnant son adieu d’une tape sur mon épaule.

— Bonne nuit, Nathanaël, me souffla Caro, la moue prononcée.